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Chasseurs de nomades

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IV
DÉPAYSEMENT

Depuis quinze jours, à Gabès, m’attendait un télégramme de Mercédès. Car nous avons mis deux semaines, Planier, quelques autres et moi-même pour échouer enfin dans cette brûlante cour de caserne, ville militaire à côté des villages arabes et européens.

Je tourne dans mes mains grossies par la chaleur ce télégramme passe-partout de vingt-deux mots, adresse comprise :

Reçu lettre. Écris souvent. Courage. Ne t’oublie pas. Affection. Mercédès.

L’heure de dépôt de cette dépêche porte 9 heures 43. Du matin ou du soir ? Du matin sans doute. Mercédès ayant trouvé mon mot d’adieu dans la matinée est aussitôt sortie pour me répondre. Qui sait ? Elle me gardait un peu plus que de la sympathie, comme elle l’assurait. Mais une Espagnole amplifie si naturellement ce qu’elle éprouve ! De l’« affection » comme elle le confie aux lignes indiscrètes du télégraphe ?

Cependant Mercédès est rarement levée de bonne heure… Ce jour-là, elle a dû se lever, voilà tout. Ou bien elle a découvert ma lettre en rentrant chez elle, un peu après l’aube. Ou bien, elle a prié quelqu’un d’aller jusqu’à la poste. Tout est possible… Ces suppositions, elles se succèdent à la minute, tandis que je regarde cette grande cour stérile, chauffée par le soleil, où ceux du renfort sont parqués, en attendant d’être distribués dans les compagnies du bataillon de marche.

Vaste domaine que celui de la cité militaire. Son étendue n’empêche pas d’apercevoir les murs blancs et hauts qui clôturent ces allées de palmiers, ces bâtiments alignés et numérotés. Caserne ou lycée ? C’est du même style. Il y a le jardin du Cercle militaire, près de l’entrée principale, le corps de garde, bien entendu et la prison, en face. Puis l’hôpital. Un large espace pour les évolutions de la troupe, les parades et les déploiements. Et des bâtisses parallèles en ligne droite, toutes semblables.

Toutefois, du côté où s’annonce le désert, où l’on établira plus tard le camp d’aviation, il y a le génie et, à l’autre extrémité, l’artillerie. Par-dessus tout, un ciel éclatant qu’on n’ose regarder, pas plus que le sol ratissé et balayé, à cause d’un soleil inexorable qui brûle les yeux…

Si tu désirais le dépaysement et ses angoisses, tu les as trouvées, pantouflard chercheur d’aventures qui aime sans l’avouer les horizons policés, le travail régulier et la méditation.

Ici, tu pénètres dans les domaines du fantasque et de l’imprévu, de la fatigue et de la fièvre, de la soif éternelle et de ce découragement sans pareil qui n’a pas de nom si ce n’est en argot de troupier.

Déjà, rien ne te relie au monde que tu as quitté, en dehors de ce petit papier bleu administratif où une femme a jeté son dernier souvenir. Mais le réconfort de ces quelques mots comptés un à un n’est point négligeable.

Quelque jour, si les vents de la chance te sont favorables, tu pourras t’en donner les raisons. Le résultat en ce moment est certain. Pourra-t-il te permettre d’entreprendre une nouvelle conquête pour oublier la précédente ?

Je sais dès à présent que je ne puis pas répondre à Mercédès. Silence. Je me dois de résister à tout souci d’écriture, à la facile tentation de me raconter, à cette pénible volupté de me torturer en reprenant une infortune que la distance a rendue ancienne, si ancienne. Mais plutôt que naisse en moi un besoin d’ordre, de voir clair, la nécessité de chronométrer mes étapes et la course déjà fournie.

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