Contes Chrétiens
II
LES GRAINS PERDUS
D’autres grains tombèrent sur un sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre, et ils levèrent aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Mais, le soleil ayant brillé, la plante, brûlée de ses feux et n’ayant pas de racines, sécha. D’autres grains tombèrent parmi les épines, et les épines crûrent et les étouffèrent.
(Saint Matthieu, XIII, 5, 6, 7 et 8.)
Trente ans s’étaient écoulés depuis la miraculeuse résurrection de Notre-Seigneur Jésus ; et déjà ses Apôtres avaient semé aux quatre coins du monde la divine semence qu’il avait laissée dans leurs mains.
Par une claire matinée de printemps, un mendiant s’avançait, tout inondé de sueur et traînant les pieds, sur le petit chemin qui mène d’Arad à Thamara, en Idumée, à travers les sèches collines du Désert de Juda. Le pauvre mendiant ! C’était l’âge, sans doute, qui avait voûté son dos, aplati son ventre, dégarni son crâne et sa bouche ; mais était-ce l’âge aussi qui avait rongé l’un de ses yeux et la moitié de son nez, et qui avait parsemé son visage de taches sanguinolentes, et qui avait tordu les os de ses petites jambes ? Rien n’était lamentable à voir, en tout cas, autant que cet ancien gros homme dégonflé et raccourci, qui clopinait sur la route en gémissant à chaque pas. Et le spectacle n’était pas non plus sans quelque chose de comique, qui valait à l’infortuné les rires et les huées de tous ceux qui le rencontraient. Car cette vivante ruine, tête nue et pieds nus, portait sur ses épaules un long manteau somptueux, mais trop lourd pour la saison, et sali, et plein de trous, sans compter qu’on y voyait, cousus par places dans le plus extravagant désordre, des bouts de méchants galons dorés et argentés qu’on aurait dits ramassés dans une ornière et piqués là, au hasard. Ces galons disparates, et deux bagues en métal grossier sur les doigts crasseux du mendiant, c’était cela qui tout de suite forçait à rire quand on l’apercevait : cela, et aussi la manière dont, à tout instant, il portait la main à ses reins, comme s’il venait d’être battu. Et puis enfin sa misère, dans l’ensemble, était de celles qui amusent : on sentait qu’il avait dû lui-même s’amuser beaucoup pour se l’attirer si complète.
Il marchait, inondé de sueur et traînant les pieds. Quand on riait sur son passage, d’abord il se fâchait, mais il finissait par sourire. Et l’on s’éloignait sans lui rien donner, car son pauvre sourire faisait peur.
Au bas d’une montée il s’arrêta, s’assit dans le fossé de la route. Et voici qu’il vit venir de son côté un grand vieillard si piteux et si drôle qu’il ne put s’empêcher d’en rire, comme on avait ri de lui-même. Celui-là appartenait à l’espèce des vieux maîtres d’école. Il avait un nez crochu, une barbe desséchée, un cou mince et long comme une tige de bambou. Il gardait ses deux yeux, mais si usés et si pleins de mite qu’il pouvait à peine les ouvrir. Une dizaine de cheveux gris, sans doute les seuls qui lui restaient, formaient une façon de clôture autour d’un vieux linge verdâtre qu’il s’était collé sur le haut du crâne. On devinait qu’il avait été destiné par la nature à être maigre, mais qu’une vie sédentaire l’avait boursouflé, jaunissant sa peau. Et le malheureux semblait atteint de quelque maladie singulière. Avez-vous jamais vu, dans une cour de collège, des élèves révoltés contre leur principal ? Ils refusent de lui obéir, gambadent quand il leur commande de rester en repos, courent à droite quand il leur dit à gauche. C’est tout à fait de cette manière que se comportaient les membres du vieillard. Ils semblaient révoltés contre lui. Sa tête se balançait à l’extrémité de son interminable col, capricieusement, avec des grâces indolentes. Ses bras se mouvaient suivant leur fantaisie, sans s’inquiéter des ordres qu’il leur donnait. Et ses jambes s’avançaient par des saccades soudaines, comme si leur ressort intérieur, à tout instant, se fût démis. Et tout cela, tout jusqu’à la guenille qui lui servait de manteau, tout cela était empreint d’une gravité solennelle : le témoin le plus grincheux en eût été déridé.
Aussi le petit vieillard riait-il, en se frottant les reins, pendant que cette autre ruine flageolait sur la route. Mais tout à coup il s’arrêta de rire, leva en l’air ses bras informes, et, si vite qu’il put, il courut se placer sur le passage du vieux professeur. Puis tous deux s’examinèrent soigneusement, et puis, s’étant reconnus, ils crièrent :
— Cléophas !
— Siméon !
Trente ans ils ne s’étaient point revus ; ils avaient eu le temps de se pardonner leurs griefs. Assis maintenant côte à côte, dans le fossé du chemin, ils continuaient à se regarder. Et chacun, considérant la misère de l’autre, se consolait de sa misère. Jamais ils ne s’étaient sentis si proches, depuis la première nuit qu’ils avaient passée ensemble sur la route, jadis, aux portes de Capernaüm, avec les oreilles encore toutes pleines des paroles de Jésus, et le cœur tout embrasé du feu divin de ses yeux. Ils s’étaient juré, cette nuit-là, de marcher toujours la main dans la main, doux et humbles, soumis à ce merveilleux jeune homme qui avait daigné leur sourire.
S’étant relevés avec de grands efforts, les deux vieillards marchaient, la main dans la main. Ni l’un ni l’autre ne savait où aller, ni l’un ni l’autre ne possédait rien au monde.
Ils se promirent de ne plus se quitter. Ensemble ils mendieraient leur pain, au long des routes : la vie leur paraîtrait moins dure, et la mort moins lente.
Et, quand ils se furent bien habitués l’un à l’autre, ils se racontèrent la triste histoire de ce qui leur était arrivé, depuis qu’ils s’étaient séparés, le cœur plein de haine, à Jérusalem, sur le seuil de la maison de Marc, où demeuraient les Onze.
Siméon parla le premier. Il s’interrompait à tout moment pour gémir, pour se frotter les reins, pour essuyer la sueur de son crâne chauve. Le sentier montait devant eux, montait sans fin. Des rochers plantés de genêts leur cachaient le sommet de la colline. Plus d’une fois ils durent s’asseoir, plus d’une fois le cœur leur faillit, et ils eurent l’impression qu’ils allaient mourir.
Et voici ce que dit Siméon :
« Ah ! frère, Jésus m’a puni ! J’avais douté de lui sur le chemin d’Emmaüs, et il m’a fait expier mon péché. Car ces discours qu’il a tenus devant nous, dans l’auberge, eh ! bien, je vois maintenant qu’ils étaient destinés à ma perdition !
« C’est d’eux que m’est venu tout mon malheur.
« Tu te rappelles, n’est-ce pas, qu’il nous a dit, ce soir-là, deux paraboles ? La première, pour être franc, je ne l’ai guère comprise ; mais tout de suite, au contraire, j’ai compris la seconde, celle du mendiant qui avait donné un baiser à la femme du prince. Celle-là était assez claire : elle signifiait que toutes les vieilles défenses de la Loi étaient abolies, et que la seule loi, pour nous, devait être désormais de chercher notre plaisir. C’est, du reste, un enseignement que, depuis longtemps déjà, il m’avait semblé lire dans ses paroles. Tu te souviens ? Il nous dispensait des prières et des jeûnes, il pardonnait leurs péchés aux pires pêcheurs, il prenait sous sa protection les femmes adultères. Aussi ai-je deviné sur-le-champ le sens de sa parabole d’Emmaüs. Hélas ! je l’ai trop bien deviné.
« Et je me suis promis de m’affranchir de toute contrainte, à l’avenir, pour ne chercher d’autre but dans la vie que mon plaisir personnel. Rien de plus raisonnable, d’ailleurs, et de plus conforme à ma nature. J’avais des désirs, et quand je ne pouvais les satisfaire je souffrais, et quand je pouvais les satisfaire j’étais heureux. Le mendiant avait désiré donner un baiser à la femme du prince, et Jésus l’avait approuvé. Je résolus donc de consacrer mon temps à désirer toutes choses, et à satisfaire tous mes désirs.
« Mais je vis alors que tous mes désirs étaient subordonnés au désir d’être riche. Sans argent, impossible de rien avoir d’un peu agréable. Et, comme je songeais aux moyens de m’enrichir, un publicain de Jéricho, nommé Lévi, m’enseigna un moyen rapide et sûr dont lui-même tirait profit. Installé à Athènes, il avait demandé aux Athéniens de lui confier de grosses sommes d’argent, qu’il promettait d’employer à faire creuser un canal de la Mer Morte à la Grande Mer. Les bénéfices, disait-il, ne pouvaient manquer d’affluer ; ils seraient répartis entre les souscripteurs. Il avait ainsi obtenu de grosses sommes, qu’il avait employées, non pas à faire creuser un canal, mais à se construire une maison et à donner de belles fêtes. « Libre à toi, ajoutait-il, d’essayer le même moyen dans une autre ville ! » Et son idée me plut fort. Je lui demandai, cependant, si le moyen qu’il me proposait n’était pas quelque chose comme un vol. « Pas du tout, me répondit-il, car depuis vingt ans je le pratique, et chacun le sait à Athènes, ce qui n’empêche personne de me respecter. Et puis, comment serait-il question de vol quand les gens confient leur argent de plein gré, et quand les sommes sont si fortes ? »
« Rassuré par cette réponse, je m’en fus à Rome, et je suivis le conseil de Lévi. Je recueillis des sommes destinées, disais-je, à ouvrir et à exploiter des mines d’argent à Capernaüm. Cinq ans je vécus caché dans un misérable taudis du faubourg, vivant d’ordures, tout occupé seulement à ramasser de l’argent. Puis, au bout de ces cinq ans, je rachetai le palais d’un patricien endetté ; et je fis savoir que les mines de Capernaüm, en attendant qu’elles enrichissent tous mes souscripteurs, avaient déjà prospéré suffisamment pour m’enrichir moi-même. J’avais atteint mon but : je possédais plus de trésors que n’en posséda jamais le roi Salomon. Il ne me restait plus qu’à me créer des désirs, pour les satisfaire à mon gré.
« Mon seul vrai désir, vois-tu, le désir dominant de toute ma vie, c’était de bien manger. Ah ! le copieux repas que je me promettais pour mon premier jour de fortune ! Malheureusement, la vie de privations que j’avais menée dans les faubourgs m’avait endommagé l’estomac, de sorte que, ce fameux jour-là, précisément, il me fut impossible de rien avaler. J’avais ainsi usé mon corps en toute façon, pendant ces cinq ans ; et quand je voulus jouir enfin de ma jeunesse, à trente ans, je me trouvai plus vieux que ne l’était mon père à cinquante. Mais enfin je pouvais goûter aux mets les plus rares, et je n’y ai pas manqué. J’ai mangé des mélanges de viandes dont l’empereur Claude lui-même ne connaissait pas la recette : tous les jours mes cuisiniers m’en offraient de nouveaux, qu’ils inventaient pour moi. Et, ma foi ! je sens que j’aurais fini par y prendre plaisir. Je regrettais bien un peu que ma condition m’interdît de me faire servir, à la place de ces combinaisons précieuses, un bon plat de poisson salé avec des olives ; mais enfin, tu sais, on s’habitue à tout ! C’est mon estomac qui décidément s’est fâché. Était-ce l’effet de mes cinq années de privations ? Était-ce la présence, dans ces mets trop raffinés, de quelque élément indigeste ? Était-ce leur variété même et leur incessante nouveauté ? Je ne puis le dire. Mais il est sûr que, depuis vingt ans, il m’est impossible de rien manger. A peine si je me souviens encore de ce que c’est d’avoir de l’appétit. Le lait même, les œufs, rien ne me dit plus. Et figure-toi que, avec tout cela, un désir de mets nouveaux m’est venu, qui ne veut plus me quitter ! J’y pense sans cesse. J’ai toujours l’idée qu’on est en train de combiner quelque sauce qui, enfin, me ferait plaisir à goûter.
« Un autre de mes soins, quand je fus riche, fut de me commander de nombreux vêtements. Je pensais que rien n’était amusant comme de se sentir élégamment habillé. Je le pense encore : ne le penses-tu pas aussi ? Mais, — je ne vois pas trop comment t’expliquer cela, — jamais je n’ai pu me procurer le vêtement qu’il m’aurait fallu. Dès que je mettais une toge, j’en désirais une autre. Et si tu savais ce que j’ai eu d’ennuis avec mes tailleurs ! Toujours des modes nouvelles, ou bien un galon dont la couleur était mal assortie, ou des comptes trop chargés, et alors des chicanes à l’infini. Et les coquins se moquaient de moi, par-dessus le marché ! Tout le monde se moquait de moi ! Des toges qui coûtaient plus cher que chez nous des maisons ! Je te le dis, c’est Jésus qui m’a puni ! Car, enfin, il n’y a pas de plus vif plaisir que de porter de belles toges et de vivre dans le luxe, n’est-ce pas ? Je ne le sentais pas autrefois, à Capernaüm, mais maintenant, je le sens bien ! Que vais-je devenir, Cléophas mon frère, maintenant que je sens tout cela, et que je ne puis même plus trouver assez de vieux galons dans les fossés des routes pour garnir en entier le bas de ce vieux manteau ! »
Après s’être arrêté un moment pour sangloter et gémir, et pour se frotter les reins, Siméon reprit son récit :
« Les riches Romains achetaient des peintures et des statues : j’en ai acheté aussi. De cela je ne te parle pas comme d’un vrai plaisir : car mon intendant m’obligeait à acheter des œuvres où je ne voyais rien, et, celles qui m’auraient plu, il me défendait même de les regarder, comme étant d’un goût trop vulgaire. Mais quels tracas je me suis donnés pour former une collection ! J’ai acheté au poids de l’or une statue que chacun déclarait admirable : et, peu de temps après que je l’ai achetée, chacun l’a déclarée vilaine, et même ridicule. Ce n’est pas que la statue eût changé ; mais il paraît qu’elle avait été d’abord d’un certain Phidias, et qu’ensuite elle n’était plus de lui. Une fatalité, je te dis, une punition de Jésus ! Les autres sont si heureux de posséder des collections ! Ils en parlent avec tant d’orgueil et de joie ! Ah ! si je pouvais recommencer à me former une collection !
« Et si je pouvais recommencer à donner des fêtes, Cléophas ! Il n’y a pas de plus parfait bonheur. Hélas ! je n’ai pas su en jouir ! J’ai donné des fêtes dont l’apprêt m’a causé des mois de fatigue, et qui m’ont coûté des sommes incroyables. On est venu en foule dans mon palais, on a mangé et bu, et moi je suis resté debout, entre deux portes, sans pouvoir me reposer un moment. J’ai voulu au moins savourer la gloire mondaine que je croyais m’être acquise. J’ai écouté ce que l’on disait de moi : mes invités se racontaient l’histoire de ma fortune ; on raillait le mauvais goût de mon ameublement. On me méprisait et on se moquait de moi !
« Vois-tu, c’est la malédiction de Jésus qui pesait sur moi ! J’étais riche, et tout le plaisir de ma richesse allait aux autres, par-dessus ma tête. C’étaient les autres qui dégustaient les inventions de mes cuisiniers, qui regardaient mes statues, qui s’amusaient à mes bals. Et, au lieu de me remercier, ils me méprisaient et se moquaient de moi !
« J’ai désiré me marier. J’ai demandé la main de la plus belle et de la plus élégante parmi les jeunes filles des patriciens ; et tout de suite je l’ai obtenue, ce qui m’a valu une infinité de haines et de jalousies. Eh ! bien, il en a été de ma femme comme du reste : ce sont les autres qui en ont profité. Avec les autres elle était douce, spirituelle, gracieuse, belle tous les jours d’une beauté différente ; mais, à moi, elle me faisait voir qu’elle m’avait épousé parce que j’étais riche. Et jamais je n’oserais te dire comment elle me traitait.
« Elle est morte, heureusement ; et je me suis marié avec une jeune fille que j’avais découverte dans un village de Sicile. Celle-là ignorait le monde, elle me devait tout, je fus certain qu’elle allait m’aimer. Hélas ! la malédiction de Jésus pesait sur moi ! Car, pendant les premières semaines, l’enfant parut en effet, disposée à m’aimer ; mais, dès qu’elle vint à Rome, et qu’elle me vit si riche, et qu’elle vit les jeunes Romains si empressés auprès d’elle… mon pauvre ami, elle fut pire mille fois que ma première femme !
« Si bien que je finis par renoncer aux plaisirs du mariage. Je pouvais, avec mon argent, m’offrir les plaisirs de l’amour : ceux-là sont assurés, rapides, et ne trompent jamais. J’ai même trouvé une jeune Juive de Gabaon, une pure vierge, qui du premier coup s’est éprise de moi. Ah ! Cléophas, si tu l’avais vue ! Elle se suspendait à moi comme une chatte, elle me donnait des noms d’oiseaux, elle me demandait toute sorte de bijoux pour se faire plus belle et pour me plaire mieux. Elle embrassait mes valets pour les encourager à me bien servir. Hélas ! elle avait dans le sang je ne sais quoi de vicié, et je l’ai eu d’elle. Regarde mon nez et mes yeux, regarde ces taches sur mon front : ce sont les souvenirs qu’elle m’a laissés ! Et puis, impossible désormais de profiter de sa tendresse ! Elle était si gentille, si innocente, si câline ! Ah ! si seulement je pouvais la revoir ! Je l’appelle jour et nuit, du fond de mon cœur. Qu’est-ce que la vie, loin d’elle ? Cléophas, Cléophas mon frère, rends-la-moi ! »
Il parut à Cléophas que son vieil ami était devenu fou. Il s’était étalé à plat ventre dans le sentier brûlant ; il pleurait, et battait le sol de son crâne. Enfin, il reprit ses sens :
« Frère, dit-il, Jésus m’a puni. Trente ans j’ai cherché le plaisir, et mes recherches n’ont abouti qu’à m’accabler de misère. J’ai pourtant fini, il y a six mois, par découvrir la véritable source du bonheur. Puisque je possédais beaucoup d’argent, je n’avais qu’à songer à cela, et à m’en réjouir. J’amassai des monceaux d’or dans une salle de mon palais : je les contemplais, je les pesais, je les rangeais d’une caisse dans une autre. Encore un peu d’habitude, et je sentais que la vue de cet or allait me paraître délicieuse.
« Mais voici que mon palais fut envahi par des inconnus qui se jetèrent sur tous mes trésors, enlevant, par-dessus le marché, les manteaux de ma garde-robe, et mes meubles, et jusqu’à cette statue qui, cependant, avait cessé d’être belle. Oui, ces misérables m’ont tout pris. Si encore c’étaient les mêmes personnes qui, jadis, m’avaient confié leur argent pour les mines de Capernaüm ! Mais non, c’étaient des gens de rien, des esclaves, une foule dont je soupçonnais à peine l’existence. Ils m’avaient vu mener la vie luxueuse que je menais, ils s’étaient figuré que je m’amusais beaucoup, et comme ils savaient que, suivant ma religion, l’unique but de la vie était de s’amuser, ils avaient voulu s’amuser à leur tour. Ils se partagèrent tout ce que je possédais. L’un d’eux, un vieux tailleur aveugle, emporta sur son épaule mes plus beaux tableaux : « Rien n’est agréable comme les tableaux ! » criait-il. Après cela, il en tirera toujours autant de plaisir que moi. Et, quand on m’eut tout pris, on me chassa de ma maison.
« Et il me fallut quitter Rome : car, du jour où l’on sut que j’étais volé, on s’aperçut que j’étais un voleur. Je me suis enfui à Capernaüm ; mes parents étaient morts, les enfants de mes anciens amis refusaient de me reconnaître. Je suis reparti, et je vais devant moi.
« Mais le plus affreux est que je suis dévoré de désirs, Cléophas, plus que jamais ! Je désire manger des oiseaux des Indes, et mon estomac ne consent pas même à digérer un morceau de pain. Je désire porter des manteaux de pourpre brodés d’argent, et mon corps est si infirme, et mon visage si laid, que tous les accoutrements ne feraient que me rendre plus ridicule. Je désire palper des monceaux d’or, et je n’ai plus assez de force pour gagner une drachme. Je désire respirer les parfums de l’Arabie, et je n’ai plus que la moitié de mon nez.
« Et avec ma figure, et ma bouche édentée, et mon crâne chauve, vois-tu, Cléophas, je désire, je désire passionnément les caresses des femmes ! J’ai rencontré hier, à Arad, une jeune paysanne qui puisait de l’eau ; je me suis rappelé la parabole de Jésus, et j’ai voulu l’embrasser. Elle m’a battu de ses deux poings, et son mari, qu’elle a appelé, m’a battu aussi. J’en ai les reins fracassés ! Soutiens-moi, Cléophas, je sens que je vais mourir ! »
Il était temps que Siméon s’arrêtât, car le pauvre homme suait, soufflait, grognait, rendait l’âme. Et Cléophas, de son côté, paraissait de plus en plus impatient de pouvoir se plaindre à son tour.
« Mon pauvre Siméon, — fit-il, après qu’ils se furent assis, — il y a longtemps que toute vanité a disparu de mon cœur. Ne te fâche donc point de ce que je vais te dire : mais ton histoire, vois-tu, m’a prouvé une fois de plus que tu étais une bête ! Car, des deux paraboles que nous a récitées Jésus, dans ce triste soir d’Emmaüs, tu as justement choisi celle qui n’avait aucune importance : c’était un de ces contes poétiques et touchants qu’il aimait à nous offrir, mais plutôt pour nous charmer et nous inviter au rêve que pour nous indiquer notre voie. Et c’est l’autre parabole, au contraire, qui avait un sens très précis. C’est elle que j’ai tout de suite comprise, et qui m’a guidé, pendant ces trente ans.
« Jésus m’a enseigné, ce soir-là, que la science était la clef du royaume des cieux : nul n’y entrera s’il n’est plus savant encore que le sage d’Égypte, qui croyait savoir toutes choses. Aussi bien était-ce là une vérité que j’avais toujours devinée ; car je comprenais que ce ne pouvait pas être sans motif, et simplement pour me bourrer la tête, qu’on m’avait fait apprendre tant de choses, depuis l’enfance. Je formai donc, en te quittant, la résolution de devenir le plus instruit et le plus intelligent des hommes : et j’ose dire, sans trop de vanité, que c’est ce que je suis devenu.
« Pendant que tu amassais à Rome les éléments de ta vaine et maudite fortune, je vivais, moi, à Alexandrie, recueillant les leçons des maîtres, acharné à m’instruire dans tous les ordres de sciences. Bientôt je me trouvai instruit dans toutes les sciences connues, dans d’autres même, que je créai. Et nuit et jour j’étudiais. Je n’avais ni amis ni maîtresses ; je n’avais qu’une quantité innombrable d’élèves. Et longtemps je me préparai à jouir du bonheur ; je sentais que je serais heureux tout à fait lorsque j’aurais appris et compris toutes les lois de la nature.
« Hélas ! j’avais, moi aussi, péché envers Jésus ! Un jour mes yeux s’ouvrirent, et ce fut la fin de ma joie. Je m’aperçus alors que ce que je prenais pour les lois de la nature n’était que de vaines formules. Nos pères avaient eu d’autres sciences, qu’ils avaient crues éternelles comme nous les nôtres : et c’est à peine si assez de traces nous en restaient pour alimenter notre moquerie. Je m’aperçus que toutes nos sciences reposaient sur de présomptueuses hypothèses : sur l’hypothèse que la nature était faite en vue de notre pensée ; sur l’hypothèse que ses lois étaient d’accord avec les habitudes de notre esprit ; sur l’hypothèse que les mouvements de la nature se reproduisaient d’une façon régulière et constante. Autant de chimères, mon pauvre Siméon, je m’en aperçus dès le jour où mes yeux s’ouvrirent. Et sans cesse je vis s’effondrer, sous des faits nouveaux, quelqu’une de ces lois soi-disant universelles que j’avais prétendu établir. J’avais affirmé que les miracles étaient des manifestations naturelles dont ma science saurait découvrir les lois ; et sans cesse je constatais que les manifestations en apparence les plus naturelles étaient des miracles encore, dont jamais aucune science ne découvrirait les vraies lois.
« Si du moins l’esprit pouvait être assuré de connaître les faits, à défaut de leurs lois ! Mais non, pas même cela n’est possible ! Les faits tels qu’ils nous apparaissent sont le produit de notre pensée : rien, absolument rien ne nous démontre qu’ils soient réels hors de nous. Rien ne nous permet de distinguer, une seule fois, le rêve de la réalité. Et, au commencement et à la fin de toute science, le mystère. Aucun moyen de deviner, par la science, l’origine ni le but de rien.
« Voilà ce que je vis, Siméon et la science pratiquée dans ces conditions me parut une duperie, et je me sentis honteux d’y avoir dépensé tant d’efforts. Je me consolais seulement à l’idée que si, ma science avait été vaine, du moins elle n’avait causé de dommage à personne.
« Or, au moment où je cherchais ainsi à me consoler, je relevai la tête, que j’avais tenue baissée sur mes livres pendant dix années. Et je vis avec terreur les résultats qu’avait produits, à mon insu, de par le monde, cette science, que je croyais incapable de nuire. Il me parut que la vie de millions d’hommes en était bouleversée. De ces formules que j’avais établies, les prenant pour les vraies lois des choses, mes élèves avaient tiré toute sorte d’applications pratiques. Ils s’en étaient servis pour construire des machines diverses, des voitures qui allaient plus vite que le vent, des roues qui faisaient à elles seules plus de travail que des centaines d’ouvriers. Les machines, vois-tu, c’est tout à fait comme ces boulettes de pain qu’on remplit de poison pour les jeter ensuite aux souris : les souris avalent le pain, et le poison les tue. Ainsi les hommes ne peuvent se défendre d’essayer ces machines, qui paraissent si belles et d’un usage si commode ; mais, dès qu’ils les ont essayées, ils en réclament d’autres plus belles et plus commodes, oubliant déjà les avantages qu’ils doivent à celles-là ; et à l’intérieur de ces machines un poison est caché, dont les hommes s’imprègnent sans le voir, et qui détruit en eux ce qui les faisait vivre. Car ces voitures vont trop vite, et ces roues font trop de travail. Le poison du nouveau désir est caché au fond des machines : il porte les hommes à ne plus se contenter ni du pays où ils sont nés, ni de la condition de fortune où le sort les a mis. Et c’est la lutte, la lutte sans pitié, tous les hommes se ruant à la conquête d’un bien-être supérieur, et toujours plus malheureux à mesure qu’ils s’y ruent davantage.
« Ah ! Siméon, j’ai tremblé lorsque j’ai vu l’humanité nouvelle qui était sortie de ma science ! Non seulement je n’étais parvenu à rien connaître de certain, mais j’avais encore développé dans le monde l’inquiétude, le désir, la souffrance, la mort. Ma médecine avait créé plus de maladies qu’elle n’en avait guéri. Ma connaissance des corps naturels avait permis de falsifier les produits de la nature. Ma physique avait fourni aux hommes les plus formidables appareils de carnage et de destruction.
« Je me vis criminel envers l’humanité tout entière. Je crus qu’on ne pourrait manquer de s’apercevoir de mon crime, comme je m’en étais aperçu moi-même en relevant la tête. Et je m’enfuis d’Alexandrie avec la honte et l’angoisse au cœur, malgré l’universelle acclamation de ce peuple aveuglé, qui me remerciait de l’avoir perdu.
« Je me rendis à Antioche, et, là, je résolus de suivre dans une autre voie les conseils de Jésus. Puisque la science des savants était nuisible à l’humanité, je résolus de me livrer désormais à des études si désintéressées qu’elles ne sauraient nuire. Et puisque la science des savants ne m’avait rien appris ni sur les lois des choses, ni sur leur origine et leur fin, je résolus de chercher désormais la vérité à sa vraie source, qui était la science des philosophes. C’était d’elle, sans doute, que m’avait parlé Jésus. Dix ans j’ai approfondi la philosophie ; il n’y a pas un livre que je n’aie lu, pas une doctrine que je n’aie pesée. J’ai trouvé là un néant plus noir encore que dans la science des savants. Ni sur l’origine, ni sur la fin des choses, la philosophie ne m’a rien appris qui fût seulement un peu sérieux. Des inventions gratuites, le plus souvent vides de sens ! La fantaisie, unique mesure du vrai et du faux ! Et quelle fantaisie ! C’est le triomphe des plus bavards et des plus ennuyeux !
« Et quand j’ai relevé la tête, que j’avais tenue baissée pendant dix ans sur des problèmes de métaphysique, j’ai vu avec épouvante que ma philosophie avait produit, de par le monde, des résultats plus tristes encore que tous ceux de ma science. Non pas que les hommes m’aient suivi dans mes recherches abstraites : mais le bruit était venu jusqu’à eux de certaines de mes fantaisies, et, sans y rien comprendre, sans même y penser, ils en avaient été imprégnés. J’avais imaginé, par exemple, que la loi suprême de la vie dans l’univers était peut-être la lutte, amenant la victoire du plus fort : et cette imagination avait ravivé dans le cœur des hommes le goût de la lutte, elle le leur avait fait paraître plus impérieux et plus légitime. Une autre fois j’avais imaginé, par une hypothèse absolument contraire, que peut-être tous les hommes étaient d’origine commune : et les hommes en avaient conclu qu’ils possédaient, tous, les mêmes droits, étant égaux ; et les pauvres s’étaient mis à haïr, comme une injustice à leur détriment, la richesse des riches. Et quand enfin je suis arrivé à cette certitude que la philosophie était vaine, autant que la science, les hommes en ont conclu que toutes choses étaient vaines, ce qui a encore augmenté infiniment la somme de leurs souffrances, sans réprimer d’ailleurs leur goût de la lutte et leur tendance l’égalité. Ainsi ma philosophie s’est trouvée contenir, elle aussi, un poison mortel. Et j’ai eu beau y renoncer : on a cessé de prendre au sérieux mes imaginations ; mais les conséquences morales qu’on en avait tirées, rien au monde désormais ne pourra les empêcher de se répandre dans le cœur des hommes, et de le vicier.
« Alors je me suis enfui d’Antioche. Je me suis retiré dans un village de Syrie, et j’ai résolu de suivre encore dans une autre voie le conseil de Jésus. Puisque la science et la philosophie, loin de me rien apprendre de véritable, n’avaient servi qu’à m’alourdir l’esprit, j’ai voulu chercher le bonheur, désormais, dans l’exercice désintéressé de mon intelligence. Il me semblait que j’avais eu tort de subordonner toutes les joies de ma pensée au stérile souci de la vérité. Et, pendant dix ans, j’ai essayé de me complaire dans la pure pensée. Je combinais des réflexions de toute sorte, je construisais toute sorte de raisonnements, pour le simple plaisir de réfléchir et de raisonner. Mais non seulement je ne pus y prendre jamais aucun plaisir réel, toujours même j’ai trouvé à cet exercice quelque chose d’un peu dégradant. Car penser sans autre but que de penser, c’était, me paraissait-il, imiter ces baladins qui sautent, dans les foires, sans autre but que de sauter ; et encore n’avais-je pas, comme eux, pour ennoblir ma peine, le risque de me casser le cou au premier faux-pas.
« Alors je résolus de ne plus penser, mais de sentir, de voir, et de rêver. Peut-être était-ce là cette vraie science dont m’avait parlé Jésus ? Hélas ! un savoir trop étendu et une trop longue habitude de raisonner avaient amorti mes sens, éteint mes yeux, aboli en moi toute faculté de rêver. Je regardais les champs, les fleurs, les étoiles : tout cela ne me disait plus rien. Je pensais à la matière des champs, aux noms grecs des fleurs, aux distances des étoiles les unes par rapport aux autres. Je me rappelais, je raisonnais ; et, quand j’essayais de rêver, c’étaient des pages de livres qui se déroulaient en moi, au lieu de rêves.
« Enfin je me suis dit que la vraie science était peut-être de cultiver sa terre et d’élever ses enfants. Hélas ! je n’avais ni terre à cultiver, ni enfants à élever. J’ai pris une pioche pour labourer le sol : mon bras trop débile est retombé au long de mon corps. J’ai voulu me chercher une femme. Je me suis regardé dans un miroir, et voici ce que j’ai vu ! Regarde-moi, Siméon ; vois où m’ont amené trente ans de science et de pensée ! Mes nerfs se sont désordonnés, mes yeux se sont usés, mon estomac est devenu plus rétif que le tien. Et ce n’est pas le pire malheur !
« Le pire malheur, Siméon, c’est que mon cerveau lui-même a faibli, sous l’effort. A tout instant mes idées se brouillent, je ne sais plus où j’en suis. Et voilà que mon désir d’apprendre et de penser se réveille, plus ardent que jamais. J’ai beau me dire qu’il n’y a rien de connaissable, que toute tentative pour connaître a, comme seul effet, d’augmenter la misère et la mort : j’ai beau vouloir maintenir mon esprit en repos, mon malheureux esprit désemparé : impossible d’y parvenir ! A tout moment je me sens entraîné sur quelque piste nouvelle, et j’y cours, avec la certitude de trouver le néant au bout de ma course. Mon cerveau faiblit, mes forces décroissent, la mort s’approche, et il y a encore tant de chemins où ma pensée n’est jamais allée ! »
Cléophas se tut. Alors Siméon lui dit :
— Tout ce que tu me racontes là est bien étrange et difficile à suivre, mon pauvre ami ; mais ce qui est sûr, en effet, c’est que la science et l’intelligence ne t’ont pas embelli. Et je crois aisément que tu dois souffrir : car, lorsque je t’ai aperçu tout à l’heure, j’ai d’abord pensé à rire, et puis j’ai senti mon cœur se serrer, et je t’ai plaint. Vois-tu, Jésus nous a punis ! J’ai cherché le plaisir, toi tu as cherché la science ; le plaisir et la science sont deux choses excellentes ; et pourtant nous voici, toi et moi, les plus infortunés des hommes ! Ah ! Cléophas, si tu avais comme elle était belle, cette petite Juive qui m’appelait de si tendres noms ! Et si tu savais comme il est agréable de manier des monceaux d’or ! Parbleu, c’est cela qui est bon, cela seul ! Et toute science n’est que vaine misère de pédant, auprès de ces délices !
— Le plaisir est un grossier simulacre, un piège pour les brutes, avec la souffrance au fond ! — s’écria Cléophas, s’efforçant de lever son doigt pour appuyer son dire. — Tous les philosophes sont d’accord là-dessus ! Ah ! de pénétrer l’énigme du monde, de savoir si les réalités sont hors de nous ou en nous, de saisir la loi qui met en mouvement les atomes, voilà ce qui mériterait l’effort qu’on y aurait dépensé ! Pourquoi suis-je si vieux ? Pourquoi ai-je si mal dirigé mes recherches, pendant ces trente ans ?… Mais je te dis que la vérité est là, devant moi ! Encore un pas à faire, et je l’atteindrais ! Et mon cerveau qui s’arrête en chemin, refusant d’avancer !
— Encore quelques jours de richesse, et j’aurais connu le plaisir ! gémit Siméon.
Et ils restèrent assis dans le sentier, maussades et muets, chacun devinant qu’aux premiers mots sa pitié pour l’autre allait se changer en mépris. Leur vieille haine leur remontait au cœur. Ce n’était décidément ni le plaisir, ni l’intelligence, qui pourrait les rapprocher, comme avait fait autrefois leur naïve confiance en Jésus ! Ce n’était pas même le malheur : il les avait trop accoutumés à ne s’occuper que d’eux seuls. Ils souffraient d’être réunis, plus que jamais étrangers l’un à l’autre ; et l’idée de se séparer à nouveau les remplissait d’épouvante. Et les ténèbres s’épaississaient, plus âcres et plus lourdes, dans leurs âmes.
Mais voici que la menace d’un orage dans le ciel vint enfin les distraire de l’orage qui grondait en eux. Des nuages noirs descendaient sur leur tête, illuminés par instants de baguettes de flamme ; le tonnerre rugissait ; d’énormes oiseaux volaient avec des cris de terreur. Et bientôt un silence se fit, profond et lugubre, comme si, dans l’angoisse de l’attente, le cœur même de la terre avait cessé de battre.
Puis de fines gouttes d’eau tombèrent sur le sol, et la voûte des cieux s’obscurcit encore. Était-ce déjà la mort, l’affreuse mort, qui s’annonçait ? Les deux vieillards se relevèrent brusquement, coururent de toutes leurs forces sur la pente rocailleuse. La pluie tombait à flots ; les baguettes de flamme s’étaient multipliées, sillonnant l’horizon de trois raies sanglantes, mais pour laisser ensuite une ombre plus dense, où rugissait plus sonore la voix du tonnerre. Et les deux vieillards couraient, la main dans la main, rapprochés une fois de plus dans un même sentiment de haine pour la vie, et de peur devant la mort.
Mais soudain ils s’arrêtèrent, émerveillés, et leurs poitrines haletaient et leurs lèvres frémissaient, comme au sortir d’un rêve malfaisant. Car l’orage s’était dissipé, et, dans la belle lumière dorée du soleil couchant, ils se voyaient parvenus au sommet du mont. Et le spectacle qu’ils découvraient devant eux, sur l’autre versant, les émut d’un bonheur si parfait que, pour la première fois depuis trente ans, ils se jetèrent à genoux, les mains jointes et la tête inclinée, priant Dieu.