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Contes Chrétiens

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I
LE BON SENS

Je vous le dis en vérité : si vous aviez de la foi aussi gros qu’un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne : « Transporte-toi d’ici là ! » et elle s’y transporterait.

(Saint Matthieu, XVIII, 30.)

A la grande joie de ses cabaretiers, le village de Béthanie était devenu un endroit à la mode. De Jérusalem et de toute la Judée, la foule y était accourue pour assister aux exercices d’un jeune Juif qui, plongé à mi-corps dans l’eau du Jourdain, et les épaules couvertes d’un gilet en poil de chameau, s’offrait à baptiser ceux qui l’approchaient. Riches et pauvres, tous avaient tenu à voir le nouveau prophète. Tous, une fois là, s’étaient fait baptiser ; l’opération était gratuite, et, au pis aller, ne pouvait nuire. On mangeait et buvait, on jouissait du printemps. Le soir, les baptisés échangeaient leurs impressions, sous les palmiers de la route, en attendant les nouvelles de Jérusalem, qu’un messager ne manquait pas de leur apporter à la nuit tombante.

Mais un mardi, surtout, l’affluence fut énorme. On avait appris qu’un second prophète allait venir, un paysan galiléen, qui se prétendait issu de la race de David, et parlait en paraboles, et préférait à la société des docteurs celle des filles et des vagabonds.

Ce second prophète était Notre-Seigneur Jésus. Il avait alors à peine trente ans. Sa divinité ne s’était pas encore clairement révélée au monde : mais déjà l’Esprit lui avait dicté maintes paroles hardies et douces ; et déjà les cœurs simples avaient senti l’attrait surnaturel de ses yeux.

Aussi quand il vint à Béthanie, ce mardi-là, vêtu d’un large manteau clair et les cheveux flottants, et quand on le vit escorté d’une troupe bruyante où se mêlaient les mendiants, les femmes, les enfants, et les chiens des rues, et quand on l’entendit salué par le Baptiste comme le Maître qu’avaient promis les saints livres, l’enthousiasme de la foule toucha au délire. On acclama le Nazaréen pendant qu’il recevait le baptême, on acclama la colombe qui descendait sur lui, et la voix céleste qui disait : « Celui-ci est mon fils bien-aimé ! » Plusieurs des assistants se firent baptiser une seconde fois, espérant avoir leur part du miracle : mais aucune colombe ne descendit sur eux, et la voix céleste n’eut rien à leur dire. N’importe, ce fut une gaie journée. L’après-midi, Jésus ayant promis de prêcher, on s’écrasa pour l’entendre. Et l’on fut unanime à trouver charmantes quelques-unes des paraboles du jeune orateur.

Puis, comme c’était le mardi gras, on mangea et but plus que de coutume ; et tard dans la nuit on dansa sur la place du marché, pour se dégourdir les jambes après la fatigue du sermon.

Jamais encore un prophète n’avait été aussi bien accueilli.

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