De la volonté
II
Un traitement physique de la personne
humaine peut-il créer
ou développer la volonté ?
S’il est chimérique et vain de s’essayer à créer ou à développer directement dans l’être humain la faculté de vouloir, ne pourrait-on parvenir à ce but d’une manière indirecte, au moyen d’un développement ou d’un perfectionnement des facultés physiques de l’individu ?
Chacun sait combien notre être moral se trouve en étroite dépendance de notre mécanisme corporel. L’homme a été défini : « Une intelligence servie par des organes. » Et la définition est juste, quoique incomplète. Elle est juste, parce qu’en effet l’être pensant que nous sommes a besoin, pour penser, de l’outillage matériel, qui, joint à notre psychisme pur, à notre âme, constitue notre personne humaine. Elle est incomplète parce que l’homme n’est pas seulement une intelligence, il est aussi une volonté. Et si des organes corporels nous ont été donnés pour servir — et parfois desservir — notre faculté de connaître, aucun organe corporel ne nous a été donné pour servir ou desservir notre faculté de vouloir.
La volonté ne possède aucun outil matériel dont le fonctionnement bon ou mauvais puisse favoriser ou altérer son action. On ne peut donc la développer ni la perfectionner, encore moins la créer, en développant ou en perfectionnant son instrument, puisqu’elle s’en passe, puisqu’elle n’en possède pas.
Il n’y a pas dans l’homme d’organe de la volonté. La volonté est même justement la seule faculté de l’âme représentant le psychisme indépendant, pur, échappant à toute contrainte matérielle, à toute entreprise d’asservissement, à tout choc en retour du physique sur le moral.
Ce n’est donc pas en prenant des douches, ou des stimulants du système nerveux ; ce n’est pas en faisant de la suralimentation ou un séjour à la campagne, ni en cultivant les sports, ni en adoptant tel ou tel autre moyen d’entraîner, d’endurcir, d’exciter ou de calmer notre tempérament physique, que nous pourrons acquérir de la volonté.
On a vu, toutefois, à la suite d’un traitement physique approprié, les manifestations d’une volonté se modifier notablement et même du tout au tout. Que s’était-il donc produit ? Une modification dans les possibilités d’exécution du sujet. Pas autre chose[1].
[1] Il importe de ne jamais confondre la puissance d’exécution d’une volonté avec la puissance de la volonté elle-même.
Avant ce traitement physique, le sujet ne faisait pas ceci ou cela, et l’on croyait qu’il ne le faisait pas parce qu’il ne voulait pas le faire. Or, il ne le faisait pas, soit parce qu’il ne pouvait matériellement pas le faire, soit parce qu’il ne l’aurait pu qu’au prix d’un effort excessif qu’il ne voulait pas s’imposer, soit enfin parce qu’il ne savait pas qu’il pouvait le faire. A présent, il le fait : c’est ou que l’impossibilité matérielle a disparu, ou que l’effort exigé est devenu moins considérable, ou que la connaissance de ses possibilités est apparue au sujet.
Mais si c’est son vouloir qui s’est modifié, et c’est-à-dire qui a changé de but, le traitement physique n’y a été pour rien.
Il n’y a pas, quoi qu’aient pu écrire là-dessus les auteurs les plus doctes, de maladies de la volonté, j’entends maladies qui ressortissent à la thérapeutique médicale. Il y a des maladies des nerfs et des muscles, qui privent l’homme de la possibilité de faire ce qu’il voudrait faire ; il y a des maladies du cerveau, qui l’empêchent de comprendre et de savoir ce dont il est capable ; mais il n’y a pas de maladie qui s’attaque à sa volonté elle-même, parce que celle-ci est essentiellement immatérielle.
Si on peut appeler malade une volonté dépravée, cette maladie n’a rien à voir avec un état physiologique quelconque. La dépravation de la volonté est quelque chose d’exclusivement moral, qui peut fort bien s’allier à un complet équilibre et à un parfait fonctionnement de tout l’outillage corporel ; par contre, l’excellence de la volonté peut aller de pair avec le plus pitoyable état de la personne physique.
Dans les cas de suggestion et d’hypnose, ce n’est jamais sur la volonté de l’hypnotisé que l’hypnotiseur agit, mais sur sa connaissance. L’hypnotisé, comme le fou, conserve intact son vouloir au milieu des plus bizarres détraquements de sa mentalité ; ce sont ces détraquements qui, seuls, le jettent à l’exécution d’actes si étranges, et si contraires à son caractère, qu’on croit devoir les attribuer à une substitution de volonté. De tels actes ne sont en réalité que le résultat d’une altération de connaissance, due aux troubles cérébraux provoqués par un phénomène d’ordre physique.
Non seulement il faut déclarer immatérielle la volonté de l’homme, faite à l’image de celle de Dieu, mais on peut découvrir dans l’animal, dans la plante, et jusque dans la créature la plus inerte et la plus insensible, une sorte de principe spirituel qui représente le vouloir de ces êtres inférieurs. Vouloir tout instinctif et tout fatal, imposé à la nature de l’être par son Créateur : vouloir cependant, et qui se différencie de la substance matérielle de l’être, ne saurait se confondre avec elle.
Quand je place un objet dans des conditions d’équilibre instable, je m’aperçois que cet objet ne veut pas tenir ainsi posé, qu’il veut reprendre son équilibre. Quand l’héliotrope tourne vers le soleil ses boutons près d’éclore, je constate que la fleur de ce végétal veut s’ouvrir et s’épanouir à la lumière. Quand un chien accourt à mon appel et qu’un oiseau s’envole dès que je fais mine de l’approcher, je dis que le chien a voulu venir à moi et que l’oiseau a voulu me fuir. Ce sont bien là les manifestations de quelque chose qui dépasse le domaine des sens et qui ne peut être modifié par aucune action matérielle : car, si je puis fixer cet objet par des clous ou des cordes dans l’état d’équilibre instable où je l’ai placé ; si je puis contraindre par un tuteur les fleurs de l’héliotrope à rester tournées du côté de l’ombre ; si je puis éloigner le chien en le menaçant d’un bâton, ou capturer l’oiseau en l’attirant par du grain répandu, je ne puis faire que la loi, la tendance et l’instinct qui régissent la position et les mouvements naturels de ces êtres soient autres qu’ils ne sont.
Loi, tendance et instinct sont donc bien des forces d’un autre ordre que la matière elle-même, des forces sur lesquelles, par conséquent, nulle mesure matérielle ne saurait avoir de prise.
Si cette volonté instinctive, involontaire et fatale de l’animal, de la plante et du minéral, — volonté qui n’est qu’une loi de leur nature et tout au plus une sorte d’âme sans conscience responsable, — échappe à toute action matérielle, directe ou indirecte, à plus forte raison doit y échapper notre volonté humaine, personnelle, libre, consciente et immortelle.