De Pontoise à Stamboul
AU PETIT TRIANON
(Juin 1883.)
On m’avait introduit sans crier gare dans le cabinet de mon ami Z… X…, le journaliste qui fut romancier dans le temps. Je le trouvai en méditation devant un carré de papier bordé de noir, le regard fixe et comme fasciné par cette lettre de deuil.
« Auriez-vous donc perdu, lui demandai-je, quelque personne de votre famille ou de votre intimité ?
— Non ; une simple connaissance, et que j’avais bien négligée depuis 1871. Mais il faut croire que le brave homme et les siens ne m’avaient pas tout à fait oublié, puisqu’on me fait part de la perte douloureuse qu’on vient d’éprouver dans la personne de « Monsieur Alexandre-Henri-Marguerite Charpentier, jardinier en chef au palais national de Trianon, chevalier de la Légion d’honneur, médaillé de Sainte-Hélène, membre de la Société d’horticulture de Seine-et-Oise, décédé à Trianon, le 9 juin 1883, à quatre-vingt-sept ans ». La mort d’un homme de cet âge est dans l’ordre des choses naturelles, et d’ordinaire on en reçoit la nouvelle sans grande émotion ; mais le nom du vieux père Charpentier m’a reporté subitement à douze années en arrière. Il a comme évoqué devant mes yeux plusieurs figures illustres ou sympathiques qui n’appartiennent plus à ce monde. Je n’écris plus de romans, mais j’en raconte quelquefois. Mettez-vous là, prenez des cigarettes, et écoutez l’histoire de trois femmes de cœur, d’un grand homme et d’un jardinier.
J’ai passé à Versailles ces deux horribles mois de la Commune, et j’y ai été aussi malheureux pour le moins que j’aurais pu l’être à Paris. Séparé de ma femme et de mes enfants, logé dans un affreux taudis, nourri de privations, désœuvré, découragé, las de moi-même, je passais quelquefois une bonne soirée dans les salons de la préfecture, auprès de M. Thiers que j’admirais sincèrement et qui m’honorait de quelque amitié ; mais la longueur des jours était mortelle. Je savais la ville par cœur. Son pavé mettait mes pieds au supplice et abrégeait l’existence de mes chaussures. Comme j’avais de sérieuses raisons pour préférer les plaisirs gratuits à tous les autres, j’arpentais du matin au soir le parc et les forêts voisines ; le total des kilomètres que j’ai parcourus dans ces deux mois représente approximativement un voyage au long cours.
Le petit Trianon était ma promenade favorite, quoiqu’on y rencontrât encore un peu partout, sur les aimables constructions de Marie-Antoinette, les noms tudesques et les souillures de l’occupation prussienne. Le rude hiver de 1870, qui tua les lierres eux-mêmes dans toute la banlieue de Paris, avait épargné de beaux arbres dépaysés dans notre climat, par exemple des chênes verts et un liège centenaire, au moins en apparence. Mais comme il est à peu près impossible de déterminer l’âge d’un arbre, sans le scier par le milieu, mon imagination d’oisif mâchait à vide, s’épuisait à poser des problèmes insolubles et à interroger des témoins muets. J’aurais voulu refaire pour moi seul l’histoire de ces ombrages magnifiques que le printemps épaississait déjà sur ma tête, dresser l’état civil des doyens de ce parc, savoir s’il ne restait pas parmi eux quelques contemporains de Louis XVI.
C’est ainsi que je fus amené tout naturellement à lier connaissance avec l’homme pour qui le petit Trianon ne devait pas avoir de secret.
Je demandai une lettre d’introduction à M. Hippolyte Vavin, liquidateur de la liste civile, et, sûr d’un bon accueil, je vins frapper à la porte du jardinier en chef, M. Charpentier.
Cette porte était grande ouverte, comme pour un déménagement, et des caisses de diverses grandeurs s’entassaient dans le vestibule.
La maisonnette, basse et modeste, était riante et bien placée, en façade sur le jardin fleuriste, à l’opposé d’une orangerie que festonnaient les grappes embaumées de la glycine. Le maître du logis, un petit homme sec et nerveux, vif et solide, me reçut poliment, m’introduisit dans une chambre démeublée, me fit asseoir sur une malle, ouvrit ma lettre et la lut avec une profonde stupéfaction : « Eh quoi ! monsieur, s’écria-t-il, M. Vavin me fait l’honneur de vous adresser à moi ! Mais il ne sait donc pas qu’il a signé ma mise à la retraite et que nous partons aujourd’hui ? » Sa femme entrait au même instant ; il la prit à témoin, et l’envoya chercher la notification officielle, rédigée en bons termes et fort élogieuse pour lui. Les deux vieillards me racontèrent que, sur les quatre jardiniers en chef, la République en supprimait deux par économie. On renvoyait les deux plus vieux, celui de Trianon, coupable d’avoir soixante-quinze ans, et son voisin, M. Briot, l’homme des pépinières.
Comme la vieille dame pleurait, M. Charpentier prit la peine de me rassurer sur leur sort : « Nous sommes plus malheureux que pauvres, me dit-il ; la pension est honorable, et nous avons quelques économies. Nous nous retirerons à Chevreuse, chez une de nos filles qui y occupe un petit emploi. D’ailleurs ma femme et moi nous n’aurons bientôt plus besoin de rien, car on ne se transplante pas impunément à notre âge. Je prendrais la retraite en patience, quoique j’aie encore bon pied, bon œil, si l’on me permettait d’habiter un petit coin dans quelqu’un de ces bâtiments qui ne servent à personne ! Songez, monsieur, que je suis né à Trianon d’un père qui y était né ; mon aïeul travaillait ici sous Louis XV. Et nous partons ! C’est peut-être juste, mais c’est tout de même un peu dur. »
Cela dit, il tira son mouchoir à carreaux et se moucha fortement, ce qui est une façon de pleurer comme une autre. Moi, vous savez, je suis un peu bébête et j’avais les larmes aux yeux. « Mon cher monsieur, lui dis-je, je ne me pardonnerai jamais une visite qui ressemble à une cruelle plaisanterie, si vous ne me promettez pas de suspendre pour vingt-quatre heures tous ces préparatifs de départ. Je veux que vous me donniez le temps de revoir M. Vavin, de l’éclairer sur la situation qu’il vous a faite sans le savoir, et de solliciter la faveur très modeste à laquelle vous bornez votre ambition. » Il promit tout ce que je voulus, mais je vis clairement sur son visage que cet homme des champs n’avait qu’une demi-confiance en moi. Raison de plus pour le tirer d’affaire. J’avais un but, un intérêt : j’échappais au désœuvrement pour un jour. Évidemment M. Vavin avait été trompé par quelque employé subalterne ; il réparerait son erreur et s’associerait avec moi pour faire acte de justice et d’humanité. Dans cette douce illusion, je pris mes jambes à mon cou et j’arrivai en un rien de temps aux bureaux de la liste civile.
Hélas ! ce n’était pas un employé subalterne, mais un gros bonnet du ministère des travaux publics, M. le directeur des bâtiments civils, qui avait décrété par voie d’économie l’élimination de deux jardiniers sur quatre. Je connaissais un peu ce haut personnage, fort honnête homme et animé du plus beau zèle pour les intérêts de l’État, mais à peu près aussi souple et aussi moelleux qu’un barreau de fer. Je lui fis ma visite et je lui exposai ma requête. Nous ne demandions rien que de cacher notre vie dans un coin inutile du grand ou du petit Trianon et de mourir où nous avions vécu. C’était d’autant plus naturel et plus facile que nous avions un fils, bon sujet et habile jardinier, qui était déjà dans la place et qui représentait au service de l’État la quatrième génération des Charpentier. M. le directeur n’entendit pas de cette oreille. Il fit l’éloge de mon client, mais il insista sur la nécessité de réduire les dépenses publiques. Deux jardiniers en chef suffisaient, s’ils travaillaient bien, à tous les besoins du service. L’économie était résolue, le mouvement décidé et signé. Du reste le premier devoir des vieux fonctionnaires était de faire place aux jeunes. Le successeur du père Charpentier devait occuper sa maison, et cela le plus tôt possible. Qu’attendions-nous pour déménager ? Il n’y avait pas trop de logements à Versailles et aux environs pour les hommes en activité.
Il me semblait à moi que dans les nids à rats des deux Trianon j’aurais installé cent ménages comme celui du pauvre père Charpentier, et que c’était un crime d’envoyer mourir un vieillard loin du petit domaine où il régnait par droit de travail et par droit de naissance, non seulement de père en fils, mais de grand-père en petit-fils. Le haut fonctionnaire, M. de C…, me répondit assez sèchement que le sentiment devait se taire devant la raison d’intérêt public. Mais je ne me tins pas pour battu, et je dis à M. de C… que s’il me refusait le moins je demanderais le plus, c’est-à-dire que je ferais déchirer l’arrêté qui mettait mon client à la retraite. Quelle que soit l’autorité d’un directeur des bâtiments civils, il y a le ministre au-dessus de lui.
— En effet, mais le ministre ne voit et ne verra jamais que par mes yeux. Libre à vous, cher monsieur, d’en appeler à M. de Larcy, mais je vous avertis loyalement qu’il me transmettra votre requête, et vous savez déjà ce que j’en pense.
— Soit ! Mais au-dessus du ministre nous avons le président de la République, et vous savez que M. Thiers est assez bon pour m’écouter quelquefois.
— M. Thiers ne pourra que transmettre vos doléances à M. de Larcy, qui me les renverra sur nouveaux frais, et d’ici là le père Charpentier aura quitté Versailles pour n’y plus revenir.
— Nous verrons bien, cher monsieur. C’est une petite guerre qui commence. Nous ne combattons pas à armes égales, mais je ferai flèche de tout bois. A bientôt ! »
Le même soir, je me rendis à la préfecture, qui servait de palais, comme vous savez, au chef de l’État. Mais, au moment de saisir M. Thiers d’une question, qui pour lui et pour trente-six millions de Français, était d’un intérêt secondaire, un scrupule me vint. Ce pauvre président avait bien des choses en tête. Tout le fardeau des affaires publiques pesait sur lui. Sa maison était envahie chaque soir par les sept cent cinquante souverains que la France s’était donnés, dans un jour de malheur, comme dit l’autre. Chacun de ces messieurs prétendait partager le pouvoir exécutif avec lui ; quelques-uns même songeaient déjà à le lui reprendre. Les uns venaient directement à lui pour le solliciter, d’autres se donnaient rendez-vous chez lui pour conspirer dans tous les coins. Je le vis au milieu d’un groupe qu’il charmait de son mieux, en homme condamné à refaire sa majorité au jour le jour, et je pensai qu’il y aurait discrétion et prudence à l’aborder par le chemin le plus long.
Mme Thiers et sa sœur, Mlle Dosne, m’avaient accoutumé depuis un certain temps à l’accueil le plus bienveillant et le plus gracieux du monde ; elles exerçaient une douce et d’autant plus puissante influence sur le vieux président, et j’étais sûr de gagner ma cause, si elles voulaient bien s’y intéresser peu ou prou. Malheureusement, ce soir-là, les deux maîtresses de la maison étaient accaparées par un vieux champion de l’ancien régime, M. le marquis de X…, que son parti avait donné comme ambassadeur à notre pauvre République. Ce diplomate improvisé, qui d’ailleurs ne faisait pas mauvaise figure dans son habit de 1825, présentait officiellement la marquise sa femme, élégante comme une riche provinciale de la Restauration. J’avisai alors dans un coin, près de la grande cheminée, une petite femme de soixante ans environ, qui était la bonne grâce et la bonté même, mais que les députés et les fonctionnaires laissaient un peu tranquille parce qu’ils ne la connaissaient pas. C’était Mme la baronne Roger, autrefois duchesse de Massa, cousine et amie intime de Mme Thiers. Elle avait de son premier lit un fils, très galant homme et musicien distingué, et du second un enfant de dix-huit à vingt ans d’autant plus sympathique, qu’à la suite d’une fièvre typhoïde, il était devenu sourd au point de ne pas entendre le canon de la Commune dont nous avions les oreilles rebattues jour et nuit. Mais il avait appris à lire la parole sur les lèvres de son interlocuteur, et il parlait de toutes choses en homme de goût, en dilettante, en philosophe, avec une étonnante précocité d’esprit. J’appréciais beaucoup ce jeune homme et j’étais attiré vers sa mère par une profonde sympathie, comme si j’avais pu deviner que nous serions un jour complices d’une bonne œuvre. Nous avions causé quelquefois de son hôtel Louis XVI, qui fait partie de la décoration de Paris et qui est la merveille des Champs-Élysées, de son jardin, de son orangerie, de ses serres dont elle redoutait la destruction par les Vandales de la Commune. J’avais donc une entrée en matière toute trouvée, et je n’étonnai nullement cette digne personne en lui disant pour ainsi dire à brûle-pourpoint : « Madame la baronne, si vous aviez chez vous un jardinier établi à votre service depuis trois générations, auriez-vous le courage de l’envoyer mourir dans quelque coin perdu, loin de Paris, le jour où il serait trop vieux pour cultiver votre jardin ? »
Elle se récria, comme je l’avais prévu, et je poursuivis : « C’est que vous êtes, madame la baronne, non seulement grande dame, mais, passez-moi le mot, bonne femme. La France est grande dame aussi. M’est avis qu’elle ne perdrait rien à se montrer bonne femme, et que l’État devrait s’interdire des actes d’ingratitude et de cruauté qui nous révoltent chez un simple particulier. » La partie ainsi engagée, j’exposai tout à l’aise le cas du père Charpentier ; j’ajoutai qu’il n’était nullement hors de service, et que, si on l’honorait un jour d’une visite, le parc et le jardin du petit Trianon plaideraient mieux sa cause que moi. Éloquent ou non, j’eus le bonheur d’être écouté et compris, si bien que la bonne baronne attendit impatiemment la libération de ses deux cousines pour les appeler à la rescousse. Elles étaient en grande conversation lorsque je regagnai mon taudis de l’avenue de Saint-Cloud, presque sûr de n’avoir pas perdu ma journée.
Le lendemain, au petit jour, je courais à Trianon et je m’assurais par mes yeux que le bonhomme Charpentier n’avait pas vidé l’enceinte. Mais il n’était rien moins que rassuré, et il me demanda avec une anxiété visible quel emploi j’occupais dans l’administration ou dans la politique pour m’opposer au déménagement d’un fonctionnaire congédié. Lorsqu’il sut que je n’étais rien qu’un homme de bonne volonté, peu s’en fallut qu’il me traitât d’aimable farceur. Mais je ne me déferrai point, et je lui fis promettre qu’il attendrait les événements.
Il les attendit en effet, malgré les instances et les menaces de l’administration supérieure qui, pour un rien, l’eût expulsé par ministère d’huissier. Pour maintenir en lui durant huit jours la force d’inertie dont nous avions besoin pour obtenir qu’il ne renonçât point par faiblesse au bénéfice de la possession d’état, je dépensai plus de paroles que pour lui concilier la faveur de Mme Thiers et de Mlle Dosne. Ce diable d’homme m’eût échappé dix fois pour une si j’avais commis l’imprudence de m’absenter vingt-quatre heures durant. Mais j’étais debout sur la brèche : tous les soirs, dans les salons de la préfecture ; souvent aussi, dans la journée, au bureau de notre ennemi M. de C…, que je tenais au courant de toutes nos manœuvres. Ce haut fonctionnaire avait fini par prendre en grippe sa victime et par lui découvrir autant de défauts que naguère il lui reconnaissait de qualités. Est-ce qu’un employé n’est pas digne des derniers supplices lorsqu’il défend sa vie contre un grand chef ?
Le soleil de mai commençait à fleurir les pelouses du petit Trianon et les plates-bandes du fleuriste prenaient couleur, quand un matin, grâce à la bonne Mme Roger, j’eus la joie d’annoncer à mon client deux visites d’importance. Mme Thiers et sa cousine avaient fait la partie de voir ce brave homme, chez lui, au milieu de ses plantes et de juger l’ouvrier sur son œuvre. Je fus exact au rendez-vous, comme si on m’y avait invité ; je présentai mon homme qui s’était fait non seulement beau, mais jeune ; on ne lui eût pas donné soixante ans. Il eut un tel succès et son jardin aussi, que je formai sur-le-champ le projet diabolique de faire d’une pierre deux coups et de sauver aussi son voisin, M. Briot, presque aussi coupable que lui, car si l’un comptait soixante-quinze ans, l’autre était atteint et convaincu d’en avoir soixante-douze. Mme Thiers et la baronne Roger visitèrent les pépinières et firent connaissance avec le père Briot. Je ne l’avais vu de ma vie, mais j’avais admiré ses arbres et constaté que ni l’invasion prussienne, ni la gelée de 1871 n’avaient prévalu contre lui.
Cependant le plus fort n’était pas fait, car le directeur des bâtiments civils tenait bon et il avait l’oreille de son ministre. Or M. de Larcy pouvait traiter de puissance à puissance avec M. Thiers. Il lui avait été imposé plutôt que donné par la majorité royaliste de l’Assemblée nationale, et le chef de l’État, dans la politique quotidienne, obtenait peu de chose de ce petit sectaire aussi cassant que cassé. Un jour vint cependant où, dans la discussion, M. le directeur des bâtiments civils laissa échapper une parole imprudente. Il s’oublia au point de dire que les hommes de soixante-dix ans ne sont bons qu’à porter en terre. Or son ministre et M. Thiers lui-même avaient passé cet âge et ne se souciaient nullement d’être enterrés. Le propos fut redit ; il provoqua même une jolie explosion chez le président de la République qui frappa sa table du poing et s’écria : « Quel âge a-t-il donc, ce M. de C… qui prétend nous enterrer tous ? » Aussitôt que j’eus connaissance de ce petit événement, je retournai chez M. de C… et je lui dis en loyal adversaire : « Ce n’est plus pour le père Charpentier que je viens vous solliciter, c’est pour vous-même. Voici ce que vous avez dit et ce que M. Thiers a répondu. » Le haut fonctionnaire s’emporta, mais de la bonne sorte : « Ah ! c’est ainsi ! s’écria-t-il. Eh bien ! je ne mettrai plus personne à la retraite ! Les services publics tomberont dans la sénilité, les finances de l’État seront dilapidées, mais j’aurai cédé à la force, et je m’en laverai les mains ! »
Pour le coup, l’affaire était faite, et je n’en demandais pas davantage. Je ne sais ce qui se passa dans la soirée, mais j’ai tout lieu de croire que M. le directeur des bâtiments civils ne perdit pas son temps, car le lendemain M. Thiers, accompagné de son meilleur ami, M. Mignet, vint lui-même apporter la bonne nouvelle au père Charpentier et au père Briot. Je vous laisse à juger si les bonnes gens lui firent fête. De ce jour, il prit l’habitude d’aller se reposer durant une heure au petit Trianon après les séances orageuses de l’Assemblée. Il dormait sur deux chaises de paille, au milieu des caisses de fleurs, devant cette petite maison où il avait rapporté la joie et l’espérance. Quand je le surprenais dans ce calme et cette fraîcheur, sous la garde du vieux jardinier et de sa femme, je me disais qu’une bonne action n’est pas un mauvais oreiller. Du reste, M. Thiers a bien fait de remettre en fonctions un homme qui avait encore douze ans de bons services à rendre, comme l’événement l’a prouvé.
« Mais vous, mon cher ami, êtes-vous resté douze ans sans revoir celui dont vous avez si chaudement plaidé la cause ?
— Non, certes ; je suis retourné à Trianon l’année suivante, tout exprès pour lui serrer la main.
— Et que vous a-t-il dit ?
— Il m’a dit, cet excellent homme : « Je n’oublierai jamais ce que M. Thiers a fait pour moi. »