← Retour

Écrits spirituels de Charles de Foucauld : $b ermite au Sahara, apôtre des Touregs

16px
100%

TROISIÈME PARTIE
Le Prêtre. — L’ermite au Sahara

Charles de Foucauld a été ordonné prêtre par Mgr Bonnet, évêque de Viviers, le 9 juin 1901. Il a décidé de continuer à vivre en ermite, non plus en Asie, mais parmi les populations infidèles les plus délaissées. Il va partir pour l’Afrique au début de septembre 1901, et s’établira dans l’extrême Sud Oranais, à Béni-Abbès, seul prêtre, à 400 kilomètres du plus proche, dans la Fraternité où il vivra de pain et d’orge bouillie, où il dormira sur la terre, se dévouant à tous, priant jour et nuit… En 1904, il s’enfoncera plus encore dans le désert, et s’établira à Tamanrasset, parmi les Touaregs du Hoggar. Il y mourra, au milieu de la Grande Guerre, le 1er décembre 1916, assassiné par les senoussistes qui redoutaient son influence de prêtre et de Français.

Dans une lettre à M. l’abbé Caron, directeur au petit séminaire de Versailles, datée du 8 avril 1905, l’ermite de Béni-Abbès donnait les raisons du choix qu’il avait fait. Nous la reproduisons en tête des différents écrits spirituels qui se rapportent à la période de 1901 à 1916.

8 avril 1905[8].

[8] Voir Abbé Max Caron : Au pays de Jésus adolescent. Paris, Haton, 1905, ch. VII.

« Je suis un vieux pécheur qui, au lendemain de sa conversion, — il y a près de 20 ans, — a été attiré puissamment par Jésus à mener Sa vie de Nazareth. Depuis lors, je m’efforce de L’imiter — bien misérablement, hélas ! — J’ai passé plusieurs années dans ce cher et béni Nazareth, domestique et sacristain du couvent des Clarisses. Je n’ai quitté ce lieu béni que pour recevoir, il y a cinq ans, les saints Ordres. Prêtre libre du diocèse de Viviers, mes dernières retraites de diaconat et de sacerdoce m’ont montré que cette vie de Nazareth, ma vocation, il fallait la mener, non pas dans la Terre-Sainte tant aimée, mais parmi les âmes les plus malades, les brebis les plus délaissées. Ce banquet divin, dont je suis le ministre, il fallait le présenter, non aux frères, aux parents, aux voisins riches, mais aux plus boiteux, aux plus aveugles, aux âmes les plus abandonnées, manquant le plus de prêtres. Dans ma jeunesse, j’avais parcouru l’Algérie et le Maroc : au Maroc, grand comme la France, avec 10 millions d’habitants, aucun prêtre à l’intérieur[9] ; dans le Sahara algérien, sept ou huit fois grand comme la France, et plus peuplé qu’on ne croyait autrefois, une douzaine de missionnaires. Aucun peuple ne me semblant plus abandonné que ceux-ci, j’ai sollicité et obtenu du T. R. P. Préfet apostolique du Sahara, la permission de m’établir dans le Sahara algérien, et d’y mener, dans la solitude, la clôture et le silence, dans le travail des mains et la sainte pauvreté, seul ou avec quelques prêtres ou laïcs frères en Jésus, une vie aussi conforme qu’on pourrait à la vie cachée du Bien-Aimé Jésus à Nazareth… Je me suis établi, il y a 3 ans et demi, à Béni-Abbès, dans le Sahara algérien, sur la frontière même du Maroc, tâchant, bien misérablement, bien tièdement, d’y mener cette bénie vie de Nazareth. Jusqu’à présent, je suis seul… « le grain de blé qui ne meurt pas reste seul… » Priez Jésus pour que je meure à tout ce qui n’est pas Lui et Sa volonté. Un petit vallon est ma clôture, d’où je ne sors que quand un devoir très impérieux de charité me force — à défaut d’autre prêtre (le prêtre le plus proche est à 400 kilomètres au Nord), — à porter Jésus en quelque lieu. J’ai ainsi été obligé, en 1904, de voyager longtemps… Me voici maintenant rentré dans ma clôture, au pied du divin Tabernacle, pour y mener, sous les yeux du Bien-Aimé, une vie aussi semblable à celle de la divine maison de Nazareth, que la misère de mon cœur me le permet.

[9] Aujourd’hui, les Franciscains français et des religieuses du même ordre ont commencé d’établir des postes de missionnaires et des œuvres de charité au Maroc.

ÉLECTION DE RETRAITE D’ORDINATION SACERDOTALE

Fête du S. Sacrement 1901. — Notre-Dame des Neiges.

« Quis ? (qui ?) Celui qui doit suivre, imiter Jésus, le Sauveur, le Bon Pasteur venu « porter le feu sur la terre », et « sauver ce qui était perdu ».

Ubi ? (où ?) Là où c’est le plus parfait. Non pas où il y aurait le plus de chances humaines d’avoir des novices, des autorisations canoniques, de l’argent, des terrains, des appuis, non ; mais là où c’est le plus parfait en soi, le plus parfait d’après les paroles de Jésus, le plus conforme à la perfection évangélique, le plus conforme à l’inspiration de l’Esprit Saint, là où Jésus irait… : à la brebis la plus égarée, au frère de Jésus le plus malade ; aux plus délaissés, à ceux qui ont le moins de pasteurs, à ceux qui sont assis dans les plus épaisses ténèbres, dans l’ombre de la mort la plus profonde ; aux plus captifs du démon, aux plus aveugles, aux plus perdus. D’abord aux infidèles mahométans et païens du Maroc et des pays limitrophes de l’Afrique du Nord.

Quibus auxiliis ? (avec quel aide ?) Jésus seul : car « cherchez le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » ; et « si vous demeurez en Moi, et si mes paroles demeurent en vous, tout ce que vous demanderez se fera ». — Jésus n’a donné aucun aide à Ses apôtres : si je fais leurs œuvres, j’aurai leurs grâces.

Cur ? (Pourquoi ?) C’est ainsi que je puis le plus glorifier Jésus, le plus L’aimer, Lui obéir, L’imiter… C’est à cela que me poussent l’Évangile, l’attrait, mon directeur… Pour faire connaître Jésus, le Sacré-Cœur, la Sainte Vierge, à des frères de Jésus qui ne Le connaissent pas, nourrir de la Sainte Eucharistie des frères de Jésus qui ne l’ont jamais goûtée ; baptiser des frères de Jésus encore esclaves du démon ; apprendre l’Évangile, l’histoire de Jésus, les vertus évangéliques, la douceur du sein maternel de l’Église, à des frères de Jésus qui n’en ont jamais entendu parler.

Quando ? (Quand ?) Maria abiit in montana cum festinatione[10] : quand on est plein de Jésus, on est plein de charité ; donc : dès que je serai raisonnablement prêt, et que, l’Esprit de Dieu soufflant, mon directeur me dira : « Partez »…

[10] Marie… s’en alla en toute hâte au pays des montagnes (Saint Luc).

… Ne vaut-il pas mieux aller d’abord en Terre Sainte ? Non. Une seule âme a plus de prix que la Terre Sainte entière, et que toutes les créatures sans raison réunies. Il faut aller, non là où la terre est la plus sainte, mais où les âmes sont dans un plus grand besoin…

Toute cette élection n’est-elle pas un effet et une tentation de l’amour-propre et de l’orgueil ? Non : car son effet en cette vie sera, non la consolation ni l’honneur, mais beaucoup de croix et d’humiliations : « Ou tu en seras méprisé, ou j’en serai glorifié, des deux manières, tu y gagnes. » (Notre-Seigneur à sainte Thérèse.)

Quelle est la preuve que cette élection exprime la volonté de Dieu ? Ces deux paroles de Jésus : « Suivez-moi… » et : « Lorsque vous donnerez à dîner… n’invitez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins qui sont riches… Mais lorsque vous faites un festin, appelez les pauvres, les estropiés, les boiteux et les aveugles. » (St Luc, XIV, 12-13.)

Chargement de la publicité...