Écrits spirituels de Charles de Foucauld : $b ermite au Sahara, apôtre des Touregs
RÉSOLUTIONS
DE LA RETRAITE ANNUELLE DE 1902
Béni-Abbès
I. — Préliminaires. — Imiter Jésus en faisant, du salut des hommes, tellement l’œuvre de notre vie, que ce mot : Jésus, Sauveur, exprime parfaitement ce que nous sommes, comme il signifie parfaitement ce qu’Il est… Pour cela : « être tout à tous avec un unique désir au cœur, celui de donner aux âmes Jésus !… »
« Tout ce que vous faites à un de ces petits, vous me le faites… Que vos bonnes œuvres luisent devant les hommes, afin qu’ils glorifient Dieu votre Père. »
Désir passionné de sauver les âmes : faire tout et ordonner tout pour cela : faire passer le bien des âmes avant tout, faire tous nos efforts pour nous servir parfaitement des sept grands moyens que Jésus nous donne pour convertir et sauver les infidèles : oblations du Saint-Sacrifice, présence au Tabernacle du Saint Sacrement, bonté, prière, pénitence, bon exemple, sanctification personnelle — « Tel pasteur, tel peuple » — « Le bien que fait une âme est en raison directe de son esprit intérieur. » La sanctification des peuples de cette région est donc entre mes mains : il sera sauvé si je deviens un saint.
« Si quelqu’un veut venir avec Moi, qu’il se renonce, prenne sa croix et me suive… » Entrons par la voie étroite : cherchons la croix pour suivre notre Époux crucifié, pour partager Sa croix et Ses épines : croix, sacrifices, cherchons-les, soyons-en friands comme les mondains le sont des plaisirs. « Si nous n’acceptons pas notre croix, nous ne sommes pas dignes de Jésus. »
« Cherchez le royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné par surcroît. » — « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous devez manger, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. » — Nous réjouir grandement chaque fois que nous manquons de quelque chose…
Partager d’ordinaire mon temps d’oraison en deux parties : pendant l’une (au moins égale à l’autre), contempler, et, au besoin, méditer ; pendant l’autre, prier pour les hommes, pour tous, sans exception, et pour ceux dont je suis spécialement chargé. Dire le saint Office avec un soin extrême ; c’est le bouquet quotidien de roses fraîches, symbole d’amour toujours jeune, offert chaque jour au Bien-Aimé, à l’Époux…
Faire très, très souvent la communion spirituelle, sans autre limite ni mesure que celle de mon amour appelant cent et mille fois par jour le Bien-Aimé Sauveur de mon âme…
« Qui vous écoute, m’écoute » — « Celui qui se fera petit comme cet enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux »… Dans le doute, pencher toujours du côté de l’obéissance… Faire, autant que possible, des actes d’obéissance, non seulement pour être certain de faire la volonté de Dieu, mais encore pour imiter Jésus soumis à Nazareth, pour obéir à Jésus nous commandant de nous faire petit enfant, pour aimer le plus possible Jésus au ciel, éternellement, en y ayant la meilleure place réservée à ceux qui se sont faits les plus petits de tous, par l’obéissance aux autres hommes, et l’humilité que cette obéissance exige…
Je suis dans la maison de Nazareth, entre Marie et Joseph, serré comme un petit frère contre mon Frère aîné Jésus, nuit et jour présent dans la Sainte Hostie. — Agir envers le prochain comme il convient en ce lieu, en cette compagnie, comme je vois agir Jésus qui me donne l’exemple… Dans la « Fraternité »[11], être toujours humble, doux et serviable comme l’étaient Jésus, Marie et Joseph dans la Sainte Maison de Nazareth. — Douceur, humilité, abjection, charité : servir les autres.
[11] Il appelait ainsi son ermitage de Béni-Abbès, où il accueillait les visites des nomades, et des gens du village. Il aimait à se dire le frère universel.
Laver le linge des pauvres (en particulier le Jeudi Saint) et nettoyer leur chambre régulièrement, autant que possible moi. Faire, autant que possible moi et non un autre, tous les plus bas emplois de la maison ; maintenir en état de propreté les locaux occupés par les indigènes ; prendre sur moi tout ce qui est service, et ressembler à Jésus, qui était parmi les apôtres comme « celui qui sert »… Et, soyons très doux avec les pauvres et avec tous les hommes, c’est aussi une humilité. Faire la cuisine des pauvres, quand j’en aurai le pouvoir ; leur porter à boire, à manger, ne pas laisser ce service à d’autres…
En tout malade, voir non un homme, mais Jésus, d’où respect, amour, compassion, joie et reconnaissance d’avoir à Le soigner, zèle, douceur… Servir les malades comme les pauvres, en m’efforçant de rendre aux uns et aux autres les services les plus abjects, comme Jésus lavant les pieds des apôtres…
Supporter la présence des mauvais, pourvu que leur méchanceté ne corrompe pas les autres : comme Jésus supporta Judas. — Ne pas résister au mal… Accéder aux demandes même injustes, par obéissance à Dieu et pour faire, par cette condescendance, du bien aux âmes, et faire aux autres ce que Dieu fait… Continuer à faire du bien aux ingrats pour imiter Dieu qui pleut sur les bons et les méchants. — « Si vous n’êtes bon que pour les bons, où est votre mérite ? » « Soyez bons pour les mauvais, pour les ingrats, pour les ennemis, comme Dieu même. » — Tout homme vivant, si mauvais qu’il soit, est enfant de Dieu, image de Dieu, membre de Jésus : respect, amour, attentions, tendresses pour le soulagement matériel, zèle extrême pour la perfection spirituelle de chacun d’eux !
Ne pas chercher à avoir beaucoup pour faire de grandes aumônes, ce qui serait très contraire à l’exemple du Seigneur ; mais, comme Lui, vivre du travail de mes mains et donner ce peu, comme Lui, à qui demande… ou a besoin.
« Je suis venu appeler non les justes, mais les pécheurs »… — N’avoir qu’un désir au cœur, donner à tous Jésus… M’occuper spécialement des brebis perdues, des pécheurs, des mauvais, ne pas laisser les quatre-vingt-dix-neuf brebis égarées pour me tenir tranquillement au bercail avec la brebis fidèle… Vaincre cette sévérité naturelle que j’éprouve contre les pécheurs et aussi ce dégoût, et les remplacer par la compassion, l’intérêt, le zèle et les soins empressés donnés à leurs âmes…
Désirer, aimer, être joyeux de souffrir du froid, du chaud, de tout : pour avoir un plus grand sacrifice à offrir à Dieu, être plus uni à Jésus, être plus capable de Le glorifier en payant un surcroît de tribut de souffrances, recevoir sur la terre et au ciel plus de connaissance et d’amour de Jésus… Plus tout nous manque, plus nous sommes semblables à Jésus crucifié… plus nous sommes attachés à la croix, plus nous étreignons Jésus qui y est cloué… Toute croix est un gain, car toute croix nous unit à Jésus…
Ne rien avoir de plus ni de mieux que ce que pouvait avoir Jésus de Nazareth. Se réjouir et désirer d’avoir moins plutôt que plus.
… A toute minute, vivre aujourd’hui comme devant mourir ce soir martyr.
« Une seule chose est nécessaire », faire à tout instant ce qui plaît le plus à Jésus. Se préparer sans cesse au martyre et le recevoir sans ombre de défense, comme l’Agneau divin, en Jésus, par Jésus, comme Jésus et pour Jésus…
… Nous réjouir, non d’avoir mais de manquer, de l’insuccès et de la pénurie, car alors j’ai la Croix et la Pauvreté de Jésus, les plus grands biens que puisse donner la terre…
Abjection : service des autres… Me fixer un certain nombre de travaux journaliers bien abjects et les faire, comme Jésus à Nazareth « venu pour servir »… Supprimer l’ordonnance[12] : « Servir, non être servi. »
[12] Un des soldats de la garnison de Béni-Abbès était venu bénévolement à l’ermitage pour faire quelques travaux manuels.