Écrits spirituels de Charles de Foucauld : $b ermite au Sahara, apôtre des Touregs
DEUXIÈME PARTIE
Le serviteur des Clarisses
Au cours des six années de sa vie à La Trappe, s’affirme la vocation la plus exceptionnelle, en nos temps, et qui devait entraîner Charles de Foucauld dans les plus dures solitudes du monde. Au début de 1897, l’heure allait venir, pour lui, de renouveler ses vœux de trappiste. Ils ne seront pas renouvelés. Le vicomte de Foucauld, avec l’approbation de ses supérieurs qui reconnaissent un appel particulier, quitte la Trappe, et s’offre comme serviteur, jardinier, commissionnaire d’un couvent de Clarisses, à Nazareth, et vit de la sorte environ trois années, de 1897 à 1900.
RETRAITE FAITE A NAZARETH
du 5 au 15 novembre 1897
Charles de Foucauld habitait alors dans une cabane en planches, sorte de guérite couverte en tuiles, adossée au mur de clôture des Clarisses, et où l’on serrait, naguère, les outils de jardinage. Pendant sa retraite, Charles de Foucauld méditait, soit dans cette cellule, soit dans la chapelle du Couvent, devant le Saint-Sacrement exposé. De là des allusions, tantôt au silence de la campagne, tantôt à la présence de Notre-Seigneur dans l’Hostie.
OBJET DE LA RETRAITE
Mon Seigneur et mon Dieu, qui êtes ici présent, qui êtes en moi et autour de moi, je Vous adore de toute mon âme ; merci de Vos bienfaits infinis, pardon de mes infidélités sans nombre, secourez-moi, afin que je Vous console le plus possible pendant tous les instants de ma vie…
Tâcher de mieux connaître Votre volonté sur moi pour mieux la faire (et mieux procurer Votre bien), voilà le double but de cette petite retraite… Bénissez-la, mon Dieu, je la fais en vue de Vous seul, non pour moi, mais pour Vous ; non pour les autres, mais pour Vous… Je dois m’aimer et aimer les autres, mais en vue de Vous : c’est le secondaire, Vous êtes le principal, mon Dieu et mon Tout, Vous qui seul avez l’être… Faites, ô mon Dieu, que je la fasse le mieux possible, en Vous, par Vous et pour Vous, et qu’elle me serve à Vous connaître, Vous aimer ; connaître Votre volonté, la faire ; tout cela pour consoler le plus possible Votre Cœur, ce qui est la seule chose que je désire. Amen, amen.
DIEU. SES PERFECTIONS, SA PRÉSENCE
Mon Dieu, que Vous êtes bon ! Ce matin, j’étais dans cette chère petite cellule où il fait si doux passer à Vos pieds les heures silencieuses de la nuit, être en tête-à-tête avec Vous pendant que tout dort sur la terre, seul à Vous adorer, à me tenir à Vos genoux, vous disant que je Vous aime pendant que tout est enseveli dans l’obscurité, le silence et le sommeil !… Mais, maintenant, c’est la grâce des grâces… Je suis devant le Saint-Sacrement, et le Saint-Sacrement exposé !… Quelle félicité ! que je suis près de Vous, contre Vous, ô mon Dieu ! Faites que j’y sois comme je le dois, donnez-moi les pensées, les paroles que je dois avoir, en Vous, par Vous et pour Vous !…
Merci, mon Dieu, de commencer cette retraite un jour d’exposition du Saint Sacrement ! Vous voulez donc ne pas laisser une seule grâce sans me la faire ? Merci, merci ! ô mon Dieu, merci de vos grâces, merci parce qu’elles sont très douces, merci parce que je sens le besoin que j’en ai, et combien ma misère, ma lâcheté, ma tiédeur exceptionnelles ont besoin d’un secours exceptionnel… Vous proportionnez Vos secours, non aux mérites, mais aux besoins, bien heureusement : Vous êtes « venu pour les malades, non pour les sains », comme je le sens bien !… Comme en me sentant aimé, pressé sur Votre Cœur, mon Bien-Aimé Jésus, mon Dieu, mon Maître, Vous qui me permettez de Vous appeler mon Divin Époux, je sens le besoin que j’ai de Vos tendresses, de Vos caresses, à cause de ma faiblesse infinie !
Vous voulez que, dans cette retraite, je considère d’abord Vous, Vous Dieu et Vous Jésus, Dieu et Homme… puis, que je considère ce que Vous voulez de moi, c’est-à-dire mon devoir, c’est-à-dire ma vie, moi, puisque toute ma vie, tout moi ne doit être que l’accomplissement de mes devoirs, de Votre volonté… Faites qu’il en soit ainsi, qu’il n’y ait plus jamais de différence entre moi et l’accomplissement de Votre volonté. O mon Dieu, puissent toujours ces deux termes être identiques, en Vous, par Vous, pour Vous ! Amen.
Considérer Dieu… moi, ver de terre, porter mes yeux sur Vous, l’Infini ! Comment cela est-il possible ! Et, pourtant, cela est possible, Vous nous l’enseignez, et même c’est un devoir… Des seules choses naturelles, nous pouvons et devons nous élever à Vous : montant de la beauté matérielle à la beauté d’une belle âme, des choses spirituelles, montant de degré en degré dans l’échelle des êtres, nous devons venir à l’idée de l’Esprit parfait, ajoutant des perfections, retranchant des imperfections, étendant la beauté des perfections jusqu’à l’excellence qui surpasse tout, nous devons arriver à l’idée de Vous, mon Père…
Mon Créateur, mon Père, mon Bien-Aimé, Vous qui êtes là, à trois mètres de moi, sous l’apparence de cette Hostie, Vous êtes la Beauté suprême ; toute beauté créée, beauté de la nature, du ciel au coucher du soleil, de la mer unie comme une glace sous un ciel bleu, des forêts sombres, des jardins fleuris, des montagnes, des grands horizons des déserts, des neiges et des glaciers, beauté d’une belle âme se reflétant sur un beau visage, beauté d’une belle action, d’une belle vie, d’une grande âme, toutes ces beautés ne sont que le plus pâle reflet de la Vôtre, mon Dieu. Tout ce qui a charmé mes yeux en ce monde, n’est que le plus pauvre, le plus humble reflet de votre Beauté infinie !…
O mon Dieu, faites-moi cette grâce de ne voir que Vous, que Vous dans les créatures ; de ne jamais m’arrêter à elles, de ne jamais voir la beauté matérielle ou spirituelle qui est en elles, comme quelque chose d’elles, mais seulement comme quelque chose de Vous. Faites-moi percer les voiles, ne jamais rester à ce pauvre composé de néant et d’être si ruineux, si défaillant, si rien, mais en tout l’être que je vois en une créature, passer aussitôt au-dessus des apparences, et voir, au delà du pauvre composé, l’être par essence, à qui l’être appartient tout entier et qui en a jeté une parcelle sur cette créature qui nous plaît. Si cette parcelle nous semble si belle, combien est beau l’Être parfait qui l’a jetée comme une aumône, comme un sou donné à un pauvre ! Mon Dieu, faites-moi cette grâce que Vous fîtes à Sainte Thérèse, de ne plus jamais attribuer aux créatures les biens matériels ou spirituels qui sont en elles, de ne jamais m’y arrêter, car ils ne viennent pas d’elles, mais de l’Être Souverain… M’y arrêter serait une indélicatesse, une ingratitude, un abus de confiance, car Dieu ne donne cette beauté aux créatures et ne porte mon âme à en être ravie, que pour Se laisser entrevoir par moi, pour m’attirer à Lui, pour exciter ma reconnaissance pour Sa bonté, mon amour pour Sa beauté, et me faire monter jusqu’à Son trône, et y établir la vie de mon âme dans l’adoration, la contemplation émerveillée, la gratitude… Avoir toute ma conversation dans les cieux, puisque la vue de la terre ne fait que me laisser deviner Vos beautés et Vos tendresses…
… Et il n’est pas loin de moi, cet Être parfait, cet Être qui est tout l’Être, qui est seul l’Être véritable, qui est toute beauté, bonté, amour, sagesse, science, intelligence. Les créatures en qui j’admire quelques reflets de ses perfections, sur lesquelles tombe un petit rayon de ce soleil infini, sont hors de moi, distantes de moi, séparées de moi, mais Vous, mon Dieu, Vous la Perfection, la Beauté, la Vérité, l’Amour infini et essentiel, Vous êtes en moi, Vous êtes autour de moi… Vous me remplissez tout entier…, il n’est aucune parcelle de mon corps que Vous ne remplissiez, et, autour de moi, Vous me touchez de plus près que l’air où je me meus… Que je suis heureux ! quelle félicité ! être uni à ce point à la Perfection même ; vivre en Elle, La posséder vivante en moi !… Mon Dieu qui êtes en moi et en qui je suis, faites-moi comprendre ma félicité, et faites-moi comprendre mes devoirs !…
Mon Dieu, daignez me donner ce sentiment continuel de Votre présence, de Votre présence en moi et autour de moi… et, en même temps, cet amour craintif qu’on éprouve en présence de ce qu’on aime passionnément, et qui fait qu’on se tient devant la personne aimée, sans pouvoir détacher d’elle les yeux, avec un grand désir et une pleine volonté de faire tout ce qui lui plaît, tout ce qui est bon pour elle et une grande crainte de faire, dire ou penser quelque chose qui lui déplaise ou lui fasse du mal… En Vous, par Vous et pour Vous. Amen.
PENSÉES DE DIEU
Je dois tâcher de vous connaître, mon Dieu, afin de mieux Vous aimer ; plus je Vous connaîtrai, plus je Vous aimerai, parce que tout en Vous est parfait, admirable, aimable : Vous connaître un peu plus, c’est voir beauté plus étincelante, plus transparente, c’est être plus ravi d’amour… Vous êtes pensées, paroles et action, mon Dieu. — Vous Vous réfléchissez sans cesse Vous-même dans Votre propre esprit… Vos pensées ne varient pas… Vous Vous voyez toujours Vous-même, Vos perfections, et, en Vous, Vos œuvres, Vos œuvres présentes et à venir et toutes Vos œuvres possibles, dans tous les siècles et tous les temps. Vous Vous voyez, car Vous êtes Intelligence… Vous Vous aimez, car Vous êtes Volonté… Vous Vous aimez infiniment, et cela nécessairement, car Vous êtes juste, et étant juste, Vous aimez infiniment l’Être infiniment aimable, infiniment parfait, Vous-même…
Mon Dieu qui êtes en moi, autour de moi, mon Seigneur Jésus, mon Dieu qui êtes si près de moi dans cette Hostie exposée, voilà donc ce que sont Vos pensées : un regard et un amour… Un regard sur Vous-même, sur Vous seul : et de ce regard sur Vous seul, Vous voyez toutes Vos œuvres. Un amour souverain, infini, pour Vous-même, amour nécessaire et qui ne peut pas ne pas être, parce qu’Il est la conséquence de Votre justice infinie ; et, dans cet amour, Vous aimez Vos œuvres, d’une part à cause de Vous, parce qu’elles viennent de Vous, sont les œuvres de l’Être infiniment aimable et aimé ; de l’autre, à cause de la beauté qui est en elles, de la parcelle d’être, du reflet de beauté divine que Vous avez jeté en chacune d’elles et qui est quelque chose de bon et d’aimable ; d’autre part, enfin, par pure bonté, quoniam bonus, parce que Vous êtes bon et qu’il Vous est naturel d’aimer…
PAROLES ET ACTIONS DE DIEU
Vous parlez, mon Dieu, aux hommes, de deux manières surtout, à haute voix pourrait-on dire, et à voix basse… A haute voix par Vos livres inspirés, la Sainte Écriture ; à voix basse par tout ce qu’inspire Votre grâce, par toutes les paroles intérieures que Vous inspirez aux fidèles… Parlez-Vous aux purs esprits ? Comment ? A qui parlez-Vous encore ? Je l’ignore, mon Dieu. Vous êtes infini, je suis un point, un atome. Que sais-je de Vous ? Assez pour connaître que Vous êtes l’Infini, l’Être, la Perfection, et cela suffit pour me montrer que je dois Vous aimer sans mesure ; pourtant, je me réjouis de Vous mieux connaître dans le ciel ; en voyant mieux Vos beautés, je Vous aimerai davantage…
JÉSUS, SON INCARNATION, SA NAISSANCE
6 novembre 1897.
Mon Seigneur et mon Dieu, quelle douce journée : c’est Vous, mon Seigneur Jésus, qui serez aujourd’hui le sujet de mes méditations…
Oui, mon Dieu, Vous êtes constant, fidèle, Vous me continuez Vos grâces, Vos Saints et Vos Anges continuent à m’aider… il n’y a que moi qui ne m’aide pas ; Vous me poussez au bien et Vous me comblez de grâces, tout m’y aide au ciel et sur la terre !… Moi seul, je mets obstacle par ma lâcheté, ma faiblesse, ma tiédeur…
L’Incarnation a sa source dans la bonté de Dieu… Mais, une chose apparaît d’abord, si merveilleuse, si étincelante, si étonnante, qu’elle brille comme un signe éblouissant : c’est l’humilité infinie que contient un tel mystère… Dieu, l’Être, l’Infini, le Parfait, le Créateur, le Tout-Puissant, immense, souverain Maître de tout, se faisant homme, s’unissant à une âme et à un corps humain, et paraissant sur la terre comme un homme et le dernier des hommes…
Et l’estime du monde, qu’est-ce ? Convenait-il que Dieu la cherche ? Voyant le monde des hauteurs de la divinité, tout y est égal à Ses yeux : le grand, le petit, tout est également fourmi, ver de terre… Dédaignant toutes ces fausses grandeurs qui sont, en vérité, de si extrêmes petitesses, Dieu n’a pas voulu s’en revêtir… Et comme Il venait sur la terre et pour nous racheter et pour nous enseigner, et pour Se faire connaître et aimer, Il a tenu à nous donner, dès Son entrée dans ce monde, et pendant toute Sa vie, cette leçon du mépris des grandeurs humaines, du détachement complet de l’estime des hommes… Il est né, Il a vécu, Il est mort dans la plus profonde abjection et les derniers opprobres, ayant pris une fois pour toutes tellement la dernière place que nul n’a jamais pu être plus bas que Lui… Et s’Il a occupé avec tant de constance, tant de soin cette dernière place, c’est pour nous instruire, pour nous apprendre que les hommes et l’estime des hommes ne sont rien, ne valent rien ; qu’il ne faut pas mépriser ceux qui occupent les plus basses des plus basses conditions ; que les plus pauvres, les plus abjects ne doivent pas s’attrister de leur bassesse : ils sont près de Dieu, près du Roi des rois de ce monde ; c’est pour nous apprendre que notre conversation n’étant pas de ce monde, nous ne devons faire aucun cas de la figure de ce monde…, mais ne vivre que pour ce royaume des cieux que le Dieu-Homme voyait dès ici-bas par la vision béatifique, et que nous devons considérer sans cesse des yeux de la foi, marchant en ce monde comme si nous n’étions pas de ce monde, sans souci des choses extérieures, ne nous occupant qu’à une chose : à regarder, à aimer notre Père Céleste, et à faire Sa volonté…
Résolutions. — Dans mes pensées, mes paroles, mes actions, soit pour moi, soit pour le prochain, ne faire aucun cas de la grandeur, de l’illustration, de l’estime humaine, mais estimer autant les plus pauvres que les plus riches… Faire autant de cas du dernier ouvrier que du prince, puisque Dieu a paru comme le dernier ouvrier… Pour moi, chercher toujours la dernière des dernières places, pour être aussi petit que mon Maître, pour être avec Lui, pour marcher derrière Lui, pas à pas, en fidèle domestique, fidèle disciple, et, puisque dans Sa bonté infinie, incompréhensible, Il daigne me permettre de parler ainsi, en fidèle frère, en fidèle épouse…
En conséquence, arranger ma vie de manière à être le dernier, le plus méprisé des hommes, pour la passer avec mon Maître, mon Seigneur, mon Frère, mon Époux, qui a été l’abjection du peuple, et l’opprobre de la terre, « un ver et non un homme… »
Vivre dans la pauvreté, l’abjection, la souffrance, la solitude, le délaissement, pour être, dans la vie, avec mon Maître et mon Frère, mon Époux, mon Dieu, qui a vécu ainsi toute sa vie et m’en donne un tel exemple dès sa naissance.
JÉSUS, SA VIE CACHÉE
Mon Jésus, qui êtes si près de moi, inspirez-moi ce qu’il faut que je pense de Votre vie cachée…
« Il descendit avec eux et alla à Nazareth, et Il leur était soumis »… Il descendit, s’enfonça, s’humilia… ce fut une vie d’humilité : Dieu, vous paraissez homme ; homme, Vous Vous faites le dernier des hommes ; ce fut une vie d’abjection, jusqu’à la dernière des dernières places ; Vous descendîtes avec eux pour y vivre de leur vie, de la vie des pauvres ouvriers, vivant de leur labeur ; Votre vie fut, comme la leur, pauvreté et labeur ; ils étaient obscurs, Vous vécûtes dans l’ombre de leur obscurité ; Vous allâtes à Nazareth, petite ville perdue, cachée dans la montagne, d’où « rien de bon ne sortait », disait-on ; c’était la retraite, l’éloignement du monde et des capitales, Vous vécûtes dans cette retraite…
Vous leur étiez soumis, soumis comme un fils l’est à son père, à sa mère ; c’était une vie de soumission, de soumission filiale ; Vous obéissiez en tout ce qu’obéit un bon fils. Si un désir de Vos parents n’était pas selon la vocation divine que Vous aviez, Vous ne l’accomplissiez pas, Vous obéissiez « à Dieu plutôt qu’aux hommes », comme quand Vous restâtes trois jours à Jérusalem ; mais, sauf le cas où la vocation que Vous aviez demandait que Vous ne Vous rendiez pas à leurs désirs, Vous Vous y rendiez en tout, étant en tout le meilleur des fils, et par conséquent, non seulement obéissant à leurs moindres désirs, mais les prévenant, faisant tout ce qui pouvait leur faire plaisir, les consoler, leur rendre la vie douce et agréable, tâchant de tout votre cœur de les rendre heureux, étant le modèle des fils, et ayant toutes les attentions possibles pour Vos parents, dans la mesure, bien entendu, que permettait Votre vocation… Mais Votre vocation, c’était d’être parfait et Vous ne pouviez pas ne pas être parfait, ô Fils Éternel, ô Fils Dieu. Aussi, pendant ces trente années, fûtes-Vous le fils le plus tendre, le plus prévenant, le plus soumis, le plus aimable, le plus consolant, faisant tout le plaisir possible à Vos parents, les aidant, les soutenant, les encourageant dans le labeur quotidien, en prenant pour Vous la plus grande part possible pour les reposer, ne les contredisant jamais à moins de nécessité pour la gloire de Dieu, et, alors, avec quelle douceur, quelle bonté, quelle tendresse, qui rendait la contradiction plus douce qu’un acquiescement, et la faisait comme une rosée céleste, ayant toutes les attentions, les grâces, les délicatesses, les prévenances, les amabilités qui rendent la vie si douce quand elles sont faites par une belle âme !… n’omettant rien de ce qui pouvait consoler Vos parents et faire, de leur petite maison, ce qu’elle était : un ciel…
Voilà ce que fut Votre vie à Nazareth, ici, puisque j’ai l’infini bonheur, la grâce incomparable de vivre dans ce Nazareth chéri ! Merci ! merci !
Votre vie était celle du modèle des fils, vivant entre un père et une mère pauvres ouvriers. C’était la moitié de Votre vie, celle qui regarde la terre, tout en répandant sur le ciel un parfum céleste… C’était la partie visible. La partie invisible, c’était la vie en Dieu, la contemplation de tout instant. Vous travailliez, Vous consoliez vos parents, Vous Vous entreteniez très tendrement et saintement avec eux, Vous priiez avec eux durant le jour…, mais comme Vous priiez aussi dans la solitude et l’ombre de la nuit, comme Votre âme s’exhalait en silence !…
Toujours, toujours, Vous priiez, Vous priiez à tout instant, puisque prier, c’est être avec Dieu et que Vous êtes Dieu ; mais comme Votre âme humaine prolongeait cette contemplation pendant les nuits, comme, pendant tous les moments du jour, elle s’unissait à Votre divinité !… Comme Votre vie était un épanchement continuel en Dieu, un regard continuel vers Dieu ; contemplation continuelle de Dieu, en tous Vos instants !… Et qu’était cette prière, qui faisait la moitié de Votre vie à Nazareth ? C’était, d’abord et surtout l’adoration, c’est-à-dire la contemplation, l’adoration muette qui est la plus éloquente des louanges « Tibi silentium laus » ; cette admiration muette, qui renferme la plus passionnée des déclarations d’amour, comme l’amour d’admiration est le plus ardent des amours… Puis, secondairement, en second lieu et prenant moins de temps, l’action de grâce : action de grâce, d’abord de la gloire de Dieu, de ce que Dieu est Dieu, puis des grâces faites à la terre et à toutes les créatures ; le cri de pardon, pardon pour tous les péchés commis contre Dieu, pardon pour ceux qui ne demandent pas pardon ; acte de contrition pour le monde entier, douleur de voir Dieu offensé ; la demande, demande de la gloire de Dieu, que Dieu soit glorifié par toutes les créatures, que Son règne arrive parmi elles, que Sa volonté se fasse en elles, comme parmi les anges, et que ces pauvres créatures reçoivent, au spirituel et au temporel, tout ce dont elles ont besoin et soient enfin délivrées de tout mal, en ce monde et dans l’autre… Et que les grâces se répandent en particulier en abondance sur ceux que la volonté divine a mis auprès de Jésus, autour de Lui : Sa mère, Son père, Ses cousins, Ses amis, les âmes qui L’aiment, ceux qui s’attachent à Lui…
JÉSUS, SA VIE PUBLIQUE
Mon Seigneur Jésus, comme il sera doux de penser encore toute cette journée à Vous !… Toutes mes journées doivent y être occupées : travaillant, priant, parlant, toujours, sauf quand je dors, je prie et je dois penser à Vous, Vous regarder, puisque Vous êtes là. Je le fais bien mal, mais je désire tellement le mieux faire que j’espère y parvenir par Votre grâce : faites-moi cette grâce !… Mais, aujourd’hui, il faut non seulement faire cela, mais il ne faut faire que cela : non seulement il faut Vous regarder, mais il faut ne pas faire autre chose que Vous regarder ! Quel bonheur, que Vous êtes bon de me le donner ! Que je suis heureux !…
Mon Dieu, me voici à Vos pieds dans ma cellule ; il fait nuit, tout se tait, tout dort. Je suis le seul, peut-être, en ce moment, à Nazareth à Vos pieds… Qu’ai-je fait pour mériter ces grâces ?… Merci, merci !… Que je suis heureux ! Je Vous adore profondément, mon Dieu, je Vous adore de toute mon âme et je Vous aime de toutes les forces de mon cœur. Je suis à Vous, à Vous seul, tout mon être est à Vous, il est à Vous nécessairement, malgré moi, et il est à Vous volontairement, de tout mon cœur ; faites de moi ce qu’il Vous plaira : faites-moi faire cette retraite comme il Vous plaira. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », me répondez-Vous… eh bien, mon Dieu, faites-la moi faire le plus parfaitement possible, en Vous, par Vous, pour Vous. Amen.
Votre vie publique, mon Seigneur Jésus, que fut-ce ?…
— Je tâche de sauver les hommes par la parole et les œuvres de miséricorde, au lieu de me contenter de les sauver par la prière et la pénitence comme je le faisais à Nazareth… Mon zèle des âmes paraît au dehors…
« Cependant ma vie, tout en devenant très extérieure, garde une portion de vie solitaire (souvent je me retire une nuit, quelques jours entiers dans la solitude pour y prier) et reste une vie de prière, de pénitence, de recueillement intérieur. Et, en dehors du temps consacré à l’évangélisation…, une vie de solitude…
Cette vie fut une vie de fatigue ; ces courses continuelles, ces longs discours, ces retraites au désert, sans abri, n’allaient pas sans grandes fatigues… de souffrance matérielle : l’intempérie des saisons, les nuits sans abri, la nourriture prise irrégulièrement, selon le temps laissé par les travaux, amenaient des souffrances ; de souffrances morales : l’ingratitude des hommes ; leurs oreilles se fermant à ma voix, leur mauvaise volonté, leur endurcissement, toutes les misères humaines des corps et des âmes touchées du doigt chaque jour ; la vue du petit nombre des sauvés, du grand nombre des damnés ; les douleurs humaines ; les souffrances des justes, celles de ma mère ; la vision grandissante et approchante de ma passion ; les persécutions, les inimitiés, répondant à mes paroles de salut, à mon amour offert à tous, l’ingratitude surtout de « cette race infidèle et perverse », tout cela faisait gémir mon Cœur tendre et compatissant…; de persécution, j’étais persécuté partout et par tous, à Jérusalem et à Nazareth ; on voulait me lapider et me précipiter…, partout, dans les villes et les villages, pharisiens, scribes, Sadducéens, Hérodiens, cherchaient à me perdre, me tendaient des pièges, m’insultaient en secret et en public, m’appelant possédé, démon, séducteur, imposteur, me dénonçant aux prêtres…, les gentils me méprisaient comme ils méprisaient les Israélites… En tous lieux, ma vie était menacée, soit par Hérode, soit par les Pharisiens. J’étais obligé de fuir de lieu en lieu… Plusieurs fois on voulut mettre la main sur Moi, et je ne me sauvai que par miracle… Ce fut un temps de courage contre les hommes, les reprenant ouvertement de leurs fautes, les en châtiant même, démasquant en public les hypocrites, proclamant la doctrine divine en face de ses ardents et puissants contradicteurs, criant la vérité à la face d’une foule ameutée qui la repoussait ; faisant, au milieu du temple et des synagogues, les œuvres mêmes pour lesquelles on m’accusait et me condamnait ; avec quel courage je parlais, dans le temple de Jérusalem, à tout ce peuple qui avait sans cesse une pierre à la main pour me lapider, et dans ces synagogues de Galilée où les Pharisiens grinçaient des dents contre Moi et faisaient mille complots pour me perdre !…
« Amour de la vérité, je l’ai toujours eu, Moi qui suis la Vérité même, mais comme je l’ai montrée en la répandant avec tant de zèle au milieu de tant de périls et de peines, comme j’ai fait voir son prix !… Humilité : j’ai été humble en me faisant baptiser par Jean…, humble en défendant si souvent à mes apôtres de proclamer que j’étais le Fils de Dieu ; humble en cachant mes bienfaits, mes miracles ; en disant si souvent à ceux que je guérissais de n’en rien dire à personne ; humble en fuyant de ville en ville durant la persécution, Moi, le Tout-Puissant qui, d’un mot, pouvait (et combien justement), anéantir mes ennemis… »
JÉSUS, SA PASSION
Votre Passion, mon Dieu, voilà ce que Vous voulez que je médite : faites Vous-même mes pensées ; car toujours je suis impuissant devant de telles visions !…
La Passion… quels souvenirs !… les soufflets et les coups des valets des pontifes : « prophétise et dis qui t’a frappé »… le silence devant Hérode et Pilate… la flagellation… le couronnement d’épines… le chemin de la croix… le crucifiement… la Croix… « … Mon Père, je remets mon âme entre Vos mains !… » Quelles visions, mon Dieu, quels tableaux ! Quelles larmes, si je Vous aime ! Quels remords, si je songe que c’est pour expier dignement mes péchés que Vous avez souffert ainsi ! Quelle émotion, si je songe que si Vous avez été au-devant de ces tourments, si Vous les avez voulus, c’est aussi pour me prouver Votre amour, pour me le déclarer à travers les siècles ! Quel remords de Vous aimer si peu ! Quel remords de faire si peu pénitence des péchés pour lesquels Vous avez fait une telle pénitence ! Quel désir de Vous aimer enfin, à mon tour, et de Vous prouver mon amour par tous les moyens possibles !… Quels sont ces moyens, mon Dieu, comment Vous aimer ; comment Vous dire que je Vous aime ?… « Celui qui m’aime, c’est celui qui fait mes commandements… Nul n’a un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ce qu’il aime. » Faire Vos commandements, « Mandata », c’est-à-dire accomplir non seulement les ordres, mais les conseils, se conformer aux moindres avis, aux moindres exemples. Parmi Vos conseils, un des premiers est de Vous imiter : « Suivez-moi… Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres… Je vous ai donné l’exemple pour que, comme j’ai fait, vous fassiez aussi… Le serviteur est parfait s’il est comme son maître. » Suivre le plus exactement possible tous Vos enseignements et Vos exemples pendant que nous sommes en vie, et mourir pour Votre nom, voilà le moyen de Vous aimer et de Vous prouver que nous Vous aimons ; c’est Vous-même qui nous le dites dans l’Évangile, mon Dieu !… L’amour demande encore une chose, mon Dieu, et l’Évangile me le dit aussi, non par Vos paroles, mais par l’exemple de la Sainte Vierge, de sainte Magdeleine au pied de la Croix : Stabat Mater. La Compassion, pleurer Vos douleurs… à la vérité c’est une grâce : je ne puis, de moi-même, en face du spectacle de Votre croix, tirer des gémissements de ce cœur de pierre, tant il est, hélas ! effroyablement endurci… mais je dois Vous demander du moins cette compassion, et puisqu’elle Vous est due, je dois vous la demander pour pouvoir Vous la donner… Je dois Vous demander tout ce que je dois Vous donner…
Mon Dieu, puisque, dans les abîmes de Votre miséricorde, dans les trésors de Vos mystérieuses et infinies bontés, Vous m’avez fait cette grâce de vivre sous ce ciel et sur cette terre où Vous avez vécu, de fouler ce sol que Vous avez foulé, et que Vous avez, hélas, arrosé de Vos larmes, de Vos sueurs et de Votre sang, ne me laissez pas parcourir sans larmes ces lieux témoins de Vos douleurs ; ne me laissez pas baiser sans larmes les traces de Vos pas à Gethsémani, sur la voie douloureuse, au prétoire, au Calvaire ; donnez-moi un cœur de chair au lieu de mon cœur de pierre, et puisque Vous me faites cette grâce inouïe : me permettre de baiser cette terre si sainte, faites-moi celle de la baiser avec l’âme, le cœur, les larmes que Vous voulez que j’aie, que c’est mon devoir d’avoir, ô mon Seigneur, mon Roi, mon Maître, mon Époux, mon Frère, mon Bien-Aimé, mon Sauveur, mon Dieu !…
Résolution. — Demander, désirer et, s’il plaît à Dieu, souffrir le martyre pour aimer Jésus du grand amour… — Zèle des âmes, amour ardent du salut des âmes qui, toutes, ont été rachetées d’un singulier prix. — Ne mépriser personne, mais désirer le plus grand bien de tous les hommes, puisque tous sont couverts, comme d’un manteau, du sang de Jésus… Faire mon possible pour le salut de toutes les âmes, selon mon état, puisque toutes ont coûté si cher à Jésus, et ont été tant aimées de Lui et le sont encore ! Être parfait, être saint, moi pour qui Jésus a eu tant d’estime qu’Il a donné pour moi tout Son sang. Avoir de grands désirs de perfection, croire tout possible pour la gloire de Dieu, quand mon confesseur me prescrit de faire une chose : comment Dieu me refuserait-il une grâce, après avoir donné pour moi tout Son sang ? Horreur infinie du péché et de l’imperfection qui y conduit, puisque cela a coûté si cher à Jésus… Douleur des péchés des autres et de voir Dieu offensé, puisque le péché Lui cause une telle horreur, qu’Il a voulu l’expier par de tels tourments… Confiance absolue en l’amour de Dieu, foi inébranlable dans cet amour, qu’Il m’a prouvé en voulant souffrir pour moi de telles douleurs… Humilité en voyant tout ce qu’Il a fait pour moi, et le peu que j’ai fait pour Lui…
Désir des souffrances, pour Lui rendre amour pour amour, pour L’imiter, et n’être pas couronné de roses quand Il l’est d’épines, pour expier mes péchés qu’Il a expiés si douloureusement, pour entrer dans Son travail, m’offrir avec Lui, tout néant que je suis, en sacrifice, en victime, pour la sanctification des hommes…
JÉSUS, SA RÉSURRECTION, SON ASCENSION
Vous ressuscitez et Vous montez aux cieux !… Vous voici dans Votre gloire ! Vous ne souffrez plus, Vous ne souffrirez plus jamais, Vous êtes heureux et Vous le serez éternellement… Mon Dieu, si je Vous aime, comme je dois être heureux ! Si c’est de Votre bien que j’ai soin avant tout, comme je dois jouir, comme je dois être satisfait, bienheureux !… Mon Dieu, Vous êtes bienheureux pour l’Éternité, rien ne Vous manque, Vous êtes infiniment et éternellement heureux !… Moi aussi je suis heureux, mon Dieu, puisque c’est Vous que j’aime avant tout.
Je puis dire qu’il ne me manque rien… que je suis au ciel, que, quoi qu’il arrive et quoi qu’il m’arrive, je suis bienheureux, à cause de Votre béatitude !…
Résolution. — Quand nous sommes tristes, découragés de nous-mêmes, des autres, des choses, pensons que Jésus est glorieux, assis à la droite du Père, bienheureux pour jamais, et que, si nous L’aimons comme nous devons, le bonheur de l’Être infini doit l’emporter infiniment dans nos âmes sur les tristesses provenant d’être finis et que, par conséquent, devant la vision du bonheur de notre Dieu, notre âme doit entrer dans la jubilation, et les peines qui la pressent disparaître comme les nuages devant le soleil : notre Dieu est bienheureux. Réjouissons-nous sans fin, car tous les maux des créatures sont un atome à côté du bonheur du Créateur !… Il y aura toujours des tristesses dans notre vie, et il doit y en avoir, à cause de l’amour que nous portons et devons porter à nous-mêmes et à tous les hommes ; à cause aussi de l’amour que nous portons à Jésus et du souvenir de Ses douleurs ; à cause du désir que nous devons avoir de la justice, c’est-à-dire de la gloire de Dieu et de la peine que nous devons éprouver en voyant l’injustice, et Dieu insulté… mais ces douleurs, toutes justes qu’elles sont, ne doivent pas durer dans notre âme, elles ne doivent y être que passagères ; ce qui doit durer et être notre état ordinaire, ce à quoi nous devons revenir sans cesse, c’est la joie de la gloire de Dieu, la joie de voir que, maintenant, Jésus ne souffre plus et ne souffrira plus, mais qu’Il est heureux, pour toujours à la droite de Dieu.
JÉSUS DANS LA SAINTE EUCHARISTIE
Vous êtes, mon Seigneur Jésus, dans la Sainte Eucharistie, Vous êtes là, à un mètre de moi dans ce Tabernacle ! Votre Corps, Votre âme, Votre humanité, Votre divinité, Votre être tout entier est là, dans sa double nature ; que Vous êtes près, mon Dieu, mon Sauveur, mon Jésus, mon Frère, mon Époux, mon Bien-Aimé !… Vous n’étiez pas plus près de la Sainte Vierge, pendant les neuf mois qu’elle Vous porta dans son sein, que Vous ne l’êtes de moi quand Vous venez sur ma langue dans la Communion ! Vous n’étiez pas plus près de la Sainte Vierge et de Saint Joseph dans la grotte de Bethléem, dans la maison de Nazareth, dans la fuite en Égypte, pendant tous les instants de cette divine vie de famille, que Vous l’êtes de moi en ce moment et si, si souvent dans ce tabernacle ! Sainte Magdeleine n’était pas plus près de vous, assise à Vos pieds à Béthanie, que je ne le suis au pied de cet autel ! Vous n’étiez pas plus près de Vos apôtres quand Vous étiez assis au milieu d’eux, que Vous n’êtes près de moi maintenant, mon Dieu !… Que je suis heureux ! Que je suis heureux ! Que je suis heureux !… Être seul dans ma cellule et m’y entretenir avec Vous dans le silence de la nuit, c’est doux, mon Seigneur, et Vous êtes là comme Dieu, ainsi que par Votre grâce ; mais, pourtant, rester dans ma cellule quand je pourrais être devant le Saint Sacrement, c’est faire comme si sainte Magdeleine, quand vous étiez à Béthanie, Vous laissait seul… pour aller penser à Vous, seule dans sa chambre… Baiser les lieux que Vous avez sanctifiés dans Votre vie mortelle, les pierres de Gethsémani et du Calvaire, le sol de la Voie Douloureuse, les flots de la mer de Galilée, c’est doux et pieux, mon Dieu, mais préférer cela à Votre Tabernacle, c’est quitter Jésus vivant à côté de moi, Le laisser seul, et m’en aller seul, vénérer des pierres mortes où Il n’est pas ; c’est quitter la chambre où Il est et Sa divine compagnie pour aller baiser la terre d’une chambre où Il fut, mais où Il n’est plus… Quitter le Tabernacle pour aller vénérer des statues, c’est quitter Jésus vivant près de moi et aller dans une autre chambre pour aller saluer Son portrait…
Quand on aime, ne trouve-t-on pas bien, parfaitement employé tout le temps passé auprès de ce qu’on aime ? N’est-ce pas le temps le mieux employé, sauf celui où la volonté, le bien de l’être aimé nous appellent ailleurs ?…
— « Partout où est la Sainte Hostie est le Dieu vivant, est ton Sauveur aussi réellement que quand Il était vivant et parlant en Galilée et en Judée et qu’Il est maintenant dans le Ciel… Ne perds jamais une communion par ta faute : une communion, c’est plus que la vie, plus que tous les biens du monde, plus que l’univers entier, c’est Dieu Lui-même, c’est Moi, Jésus. Peux-tu me préférer quelque chose, peux-tu, si tu m’aimes tant soit peu, perdre volontairement la grâce que je te fais d’entrer ainsi en toi ?… Aime-Moi de toute l’étendue et dans toute la simplicité de ton cœur… »
JÉSUS, SA VIE DANS L’ÉGLISE ET DANS L’AME FIDÈLE
Mon Seigneur Jésus, Vous êtes « avec nous jusqu’à la consommation des siècles », non seulement dans la Sainte Eucharistie, mais aussi par Votre grâce… Votre grâce est dans l’Église, elle est et vit dans toute âme fidèle… L’Église est Votre Épouse, l’âme fidèle est aussi Votre épouse… Quelle est l’action de Votre grâce sur elles ?… de les conformer à Vous… Votre grâce agit sans cesse dans l’Église pour la rendre plus parfaite : plus parfaite par le nombre grandissant de ses saints, les nouveaux s’ajoutant sans cesse aux anciens et cette couronne de saints se complétant chaque jour par de nouveaux diamants ; plus parfaite par l’explication de plus en plus claire de ses dogmes, par l’organisation de plus en plus complète de sa liturgie, de sa discipline ; plus parfaite par les nouvelles croix dont Vous la chargez chaque jour et les victoires qu’elle remporte chaque jour contre le prince du monde ; plus parfaite par les persécutions qu’elle supporte de siècle en siècle et qui la rendent, par les souffrances qu’elle endure, de plus en plus semblable à son Époux ; plus parfaite par le poids des mérites de ses membres s’ajoutant chaque jour aux mérites de la veille ; c’est une somme de sainteté grandissant sans cesse, une somme de glorification de Dieu nouvelle s’ajoutant à la glorification ancienne qui est toujours vivante devant le Seigneur ; plus parfaite par la foule des saints Sacrifices, des Tabernacles, des Communions où Jésus est chaque jour offert par la terre à Dieu, les offrandes nouvelles s’ajoutant aux anciennes…; plus parfaites parce que la grâce d’aujourd’hui s’ajoutant à la grâce d’hier, ne peut manquer de pousser cette Épouse, d’élévation en élévation, plus près de son Époux. Jésus est l’âme de l’Église : Il lui donne tout ce que l’âme donne au corps : la vie. La vie immortelle en la rendant inébranlable ; la lumière, en la rendant infaillible dans la déclaration de la vérité ; Il agit par elle et continue, par son moyen, l’œuvre qu’Il a commencée dans Son corps durant qu’Il vivait parmi les hommes : la glorification de Dieu par la sanctification des hommes… C’est cette œuvre qui est la fin de l’Église comme elle fut la fin du Christ : Jésus l’accomplit en elle, sans cesse, à travers les siècles…
Vous résidez en l’âme fidèle, mon Seigneur : « Nous venons en elle et nous y faisons notre demeure » ; Vous devenez comme l’âme de cette âme, Votre grâce la soutient en tout, éclaire son intelligence, dirige sa volonté ; ce n’est plus elle qui agit, c’est Vous qui agissez en elle… Vous lui donnez la vie, la vie de grâce, semence de la vie de gloire, avec une abondance croissante ; Vous lui donnez la vérité ; Vous l’y établissez, lui en donnez le goût, lui dessillez les yeux, lui faites voir les choses des yeux de la foi ; Vous la mettez ainsi dans la lumière divine, bien haut au-dessus des ténèbres du monde : Vous continuez en elle Votre œuvre… La fin de chaque homme, comme la fin de l’Église, comme Votre fin à Vous, mon Seigneur Jésus, c’est la glorification de Dieu, c’est-à-dire la manifestation extérieure de Sa gloire et la sanctification des hommes… Vous nous aimez ; plus nous serons parfait, plus Vous serez consolé ; nous devons désirer Vous consoler le plus possible, puisque Vous ordonnez de Vous aimer de toutes nos forces ; nous devons désirer être aussi parfaits que possible… rendez donc nos pensées, paroles, actions, conformes aux Vôtres, conformes à ce que Vous feriez ; vivez en nous, régnez en nous, que ce ne soit plus nous qui vivions, mais que ce soit Vous, mon Dieu, qui viviez en nous et que, Vous servant de notre corps et de notre âme que nous Vous avons donnés sans réserve, Vous continuiez, par leurs moyens, Votre vie et Votre œuvre en ce monde, la glorification de Dieu et le salut des hommes, dans la mesure où Vous l’avez décrété Vous même dans Vos desseins éternels, en Vous, par Vous et pour Vous. Amen, amen, amen.
MOI, MA VIE PASSÉE. — MISÉRICORDE DE DIEU[3]
[3] Cette médiation qui est, croyons-nous, dans ce volume, le seul fragment non inédit, a déjà été publiée dans la biographie de Charles de Foucauld. Nous avons cru devoir la reproduire ici, parce qu’elle fait partie intégrante de cette Retraite à Nazareth.
Mon Seigneur Jésus, faites mes pensées, faites mes paroles. Si, dans les méditations précédentes j’étais impuissant, combien plus dans celle-ci !… Ce n’est pas la matière qui manque…, au contraire, elle m’écrase ! Y en a-t-il, mon Dieu, des miséricordes ! Miséricordes d’hier, d’aujourd’hui, de tous les instants de ma vie, d’avant ma naissance, et d’avant les temps ! J’y suis noyé, j’en suis inondé, elles me couvrent et m’enveloppent de toute part… Ah ! mon Dieu, nous avons tous à chanter Vos miséricordes, nous tous, créés pour la gloire éternelle et rachetés par le sang de Jésus, par Votre Sang, mon Seigneur Jésus qui êtes à côté de moi, dans ce tabernacle ; mais si tous nous le devons, combien moi ! moi qui ai été, dès mon enfance, entouré de tant de grâces, fils d’une sainte mère, ayant appris d’elle à Vous connaître, à Vous aimer et à Vous prier aussitôt que j’ai pu comprendre une parole ! Mon premier souvenir n’est-il pas la prière qu’elle me faisait réciter matin et soir : « Mon Dieu, bénissez papa, maman, grand-papa, grand’maman, grand’maman Foucauld et petite sœur ? » Et cette pieuse éducation !… ces visites aux églises… ces bouquets au pied des croix, une crèche à Noël, un mois de Marie, un petit autel dans ma chambre, gardé tant que j’ai eu une chambre à moi dans ma famille, et qui a survécu à ma foi ! les catéchismes, les premières confessions surveillées par un grand-père chrétien…, ces exemples de piété reçus dans ma famille ;… je me vois allant à l’église avec mon père (que cela est loin !) avec mon grand-père ; je vois ma grand’mère, mes cousines, allant à la messe tous les jours… Et cette première Communion, après une longue et bonne préparation, entourée des grâces et des encouragements de toute une famille chrétienne, sous les yeux des êtres que je chérissais le plus au monde, afin que tout fût réuni en un jour, pour m’y faire goûter toutes les douceurs… Et puis ces catéchismes de persévérance, sous la direction d’un prêtre bon, pieux, intelligent, zélé ; mon grand-père m’encourageant toujours de la parole et de l’exemple dans la voie de la piété ; les âmes les plus pieuses et les plus belles de ma famille me comblant d’encouragements et de bonté, et Vous, mon Dieu, enracinant dans mon cœur cet attachement pour elles, si profondément que les orages de la suite n’ont pu l’arracher, et que Vous Vous en êtes servi plus tard pour me sauver, alors que j’étais comme mort et noyé dans le mal… Et puis lorsque, malgré tant de grâces, je commençais à m’écarter de Vous, avec quelle douceur Vous me rappeliez à Vous par la voix de mon grand-père, avec quelle miséricorde Vous m’empêchiez de tomber dans les derniers excès en conservant dans mon cœur ma tendresse pour lui !… Mais, malgré tout cela, hélas ! je m’éloignais, je m’éloignais de plus en plus de Vous, mon Seigneur et ma vie…, et aussi ma vie commençait à être une mort, ou plutôt c’était déjà une mort à Vos yeux… Et, dans cet état de mort, Vous me conserviez encore ; Vous conserviez dans mon âme les souvenirs du passé, l’estime du bien, l’attachement dormant comme un feu sous la cendre, mais existant toujours, à certaines belles et pieuses âmes, le respect de la religion catholique et des religieux ; toute foi avait disparu, mais le respect et l’estime étaient demeurés intacts… Vous me faisiez d’autres grâces, mon Dieu, Vous me conserviez le goût de l’étude, des lectures sérieuses, des belles choses, le dégoût du vice et de la laideur… Je faisais le mal, mais je ne l’approuvais ni ne l’aimais… Vous me faisiez sentir un vide douloureux, une tristesse, que je n’ai jamais éprouvée qu’alors ;… elle me revenait chaque soir, lorsque je me trouvais seul dans mon appartement… elle me tenait muet et accablé pendant ce qu’on appelle les fêtes : je les organisais, mais le moment venu je les passais dans un mutisme, un dégoût, un ennui infinis… Vous me donniez cette inquiétude vague d’une conscience mauvaise, qui, tout endormie qu’elle est, n’est pas tout à fait morte. Je n’ai jamais senti cette tristesse, ce malaise, cette inquiétude qu’alors. Mon Dieu, c’était donc un don de Vous… comme j’étais loin de m’en douter !… Que Vous êtes bon !… Et en même temps que Vous empêchiez mon âme, par cette invention de Votre amour de se noyer irrémédiablement, Vous gardiez mon corps : car si j’étais mort alors, j’aurais été en enfer… Les accidents de cheval miraculeusement évités, avortés ! Ces duels que Vous avez empêché d’avoir lieu ! Ces périls en expédition, que Vous avez tous écartés ! Ces dangers en voyage, si grands et si multipliés, dont Vous m’avez fait sortir comme par miracle ! Cette santé inaltérable dans les lieux les plus malsains, malgré de si grandes fatigues !… Oh ! mon Dieu, comme Vous aviez la main sur moi, et comme je la sentais peu ! Que Vous êtes bon ! Comme Vous m’avez gardé ! Comme Vous me couviez sous Vos ailes lorsque je ne croyais même pas à Votre existence ! Et pendant que Vous me gardiez ainsi, le temps passait, Vous jugiez que le moment approchait de me faire rentrer au bercail… Vous dénouâtes malgré moi toutes les liaisons mauvaises qui m’auraient tenu éloigné de Vous ;… Vous dénouâtes même tous les liens bons qui m’eussent empêché de rentrer dans le sein de cette famille, où Vous vouliez me faire trouver le salut, et qui m’auraient empêché d’être un jour tout à Vous… En même temps, Vous me donnâtes une vie d’études sérieuses, une vie obscure, une existence solitaire et pauvre… Mon cœur et mon esprit restaient loin de Vous, mais je vivais pourtant dans une atmosphère moins viciée ; ce n’était pas la lumière ni le bien, il s’en faut ;… mais ce n’était plus une fange aussi profonde, ni un mal aussi odieux… la place se déblayait peu à peu ;… l’eau du déluge couvrait encore la terre, mais elle baissait de plus en plus, et la pluie ne tombait plus… Vous aviez brisé les obstacles, assoupli l’âme, préparé la terre en brûlant les épines et les buissons… Par la force des choses, Vous m’obligeâtes à être chaste, et bientôt, m’ayant, à la fin de l’hiver 1886, ramené dans ma famille, à Paris, la chasteté me devint une douceur et un besoin du cœur. C’est Vous qui fîtes cela, mon Dieu, Vous seul ; je n’y étais pour rien, hélas ! Que Vous avez été bon ! de quelles tristes et coupables rechutes Vous m’avez miséricordieusement préservé ! Votre seule main a fait en cela le commencement, le milieu et la fin ! Que Vous êtes bon ! C’était nécessaire pour préparer mon âme à la vérité : le démon est trop maître d’une âme qui n’est pas chaste, pour y laisser entrer la vérité… Vous ne pouviez pas entrer, mon Dieu, dans une âme où le démon des passions immondes régnait en maître… Vous vouliez entrer dans la mienne, ô bon Pasteur, et Vous en avez chassé Vous-même Votre ennemi… et après l’avoir chassé par la force, malgré moi, voyant ma faiblesse et combien seul j’étais peu capable de garder mon âme pure, Vous avez établi pour la garder un bon gardien, si fort et si doux que non seulement il ne laissait pas la moindre entrée au démon de l’impureté, mais qu’il me faisait un besoin, une douceur, des délices de la chasteté… Mon Dieu, comment chanterai-je Vos miséricordes !… Et après avoir vidé mon âme de ses ordures et l’avoir confiée à Vos anges, Vous avez songé à y rentrer, mon Dieu, car après avoir reçu tant de grâces, elle ne Vous connaissait pas encore ! Vous agissiez continuellement en elle, sur elle, Vous la transformiez avec une puissance souveraine et une rapidité étonnante, et elle vous ignorait complètement… Vous lui inspirâtes alors des goûts de vertu, de vertu païenne, Vous me les laissâtes chercher dans les livres des philosophes païens, et je n’y trouvai que le vide, le dégoût… Vous me fîtes alors tomber sous les yeux quelques pages d’un livre chrétien, et vous m’en fîtes sentir la chaleur et la beauté…[4] Vous me fîtes entrevoir que je trouverais peut-être là, sinon la vérité (je ne croyais pas que les hommes pussent la connaître), du moins des enseignements de vertu, et Vous m’inspirâtes de chercher des leçons d’une vertu toute païenne dans des livres chrétiens… Vous me familiarisâtes ainsi avec les mystères de la religion… En même temps vous resserriez de plus en plus les liens qui m’unissaient à de belles âmes ; Vous m’aviez ramené dans cette famille, objet de l’attachement passionné de mes jeunes années, de mon enfance… Vous m’y faisiez retrouver, pour ces mêmes âmes, l’admiration d’autrefois, et à elles Vous inspiriez de me recevoir comme l’enfant prodigue à qui on ne faisait même pas sentir qu’il eût jamais abandonné le toit paternel, Vous leur donniez pour moi la même bonté que j’eusse pu attendre si je n’avais jamais failli… Je me serrai de plus en plus contre cette famille bien-aimée. J’y vivais dans un tel air de vertu que ma vie revenait à vue d’œil, c’était le printemps rendant la vie à la terre après l’hiver ;… c’est à ce doux soleil qu’avait crû ce désir du bien, ce dégoût du mal, cette impossibilité de retomber dans certaines fautes, cette recherche de la vertu… Vous aviez chassé le mal de mon cœur ; mon bon ange y avait repris sa place, et Vous lui aviez joint un ange terrestre… Au commencement d’octobre 1886, après six mois de vie de famille, j’admirais, je voulais la vertu, mais je ne Vous connaissais pas… Par quelles inventions, Dieu de bonté, Vous êtes-Vous fait connaître à moi ! De quels détours Vous êtes-Vous servi ? Par quels doux et forts moyens extérieurs ? Par quelle série de circonstances étonnantes, où tout s’est réuni pour me pousser à Vous : solitude inattendue, émotions, maladies d’êtres chéris, sentiments ardents du cœur, retour à Paris par suite d’un événement surprenant !… Et quelles grâces intérieures ! ce besoin de solitude, de recueillement, de pieuses lectures, ce besoin d’aller dans Vos églises, moi qui ne croyais pas en Vous, ce trouble de l’âme, cette angoisse, cette recherche de la vérité, cette prière : « Mon Dieu, si Vous existez, faites-le-moi connaître ! » Tout cela, c’était Votre œuvre, mon Dieu, Votre œuvre à Vous seul… Une belle âme Vous secondait, mais par son silence, sa douceur, sa bonté, sa perfection ; elle se laissait voir, elle était bonne et répandait son parfum attirant, mais elle n’agissait pas ! Vous, mon Jésus, mon Sauveur, Vous faisiez tout au dedans comme au dehors ! Vous m’aviez attiré à la vertu par la beauté d’une âme en qui la vertu m’avait paru si belle, qu’elle avait irrévocablement ravi mon cœur… Vous m’attirâtes à la vérité, par la beauté de cette même âme. Vous me fîtes alors quatre grâces : la première fut de m’inspirer cette pensée : puisque cette âme est si intelligente, la religion qu’elle croit si fermement ne saurait être une folie comme je le pense. La deuxième fut de m’inspirer cette autre pensée : puisque la religion n’est pas une folie, peut-être la vérité, qui n’est sur la terre dans aucune autre, ni dans aucun système philosophique, est-elle là ? La troisième fut de me dire : étudions donc cette religion : prenons un professeur de religion catholique, un prêtre instruit, et voyons ce qu’il en est, et s’il faut croire ce qu’elle dit. La quatrième fut la grâce incomparable de m’adresser, pour avoir ces leçons de religion, à M. Huvelin[5]. En me faisant entrer dans son confessionnal, un des derniers jours d’octobre, entre le 27 et le 30, je pense, Vous m’avez donné tous les biens, mon Dieu : s’il y a de la joie dans le ciel à la vue d’un pécheur se convertissant, il y en a eu quand je suis entré dans ce confessionnal !… Quel jour béni, quel jour de bénédiction !… Et depuis ce jour, toute ma vie n’a été qu’un enchaînement de bénédictions ! Vous m’avez mis sous les ailes de ce saint, et j’y suis resté. Vous m’avez porté par ses mains, et ce n’a été que grâces sur grâces. Je demandais des leçons de religion : il me fit mettre à genoux et me fit me confesser, et m’envoya communier séance tenante… Je ne puis m’empêcher de pleurer en y pensant, et ne veux pas empêcher ces larmes de couler, elles sont trop justes, mon Dieu ! Quels ruisseaux de larmes devraient couler de mes yeux, au souvenir de telles miséricordes ! Que Vous avez été bon ! que je suis heureux ! Qu’ai-je fait pour cela ? Et depuis, mon Dieu, ce n’a été qu’un enchaînement de grâces toujours croissantes…, une marée montant, montant toujours : la direction, et quelle direction ! la prière, la sainte lecture, l’assistance quotidienne à la messe établies dès le premier jour de ma vie nouvelle ; la fréquente communion, la fréquente confession venant au bout de quelques semaines ; la direction devenant de plus en plus intime, fréquente, enveloppant toute ma vie et en faisant une vie d’obéissance dans les moindres choses, et d’obéissance à quel maître ! La Communion devenant presque quotidienne…, le désir de la vie religieuse naissant, s’affermissant…, des événements extérieurs indépendants de ma volonté me forçant de me détacher de choses matérielles qui avaient pour moi beaucoup de charmes et qui auraient retenu mon âme, l’auraient attachée à la terre ! Vous avez brisé violemment ces liens comme tant d’autres ! Que Vous êtes bon, mon Dieu, d’avoir tout brisé autour de moi, d’avoir tellement anéanti tout ce qui m’aurait empêché d’être à Vous seul !… Ce sentiment d’autant plus profond de la vanité, de la fausseté de la vie mondaine et de la grande distance qui existe entre la vie parfaite, évangélique, et celle qu’on mène dans le monde… Ce tendre et croissant amour pour Vous, mon Seigneur Jésus, ce goût de la prière, cette foi en Votre parole, ce sentiment profond du devoir de l’aumône, ce désir de Vous imiter, cette parole de M. Huvelin dans un sermon : que « Vous aviez tellement pris la dernière place que jamais personne n’avait pu Vous la ravir ! » si inviolablement gravée dans mon âme, cette soif de Vous faire le plus grand sacrifice qu’il me fût possible de Vous faire, en quittant pour toujours une famille qui faisait tout mon bonheur, et en allant bien loin d’elle vivre et mourir !… cette recherche d’une vie conforme à la Vôtre, où je puisse partager complètement Votre abjection, Votre pauvreté, Votre humble labeur, Votre ensevelissement, Votre obscurité, recherche si nettement dessinée dans une dernière retraite à Clamart… Le 15 janvier 1890, ce sacrifice s’effectuant et cette grande grâce m’étant donnée de Votre main… La Trappe…, la Communion quotidienne…, ce que j’ai appris pendant sept ans de vie religieuse…, les grâces de Notre-Dame-des-Neiges…, la théologie, la philosophie, les lectures, la vocation exceptionnelle à une vie d’abjection et d’obscurité. Après trois ans et demi d’attente, le révérendissime général me déclare, le 23 janvier 1897, que la volonté de Dieu est que je suive cet attrait qui me pousse, hors de l’ordre de la Trappe, vers la vie d’abjection, d’humble travail, d’obscurité profonde, dont j’ai la vision depuis si longtemps… Mon départ pour la Terre sainte…, le pèlerinage, l’arrivée à Nazareth ;… le premier mercredi que j’y passe, Vous me faites entrer, mon Dieu, par l’intercession de saint Joseph, comme valet au couvent de Sainte-Claire… Paix, bonheur, consolations, grâces, félicité merveilleuse que j’y éprouve… Misericordias Domini, in æternum cantabo… Venite et videte, quoniam suavis est Dominus… Il n’y a qu’à défaillir, mon Dieu, devant de telles miséricordes ; à supplier la sainte Vierge et les saints et toutes les pieuses âmes de remercier pour moi, car je succombe sous les grâces… Oh ! mon Époux, que n’avez-Vous pas fait pour moi ! Que voulez-Vous donc de moi pour m’avoir comblé ainsi ? Qu’attendez-Vous de moi pour m’avoir accablé ainsi ? Mon Dieu, remerciez-Vous en moi, faites Vous-même en moi la reconnaissance, le remerciement, la fidélité, l’amour ; je succombe, je défaille, mon Dieu ; faites mes pensées, mes paroles et mes œuvres, afin que tout Vous remercie et Vous glorifie en moi. Amen, amen, amen. »
[4] Nous croyons qu’il s’agit des Élévations sur les mystères, de Bossuet.
[5] M. l’abbé Huvelin, ancien élève de l’École normale Supérieure, devenu prêtre, et qui a laissé, dans Paris, le souvenir d’une âme très sainte.
MON AVENIR SUR LA TERRE, MA MORT
LE JUGEMENT, LE CIEL OU L’ENFER
Pardon et « misericordias Domini in æternum cantabo » ! Voilà mon passé et mon présent… Quel sera mon avenir ? Sera-t-il long ou court sur la terre ? Consolé ou douloureux ? Saint, comme je le désire tant, plein de péchés comme je Vous supplie de m’en préserver ? Nul ne le sait… Il sera ce que Vous voudrez, mon Dieu… Je Vous supplie seulement qu’il ne soit pas employé à Vous offenser : Vous ne le voulez pas, Vous nous avez ordonné, à tous, d’être parfaits, et moi, Vous m’avez comblé de grâces incomparables en me disant : « A celui à qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup demandé »… Donc, quel que soit mon avenir, long ou d’un jour, consolé ou douloureux, Votre volonté est qu’il soit saint… Que ferai-je pour cela ?…
« Suis-Moi, Moi seul… Ne viens pas à Béthanie pour Me voir et aussi pour voir Lazare, viens-y pour Me voir, Moi, Moi seul… Demande-Moi ce que je faisais, scrute les Écritures, regarde aussi les saints, non pour les suivre, eux, mais pour voir comment ils m’ont suivi, et prendre de chacun d’eux ce que tu penseras venir de Moi, être de Moi, à mon imitation… et suis-Moi, Moi, Moi seul… Regarde-toi comme dans la maison de Nazareth… Tu t’es donné à Moi. Je te conduirai comme il le faudra pour ma plus grande gloire, pour la plus grande consolation de mon Cœur, puisque tu ne veux et que tu ne demandes que cela.
— Oh ! oui, oh ! oui ! Mon Seigneur et mon Dieu, je ne veux et ne demande que cela ! Faites-le, en Vous, par Vous et pour Vous ! Amen, amen…
— Cette vie sera suivie de la mort : tu voudrais celle du martyre… tu sais que tu es lâche… mais tu sais que tu peux tout en Celui qui te fortifie, que je suis tout-puissant en mes créatures… Demande-le matin et soir, tout en mettant cette condition que ce soit ma volonté, mon plus grand bien, ma plus grande consolation, laquelle tu veux et tu demandes avant tout… et aie confiance : je ferai ce que tu demandes, ce qui me glorifie le plus… Mais, demander cela, c’est bien, car « c’est la marque du plus grand amour de donner sa vie pour ce qu’on aime », et il est parfaitement juste que tu désires me donner la marque « du plus grand amour ».
Ton éternité, ton jugement, que seront-ils ? Ils seront ce qu’aura été ta vie… Si tu t’es renoncé, si tu as porté ta croix et que tu m’as suivi, si, comprenant les grâces, les miséricordes merveilleuses dont je t’ai comblé, tu as fait fructifier tous ces talents que je t’ai confiés ; si tu es fidèle à ta belle vocation, si tu obéis à ton directeur, si tu es reconnaissant, fidèle, aimant, humble et doux, ton jugement sera consolant, ton éternité bienheureuse… Si tu te laisses aller à ta lâcheté, à ta sensualité, à ta paresse, à ta timidité, à ton égoïsme, à ton mensonge, à toutes les mauvaises passions que le diable saurait bien vite rallumer en toi ; si tu cessais un instant de veiller et si ma main ne te soutenait pas si paternellement, ton jugement et ton éternité seraient d’autant plus terribles que tu aurais abusé de plus de grâces… Si l’enfant prodigue se révoltait contre son père et l’offensait odieusement, après avoir été reçu de lui comme il l’a été, ne serait-ce pas odieux ? Ta conduite le serait mille et mille fois plus, toi qui, depuis onze ans, reçois presque chaque jour mon corps et mon âme, mon humanité et ma divinité en nourriture, sur ta langue, dans ton corps… Donc « Veillez et priez… car l’esprit est prompt et la chair est faible. »
MOI, MA VIE PRÉSENTE. EXAMEN DES VERTUS
FOI
En tout, avoir en vue Dieu seul. Dieu est notre Créateur, nous sommes Sa chose, nous devons fructifier pour Lui, comme l’arbre pour son maître… Dieu est l’Être infiniment aimable, nous devons L’aimer de toute l’étendue de notre âme, et, par conséquent, Le regarder sans cesse, L’avoir sans cesse en vue et faire tout ce que nous faisons pour Lui, comme quand on aime, on fait tout en vue de l’être aimé… Nous tenons tout de Dieu : l’être, la conservation, le corps, l’esprit ; ayant tout reçu de Lui, il est juste que nous Lui rendions tout. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Ce qui est à Dieu, c’est tout notre être et tous nos instants, tous les battements de notre cœur, car tout vient de Lui et n’est que par Lui.
Vous n’avez pas pu avoir la foi, mon Seigneur Jésus, puisque Vous aviez la claire vision de tout… Mais Vous nous l’avez ordonnée et ordonnée sans cesse par Vos paroles…
La foi, c’est ce qui fait que nous croyons, du fond de l’âme, tous les dogmes de la religion, toutes les vérités que la religion nous enseigne, le contenu de la Sainte Écriture par conséquent et tous les enseignements de l’Évangile, tout ce qui nous est proposé par l’Église enfin… Le juste vit vraiment de cette foi, car elle remplace, pour lui, la plupart des sens de la nature : elle transforme tellement toutes choses qu’à peine les anciens sens peuvent-ils servir à l’âme qui ne perçoit par eux que de trompeuses apparences ; la foi lui montre les réalités. L’œil lui montre un pauvre, la foi lui montre Jésus. L’oreille lui fait entendre des injures et des persécutions, la foi lui chante : « Réjouissez-vous et jubilez de joie. » Le toucher nous fait sentir des coups de pierre reçus, la foi nous dit : « Soyez dans une grande joie d’avoir été jugés dignes de souffrir quelque chose pour le nom du Christ ! » Le goût nous fait sentir un peu de pain sans levain, la foi nous montre le Sauveur Jésus, homme et Dieu, corps et âme. L’odorat nous fait sentir l’encens, la foi nous dit que le véritable encens « est les jeûnes des Saints »… Les sens nous séduisent par les beautés créées, la foi pense à la Beauté incréée, et prend en pitié toutes les créatures qui sont un néant et une poussière à côté de cette beauté-là… Les sens ont horreur de la douleur, la foi la bénit comme la couronne de mariage qui l’unit à son Bien-Aimé… Les sens se révoltent contre l’injure, la foi la bénit : « Bénissez ceux qui vous maudissent » ; elle la trouve méritée, car elle pense à ses péchés, elle la trouve douce, car c’est partager le sort de Jésus. Les sens sont curieux, la foi ne veut rien connaître, elle a soif de s’ensevelir et voudrait passer toute sa vie immobile au pied du Tabernacle… Les sens aiment la richesse et l’honneur, la foi les a en horreur : « Toute élévation est en abomination devant Dieu »… « Bienheureux les pauvres », et elle adore la pauvreté et l’abjection dont Jésus se couvrit toute Sa vie comme d’un vêtement qui fut inséparable de Lui… Les sens ont horreur de la souffrance, la foi les bénit comme un don de la main de Jésus, une part de Sa croix qu’Il daigne nous donner à porter… Les sens s’effraient de ce qu’ils appellent des dangers, de ce qui peut amener la douleur, ou la mort ; la foi ne s’effraie de rien, elle sait qu’il ne lui arrivera que ce que Dieu voudra : « Tous les cheveux de votre tête sont comptés », et que ce que Dieu voudra sera toujours pour son bien : « Tout ce qui arrive est pour le bien des élus »… Ainsi, quoi qu’il puisse arriver, peine ou joie, santé ou maladie, vie ou mort, elle est contente d’avance et n’a peur de rien… Les sens sont inquiets du lendemain, se demandent comment on vivra demain, la foi est sans nulle inquiétude. « Ne soyez pas inquiets, dit Jésus, voyez les fleurs des champs, voyez les oiseaux, je les nourris et les habille… vous valez beaucoup mieux qu’eux… cherchez Dieu et sa justice et tout vous sera donné par surcroît »…
Les sens s’attachent à garder la présence de la famille, la possession des biens ; la foi se hâte de quitter l’un et l’autre : « Celui qui aura quitté pour Moi un père, une mère, une maison, un champ, recevra le centuple en ce monde, et en l’autre la vie éternelle. »
Ainsi, la foi éclaire tout d’une lumière nouvelle, autre que la lumière des sens, ou plus brillante, ou différente… Ainsi, celui qui vit de foi a l’âme pleine de pensées nouvelles, de goûts nouveaux, de jugements nouveaux ; ce sont des horizons nouveaux qui s’ouvrent devant lui, horizons merveilleux qui sont éclairés d’une lumière céleste et beaux de la beauté divine… Enveloppé de ces vérités toutes nouvelles, dont le monde ne se doute pas, il commence nécessairement une vie toute nouvelle, opposée au monde à qui ses actes semblent une folie… Le monde est dans les ténèbres, dans une nuit profonde, l’homme de foi est en pleine lumière…
ESPÉRANCE
Mon Dieu, parlez-moi de l’espérance !… Comment de cette pauvre terre pourraient sortir des pensées d’espérance ? Ne faut-il pas qu’elles viennent du ciel ?… Tout ce que nous voyons, tout ce que nous sentons, tout ce que nous sommes, nous prouve notre néant ; comment pouvons-nous savoir que nous sommes créés pour être frères et co-héritiers de Jésus, Vos enfants, si Vous ne nous le dites ?… Mère du Bel Amour, de la Sainte Espérance, priez pour moi votre Fils Jésus, et inspirez-moi ce que je dois penser…
L’espérance d’être un jour au ciel, à Vos pieds, mon Seigneur, en compagnie de la Sainte Vierge et des saints, Vous voyant, Vous aimant, Vous possédant pour l’éternité, sans que jamais rien ne puisse me séparer un seul instant de Vous, mon Bien et mon Tout, quelle vision ! oh ! oui, c’est bien la vision de paix, la vision de paix céleste ! Cette espérance qui nous transporte tellement au-dessus de nous-mêmes, qui est tellement au-dessus de tous nos rêves, non seulement Vous nous permettez de l’avoir, mais Vous nous en faites une obligation ! Pouviez-Vous nous faire un commandement plus doux ! Mon Dieu que Vous êtes bon ! On représente l’espérance par une ancre : oui, quelle ancre solide ! Si mauvais que je sois, si grand pécheur que je sois, je dois espérer que j’irai au ciel, Vous me défendez de désespérer… Si ingrat, si tiède, si lâche que je sois, quelque abus que je fasse de Vos grâces, mon Dieu, Vous me faites un devoir d’espérer vivre éternellement à Vos pieds, dans l’amour et la sainteté !… Vous me défendez de me décourager jamais à la vue de mes misères, de me dire : « Je ne puis plus avancer, le chemin du ciel est trop raide, il faut que je recule et que je roule jusqu’en bas. » Vous me défendez de me dire, à la vue de mes fautes toujours renouvelées, dont je Vous demande chaque jour pardon et dans lesquelles je retombe sans cesse : « Je ne pourrai jamais me corriger ; la sainteté n’est pas faite pour moi ; qu’y a-t-il de commun entre le ciel et moi ?… je suis trop indigne pour y entrer »… Vous me défendez de me dire, à la vue des grâces infinies dont Vous m’avez comblé et de l’indignité de ma vie présente : « J’ai abusé de trop de grâces ; je devrais être un saint et je suis un pécheur ; je ne puis pas me corriger, c’est trop difficile ; je ne suis que misère et orgueil ; après tout ce que Dieu fait, il n’y a rien de bon en moi : jamais je n’irai au Ciel. » Vous voulez que j’espère, malgré tout, que j’espère toujours avoir assez de grâces pour me convertir et parvenir à la gloire… Le ciel et moi, cette perfection et ma misère, qu’y a-t-il de commun entre eux ? Il y a Votre Cœur, mon Seigneur Jésus, Votre Cœur qui fait la liaison de ces deux choses si dissemblables… l’amour du Père qui a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique… Je dois toujours espérer parce que Vous me l’ordonnez et parce que je dois toujours croire en Votre amour que Vous m’avez tant promis et en Votre puissance… Oui, en considérant ce que Vous avez fait pour moi, je dois avoir une telle confiance en Votre amour, que quelque ingrat et indigne que je me sente, j’espère toujours en lui, je compte toujours sur lui, je suis toujours convaincu que Vous êtes prêt à me recevoir comme le père de l’enfant prodigue, et plus même ; que Vous ne cessez de m’appeler, de m’inviter et de me donner les moyens de venir à Vos pieds…
COURAGE
Mon Seigneur Jésus, il faut que Vous me parliez du courage et que Vous me le donniez surtout, car, Vous le savez, c’est peut-être ce qui me manque le plus, bien qu’il me manque tant de choses… Ce matin encore, j’en ai manqué trois fois : deux fois je me suis éveillé sans me lever, pardon, pardon ! et à la sonnerie de la cloche de l’Angelus, je ne suis pas sorti tout de suite de peur de la pluie… pardon !… Comme si ce n’était pas une grâce mille fois bénie de m’éveiller plus tôt pour être plus tôt en tête-à-tête avec Vous, pour me mettre plus tôt à Vos pieds, à Vos genoux, la tête dans Vos mains à Vous dire que je Vous aime… comme si le réveil, n’était pas Votre appel…, comme si, au réveil, ne brillaient pas devant mon âme, en lettres étincelantes, ces mots : « Il est l’heure d’aimer Dieu ! »…
… « Il te faut du courage contre les hommes, contre leurs menaces et leurs séductions, contre les persécutions, contre les douceurs, contre les méchants, et avec les bons et avec les saints, pour supporter les mauvais traitements et ne pas te laisser amollir par les bons, pour être en tout, avec tous, ce que je veux que tu sois, pour recevoir les railleries, les contradictions, les coups, les blessures et la mort comme mon soldat fidèle, pour résister à l’affection, à la tendresse, à l’amour, aux bonnes paroles, aux bonnes grâces, aux louanges, aux dons les plus délicats, pour ne pas craindre ta peine ni celle des autres, mais uniquement la mienne… Il te faut du courage contre le démon : contre les terreurs, les troubles, les tentations, les séductions, les ténèbres, les fausses lumières, les épouvantes, les tristesses, les dissipations, les chimères, les fausses prudences, les peurs surtout (car c’est son arme habituelle, surtout avec toi qui es timide, inconstant), par lesquelles il cherchera à t’arracher à Moi…
HUMILITÉ
« Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur », avez-Vous dit, mon Dieu…, et comme Vous nous en avez donné l’exemple !… Vous Dieu, Vous Vous faites homme ! Homme, Vous Vous faites le dernier de tous, un petit ouvrier de ce petit Nazareth où j’ai le bonheur d’être, et, lorsque Vous passâtes de la vie cachée à la vie publique, quelle humilité dans Vos paroles et dans Vos actes, dans Vos enseignements et dans Vos exemples… Quand Vous faites des miracles, Vous recommandez de n’en rien dire… Quand Vous laissez voir à Vos apôtres Votre gloire, Vous leur recommandez le silence jusqu’à Votre résurrection… On Vous appelle chez un malade, Vous y allez aussitôt ; on Vous demande une chose, Vous la faites ; on Vous persécute, Vous fuyez ; en rien Vous ne Vous montrez Dieu, Roi, Tout-Puissant ; on Vous interpelle grossièrement, Vous répondez doucement ; on Vous chasse, Vous partez sans répliquer ; on Vous refuse l’hospitalité, Vous passez outre…; partout, Vous vous faites petit… Et dans Vos enseignements : « Malheur aux riches, il leur est plus difficile d’entrer au ciel qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille !… Le Fils de l’homme est doux et humble de cœur… Si vous ne vous faites petits enfants, vous n’entrerez pas au royaume des cieux… Ceux qui s’élèvent seront humiliés, ceux qui s’humilient seront élevés… Toute élévation est en abomination devant Dieu… Ne vous faites pas appeler Maîtres… Prenez les dernières places… Celui-là sera le plus grand parmi vous qui se fera le plus petit et qui sera le serviteur de tous les autres… Je me tiens parmi vous comme celui qui sert… Je vous lave les pieds pour que vous vous fassiez de même les uns aux autres… Si on vous donne un soufflet sur une joue, tendez l’autre… Si on veut vous prendre injustement votre manteau, donnez encore la tunique… Ne résistez pas au mal… Je ne cherche pas la gloire des hommes… » Mon Dieu, qui avez toujours tellement enseigné l’humilité par Vos paroles et par Vos exemples, que Vous en avez fait un de Vos caractères les plus propres…, Vous qui, pourtant, étiez si grand, apprenez-moi à être humble, à moi qui suis si petit !… Pour Vous, l’humilité, c’était un exemple donné aux hommes, et Vous voyiez si bien la différence qu’il y a de Créateur à créatures, que Vous vouliez que Votre nature humaine rendît, quoiqu’elle ne fît qu’une seule Personne avec Votre nature divine, l’hommage d’une humilité infinie à la divinité dont Vous voyiez si clairement, dont Vous compreniez parfaitement, sans ombre, la grandeur sans limite… Mais, si Vous avez voulu être humble, combien dois-je l’être, moi pour qui, comme l’a dit si bien saint Augustin : « l’humilité, c’est la vérité. » Oui, me voir comme un néant, comme un ver de terre, comme pire qu’un démon par certains côtés, — pas de toutes manières, mais d’une certaine manière, par la multiplicité d’abus de Votre grâce, par le nombre de fois que je Vous ai offensé après que Vous m’avez pardonné. — Comme, pour moi, cette humilité est la vérité !… me défier de moi, moi qui tombe chaque jour, à toute heure… avoir de bas sentiments de moi qui suis si misérable, que je regarde mon passé ou mon présent, moi qui suis pauvre ;… de bas sentiments de mon esprit, moi qui me suis trompé si souvent !… de bas sentiments de ma vertu, que je vois faillir tous les jours et succomber si facilement devant de si petites tentations !
Humble en pensées, en me connaissant moi-même et regardant mes misères passées et présentes, les défauts que j’ai, les vertus que je n’ai pas ; les infirmités que j’ai, les dons naturels que je n’ai pas ;… en étant humble de désirs, en n’ayant aucune ambition, aucun désir de l’estime des hommes, mais, au contraire, le désir qu’ils soient dans la vérité, qu’ils m’estiment à ma valeur c’est-à-dire comme un ver de terre et un néant, une sorte de fou orgueilleux, lâche, bête et ingrat ;… ne me laissant aller à aucune rêverie (c’est du temps perdu), mais surtout à aucune de ces rêveries mauvaises, pleines de vanité, d’esprit mondain, d’orgueil et d’un mauvais levain d’ambition et d’élévation ;… étant défiant de moi, de mon jugement, de ma vertu, de mon courage ;… en attribuant à Dieu seul tout le bien qui peut être en moi, et à moi seul tout le mal que je fais…
Humble en paroles, en parlant peu, en ne disant point de bien de moi, en ne révélant pas, à moins de grande nécessité, le bien que Dieu fait en moi ; en ne disant rien qui puisse donner bonne opinion de moi aux autres, à moins de grande nécessité ; en cachant tout ce qui peut donner bonne opinion de moi aux autres, les dons naturels et surnaturels (encore que tous ne viennent nullement de moi, mais de Dieu seul) ; cacher le bien que je fais, si Dieu en fait par moi. « Que ta main gauche ignore ce qu’a donné la droite. » « Quand tu jeûnes, parfume tes cheveux. » « Quand tu pries, ferme les portes, et que Dieu seul te voie. »… Parler humblement, doucement, ne pas répondre hautainement à des paroles hautaines, être humble et doux avec les petits et avec les grands, devant les reproches et les louanges, devant les bienfaits et les injures, les propositions flatteuses et les menaces, humble dans toutes les paroles de la vie et humble devant la mort.
Humble en actions, ne croyant aucune action au-dessous de nous, puisque Jésus a été trente ans, Joseph toute sa vie, charpentier : devant cet exemple, regarder au contraire toute occupation comme encore trop haute pour nous ;… embrassons avec amour, avec empressement, toute occasion de nous humilier, tout abaissement en imitation de l’abaissement de Jésus, et parce que si nos péchés étaient connus des hommes, rien ne leur paraîtrait assez vil pour nous ;… fuyons toute occupation, toute position élevée, parce que Jésus fut petit et méprisé, et n’acceptons une élévation, quelle qu’elle soit, que si l’obéissance nous y contraint, si nous voyons que c’est un devoir, la volonté certaine de Dieu…
PRIÈRE
Mon Seigneur Jésus… prier, c’est Vous regarder, et puisque Vous êtes toujours là, puis-je, si je Vous aime vraiment, ne pas Vous regarder sans cesse ? Celui qui aime et qui est en face du Bien-Aimé peut-il faire autrement que d’avoir les regards attachés sur Lui ?… « Apprenez-nous à prier, » comme disaient les Apôtres !… Oh ! mon Dieu, le lieu et le temps sont bien choisis : je suis dans ma petite chambre, il fait nuit, tout dort, on n’entend que la pluie et le vent, et quelques coqs lointains qui rappellent, hélas ! la nuit de Votre Passion… Enseignez-moi à prier, mon Dieu, dans cette solitude, dans ce recueillement…
— Oui, mon enfant, il faut prier sans cesse, prie en faisant tout ce que tu fais : lisant, travaillant, marchant, mangeant, parlant, il faut toujours m’avoir devant les yeux, me regarder sans cesse, et me parler plus ou moins, suivant que tu le peux, mais me regardant toujours.
L’oraison est l’entretien familier de l’âme avec Dieu ; l’oraison ne contient que cela ; l’oraison ne renferme ni méditation proprement dite, ni prières vocales, mais elle accompagne, dans un degré plus grand ou moindre, l’une et l’autre. — La méditation, c’est la réflexion attentive sur quelque vérité ou quelque devoir que l’esprit cherche à approfondir aux pieds de Dieu. La méditation est toujours plus ou moins mélangée d’oraison, car il faut nécessairement appeler Dieu à son aide de temps en temps pour connaître ce qu’on cherche ; et aussi pour jouir de Sa présence et ne pas rester longtemps si près de Lui sans Lui dire aucune parole de tendresse…
— Tes prières vocales, office canonial, rosaire, chemin de croix me plaisent, m’honorent, j’approuve que tu les dises, elles sont un petit bouquet que tu m’offres, un très beau et très divin cadeau, quoique tu sois très petit…
« Tu es un tout petit enfant, mais, dans ma bonté, je te permets de cueillir, dans mon merveilleux jardin, les plus belles roses pour me les offrir, de sorte que, tout petit que tu es, en une demi-heure ou trois quarts d’heure, et surtout en un peu plus, tu me fais un merveilleux bouquet…, tu me comprends ?… Et ce bouquet me plaît de tes mains, mon chéri, mon bon chéri, parce que, bien que tu sois tout petit et plein de défauts, tu es mon enfant et, par conséquent, je t’aime ; je t’ai créé pour le ciel ; mon Fils unique t’a racheté de Son sang, t’a fait encore plus mon enfant, t’a adopté pour frère ; je t’aime, et puis, enfin, tu as écouté Sa voix et tu peux te dire ce que j’ai dit moi-même : « Si je t’ai tant aimé quand tu ne me connaissais pas, à plus forte raison, maintenant que, tout pauvre et pécheur que tu es, tu désires me plaire. » Tu le vois, bien que je sois bien grand, et toi bien petit ; bien beau, et toi bien laid ; bien riche et toi bien pauvre ; bien sage et toi bien ignorant, cependant je tiens à ton bouquet quotidien, à tes roses du matin et du soir ; j’y tiens parce que ces roses que je te permets de cueillir dans mon jardin sont belles, et j’y tiens parce que je t’aime, tout petit et tout mauvais que tu es, mon petit enfant.
— Merci, merci, mon Dieu ! que Vos paroles sont douces et qu’elles sont claires, et comme je vois bien ce que je n’avais pas vu du tout !… Merci, merci, mon Dieu ! comme Vous êtes bon !… »
CHASTETÉ
« Mon Seigneur Jésus, dites-moi ce qu’il faut que je pense de cette divine vertu… Combien j’ai besoin de l’apprendre de Vous ! moi si misérable, si dans la terre, si dans la boue, comme il faut que ce soit Vous qui m’éclairiez pour que je comprenne quelque chose de la beauté de cette vertu céleste !
— Mon enfant, j’ai été vierge, j’ai choisi une Mère, un père nourricier, un précurseur, un disciple de prédilection, vierges ; j’ai voulu que, dans ma religion, tous les prêtres, toutes les âmes qui m’étaient consacrés vécussent dans la chasteté… Les vierges ont au ciel une auréole particulière ;… il est bien peu de saints qui, à partir d’un moment de leur vie, sinon toujours, n’aient vécu dans la chasteté…
Pour qui m’aime vraiment, m’aime passionnément, mon amour est un lien sacré, un mariage, et toute pensée, toute parole, toute action contraires à la chasteté est une infidélité à l’Époux… La virginité, la chasteté ne sont donc pas l’état d’une âme qui n’est pas mariée ; c’est, au contraire, l’état d’une âme mariée à un Époux Bien-Aimé, à l’Époux parfait, parfaitement beau, saint, aimable…
« Venez et voyez combien le Seigneur est suave… » Quand on a entrevu cela, combien le Seigneur est suave, comment peut-on faire autrement que de désirer passionnément passer sa vie à Le contempler, à L’adorer dans la pratique de toutes Ses volontés, loin des vanités du monde. Non, tout notre temps est pris, nous avons entrevu le Roi des rois, Il a séduit pour jamais nos cœurs, nous L’aimons, nous ne voulons pas d’amour terrestre, nous avons un Bien-Aimé, il n’y a pas en nous place pour deux… Nous avons entrevu le ciel, nous sommes morts au siècle… Nous voulons être à Dieu seul ; Il suffit à nos cœurs ; ce sont nos cœurs qui ne suffisent pas à Lui rendre tout l’amour et l’adoration qu’Il mérite… Nous ne voulons pas être divisés : nous voulons être tout à Lui… nous aimerons les autres hommes en vue de Lui, à Ses pieds, comme des frères, mais nous serons à Lui seul, tout à Lui, tout à Lui… « N’est-ce donc rien, mes filles, que d’être tout à Dieu ? » disait Sainte Thérèse… — Nous sommes épouses, vraiment mariées… épouses par cela même que nous désirons l’être et que nous Lui promettons d’être toujours tout à Lui… Comme Il est humble et doux, Lui, le Roi du ciel, d’accepter ainsi pour Ses épouses toutes ces pauvres petites âmes qui s’offrent à Lui… Il est difficile parfois de trouver un fiancé sur la terre, et, pourtant, c’est si peu de chose, c’est si infime, si cendre et poussière, un fiancé terrestre ; c’est si néant, si rien de rien !… Mais Lui, le Roi du Ciel, on peut L’avoir pour fiancé quand on veut… Il accepte toute âme… la plus pauvre, la plus dédaignée, la plus coupable, la plus souillée, tout ce qui s’offre à Lui d’un cœur sincère… Il les accepte toutes et se donne à toutes… Mon Dieu que Vous êtes bon !…
C’est la foi qui fait la vie de l’épouse du Christ… elle est dans la lumière ; elle sait, elle voit… Elle voit qu’elle est l’épouse de Jésus, que son sort est divin, qu’elle est bienheureuse, que sa vie doit être un perpétuel Magnificat, et que son bonheur est incompréhensible…
[Notre Seigneur :] « Et tu sens à quel degré, avec quelle jalousie il faut te garder de la moindre, de la plus petite, de la plus imperceptible pensée contraire à la chasteté la plus délicate et, à plus forte raison, de toute parole ou action, puisqu’il s’agit de l’essence même de la fidélité que tu dois à ton Bien-Aimé, à cet Époux que tu aimes passionnément, qui, Lui aussi, t’aime passionnément, comme Il te l’a prouvé en mourant pour toi, en te faisant tant de grâces et, enfin, en t’acceptant pour être Sa fiancée, Son épouse, dans le temps et dans l’Éternité, dans les clartés rayonnantes de la foi, et dans l’infini bonheur de la gloire. »
Résolutions. — Remercier souvent mon divin Époux de la grâce infinie qu’Il m’a faite en m’éclairant des lumières de la foi, et en me faisant voir ce que c’est que d’être épouse du Roi du ciel… Le remercier à l’infini, très souvent, de m’avoir appelée et reçue pour être Son épouse, Lui si grand, moi si petite… Me garder, avec jalousie infinie, de toute faute si imperceptible qu’elle soit, en pensées, paroles ou actions contre la chasteté, parce que ce sont des fautes directes contre la fidélité que je dois à mon Époux, et l’horreur que je dois avoir de telles fautes est en raison directe de l’amour que j’ai pour mon Époux…
PAUVRETÉ
O mon Seigneur Jésus, voici donc cette divine pauvreté ! Comme il faut que ce soit Vous qui m’en instruisiez ! Vous l’avez tant aimée ! Dès l’Ancien Testament, Vous avez montré pour elle toutes Vos complaisances… Dans votre vie mortelle, Vous avez fait d’elle Votre compagne fidèle… Vous l’avez laissée en héritage à Vos saints, à tous ceux qui veulent Vous suivre, à tous ceux qui veulent être Vos disciples… Vous l’avez enseignée par les exemples de toute Votre vie, Vous l’avez glorifiée, béatifiée, proclamée nécessaire par Vos paroles… Vous avez choisi pour parents de pauvres ouvriers…, Vous êtes né dans une grotte servant d’étable ; Vous avez été pauvre dans les travaux de Votre enfance… Vos premiers adorateurs sont des bergers… A votre Présentation au Temple, on a offert le don des pauvres… Vous avez vécu trente ans pauvre ouvrier, dans ce Nazareth que j’ai le bonheur de fouler, où j’ai la joie indicible, profonde, inexprimable, la béatitude de ramasser du fumier… Puis, pendant Votre vie publique, Vous avez vécu d’aumônes au milieu de pauvres pêcheurs que Vous aviez pris comme compagnons… « Sans une pierre pour poser Votre tête »… En ce temps-là, avez-Vous dit à Sainte Thérèse, bien souvent Vous avez dormi au serein, faute de trouver un toit où Vous abriter… Sur le Calvaire, Vous avez été dépouillé de Vos vêtements, Votre seule possession, et les soldats les ont joués entre eux… Vous êtes mort nu, et Vous avez été enseveli par aumône, par des étrangers… « Bienheureux les pauvres !… »
Mon Seigneur Jésus, comme il sera vite pauvre celui qui, Vous aimant de tout son cœur, ne pourra souffrir d’être plus riche que son Bien-Aimé !… Mon Seigneur Jésus, comme il sera vite pauvre celui qui, songeant que tout ce qu’on fait à un de ces petits, on Vous le fait, que tout ce qu’on ne leur fait pas, on ne Vous le fait pas, soulagera toutes les misères à sa portée !… Comme il sera vite pauvre celui qui recevra avec foi Vos paroles : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres… Bienheureux les pauvres, car quiconque aura quitté ses biens pour Moi, recevra ici-bas cent fois plus et, au ciel, la vie éternelle… » et tant d’autres !
Mon Dieu, je ne sais s’il est possible à certaines âmes de Vous voir pauvre et de rester volontiers riches, de se voir tellement plus grandes que leur Maître, que leur Bien-Aimé, et de ne pas vouloir Vous ressembler en tout, autant qu’il dépend d’elles et surtout en Vos abaissements ; je veux bien qu’elles Vous aiment, mon Dieu, mais cependant, je crois qu’il manque quelque chose à leur amour, et, en tout cas, moi, je ne puis concevoir l’amour sans un besoin, un besoin impérieux de conformité, de ressemblance et, surtout, de partage de toutes les peines, de toutes les difficultés, de toutes les duretés de la vie… Être riche, à mon aise, vivre doucement de mes biens, quand Vous avez été pauvre, gêné, vivant péniblement d’un dur labeur : pour moi, je ne le puis, mon Dieu… je ne puis aimer ainsi… « Il ne convient pas que le serviteur soit plus grand que le Maître » ni que l’épouse soit riche quand l’Époux est pauvre, quand Il est volontairement pauvre, surtout, et qu’Il est parfait… Sainte Thérèse, fatiguée des instances qu’on faisait pour qu’elle acceptât des revenus pour son monastère d’Avila, était parfois près de consentir, mais quand elle revenait dans son oratoire et qu’elle voyait la Croix, elle tombait à ses pieds et suppliait Jésus, nu sur cette croix, de lui faire la grâce de n’avoir jamais de revenus et d’être aussi pauvre que Lui… Je ne juge personne, mon Dieu, les autres sont Vos serviteurs et mes frères, et je ne dois que les aimer, leur faire du bien, et prier pour eux ; mais pour moi, il m’est impossible de comprendre l’amour sans la recherche de la ressemblance et sans le besoin de partager toutes les croix…
Et, d’ailleurs, ses biens sont immenses : le pauvre qui n’a rien, n’aime rien sur la terre, a l’âme si libre !… tout lui est égal : qu’on l’envoie ici, là, peu lui importe : il n’a rien ni ne veut rien nulle part… Il trouve partout Celui de qui seul il attend tout, Dieu, qui lui donne toujours, s’il est fidèle, ce qui est le meilleur pour son âme… Comme il est libre ! Comme son esprit est léger pour monter vers le ciel ! Comme rien n’alourdit ses ailes ! Comme ses pensées, dégagées de tous les liens terrestres, s’envolent pures vers le ciel ! Comme les pensées de choses matérielles, petites ou grandes (car les petites, les plus petites, troublent autant que les plus grandes), le gênent peu dans sa prière, comme elles le distraient peu dans son oraison !… Tout cela n’existe pas pour lui !…
« C’est là où vous en étiez arrivée à la Sainte Baume, bénie Sainte Magdeleine : c’est vous encore que Jésus m’a donnée pour m’enseigner la pauvreté, je le sens…, la pauvreté complète, parfaite, qui est non seulement « n’avoir rien de plus en sa possession, ni à son usage qu’un pauvre ouvrier », comme j’en ai fait le vœu et comme le demande l’imitation de Jésus…, c’est plus que cela la complète pauvreté ; cette complète pauvreté, c’est la pauvreté d’esprit, que vous avez proclamée bienheureuse, mon Seigneur Jésus, qui fait que tout, tout, tout le matériel est totalement indifférent, qu’on brise avec tout, qu’on détruit tout, autant que Sainte Magdeleine à la Sainte Baume ; qui ne laisse aucun, aucun attachement à ce qui est passager, vide le cœur totalement, et le laisse tout entier, dans toute sa plénitude, pour Dieu seul. Dieu le remplit alors, y règne seul, l’occupe tout entier, et y place au-dessous de Lui, en vue de Lui et pour Lui, l’amour de tous les hommes, Ses enfants. Le cœur ne connaît plus, ne contient plus que ces deux amours ; tout le reste n’existe plus pour lui, et il vit sur la terre comme n’y étant pas, en contemplation continuelle de l’unique nécessaire, du seul Être, et en intercession pour ceux que le Cœur de Dieu veut bien aimer…
ABJECTION
Mon Seigneur Jésus, daignez me faire faire Vous-même cette méditation. C’est Vous qui avez dit : « Il ne convient pas que le serviteur soit au-dessus du Maître »… Vous m’ordonnez, par là, de ne pas être au-dessus de Vous aux yeux des hommes dans la vie de ce monde… Comment faut-il que je pratique l’abjection ?…
— Remarque, d’abord, qu’après avoir dit : « Il ne faut pas que le serviteur soit plus grand que son Maître », j’ai ajouté : « mais il est parfait, s’il est semblable à son Maître ». Ainsi, je ne veux pas que tu sois au dessus de ce que j’ai été, je ne veux pas non plus que tu sois au-dessous… S’il y a des exceptions, ce n’est certainement pas pour toi, à qui j’ai donné tant de fois pour vocation mon imitation parfaite, m’imiter et m’imiter Moi seul… Tâche donc d’être aux yeux du monde ce que j’étais dans ma vie à Nazareth, ni plus ni moins. J’ai été pauvre ouvrier, vivant du travail de mes mains, j’ai passé pour ignorant, sans lettres ; j’avais pour parents, proches, cousins, amis, de pauvres ouvriers comme Moi, des artisans, des pêcheurs, je leur parlais d’égal à égal, j’étais vêtu comme eux, logé comme eux, je mangeais comme eux lorsque j’étais avec eux… Comme tous les pauvres, j’étais exposé au mépris, et c’est parce que je n’étais, aux yeux du monde, que ce pauvre « Nazaréen », que je fus si persécuté, si maltraité dans ma vie publique, qu’à ma première parole, dans la synagogue de Nazareth, on voulut me précipiter ; que, en Galilée, on m’appelait Béelzébuth, et en Judée démon et possédé ; qu’on me traitait d’imposteur, de séducteur, qu’on me fit mourir sur un gibet entre deux voleurs : on me regardait comme un ambitieux vulgaire… Passe pour ce que j’ai passé, mon enfant, pour ignorant, pauvre, de naissance commune ; pour aussi ce que tu es réellement, sans intelligence, ni talent, ni vertu ; cherche, en tout, les occupations les plus basses ; cultive cependant ton intelligence dans la mesure où ton directeur te l’ordonne, mais que ce soit en cachette et à l’insu du monde ; j’étais infiniment savant, mais on l’ignorait ; ne crains pas de t’instruire, c’est bon pour ton âme ; instruis-toi avec zèle, pour devenir meilleur, pour mieux me connaître et mieux m’aimer, pour mieux connaître ma volonté et mieux la faire, et aussi, pour me ressembler, à Moi, la Science parfaite : sois très ignorant aux yeux des hommes et très savant dans la science divine, au pied de mon Tabernacle… J’étais petit et dédaigné sans mesure ; cherche, demande, aime les occupations qui t’abaissent le plus : ramasser du fumier, piocher la terre, tout ce qu’il y a de plus bas et de plus commun : plus tu seras petit de cette manière, plus tu me ressembleras… Qu’on te regarde comme fou, tant mieux, remercie m’en à l’infini : on me traitait de fou, c’est une ressemblance que je te donne avec Moi… qu’on te jette des pierres, qu’on se moque de toi, qu’on te dise des injures dans les rues, tant mieux ! remercie-m’en, c’est une grâce infinie que je te fais, car ne m’en a-t-on pas fait autant ?… Que tu dois t’estimer heureux, si je te donne cette ressemblance !… Mais ne fais rien pour mériter ce traitement, rien d’excentrique, d’étrange ; je n’ai rien fait pour être ainsi traité, je ne le méritais pas, bien au contraire ; et pourtant, on me l’a fait ; toi non plus, ne fais rien pour le mériter, mais si je te fais la grâce d’y être soumis, remercie-moi bien ; ne fais rien pour l’empêcher, ni le faire cesser ; supporte tout avec grande joie et grande reconnaissance envers ma main qui te donne cela comme un très doux cadeau de frère… Fais tout ce que j’aurais fait, tout ce que j’ai fait ; ne fais que le bien, mais livre-toi aux travaux les plus vils, les plus abaissants ; montre-toi, en tout, par tes vêtements, ton logement, tes politesses prévenantes et fraternelles avec les petits, l’égal des plus petits… Cache avec soin tout ce qui peut t’élever aux yeux du prochain… Mais devant Moi, dans la solitude et le silence du tabernacle, étudie, lis ; tu es seul, porte close, avec Moi et mes saints Parents, et ta mère sainte Magdeleine : dilate-toi à mes pieds, et fais tout ce que te dira ton directeur pour devenir meilleur, plus saint… pour mieux consoler mon Cœur.
TRAVAIL MANUEL
Mon Dieu, inspirez-moi ce que Vous voulez de moi au sujet des travaux manuels…
— Pour cela, comme pour l’abjection et la pauvreté, je veux de toi ce que j’ai voulu de Moi… Tu as une bienheureuse vocation, mon enfant, que tu es heureux !… Prends-Moi simplement comme modèle : fais ce que tu penses que je faisais, que je ferais, ne fais pas ce que je ne faisais pas, ce que je ne ferais pas… imite-Moi…
« Travaille assez pour gagner le pain quotidien, mais moins que les ouvriers ordinaires. Ceux-ci travaillent de manière à gagner le plus possible ; Moi et toi nous ne travaillons que de manière à gagner une nourriture extrêmement frugale, des vêtements et un logis extrêmement pauvres et, en outre, de quoi faire de petites aumônes… Nous ne travaillons pas plus, parce que notre détachement des choses matérielles, et notre amour de la pénitence, font que nous ne voulons avoir que des vêtements, un logis, une nourriture aussi vils que possible, et seulement le strict nécessaire… Nous travaillons moins que les autres ouvriers parce que, d’une part, nous avons moins de besoins matériels, de l’autre, nous avons plus de besoins spirituels : nous tenons à garder plus de temps pour la prière, l’oraison, la lecture, car ainsi faisait-on dans la sainte maison de Nazareth…
— Comment travailler ?
— En me regardant sans cesse, mon enfant, en pensant sans cesse que tu travailles avec Moi et pour Moi, entre Moi, Marie et Joseph, sainte Magdeleine et nos anges, et en me contemplant sans cesse avec eux…
RETRAITE
Mon Dieu, aidez-moi, assistez-moi, soufflez-moi… plus ma petite retraite avance, plus je me sens impuissant, vide, plus je sens qu’il faut que tout vienne de Vous… Dites-moi, mon Dieu, dans quelle retraite je dois vivre ?
— Dans celle où j’ai vécu dans ma vie cachée, mon enfant, ni plus ni moins… Ma vie était très retirée…, ne te figure pas que l’habitude de ma Mère et de Moi fût d’aller aux noces… Souviens-toi que ma Mère et saint Joseph avaient embrassé tous deux la vie parfaite, tous deux la virginité, et qu’ils vivaient dans le monde comme n’étant pas du monde… C’étaient deux ouvriers, mais étaient-ce des ouvriers ordinaires ? Si Judith avait su vivre comme hors du monde, dans sa demeure, combien plus eux ! Si toute personne qui commence à m’aimer s’éloigne du monde aussitôt, et vit dans une retraite de plus en plus grande à mesure que son amour pour Moi devient plus grand, dans quelle retraite devaient vivre mes saints Parents ?… Lorsque j’entrai dans la vie, j’entrai dans cet intérieur tout divin, où les journées se passaient dans la contemplation continuelle, dans le jeûne, la prière et le travail accompagné de prières : des âmes qui s’étaient fait cette vie, qui ne respiraient que pour Dieu, dont toute la conversation était à ce point dans les cieux, qui étaient l’une pour l’autre frères et non époux, avaient su se faire une vie bien à part, bien solitaire, bien retirée, dans ce petit Nazareth… J’entrai dans cette vie, et elle devint la mienne… Ma présence resserra tous les liens qui unissaient Marie et Joseph : pour être toujours avec leur Dieu, ils étaient toujours ensemble ; mais, plus que jamais, tout ce qui n’était pas leur Dieu qu’ils avaient le bonheur de voir, leur pesait…, ayant un tel trésor, ils le cachaient entre eux, ne le montraient pas sans nécessité aux profanes qui ne le connaissaient pas, et traitaient leur Dieu comme un homme… Moi qui ai dit : « Je ne suis pas du monde », Moi qui leur avais inspiré cet amour de la retraite et qui l’inspire toujours à toutes les âmes, dès qu’elles s’approchent de moi, je n’eus garde de choisir une autre voie : j’entrai dans leur vie cachée, retirée, solitaire, et je m’y plongeai avec eux…
« Quiconque aime, aime la solitude en compagnie de l’être aimé… Quiconque aime Dieu, aime la solitude aux pieds de Dieu… Tous les saints, sans exception, ont aimé la solitude, car tous m’ont aimé, et, dès qu’on m’aime, on désire nécessairement être en tête-à-tête… On doit aimer mon bien, ma consolation, ma gloire plus que tout, plus que la joie d’être avec Moi ; aussi, dès que ma volonté appelle ici ou là, il faut courir, voler, abandonner toute solitude, se jeter parmi les hommes ; mais dès que ma volonté, mon avantage, n’ordonnent plus qu’on soit mêlé aux hommes, il faut obéir à la loi de l’amour, et retourner à la solitude ; et plus on m’aime, plus on a soif d’être seul avec Moi, plus on est capable de rester longtemps seul avec Moi, plus on se fait une vie d’oraison solitaire…
« … Tant que Dieu ne nous commandait pas de prêcher, nous restions dans notre solitude… Ne te figure donc pas une vie de famille entourée de l’affection, des visites de nombreux amis et parents… non, rien de cela ; la vie de deux, de trois religieux unis en Dieu, pour mener ensemble, dans une petite maison solitaire, une vie de recueillement, de prière continuelle, de grande pénitence, de saintes lectures, de contemplation continuelle ; une vie de silence, la vie des âmes qui ne sont pas de la terre, dont tout l’entretien est avec Dieu, toute la conversation dans les cieux. Voilà ce que fut ma vie à Nazareth, une retraite… Voilà ce que doit être la tienne… Recueillement, silence, paix, entretien avec Dieu pendant tous les moments du jour et autant que possible de la nuit ; sortir de la maison le plus rarement possible et seulement pour les choses indispensables ; rester dehors le moins possible ; saluer tous ceux qu’on connaît, faire visage aimable à tous ; ne parler à personne, ou, si c’est nécessaire, le faire en le moins de mots possible, mais toujours pleins de bonté et contenant quelque chose qui fasse penser à Dieu et conduise à Lui…
PÉNITENCE
Mon Seigneur, et mon Dieu, combien moi, si lâche, j’ai besoin que Vous me parliez de la pénitence, que Vous me la fassiez aimer, que Vous me montriez sa beauté, que Vous me fassiez voir combien elle est indissolublement liée à Votre amour…, et puis que Vous me disiez ce qu’il faut que je fasse…, et, enfin, que Vous m’aidiez à le faire !
— Mon enfant, nous avons déjà parlé de la pénitence. Voir sa beauté, tu n’en as pas besoin… Ne te suffit-il pas de savoir que je l’ai faite toute ma vie, que je l’ai pratiquée pendant toute ma vie cachée, que je l’ai pratiquée dans ma vie publique comme l’Évangile le montre, que j’ai jeûné pendant la sainte Quarantaine et que je suis mort sur la Croix ? Cet exemple ne suffit-il pas pour que tu entres de toutes tes forces dans la pénitence, sans aucun autre motif, par pur amour et simple besoin de m’imiter, de me ressembler, de partager ma vie, et surtout mes peines ?… Et si tu m’aimes si peu que mon exemple ne te suffit pas, n’as-tu pas mes paroles ? « Faites pénitence… Quand l’Époux ne sera plus avec eux, ils jeûneront… Ce démon ne peut se vaincre que par la prière et le jeûne… » Et si mes exemples et mes paroles te paraissent obscurs, bien qu’ils soient clairs comme le jour, n’as-tu pas l’exemple de tous mes saints ? Tous sans exception peuvent te servir de commentaire et te prouver que j’aime, j’aime, j’aime, je veux la pénitence… la pénitence, mais dans les bornes de l’obéissance. Si tu es si tiède, si tiède que tout cela ne te suffit pas, alors, regarde ce qu’est en elle-même la pénitence…
« Chaque fois que tu te prives de quelque chose, si peu que ce soit, d’un mouvement de curiosité, de regarder en l’air, de manger une bouchée de plus, de chasser une mouche, de la moindre commodité, du moindre désir de la volonté, d’un rien, si tu le fais pour l’amour de Moi, dans le désir de m’offrir un sacrifice, tu m’offres un acte d’adoration et de culte très élevés, qui m’est très agréable et m’honore beaucoup. A plus forte raison, quand tu m’offres en sacrifice quelque chose qui te coûte davantage, une forte humiliation, une forte pénitence, une dure veille, un vœu difficile à observer…
« Ainsi, tu vois, par la somme merveilleuse d’honneur qu’on peut me rapporter en faisant toutes ses actions en esprit de sacrifice, en m’offrant du matin au soir toutes sortes de mortifications grandes et petites, combien ceux qui m’aiment cherchent et désirent ma gloire, m’offrent de sacrifices m’honorant du matin au soir… Ils n’ont pas besoin, pour me glorifier, de prêcher, de sortir de leur cellule : il leur suffit de se priver, de souffrir ; toute privation, toute seconde de souffrance, supportée en mon honneur et offerte à Moi, m’est une gloire, un sacrifice d’agréable odeur… Comprends, maintenant, les mortifications des saints, le désir de souffrir des âmes affamées de ma gloire… Comprends combien ces âmes, si zélées pour la gloire de Dieu, combien la mienne plus que toutes les autres, se jetaient dans la pénitence du matin au soir, à toute heure, pour offrir à Dieu le plus de gloire possible, Lui rapporter le plus de gloire possible… C’est dans ce sens que Saint Paul a si bien pu dire : « Je n’ai connu que Jésus et Jésus crucifié »… Toute ma vie a été souffrance volontaire parce que toute ma vie a été désir dévorant de la gloire de Dieu, et que la pénitence est un moyen de Le glorifier continuellement, d’une manière admirable…
Comprends-tu maintenant pourquoi tu dois entrer dans la pénitence jusqu’à t’y noyer (en restant dans l’obéissance pourtant) ?
Puisqu’il n’y a pas besoin, pour qu’un acte soit un sacrifice, qu’on l’offre au moment même comme tel, car il peut avoir été offert comme tel d’avance ; puisque tous les actes, toutes les paroles, toutes les bonnes pensées même, auxquelles on s’arrête, peuvent être offerts à Dieu en sacrifice, il n’est pas nécessaire, pour faire à Dieu une foule de sacrifices chaque jour, d’y penser tout le long du jour et de se dire à tout moment : « Faisons un sacrifice… » Il suffit d’offrir en esprit de sacrifice à Dieu, en son honneur, toutes nos pensées, paroles ou actions de la journée, nos mouvements, notre être, en Le priant que tout Lui soit un sacrifice d’agréable odeur : nous serons ainsi une victime perpétuelle et notre sacrifice durera tous les instants du jour.
RÉCAPITULATION DES RÉSOLUTIONS
Embrasser l’humilité, la pauvreté, le délaissement, l’abjection, la solitude, la souffrance avec Jésus dans Sa crèche ; ne faire aucun cas de la grandeur humaine, de l’élévation, de l’estime des hommes, mais estimer autant les plus pauvres que les plus riches. Pour moi, chercher toujours la dernière des dernières places, arranger ma vie de manière à être le dernier, le plus dédaigné des hommes.
Quand je suis triste, découragé de moi, des autres, des choses, penser que Jésus est glorieux, assis à la droite du Père pour toujours, et jubiler de joie… Je puis encore, en ces moments, pour me baigner dans cette joie, dire les mystères glorieux du Rosaire…
— [Jésus-Christ] : « En général, ne t’inquiète pas pour les petites choses : brise tout ce qui est petit et tâche de vivre très haut, non par orgueil, mais par amour…
« Il faut briser tout ce qui n’est pas Moi… te faire ici un désert où tu sois aussi seul avec Moi que sainte Magdeleine était seule, au désert, avec Moi. C’est par le détachement que tu parviendrais à cela, c’est en chassant toutes ces petites pensées, tous ces infiniment petits qui ne sont pas mauvais en eux-mêmes, mais qui finissent par disperser du matin au soir ton esprit loin de Moi, au lieu que, du matin au soir, il me devrait contempler…
« Regarde-Moi en travaillant pour Moi… regarde-Moi en priant, regarde-Moi sans cesse, et donne à l’oraison ou à de saintes lectures qui t’uniront à Moi et par lesquelles je te parlerai comme je parlais à mes parents et à Magdeleine à Nazareth et à Béthanie, tout le temps qu’il te sera possible… Quand on aime, on regarde sans cesse ce qu’on aime, on regarde comme bien employé tout le temps employé à le contempler et comme perdu tout le temps pendant lequel on ne le voit pas… Ce temps seul semble compter… pendant lequel nous regardons la seule chose qui, à nos yeux, ait de l’être… tout le reste étant pour nous le vide et le néant… Fonds-toi en Moi, perds-toi en Moi, noie-toi dans mon amour, pense au temps que je t’ai ordonné d’espérer et où tu seras éternellement appuyé sur mon sein ; et puisque je te permets, je te dis de commencer dès maintenant à vivre d’une si douce vie, avec la silencieuse Magdeleine, ma silencieuse Mère et le silencieux Joseph, appuie avec eux ta tête sur mon sein et achève, dans cette douce position et dans la douce vie de Nazareth, ton pèlerinage. »
Ne jamais perdre un instant, un seul instant de présence devant le Saint Sacrement, quels que soient les difficultés morales ou matérielles, les souffrances et les dangers à affronter pour cela : l’univers entier n’est rien à côté du Maître de l’univers qui réside dans le Tabernacle.
Être humble en pensées, paroles et actions.
Ne pas chercher ni aimer l’estime des hommes, mais aimer leur dédain.
Quand on aime on est humble, car on se trouve petit, néant à côté de ce qu’on aime.
Quand on aime, on imite, et Jésus fut doux et humble de Cœur.
L’humilité est l’ornement de toutes les vertus et est nécessaire pour qu’elles soient agréables à Dieu : l’orgueil les gâte toutes…
Faut-il tenir à être à Nazareth ? Non, pas plus qu’au reste. Ne tenir à rien qu’à la volonté de Dieu, à Dieu seul… Je dois trouver que c’est une grande grâce d’habiter Nazareth, m’en estimer très heureux, en être très reconnaissant, mais de l’attachement, non : dès que cela cesserait d’être la volonté de Dieu, il faudrait me jeter à corps perdu, sans un regard en arrière, où et à quoi Sa volonté m’appelle.
[Notre-Seigneur] : « Un des motifs pour lesquels j’ai voulu être plus pauvre que le plus pauvre des ouvriers, c’est que je suis venu apprendre aux hommes le mépris des honneurs, c’est que je suis venu apprendre le mépris des biens de la terre et que je tenais à leur donner l’exemple de la plus grande pauvreté, de la plus profonde abjection. Fais de même… Tu as les mêmes motifs que Moi, y compris ce dernier, car il entre dans ta vocation de crier l’Évangile sur les toits, non par ta parole, mais par ta vie…
— Comment pourrai-je rendre à Dieu ce que je Lui dois, après avoir tant reçu ? Par l’amour, par l’obéissance à tout ce qu’Il veut de moi, car l’obéissance est la marque de l’amour… par la perfection à remplir mes devoirs, laquelle est renfermée dans l’obéissance parfaite ; en particulier par deux choses qui, au degré où je dois les offrir, sont de conseil et non de commandement, mais qui sont particulièrement amoureuses et signifient la tendresse et la flamme du cœur : ces deux choses sont la ferveur des prières, qui forment mon bouquet de roses quotidien, et la pénitence qui est le sacrifice, le don, le petit calvaire quotidien, le parfum de myrrhe qu’on offre chaque jour au Bien-Aimé pour l’embaumer… L’oraison et la pénitence doivent faire le fond de ma vie, comme celle de Jésus à Nazareth, comme celle de sainte Magdeleine à la Sainte Baume.
Ne pas avoir de joie, en vue de moi, des soulagements donnés au corps : les recevoir avec joie en vue de Dieu, de Dieu seul, parce que Dieu le veut, mais non par plaisir personnel. Par goût personnel, la volonté de Dieu n’étant pas manifestée, préférer la pénitence, parce qu’elle offre à Dieu un plus grand sacrifice, mais vouloir avant tout, avant tout, la volonté de Dieu, car ce qui L’honore le plus, c’est qu’on fasse Sa Volonté.
Il ne faut pas que le désir d’offrir le plus possible de sacrifices à Dieu me fasse marcher dans la contrainte ni dans la tristesse… Avoir la sainte liberté des enfants de Dieu, criant sans cesse : « Abba Pater », et être dans la joie en Dieu… Ne pas m’arrêter pour une frayeur instinctive, que le démon inspire toujours au commencement de toutes les bonnes œuvres ; « il agit par la peur », et cherche à détourner de tout bien, en particulier de la pénitence, par la peur… « Dieu aime celui qui donne avec joie »…