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En Turquie d'Asie : $b notes de voyage en Anatolie

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CHAPITRE V
L’AGRICULTURE

La situation des agriculteurs et le crédit agricole. — La production des céréales. — Le bétail.

I
LA SITUATION DES AGRICULTEURS ET LE CRÉDIT AGRICOLE

Dans le vilayet de Hudavendighiar le nombre des agriculteurs cultivant de grands domaines ruraux est de 10 % environ, celui des agriculteurs cultivant des fermes de moyenne étendue est de 20 % ; le reste ne cultive que de très petites surfaces de terre.

Le capital d’exploitation dont dispose la première catégorie d’agriculteurs qui, d’ordinaire, exploite le sol en association avec des fermiers, suffit en général à cette classe d’exploitants. Le capital exigu dont dispose la seconde catégorie d’agriculteurs ne lui permet pas l’emploi de fermiers ; il est d’ailleurs à peine suffisant pour leur permettre d’exploiter eux-mêmes. Le reste ne dispose que d’un capital absolument insuffisant.

On calcule, en effet, dans le pays, qu’il faut 1000 francs (dont 600 francs pour l’homme qui laboure) pour l’exploitation de 15 denums de terrain, soit 24,000 pics ou ziras. Le zira égale 0,65 centimètres, ce qui indique 641 francs de capital nécessaires pour l’exploitation d’un hectare de terrain. Ce capital d’exploitation strictement nécessaire se trouve entre les mains de la généralité des agriculteurs de la première et de la seconde catégorie, mais il fait défaut aux autres.

Dans ces conditions, on comprend que les propriétaires exploitants sont en très grand nombre : environ 90 %. Il faut tenir compte aussi du chiffre très restreint de la population agricole.

Quelle que soit la catégorie dans laquelle on puisse ranger un agriculteur dans cette partie de la Turquie d’Asie, on le verra toujours se plaindre, — et à juste raison, — du manque de crédit nécessaire pour ses opérations et de l’extrême difficulté qu’il rencontre à se procurer même une partie des capitaux dont il a besoin.

La pénurie d’argent dont souffre le pays et qui s’est accrue surtout depuis la dernière guerre turco-russe, non moins que le manque de sécurité, le défaut de police rurale, la mauvaise distribution de la justice, — obstacles sérieux à l’accès des capitaux étrangers, — expliquent et justifient suffisamment cette absence de crédit.

Aussi n’est-ce guère que dans leur classe même que les agriculteurs peuvent quelquefois trouver, à des taux très élevés, les quelques livres turques qui leur sont nécessaires pour commencer une exploitation ou pour en assurer la continuité. Ces emprunts ayant pour objet les achats de bestiaux, de semences, d’instruments aratoires, se contractent généralement pour une durée d’un an, — d’ordinaire d’août à août. Le taux légal est de 12 pour cent. Mais ce taux, bien que légal, ne doit cependant être considéré que comme un minimum ; le plus souvent ce taux est doublé, quelquefois triplé. Ce n’est point cependant qu’il y ait des droits ou charges fiscales qui pourraient, en grevant particulièrement les emprunts des agriculteurs, justifier la surélévation du taux légal ; nullement, leurs reconnaissances, billets à ordre ne sont soumis qu’aux droits ordinaires fixés par la procédure civile et commerciale du pays.

Mais ce qui motive, et ce qui peut, dans une certaine limite, excuser ces taux exorbitants, c’est le manque absolu de sécurité dans le remboursement. A moins d’années exceptionnelles, les cultivateurs ne peuvent en général acquitter régulièrement leurs dettes à échéance. Ils se contentent alors de payer l’intérêt. Que si un créancier veut absolument rentrer dans sa créance il n’a à sa disposition pas d’autres mesures d’exécution que celles autorisées par la procédure civile du pays. Encore faut-il tenir compte que la loi turque ne permet ni la saisie ni la vente, pour dettes, par autorité de justice, des instruments aratoires, des bestiaux, en un mot du matériel d’exploitation. Cette mesure d’exception, le gouvernement ottoman l’a prise plutôt pour assurer le prélèvement de la dîme que comme une prime à l’agriculture.

Si l’on ajoute à ces observations que le propriétaire n’a pas de privilège sur les objets mobiliers garnissant la ferme donnée en location ; que pour les termes de fermages arriérés ils sont assimilés aux créanciers ordinaires ; que néanmoins, eu égard au manque de population, le chiffre des fermiers étant très restreint, les propriétaires sont dans la nécessité d’offrir de grandes facilités pour l’acquit des fermages ; que d’ailleurs les frais énormes qu’entraînent en Turquie les poursuites judiciaires, et surtout la lenteur de la procédure, absorbent en général une grande partie du capital en litige, — on comprendra facilement que l’agriculture est loin encore de rapporter tout ce que l’on serait en droit d’attendre d’une terre aussi riche et aussi fertile.

L’administration locale a cependant témoigné un moment de quelques velléités d’encourager l’agriculture en favorisant le crédit aux cultivateurs. On a créé à Brousse un établissement qui porte le nom pompeux de Menafi-Sandeghi, c’est-à-dire Magasins généraux. Cet établissement institué pour favoriser spécialement l’agriculture devait être administré, avec le concours de l’État, par un corps spécial qui n’a existé que sur le papier. Non seulement le capital dont dispose le Menafi-Sandeghi est dérisoire, mais aussi les formalités à remplir pour obtenir une bribe de crédit de cette parcelle de capital sont à ce point compliquées qu’elles en rendent l’accès à peu près impossible aux cultivateurs nécessiteux. Aussi cette institution n’a-t-elle jamais fonctionné réellement. Beaucoup même ignorent son existence.

II
LA PRODUCTION DES CÉRÉALES

Dans un rapport adressé par le consul d’Autriche-Hongrie à Brousse, en octobre 1872, au chevalier Schwegel, consul général, nous trouvons sur la production des céréales dans le vilayet de Hudavendighiar des renseignements approximatifs, — étant donné le manque absolu de statistique qui distingue l’administration turque, — et qu’il y a lieu de tenir pour à peu près exacts.

Cette production peut se répartir ainsi :

Sandjak de Brousse
Blé
2,500,000
kilés[12].
Orge
1,000,000
  —
Seigle
20,000
  —
Vesce
5,000
  —
Sésame
10,000
  —
Haricots
10,000
  —
Pois
10,000
  —
Sandjak de Kutahia.
Blé
3,300,000
kilés
Orge
1,000,000
  —
Seigle
18,000
  —
Vesce
50,000
  —
Avoine
5,000
  —
Sandjak de Kara-Hissar.
Blé
10,200,000
kilés qual. sup.
Orge
2,300,000
  —
Seigle
40,000
  —
Vesce
35,000
  —
Pois
10,000
  —
Avoine
7,000
  —
Sandjak de Karassi.
Blé
2,250,000
kilés
Orge
300,000
  —
Seigle
32,000
  —
Vesce
50,000
  —
Sésame
15,000
  —
Avoine
20,000
  —

[12] Le kilé égale environ 33 litres 148 c.

III
LE BÉTAIL

Dans le même rapport précité nous trouvons une statistique approximative du bétail qui forme une des principales richesses du vilayet.

Sandjak de Brousse.
Chevaux et juments
20,000
Bœufs et vaches
600,000
Moutons et chèvres
500,000
Chameaux
600
Sandjak de Kutahia.
Chevaux, juments et mulets
50,000
Bœufs et vaches
130,000
Moutons et chèvres
600,000
Chameau
6,000
Sandjak de Kara-Hissar.
Chevaux, juments et mulets
43,000
Bœufs et vaches
150,000
Moutons et chèvres
750,000
Chameaux
5,000
Sandjak de Karassi.
Chevaux, juments et mulets
35,000
Bœufs et vaches
200,000
Moutons et chèvres
550,000
Chameaux
3,000
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