En Turquie d'Asie : $b notes de voyage en Anatolie
II
ANALYSE DES EAUX THERMALES DE BROUSSE
… La localité la plus connue et la plus célèbre sous le rapport des eaux thermales en Asie-Mineure est sans contredit la ville de Brousse.
Au pied oriental d’un des contreforts de l’Olympe, dont la hauteur, selon M. Texier, est de 1,930 mètres, on voit échelonnées sur une ligne dirigée du nord-est au sud-ouest toute une rangée de sources chaudes, dont l’altitude est à peu près celle de la ville de Brousse, que M. Texier a déterminée à 305 mètres.
Parmi ces sources les principales sont celles de :
1o Eski Kaplidja ayant une température de 36° Réaumur (44° centigrades) ;
2o Tchekirgué, 36° (44°) ;
3o Kara-Moustafa ;
4o Bouyouk Kukurtlu, 65° (90°) ;
5o Yeni Kaplidja, 66° (92°).
M. le docteur Noé, pharmacien prussien, employé depuis longtemps au service de la Porte, s’est occupé de l’examen chimique et thermomatique de plusieurs de ces sources ; les nos 2, 3, 4 et 5 ont été consignés dans l’ouvrage médical que M. Rigler a publié sur l’état sanitaire de Constantinople et des provinces ottomanes. Il résulte de ces observations que toutes les sources susmentionnées renferment de la soude et sont par conséquent alcalines ; que, dans toutes, à l’exception de la source de Yeni Kaplidja, les sulfates et les carbonates prédominent ; et qu’enfin toutes contiennent l’acide carbonique libre, quoique en très petite quantité.
Ce qui les distingue particulièrement entre elles ce sont d’abord les proportions très variables entre les sulfates et les carbonates, et ensuite la différence des bases qui figurent dans ces sels ; ces bases n’étant dans toutes les sources susmentionnées que la soude, l’alumine, la chaux et la magnésie, elles s’y présentent dans des proportions très différentes sous la forme soit de sulfates, soit de carbonates, ainsi qu’on le voit dans le tableau suivant, dont les chiffres y représentent les fractions d’un gramme telles qu’elles résultent de l’analyse de 10,000 grammes d’eau :
SOURCE DE | ||||
Tchekirgué |
Kara-Moustafa |
Bouyouk-Kukurtlu |
Yeni-Kaplidja | |
| Carbonates | 14,291 |
4,454 |
1,880 |
4,073 |
| Bicarbonate de chaux | 12,890 |
2,621 |
1,880 |
3,352 |
| Bicarbonate de soude | 00,521 |
» » |
» » |
0,721 |
| Sulfates | 01,249 |
2,314 |
5,178 |
4,807 |
| Sulfate de soude | 00,020 |
» » |
0,453 |
2,395 |
| Sulfate d’alumine | 00,206 |
» » |
» » |
0,918 |
| Sulfate de chaux | 00,001 |
1,833 |
2,375 |
» » |
| Sulfate de magnésie | 01,022 |
0,481 |
2,350 |
1,494 |
| Hyperchlorate de soude | 00,016 |
0,166 |
» » |
9,945 |
On voit que malgré le peu de variété dans les substances que contiennent ces sources, elles offrent de très notables différences dans les combinaisons et les proportions de ces substances ; la source de Yeni Kaplidja se distingue surtout par sa nature décidément alcaline, qui se traduit par un goût salé très prononcé, tandis que la plupart des autres sources ont un goût plutôt acidulé et qui, après son refroidissement, est parfaitement potable.
Nous ne possédons sur les sources thermales de Brousse aucun renseignement qui se rapporte à une époque antérieure à l’ère chrétienne. Ainsi la visite de l’empereur Constantin aux eaux de cette ville est peut-être le fait le plus ancien à l’occasion duquel ces thermes aient été mentionnés. M. Daubigny cite un curieux passage de Paulus Silentiarius, dignitaire de la cour de Justinien, qui, dans un poème écrit en un grec un peu barbare, parle des eaux thermales de Pithya, en Bithynie, qui évidemment est la ville de Brousse d’aujourd’hui. Il s’étend sur les propriétés curatives de ces eaux, et, après avoir discuté d’une manière assez rationnelle la question de l’origine des sources chaudes en général, il s’écrie avec enthousiasme, « ce fut ainsi que ce fluide embrasé et pétillant se fit jour pour le salut du genre humain, auquel il sert d’Hippocrate inanimé et de Galien sans science ».
A ce témoignage de Paul nous pouvons en ajouter plusieurs autres non moins remarquables. Déjà Procope, qui écrivait au VIe siècle sous le règne de Justinien, nous fournit un passage très intéressant sur les eaux de Brousse : « Chez les Bithyniens, dit-il, dans une ville nommée Pithya, on voit jaillir des eaux chaudes. Justinien y déploya une magnificence digne d’un empereur. Il y fit élever un nouveau palais et construire des bains publics dans l’enceinte desquels les sources chaudes se trouvèrent renfermées. En conduisant jusque dans ces lieux des eaux douces et fraîches qui se trouvent à une grande distance, il tempéra la chaleur incommode qui y régnait auparavant. »
Théophanes nous apprend qu’en l’année 525 l’impératrice Théodora alla prendre les eaux chaudes de Pithya accompagnée d’une suite de 4,000 individus attachés à sa personne.
Il paraît qu’après Justinien les eaux de Brousse continuèrent à jouir d’une grande renommée auprès de la cour de Byzance, car Cédyene dit positivement que l’impératrice Irène et son fils allèrent prendre les eaux à Brousse « Προὐση θερμἠσαι ».
P. de Tchihatcheff. — Asie-Mineure (1re partie : Géographie physique comparée, ch. VII.)