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Intermèdes

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PRÉFACE

Il m’a plu d’orner d’un titre musical les études qu’assemble ce livre, écrites dans l’intervalle de travaux plus étendus. Car c’est pour mon esprit une nécessité de tout construire symphoniquement. L’occasion les suscita, une lecture, un centenaire, une mort, un rythme d’idées qui, certain jour, me sollicitait. Cependant, qu’on n’y cherche pas de simples variations accidentelles sur des thèmes familiers ; les plus importants de ces morceaux apportent chacun, je le crois, des résonances particulières ; une esquisse peut signifier autant qu’un livre.

Sauf Lamennais, les écrivains que j’ai réunis ne s’offenseraient pas d’être mis ensemble. Tant d’affinités natives rapprochent un Barbey d’Aurevilly et un Villiers de l’Isle-Adam ! Dumesnil, à un rang plus modeste, fut de la même lignée. Tous trois seraient fiers du voisinage d’Anna Moës, humble et merveilleuse mystique ; ils ne l’ont point connue ; la plupart de nos contemporains l’ignorent ; elle mérite un vitrail, bien qu’elle ne soit pas béatifiée.

La critique, d’ailleurs, comme je la conçois, est une façon de vivre en présence d’un personnage, pour en buriner le portrait, de même que je l’exprimerais dans un roman, mais avec le souci de l’exactitude historique. Elle se gardera bien de ployer sous la tyrannie d’un système les œuvres d’autrui ; elle rectifiera les erreurs, elle endiguera les désordres ; plus encore, elle voudra susciter de la vie. Des principes larges et procréateurs, l’invisible révélé sous les apparences, la passion du vrai, des idées vivifiées par des images, et non la revanche dure de l’analyse sur l’intuitif qui peut créer ; telle doit être la critique d’un romancier et d’un surnaturaliste catholique.

J’ai inséré ici quelques pages doctrinales faites pour se rejoindre. Faut-il l’ajouter ? La même substance anime réflexions et portraits ; tout est immergé dans un seul courant de foi et de haut espoir.

Ce n’est pas un hasard si Intermèdes commence par la chute de Lamennais et s’achève par l’esprit de triomphe dans l’Église. Lamennais fut, jadis, justement condamné ; mais le vertige millénariste des Paroles d’un croyant trouble aujourd’hui des têtes que l’on supposait fermes. Au sortir de la guerre, ou plutôt durant une trêve apparente, les vieux peuples las voudraient oublier ; ils aimeraient à croire que l’humanité saura s’installer au Paradis terrestre, que les nations vont se fondre dans un baiser de paix. La syllabe : paix, emplit à la lois des bouches pieuses et des bouches impies ; le chœur discordant de la paix se prolonge comme l’affreux bêlement d’une cohue de moutons lorsqu’ils approchent de l’abattoir[1]. Les bouchers eux-mêmes entonnent le refrain, pour mieux pousser à l’hécatombe le troupeau. Qui leur donne le ton ? Le mauvais berger invisible, le Haineux que la paix ne visitera jamais. Cette folie de la paix désarmée achemine la France au suicide et l’univers aux cataclysmes.

[1] Nous visons, cela s’entend, la paix chimérique, aveugle, la paix à tout prix des pacifistes, et non la paix juste, fière, vigilante, la seule qui convienne a à une nation libre, la seule qui puisse durer.

Je les aurai trop prévus. La voix qui sort de mes livres, si quelqu’un songe à les interpréter, lui rappellera celle de l’homme qui, dans les rues de la ville assiégée, courait annonçant : « Malheur à Jérusalem ! » Mais, quand je verrai venir sur moi le coup de la mort, je ne crierai pas comme l’autre : « Malheur à moi-même ! » parce qu’au bout du cloaque obscur où jusqu’à la fin je resterai debout j’apercevrai, béante sur la splendeur des saints, l’arche de la Porte indestructible.

12 janvier 1927.

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