L'Afrique centrale française : $b Récit du voyage de la mission
Les fruits sauvages, si peu alimentaires qu’ils soient, sont, en beaucoup de circonstances, la seule nourriture que trouvent les Krédas. Les plus usités sont ceux du Doum, du Birr, du petit Capparis mordo, du jujubier, du kornaka, du sïwah, de l’haginli.
Les tubercules de nénuphar et les jeunes tiges de l’Orobanchia lutea se mangent ; par contre, on ne consomme pas les champignons.
L’industrie est des plus primitives. Le Kréda ne sait pas tisser et n’a point recours à des tisserands indigènes, mais il coud les bandes de toile achetées aux Ouadaï avec le fil qu’il retire du cotonnier sauvage, assez commun le long du Bahr el Ghazal. Il ne sait pas non plus fondre et réduire le minerai de fer, mais il va l’acheter aux fondeurs arabes du Dagana et du Khozzam, pays où il existe du minerai de fer oolithique à la surface du sol. Les forgerons krédas (Hezzé) en fabriquent des sagaies, des lances, des accessoires de selles.
L’art de la poterie est presque inconnu : tous les vases employés, marmites, canaris, gargoulettes sont fabriqués par les Kanembous.
Le tannage des cuirs se pratique à l’aide des gousses de l’Acacia arabica qui leur communique une couleur rouge. On vend quelques peaux aux Djellabahs. Le reste s’emploie à faire des tentes, des guerbas, sortes de grandes outres, des sacs pour contenir les provisions et les transporter. Le travail du bois se fait avec un certain goût. De petits mortiers pour piler le mil sont décorés d’arabesques ne manquant point d’élégance.
Les Krédas ont la passion du trafic. Ils s’éloignent souvent à d’énormes distances pour des échanges infimes. Ce commerce est fréquemment alimenté par leurs rapines. Ils enlèvent des animaux domestiques à une tribu arabe du Kanembou pour les vendre à d’autres tribus. Ils se disent très hospitaliers pour les Djellabahs qui traversent leur pays et qui allaient vers les marchés, jadis importants, de Mondo et Massakori. Ils leur vendaient autrefois de l’ivoire et surtout des plumes d’autruches. Ils ne se souviennent pas qu’on ait jamais acheté la gomme ni le séné dans leur pays. Bien que ces marchandises abondent dans toute la contrée, pour se procurer le mil dont ils ont besoin, ils vendent quelques bœufs, ou des moutons et des chameaux. Ils achètent des dattes au Borkou, du sel aux Assalas, des armes, des poteries, du blé et des moutons aux Kanembous, des étoffes, des aiguilles, des piments, des oignons et d’autres menus objets aux caravanes du Ouadaï.
La prise de Bir-Alali, en coupant la route aux caravanes du Fezzan, a anéanti ce commerce et désormais aucun Djellabah ne passe plus par le Kanem. Actuellement les commerçants viennent au Bornou, passent à Goulfei, Koussri, Tcheckna, Moito, le Fittri et le Ouadaï. Les Krédas prétendent qu’il n’existe plus de route allant de leur pays à Benghazi en passant par Koufra.
Comme tous les nomades du Sahara, les Krédas mènent une vie de pillards ; ce sont de redoutables voisins. La surprise et le vol commis à l’égard d’un étranger, même s’il est musulman, pourvu qu’il appartienne à une autre race ou seulement à une autre confédération, sont considérés comme des actes de bravoure. Il en est de même de la razzia à main armée chez les Arabes pasteurs ou chez les cultivateurs bélalas. On ne saurait cependant leur nier certaines qualités : ils sont courageux, fiers, possèdent un très haut sentiment de l’honneur et un désir immodéré d’une liberté sans bornes. Duveyrier, Foureau, Hourot nous ont appris à connaître les Touaregs sous ce même aspect. Je crois la majorité des individus capables de trahison à l’égard d’un chrétien.
Organisation politique et sociale. — Les Krédas sont subdivisés en une multitude de tribus, réparties en trois fractions :
A) Les Kachirdas qui habitent Ouellé. Ils comprennent : Médémé, Sinekora, Sakarda, Méréma.
B) Les Kardas qui comprennent : Oulad Miché, Banya, Mehiné Karda, Adéa, Boudella, Soouda, Tagama, Guémida, Hareing (Gourda).
C) Les Koyios : Ngalami, Naarma, Tioonda, Guerooua, Bodossa (Borossa), Garamia, Aouada, Kioanda, Djaraoua, Kodra, Sinda (Senda), Borokoura, Hiré (Yiria), Nouyouma, Naria.
On nous a donné encore les noms d’autres tribus qui sont : Oulad Hamet, Yarara, Ayanga, Djonéa, Kédélin, Ouahara, Oko, Ettéma, Aguéréa, Boltigna, Yoskema, Kéhéma, Okora, Derguemi, Toroséa, Béréa, Méréa. Parmi les chefs de ces tribus, on m’a cité Abbas, Ganastou, Becharra, Betelima, Taher, Gadem, Djerraoua, Brahim, Djeima Mohammed et Slima. Leur suzerain est Djema Yousef, moins riche toutefois que Brahim, simple vassal d’Abbas, qui possède plus de 1.000 bœufs. Ils paieraient un tribut au Ouadaï. Ils sont en rapport avec le mahdi de Koufra qui leur a envoyé quelques fusils.
Les Krédas sont tous musulmans, ils paraissent peu fanatiques, ils s’abstiennent cependant de boissons fermentées. Ils ont quelques lettrés et quelques Hadj. Leurs deux principaux marabouts sont Malloum Hassan Abou Chouchia, et Mallem Hamed Derchimi. Vivant toujours à travers le désert et la steppe, ils n’ont ni mosquées, ni Zaouïa. Ils disent ne point être affiliés aux Senoussias, ce qui est contestable. Ils parlent tous l’arabe, mais la langue qu’ils emploient entre eux, le da zaga[244] est très différente de l’arabe et du tenachek, c’est au contraire la langue parlée par les Tedas du Borkou.
[225]Une preuve de l’extension des eaux du Tchad dans le Bahr el Ghazal serait l’existence de coquilles d’Etheria (Koni en Kréda) à Hamatié, Arméli, al Léan (renseignement Kréda).
[226]Ne s’agirait-il pas de l’inondation de 1871 mentionnée par Nachtigal ?
[227]On m’a encore cité, comme mares atteintes jadis par les eaux du Tchad : Mézérak et Kréné ou Krénak, à 3 jours au N. du Fittri.
[228]Les puits sont creusés entièrement dans le sable blanc ; toutefois ceux qui ont été établis au fond des cuvettes traversent d’abord une couche superficielle de limon noir, épaisse souvent de plusieurs mètres. Les terrains qui remplissent les lits anciens du Bahr el Ghazal contiennent toujours un peu de carbonate de soude qui communique son goût à l’eau de tous les puits. Toutefois, c’est à partir de Sayal et de Rédéma seulement qu’on trouve cette substance en assez grande quantité à la surface pour pouvoir la recueillir. Le long de la rive orientale du Tchad, il faut aller à Nguéléa au N. de Bol, pour la rencontrer dans les mêmes conditions.
[229]Graminée à fruits portant de nombreux aiguillons et s’attachant aux vêtements.
[230]Les mouches à trypanosomes (tsétsé) existent sur tout le pourtour S.-E. du Tchad et déciment parfois les troupeaux. On prétend même qu’elles tuent les herbivores sauvages et qu’à la fin de l’hivernage on rencontre de nombreux cadavres d’antilopes, leurs victimes.
[231]Le capitaine Durand, qui commandait l’escadron de spahis du Kanem au moment de notre voyage, a eu l’obligeance de me communiquer les notes recueillies au cours de quelques reconnaissances faites entre le Baro et le Bahr el Ghazal. Le 18 juin 1903, une reconnaissance de Ngoura vers Sayal le conduisit à Ambahat, point d’eau très important, à 35 kilomètres environ au N. de Ngoura. Il traversa ensuite le plateau sablonneux et découvert, fortement mamelonné, dont les saillies étaient séparées par des ouadi très boisés. Les puits de Sayal, au nombre de 3, sont situés au fond d’une petite cuvette ombragée de gommiers, à environ 3 kilomètres de Ambahat. Ils fournissent une eau abondante et très bonne. Bir-Ahmed, à 32 kilomètres plus loin, contient aussi une eau de bonne qualité, mais ces points sont relativement rares. On rencontre beaucoup plus fréquemment des mares contenant des eaux natronées ou sulfatées à peu près inutilisables.
[232]Le Sorro est sans aucun doute ce que Nachtigal a désigné sous le nom de Torô et qui, d’après lui, est un ensemble de dépressions se continuant d’Oudounga à Tangour, point où finit le Bahr el Ghazal et où s’avance au S. du Borkou la fertile et riante vallée de Djourab. (Nachtigal, traduction, t. I, page 390.)
[233]D’après les données très vagues que m’a fournies un Ouadaïen, Bayour, j’ai cru comprendre qu’il existait à l’E. ou au S.-E. du Borkou, à travers des pays nommés Bidéat (Bidderat) et Kakaoua, une communication entre le Bahr el Ghazal et le Bahr el Abiod du bassin nilotique, communication qui se ferait par le Ouadi Alpha, se dirigeant du Borkou vers le Dar Four.
[234]Nachtigal est le premier qui ait parlé des Krédas, les confondant, il est vrai, avec les Oulad Hamed.
[235]Il y aurait 400 à 500 cavaliers.
[236]Ces renseignements m’ont été fournis, en dehors du travail du lieutenant Boiseau, par Seliman, le chef de ce campement, et par Djema Tarab, frère de Djerma Yousef, pris avec Acyl.
[237]D’autres m’ont dit huit jours.
[238]L’Egué (Eghéï) est connu des Krédas ; il paraît que c’est un pays inhabité et sans eau où s’aventurent rarement les caravanes. Quant au terme de Bodellé, ou plutôt Bodellou, il désigne une tribu de Karda, cantonnée à Kallé sur le Bahr el Ghazal.
[239]Nous reproduisons d’autre part, à titre documentaire, une partie des notes du lieutenant Boiseau. « En janvier 1903, les Krédas étaient échelonnés le long d’une ligne de puits allant de Chéoul à Moussoua ou Massaouah (ce point était le campement le plus important), tous situés le long d’un bras latéral du Bahr el Ghazal. Entre ce bras et le bras principal est une région aride et déserte coupée de vallonnements parallèles, au S. de la ligne des puits Chéoul-Moussoua, est le pays nommé El Heu, où les Krédas viennent récolter les fruits des Doums. De ces points ils poussent des incursions jusqu’à Sayal, à quatre ou cinq jours à l’E. de Massakori. Pour y aller de Massakori, on marche en plein E., en suivant une ligne de puits qui commence à l’E. de Chérérib. De Massakori à Chérérib, il y a deux jours sans mare ni puits. »
[240]J’ai remarqué deux ou trois hommes qui avaient le nez busqué, caractéristique du type sémite.
[241]Les points où l’on sème ainsi un peu de Penicillaria sont : Mossouo, Ouaga, Sallali, Chooul, Krenek, Débaba, Séfi Efféta, Cheranguéné, Khadéra, Maharek, Koferdraie, Hammara, Kalba. (Ouaga est un des points les plus éloignés où les Krédas font de la culture. Pour y aller, on passe par Doukham, Achin, Mézerak, Dougoul, Chéddéra, Houroup et Ouaga. Ce point est à une demi-journée, soit 25 kilomètres au N.-E. de Mossouo. Amkialaye est à un jour et demi plus loin, enfin Ouellé est beaucoup plus à l’E.).
[242]Il n’existe ni poule, ni canard, ni cabris dans les campements rencontrés.
[243]Le Dofrai (Edi ou Eri en Kréda) est le meilleur Kreb ; c’est aussi le plus répandu. Après lui viennent par ordre d’importance le Ndénep (Ogou ferera) également très bon, le Kamdéla (Aou Yesko) ; l’Antoul n’est autre que le Dactyloctenium, enfin un Panicum à port de Panicum pyramidale mais venant dans les lieux secs, constitue le Deguerr.
[244]Cette langue est parlée par les populations suivantes : Krédas, Kanenbous, Mourquias, Tourdous, Abourdas, ou Amkordas, Tagourdas, Ouandalas, Gadaouas, Kinines, Liguéra, Ouled Sliman, Bideat, Soutoumia.
CHAPITRE XVI
LE KANEM
I. Aspect général. — II. Climat. — III. Flore. — IV. Culture et élevage du bétail. — V. Elevage des chameaux. — VI. Commerce et industrie. — VII. Aperçu géologique.
« Ce Kanem dont le sol privilégié de la nature fournit de quoi nourrir une population sédentaire, ce Kanem, qui, jadis, dans l’histoire du centre de l’Afrique, a joué un rôle prééminent et qui a été le berceau de l’Etat bornouan. » (Nachtigal, p. 475.)
Cela rend rêveur ! Joalland, 30 ans plus tard, devait se tromper de même, car le Kanem est un pays excessivement pauvre.
I. — ASPECT GÉNÉRAL
Le Kanem est un pays vallonné où les dunes de sable alternent avec les ouadi et les cuvettes. Dans l’ensemble les dépressions communiquent souvent entre elles, mais il existe aussi de nombreux systèmes isolés. Il y a donc deux aspects principaux du pays : 1o Le Gouss (arabe) ou Kiri (Kanembou), grande steppe dénudée, aux rares touffes d’herbes à souches vivaces et au court gazon de plantes annuelles de juillet à la fin de septembre ; 2o le Ouadi, sillon un peu en contre-bas de la plaine, large de 100 mètres à plusieurs kilomètres, qui se nomme Bela ou Derib mogo (la « route de l’eau » en Kanembou), qui décrit des méandres nombreux, s’élargit en cuvette ou se rétrécit, et dans lequel il se forme parfois des lagunes en hivernage. A l’assèchement de ces lagunes le sol noir se fendille, ou bien une couche noirâtre de natron se dépose et donne l’aspect d’une boue gelée.
Du côté de Bir Alali et plus au N. du Kanem, d’après Nachtigal, les ouadi auraient une direction perpendiculaire à celle du Bahr el Ghazal et on rencontre des dunes sans herbes avec le Leptadenia spartum (Asclépiadée) ; les Kanembous nomment Bodou ce genre de formation.
Un aspect très spécial du ouadi remarqué à Ngouri est le Kharim, fourré épais d’arbres enlacés de lianes (Asclépiadées, Capparis, Acacia pennata. Ce genre de bosquets se trouve au fond même de certaines cuvettes dans lesquelles l’eau est douce.
A l’hivernage les arbres et arbustes des ouadi s’enguirlandent de lianes herbacées (Convolvulacées, Cucurbitacées, Asclépiadées et Légumineuses), dont les fleurs vont s’épanouir à la cîme des arbres.
On trouve l’eau à peu de profondeur (de 2 à 5 brasses) mais elle est rarement potable, et les seuls lieux habités sont les ouadi.
II. — CLIMAT
La saison des pluies a commencé vers le 20 juillet ; il y avait eu précédemment quelques petites tornades espacées, avec quelques gouttes d’eau. Elle s’est terminée le 15 septembre, soit une durée de deux mois environ. Du 15 au 25 septembre il y a eu une période de transition avec tornades sèches ou seulement accompagnées de quelques gouttes d’eau.
Le 25 septembre l’Harmattan ou vent du N.-E. a commencé à souffler. Il se fait sentir de 7 h. du matin à 6 h. du soir. Ce vent persiste jusqu’en avril, soulevant des tourbillons de sable qui va s’accumuler peu à peu dans les ouadi.
En résumé le climat du Kanem est sain, les Européens s’y portent bien. Les moustiques qui pullulent au Tchad y sont peu abondants.
III. — FLORE
La flore du Kanem est une flore sub-saharienne. Les Acacias sont peu abondants sauf l’Acacia Vereck. L’Acacia arabica est rare et n’existe en bouquets qu’auprès du Bahr el Ghazal. Le Combretum glutinosum disparaît avant Ngouri, l’Anogeissus leiocarpus n’existe plus, il disparaît avant Massakori. Près de Ngouri on rencontre encore le Kigelia et une autre Bignoniacée, deux espèces de Capparidées dont l’une à rameaux étalés et blanchâtres forme parfois un arbre de 4 à 5 mètres de hauteur qui dans certains cas devient plus commun que la forme buissonneuse. Dans les ouadi domine une espèce de Ziziphus pouvant atteindre 8 à 9 mètres de hauteur qui diffère du Ziziphus orthocantha par ses feuilles qui sont vertes en dessous.
Le Capparis sodada aphylle ou presque aphylle est très commun et forme des buissons impénétrables hauts de 0m,50 à 3 mètres. Ses fleurs d’un rouge vif décorent en octobre ces halliers du Kanem.
En certains endroits on ne voit pas un seul arbre ; ailleurs se détache la silhouette d’un Acacia albida isolé, et visible à une grande distance, car il croît au sommet même des mamelons de sable. Les cuvettes ont des plantes spéciales, au fond surtout deux graminées recherchées par les chameaux, trois crucifères, un tamaris et le Salvadora. Sur le flanc, des Doums, en haut et s’étendant assez loin sur le Gouss, des Térébinthacées, des Acacias, des Commiphora et des Balanites.
IV. — CULTURES ET ÉLEVAGE DU BÉTAIL
La principale culture est celle du Penicillaria ou petit mil.
On peut dire qu’à surface égale cultivée, le petit mil donne un rendement quatre fois moins grand au Kanem que sous les 9e et 10e parallèles au Chari. La variété cultivée partout est dépourvue de barbes, alors que sa souche émet 20 chaumes fructifères au pays sara, elle ne donne que 3 à 5 tiges fertiles en moyenne. L’ensemencement se fait fin juin ou commencement de juillet. S’il survient quelques petites pluies le mil pousse, autrement à peine sorties de terre les germinations meurent et il faut recommencer l’ensemencement plusieurs fois. Si les pluies sont normales (dix à quinze centimètres pour tout l’hivernage) la production est assurée, à moins de circonstances spéciales (sauterelles, charançons[245], maladies). Au contraire si la saison pluvieuse est pauvre en chutes d’eau, ou si celles-ci cessent trop tôt, la récolte est manquée en beaucoup d’endroits. C’est ce qui est arrivé cette année à Mondo. Alors qu’il pleuvait partout dans les environs, Mondo recevait à peine quelques gouttes de pluie ; le mil a poussé, il a même fleuri, mais la graine n’a pu se développer. D’après les indigènes il eût suffi d’une petite pluie propice pour que la récolte réussisse, elle n’est pas venue, il n’y a pas de grain. Les épis se dressent comme s’ils étaient nouveaux, quelques pieds par hasard ont formé des graines, mais c’est l’exception.
La récolte du Penicillaria commence au Kanem en septembre elle se poursuit jusqu’en octobre. Les femmes vont chaque matin couper les épis murs et les rapportent au village où ils sont entassés au soleil sur une aire de terre battue. Lorsque les graines sont bien sèches on les fait tomber.
Le mil sert exclusivement à la nourriture, sauf à Mondo où les Arabes en transforment une partie en mérissa. Les Kanembous en échangent aussi avec les Krédas, les Touaregs, etc.
Les officiers du territoire ont amené en 1903 les indigènes à étendre considérablement leurs cultures, mais les emplacements souvent mal choisis ont donné de faibles résultats. Les haricots (Vigna) occupent une surface assez étendue dans les cultures des Kanembous. Ils réussissent là où le petit mil ne donne rien. A Mondo par exemple, les Vigna semés au milieu du Penicillaria avorté ont donné des gousses, très petites mais contenant 3 à 5 graines, c’est là une précieuse ressource.
La culture du Dattier commence à Mao, et se poursuit dans toutes les oasis où l’eau affleure, jusqu’à Bir Alali où les dattiers sont nombreux et forment une véritable forêt. La récolte des dattes se fait en juin et juillet. Les dattes du Kanem sont peu estimées, la pulpe est sèche et peu sucrée, le noyau démesurément gros a souvent un développement anormal. Les Toundjers qui ne récoltent pas de dattes mais qui en consomment, échangent une mesure de dattes contre deux mesures de petit mil.
Les dattes sèches sont conservées dans des sacs en cuir de mouton, tanné avec le fruit de l’acacia arabica (cuir rouge).
On rencontre encore quelques plantations très restreintes de Sorgho, et un peu de coton dans les ouadi ; le blé ne se cultive qu’aux îles du Tchad.
L’élevage du bétail (bœufs, moutons) est fait sur une assez grande échelle. Les bœufs appartiennent à une race forte, peu laitière. D’ailleurs le lait est de médiocre qualité, les indigènes ayant la fâcheuse habitude de laver leurs récipients avec l’urine des animaux pour empêcher la fermentation lactique. Un bœuf vaut de 5 à 6 thalers, une vache laitière 10 thalers, deux bons moutons valent 1 thaler.
A la saison sèche on mène les troupeaux pâturer au bord des bahrs orientaux du Tchad, spécialement autour des cuvettes natronnées, les animaux broutent avec délices les Panicum à feuilles piquantes qui constituent le principal fourrage en toute saison.
Les chevaux et les ânes sont peu nombreux, les chameaux n’existent que chez les Touaregs, les Ouled Sliman et les Krédas. C’est partout le bœuf non châtré qui s’emploie comme animal porteur. Il résiste à ce travail beaucoup mieux qu’au Baguirmi et arrive à fournir des marches de 30 à 40 kilomètres par jour, en portant 50 à 60 kilogrammes, ainsi que le bouvier qui monte presque toujours l’animal pour le conduire. La charge d’un bœuf adulte peut être portée jusqu’à 80 et 100 kilogrammes, mais ce poids est excessif si l’animal a plus de 100 kilomètres à fournir et si l’on veut lui faire parcourir plus de 20 kilomètres par jour. On fait ordinairement marcher les bœufs porteurs (tor en arabe) la nuit ou le matin, on les laisse reposer et pâturer à partir de 10 heures du matin, et on les recharge à partir de 2 heures seulement, en les arrêtant autant que possible un peu avant la fin du jour pour qu’ils puissent pâturer. Pour les longues étapes il est nécessaire de marcher la nuit.
V. — ÉLEVAGE DES CHAMEAUX
Il se pratique en grand chez beaucoup de confédérations Berbères et Arabes, situées entre le Tibesti, le Borkou, le Kanem et le Ouadaï. Les contrées traversées par le Bahr el Ghazal sont en effet très favorables, par leurs pâturages natronnés et l’absence de mouches venimeuses.
Les Kachirdas seraient de toutes les tribus celle qui s’adonne le plus à cet élevage et qui possède la plus belle race. Mais, toujours en course à travers le désert les animaux ne suffisent même pas à leurs besoins[246] ; ils achètent des chameaux au lieu d’en vendre[247]. Après les Kachirdas, les Borkous et les Bidéats sont les nomades qui possèdent le plus grand nombre de chameaux. On en trouve aussi un peu chez les Kardas, les Tourdas, les Tagourdas et les Gadouas. Les caravaniers (djellabahs) se procurent des chameaux au N. et au N.-E. du Dar Ouara dans les tribus arabes suivantes : Mohamed, Diahaténé, Naouala, Zabada, Messirié, Khozzam[248].
Le chameau atteint son développement en quatre années. S’il n’est point surmené et s’il reste constamment dans les régions désertiques, il peut continuer à rendre des services pendant dix ans, mais il demande des soins, des pâturages spéciaux et, après les traversées fatigantes, une nourriture réconfortante composée de mil pilé mélangé à du natron. Cette dernière substance, très prisée du chameau, doit lui être donnée fréquemment.
L’ennemi le plus redoutable du chameau est le lion qui en enlève un grand nombre chaque année le long du Bahr el Ghazal[249]. La maladie la plus dangereuse est nommée Guérap en arabe et Tourkom en kréda. Elle atteint de préférence les animaux qui ont enduré de grandes privations et effectué de longues traversées sans manger de natron. Le corps se couvre alors de plaies, qui se remplissent de vers. Si on ne sacrifie pas immédiatement l’animal, la maladie peut se communiquer à tout le troupeau. Il existe aussi des plantes vénéneuses redoutables. La plus dangereuse, le Capparis tomentosa (Gouloum, en arabe), tue infailliblement, dit-on, les individus qui la broutent ou qui mangent ses fruits.
Le voyage des chameaux en hivernage dans les contrées pluvieuses, surtout aux environs du Tchad, dans le Dagana et le Khozzam, expose à de grandes pertes. Il paraît que ce sont exclusivement les mouches venimeuses qui occasionnent des maladies[250]. Les chameaux, de même que les bœufs et les chevaux, ne meurent pas immédiatement, mais ils dépérissent et ils succombent après l’hivernage sans qu’une bonne nourriture puisse les sauver. Dans les rahats sahariens ces mouches font défaut, les chameaux ne souffrent pas de l’humidité, bien qu’ils se roulent dans les mares. Ils ont si peu besoin de se désaltérer qu’au dire des indigènes, ils restent toute la saison des pluies sans boire.
De toutes les plantes, celle qu’ils mangent le plus avidement est la pastèque sauvage à fruit comestible non amer. Ils broutent aussi tous les arbustes épineux du S. saharien, Acacia, Bauhinia, Capparis, à fruits comestibles, Combretum aculeatum, Balanites, Jujubier. Ils semblent avoir une préférence marquée pour toutes les plantes piquantes. C’est ainsi qu’ils recherchent l’Askenit al Koulab, cette Tiliacée dont les écailles cotonneuses munies de poils recourbés se fixent aux vêtements comme les capitules des Bardanes.
VI. — COMMERCE ET INDUSTRIE
Le commerce du Kanem est nul depuis l’affaire de Bir Alali. Actuellement les Bornouans feraient passer par le S. du Tchad quelques étoffes, des aiguilles, du tabac, des oignons (on n’en cultive pas au Kanem), un poison spécial pour les flèches et les fers de lances ; les Kanembous donnent en échange des bœufs et des moutons.
La poterie se confectionne avec la terre des ouadi à laquelle on mélange un peu de tuf calcaire pulvérisé. Les gourdes sont suffisamment poreuses pour qu’on puisse rafraîchir l’eau. Ces gourdes sont entourées de tresses assez jolies, faites, comme les quelques autres objets de sparterie, avec les feuilles du Doum.
Il existe une caste spéciale de forgerons qui fabriquent les lances et les flèches, ces armes sont toujours empoisonnées. Les forgerons allaient autrefois chercher le minerai de fer au Chittati, région située au N.-O. de Bir Alali, ce minerai se recueillait à la surface du sol ; ils n’en tiraient ni du Dagana ni du Dar Kréda.
Le coton récolté se file, mais se tisse très rarement.
VII. — APERÇU GÉOLOGIQUE
Les terrains du Kanem, au moins ceux de la surface, diffèrent complètement de ceux du bassin central du Chari. Depuis 9° jusqu’à 13° N. des dépôts lacustres d’une très grande épaisseur, formés de sable et d’argile, ont nivelé presque complètement le sol en ne laissant subsister aucune dépression importante. C’est à travers ces alluvions que les fleuves actuels, sans thalweg distinct, se frayent un chemin plus ou moins tortueux. A partir des rochers d’Aouni et de Ngoura, on n’observe plus rien de semblable.
Des rides longues de 500 à 2.000 mètres alternent avec des cavités (ouadi) larges de 100 mètres à plusieurs kilomètres, dont l’ensemble forme un système de dépressions très allongées, parallèles, dont la direction générale est sensiblement S.S.E.-N.N.O. ; les parties saillantes sont elles-mêmes alignées dans la même direction. Cette topographie donne au paysage un aspect très spécial. La végétation arborescente est étroitement localisée dans les cavités ; les arbustes sont très rares sur les crêtes. Souvent même on découvre un horizon très vaste sans un seul arbre : c’est alors un immense désert de sable, nu en saison sèche, masqué à l’hivernage par des Graminées et des Légumineuses herbacées.
Cet aspect est commun au Bahr el Ghazal, où les ouadi sont peut-être plus nombreux que partout ailleurs, à tout le Kanem et au Tchad : les Bahrs ou parties lacustres du Tchad correspondent en effet aux ouadi et les « îles » du Tchad aux crêtes. En suivant les ouadi, l’eau du lac s’est étendue autrefois bien au-delà des rives actuelles. Nous avons vu à Clitoua, à environ 100 kilomètres du rivage actuel et en pleine région saharienne, au fond et même sur les talus des ouadi, des blocs de roches de plus d’un mètre cube formés de débris de roseaux fossilisés et agglutinés entre eux. Or ces roseaux ne vivent aujourd’hui que dans le lac même ou dans les parties inondées avoisinantes.
L’eau du Tchad qui pénètre dans les ouadi, de même que les eaux de pluie qui forment, aux alentours, des lagunes temporaires se saturent de sels de soude et laissent déposer en s’évaporant ces sels et des concrétions calcaires, ce qui fait supposer qu’un calcaire vraisemblablement crétacé existe en profondeur, recouvert par les couches argilo-sablonneuses[251] qu’il faut traverser pour aller chercher l’eau dans le lit des ouadi. Les puits creusés sur les rides ont rencontré constamment un sable très mobile plus ou moins roussâtre, à éléments très fins, semblable d’aspect à celui des Erg. Il m’a été impossible de savoir ce qu’il y avait au-dessous de ce sable. Dans le fond des Bahr il y a parfois une croûte de tuf calcaire dont l’épaisseur peut atteindre 1 mètre et qui forme à la surface des bombements en forme de champignons. Ce calcaire repose directement sur le sable et paraît déposé à la suite de l’évaporation des eaux. A Rédéma le calcaire existe sous forme de concrétions éparses dans une marne friable et verdâtre. Au fond de la plupart des Bahrs la terre est en outre très riche en natron et lors de l’assèchement des lagunes il se dépose une couche compacte de ce sel. L’eau des puits de Ngouri et de beaucoup d’autres localités est alcaline. Aucune roche ancienne n’affleure dans le Kanem[252].
[245]Les charançons dévorent parfois la récolte de mil sur pied.
[246]Non seulement le chameau sert chez eux de Mehari et de bête de transport, mais la chamelle fournit du lait. On tue de temps en temps un animal pour le manger ; ceux qui meurent de maladie sont eux-mêmes consommés.
[247]Au Bahr el Ghazal une belle chamelle suivie de son petit, s’échange contre trois bœufs ; un chameau en pleine force vaut deux bœufs. Le paiement en thalers est inconnu.
[248]Dans les environs d’Abeschr seulement, chez les Khozzams du N. du Baguirmi il n’y a pas de chameaux.
[249]Chose curieuse, il est au contraire extrêmement rare que le lion attaque le berger, et Djerma Térab m’a affirmé qu’il n’a jamais eu connaissance qu’un lion ait mangé un homme éveillé. A l’exemple de la grosse hyène, il peut étrangler un individu endormi ou même saisir les femmes et les enfants qui s’écartent dans la brousse, mais il n’inquiéterait jamais un homme armé.
[250]Il y a cinq sortes de Diptères très dangereux pour les animaux domestiques au dire des indigènes : 1o les moustiques ; 2o l’abou daguig, moucheron beaucoup plus petit encore que l’Anophèles ; 3o l’abou gadoum, qui ressemble beaucoup à la mouche domestique ; 4o le terr ou do, sorte de gros taon ; 5o enfin la boguéné, fort analogue à la tsétsé.
[251]Le calcaire affleurerait dans le Sagarda, à 8 jours N.-E. d’Aouni (renseignement kréda). Le natron s’y trouve aussi en grandes tables.
[252]Il y aurait des affleurements de rochers au Chittati situé au N.-O. de Bir Alali, on m’a rapporté de cet endroit un gros galet roulé de quartz.
Dans le pays des Krédas, les seuls rochers qu’ils connaissent pour venir camper à la saison sèche, sont ceux de Sayal, Ambichéré (22 kilomètres au N. d’Aouni), Rédéma, Hadjer Omer et Hadjer Djombo.
Il n’y a dans le pays Kréda, ni sel, ni nitrate, il faut aller chercher ces produits au N. d’Abeschr, à 15 ou 20 jours du Fittri. Le sel gemme et le natron se rencontrent chez les Mohamid à l’E. du Borkou, qui dépendent du Ouadaï et non du Borkou. Les nitrates utilisés pour faire de la poudre (Am Sabaka) se trouvent à 4 jours dans le N. d’Aouni, notamment au lieu dit Imakik. Enfin les Ouadaïens, qui savent fabriquer la poudre, vont les chercher du côté du Borkou, à 10 jours environ d’Abeschr.
CHAPITRE XVII
LE LAC TCHAD
I. Généralités. — II. Les Kouris du Tchad. — III. Hadjer el Hamis.
I. — GÉNÉRALITÉS
Depuis bientôt un siècle le Tchad a été un des principaux points appelant l’attention des explorateurs tentés par les mystères du centre de l’Afrique. Considéré longtemps comme une « immense mer intérieure », il a été successivement visité par Denham et Clapperton (1821), Barth et Overweg (1854), Th. Vogel, M. Von Beurmann (1862), G. Rohlf (1867), Nachtigal (1870). Ce dernier, en réunissant à ses observations celles de ses prédécesseurs, publia une carte qui est restée jusqu’aux récentes expéditions françaises le document le plus important concernant cette région. Mais c’est seulement depuis cinq ans que l’on est définitivement fixé sur la forme et la nature du lac, après les innombrables reconnaissances effectuées à bord du Léon Blot de la mission Gentil, reconnaissances dirigées surtout par les lieutenants de vaisseau d’Huart et Audouin et complétées par les levers topographiques des capitaines J. Truffert, Hardellet, d’Adhémar, Tilho. Tous ces itinéraires rattachés avec les positions astronomiques établies par les missions Foureau, Lenfant, Tilho, ont permis à ce dernier d’établir la belle carte du Lac Tchad publiée dans La Géographie du 15 mars 1906.
On peut considérer ce document comme définitif. Sans doute des détails pourront encore être modifiés et surtout le dessin de la limite des eaux, dessin incertain, qui varie d’un jour à l’autre suivant que le niveau monte ou que l’inondation se retire. Telle île, vue aujourd’hui, sera, dans quelques semaines, couverte de roseaux inondés à la base, et quelques mois plus tard, une langue de terre ferme rattachée aux dunes du Kanem. Puis de nouveau l’inondation montera, si bien que, comme l’écrivait Barth il y a cinquante ans, jamais on ne fixera la forme du Tchad. Cependant la topographie de toute cette contrée est admirablement connue, les itinéraires levés à la boussole par nos officiers se croisent dans tous les sens, et bien des coins de l’Europe sont certainement beaucoup moins explorés que la région du Tchad.
A notre avis il n’est pas douteux que le Tchad est le dernier reste d’une immense dépression qui s’est peu à peu ensablée par les apports de ces rivières qui forment le vaste éventail hydrographique du Chari, rayonnant depuis le Haut-Nil et le Haut-Oubangui jusqu’à la Haute-Sangha. Les incendies de savanes ont peu à peu déboisé la partie élevée de ce bassin, la brousse a fait place à la forêt ; les pluies ont considérablement diminué, et l’apport annuel des eaux est de plus en plus faible. Le Chari est encore un magnifique fleuve à la saison des pluies, mais il n’est plus l’image de cette vaste ampoule qui couvrit au moins 50.000 kilomètres carrés, si l’on en juge par l’étendue où des dépressions subsistent encore.
II. — LES KOURIS DU TCHAD
Les Kouris sont belliqueux et ils ne s’expliquent pas pourquoi nous les obligeons maintenant à vivre comme des femmes. Avant notre arrivée, les Kouris se faisaient en effet la guerre d’une île à l’autre. L’objectif était toujours le troupeau de l’adversaire à capturer. La poursuite de l’ennemi se faisait, parfois à cheval, parfois en pirogue. Les belligérants se rencontraient jusque sur la nappe libre du lac, et là avaient lieu des combats au javelot et des luttes corps à corps dans lesquelles les plus faibles étaient exterminés et engloutis dans la vase.
Rarement les Bornouans et les Arabes ont osé attaquer les Kouris dans leurs îles. Cependant des Ouadaïens et des Arabes du N. attaquèrent parfois les Boudoumas jusque chez eux, qui pour se soustraire à ces attaques, construisaient souvent des habitations sur pilotis, dans lesquelles ils pouvaient mettre les femmes et les enfants à l’abri, pendant qu’ils repoussaient l’envahisseur.
Les diverses tribus Kouris sont : les Boudoumas, les Kalis, les Karaouas, les Kéléouas, les Malmadikés et les Maguékokias, ces deux dernières vivant au N. de Bol.
Les Kouris donnent à leur chef le titre de Démobélane (les Arabes l’appellent Laouen) et disent que leurs ancêtres ont toujours vécu au Tchad.
Presque tous les Kouris sont sédentaires et ne circulent que très peu à travers le Tchad qu’ils ne connaissent en général qu’à une faible distance de l’endroit qu’ils habitent. Leurs cases ne sont pas fixes, ils les déplacent au gré de leurs besoins, en suivant la marche de l’inondation ou le retrait des eaux. Le mouvement des eaux est des plus variables et des plus imprévus. Une année de forte crue peut amener une inondation qui remplit le lac et les Bahrs très loin pour plusieurs années. Ils ont pu aller même par le marigot de Ngalen jusqu’au Dagana. A l’époque où les Bahrs étaient plus importants, les Kouris possédaient de grandes pirogues en planches (Foum démon en kouri, Ogom en kotoko), mais ces pirogues n’ont jamais porté de voiles, et c’est un filet que Rohlfs a pris pour une voile. Depuis longtemps ces grandes pirogues ont disparu.
Les cases des Kouris, en forme de cloche, sont assez grossièrement construites ; le toit vient au ras du sol. La charpente est formée de branches grossières, car le bois est très rare dans les îles du Tchad. On emploie surtout les branches du Balsamodendron et pour les poteaux des troncs de Doum. Le sommet est parfois surmonté d’une coque d’œuf d’autruche comme chez les Baguirmiens. La porte basse et carrée est fermée par une natte en paille tressée. Le sol de l’intérieur des cases et des cours est formé d’un sable très fin sur lequel sautillent des myriades de puces. Cet insecte pullule dans tous les villages et en rend le séjour particulièrement désagréable. Je crois qu’il n’y a pas au monde un pays où on trouve plus de puces que dans cette partie de l’Afrique centrale et pendant que j’écris, une douzaine vagabondent sur mes vêtements et sautent sur mon papier.
Les habitants n’hospitalisent cependant pas de bonne volonté ce commensal ; ils séjournent rarement dans l’intérieur de leurs cases et pour se reposer ils s’étendent dehors sur des nattes soutenues par des branchages et surélevées de un mètre au-dessus du sol. C’est sur ces nattes que l’on couche aussi pendant les nuits froides de décembre. Pendant la saison chaude c’est sur le danké que l’on repose la nuit. Le danké est une plate-forme carrée en roseaux, qui a environ 2 mètres de côté ; elle est supportée par quatre piliers et surélevée de 2 à 4 mètres au-dessus du sol. Une natte surmonte le tout. Une échelle grossière formée de quelques branches liées à deux perches y donne accès. Si le danké est inaccessible aux puces, il est malheureusement accessible aux moustiques qui même à cette hauteur sont encore nombreux. Aussi les femmes et les personnes âgées préfèrent la Courara pour dormir. La courara est une toute petite paillote ronde, parfaitement close avec des nattes. A la base on accumule une ceinture de sable qui obstrue les moindres ouvertures pouvant exister au ras du sol et de cette façon il est impossible aux moustiques de pénétrer. C’est une opération délicate que d’entrer le soir dans un semblable réduit sans y être accompagné par le redoutable ennemi. Voici comment on procède : on allume d’abord auprès de la porte hermétiquement close, un feu de paille ou d’herbes ; lorsque l’entrée est bien enfumée on soulève rapidement la natte en paille tressée formant la porte, et dès que l’on a franchi cette dernière, une deuxième personne placée à l’extérieur calfate soigneusement cette porte avec des herbes et du sable.
Les femmes des Kouris font tous les travaux agricoles, mais ne s’occupent pas du troupeau.
On a dit que par suite d’unions consanguines la population des îles du Tchad diminuait rapidement. Ce n’est vraisemblablement pas là la cause du peu de naissances, car les unions consanguines sont rares. A titre de renseignements voici une statistique démographique de l’île de Bérirem (chef Daouda) :
Habitants, 351 ; chefs de famille, 98 (dont 84 hommes et 14 femmes) ; hommes mariés, 72 (10 ménages sans enfants) ; célibataires ou veufs, 12 ; les 72 hommes mariés ont 94 femmes (le chef a 6 femmes, un autre notable, 4 ; 14 hommes, 2 ; tous les autres n’en ont qu’une). Il existe 158 enfants, 70 chefs de famille sur 98 ont des enfants (le chef a 9 enfants pour 6 femmes, un autre notable 6 pour 4 femmes, un homme 5 enfants pour une femme, 6 chefs de famille ont 4 enfants pour 10 femmes, 16 ont 3 enfants, le reste a 1 ou 2 enfants).
Village d’Oloa : habitants, 229 ; chefs de familles 81 (dont 59 hommes et 22 femmes) en plus 5 esclaves ; hommes mariés, 49 ; célibataires ou veufs, 10 ; les 49 hommes mariés ont 65 femmes (le chef a 4 femmes, 3 notables ont 3 femmes, 6 autres ont 2 femmes, tous les autres n’ont qu’une femme). Il existe 78 enfants, 51 chefs de famille sur 81 ont des enfants (Un seul habitant a 4 enfants pour une femme, 5 ont chacun 3 enfants, les autres n’en ont que 2, 1 ou pas du tout ; 16 hommes ayant au moins une femme n’ont pas d’enfants, soit un tiers des unions stérile).
Village de Kindia : habitants, 184 ; chefs de familles, 66 (dont 55 hommes et 11 femmes) ; hommes mariés, 50 ; célibataires ou veufs, 5 ; les 50 hommes mariés ont 62 femmes (un a 3 femmes, 10 en ont 2 et les autres une). Il y a 56 enfants, 42 chefs de familles ont des enfants (un habitant a 3 enfants pour une femme, 12 en ont 2, les autres un ou pas du tout ; 16 hommes mariés n’ont pas d’enfants, ce qui représente encore un tiers des mariages stériles).
III. — HADJER EL HAMIS
Les rochers. — Le massif rocheux de Hadjer el Hamis se compose de cinq rochers principaux de rhyolite verdâtre. Le plus important est situé au N., il est isolé, à forme arrondie, et s’élève à 80 mètres environ au-dessus de la plaine. A 150 ou 200 mètres au S. se trouve un groupe de quatre autres rochers de forme sensiblement conique, séparés, et ayant de 40 à 60 mètres de hauteur ; ils se prolongent par des rocs peu importants jusqu’à 300 mètres environ vers le N.-E. L’étude de ce massif fournit une nouvelle preuve de la grande extension ancienne du Tchad.
La silhouette des rochers, quoique constitués par une roche unique, présente trois parties bien distinctes :
1o La partie inférieure, où la roche n’est visible qu’en de rares endroits et dont la surface apparaît caverneuse et corrodée. L’aspect général de la roche est celui d’un amas de blocs arrondis étroitement cimentés entre eux. Ailleurs des fragments grossièrement arrondis et polis, ordinairement de la grosseur du poing, mais parfois plus gros que la tête, sont dispersés parmi la terre végétale. Ils ont certainement été roulés par les flots du lac, sans cependant avoir eu le temps d’être parfaitement arrondis et polis. Un gazon composé surtout de Pennisetum, sec en ce moment, recouvre toute cette partie.
2o La partie moyenne, où la roche se présente à nu en masse compacte irrégulièrement découpée et bosselée, mais sans angles saillants. Elle semble avoir été battue par les flots, et la surface en est décomposée sur plusieurs centimètres de profondeur. La couleur verdâtre de la roche intacte se voit rarement, et ce sont les colorations rougeâtres, ocreuses ou blanchâtres qui dominent. Eclairée par le soleil la roche apparaît éblouissante. Cette partie s’élève à 15 mètres environ au-dessus de la plaine, c’est donc à cette hauteur que sont montés autrefois les flots du Tchad.
3o La partie supérieure est régulièrement cannelée et simule, comme aspect, celui d’une roche basaltique à prismes verticaux, la surface est blanchâtre par suite d’une légère décomposition. Les prismes sont hexagonaux et atteignent jusqu’à 2 et 3 mètres de hauteur.
Le plus important des quatre pitons groupés, le Hadjer Téous, possède une grotte des plus curieuses. Pour accéder à cette grotte on gravit d’abord une pente d’une centaine de mètres de longueur et on s’élève ainsi d’une douzaine de mètres au-dessus de la plaine pour arriver auprès de l’entrée. Sur ce parcours on rencontre des amoncellements d’éclats de roche qui ont été certainement débités par les hommes ; la cassure de ces éclats est si fraîche qu’on la croirait de date récente. On pénètre ensuite dans une sorte de vestibule, large d’une dizaine de mètres, constituant en réalité la première chambre de la grotte. A l’extrémité de cette chambre on rencontre un amas de fragments de roche plus ou moins volumineux, n’ayant pas été débités et tous recouverts d’une patine blanchâtre. Cette sorte de rempart est haut de un mètre environ et barre complètement l’entrée de la seconde chambre, sauf à un endroit où un couloir est ménagé. Cette seconde chambre, qui est la principale, est en amphithéâtre de deux mètres sur la première. Puis une rampe, de 15 mètres de longueur sur 11 mètres de largeur environ, donne accès dans un grand hémicycle dominant de 4 mètres environ la chambre précédente et qui constitue la troisième chambre ; c’est une grande estrade d’où la vue s’étend au loin sur le Tchad. Sa profondeur est de 30 mètres environ, sa largeur 15 mètres. Au-dessus c’est le ciel, et les côtés sont formés par des parois à structure plus ou moins prismatique, s’élevant de 6 à 8 mètres. Pour voir le Tchad et l’horizon, il faut monter sur le mur du fond, haut de 7 mètres environ, par de grands gradins taillés dans la roche. Quelques gros blocs de roche forment saillie sur le fond de cette chambre, on y voit même un grand prisme hexagonal éboulé du sommet.
Le sol des deuxième et troisième chambres est tapissé de nombreux petits éclats de roche, de débris d’ossements peut-être récents, et dans la troisième chambre on rencontre en outre des débris informes de poterie grossière.
Cette grotte qui dans son ensemble mesure 80 mètres environ et traverse le rocher de part en part, a un aspect des plus majestueux. Du dehors sa vue est assez insignifiante et il faut y pénétrer pour s’en rendre compte. Lorsque je m’introduisis le matin dans ce sanctuaire de la nature, je restai longtemps saisi d’admiration devant ces parois formées de prismes montant jusqu’à la voûte qui s’ouvre sur le Tchad. C’est là une impression inoubliable, et quand l’eau du Tchad venait battre le pied de cette grotte le spectacle devait être grandiose.
Il est certain que cette magnifique grotte a été autrefois aménagée en vue d’un culte et il n’est pas douteux qu’elle ait été dégagée de tous les éboulis qui devaient l’encombrer. Ce travail est fort ancien et la tradition n’en a conservé aucun souvenir : « C’est Dieu qui a fait cela, disent les Arabes et les Bélabas, il ne faut pas y aller car c’est un lieu hanté par les esprits ».
Il est probable que ces rochers, situés au bord du Tchad et visibles à une grande distance, constituent le seul accident de la région, attirèrent l’attention des premiers hommes qui s’aventurèrent sur le lac, alors que ce dernier couvrait une étendue dix fois plus grande qu’aujourd’hui et qu’ils étaient des récifs sur lesquels déferlaient les vagues.
D’innombrables animaux, chauves-souris, porcs-épics, hirondelles, aigles, vivent aujourd’hui dans les anfractuosités, et des échassiers font leurs nids sur les corniches.
Du haut du mur du fond de la grotte le coup d’œil est splendide. La plaine, s’étendant à perte de vue, est blonde aux approches des rochers, en raison des herbes sèches qui tapissent le sol. Çà et là émergent quelques touffes d’Hyphènes. Les Ouadi vert sombre du pays des Assalas figurent une forêt verdoyante qui meurt sans transition au contact du Tchad dont on distingue les sinuosités semblables à de petits rubans d’un vert pâle. A l’E., la vue s’étend sur la plaine herbeuse jusqu’à l’estuaire du Bahr el Ghazal tandis que la forêt des Assalas se prolonge en pointe vers le Dagana. C’est le plus beau spectacle qu’il m’ait été donné de contempler pendant tout mon voyage.
La forme du Tchad est vraiment insaisissable. En 1897 M. Gentil était venu à quelques kilomètres des rochers, et, à cette époque, au dire des indigènes, la nappe d’eau s’étendait très loin, les coquilles déposées par cette inondation se voient encore sur le sol. J’avais demandé à mon guide d’aller directement de Bérirem à El Hamis, croyant que je ne trouverais que des Bahrs à passer en pirogue, alternant avec de la terre ferme, il me répondit qu’il était impossible de passer. Il y avait bien de la terre ferme partout, mais elle était couverte de prairies impénétrables de Sesbania et aucun sentier n’avait été pratiqué. La nappe d’eau libre s’arrêterait en ce moment à 20 kilomètres environ au N. des rochers. D’après des observations faites, il faut admettre qu’il existe une différence de niveau de 5 mètres environ entre le Tchad actuel et le pied de ces rochers qui a été baigné par les eaux en 1897.
A l’époque néolithique toute la contrée, le Baguirmi compris, devait former un vaste lac dix fois plus grand qu’aujourd’hui qui envoyait certainement très loin des ramifications, et communiquait avec les dépressions du Mamoun et du Iro par des Bahrs immenses. Le Bahr el Ghazal allait alors baigner les montagnes du Borkou. Le Kanem et l’E. du Bornou disparaissaient sous les eaux et les rochers de Hadjer el Hamis constituaient des récifs dans cette mer intérieure.
La Flore. — Il n’est pas tout à fait exact de dire qu’il n’existe pas de types ligneux à el Hamis. Il y a d’abord les deux plantes caractéristiques des îles du Tchad et du Bahr el Ghazal, le Calotropis et le Hyphæne ; ensuite le Celtis integrifolius, l’Acacia tortilis, un autre Acacia à longues épines blanches, une Bignoniacée, le Bauhinia rufescens, le Caillea, le Balanites, le Leptadenia spartum et le Leptadenia lancifolia, le Cratæva religiosa, et une Malvacée.
Il est évident que la flore herbacée est mieux représentée. Le pays qui s’étend au pied des rochers est l’interminable fond de lac asséché depuis trois ans environ. L’Hibiscus canabinus sauvage a fait cette année la conquête du terrain. On le croirait ensemencé, tant ses tiges serrées les unes contre les autres excluent toute herbe. Une espèce de Corchorus a ailleurs conquis de vastes places. On remarque aussi de très nombreux jeunes pieds de Calotropis élevés de 10 à 15 centimètres. Il n’est pas douteux que cet arbuste improductif envahira le sol dans peu de temps et ce sera comme au Bahr el Ghazal le végétal dominant, jusqu’au jour où une nouvelle crue interviendra et tuera toute la végétation terrestre.
Ce serait un sujet d’études fort intéressant que la marche de la végétation du Tchad, la lutte des espèces, lutte entre elles, mais surtout ici lutte entre les conditions physiques. L’immersion tue la plupart des espèces terrestres, le contraire tue les aquatiques, mais il est intéressant de constater que dès l’arrivée de la crue, les Bahrs charrient un véritable plankton de graines venues de nénuphars, de cypéracées, de graminées palustres qui ont bientôt conquis les nouvelles terres inondées.
Certaines espèces qui croissent habituellement la base dans l’eau : les Sesbania, les Abotj, les Papyrus, le Scirpus lacustre, Arundo, sont parvenus à s’habituer assez bien à la sécheresse. Sur les vases asséchées depuis 2 ou 3 ans on les trouve encore ; beaucoup moins robustes il est vrai que leurs congénères aquatiques, continuant néanmoins à végéter, à fleurir, mais en général n’émettant pas de graines. C’est par de robustes rhizomes que les Papyrus font la conquête des marais. Si l’assèchement se prolonge ils meurent enfin. La plaine à l’E. de el Hamis, qui fut inondée en 1897 et asséchée deux mois après, est ainsi toute couverte par places de grosses souches de roseaux secs et de rhizomes de Papyrus morts, dont les robustes griffes sont en partie déterrées ; on peut considérer ces espèces comme formant un groupe spécial. Elles croissent sur un sol noirâtre renfermant des débris de végétaux imparfaitement décomposés.
Les aquatiques proprement dits du Tchad : Pistia, Wolfia, Nymphea, Utricularia, Pontederia, Nitella, Algues diverses, Diatomées, meurent dès l’assèchement (sauf le Nymphea dont la bulbe reste vivace quelque temps).
C’est donc à la venue des crues que leurs graines ou bien leurs spores sont apportés et ils ne se développent en grandes quantités que dans les mares calmes, dans les sinuosités des Bahrs, là où l’eau est peu agitée par les vagues. Dans les parties agitées, au contraire, il n’y a pas trace de végétation et la surface de l’eau est libre.
Lorsque, par suite de l’abaissement du niveau du Tchad, certains Bahrs cessent de communiquer avec la nappe générale, leur contenu se charge de sels de soude. Toutes les plantes aquatiques ne tardent pas à périr, à l’exception d’une Oscillariée qui tapisse le fond vaseux de ces mares alcalines et donne à l’eau, par réfraction de la lumière, une teinte bleuâtre qui rappelle tout à fait les eaux de l’Océan.
Beaucoup d’espèces de marais, Graminées et Cypéracées des terres humides, s’accommodent au contraire très bien des sols alcalins, mais elles ne vivent pas dans l’eau. Au bord des Bahrs saumâtres on voit leurs rhizomes (Arundo) ou leurs longues tiges rampantes (Panicum épineux) qui s’avancent progressivement sur le sable ou la vase à mesure que l’eau se retire. Dans les Bahrs qui communiquent avec la nappe lacustre, ce n’est qu’au retrait de l’eau que les Sesbania, les Corchorus olitorius, les Abotj peuvent germer sur la vase humide. Sous l’action de l’eau qui baigne encore journellement le sol, par suite de la poussée des vagues occasionnée par le vent, ces plantes s’élèvent rapidement. Si l’année suivante l’inondation arrive à recouvrir leur pied, elles perdent tout leur épanouissement et s’élèvent (les Abotj) d’autant plus que l’eau monte davantage.
Les espèces terrestres font bien moins rapidement la conquête des terres desséchées. Il est certain que les submersions répétées à de courts intervalles et prolongées plusieurs mois, excluent une foule de plantes. Cela explique la grande pauvreté de la flore des îles du Tchad, l’absence presque totale de types ligneux, alors qu’il en existe encore une trentaine d’espèces dans le Kanem, beaucoup moins favorable cependant à la végétation sahelienne puisqu’il jouit d’un climat saharien. On ne trouve en grande majorité sur ces îles que des espèces annuelles, donnant leurs graines très rapidement et en produisant une très grande quantité. La plupart entrent seulement en végétation aux pluies de fin juin ou juillet, et dès le début d’octobre les graines sont tombées et la plante desséchée. En beaucoup de cas, la montée de la crue peut aider incontestablement la dénudation des tertres, les vagues balayant les graines qui ont été enlevées dans les sols envahis par l’eau. D’autres agents interviennent aussi : l’abondance dans les îles de l’archipel Kouri du Calotropis et de trois espèces de Leptadenia, toutes asclépiadées à graines munies d’aigrettes, s’explique par le vent. Les herbes à fruits accrochants, Tiliacées, Centaurée, Askenit, Andropogon, etc., peuvent être transportées accrochées aux poils des animaux ou aux vêtements de l’homme. D’autres, Cynodon, Cypéracées, ont pu être apportées grâce à la ténuité de leurs graines. Le pouvoir envahissant des rhizomes de ces espèces est tel qu’il suffit de quelques fragments pour faire la conquête de vastes espaces. D’autres, des Légumineuses, des Graminées, des Cucurbitacées, recherchées par les mammifères herbivores ou les oiseaux, ont été mangées et certaines graines, non digérées, ont donné des plantes plus tard, là où l’animal déposait ses déjections.
Fréquemment j’ai observé une foule de plantes qui levaient sur le crottin d’éléphant. La flore de ces crottins est très curieuse, on trouve des Prosopis, des Bauhinia, d’autres Légumineuses et une autre plante dont le fruit gigantesque est nommé aubergine d’éléphant par quelques peuplades. Ailleurs dans le guano des oiseaux (rochers de Moïto, Hamis, par exemple) sortent des germinations de Ficus.
Malgré ces moyens de propagation et d’autres non énumérés ici, beaucoup d’espèces du Kanem et du Baguirmi n’ont point encore fait la conquête du Tchad, les plantes à tubercule ou à bulbe par exemple font presque défaut.
Les habitants. — Les habitants sont :
1o Les Beni-Sett, tribu arabe assez nombreuse, possédant des troupeaux et cultivant le petit mil. Ils sont venus du delta du Chari il y a seulement deux ans environ.
2o Les Bélalas, originaires d’Aouni au N.-E. de l’ancien lac Baro, qui sont venus s’installer là en 1897. Ils n’ont pas de troupeaux mais possèdent de très belles cultures de petit mil.
CHAPITRE XVIII
DERNIÈRES NOTES
I. Le Chari entre Fort-Lamy et Mandjaffa. — II. Le Chari à Mandjaffa. — III. Le Chari entre Mandjaffa et les Niellims. — IV. Les Routos.
I. — LE CHARI ENTRE FORT-LAMY ET MANDJAFFA
Les Baguirmiens des bords du Chari, à l’encontre de ceux du Ba Mbassa, ont des cases circulaires, en pisé, dont l’architecture rappelle celle de la case Bambara du Soudan. Le mur, haut de 2 à 3 mètres, est percé d’une unique ouverture rectangulaire, la porte, haute de 1m,50 à 1m,80 par laquelle on peut ordinairement passer sans se baisser.
Bien que toutes les récoltes soient faites depuis quelques jours il n’en apparaît pas moins comme très évident que l’agriculture de cette contrée est beaucoup plus avancée que celle des régions au N. du 12e parallèle.
Les toits de paille des cases sont envahis par les tiges grimpantes des Lagenaria et les gros fruits de cette Cucurbitacée ne vont pas tarder à mûrir. Près des cases quelques plantations de Coton, d’Indigo, de Chanvre (Hibiscus cannabinus), et de courges, ces dernières couvrant tous les endroits libres.
La récolte, à peu près terminée, a été bonne, la saison des pluies ayant été normale, les espèces de Penicillaria et les panicules de Sorgho rouge ou blanc, réunis en gros tas dans les villages, achèvent de mûrir. A Mandjaffa une de ces meules mesure une dizaine de mètres de hauteur et représente plus de 30 tonnes de mil.
La récolte du Coton est commencée depuis une quinzaine de jours et les femmes nettoient en ce moment les capsules recueillies les jours précédents. Il est à observer qu’ici on ne cueille ces capsules que quand elles sont mûres.
De beaux arbres se dressent dans les villages et cela contraste avec les agglomérations du N. du Baguirmi dépourvues de tout ombrage. On remarque surtout de grands jujubiers, des Diospyros, le Ficus populifolia, le Sclerocarya, le Cytharexylon. A partir de Bougoum, les Borassus deviennent aussi plus fréquents à mesure que l’Hyphæne devient rare, on sait que le Borassus (Ronier) atteint son développement maximum du 10e au 11e parallèle en Afrique centrale.
Les Vigna (Haricot) et les Arachides sont très peu communs dans cette partie du Baguirmi ; les troupeaux de bœufs et de moutons manquent totalement, les volailles même sont introuvables. Il semble que Rabah ait ruiné systématiquement tous les villages du Baguirmi.
L’aspect du pays ne laisse pas d’être riant. C’est le paysage nigérien à hauteur de Djenné et de Sansanding : même flore, même terrain, même régime hydrographique, saisons analogues.
A cette époque le fleuve s’étend parfois sur 3 ou 4 kilomètres de largeur et de grandes prairies de Bourgou, d’Andropogon, de Vossia, courent depuis les rives boisées jusqu’à une distance de plusieurs centaines de mètres, parfois de plusieurs kilomètres de chaque côté, formant ainsi de verdoyantes prairies à travers lesquelles circule notre embarcation.
II. — LE CHARI A MANDJAFFA
Le fleuve coule sensiblement du S. au N., sa largeur est de 400 à 500 mètres environ. Du côté français, au moment des hautes eaux (31 octobre 1903), la falaise a de 5 à 6 mètres de hauteur ; la terre est argilo-sablonneuse, de couleur gris-jaunâtre avec de nombreux débris de poteries, coquilles d’Helix et Ampullaria jusqu’à 2m,50 de profondeur[253].
La rive gauche est basse et sablonneuse, quelques dunes dépassent encore le niveau de 1m,20. Elles sont couvertes de Graminées, Légumineuses et Ipomea. L’eau du Chari à Mandjaffa est beaucoup plus trouble qu’à Fort-Lamy. Il est bien certain que les boues se déposent tout le long du cours et principalement dans les prairies aquatiques qui jouent alors le rôle de filtres.
III. — LE CHARI ENTRE MANDJAFFA ET LES NIELLIMS
Les observations du fleuve sont encore trop peu nombreuses pour que nous puissions connaître parfaitement son régime. Ces observations, confiées presque toujours à des sous-officiers, ne présentent pas d’ailleurs de grandes garanties d’exactitude.
Les règles d’étiage se sont souvent déplacées, les observateurs, obligés de s’absenter, confient à des indigènes la garde de l’instrument, qui, renversé par un coup de vent ou une fausse manœuvre de pirogue, était replacé n’importe comment. Aussi, je le répète, ces observations n’ont qu’une valeur très relative et on ne peut les envisager que dans leur ensemble.
Elles ont porté sur les années 1901, 1902 et 1903.
Le régime du fleuve est très variable d’une année à l’autre.
L’étiage du Chari a été atteint le 10 mai 1903 à Mandjaffa, la montée s’est faite très lentement puisque, du 15 mai au 30 juin, le niveau s’est élevé seulement de 20 centimètres à Mandjaffa, et à ce moment l’eau atteignait la même hauteur qu’à la date du 8 avril. La montée s’est ensuite faite très vite du 15 juillet au 15 septembre.
Le niveau s’est élevé cette année de 3m,50 à 4 mètres (je le répète les règles ont été déplacées et c’est donc un chiffre peu précis). Le niveau a commencé à baisser à Mandjaffa le 20 octobre, le 1er novembre il avait déjà baissé de plus de 30 centimètres, et le 4 novembre, à quelques kilomètres en amont de Mandjaffa, le Léon Blot s’est jeté sur des bancs de sable recouverts de 30 centimètres d’eau seulement là où il avait navigué librement vers le 20 août[254].
A Mandjaffa les pluies sont peu nombreuses. En 1903 on a compté : 26 avril, 1re tornade ; mai, 5 tornades ; juin, 6 tornades ; juillet, 7 tornades ; août, 8 tornades ; septembre, 8 tornades ; octobre (?) il y en a eu deux assez fortes à la fin, dont une du 26 au 27, soit de 35 à 40 orages pendant la saison des pluies.
D’après le lieutenant Denuel une grande patte d’oie réunirait le Ba Bousso au Ba Mbassa, de sorte que Mandjaffa serait dans une île au moment des hautes eaux. A mesure que la crue s’élève dans le Ba Bousso, elle envahit les deux extrémités du Ba Mbassa, la rencontre des deux eaux se fait entre Matia et Boukalé.
En 1903, elle s’est faite dans les premiers jours de novembre. Dans le haut Ba Mbassa la marche est d’abord très lente, jusque dans les premiers jours d’août l’eau coulait déjà en aval de Korbo et elle n’est parvenue à Tcheckna que le 11 octobre. A cette époque les premiers filets d’eau arrivaient près de la ville, mais la montée était lente, puisque le 21 on traversait encore le lit presque à sec à Monglé et à Gardrebo, à une trentaine de kilomètres à l’O. de la capitale. Dix jours plus tard le lit était infranchissable, les terres voisines inondées et le convoi dut traverser le lit en pirogues aux environs de Tcheckna.
A 8 kilomètres en amont d’Andjia[255] le fleuve a de 3 à 4 kilomètres de large, et la berge sur la rive gauche a 8 mètres de hauteur. Les couches superposées que l’on remarque dans cette berge sont à la surface une couche argilo-sablonneuse de 3 mètres, ensuite une couche d’argile grise de 1m,50, après vient une couche de 0m,80 de sable blanc et enfin une couche de sable jaunâtre ayant de 2m,50 à 3 mètres au-dessus du niveau de l’eau.
Partout ailleurs la berge abrupte offre à cette époque un escarpement exondé de 2 à 5 mètres, formé d’une terre argilo-sablonneuse jaune-roussâtre. La partie supérieure, d’une coloration plus vive, porte une couche de terre végétale plus ou moins épaisse.
En divers endroits (d’Andjia à Honko) le lit a encore de 1 à 2 kilomètres de large. La rive E. et beaucoup plus souvent la rive O. présentent alternativement la berge abrupte. Du côté opposé à cette berge s’étend une large bordure basse, large parfois de plusieurs kilomètres, sans arbres, marécageuse et sur laquelle s’étend en ce moment l’inondation. A sa limite un talus boisé, en pente très faible, s’élève jusqu’à une hauteur sensiblement la même que celle du talus abrupt opposé. De part et d’autre s’étend une steppe boisée (aspect pauvre) dans laquelle les arbres et arbustes épineux sont déjà en petit nombre. En cette saison (5 novembre) les herbes de la steppe sont complètement desséchées et les incendies allumés par les indigènes commencent à les consumer en certains endroits. Au contraire les hautes herbes (Andropogon, Arundo, Bourgou, Vossia) ont encore presque partout les pieds dans l’eau et la plupart n’ont fleuri que depuis peu.
En quelques points se dressent sur les berges les villages baguirmiens à demi détruits, tous situés sur la rive droite française (Andjia, Onko, Balenyéré, Mondo, Banglama, Bainganna, Maffaling, Laffana). Beaucoup d’autres, portés sur les cartes de Nachtigal, ont disparu. Ceux qui restent ont perdu, par les incursions rabistes, une grande partie de leurs habitants et les ruines tiennent plus de place que les portions habitées. Sur celles-ci, tout près de la rive, s’élèvent des cases rondes spacieuses, au mur mince en pisé gris, au toit de chaume en cloche. Du haut de la berge, femmes et enfants regardent passer le vapeur avec curiosité. Cela rappelle tout à fait comme cadre et physionomie les villages sarracolés des bords du moyen Sénégal.
Des traces de l’industrie humaine se voient très fréquemment en dehors des villages actuels. Le talus du fleuve est parfois rempli de débris de poteries et d’ossements jusqu’à une profondeur de 2 et même de 3 mètres. Nul doute que ce pays n’ait été autrefois très habité.
Au S. de Mondo, le fleuve s’étale sur des prairies jusqu’à avoir 8 à 10 kilomètres de large et envoie plusieurs bras se perdre dans le S.-E.
Au S. de Miltou, le Chari se divise en bras latéraux contenant de l’eau au moment de la crue, mais avec un seul bras principal nommé Loré par les bouas de Demraou, Mèr par les hommes de Gori. Cette artère, large de 800 à 1.200 mètres (non compris la plaine actuellement inondée), constitue le Chari proprement dit. Les deux rives sont basses, en de nombreux endroits l’eau passe encore par dessus, bien que le niveau ait baissé d’environ 1 mètre depuis le maximum de la crue. Des bancs de sable commencent à se découvrir en certains endroits, mais les herbes inondées occupent encore de grandes étendues. A Demraou, quand le fleuve est à l’étiage, on le traverse facilement à gué et l’on voit parfois les grands mammifères, tels que les buffles, passer d’un bord à l’autre.
Demraou est un village kirdi situé presque en face de Damtar. Destenave en a fait un point de transit où on a installé la population de Damtar qui a émigré sur la rive droite. Le dernier occupant du poste, le sergent Lefèvre, y a fait une plantation de Papayers en plein développement. Ces papayers, semés en novembre 1903, ont en ce moment un an seulement et cependant la plupart sont hauts de 2m,50 et chargés de fruits qui vont bientôt mûrir. Ces arbres sont de toute beauté. Ce résultat a été obtenu grâce à des arrosages journaliers et l’adjonction d’engrais au pied des jeunes pieds quand ils furent plantés. La Patate, le Manioc et le Haricot de Lima ont été en outre introduits au même poste.
Le village de Gori est situé sur la rive droite du Chari, à 15 kilomètres environ (3 heures de chaloupe) en amont de Demraou. Composé d’une trentaine de cases il ne comprend qu’une centaine d’habitants. En ce moment le chaume des cases disparaît sous l’avalanche des Lagenaria et les Acacia albida dont les rameaux, couverts de feuilles et de fleurs, donnent beaucoup d’ombre.
Les gens de Miltou, Damtar, Demraou, Gori, Kouno, disent constituer autant de populations différentes. Leurs dialectes sont en tout cas fort dissemblables, mais ils semblent cependant appartenir à la grande famille des Bouas et des Niellims. Ce sont des hommes presque tous très robustes, fétichistes, mais à beaucoup d’égards moins superstitieux que les peuples du S. Le Penicillaria, le Sorgho et l’Eleusine leur fournissent toute l’année une nourriture abondante. Le reste sert à fabriquer une boisson fermentée (Mérissa). Il n’y a point de troupeaux de bœufs dans le pays. Il y a une quinzaine d’années les Peuls vivaient en groupes nombreux le long du Chari depuis Bousso jusqu’à Damtar et Gori. Ils faisaient pâturer leurs troupeaux entre le Ba Gollo et le Logone et passaient même le Chari pour aller jusque chez Korbol. Rabah s’empara de presque tous les troupeaux de ces nomades. Ceux qui purent s’échapper ne revinrent pas. Depuis 1902 les Chouas du Dekakiré viennent conduire leurs troupeaux en saison sèche à Korbol et même à Demraou.
Depuis Demraou jusqu’au Bahr Sara le Chari a de 1 à 3 kilomètres de largeur, les berges les plus hautes émergent de 2 mètres actuellement et comme le niveau a déjà baissé de 1 mètre environ il est certain que les années de très fortes pluies le fleuve doit déborder au loin sur la plaine.
J’ai à peine reconnu les Niellims, tant l’aspect a changé en 4 mois et demi. Tous les mils sont récoltés alors qu’ils n’étaient pas encore ensemencés il y a 130 jours. L’Acacia albida a toute sa frondaison. Aux flancs des rochers s’accrochent des touffes d’herbes déjà jaunies, là où la roche apparaissait partout à nu. Le toit des cases disparaît sous les Lagenaria.
IV. — LES ROUTOS
Entre le confluent du Bamingui et Fort-Crampel on rencontre le poste des Routos(Lutos) où je me suis arrêté une journée (24 novembre). J’en ai profité pour questionner les indigènes qui appartiennent aux mêmes groupes que les Ndoukas. En cet endroit la rivière (le Gribingui) mesure 35 mètres de large. Les rochers de son lit sont couverts de bancs étendus d’Etheria. Ces coquilles sont recueillies pour faire de la chaux. Aux environs, des clairières pleines de Graminées presque sèches, s’étendent à perte de vue. La végétation arborescente est maigre, elle se compose de Lophira, de Butyrospermum, de Khaya, de Parkia, de Terminalia et surtout de magnifiques Daniella thurifera qui sont dans cette région les rois de la végétation.
A quelques kilomètres en aval de l’agglomération Routos, existent sur la rive droite de la rivière de véritables monticules de scories de fer indiquant que cette région, aujourd’hui déserte, a été autrefois peuplée[256]. En amont du petit poste, le lit de la rivière s’élargit jusqu’à avoir 50 mètres, il est presque partout profondément encaissé et décrit d’innombrables méandres. Les hippopotames ont descendu le cours et on n’en trouve plus en cette saison.
Au sujet de cette tribu le Dr Decorse s’exprime ainsi[257] :
Nous avons fini par gagner le poste de Lutos. Il est aussi misérable que les autres. Son rôle semble être de figurer, pour la plus grande joie des passagers, qui peuvent ainsi croire que le Gribinghi n’est pas encore désert.
Ces Lutos, qui lui donnent leur nom, s’appellent en réalité Léto ; certains voyageurs en ont fait Routou ou Aréto, et les ont rangés dans la famille Banda. A ne considérer que les apparences, l’erreur est parfaitement excusable. Toujours est-il qu’ils ne parlent pas Banda et se réclament du groupe Ndokoa dont le centre est beaucoup plus à l’E.
Pour ma part, je ne suis pas très convaincu que Ndokoa et Banda n’aient pas une souche identique ; mais au point de vue politique la distinction est nette el bien tranchée.
Ceux qui habitent les rives du Gribingui ne sont vraisemblablement pas de race pure. Ils viennent de l’E. et ont dû se mêler à des autochtones qui habitaient cette vallée.
C’est d’autant plus probable que beaucoup d’indigènes ont une stature et un habitus capables de les différencier des Ndokoa Maistre, en particulier, a appelé Sara les gens de Mandjatezé, qui sont en réalité de Ngama, dont la parenté avec les Ndokoa paraît incontestable. Nachtigal les signale, en effet, dans le Timan, au S. du Ouadaï, et les Ndokoa affirment, avec quelques réticences, qu’ils sont bien leurs parents. Quant aux Tané, qui habitent aussi, avec les Valé et les Télé, la rive gauche du Gribinghi, ils portent le nom par lequel les Banda désignent tous les Ndokoa.
On peut en somme admettre avec certitude la parenté Ndokoa directe entre les Léto, les Tané, les Valé et le Koungoa. Le groupe Ngama est peut-être un peu spécial.
Comme groupes issus du mélange des Ndokoa et des autochtones, il y a les Gaga, les Koumo-Ngama, les Tétokoula, les Doubaï, les Gnalbado,les Nooghé, les Javéla, les Valé, Djoko, chez qui cette épithète pourrait déceler un mélange profond avec des Banda-Djoko.
Mais il y a de telles confusions entre tous ces noms et toutes ces tribus, qu’on ne peut guère espérer éclaircir la question quand on traverse le pays au pas de course.
Si les types physiques présentaient des différences accentuées, on pourrait se risquer à être plus affirmatif. Mais je crois qu’en la circonstance il est préférable de ne pas trop s’avancer, de crainte d’ajouter de nouvelles erreurs à celles qui sont déjà accréditées.
[253]Mandjaffa était autrefois centre important, résidence temporaire des Mbangs du Baguirmi.
[254]A Bousso, le fleuve était à son maximum du 12 au 15 octobre, le 18 il avait déjà un peu baissé, le 27 il avait baissé de près d’un mètre.
[255]30 à 40 kilomètres environ en amont de Mandjaffa.
[256]Les Routos ne comptent pas 300 individus, ils habitent 3 villages dont deux sont situés à 1 kilomètre sur la rive gauche, et l’autre à 5 kilomètres environ sur la rive droite.
[257]Du Congo au Lac Tchad, p. 77-78.
CONCLUSION
Les possessions du Haut-Oubangui et du Tchad, par leur pauvreté, par la faible densité de leur population, par le traitement auquel ont été soumises les peuplades fétichistes depuis une vingtaine d’années, sont encore loin de dédommager la France du sang versé et des efforts dépensés.
Ces pays, nous ne devons pas nous le dissimuler, ne sont pas appelés à un grand développement économique. Les terres cultivables sont restreintes, et aux mains de populations Saras et Bandas, actuellement en décroissance. Quand la sécurité sera vraiment rendue à ces populations de paysans, nos administrateurs pourront les encourager à cultiver les lianes à caoutchouc, à faire des plantations collectives autour de chaque village. Jusqu’à ce jour nos commerçants ne pourront qu’acheter l’ivoire, mais l’éléphant aura bientôt disparu, et faire récolter le caoutchouc de brousse, dont la production n’est pas indéfinie. Mais la préoccupation des cultures commerciales ne devra pas nous faire oublier la nécessité des cultures vivrières. Sauf chez les Saras, la famine sévit tous les ans, pendant quelques mois, sinon d’un bout de l’année à l’autre, dans tous les pays que nous avons parcourus, et nulle part davantage que près des postes que nous occupons depuis le plus longtemps. En 1903, si la production du caoutchouc allait en s’accroissant dans le Haut-Oubangui et chez Senoussi, par contre le bétail diminuait notablement dans le territoire militaire et, sauf entre 9° et 10° de lat. N., nulle part il n’y avait assez de mil ou de sorgho. Il faut nous efforcer de développer la production des denrées alimentaires, afin d’écarter les maladies, les diverses causes de mortalité qu’amène la vie de privation de l’indigène.
Ces mesures sont d’autant plus urgentes que la population est extrêmement faible. D’après nos évaluations, il n’y a pas plus d’un million d’habitants dans la région du Chari-lac Tchad. Et ce chiffre comprend, non seulement les indigènes des territoires déjà occupés, mais aussi les populations habitant des contrées encore indépendantes comme le Ouadaï, le Dar Sila, etc., et qui doivent revenir un jour à la France, en vertu de la convention de Berlin. Cette population se répartirait ainsi :
| Kanem actuel | 10.000 | habitants. |
| Iles du Tchad | 35.000 | — |
| Secteur de Massakori | 12.000 | — |
| Cercle de Fort-Lamy | 10.000 | — |
| Dar Fittri | 3.000 | — |
| Debaba et Kouka | 10.000 | — |
| Baguirmiens de Massénya, Abou-Gher, environ | 30.000 | — |
| Baguirmiens des bords du Chari-Bagollo | 20.000 | — |
| Baguirmiens du Chari-Ba Mbassa | 10.000 | — |
| Guérés et habitants des régions environnantes | 5.000 | — |
| Ouled-Rachid | 5.000 | — |
| Bouas | 20.000 | — |
| Cercle de Bousso | 20.000 | — |
| Total | 190.000 | habitants. |
A cette liste il faut ajouter la suivante :
| Ouadaï | 100.000 | habitants. |
| Dar Sila | 50.000 | — |
| Salamat | 25.000 | — |
| Dar Rounga | 50.000 | — |
| Région du lac Iro | 10.000 | — |
| Saras de l’E. | 15.000 | — |
| Total | 250.000 | habitants. |
Enfin, la troisième liste suivante :
| Pays de Senoussi et contrées au contact du bassin du Nil | 50.000 | habitants. |
| Saras de l’O. | 125.000 | — |
| Adamoua oriental | 25.000 | — |
| Mandjias | 60.000 | — |
| Bandas des bassins de l’Ombella, de la Kémo et du Kouango | 250.000 | — |
| Banziris, Ouaddas | 50.000 | — |
| Total | 560.000 | habitants. |
En tout un million environ. Si l’on réfléchit que cette population est disséminée sur un territoire immense, on sentira quels vides existent, et combien sont nombreuses les régions désertes que l’on rencontre dans cette partie du continent africain.
Cette population si faible est en décroissance très marquée. Nous en avons indiqué quelques-unes des causes dans nos chapitres historiques : les luttes de peuplade à peuplade, de village à village ; les razzias des esclavagistes ; et, depuis l’introduction des armes à feu, la formation d’Etats comme ceux de Rabah et de Senoussi. La France est intervenue pour châtier quelques-uns de ces bandits, et son œuvre a paru synonyme de paix et de prospérité pour ces malheureuses populations. Il faut que cette apparence devienne enfin une réalité.
La première chose à faire est de garantir à l’indigène sa liberté et la possession de ce qu’il aura acquis par son travail. La traite des esclaves sévit encore presque partout au centre de l’Afrique ; elle est particulièrement désastreuse pour les populations fétichistes qui vivent au contact des états musulmans. Nous avons nous-même été témoin des malheurs qu’une razzia méticuleusement organisée par Senoussi peut accumuler. Nous avons vu des villages complètement anéantis, des cultures abandonnées et des régions relativement prospères devenir désertes par suite de l’exode des indigènes chassés par les musulmans. Il importe donc de faire disparaître sans restriction aucune les razzias périodiquement faites par les sultans que nous protégeons. L’esclavage de case sera une nécessité pendant une longue période encore, mais il faut au moins empêcher toutes les opérations des trafiquants, opérations qui consistent à enlever des noirs dans une partie du continent pour aller les vendre dans une autre région. Les populations noires que nous avons vues sont toutes essentiellement agricoles ; le jour où elles sentiront qu’elles peuvent cultiver leurs terres en sécurité, ou qu’elles auront l’espoir d’en jouir, elles travailleront pour produire davantage et accroître leur bien-être[258].
Il est regrettable que l’établissement d’un poste français provoque un exode en masse des indigènes. Notre administration leur est fort lourde, et s’ils doivent un jour recevoir les bienfaits de la civilisation, ils n’en sentent encore que les charges. Ces charges pèsent surtout sur ceux qui sont à notre contact, parce qu’il nous est plus commode de les réquisitionner. Ce sont eux qui subissent le plus durement la néfaste corvée du portage, corvée qui crée le désert près des routes suivies par nos convois[259]. Ce sont eux aussi qui fournissent, comme impôt, toutes les denrées dont nous avons besoin pour l’alimentation du corps d’occupation du Tchad et des miliciens, entretenus par l’administration civile.
Le nombre des rationnaires militaires du Chari est de 800 environ, mais avec le gaspillage (nourriture des boys, des femmes de tirailleurs, d’employés indigènes non rémunérés, etc.), il faut compter 2.000 rationnaires recevant en moyenne 1 kilogramme de mil par jour. Ajoutons à ce chiffre environ 300 chevaux appartenant à des Européens ou à l’administration, qui absorbent eux-mêmes environ 1.000 kilogrammes de mil par jour. Il est donc consommé journellement dans le Territoire militaire 3 tonnes de mil ; dans le Territoire civil on consomme environ une tonne de mil par jour et une tonne de farine de manioc. Nous avons, d’après ces chiffres, évalué que la consommation de notre administration en vivres indigènes dans toute l’étendue du territoire du Tchad était, en 1903, de 4 tonnes de mil et une tonne de manioc. Tous ceux qui consomment ne produisent pas. Beaucoup ne sont même pas des auxiliaires de notre administration, mais des parasites comme nous en avons rencontré constamment sur notre route dans les postes. Cette quantité de vivres indigènes est considérable si l’on tient compte du fait qu’elle est prélevée sur un nombre minime de producteurs, en général pauvres, non encore remis du désarroi dans lequel les a jetés, d’abord, la conquête de ces contrées par Rabah, ensuite, notre propre occupation. Il faudrait réduire cette quantité de vivres indigènes au strict minimum et s’efforcer autant que possible de faire produire ces vivres par ceux qui les consomment. Nous souhaitons de voir se constituer dans chaque poste des cultures étendues pour sa propre alimentation, cultures qui seraient faites non pas par des indigènes indépendants du poste, mais bien par les noirs que nous occupons qui peuvent trouver le temps d’établir, à leurs moments perdus, les petites plantations destinées à leur subsistance.
Il faut éviter de confier à des Sénégalais et surtout à des Yakomas ou à des Pahouins, la direction des petits postes installés loin des Européens dans la brousse. Ces indigènes rendent de grands services bien encadrés, mais livrés à eux-mêmes, ils deviennent pillards et maraudeurs, et parfois ils ne se font pas faute de tuer ou de faire tuer un indigène pour s’emparer de son bien ou de ses femmes.
Nous voudrions aussi voir instituer des impôts bien précis pour les indigènes et ne pas les laisser prélever d’une façon très arbitraire par des tirailleurs ou par des chefs de villages que nous connaissons encore très mal.
Il est indispensable enfin d’introduire plus d’humanité dans le traitement des indigènes. Il n’est pas digne de la France de maintenir les punitions corporelles plus longtemps dans ses possessions du Congo et du centre africain. Nous savons que la haute administration du Congo avait, dès avant 1902, pris des arrêtés interdisant ces peines corporelles et en particulier la chicotte. Malheureusement un certain nombre de fonctionnaires coloniaux n’en avaient tenu aucun compte et, dans plusieurs postes, lors de notre voyage, la chicotte était appliquée parfois pour des peccadilles.
Nous n’insisterons pas sur ce point : l’opinion publique a été suffisamment avertie par les « scandales coloniaux » et par les révélations de la mission de Brazza qui n’a point tout vu. La condamnation de deux des coupables n’aura été qu’une comédie si l’on ne se décide, envers les indigènes, à une politique d’humanité et de protection. Sinon, c’est dans un demi-siècle la disparition complète de ces populations travailleuses que nous avons eu la bonne fortune, tout exceptionnelle, de rencontrer dans notre colonie ; c’est le désert qui prendra possession de l’Afrique centrale française.
Après l’examen spécial des territoires du Chari et du Tchad, il convient d’examiner dans leur ensemble ces territoires et ceux que nous avions vus dans nos précédents voyages. Ils forment une immense bande de plaines et de plateaux rocailleux inclinés en pente douce vers le N. C’est ce que nous nommerons bande soudanaise ou plus simplement le Soudan. Cette bande s’étend depuis la grande forêt équatoriale jusqu’au désert saharien.
De toutes les nations, la France possède dans cette bande le plus vaste empire, car sa domination s’étend sur les pays de la Sénégambie et de la Guinée française, sur une grande partie du bassin du Niger, enfin sur la presque totalité du bassin du Chari.
Cet empire soudanais a pour notre avenir colonial une valeur incontestable.
Les peuples du Soudan, bien supérieurs aux autres noirs, ont un état social tel qu’on peut le considérer comme une demi-civilisation. Ils sont dociles, prolifiques, désireux de se créer un bien-être, presque tous habitués à cultiver la terre qu’ils ont débroussaillée et conquise sur la forêt.
Si les puissantes sylves de l’équateur ne s’étendent plus jusqu’au Sahara, c’est sans doute à l’influence de l’homme qu’il faut l’attribuer. Les incendies allumés par lui ont consumé et anéanti peu à peu la sombre voûte qui l’empêchait de contempler le ciel bleu. Le gibier, puis les fruits et les racines de la brousse ne suffisant plus à sa vie, il a cultivé des plantes pour s’en nourrir sur l’emplacement même qu’il avait brûlé. Il n’a plus eu besoin de manger son semblable, les jours de famine, et cette funeste habitude de l’anthropophagie s’est continuée seulement au contact de la forêt, mais n’est plus pratiquée que comme fétichisme par une sorte de retour aux habitudes ancestrales. Plus tard ont commencé, dans le N. du Soudan, les relations de peuple à peuple et les échanges commerciaux.
Le premier des trafics a été la vente de l’homme comme bête de travail et, pendant des dizaines de siècles, elle a continué, encouragée par l’Europe civilisée, qui achetait les esclaves à la Côte, et pratiquée par les Arabes qui allaient s’approvisionner au cœur même de l’Afrique.
La traite des noirs a accumulé des ruines profondes dans tout le Soudan, elle a déchaîné des guerres anéantissant des empires prospères, elle a non seulement dépeuplé des pays entiers, elle a enlevé à tous les noirs la stabilité qui leur eût permis de travailler et de s’élever en civilisation.
Une ère nouvelle que nous espérons féconde en résultats a commencé pour ces pays au jour de la pénétration française. L’exploration scientifique et méthodique du Soudan est assez avancée pour nous faire entrevoir les principales ressources naturelles dont le commerce et l’industrie de notre patrie pourront tirer un jour tout le parti désirable.
Au S., dans la zone de transition qui s’étend vers la forêt vierge, se trouvent les lianes à caoutchouc de grande taille, ainsi que ces petites plantes brûlées annuellement dont nous avons signalé l’abondance et la valeur. On peut aussi y cultiver les arbres fournissant la Kola, si recherchée des noirs, ainsi que les caféiers qui y croissent déjà à l’état sauvage.
La zone moyenne est la plus peuplée et la plus intéressante. C’est le pays des grandes cultures et des champs admirablement entretenus. C’est là surtout que la culture du cotonnier peut prendre de l’extension.
Enfin, les steppes du N., où vivent les autruches et où se rencontrent les Acacias donnant la gomme arabique, sont, par excellence, des pays de pâturages et de peuples pasteurs.
En résumé, la France possède un grand empire soudanais avec des populations dont l’état social a marché dans le même sens au contact de l’Islam, dont les besoins sont analogues et dont l’avenir sera sans doute le même. Dans chacune des trois zones de cet empire les ressources naturelles sont de tous points identiques depuis les rives de l’Atlantique, jusqu’aux confins du bassin du Nil.
La partie centrale et orientale de cet empire, la dernière conquise, est naturellement celle dont l’évolution est la moins avancée. C’est aussi celle où la traite des esclaves et les guerres incessantes ont accumulé le plus de ruines. C’est donc celle, où il faudra la plus longue période d’incubation et d’administration prévoyante avant que nous puissions en tirer le moindre parti.
Pendant cette période, l’agriculture presque anéantie se reconstituera, de nouveaux villages s’édifieront plus stables et plus confortables dans les endroits aujourd’hui déserts, les régions se repeupleront graduellement, des marchés indigènes se créeront partout, les peuples pasteurs échangeront les produits de leurs troupeaux contre les céréales des peuples cultivateurs ; enfin les caravaniers du Baguirmi et du Ouadaï, protégés par notre pavillon, abandonneront les vieilles routes allant par le Bornou et le Dar Four aux comptoirs étrangers de la Bénoué et du Nil, pour fréquenter les nouveaux chemins français allant vers nos comptoirs nationaux de la Sangha et de l’Oubangui.
Déjà dans notre vaste empire soudanais, une région importante est accessible au commerce, et offre un débouché qui suffira à notre activité, jusqu’au jour où le bassin du Tchad, à son tour, se présentera dans des conditions plus favorables à la colonisation.
La France est le pays des grandes et généreuses entreprises, elle est en outre assez riche pour attendre l’époque où elle trouvera en Afrique centrale la récompense de ses efforts.
MISSION SCIENTIFIQUE ET ÉCONOMIQUE
CHARI-LAC TCHAD
Dirigée par A. Chevalier
1902-1904
Itinéraires suivis
Carte dressée d’après les Documents de la Mission, ceux communiqués
dans la Colonie
et les Cartes publiées.
Imp. par Erhard Fres. — Paris.
[258]Le Ouadaï et le Dar Four sont un des derniers centres de la traite des noirs. Lorsque ces régions seront entièrement occupées, la première par la France et la seconde par le gouvernement anglo-égyptien, elles formeront une barrière qui empêchera la sortie des captifs enlevés au bassin du Chari. Ces deux états ne peuvent être que des foyers de révoltes fanatiques contre les puissances européennes, et le Ouadaï, en particulier, a suscité en 1903 bien des inquiétudes. Nous ne croyons pas qu’il soit indispensable d’employer un corps de troupe à l’occupation de cette région. Il serait peut-être possible d’occuper peu à peu ce pays par la pénétration pacifique. C’est surtout à des missions scientifiques qu’il appartient de rechercher dans les contrées éloignées du Ouadaï, du Borkou, du Tibesti, les points où il existe du sel gemme, du natron et des nitrates et d’examiner en outre s’il n’y aurait pas encore d’autres richesses minérales à exploiter.
[259]Nous avons vu de longs convois de porteurs qui venaient, très loin de leurs villages, porter des charges de quelques kilogrammes dans les magasins de l’administration. Il y a là un véritable gaspillage de main-d’œuvre et de force humaine.
MISSION CHARI-LAC
TCHAD
(1902-1904)
L’AFRIQUE CENTRALE FRANÇAISE
APPENDICE
PAR
MM. PELLEGRIN, GERMAIN, COURTET,
PETIT, BOUVIER, LESNES
DU BUYSSON, SURCOUF, Aug. CHEVALIER
POISSONS
PAR
JACQUES
PELLEGRIN
DOCTEUR ÈS SCIENCES, DOCTEUR EN MÉDECINE,
PRÉPARATEUR AU MUSÉUM
POISSONS
Depuis quelques années les connaissances se sont considérablement accrues en ce qui concerne la population ichtyologique des eaux douces de l’Afrique. Les voyages se sont multipliés et ce vaste continent, dont il y a peu de temps encore on n’avait guère étudié d’une façon un peu complète que la zone littorale, commence à être sillonné en tous sens par de nombreux explorateurs qui recueillent dans leurs expéditions une ample moisson de documents zoologiques de grande valeur permettant de se faire maintenant une idée assez exacte de la faune des parties centrales.
En ce qui concerne les Poissons de la région du lac Tchad et du Chari, c’est à la mission dirigée par M. Auguste Chevalier, et particulièrement à mon excellent confrère et ami le Dr Decorse, que revient l’honneur d’avoir rapporté en Europe les premières collections ichtyologiques d’une région jusqu’ici tout à fait inconnue à ce point de vue. Dans plusieurs notes préliminaires les principaux résultats acquis par la mission A. Chevalier ont été déjà signalés[260]. L’étude des matériaux ichtyologiques rassemblés par elle sera ici reprise plus en détail, mais auparavant il n’est pas inutile de jeter un coup d’œil d’ensemble sur la répartition des Poissons dans les eaux douces africaines.
Au point de vue de la distribution géographique des Poissons d’eau douce, M. Günther[261] divise le monde en trois zones, l’une septentrionale, l’autre équatoriale, la troisième méridionale. La première comprend une région nord-américaine et une région paléarctique constituée par l’Europe et tout le nord et le centre de l’Asie, la troisième méridionale ou antarctique comprend seulement la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande et la Patagonie. M. Günther distingue dans la zone équatoriale deux sections, l’une qu’il appelle division cyprinoïde, à cause de la présence des Cyprins, ces Poissons malacoptérygiens bien connus dont la Carpe est le type, l’autre acyprinoïde (tropicale-américaine et tropicale-pacifique) où les Poissons de cette famille font défaut.
L’Afrique dans sa presque totalité constitue une région spéciale, la région éthiopienne, de la zone équatoriale cyprinoïde de M. Günther. Seules les parties du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, situées au Nord de l’Atlas, sont rattachées à la région paléarctique comme présentant les affinités les plus marquées avec la faune du Sud-Ouest de l’Europe. Ce qui caractérise la faune ichtyologique dulcaquicole africaine c’est sa grande homogénéité ; elle offre, en effet, la même physionomie dans son ensemble et ne saurait guère être subdivisée en sous-régions très distinctes, abstraction faite bien entendu de la Mauritanie. Sa perte territoriale, comme le fait justement observer Boulenger[262], est contrebalancée par une pointe poussée par la faune africaine en Asie dans la région du Jourdain qui présente les plus grands rapports comme population ichtyologique avec le Nil dont les espèces tropicales se maintiennent jusqu’au delta.
C’est entre les tropiques, dans la région équatoriale, que les espèces présentent la plus grande variété, que les formes sont les plus nombreuses et les plus abondantes. C’est là que la vie est en pleine floraison, en complet épanouissement, qu’elle se manifeste avec le plus d’intensité. Dans l’Afrique australe, sans que les caractères généraux de la faune ichtyologique soient modifiés, il y a lieu de constater un grand appauvrissement, une notable raréfaction de la plupart des représentants de chaque famille dont quelques-unes viennent à manquer. Il en est de même dans la grande île de Madagascar, où l’on remarque une diminution considérable du nombre des Poissons d’eau douce. C’est donc dans les grands fleuves tropicaux de l’Afrique, dans le Nil, dans le Sénégal, le Niger, l’Ogôoué et le Congo, qu’on trouvera les formes les plus diverses et les plus abondantes, tout en notant toutefois les ressemblances profondes qui existent entre les représentants de la population ichtyologique de tous ces grands cours d’eau, qu’avec MM. Boulenger et Sclater on peut réunir dans une sous-région à laquelle le nom de mégapotamique convient parfaitement[263]. Si, en effet, on ne trouve pas, par exemple, au Congo toujours exactement les mêmes espèces que dans le Sénégal ou dans le Niger, si chaque grand fleuve africain a souvent certaines formes qui lui sont propres, en revanche la plupart des genres principaux ne restent pas localisés à un seul bassin. Cependant dans certains grands lacs comme le Tanganika, le Victoria Nyanza, la population ichtyologique très dense présente, tout en se rapportant à l’ensemble général, un assez grand nombre de types particuliers qui leur donnent une physionomie assez spéciale.
On pouvait se demander s’il en était ainsi pour le Tchad et pour le Chari son tributaire ou si au contraire les Poissons qui les habitaient ne différaient pas sensiblement de ceux des bassins voisins. Il faut reconnaître d’ailleurs que cette dernière hypothèse devait paraître la plus plausible. Depuis fort longtemps déjà les ichtyologistes ont insisté sur les rapports profonds existant entre les Poissons du Sénégal et du Niger et ceux du Nil, où l’on rencontre bon nombre d’espèces communes. Il était donc naturel de penser que le Tchad intermédiaire à ces cours d’eau, et qui avait dû leur servir de trait d’union, participait à ces deux faunes. De plus, au S., le Chari se trouve en relations étroites avec l’Oubangui, affluent de la rive droite du Congo, ce qui pouvait expliquer la présence dans ses eaux de certaines formes du bassin de ce dernier fleuve. Les magnifiques matériaux rapportés par la mission Chevalier-Decorse ont confirmé complètement ces dernières prévisions et ont montré que le Tchad et le Chari ne paraissent pas avoir une faune ichtyologique spéciale, particulière. Ainsi que l’a démontré Ch. Gravier[264], non seulement à une période géologique récente, mais encore actuellement : « les bassins du Nil, du Congo, du Chari et du Niger se pénètrent réciproquement, car ils ne sont pas séparés par des lignes de partage des eaux telles que nous les représentons d’ordinaire. » Le Tchad avec ses tributaires peut donc être considéré comme le carrefour par où s’effectuèrent et s’opèrent, même peut-être encore aujourd’hui, les divers échanges de faune entre les grands réseaux fluviaux de l’Afrique équatoriale.
Depuis l’année 1904 où j’ai publié les principaux résultats des récoltes ichtyologiques de la mission Chevalier, les connaissances se sont légèrement accrues en ce qui concerne les Poissons du Tchad et du Chari. C’est ainsi qu’en 1905, M. Foureau[265], dans les documents scientifiques relatifs à la mission saharienne Foureau-Lamy, a consigné un certain nombre d’observations au sujet de la faune ichtyologique de ces intéressantes régions. Les documents relatifs aux Poissons recueillis par la mission Foureau, et qui m’ont été soumis, consistaient en quelques photographies et en descriptions et dessins dus au Dr H. Fournial, d’exemplaires récoltés dans la rivière Komadougou-Yobé, affluent du Tchad et dans le bas Chari. C’étaient là des données insuffisantes, on le comprendra, en l’absence de toute pièce matérielle, pour faire une détermination exacte des espèces rencontrées. Les quelques assimilations suivantes m’ont paru néanmoins présenter assez de certitude.
Polypteridæ : Polypterus bichir Geoffr. ?
Mormyridæ : Mormyrus caschive Hasselq. ?, Hyperopisus sp. ?
Osteoglossidæ : Heterotis niloticus Cuv.
Pantodontidæ : Pantodon Buchholzi Peters ?
Characinidæ : Hydrocyon Forskali Cuv. ?, Citharinus citharinus Geoffroy ?, Citharinus sp. ?
Cyprinidæ : Barbus ?
Serranidæ : Lates niloticus L.
Cichlidæ : Tilapia sp. ?
Tetrodontidæ : Tetrodon fahaka Hasselq.
Les espèces les plus intéressantes sont une sorte de Poisson volant. « Ce dernier, écrit M. Foureau, s’élance hors du liquide et parcourt à fleur d’eau, en battant l’eau de ses nageoires pectorales et en y traçant un petit sillon rectiligne, une distance qui d’ordinaire est de 4 à 5 mètres, mais que j’ai vu parfois atteindre une quinzaine de mètres[266]. » Il s’agit là très certainement d’un Pantodon et très probablement du Pantodon Buchholzi Peters, du bas Niger et du bassin du Congo, la seule espèce du genre connue jusqu’ici. M. Foureau signale en outre « un Poisson pourvu d’une énorme poche qu’il gonfle d’air à volonté si bien qu’il prend l’aspect d’une outre. Ce Poisson est entièrement recouvert de petites épines courtes et disposées régulièrement, sa coloration est jaune et changeante. » C’est sans aucun doute le Tetrodon fahaka Hasselquist, espèce d’ailleurs recueillie par la mission Chevalier.
M. G. A. Boulenger a donné en 1905[267] la liste d’une collection de Poissons récoltés dans le lac Tchad et le Chari par le capitaine G. B. Gosling et offerts au British Museum de Londres ; elle comprend les 23 espèces suivantes, réparties en 7 familles.
Mormyridæ : Petrocephalus bane Lacep., Mormyrus caschive Hasselq., Hyperopisus bebe Lacep., Gymnarchus niloticus L.
Characinidæ : Hydrocyon brevis Gthr., Alestes baremose Joannis, A. dentex L., A. nurse Rüpp., Distichodus rostratus Gthr., D. brevipinnis Gthr., Citharinus citharinus Geoffr.
Cyprinidæ : Labeo horie Heckel.
Siluridæ : Clarias lazera C. V., Heterobranchus senegalensis C. V., Schilbe mystus L., Clarotes laticeps Rüpp., Bagrus bayad Forsk., Synodontis clarias L., S. batensoda Rüpp., S. serratus Rüpp.
Serranidæ : Lates niloticus Hasselq.
Cichlidæ : Tilapia nilotica L.
Tetrodontidæ : Tetrodon fahaka Hasselq.
Près de la moitié, ainsi qu’on pourra s’en rendre compte plus loin, c’est-à-dire une dizaine d’espèces, se retrouvent également dans la liste des Poissons rapportés par la mission Chevalier.
Enfin le Dr Decorse a fourni dans son carnet de route publié en 1906[268] quelques intéressants détails sur la pêche dans les régions traversées par la mission, et particulièrement sur les procédés employés par les indigènes des bords du Chari.
Les poissons récoltés par la mission Chevalier-Decorse proviennent principalement du lac Tchad même, de Kousri dans le bas cours du Chari, à son confluent avec le Logone et de Fort-Archambault, localité située bien plus en amont, à l’endroit où le fleuve reçoit la rivière Boungoul.
Quarante espèces réparties en onze familles ont été rencontrées. Trois formes sont nouvelles : un Cyprinidé du genre Labeo, un curieux Mormyridé du genre Hyperopisus, enfin un Siluridé appartenant au genre Synodontis.
Autant qu’on en peut juger sur des photographies communiquées par le Dr Decorse et reproduites dans le Bulletin de la Société d’Acclimatation[269], deux espèces peuvent être jointes à celles recueillies par la mission dans la région du Tchad et du Chari, un Serranidé le Lates niloticus L., représenté par un énorme spécimen de 1 mètre 20 de longueur et un Ostéoglossidé aussi de grande taille l’Heterotis niloticus Cuvier. Il y a lieu de remarquer que ces deux espèces se retrouvent également sur les dessins et photographies de la mission Foureau et qu’elles font partie des récoltes du capitaine G. B. Gosling, signalées par M. G. A. Boulenger.
La mission n’a pas capturé seulement des Poissons dans la région du lac Tchad et du Chari. Un accident, d’après les renseignements communiqués par le Dr Decorse, a causé la perte de la presque totalité des pêches effectuées dans le bassin du Congo, principalement à Krebedjé, sur la rivière Tomi, sous-affluent de l’Oubangui. Seuls quelques spécimens minuscules provenant les uns de Bessou sur l’Oubangui, les autres de Brazzaville sur le Congo, ont pu échapper ; ce sont des Cyprinodontidés appartenant au genre Haplochilus et représentant deux espèces nouvelles dont la description sera donnée à la fin de ce mémoire, et un Cichlidé, l’Hemichromis bimaculatus Gill, extrêmement commun dans toute l’Afrique occidentale.
On trouvera ci-dessous la liste de toutes les espèces recueillies par la Mission, avec l’indication du nombre des spécimens rapportés, leur provenance exacte et la description des formes nouvelles dont la connaissance est due à la mission.
La distribution géographique générale de chaque espèce est mentionnée également. Elle fournit des indications intéressantes et montre les affinités de la faune ichtyologique du bassin du Chari et du lac Tchad avec celle des bassins voisins. C’est ainsi que sur les 40 espèces rencontrées dans ces régions 3 seulement paraissent spéciales au Tchad, 26 habitent aussi dans le Niger, 22 dans le Sénégal, 21 dans le Nil, 16 dans le bassin du Congo et 3 dans celui du Zambèze. Il ressort de là clairement que la faune ichtyologique du Chari et du Tchad, par sa physionomie, se rapproche surtout de celle du Niger. Plus de la moitié des espèces citées ici se retrouvent en effet dans les deux bassins. Elle présente ensuite à peu près d’égales affinités avec celle du Sénégal et celle du Nil, elle offre des rapports bien marqués quoique moins accentués avec celle du Congo. Enfin le nombre des formes particulières à la région du Tchad est tout à fait minime et prouve qu’elle n’a pas une faune ichtyologique propre, très spéciale, très différenciée, comme celle du lac Tanganika par exemple.
POISSONS DU BASSIN DU CHARI
Polypteridæ.
1. Polypterus bichir Geoffroy, 1802. — 1 spécimen, Kousri.
Ce spécimen de 550 millimètres de longueur a 17 pinnules dorsales. L’espèce appartient au bassin du Nil.
2. Polypterus Delhezi Boulenger 1899. — 3 spécimens, Fort-Archambault.
Ce Poisson habite le Congo.
Lepidosirenidæ.
3. Protopterus annectens Owen, 1839. — 3 spécimens, Kousri.
Ce Poisson a été signalé, au Sénégal, en Gambie, dans le Niger et le Zambèze.
Mormyridæ.
4. Mormyrops engystoma, Boulenger, 1898. — 1 jeune spécimen, Fort-Archambault.
Espèce du Congo.
5. Petrocephalus bane Lacépède, 1803. — 2 spécimens, Kousri.
Espèce connue du Nil et du Niger.
6. Marcusenius Lhuysi Steindachner, 1870. — 2 jeunes spécimens, Fort-Archambault.
Espèce sénégalienne.
7. Gnathonemus cyprinoides Linné, 1766. — 1 spécimen, Kousri.
Espèce du Nil, du Niger et du Congo.
8. Gnathonemus senegalensis Steindachner, 1870. — 3 spécimens, Fort-Archambault.
Du Sénégal et de la Gambie.
9. Gnathonemus tamandua Günther, 1864. — 1 spécimen, Kousri.
Cet exemplaire avait d’abord été rapporté par moi[270] au G. elephas Boulenger, espèce extrêmement voisine, mais après nouvel examen il doit rentrer dans l’espèce de Günther, signalée déjà dans le Niger, au Calabar et au Congo.
10. Hyperopisus tenuicauda Pellegrin, 1904[271].
La hauteur du corps égale environ la longueur de la tête et est comprise cinq fois dans la longueur sans la caudale. La tête plus longue que haute a le profil supérieur courbé. Le museau est égal à la moitié de la région post-oculaire de la tête. L’œil fait la moitié ou un peu plus de la moitié de la longueur du museau. La largeur de la bouche représente 1/5 de la longueur de la tête. Les dents aux mâchoires sont échancrées, au nombre de 3 à 5 en haut, de 6 en bas. Il existe au menton un renflement globuleux assez marqué. L’origine de la dorsale est deux fois 1/2 à trois fois plus éloignée de l’extrémité du museau que du début de la caudale. L’origine de l’anale est à égale distance du bout du museau et du début de la caudale. La pectorale arrondie fait les trois quarts de la tête ou presque. La ventrale représente la moitié de la longueur de la pectorale. Le pédicule caudal est deux fois 1/2 à deux fois 3/4, aussi long que haut, mesurant les deux tiers de la longueur de la tête. On compte seize écailles autour du pédicule caudal. La caudale échancrée est écailleuse, à lobes obtusément pointus.
La coloration est ardoisée au-dessus, violacée sur les côtés et sur le ventre.
D. 13-14 ; A. 64 ; P. 11 ; V. 6 ; Ec. 18 | 105 | 20-23.
No 04. 111-112. Coll. Mus. Fort-Archambault : Mission Chari-Lac Tchad (Chevalier-Decorse) Types.
Longueur : 270 + 35 = 305 et 150 + 10 = 160 millimètres. Un troisième spécimen de Kousri doit également être rapporté à cette espèce.
Ces poissons sont assez voisins d’Hyperopisus bebe Lacépède, du Nil, du Sénégal, de la Gambie et du Niger, la seule espèce du genre auparavant connue. Ils s’en distinguent principalement par la plus grande longueur du pédicule caudal et, en conséquence, le moindre nombre d’écailles autour de celui-ci, par le menton plus globuleux, la livrée plus sombre.
11. Mormyrus Jubelini Cuvier et Valenciennes, 1846. — 2 spécimens, Kousri et Fort-Archambault.
Cette espèce que M. Boulenger[272] ramène au M. caschive Hasselquist du Nil, du Gabon et du Congo, habite le Sénégal et le Niger.
12. Gymnarchus niloticus Cuvier, 1826. — 1 spécimen, Fort-Archambault.
Du Nil Blanc, du Sénégal et du Niger.
Characinidæ.
13. Sarcodaces odoë Bloch, 1794. — 1 spécimen, Fort-Archambault.
Du Sénégal au Congo et du lac Ngami.
14. Hydrocyon Forskali Cuvier, 1817. — 1 spécimen, Kousri.
Du Nil, du Sénégal et du Niger.
15. Alestes baremose Joannis, 1835. — 1 spécimen, Kousri.
Cette espèce à laquelle il faut ramener l’A. Kotschyi Heckel, habite le Nil, le lac Rodolphe et du Sénégal au Niger.
16. Alestes macrolepidotus Cuvier et Valenciennes, 1849. — 1 spécimen jeune, Fort-Archambault.
Espèce signalée dans le Nil, du Sénégal à l’Ogôoué, et dans le lac Tanganika.
17. Ichthyoborus besse Joannis, 1835. — 1 spécimen, Fort-Archambault.
Cette espèce, à laquelle il faut ramener l’I. microlepis Günther, habite le Nil.
18. Distichodus altus Boulenger, 1899. — 1 spécimen, Fort-Archambault.
Espèce du Congo.
19. Citharinus citharinus Geoffroy, 1809. — 1 spécimen de Fort-Archambault et 2 jeunes du lac Tchad.
Cette espèce à laquelle on doit rapporter le C. Geoffroyi Cuvier, est connue du Nil, du Sénégal, de la Gambie, du Niger et du Congo.
Cyprinidæ.
20. Labeo coubie Rüppell, 1832. — 2 spécimens, Kousri et Fort-Archambault.
Espèce du Nil, du Sénégal, de la Gambie et du Niger.
21. Labeo selti Cuvier et Valenciennes, 1842. — 1 spécimen, Kousri.
Cette espèce du Sénégal est extrêmement voisine de la précédente à laquelle elle est ramenée par M. Boulenger[273].
22. Labeo senegalensis Cuvier et Valenciennes, 1842. — 1 spécimen, Fort-Archambault, 4 spécimens, lac Tchad.
Cette espèce du Sénégal, de la Gambie et du Niger est rapprochée par M. Boulenger du Labeo horie Heckel du Nil et de l’Albert Nyanza[274].
23. Labeo chariensis Pellegrin, 1904[275].
La hauteur du corps égale la longueur de la tête et est comprise quatre fois dans la longueur sans la caudale. La largeur de la tête fait les trois quarts de sa longueur. Le museau est très proéminent, recouvert de nombreux tubercules. Des tubercules s’étendent sur les côtés de la tête jusqu’à l’œil. L’espace interorbitaire est plan, aplati. L’œil supéro-latéral, entièrement dans la seconde moitié de la tête, est contenu 6 fois dans la longueur de la tête, près de 3 fois dans la longueur interorbitaire. La surface interne des lèvres possède de nombreux plis transversaux. Un tout petit barbillon complètement caché dans le pli latéral existe de chaque côté. Les écailles du ventre en avant et entre les pectorales sont fort petites. On compte 3 écailles entre la ligne latérale et la ventrale. La dorsale à 10 rayons branchus, est falciforme ; son bord est échancré profondément ; les rayons antérieurs extrêmement prolongés mesurent une fois 3/4 la longueur de la tête, 3 fois 1/2 celle du dernier rayon. L’anale possède 7 rayons dont 5 branchus. La pectorale un peu plus courte que la tête n’atteint pas la ventrale qui finit à l’anus. Le pédicule caudal est un peu plus long que haut. Il y a 12 écailles autour du pédicule caudal. La caudale est fourchue, à lobes pointus.
La coloration est uniformément brun-olivâtre, claire en dessous. La tête est violacée.