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L'Afrique centrale française : $b Récit du voyage de la mission

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[195]Timmé est une agglomération située à 4 kilomètres environ au S.-O. de Kendégué.

[196]Il y avait un léger courant le 25 juin et le 7 juillet à Koulfé. Les mares étaient reliées entre elles par un filet d’eau large de 2 mètres, profond de 0m,30. Le courant avait une vitesse de 0m,50 à la seconde.

[197]Ce granite a une teinte très claire, presque blanchâtre. Il n’est point traversé de filons. Au pied de la colline se trouve une couche épaisse de quelques décimètres, de latérite ferrugineuse compacte, sans méats, formée de grains de quartz arrachés au granite et étroitement cimentée par le magma rouge. Au-dessus de la latérite, ainsi qu’en certains autres points au contact même de la roche on reconnaît l’arène granitique très rubéfiée, mais non cimentée. Enfin, bien au-dessus de la latérite, les grandes tables plus ou moins inclinées de granite présentent un vernis rougeâtre de latérite très mince. En haut, au contraire, le granite est à nu et n’est même pas recouvert de thalles de Cryptogames.

[198]Les habitants de Timmé et de Kendégué m’ont nié l’existence de ces refuges et je comprends que ces gens ne tiennent point à dévoiler leurs secrets à un blanc.

[199]Leur chef Kharta a été tué trois jours avant l’entrée de Mahmadou à Dougui. Il est remplacé par Bougaï qui, après le voyage du capitaine Paraire à Kendégué, a envoyé un bœuf au poste de Fort-Archambault en signe de soumission. Les hommes de Dougui ont donc des bœufs ? Non, ils l’avaient acheté aux Arabes contre de l’ivoire. Les hauteurs de Dougui sont encore appelées Timan par les Arabes ; les Fagnias disent Mané.

[200]Les Zanes sont des Goullas (renseignement recueilli à Timmé).

[201]Ceux de Kendégué se livrent aussi à la pêche. Au commencement de la saison sèche, ils vont du côté du lac Iro barrer les firkis inondés et capturer, avec leurs paniers sans fond, les poissons attardés dans ces prairies momentanément recouvertes.

[202]J’ai remarqué qu’à Timmé on entourait de cordes les champs de mil pour empêcher les antilopes d’y pénétrer. Dès cette époque, alors que le sorgho est encore tout jeune, les antilopes délaissent en effet les succulentes pousses d’Andropogon sauvage pour celles du sorgho, probablement plus savoureuses encore. N’ayant point de fusils on ne peut faire la chasse à ces animaux : on se contente donc de les éloigner.

[203]La végétation de ces rochers est d’une grande richesse, et présente un caractère méridional très prononcé. Dans les parties les plus ombragées, entre les fentes de la pierre croissent encore de charmants Adianthum et leurs frondes gracieuses sont d’un ton vert clair qui s’harmonise avec les thalles des Riccia et des jeunes mousses annuelles qui depuis l’arrivée des pluies tapissent les anfractuosités. Le Cissus quadrangularis affectionne particulièrement ces rochers ; au contraire l’Euphorbe cactiforme fait défaut.

[204]Boli serait à 4 jours de Kendégué. Il s’y trouve des Arabes indépendants du Ouadaï. A Boli on est à 6 ou 8 jours du cœur du pays Guéré. Les Arabes viennent souvent commercer à Kendégué. Ils remportent du mil, de la graisse et des volailles, en échange des toiles de coton du Ouadaï et de quelques perles. Rarement ils trouveraient un peu d’ivoire.

[205]J’ai vu un cavalier à l’approche du village et appris que les Bouas riches possèdent des chevaux.

[206]Gaourang, le sultan du Baguirmi, était à Korbol avec 2000 guerriers.

[207]Dans le village s’observent des Balanites atteignant 15 mètres de haut, sans fruits à cette époque.

[208]Tout à côté se trouvait Mongolla qui fut anéanti par Rabah au début des hostilités contre Gaourang.

[209]On donne l’hospitalité aux étrangers sous un refuge semblable construit à l’entrée du village.

[210]Les Baguirmiens en mangent la gomme.

[211]Ces terrains couverts de marais se nomment Maouin en baguirmien ; les marais eux-mêmes sont appelés Béda (baguirmien), Koulo (Kotoko). La brousse boisée proprement dite s’appelle Bangala (baguirmien) ; les places où le sol est légèrement bombé et sur lesquelles l’eau ne séjourne pas, forment des aires complètement dépourvues de végétation, à surface dure et jaunâtre nommées Kébara en baguirmien. Les rares emplacements où la terre est cultivée constituent le Tougouz. En certains endroits, le lit du Bahr el Erguig déborde aux hautes crues. On nomme Man Kéla, le terrain qu’il couvre (Les Kotokos appellent Hava les terres recouvertes par les crues du Chari).


CHAPITRE XIII

LE NORD DU BAGUIRMI

I. Dans les steppes du Baguirmi. — II. Région de Moïto.


I. — DANS LES STEPPES DU BAGUIRMI

Le 25 août dans l’après-midi, je pris congé de mon excellent hôte, le capitaine Jacquin. Une marche de 5 heures à travers la steppe difficilement praticable me conduisit aux ruines de Massénia, l’ancienne capitale du Baguirmi. Les pluies des jours précédents avaient transformé le pays en un immense marécage. Ces marais que j’allais parcourir pendant une quinzaine de jours ne ressemblaient pas à ceux où j’avais erré à l’O. du lac Iro, c’était plutôt une grande plaine sans horizon, toute semée d’arbustes épineux ou d’arbres rabougris parmi lesquels dominaient plusieurs espèces d’Acacia aux épines traîtresses. Le sol, partout argileux et plat, était couvert de nombreuses espèces de Graminées et surtout de variétés fourragères de Panicum formant un tapis discontinu, interrompu par les flaques d’eau et les buissons de Gommiers. Quel pays monotone ! Quelles heures de lassitude j’ai passées dans cette steppe, pays de la soif en saison sèche, en hivernage pays de bourbiers d’où surgissent le soir des myriades de moustiques, depuis les Anophèles propagateurs du paludisme, jusqu’aux Culex aux morsures douloureuses. Certes je ne souhaite point aux enthousiastes de la mise en valeur rapide de notre Afrique Centrale d’être condamnés à vivre dans ces steppes, plus tristes peut-être que le Sahara où l’on jouit au moins de grands horizons. Dans la steppe le naturaliste ne trouve même pas un dédommagement à ses peines : la flore est d’une uniformité désespérante. Il en est de même de la faune, rien n’est plus rare qu’un papillon ; très peu d’insectes visitent les boules de fleurs d’Acacia, malgré leur parfum pénétrant.

Dès le premier jour, je compris combien serait pénible cette marche à travers les marais coupés d’îlots d’Acacias. Les herbes nous cachaient souvent les flaques d’eau et il fallait prendre des peines infinies pour ne pas tomber dans la vase où les pieds s’enfonçaient profondément. Le sentier était souvent caché par l’inondation, de sorte que nous étions obligés d’avancer à l’aventure. Parfois il fallait revenir sur nos pas, les clairières suivies conduisant dans de profondes dépressions en cul-de-sac où l’eau s’était accumulée et où une couche de petites plantes flottantes, des lentilles d’eau et des Wolfia cachaient une nappe profonde de plus d’un mètre. Alors avec des précautions infinies mes porteurs, qui toujours marchaient en avant, s’arrêtaient, revenaient en arrière me dire qu’il ne fallait plus avancer et nous changions de direction, à travers les Krebs et les riz sauvages.

Fig. 70. — Un chef baguirmien et ses cavaliers.

Gaourang m’avait donné une vingtaine de porteurs. Deux ou trois s’enfuirent dès la première nuit, ils furent facilement remplacés par des volontaires engagés au petit village de Massénia. J’étais accompagné par un notable baguirmien que le sultan avait chargé de veiller à la marche du convoi et de recruter des porteurs le cas échéant.

Le soleil disparaissait dans la futaie épineuse lorsque j’arrivai au pied des murailles de Massénia. Depuis une heure je cherchais ces ruines qu’on m’avait décrites comme imposantes. Nous cheminions à travers les marais, dans les hautes herbes d’où émergeait à peine la tête de mes compagnons. Cette steppe marécageuse présentait ce soir-là un aspect encore plus triste que d’ordinaire. La traversée des flaques d’eau boueuse nous avait éreintés. Les pluies abondantes de la nuit dernière avaient élevé leur niveau, et, par place, les hommes avaient de l’eau jusqu’à la ceinture. C’est à travers ces fondrières qu’étaient passés dans la matinée les cavaliers du village d’Abougher, venus à Tcheckna saluer Gaourang, à l’occasion de son retour. Les pieds de leurs chevaux avaient rendu le chemin, déjà difficile en temps ordinaire, encore plus impraticable. Nous avancions très lentement. Soudain est apparue, à 50 pas devant le convoi, la muraille effritée de la ville morte. La steppe s’arrêtait là, brusquement. Pas une plante n’avait encore envahi ces ruines. En un clin d’œil je fus sur le sommet de l’enceinte. A la vue de ce qui avait été Massénia, je suis resté anéanti. Par ce soir d’hivernage, le paysage noyé dans la pourpre du couchant était d’une tristesse infinie. De la ville décrite avec tant de soin par Barth, il ne reste rien, absolument rien. La trace même des mosquées, des palais des sultans, des caravansérails, de ces grands abreuvoirs où les caravaniers conduisaient leurs montures est totalement effacée. De hautes graminées, s’élevant à 1m,50, remplissent l’intérieur de l’enceinte. Par places, les indigènes des villages voisins ont retourné la terre et planté du sorgho qui végète à merveille sur ce sol imprégné de substances organiques. Ailleurs, l’herbe est couchée et piétinée par les fauves et les antilopes, car ce lieu est maintenant le repaire d’innombrables bêtes sauvages. Çà et là quelques Balanites au feuillage glauque, aux rameaux retombants, profilent leur lugubre silhouette, tel un saule pleureur au milieu d’un cimetière. Ce n’est pas seulement la vue de cet arbre qui évoque l’impression d’une nécropole. Dans l’argile du mur ébréché on voit pêle-mêle des tibias humains, des morceaux de crânes, des débris de poteries. La pluie a creusé des fossés profonds, parfois de plus d’un mètre, à travers l’emplacement de la ville où s’élevèrent des demeures somptueuses. La vue de ces ruines m’a fait penser à celle de Ghasr Eggonio, l’ancienne capitale du Bornou, détruite par les Foulbés en 1809 et dont les débris imposants apparurent à Barth en 1852 dans un cadre identique[212].

L’enceinte de Massénia mesurait 15 à 20 kilomètres de tour. Fort endommagée au siège de 1870, quand les Ouadaïens se rendirent maîtres de cette contrée, elle était encore très imposante, en 1897, lorsque M. Gentil la visita. Cependant, les Baguirmiens, en pleine décadence depuis un siècle, n’avaient pas songé à réparer les brèches et la partie éboulée du mur. La ville d’ailleurs avait perdu une grande partie de ses habitants. Aussi, lorsqu’on apprit en 1898 que Rabah marchait sur Massénia, le sultan Gaourang, dans l’impossibilité de soutenir le siège, fit incendier sa capitale. Elle fut détruite de fond en comble et les habitants se dispersèrent le long du Bahr el Erguig et du Chari. Après la défaite du conquérant, le sultan, au lieu de s’établir en cet endroit qui lui rappelait de si lugubres souvenirs, vint camper à Tcheckna, jusqu’alors village sans importance. Il y fut bientôt rejoint par plusieurs milliers de sujets. A Massénia, comme nous l’avons dit, il ne reste plus rien. Les remparts, larges de 4 à 6 mètres à la base, éboulés, coupés de brèches en maints endroits, constituent encore, par places, un mur de 5 à 8 mètres de hauteur. Les faces tournées au S. et à l’E. ont été endommagées par la pluie. Les autres côtés, ainsi que l’intérieur du mur, ont beaucoup moins souffert ; du reste la crête du Tata est parfois de plain pied avec le sol de l’ancienne ville, celui-ci étant presque partout surélevé de 2 ou 3 mètres sur celui de la plaine environnante. En dehors de l’ancienne enceinte, et à 500 mètres au S.-E., quelques familles baguirmiennes ont formé un village gardant le nom de Massénia, et composé d’une quinzaine de cases bâties sur un petit coteau dominant de quelques mètres les marais environnants. C’est dans ce hameau que nous avons passé la nuit du 26 août. Le lendemain matin, dès 9 heures, nous le quittions, et après avoir traversé les marais qui l’entourent, marais remplis de sorgho et de petit mil, à demi noyé dans l’eau, nous pénétrions de nouveau dans l’intérieur des ruines. Il faut environ une demi-heure pour traverser le quartier E., du S. au N. Les grands Andropogon soudanais, très rares depuis le 10e parallèle, forment ici des prairies très étendues, mais l’herbe qui domine sur les ruines de Massénia est le Dactyloctenium, dont les graines sont en ce moment parvenues à maturité. Cette charmante petite graminée, comme le mouron de nos pays tempérés, croît à l’état sauvage dans tous les terrains cultivés et le long des chemins, partout où l’homme a séjourné quelque temps. Son grain, encore plus fin que celui de l’Eleusine, constitue un aliment médiocre permettant aux indigents de subsister jusqu’à la récolte des céréales. Nous croisons une troupe de pauvres gens, femmes et enfants, qui ont bravé la rosée matinale très abondante pour venir disputer aux passereaux ces vivres de famine. Ils saisissent les épis d’une main et font tomber les grains mûrs dans la calebasse tenue de l’autre main. Malgré la hâte avec laquelle ils opèrent, ils n’ont encore recueilli que quelques poignées, et une grande partie de la journée va être passée dans ces ruines à glaner ainsi la nourriture quotidienne. N’est-ce pas un contraste lamentable que la vue de ces quelques misérables mourant de faim, les seuls occupants de la place où s’élevait il y a quelques années encore l’une des cités les plus fastueuses des empires soudanais.

Je songe involontairement à l’ancienne grandeur du Baguirmi, telle que la révélèrent à Barth les vieillards qu’il questionnait à cette place même il y a 50 ans. Bien des réflexions envahissent la pensée. Peut-on démêler dans l’imbroglio des intrigues, des haines ou des rivalités qui pendant plus d’un siècle l’ont agité, la cause immédiate de la ruine de cet empire ? A notre avis l’explication est simple. Le Baguirmi dut sa richesse, et ses sultans, leur puissance, exclusivement au commerce des esclaves, cela, tandis que la prospérité des grands Etats soudanais, le Bornou, le Sokoto, l’Adamoua, le pays Somrai vivait non seulement de la traite des noirs mais surtout du commerce des tissus, du sel, du natron, de la kola, du bétail. Les Baguirmiens travaillaient à peine. Ils prélevaient dans les pays voisins tous les esclaves dont ils avaient besoin pour payer ceux qu’ils recevaient de l’extérieur. Ces mêmes esclaves étaient employés à la culture tandis que les possesseurs du pays vivaient dans l’opulence et l’oisiveté. Ils excitèrent ainsi la jalousie des maîtres du Ouadaï, du Kanem et du Bornou. De là ces expéditions où le Baguirmi eut fréquemment le dessous. En outre, la caste noble avait contracté de telles habitudes de mollesse qu’elle se désintéressa même de la direction de l’Etat. Déjà au temps où Barth visita le pays, une partie des charges administratives étaient entre les mains des eunuques du sultan. Ces eunuques furent, dans les dernières années et sont restés encore aujourd’hui, les seuls chefs de l’armée. Aussi les Baguirmiens ne purent-ils résister ni à l’invasion du Ouadaï, en 1870, ni à celle des Tourgous, en 1893, et Rabah ne fit que précipiter la ruine du Baguirmi où il ne trouva à glaner qu’un maigre butin. L’Empire du Logone et le Bornou perdirent leur indépendance dans les mêmes circonstances et pour les mêmes causes, mais les populations furent moins éprouvées et le commerce continua à entretenir une certaine activité. Au contraire, le Baguirmi fut complètement ruiné après le passage de Rabah qui razziait ou anéantissait tout. Les provinces Saras, très appauvries, fournirent beaucoup moins d’esclaves ; enfin notre occupation, si tolérante pourtant, gêna quelque peu le trafic du bois d’ébène. Gaourang n’a recouvré, après les batailles de Koussri et de Dikoa, qu’une petite partie des guerriers et des femmes qui lui avaient été enlevés après le combat des rochers des Niellims. Les villages sont dépeuplés et ruinés, d’autres complètement abandonnés ; les troupeaux ont presque disparu. Le sultan actuel, épicurien plongé dans la vie facile des harems, ne s’en aperçoit peut-être pas encore, mais il n’est pas douteux que son empire est dans le dénuement le plus complet. Les nobles ont des besoins qu’ils ne peuvent plus satisfaire. Les esclaves, éparpillés dans les villages de culture, étant seuls à travailler, n’arrivent pas à faire vivre la masse des désœuvrés. En ce moment même, le tiers de la population de Tcheckna manque de mil, et les plus hardis de ces affamés se sont dispersés dans les pays environnants à la recherche d’un village où ils pourront vivre en pillards aux dépens des cultivateurs jusqu’à la moisson prochaine.

De Massénia à Abougher, la distance est d’une trentaine de kilomètres et le sentier serpente continuellement à travers la plaine argileuse semée d’arbustes épineux parmi lesquels domine l’Acacia arabica. Cet arbre a fréquemment les racines dans l’eau à l’hivernage. Les épines pénétrantes dont sont armés ses rameaux entravent la marche autant que les flaques d’eau où il croît, et les fossés comme celui que nous avons traversé au sortir de Massénia, large de 200 mètres et profond de 1m,20. Le cheval passe à la nage tandis que nous arrivons à gagner l’autre bord en nous frayant une trouée au milieu des herbes inondées, avec de l’eau jusqu’aux aisselles. De semblables étangs ne sont point rares au Baguirmi en cette saison, et les caravanes sont parfois obligées d’effectuer de longs détours pour les contourner. D’ailleurs en hivernage les transactions d’un village à l’autre sont presque interrompues par suite de l’impraticabilité du pays. Cette même terre, actuellement toute couverte de flaques d’eau et de bourbiers, devient en saison sèche dure comme la pierre, et les points où les caravanes peuvent s’abreuver sont extrêmement rares. A 10 kilomètres avant d’arriver à Abougher, je croisais sur le sentier le lieutenant Blard, parti en tournée topographique dans le Débaba, et qu’une affaire urgente rappelait à Tcheckna. Il venait d’effectuer une marche de 150 kilomètres en 30 heures, franchissant les marais et les étangs qui barraient le chemin de Lahmeur. Des raids de ce genre ne sont point très rares chez les officiers de nos possessions africaines, et font le plus grand honneur à leur énergie.

Vers 3 heures de l’après-midi, nous arrivons sur un petit mamelon sablonneux dont l’aspect diffère totalement des marais que nous venons de traverser. Là le terrain est légèrement bombé et perméable, de sorte que l’eau s’écoule après chaque pluie, aussi les habitants en ont ils fait un canton de prédilection pour la culture des céréales. La grande plaine sablonneuse, surélevée de 3 à 10 mètres au-dessus des marais, qui a le village d’Abougher pour centre et 10 kilomètres environ de rayon, est à cette époque couverte de champs superbes[213].

Nous retrouvons ici un peu de la prospérité agricole du Soudan nigérien. C’est dans cette plaine, du reste, si l’on en croit la tradition, que la civilisation baguirmienne a pris naissance. Avant d’aller occuper l’emplacement de Massénia, les premiers sultans résidèrent dans cette localité qui est encore aujourd’hui l’un des principaux greniers du Baguirmi. Abougher nourrit une grande partie de la population de Tcheckna et vend, en outre, beaucoup de grains aux caravanes qui traversent la contrée. Ce canton comprend de grosses agglomérations environnées de plusieurs petits villages de culture[214].

27 août, Village de Moula. — La route directe d’Abougher à Moula, longue d’environ 45 kilomètres, est, en cette saison, absolument impraticable. Je n’ai pu m’y risquer avec mes nombreux porteurs. En certains endroits les piétons enfoncent dans l’eau et la vase jusqu’à la ceinture. Le passage récent de nombreux cavaliers a défoncé le sentier encore davantage. D’ailleurs ces marais sont bien peu intéressants, leur flore est partout la même, et l’horizon est extrêmement borné à travers les bois d’acacias.

Le lieutenant Blard, qui a passé à travers ces marais et qui a failli laisser son cheval enlisé dans le bourbier, me conseille de faire un détour à l’O. par Arahil. Après la sortie des cultures d’Abougher que nous avons mis une heure et demie à traverser, nous coupons la plaine couverte d’acacias, tantôt sèche, tantôt inondée. Par places, le terrain devient plus marécageux, il est déboisé et les monocotylédones bulbeux (Crinum pauciflorum et Acrospira) le recouvrent. Les flaques d’eau que nous rencontrons sont franchies sans difficulté. Il faut cependant excepter un large marais, bordé de hautes herbes, large de près de 500 mètres en certains endroits, et où l’eau atteint déjà 0m,70 de hauteur sur quelques points. On le coupe une heure avant d’arriver à Arahil. Je l’ai traversé encore le lendemain, à 2 heures à l’E. du village. En cet endroit, il avait un lit très net, large de 200 mètres, un fond asséché, sans vase. Il se dirige de S. 20° O. vers N. 20° E. Les arbres manquent dans la dépression et existent, au contraire, en grand nombre sur les bords, formant une fausse galerie. Les Arabes m’ont raconté que ce sillon était la Minia qui va des marais à l’O. de Mokto à un village nommé Iden, au S.-O. d’Arahil. On le nomme dans la contrée Alma-Gari. Je présume qu’il n’est autre que le grand fossé qu’on traverse pour aller d’Abougher à Dourbali. Ce dernier est plein d’eau en cette saison et on est obligé de le passer à la nage ou à l’aide de radeaux. La première agglomération que nous rencontrons est le petit village de Séhé-Baya, situé au N.-N.E. d’Abougher et à 16 kilomètres des dernières cases de cette agglomération. Le second est le village de Arahil, situé à 17 kilomètres N.-N.O. du précédent. De Arahil à Moula, la distance est de 35 kilomètres et le sentier se dirige droit de l’O. à l’E.

Des marais bourbeux assez étendus environnent Arahil, mais à partir de l’Alma-Gari jusqu’à Moula, c’est-à-dire sur un parcours d’environ 25 kilomètres, le sol change de nature : il devient sablonneux et sec. La couche argileuse située au-dessous des sables ne se révèle que par de petits emplacements, souvent éloignés de plusieurs lieues les uns des autres et formant des bandes sur lesquelles on trouve encore de l’eau et des marais. Au contraire, dans le reste du terrain, le sol est sec, même en hivernage. La grande plaine sablonneuse que je viens de traverser et qui tire son origine de l’érosion des pics granitiques voisins, a un aspect tout différent de la région argileuse baguirmienne. Les acacias y sont rares. Les Térébinthacées y sont également clairsemées, les buissons manquent à peu près complètement. Ce qui domine, ce sont de petits arbres élevés de 6 à 10 mètres (Anogeissus, Balanites, Combretum glutinosum, Bauhinia). Et ces arbres très espacés produisent encore l’impression du verger comme sur la 9e parallèle. D’ailleurs on se trouve sur un terrain qui a été cultivé il y a peu d’années, et c’est l’homme qui a probablement détruit tous les petits buissons qui peuplent habituellement la steppe. Actuellement le sol est envahi par des herbes en fleurs, hautes de 0m,30 à 0m,40, en touffes clairsemées. C’est un pâturage d’excellente qualité, beaucoup mieux approprié à la nourriture du bétail que les prairies élevées de plus de 1 mètre, formées de Panicum, de Ceteria et de quelques rares Andropogon qui recouvrent la lande argileuse. Sur le terrain sablonneux que nous traversons, la flore des prairies est différente. Le Dactyloctenium forme les 4/5 du tapis, auquel s’associe, en grandes quantités, une Acanthacée à jolies fleurs bleues, ainsi qu’un petit Commelina rampant, très abondant et recherché par les animaux domestiques.

Les trois villages traversés sont relativement riches en troupeaux. Ils possèdent chacun une dizaine de chevaux, 30 à 50 bœufs ou vaches, une centaine de moutons ; enfin, à Moula, j’ai vu 3 autruches domestiques et une jeune autruche. Le bétail est entouré de grands soins et on le rentre dans les cases à la tombée de la nuit. C’est à ce moment que se fait la traite des vaches. De grand matin on les trait encore et on les conduit au pâturage avant le lever du soleil. La mouche bodjené n’existe pas, au dire des indigènes, mais, par contre, les moustiques sont très abondants et du crépuscule à l’aurore on entend leur bourdonnement ininterrompu. Il paraît que les animaux domestiques n’en sont point incommodés. Séhé-Baya et Arahil possèdent chacun 80 à 100 cases ; Moula, de 100 à 120.

Dans les deux premiers villages, les habitants se disent Arabes, appartenant à la tribu des Yessés. Leurs cases, construites sur le type de celles des Arabes du Dékakiré, sont grossières, mais larges et propres. Les murs et le toit sont en tige de mil. A l’intérieur est le lit sur lequel repose pendant la nuit le maître de la maison, entouré de ses moutons. Ce lit est en planches, élevé de 1 mètre au-dessus du sol, et surmonté parfois d’un baldaquin. Les habitants de Moula sont des Baguirmiens nommés Noubas par les Arabes pasteurs, mais ils ont tout à fait le type de l’Arabe du pays. Les cases sont les mêmes et il n’y a point d’enclos en paillassons comme chez les vrais Baguirmiens. Les hommes de Moula m’ont d’ailleurs raconté qu’il avait existé dans leur village de nombreux arabes de la tribu des Ouled-Moussa, mais à la suite de mariages, ils avaient été peu à peu assimilés par les Baguirmiens plus nombreux. Aujourd’hui il ne reste plus que quelques Arabes se disant non mélangés. Les Fellatas ne font que passer dans le pays.

30 août, Ardébé. — De Moula à Ardébé la distance est d’environ 40 kilomètres. Pendant 7 heures de marche nous cheminons, à partir de Moula, en un pays presque constamment sablonneux. Nous ne rencontrons des affleurements argileux, recouverts de marais, que de loin en loin. Ces étangs sont d’ailleurs fort peu étendus. Il faut en excepter de grandes mares situées à gauche du sentier entre le 22e et le 23e kilomètre, entourées d’une ceinture épaisse de grands Acacias en fleurs dont les rameaux supportent d’innombrables nids de Gendarmes ; ces superbes oiseaux au plumage jaune safran piaillent au bord du sentier en picorant les épis mûrs du Panicum. La végétation des coteaux sablonneux présente l’aspect d’un verger dans lequel le Sclerocarya Birrœa, à port de pommier, est de beaucoup l’espèce la plus répandue. Avec les innombrables Graminées ressemblant à des Agrostis et à des Poa, auxquelles s’associent plusieurs espèces d’Indigofera et de Tephrosia dont les fleurs roses simulent de loin les Galeopsis, on se croirait dans une jachère de Normandie vue en automne. A certaines places broutent des antilopes, mais au lieu de se réunir par grands troupeaux, comme à la saison sèche, elles s’isolent en ce moment par couples : c’est la période des amours.

Pendant les deux heures qui précèdent l’arrivée aux rochers d’Ardébé, on chemine presque constamment à travers la steppe marécageuse de petits Acacias. Nous sommes rejoints dans ces marais par une caravane de pèlerins qui nous suit depuis Abougher. Outre son chef monté sur un âne, elle se compose de 6 esclaves porteurs, armés de flèches, de deux femmes chargées de calebasses et préparant la nourriture en route ; enfin un enfant de 5 ou 6 ans va à pied. Ces gens viennent du Sokoto et se dirigent à la Mecque. Le pèlerin me raconte que ses porteurs sont des esclaves qu’il vendra en route pour subvenir à ses besoins. Il n’espère pas arriver dans la ville sainte avant deux ans.

Les rochers d’Ardébé sont formés de gros pitons de granite s’élevant d’une trentaine de mètres au-dessus de la plaine. Leur masse sombre et dénudée émerge au loin des fourrés de petits arbustes épineux. Après les avoir contournés nous entrons dans les premiers champs de mil qui annoncent la proximité des cases. La population, composée d’Arabes et de Ouadaïens, nous fait un accueil très empressé. J’ai en outre le plaisir de trouver là quelques spahis envoyés au-devant de moi par mon ami, le lieutenant Lebas.

Tout le pays qui s’étend entre Ardébé, Lahmeur et les falaises de Moïto est argileux et recouvert de vastes marais à l’hivernage. Mais, autant l’eau y est répandue à cette époque de l’année, autant elle est rare à la saison sèche. Il faut aller la chercher à de grandes profondeurs dans des puits spéciaux, et la quantité qu’on recueille est souvent très insuffisante pour abreuver le bétail. Ces puits sont creusés par des professionnels que les Arabes nomment Métréma. Ce travail ne se fait qu’à la saison sèche. Le Métréma va d’un village à l’autre. A l’aide d’une longue échelle en corde, il descend au fond du puits, et les habitants font la chaîne pour remonter la terre au fur et à mesure de l’extraction. Le métréma est payé à raison de 3 ou 4 moutons par puits. On trouvera dans l’étude de M. Courtet la coupe géologique des terrains traversés par un certain nombre de ces puits. Quelques-uns ont une profondeur vraiment extraordinaire. Celui d’Ardébé va chercher l’eau à 47 mètres au-dessous du niveau du sol. Il existait autrefois 8 puits dans ce village, mais 7 se sont comblés récemment par des affaissements. Celui de Lahmeur mesure 33 mètres de profondeur ; celui de Bolo, 36 mètres ; celui de Rédédioum, 26 mètres ; celui de Moziout, 28 mètres ; le puits de Gogo, 25 mètres, etc. Les Arabes me signalent en outre l’existence de puits profonds aux villages de Diokana, Al Mourra, Dagna, à l’E. du Laïri. A Moito, au contraire, on trouve l’eau à 2 mètres de profondeur. Le niveau de ces puits est constant en toutes saisons. On ne les utilise pas pendant la période des pluies, et pour éviter les effondrements on en obstrue souvent l’ouverture avec des branchages soutenant un épais bourrelet de terre. Avec l’argile retirée du puits, on construit tout autour des abreuvoirs circulaires larges de 1m,50 à 2 mètres et hauts de 0m,20 à 0m,30. Au fur et à mesure que l’eau est retirée, elle est versée dans ces cuvettes dans lesquelles les animaux se désaltèrent tour à tour. A certaines époques on est obligé de rationner les troupeaux, et chaque propriétaire doit venir faire l’abreuvage de ses animaux à une heure déterminée.

II. — RÉGION DE MOITO

1er septembre. — Cette contrée appelée Tinguili par les Koukas est un grand plateau sablonneux, surmonté de pics, de séries de rochers et de petits mamelons de granite dont le plus haut a une altitude relative de 50 mètres. Vers le S. et l’O. de grands marais couverts d’eau en ce moment se prolongent à l’infini vers Moura. Des marais analogues s’étendent vers Ngoura et Aouni.

A l’E. le plateau s’élève doucement vers le sillon qui prolonge le Ba Laïri. Cette partie du plateau est occupée par des Baguirmiens métissés d’Arabe, constituant la fraction des Mahaguénés, avec les villages de Abéleïa, Guegueur, Mosout, Ngogoti, Kannam, Fadiaoua, Amdallah. Tous ces villages (population totale : 1.000 habitants) sont très rapprochés les uns des autres et ne possèdent que des cultures pauvres. Les habitants vivent surtout de l’élevage des moutons et des vaches. Les cases sont construites grossièrement, comme celles des pasteurs arabes. Les murs et le toit sont en tiges de mil pressées les unes contre les autres, mais non tressées.

Sur le plateau proprement dit du Tinguili vivent les Koukas, qui ne forment plus que de misérables agglomérations de 50 cases au maximum. Aujourd’hui les Koukas occupent dans le Tinguili les centres très déchus de Aouni, Lafia, Mouti, Aboukokakib, Abougouti, Kalé, Ngoro, Isséni, Gono, Massarma. Le nombre des Koukas vivant dans ces villages n’excède pas 1.500. Les Koukas sont, à n’en pas douter, parmi les plus anciens habitants de la contrée qui s’étend de Ngoro au Fittri. Ils furent défaits par les Boulalas et s’établirent avec eux autour du Fittri. Plus tard les razzias des Ouadaïens obligèrent une partie des Koukas à s’enfuir et à venir se réfugier dans les rochers du Tinguili où ils avaient précédemment vécu et où ils n’échappèrent point encore complètement aux incursions des Ouadaïens. Actuellement, tous les Koukas vivent sous la suzeraineté, les uns des Boulalas, les autres des Baguirmiens.

Les Boulalas forment une autre fraction dont l’origine est assez incertaine. Actuellement la plupart vivent autour du lac Fittri, et leur sultan habite Yao, capitale de ce petit état. D’autres fractions sont dispersées à travers le Dagana. Au dire des Baguirmiens, les Boulalas sont bien venus du Bornou, comme l’avait pressenti Barth. En se disant issus d’une tribu arabe, ils ont trompé Nachtigal, dans le but probable de rehausser leur prestige aux yeux du chrétien. Presque chaque jour j’ai dû déjouer des mensonges analogues commis par des Musulmans qui voulaient me faire croire à l’origine arabe de leurs ancêtres. J’ai eu parfois de véritables difficultés pour faire avouer aux nobles de l’entourage même du sultan Gaourang que leurs ancêtres avaient été des Kirdis. Qui dit païen, en ces contrées, dit esclave ; aussi un Musulman, fût-il dans la plus profonde misère, ne veut pas reconnaître une semblable origine.

Le village de Moïto est l’un des plus pittoresques de la région N. du Baguirmi. Bâti sur un plateau sablonneux, il se trouve à l’entrée d’un défilé entre deux chaînes de rochers granitiques dirigées vers le N.-E. Le rocher où s’élevait le palais du sultan Hagui le domine de près de 150 mètres. J’ai fait l’ascension de ce rocher, accompagné par quelques Baguirmiens qui ont tenu à venir me montrer les ruines du Tata en terre qui fut construit par Hagui, il y a 3 siècles. Elles sont encore très visibles, bien qu’elles soient recouvertes d’une épaisse végétation. Elles sont situées sur une terrasse dissimulée dans un chaos de gros blocs de pierres éboulées, terrasse dont l’accès est très difficile. Il faut se livrer à une gymnastique fort pénible pour y parvenir, en escaladant des blocs de roches sur une hauteur presque verticale de près de 80 mètres. Vers le N., deux autres mamelons profilent leur silhouette arrondie. Au S. et à l’O. s’étend une grande plaine basse à perte de vue jusqu’au pied du roc d’Ardébé dont on aperçoit la cîme. Le plateau sablonneux s’abaisse brusquement à la limite même des rochers, et de grandes lagunes sans arbres, transformées en ce moment en verdoyantes prairies, lui succèdent aussitôt. C’est le Firki, long de 10 kilomètres dans sa plus grande dimension et large d’environ 8 kilomètres entre Moïto et Ardébé. Il est à sec pendant une grande partie de l’année. En hivernage il emmagasine l’eau tombée sur le plateau, l’amasse dans une cuvette principale située près de Moïto et envoie des bras jusqu’à une cinquantaine de kilomètres vers Moula et Arahil, bras qui en ce moment se détachent en longues traînées vertes. Ils se prolongent vers le N.-O., vers Ngoura et Aouni, rendant l’abord de ces villages très difficile. Il est même probable qu’aux hivernages très pluvieux ils s’abouchent avec le Baro. La partie la plus basse du Firki, située à environ 2 kilomètres du village, est occupée par un bois épais d’Acacias dont les troncs brunis baignent dans la nappe miroitante d’un petit lac d’hivernage. D’innombrables bandes d’oiseaux de rivage tourbillonnent aux alentours. Au milieu de la journée, le phénomène du mirage s’y produit fréquemment, donnant l’illusion d’un vaste lac sur les rivages duquel végéteraient des futaies étendues. Si modeste que soit cette lagune elle n’en obstrue pas moins, d’août à octobre, le sentier se dirigeant vers le S. Il est très vraisemblable qu’il existait autrefois, en avant des roches de Moïto, un lac assez étendu qui, à l’époque des crues, recevait les eaux du S. par un chenal s’abouchant soit avec le Ba Mbassa, soit avec le Chari, en aval de Miskin[215].

10 septembre, Ancien lac Baro. — Le Baro est un Bouda, c’est-à-dire une grande dépression sans arbres. Ancienne lagune comblée, il n’y a pas de berges et son niveau, au centre, se trouve à 5 mètres à peine au-dessous des terrains environnants. Des glacis gazonnés de plantes annuelles s’élèvent en pente insensible jusqu’à une lisière boisée. Cette lagune, sensiblement alignée N.E.-S.O., s’étend depuis les environs de Gamzouz jusqu’à Ngoura, c’est-à-dire sur une longueur de plus de 60 kilomètres. Au dire des indigènes, elle se prolongerait encore plus loin à l’O., à l’intérieur du Khossam et jusqu’au Dagana. Elle passe un peu au N. de Zerara et ne communique pas avec le Bouda Addis. A l’E., le Baro ne communique pas davantage avec le Ferch. Il est aussi sans rapport avec le Bahr el Ghazal. C’est donc vraisemblablement la terminaison d’un ancien bras du Tchad, sans relation depuis longtemps avec le lac. Les plus vieux Koukas n’ont jamais vu de poissons dans la dépression, et on ne trouve à sa surface ni ossements ni coquilles. Les années de grandes pluies, l’eau ne monte jamais à plus de 0m,40, et cela seulement en certaines cuvettes. A la saison sèche il n’y a pas trace d’eau nulle part. J’ai atteint le Baro, à 5 kilomètres de Sarar, après avoir marché dans la direction E.-N.E. Du S. au N. le Bouda paraît large de 12 kilomètres. Au N.-E. on distingue sa bordure entre Mouti et Gamzouz. A 20 kilomètres de distance, au point que j’ai abordé, le Baro n’a absolument aucun arbre. Un gazon de Graminées et de Légumineuses fleuries, hautes seulement de 0m,20 à 0m,30, le couvre presque entièrement. Sur les rives croissent en certains endroits d’épaisses prairies de Jute, d’Amarante, de queues de chien, de cléomes, de pourpier indiquant que le sol a été autrefois cultivé par l’homme. En outre, on observe sur le sable de nombreux débris de poterie qui seraient les derniers vestiges de villages koukas qui prospérèrent il y a quelques siècles sur les bords de ce lac. Sur les talus extérieurs pousse une futaie épaisse de Sclerocarya, d’Acacias et de Commifora, mais ce sont surtout les Doums qui forment le fond de la végétation arborescente.

13 septembre. — Les Koukas de Galemaga m’avaient affirmé que le Ba Laïri s’étendrait du côté de Débéker, mais n’irait pas jusqu’à Galémaga. En venant de Zérara, après avoir longé le bouda pendant 2 heures, j’étais entré dans une khala de Gommiers et de Doums, coupée çà et là de petits marais dont l’eau s’écoule lentement vers le bouda quand elle ne s’assèche pas sur place. En approchant de Galémaga on s’élève brusquement de 4 à 5 mètres sur le terrain sablonneux planté en petit mil. Le plateau qui environne les rochers de Gamzouz vient presque toucher les hauteurs sableuses de Galémaga. Si le Ba Laïri venait tomber réellement autrefois dans le Baro, il était fortement étranglé en cet endroit et son lit d’inondation ne devait pas avoir plus de 500 mètres. A 1 km. 500 des cases, le sentier qui se dirige au N.-E. vers Aouni, coupe presque normalement le bouda plein de flaques d’eau, large de 600 à 800 mètres. Les grands Acacias qui sont dans son lit indiquent très nettement la trace du sillon. Dans le fond même du bouda existe encore un fossé large de 3 à 4 mètres et plein d’eau, sans écoulement. Les gens de Galémaga appellent ce sillon le Bouda Kama. A Aouni j’ai pu m’assurer qu’une ligne de plateaux forme de l’E. à l’O. une hauteur que ni le Baro ni le Ba Laïri ne pouvaient franchir. La cuvette où sont les puits d’Aouni est nettement limitée de tous côtés, sauf vers le N.-O., où les marais nommés Tiné Magaria semblent se poursuivre vers le N. En allant d’Aouni à Gamzouz, on découvre aisément à l’entrée de ce dernier village un cul-de-sac arrondi par lequel le lac Baro se terminait de ce côté. Enfin, à une centaine de mètres plus à l’O. on aperçoit fort bien, à perte de vue, sur la gauche, la trouée qui faisait communiquer autrefois le Baro avec le Ba Laïri, par Galémaga. On nomme ce chenal Algoum.

Le vieux chef de Gamzouz, qui est âgé de 60 ans environ, me donne des renseignements intéressants sur l’hydrographie ancienne du pays : il a vu par 3 fois (la dernière fois, il y a 10 ans environ) l’eau du Ba Laïri venir à Galémaga. Son père avait entendu dire dans sa jeunesse aux vieillards qu’étant enfants ils avaient vu l’eau du Ba Laïri envahir, au moment d’une très haute crue, le Baro et y apporter des poissons. Il y aurait donc environ un siècle que les eaux ne viennent plus au Baro. Ce renseignement cadre assez bien avec la tradition des Makaris que nous rapporterons plus loin. Le Baro allait rejoindre le Chari vers Goulfei en traversant le Khossam[216] et le Dagana où il porte le nom de Sell. La trace de ce bras est encore marquée par une chaîne de Rahat où campent les Arabes. Les habitants de Ngoura me racontèrent quelques jours plus tard que ce prolongement passait par les localités suivantes : Guibni, Guirf Abguiré, Abédédi, Orkom, Kidiki, enfin Gaoui près de Koussri où il tombait dans le cours d’eau nommé, par les Baguirmiens, Bahr Ligna (Bahr Reguig par les Arabes). C’est un bras latéral au Chari qu’il rejoint, près de Mélé, à 60 kilomètres environ de Massakori et un peu au N. de Koussri. Le Chari s’élargit là en une dépression qui, au moment des inondations, peut s’étendre sur 5 à 6 kilomètres.

Aouni. — Les rochers de cette localité forment une chaîne de mamelons granitiques, surmontés souvent de blocs en forme de menhirs et recouverts sur leurs flancs de blocs énormes plus ou moins arrondis, entassés pêle-mêle les uns sur les autres en un chaos extrêmement pittoresque. Les plus hauts pitons atteignent à peine 100 mètres au-dessus de la plaine environnante. C’est au pied de l’un de ces gigantesques rochers qu’était installé le poste de spahis actuellement abandonné. J’y trouve un asile des plus confortables. De la terrasse où je campe un large sentier dévale vers le S. dans la cuvette où des puits sont creusés à quelques centaines de mètres des rochers, et à une quinzaine de mètres en contre-bas. Nous gravissons cette pente en enfonçant dans le sable très blanc, très fin et dépourvu de toute végétation sur d’assez grands espaces. On a la sensation de pénétrer dans un pays désertique. Je retrouve là beaucoup de végétaux du Sahara ou de la région de Tombouctou que j’observe pour la première fois ici à leur limite méridionale : Cocculus leæba, Leptadenia spartum, le Salvadora, un très remarquable Podaxon. Déjà les rochers de Kolkélé, d’Abougara et de Moïto étaient environnés de plateaux dont le sol et la végétation présentaient un caractère saharien. Mais ce n’est qu’après avoir franchi la grande dépression du Baro qu’on tombe en plein sable et en pleine flore saharienne. Il n’est pas surprenant que Nachtigal ait comparé ce pays au Kanem.

[212]Barth, traduction, t. III, p. 357.

[213]Le sorgho et le petit mil dressent leur chaume élevé sur des sillons analogues à ceux que savent tracer les paysans français. Des coins plus restreints sont consacrés à la culture des Niébés, des Arachides, du Cotonnier. Autour même des habitations, dans l’enceinte, de superbes plants de Maïs, des carrés d’Indigotier, plusieurs variétés d’Hibiscus Cannabinus, enfin les frondaisons géantes des Lagenaria, producteurs de calebasses, élégamment dressés sur la toiture des cases, occupent les parcelles les plus infimes du terrain cultivable. De même que dans certaines parties du Soudan français, on fait usage des engrais animaux pour favoriser le développement des plantes ensemencées et leur culture ne laisse vraiment rien à désirer, si primitifs que soient les instruments aratoires. En cette saison, les habitants n’ont pas un instant de répit. Par places, on repique des pieds de sorgho, là où la semence a mal réussi ; ailleurs, on sarcle les champs. En un autre endroit, les enfants se démènent à qui mieux mieux, en poussant des cris sauvages, pour éloigner les oiseaux qui viennent dévorer les premiers épis mûrs du mil. Les troupeaux sont assez nombreux et en parfait état. On les mène pâturer dans la jachère la nuit pour leur éviter les piqûres des insectes et pour qu’ils ne soient pas incommodés par le soleil. Dès 4 heures du matin, ils rentrent ordinairement à l’étable.

[214]Les habitants sont des Baguirmiens possédant de nombreux esclaves saras, des esclaves métissés et enfin des Fellatas. Cette population mélangée représente un total de 8.000 à 10.000 habitants. Les Fellatas sont les plus nombreux ; d’un teint très noir, ils ne ressemblent guère aux Foulahs de l’Afrique occidentale ; ils ont, au contraire, une grande partie des traits des Baguirmiens avec lesquels ils s’allient. Ils parlent exclusivement la langue baguirmienne et la langue arabe. Quelques vieillards seulement se souviennent avoir parlé le fellata dans leur jeunesse. Cette race, dont l’origine est énigmatique, est aujourd’hui disséminée dans toute l’étendue du Baguirmi. Autour de Tcheckna, en particulier les Foulahs sont assez nombreux, mais dans d’autres villages on trouve seulement quelques familles éparpillées çà et là. Nous ne pensons pas que ce groupe ethnique compte à l’heure actuelle plus de 5.000 à 6.000 représentants dans toute l’étendue du Baguirmi. Les autres se sont dispersés à travers le Bornou, après les spoliations dont ils ont été l’objet de la part de Rabah.

[215]La tradition veut qu’il ait existé en cette région un lac permanent, dont les rives auraient été habitées par les Kotokos. Puis vint l’assèchement qui ne laissa que quelques traces de ces plexus (Minia Gari, Rahat el Kleb). Populations essentiellement de pêcheurs, les Kotokos durent émigrer sur les bords du Chari et du Tchad.

[216]Le Khossam, que traversait ce diverticule, est aujourd’hui un pays très pauvre en eau, et les habitants sont obligés d’amener leurs troupeaux pendant la saison sèche, soit vers le Dagana, soit vers le Chari. Il est couvert de grandes khalas formées d’arbres épineux.


CHAPITRE XIV

LE BAGUIRMI

I. L’esclavage au Baguirmi — II. Le commerce du Baguirmi. — III. Histoire. — IV. Histoire de Rabi racontée par Si Sliman, iman du sultan Gaourang. — V. Notes du Dr Decorse.


I. — L’ESCLAVAGE AU BAGUIRMI

Depuis 1900, date de notre installation, le trafic des esclaves est resté le principal commerce du Baguirmi. On continue à le dépeupler, pour approvisionner les marchés des régions comprises entre 9° et 12° N. et le cours du Logone et du Chari en longitude[217]. Ce sont ces territoires que le traité passé avec Gaourang réserve au sultan comme « terrains de chasse ». Il faut lire « chasse à l’esclave ».

En 1903, MM. Destenave et Fourneau ont bien fait promettre à Gaourang de cesser les razzias et de supprimer la traite ; en échange nous l’autorisions à lever l’impôt chez l’Alifat de Korbol qui s’était affranchi de son autorité à la suite de notre intervention dans les affaires du Tchad. Cet engagement n’est qu’une plaisanterie, nous en avons eu maintes fois la preuve par notre expérience propre et par les documents de M. Bruel.

Si le sultan nous accorde l’autorisation de poursuivre tous les trafiquants baguirmiens que nous surprendrons en train de conduire des convois de captifs, il se réserve le droit de prélever sur la rive gauche du Chari et de faire passer sur la rive droite, la quantité d’individus de l’un et l’autre sexe qu’il jugera utile pour se constituer un entourage, le servir lui, et récompenser tous les musulmans qui l’entourent. La convention de 1903 n’aura d’autre résultat que de faire passer entre ses mains, et cela sous notre protection, le monopole de la traite. En effet la traite se trouverait supprimée pour les sujets du sultan, mais non pour lui. Cette convention n’entraverait nullement l’exportation des Kirdis vers le Ouadaï, le Bornou, et le Kanem.

Les Baguirmiens recrutent leurs esclaves par divers moyens.

A) Le plus profitable est la razzia, dirigée par le sultan lui-même. Sous couvert de lever l’impôt dans une contrée, Gaourang y vient à l’improviste avec une nombreuse suite de courtisans, de soldats, et toute une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants qui marchent à la suite de la troupe pour ramasser les miettes du butin. Il s’en trouve souvent plusieurs milliers. Sous prétexte d’attendre le versement complet du tribut, les Baguirmiens vivent sur le pays aux dépens des récoltes amassées par les Kirdis jusqu’à ce qu’ils les aient épuisées. Quant au tribut il se compose d’esclaves, de troupeaux, de volailles, de mil, de miel, d’autres produits agricoles. Le sultan garde pour lui la plupart des esclaves ; il en donne quelques-uns aux notables qui l’ont accompagné.

Voici, d’après M. le capitaine Paraire quelques-uns des hauts faits du Sultan.

Quand Rabah marcha sur Kouno, Gaourang pénétra au cœur des pays Kirdis. Il vécut aux dépens des populations, les pressura à plaisir, leur enleva leurs femmes et leurs enfants, leurs chevaux et leurs troupeaux. Installé entre Laï et Goundi, il fit successivement des incursions chez les Somraïs, les Toummoks, puis il passa le Logone pour razzier jusqu’à Banglou, et le Ba Bo pour aller dévaster le pays Laka. Il resta en territoire Gaberi jusqu’au moment où il l’eut complètement épuisé. En 1900, nouvelle apparition de Gaourang dans la même région, il séjourne chez les Kirdis de décembre à avril. Il revient après avoir réduit le pays à la misère, emmenant de nombreux captifs Somraïs. En 1901 et 1902 Gaourang va chez les Manas. En 1903 le Dékakiré et le pays de Korbol sont mis en coupe réglée. Où il ne peut aller, il envoie ses agents ; c’est ainsi que, pendant qu’il opère au Dékakiré, de soi-disant marchands Baguirmiens enlèvent tout ce qu’ils trouvent en pays Somraï et chez les Manas.

B) Des Baguirmiens voyageant par petits groupes, armés ou non, parcourent les pays à l’O. du Chari, et lèvent au nom du Sultan un tribut composé presque en entier de captifs, tribut dont l’importance est arbitraire. Cette perception est faite au nom du Sultan, mais tous les esclaves ne sont pas ramenés à Gaourang.

C) Enfin de petits trafiquants (djellabahs), bornouans, baguirmiens, fellatas, circulent constamment dans les pays saras, avec parfois quelques ânes ou bœufs porteurs. Ils apportent avec eux un peu de verroterie, du coton tissé au Baguirmi, des bracelets en cuivre, parfois ils emmènent quelques bœufs ou des chevaux (la plupart du temps volés) et ils échangent ces produits contre des esclaves. Ces malheureux sont livrés aux djellabahs souvent par leurs propres parents. On se débarrasse de préférence des enfants de constitution faible pour ne garder que les plus beaux. Cette sélection expliquerait le magnifique développement physique atteint par la race sara si proche cependant des Baguirmiens. Très souvent aussi les Saras viennent vendre des esclaves qu’ils se sont procurés par rapt dans les villages voisins.

Fig. 71. — Cuirasse en matelas de coton portée par les cavaliers baguirmiens.

Il est très difficile d’évaluer la quantité d’esclaves qui sortent chaque année des territoires fétichistes rentrant dans la sphère d’influence du Baguirmi. 5.000 me semble un chiffre inférieur à la réalité. M. Bruel a vu près du Chari, vers 10° N., un convoi de 1.600 esclaves qu’on emmenait à Gaourang. Ce dernier prétend en avoir reçu 300 seulement. Il est certain qu’il se produit un déchet considérable en cours de route. Les esclaves sont attachés comme du bétail ; souvent plusieurs sont fixés ensemble à une sorte de joug en bois qui entrave leur marche. Ils ne reçoivent pas de mil ; les hommes d’escorte eux-mêmes ayant à peine de quoi subsister. Les esclaves n’ont donc pour vivre que les racines qu’ils déterrent, les fruits qu’ils cueillent et comme ils sont entravés, ils n’ont qu’en quantité insuffisante même ces vivres de famine. Beaucoup meurent de soif ou d’insolation. Les esclaves morts en route ne reçoivent point la sépulture. J’ai trouvé ainsi le 5 avril, sur le sentier entre Dol et Mouré, le cadavre d’un enfant d’une dizaine d’années, mort de faim et de fatigue la nuit précédente. On avait traîné le cadavre encore ligotté dans le creux d’une termitière et les fourmis rongeaient déjà ce pauvre corps amaigri, blessé au cou par le joug. Les porteurs baguirmiens qui nous accompagnaient trouvaient ce spectacle tellement ordinaire, qu’ils ne s’arrêtaient même pas. Ils nous ont dit qu’il passait tant de caravanes d’esclaves le long du sentier et qu’il mourait tant d’enfants qu’on ne pouvait point s’occuper au village de Dol des cadavres ainsi semés sur les chemins.

Les malheureux qui résistent aux souffrances du voyage arrivent à destination dans un état d’épuisement extrême ; qu’une épidémie se déclare ils meurent par centaines. Le capitaine Jacquin nous déclarait qu’il n’est pas rare de voir pourrir sous les bosquets environnant Tcheckna une cinquantaine de cadavres d’esclaves. Beaucoup de ceux-là même qui ont survécu aux fatigues du convoi, dit-il, ne peuvent endurer le séjour dans cette ville, où, jusqu’à la vente, on les laisse attachés par 15 et 20 dans la même case immonde, ou exposés aux ardeurs du soleil. Cet officier déclare que sur 100 captifs pris dans les contrées fétichistes, il n’en arrive que 40 sur les marchés du Baguirmi.

Des esclaves ramenés à Tcheckna ou à Koussri, les uns sont dirigés sur le Ouadaï ; d’autres sont vendus à des caravanes à destination du Bornou ou de Tripoli ; enfin quelques-uns trouvent un maître dans le Baguirmi[218]. Ceux-ci sont sauvés. Le Baguirmien ou le Bornouan, qui achète un jeune captif pour le servir ou parce que son mariage ne lui a pas donné d’enfants, le garde encore enchaîné quelques jours, puis il le nourrit abondamment, le traite avec humanité pour se concilier son affection. Bientôt l’esclave ne songe plus à s’enfuir ; il se considère et il est considéré comme appartenant à la famille du maître. On le loge avec d’autres serviteurs qui lui apprennent les travaux de la culture. Les fillettes aident les femmes dans la préparation des aliments. Quand elles arrivent à l’état de puberté, elles se marient à des esclaves avec l’assentiment du maître ; mais les enfants qui naîtront n’appartiendront ni au père ni à la mère. Ils seront la propriété du possesseur de la femme. Quelques esclaves arrivent à une situation plus brillante. En récompense de leurs services exceptionnels ou en l’absence de rejetons, le maître peut affranchir un captif et même l’adopter. Malgré tout son origine restera toujours une tare aux yeux des habitants libres du village.

Si bien traité que soit, au Baguirmi comme dans d’autres sociétés africaines, le « captif de case », il ne faut pas oublier les atrocités dont la traite est l’origine. Il faut rappeler à ceux-là que toucheraient peu ces considérations humanitaires quelle dépopulation, quel appauvrissement des contrées fétichistes sont le résultat de ces perpétuelles razzias conduites par le Sultan. Ce que nous avons dit de Senoussi peut être dit de Gaourang. Tous deux laissent le même vide partout où ils passent. Tous les deux poursuivent le même but, dans lequel l’agrandissement territorial de leurs Etats n’est pour rien. Ils veulent grouper auprès d’eux le plus possible de captifs, les agréger peu à peu au peuple qu’ils forment autour de leur résidence. Ils veulent aussi se procurer cette « valeur d’échange » qu’est l’esclave pour payer aux Ouadaïens et aux Djellabahs les armes, les étoffes, les bestiaux qu’on leur apporte. Peut-être n’était-il point nécessaire d’aller combattre Rabah pour le remplacer par Senoussi et Gaourang, et n’est-il point triste de voir continuer, avec notre approbation tacite, une œuvre de dévastation par deux protégés français ?

II. — LE COMMERCE DU BAGUIRMI

Le commerce du Baguirmi est aujourd’hui presque complètement anéanti. Les guerres déchaînées par Rabah et les ruines qu’il y avait accumulées y ont largement contribué. L’installation du protectorat français, loin de ramener un peu de prospérité, n’a fait qu’accroître l’état misérable dans lequel se trouve aujourd’hui cette région.

Les marchandises européennes rentrant aujourd’hui au Baguirmi et dans les provinces avoisinantes, proviennent presque toutes des marchés anglais, de Yola sur la Bénoué et de Mongono, village situé à 8 jours à l’E. de Dikoa. Les produits anglais importés par les vapeurs de la Royal Niger Co, qui remontent chaque année la Bénoué, tendent à se substituer peu à peu aux produits qu’apportaient autrefois les caravanes venant de Tripoli. Depuis la destruction ou l’appauvrissement des grandes villes de Kouka et de Dikoa, les caravaniers du Sahara ont pris eux-mêmes l’habitude de venir à Mongono où sont installés aujourd’hui des marchands tripolitains, haoussas, bornouans, djellabahs. Les produits importés des factoreries anglaises sont des tissus de Manchester, blanchis, écrus et imprimés, des soieries, des perles de verroterie, du papier, des glaces, des aiguilles, de la mercerie, du sucre, du papier d’Italie, des parfums, des savons de toilette, des clous de girofle, des allumettes, de l’encens, etc.

Depuis l’occupation du Kanem par les troupes françaises, à la suite des combats de Bir Alali, les caravaniers, redoutant cette région où beaucoup des leurs trouvèrent la mort lors de l’attaque des Senoussistes, ont renoncé à venir au Baguirmi ou au Ouadaï en traversant le Kanem. Ils se rencontrent dans la région du Bas-Chari, en passant à l’O. du Tchad par le Bornou, et la colonie anglaise bénéficie de ce transit que nous avons perdu.

Les caravaniers Djellabahs ou Haoussas qui viennent à Tcheckna, la capitale actuelle du Baguirmi, présentent d’abord leurs marchandises au sultan qui fait son choix, paie très largement les produits qu’il retient, et le reste des denrées est mis en vente sur le marché public situé sur la grande place, devant le palais. Il bat son plein à 4 heures du soir. On y trouve toutes les marchandises habituelles des marchés noirs : le mil, le sel indigène, les légumes, les poissons secs sont offerts par une centaine de vendeuses agenouillées devant leurs calebasses ou devant leur petit étal reposant sur une peau de mouton. Un peu à l’écart se trouvent une trentaine de marchands d’objets importés venus pour la plupart par la voie de Dikoa. Ces objets sont du fil, des aiguilles, de petits miroirs, du poivre d’Ethiopie, du cumin, des oignons, de l’ail, des perles de verroterie, quelques colliers de corail, des anneaux en argent, des bracelets en cuivre, des perruques, de la ficelle, des boutons en porcelaine, du sulfure d’antimoine, des cauris, des chapelets, du papier, des tabatières et une foule d’autres menus bibelots. Enfin, tout près de là, 5 ou 6 marchands de tissus, représentant les quelques caravaniers, approvisionnent en étoffes tout le marché de Tcheckna. C’est seulement dans la soirée, à partir de 3 ou 4 heures, qu’ils détaillent leurs marchandises, composées de bandes de toile du Baguirmi, de boubous, de tobes, de grands manteaux du Sokoto et du Bornou, de tissus anglais. L’approvisionnement du marché en étoffes est toujours très restreint. Il se renouvelle, comme à Tombouctou, aux dépens des réserves emmagasinées dans les cases des traitants, et jamais le vendeur n’expose plus d’une vingtaine de boubous ou de pièces de cotonnade. Les étoffes sont soigneusement enroulées et emballées à l’aide de chiffons, de manière à les préserver de l’humidité et de la poussière. Dans un autre coin du marché se trouvent les animaux domestiques mis en vente. Il n’y en a jamais plus d’une cinquantaine par jour et souvent beaucoup moins. Les moutons et les chèvres dominent naturellement en nombre ; puis viennent les taureaux, quelques bœufs porteurs, rarement des vaches laitières, une dizaine de baudets, de temps en temps des chevaux et parfois des mulets et des chameaux. La valeur totale des objets apportés chaque jour ne dépasse pas 300 ou 400 thalers, et si l’on admet que le tiers environ est vendu, on trouve comme chiffre de transactions annuel 100.000 francs environ pour le marché. Nous faisons, bien entendu, défalcation du commerce des esclaves qui, tout en étant clandestin, n’en constitue pas moins le trafic le plus prospère du sultan et de son entourage. Si l’on ajoute à ce chiffre 100.000 francs pour les achats de tissus, de verroterie, de sucre, de parfums, etc., faits par le sultan, enfin une cinquantaine de mille francs pour les transactions dans le reste du Baguirmi, on arrive péniblement à un quart de million pour le chiffre total des affaires avouables. Ce commerce paraîtra bien faible si l’on songe à l’ancienne splendeur du Baguirmi.

L’unité monétaire au marché de Tcheckna est le thaler de Marie-Thérèse (3 francs) pour les achats importants[219]. Pour les autres on se sert du parda (bagrima) ou gabaga (Kotoko, Bornouan, Haoussa). C’est la bande de toile grossière tissée dans le pays, large de 42 à 44 millimètres, longue de 44 centimètres. Un thaler équivaut à 50 ou 60 pardas, suivant le cours, soit à 100 ou 120 coudées. Les pardas servent à l’achat d’objets tels que graines et bois odoriférants, fil, oignons, poissons secs, beurre, poteries, légumes secs divers, mil, blé, lait, bois de chauffage, sel indigène. Le cauri, nommé « courdia » au Sokoto, est comme l’on sait un petit coquillage (Cyprea moneta) qui sert de menue monnaie sur la plus grande étendue du Soudan français. Le courdia est également très employé dans le Sokoto et dans le Bornou, mais il n’a pas cours au Baguirmi et au Ouadaï. Les femmes en font simplement des colliers et les hommes les emploient comme dés à jouer.

Nous donnons ci-après la valeur des principales matières d’échange sur le marché de Tcheckna, au moment de notre passage, en août 1903 :

Un cheval vaut de 20 à 30 thalers, parfois jusqu’à 50 thalers ou 2 ou 3 captifs ; un âne vaut 5 thalers ; un mulet 10 thalers ; un chameau 20 thalers ; mouton ou chèvre, chacun 1 thaler ; un bœuf de boucherie vaut de 5 à 8 thalers ; un bœuf porteur, 8 thalers ; une vache laitière 10 thalers ; une pièce d’étoffe anglaise, cotonnade blanche de basse qualité, provenant de la Royal Niger Co, 1 thaler la brasse.

Des boubous ordinaires, de 1 à 2 thalers ; un grand boubou fabriqué avec des bandes de cotonnade non teintes, 3 à 4 thalers ; un grand boubou (boubaga), en cotonnade teinte et brillante avec des broderies, vaut de 5 à 8 thalers ; les couvertures colorées des femmes (bolné), de 2m,60 sur 1m,30, 4 thalers[220] ; un pain de sucre de 1 kilogramme 500 vaut de 3 à 4 thalers ; un morceau de sulfure de plomb du poids de 300 grammes environ vaut 1 thaler ; 5 pigeons, 1 thaler.

Le cours du mil et des autres céréales n’est pas constant. Il atteint son maximum en septembre, quand la récolte n’est pas encore faite, et passe brusquement, en novembre, à sa valeur la plus faible qui est de 8 centimes le kilogramme.

Voici enfin le prix des menus objets vendus sur le marché :

Gros oignons du Bornou, 2 à 4 gabagas chaque ; ail, échalotte (une vingtaine de gousses), 20 gabagas ; haricots du pays, 1 gabaga le gobelet ; arachide, 1 gabaga le gobelet ; mil, 1/2 gabaga le gobelet ; blé, 2 gabagas le 1/4 de litre ; un fagot de bois, 1 gabaga ; sel indigène (40 grammes), 1 gabaga ; natron (1 kilogramme), 10 gabagas.

En dehors du Tcheckna, un autre marché important s’est tenu quelque temps à Fort-Lamy, qui est, comme on sait, la capitale actuelle du Territoire militaire du Tchad. C’est une ville entièrement artificielle, qui a été constituée après la défaite de Rabah, avec les prisonniers et des esclaves tombés entre nos mains. Au début de l’occupation militaire, il y eut en ce centre nouveau des transactions actives par suite des espèces et des marchandises que les indigènes employés par nous recevaient en paiement, à l’aide desquelles ils pouvaient trafiquer avec les colporteurs indigènes. En 1903, le commerce de la ville de Fort-Lamy était très affaibli. Les commerçants noirs avaient déserté ce marché qui manquait d’espèces, l’administration s’étant trouvée dépourvue de thalers et ayant dû retarder le paiement de ses agents noirs et de ses troupes indigènes. Néanmoins le Dr Decorse, qui a passé plus de deux mois dans ce poste, a recueilli des indications très intéressantes sur le trafic qui se fait à Fort-Lamy. Il a soumis aux marchands arabes et aux tailleurs indigènes des échantillons de tissus qui lui avaient été confiés par le Syndicat cotonnier français. Il a pu ainsi faire un classement des étoffes les plus prisées au centre de l’Afrique, et rapporter un aperçu des prix offerts par les indigènes. Quant au Ouadaï, nous savons qu’en échange d’esclaves, d’ivoire, de bœufs, il importe du Soudan Egyptien, notamment de Dongola et de Khartoum, une certaine quantité de denrées qui sont convoyées par les caravaniers du Dar Four. Mais nous avons recueilli trop peu de données sur le commerce de cet Etat pour pouvoir nous y arrêter.

III. — HISTOIRE

Comme tous les pays fétichistes de l’Afrique, les territoires du Haut-Chari et du Haut-Oubangui n’ont pas d’histoire à proprement parler. Pendant tout le XIXe siècle, les peuplades de ces régions se sont dépensées en luttes d’un village à l’autre, luttes qui ont considérablement décimé la population. En outre, dans la même période, les trafiquants d’esclaves du Soudan Egyptien ont pénétré jusqu’au cœur de l’Afrique et mis en razzia ces contrées. De sorte que sur toutes les routes que nous avons suivies il n’y avait que des ruines.

Nous avons pu recueillir, de la bouche des indigènes les plus âgés, quelques renseignements sur les principales luttes que les villages fétichistes traversés ont eu à soutenir dans les 50 dernières années.

Ce n’est qu’à l’arrivée du sultan Rabah dans la région du Haut-Chari et du Moyen-Chari, qu’a commencé véritablement la désagrégation de l’organisation sociale de toutes ces peuplades et la ruine presque absolue de ces régions.

A partir du 10e parallèle, on commence à rencontrer une infiltration de populations islamisées. Ces peuples sont eux-mêmes très primitifs ; leurs marabouts sont ignorants et c’est à peine si l’on rencontre quelques rares lettrés sachant lire le Coran. Aussi n’avons-nous pu trouver en aucun point de notre voyage des chroniques écrites sur le passé des contrées avoisinant le Tchad.

Dans l’entourage du sultan Senoussi et du sultan Gaourang (sultan du Baguirmi), nous avons toutefois rencontré des Musulmans qui ont été mêlés dans les 25 dernières années aux luttes qu’a soutenues Rabah contre les peuplades fétichistes d’une part et, d’autre part, contre les états musulmans organisés environnant le Tchad. C’est de cette source que nous viennent les quelques renseignements suivants :

Rabah, dont la véritable appellation est Rabi, est incontestablement un ancien lieutenant de Ziber-Pacha ; sa fortune a commencé au moment de la capture de ce chef par les troupes anglo-égyptiennes. Il est inexact qu’après la défection des troupes de Ziber, Rabah soit allé s’installer au Borkou ; c’est au contraire dans la partie la plus méridionale du territoire dont nous nous occupons, territoire où il avait déjà acquis une grande autorité au cours des expéditions faites pour le compte de Ziber, qu’il porta ses premières armes.

Il existait, vers 1880, au S. du Ouadaï, dans la partie nommée Dar Rounga et Dar Banda, plusieurs petits sultans indépendants les uns des autres. Ces sultans étaient d’ailleurs plutôt des trafiquants d’esclaves qui commerçaient avec Ziber ou bien avec de gros djellabahs (marchands d’esclaves) du Ouadaï et du Dar Four. Les trafiquants du Dar Rounga étaient des sortes de chefs de Zéribas analogues à ceux que Schweinfurth nous a appris à connaître.

Déjà, à cette époque, vivait, dans le Kouti, le père de Senoussi qui était venu du Baguirmi pour trafiquer des esclaves et de l’ivoire. Ce Baguirmien, nommé Abou-Bakar, était apparenté à la famille régnante du Baguirmi, avec laquelle il commerçait. Il était aussi en rapports avec Ziber-Pacha.

Ziber disparu, tous ses lieutenants, Rabi et les autres, se groupèrent autour de Souleyman-Bey, fils de Ziber ; puis, lorsque Souleyman, après avoir été attiré dans un guet-apens par les troupes égyptiennes, fut mis à mort, tous les lieutenants de Ziber se dispersèrent. De cet événement date la fortune de Rabi.

Rabi qui, pour le compte de son maître, avait parcouru le pays des Kreichs et des Bandas, ainsi que le Dar Four, et qui connaissait parfaitement tous les chefs, expédia des courriers dans toutes les directions pour leur dire de revenir. Quand ils furent tous rassemblés, il les exhorta à s’unir à lui afin d’être forts et de pouvoir lutter contre la pénétration européenne.

Dès cette époque, Rabi entretient des relations très suivies avec le Ouadaï, il y achète des fusils, de la poudre, des capsules et y vient lui-même, en personne, à plusieurs reprises. Le sultan Youssef du Ouadaï, inquiet de l’armement de son voisin, interdit à ses sujets de vendre des armes et des munitions à Rabi, mais les commerçants continuent à lui fournir de la poudre qu’ils dissimulent dans des bâtons évidés.

Vers 1886, Rabi vient s’établir chez les Taachis entre le Dar Four et le Dar Rounga. A ce moment, l’aguide des Salamats est à Ammartiman où il est venu prélever l’impôt pour le compte du Ouadaï. Rabi l’attaque et lui inflige une sérieuse défaite ; ensuite, pendant plusieurs années, il rayonne à travers toute la contrée située au S. du 10e degré, razziant les esclaves partout où il passe. C’est ainsi qu’il occupe le Kouti et le Rounga. A cette époque, le sultan du Rounga avait une autorité qui s’étendait sur tous les trafiquants dont nous avons parlé précédemment, en particulier sur le sultan Koubeur et sur le sultan Senoussi qui avait succédé à Abou-Bakar.

Rabi déposséda Koubeur et donna le gouvernement de tout le Kouti à Senoussi auquel il remit quelques fusils, à charge pour celui-ci de lui fournir des captifs et de l’ivoire. Tranquille de ce côté, Rabi rayonna chez tous les païens du Haut-Chari, subjuguant les Kreichs, les Ngaos du Gribingui, les Koulfés et les autres Goullas du Iro, les Ndoukas, les Fagnias.

Rabi était à Denzi, chez les Kabas, tout près de Simmé, lorsqu’il apprit l’arrivée de la mission Crampel au Kouti.

Vers 1891, Rabi quitte Denzi pour se rendre chez les Niellims que commandait le chef Kadi, père du sultan actuel. Il le défait et se porte ensuite au pays des Ndamms dans le village de Ndamm-Phong, il était là, lorsque passa, à Palem, la mission Xavier Maistre, pour se rendre à la Bénoué. Le village de Palem n’étant situé qu’à une centaine de kilomètres du point occupé par Rabi, ce dernier fut informé certainement du passage de la mission française, mais il se garda bien d’aller l’inquiéter.

Cette même année, le sultan du Baguirmi, Gaourang, vint s’établir à Bargna, chez les Sarrouas, au bord du Moyen-Chari dans la région où razziait Rabi. Celui-ci, après avoir chassé l’alifa de Korbol, fait des menaces à Gaourang et vient, au commencement de 1893, l’attaquer à Bargna. Gaourang s’enfuit à Mandjaffa tandis que Rabi retourne de nouveau se fixer à Ndamm pour, de là, faire des razzias chez les Somraïs.

C’est à partir de cette époque que commencent des attaques incessantes contre tous les villages soumis au Baguirmi. Partout où passent les soldats rabistes, ils allument des incendies et accumulent des ruines.

Vers 1894, le sultan Gaourang est assiégé dans Mandjaffa ; le siège dure plusieurs mois et est des plus meurtriers ; Gaourang, lui-même, ne parvient à sortir que très difficilement. Les Baguirmiens allèrent se réfugier à Koussri et de là à Mara, dans le Bornou. Rabah les y poursuit ; il attaque en outre le sultan du Logone. Enfin, peu de temps après, il s’emparait de la célèbre ville de Kouka, la capitale du Bornou, qu’il mettait au pillage ; puis il allait ensuite occuper la ville de Dikoa qui devenait le chef-lieu de l’empire qu’il constituait au S. du Tchad. Les habitants du Baguirmi et leur sultan, réduits à la misère, faisaient appel à l’appui du Ouadaï pour résister aux dernières tentatives de Rabi lorsqu’un événement tout à fait inattendu se produisit au cœur de l’Afrique. C’était l’arrivée, par le bateau à vapeur le Léon Blot, de la première mission Gentil (1897). Il est inutile de rapporter tous les faits qui se sont succédés dans ces contrées depuis cette époque. Ils sont intimement liés à l’histoire de l’occupation française de ces territoires.

Fig. 72. — Le sultan Gaourang du Baguirmi rentrant dans sa capitale.

Par la chute de l’empire rabiste sous nos coups, le Baguirmi est enfin délivré de son oppresseur et placé sous la tutelle de la France. En me tendant la main à mon arrivée à Korbol, Gaourang me tint à peu près ce discours : « Sois le bienvenu dans ces états où tu trouveras la même tranquillité et la même sécurité que dans ton pays et où tu circuleras partout où tu voudras. Les contrées d’où tu viens et notamment le territoire de Senoussi sont seulement un peu aux Français. Tu trouveras dans le Baguirmi un pays totalement acquis à la France. » Enfin lorsque Gaourang connut le véritable motif de mon voyage, il me fit prévenir qu’il me donnerait tous les objets de collections que je pourrais désirer et qu’on me fournirait tous les renseignements que l’on pourrait avoir afin que je puisse faire connaître aux Français ce qu’est le Baguirmi. Le lendemain même il m’envoyait Si Sliman, l’homme certainement le plus instruit et le plus intelligent de son entourage, qui m’exposa en détail pendant plusieurs heures les événements que j’ai résumés dans les pages précédentes. On ne pouvait me faire d’accueil plus cordial et je n’aurai aucun mérite si je parviens à faire connaître le Baguirmi avec plus de précision que n’avaient pu le faire mes prédécesseurs Barth et Nachtigal. C’est à ces voyageurs que doit aller toute notre admiration. Malgré toute la défiance dont ils furent entourés et souvent malgré l’hostilité très nette des populations, ils réussirent à rapporter, outre leurs itinéraires et leurs aperçus historiques sur les contrées du Tchad, des cartes par renseignements dressées avec une telle sûreté que les nombreux levers de nos officiers dans le Baguirmi n’ont pour ainsi dire point modifié leurs grandes lignes[221].

Quelques événements importants se sont accomplis dans le Baguirmi depuis l’installation des autorités françaises. Le Baguirmi fait partie du territoire militaire du Tchad (chef-lieu : Fort-Lamy), administré par l’officier commandant les troupes sous l’autorité du lieutenant-gouverneur de l’Oubangui-Chari-Tchad (décret du 11 février 1906).

Le corps d’occupation comprenait, au 1er juillet 1903, 62 Européens, officiers, sous-officiers, artilleurs, etc., des troupes noires régulières et des auxiliaires. Il se compose d’un bataillon de tirailleurs sénégalais, de 4 compagnies, à l’effectif de 500 tirailleurs ; d’un escadron de cavalerie comprenant 120 spahis indigènes (3 officiers et 1 vétérinaire) ; d’une batterie de 50 à 80 artilleurs ou servants (4 pièces de montagne) ; soit en tout de 700 hommes de troupes, sénégalais ou assimilés, armés de fusils 1886. Il faut y ajouter 500 à 800 auxiliaires, presque tous Bandas ou Kreichs provenant des débris de l’armée de Rabi. Les 120 Kreichs auxiliaires de la compagnie de Bousso ont reçu une organisation spéciale intéressante. L’administration ne les paie pas mais elle leur laisse le temps de faire des cultures et leur a attribué des terrains appropriés aux environs du poste. Leurs femmes et leurs enfants vivent avec eux au camp. Le lieutenant Gaukler estime qu’il faut un hectare pour nourrir la famille d’un tirailleur kreich. A partir de 1903 il a accordé 2 hectares de terrain à chacun, afin qu’ils puissent vendre une partie de leur récolte et se procurer les autres denrées indispensables. Les auxiliaires sont armés du fusil 1874. Ceux qui sont dans les postes du fleuve sont nourris à l’aide d’une ration prélevée, le long du fleuve et au lac Tchad. Les habitants riverains assurent en outre le pagayage[222] et le portage dans l’intérieur. Moyennant ces prestations, d’ailleurs extrêmement lourdes, les habitants des bords du Chari sont exemptés de fournir toute denrée au sultan Gaourang.

Ce dernier prélève l’impôt dans ses États à sa guise. Il conserve une armée mais il ne peut l’envoyer en expédition qu’avec l’assentiment du commissaire de la colonie. Il conserve en outre la juridiction sur ses sujets, à moins qu’ils ne viennent réclamer la justice de notre Résident à Tcheckna. Le sultan est tenu de fournir la nourriture à nos tirailleurs du territoire du Baguirmi. Il s’acquitte d’ailleurs de cette imposition très largement, fournissant bien au-delà de ce que nous lui demandons. Tenu quelque temps en suspicion par le lieutenant-colonel Destenave, Gaourang est aujourd’hui en excellents termes avec l’Administration militaire du Tchad[223].

IV. — HISTOIRE DE RABI RACONTÉE PAR SI SLIMAN, IMAN DU SULTAN GAOURANG

Bien que lieutenant de Ziber, Rabi n’avait l’importance que d’un ancien captif libéré et élevé aux fonctions de chef de guerre. Ce cas n’était pas rare. Parmi les lieutenants de Ziber, Dourfaga (ou Dour Fada), Baldas, Hassan, Ba-Bekir, ce dernier seul était un djellabah d’origine libre. Ziber, disparu, Rabi comme les autres, se groupèrent autour de Souleyman-Bey. Puis lorsque celui-ci fut à son tour attiré par les Blancs, en un guet-apens, tous se dispersèrent, emmenant chacun leurs bazinguers armés de fusils. Mais, Rabi, qui pour le compte de son maître avait parcouru le pays des Kreichs, des Bandas, le Dar Four, etc., et savait quelle belle proie était cette région, envoie des courriers dans toutes les directions pour demander à ses compagnons de revenir. Quand ils sont tous rassemblés, il les empêche de repartir, leur dit que pour être forts il faut demeurer unis. Quelques-uns n’acceptent point ses propositions et retournent dans leur pays mais il retient tous leurs fusils.

Si Sliman dit que Rabi a pu aller à cette époque au Borkou, mais dans le but surtout de se procurer des fusils. Son champ d’opérations est, à cette époque, le S. du Dar-Four et le Dar Banda.

Rabi vient alors (vers 1886) s’établir chez les Arabes Taachis entre le Dar Four et le Rounga. A ce moment l’aguid des Salamats est à Ammartiman où il est venu avec des chevaux et des fusils, lever l’impôt pour le compte du Ouadaï. Les Arabes Salamat vont trouver Rabi et lui disent : « L’Aguid Chirf e Din est là tout près avec beaucoup d’armes et de chevaux ; nous sommes avec toi si tu viens pour l’attaquer. » Puis ils retournent auprès de l’Aguid et, faisant un double jeu, ils lui conseillent de se tenir sur ses gardes, car Rabi vient lui faire la guerre. Chirf e Din se retire d’Ammartiman et vient s’établir en Amdjallat, au village de Guidé. Rabi est obligé de s’en retourner après avoir essuyé de fortes pertes. Pendant plusieurs années il rayonne à travers toutes les contrées situées au S. du 10e degré, razziant tout où il passe. C’est ainsi qu’il occupe le Kouti et le Rounga. A cette époque le Dar Rounga était un pays puissant, à l’égal du Baguirmi, l’autorité du sultan s’étendait sur tous les pays fétichistes du S., tels que le Kouti, le Dar Banda. Ces pays étaient habités comme les régions du Moyen-Nil par des traitants (djellabahs) qui recueillaient de l’ivoire, des esclaves, etc. Des Baguirmiens, des Ouadaïens, des Bornouans y étaient établis. C’est à ce titre que Koubeur d’une part, Senoussi de l’autre se trouvaient au Kouti, mais ni l’un ni l’autre ne commandait : c’étaient seulement des Baguirmiens installés provisoirement dans la contrée. Senoussi était alors jeune ; c’est avec son père que Rabi traita : il lui laissait le commandement du Kouti avec quelques fusils, à charge de lui fournir des captifs. Mécontent de Koubeur, il le faisait enchaîner.

Tranquille de ce côté, Rabi rayonna chez tous les païens du Haut-Chari, subjuguant les Kreichs, les Ngaos du Gribingui, les Koulfés et les autres Goullas du Iro (notamment les Bellinas) les Ndoukas, les Fagnias. Rabi était à Denzi, chez les Kabas (tout près de Simmé) lorsqu’il apprit par un Moktoub (courrier) que lui envoyait Senoussi (qui avait remplacé son père depuis peu) l’arrivée des Blancs au Dar Banda et au Kouti.

La lettre de Senoussi était ainsi libellée : « Un blanc vient d’arriver au Kouti par le Dar Banda. Il dit qu’il ne vient point pour faire la guerre, mais il veut voir le Chari et les fleuves du Ouadaï. Il est porteur de marchandises et de beaucoup de fusils. Faut-il le laisser continuer sa route ou s’emparer de sa personne, ce qui nous mettrait en possession de ses fusils ? » Rabi aurait répondu qu’il fallait s’emparer des fusils de la mission par n’importe quel moyen.

Sur ces entrefaites Rabi quitte Denzi pour se rendre aux Niellims que commandait le chef Kadi père du Gaye. Il le défait et se porte ensuite au pays de Ndamms à Ndamm-Phong.

Pendant ce temps Senoussi, dorénavant libre d’agir comme il l’entendrait à l’égard de Crampel, dépêche vers lui son chef de guerre Allah Djabou, avec ordre de massacrer le blanc et de s’emparer de tout ce qu’il possède. Les Sénégalais sont en train de dormir ainsi que la femme de Crampel. Allah Djabou se glisse au milieu d’eux et leur raconte qu’il va tuer leur commandant, mais qu’il ne leur veut pas de mal, au contraire, ils deviendront des chefs avec les Arabes, recevront beaucoup de femmes et de captifs. Aucun d’eux ne proteste, pas même sa femme Niarinze. C’est alors que Allah Djabou se dirige vers Crampel qui déjeunait sans défiance à l’ombre d’un arbre, il le surprend par derrière et lui tranche la tête d’un coup de sabre.

Senoussi envoya seulement 10 fusils et une partie des tirailleurs sénégalais à Rabi qui se trouvait à Ndamm. Rabi protesta en envoyant son lieutenant Hassan vers Senoussi pour lui faire de durs reproches et lui dire que s’il ne voulait pas encourir la disgrâce du maître, il n’avait qu’à bien se tenir et à lui remettre un nouveau lot des armes capturées. Senoussi capitula, mais il garda néanmoins la plus grande partie du butin.

Les hostilités avec le Baguirmi allaient commencer aussitôt. De Denzi, Rabi avait envoyé un moktoub à Gaourang, lui disant qu’il venait d’occuper des contrées voisines de ses états, mais qu’il désirait entretenir de bonnes relations avec lui et lui proposait des échanges commerciaux (c’est aussi la version Monteil). Gaourang ne répondit pas et se tint sur la défensive. Pendant que Rabi allait au tata qu’il s’était fait bâtir à Ndamm, Gaourang vint s’établir à Maïna ou Bargna, au S. de Nigué, sur le Chari chez les Sarrouas. Rabi quitte alors Ndamm et vient à Korbol d’où il chasse l’alifat. Puis il envoie une nouvelle lettre à Gaourang, lettre contenant cette fois des menaces. Il vient en effet peu de temps après attaquer Maïna qu’il abandonne après avoir essuyé quelques pertes. Il reconstitue ses forces à Korbol, puis lorsque Gaourang quitte Maïna pour s’établir à Mandjaffa, Rabi se fixe de nouveau à Ndamm et de là il fait des razzias chez les Somraïs. Il envoie en outre ses bazinguers sous la conduite de Hassan, piller et brûler les villages soumis au Baguirmi, mais les Baguirmiens les poursuivent. Hassan doit se réfugier à Ndamm. Il est fort mal accueilli par Rabi qui le renvoie à Bangalama établir un tata qu’il viendra habiter plus tard. Gaourang informé à temps quitte Mandjaffa pour marcher sur Bangalama. Rabi lui-même accourt. Un engagement sanglant a lieu entre les deux troupes. Les rabistes ont un grand nombre de fusils, Gaourang n’en possède qu’une centaine, mais sa cavalerie est très bonne et grâce à elle il force encore son adversaire à reculer.

Après cet engagement Gaourang revient à Mandjaffa où il se fortifie solidement dans un vaste tata construit à la hâte. Rabi vient en faire le siège. Las d’attendre, ses hommes tentent l’assaut. Une nuit à la faveur de l’obscurité, ils se glissent dans le fossé, le matin au petit jour ils essaient de franchir le mur. Les Baguirmiens se précipitent à temps sur eux et les anéantissent. 300 rabistes restent sur le terrain, le chef Hassan est tué. Rabi essaie alors du blocus pour réduire les assiégés. Il fait construire pour lui un tata près de celui de Gaourang, quatre autres pour ses principaux chefs Babeker, Gadem, Derfaga, Hide, Baldas. A plusieurs reprises les Baguirmiens effectuent des sorties heureuses. Mais, au bout de 4 mois de siège, la famine réduit Gaourang lui-même à manger du chien, du cheval, de l’âne. Ses soldats ne veulent point supporter ces souffrances plus longtemps et l’obligent à tenter une sortie. Un matin ils réussirent à quitter la ville, emmenant jusqu’aux femmes et aux enfants. A la vue de cette multitude les assiégeants se sauvent affolés. Rabi réussit à grand peine à les rassembler ; mais il était trop tard, Gaourang était déjà loin.

Les Baguirmiens allèrent se réfugier à Koussri et de là à Mara. Peu de temps après le sultan du Logone, Salé serait venu engager Rabi à porter la guerre au Bornou et à poursuivre les Baguirmiens jusqu’à Massénia. « Ce sont des pays riches, aurait dit le sultan, d’ailleurs si tu ne viens pas, les Ouadaïens t’attendent à Bougoumassa ». Rabi, comptant sur l’alliance de Salé, vint à Koubou, près du Lagone ; mais il n’y rencontra personne et le sultan Salé s’abstint de le saluer. Rabi l’envoya prendre et, sous prétexte que Salé l’avait incité à une campagne désastreuse contre le Bornou, il ordonna à ses ascaris de faire main-basse sur les femmes, les enfants, les captifs du sultan.

Après ce coup de force, Rabi envahit le Bornou et vient construire un tata à Guilbé. Le cheik Hachem, apprenant cette invasion, envoie au-devant du conquérant Mamater soudanais, son chef de guerre. Mais il avait déjà été devancé par les arabes de Kouka, venus au-devant de Rabi pour l’inviter à partir au plus vite conquérir la célèbre ville de Tchad. Le combat eut lieu à Guilbé et Mamater, complètement défait, fut fait prisonnier. Une seconde bataille aurait été livrée à Hachem, d’après M. Dujarric.

Rabi est alors maître du Bornou dont presque tous les guerriers sont faits prisonniers. Il vient s’établir à Ngala. Les commerçants arabes, fezzanais djellabas, jouant toujours double jeu, invitent Hachem à se mettre en garde contre Rabi ; d’autre part, ils envoient plusieurs courriers à celui-ci pour lui dire qu’il est temps de venir conquérir Kouka et qu’ils seront avec lui. A son approche Hachem s’enfuit à Bahr el Khedir, sur le Komadougou, poursuivi par Bou Bakar.

Rabi s’installe alors à Kouka après avoir mis la ville au pillage, puis il occupe Dikoa. C’est alors qu’entre en scène Khiari, le fils d’Abou Boukar qui avait été dépossédé par Hachem. Il se recrute des partisans, relève le courage défaillant des Bornouans, disant que c’était une honte que leur malheureux pays ait été abandonné par celui même qui devait le défendre. Il s’empare du pouvoir et par représailles fait tuer le père d’Achem. Khiari va alors assiéger Dikoa devenu le quartier général de Rabi. Après un siège sanglant les Bornouans s’emparent de la citadelle et les rabistes fuient de toutes parts affolés, laissant sur le terrain un grand nombre des leurs. C’est une débandade générale et le bruit court que Rabi a été tué ; mais au milieu de la nuit on entend sonner le rappel dans la brousse. Le chef s’est retrouvé entouré de quelques fidèles et rassemble tous les guerriers. A la faveur de l’obscurité, ils viennent se grouper sous les murs du tata occupé par Khiari et ses compagnons, puis ils lui donnent précipitamment l’assaut. Les Bornouans surpris s’enfuient. C’est en vain que Khiari cherche à les retenir. Lui du moins fait le serment de ne pas prendre part à cette fuite honteuse.

Il reste en effet seul et tombe entre les mains de Rabi. Au lieu de se soumettre, il nargue le conquérant : « Comment veux-tu, lui dit-il, que je reconnaisse ton autorité ? Tu n’es qu’un captif révolté, qui a soumis par la violence mon pays. Quels sont tes droits à la possession du Bornou ? Est-ce que ton père en était le Sultan ? Etait-il même originaire de mon malheureux pays ? »

Et sur un ton de plus en plus violent, il continue ses insultes. Rabi furieux lui fit trancher la tête le jour même. Le souvenir du courage de Khiari survivra longtemps dans les régions avoisinant le Tchad. Si Sliman me disait hier : « Il n’y a eu à notre époque dans tout le Soudan que trois hommes dignes d’être chefs : Gaourang, Cheik Khiari, et Rabi, ce dernier n’étant encore qu’un captif parvenu et un usurpateur ».

Fig. 73. — Formule rituelle enterrée à un carrefour par des marabouts.

Pendant que ces événements s’accomplissaient au Bornou, Gaourang se croyait à l’abri désormais des incursions de Rabah qu’il croyait trop occupé au N.-O. du Tchad pour revenir dans le Baguirmi. Rencontrant à Bougoumassa, prête à marcher contre Rabi, l’armée du Ouadaï, munie de fusils Remington et en possession d’une excellente cavalerie, Gaourang avait dissuadé le djerma (chef de guerre) de s’engager dans cette aventure. Les Ouadaïens étaient donc repartis par le Kanem. Quant à lui, peu préoccupé des attaques toujours possibles de Rabi, il était allé lever l’impôt au Dékakiré, à Bolbol, puis à Birké, enfin à Mehaguéné près du lac Fittri d’où il allait rentrer à Massénia.

C’est alors (1898) qu’on vint l’avertir qu’un blanc était arrivé par le fleuve et désirait s’entretenir avec lui : c’était M. Gentil, dont le vapeur, le Léon Blot, dans sa descente du Chari, s’était arrêté à Mondo. Les populations, occupées à la récolte du mil, s’étaient enfuies, effrayées, à travers la brousse et allaient raconter de village en village : « Une machine qui fait de la fumée et marche sur l’eau est venue par le fleuve. Des hommes blancs avec des soldats noirs sont dessus. Il est probable qu’ils viennent encore comme Rabi nous faire la guerre. » Cependant, un jeune homme était resté sur les berges du fleuve et considérait sans effroi la canonnière. C’était Souleym, fils de Si Sliman, homme de confiance de Gaourang. M. Gentil l’appela et le fit monter à bord pour lui remettre un moktoub destiné au sultan, moktoub dans lequel il l’assurait de ses bonnes intentions et lui proposait même des relations commerciales et amicales. Le sultan se rendit compte de la gravité des circonstances. Il rassembla aussitôt, non seulement tous les notables de son entourage, mais encore tous les hommes de la ville en état de porter les armes. Un conseil fut tenu dans lequel Gaourang donna communication des propositions faites par M. Gentil. La grande majorité des Baguirmiens était défavorable aux nouveaux arrivés et s’il ne fut jamais question de les attaquer, on proposa du moins de les empêcher de venir à Massénia et de se désintéresser complètement du voyage qu’ils disaient vouloir faire au Tchad. « Ces blancs disent qu’ils ne nous veulent que du bien et qu’ils nous apportent des paroles de paix, mais Rabi ne nous a-t-il pas tenu autrefois des propos semblables et pourtant cela ne l’a point empêché de nous faire la guerre et d’amoindrir notre pays. » Gaourang fut heureusement d’un avis tout contraire et répondit que les blancs ne devaient rien avoir de commun avec les Arabes et qu’on ne devait point, avant de les avoir vus, porter de la défiance ; que lui tenait en tout cas à leur parler, car il ne fallait point refuser, les yeux fermés, le secours que Dieu peut-être envoyait au Baguirmi. Il décidait donc d’envoyer son chef religieux Si Sliman et deux autres personnes de confiance au devant de M. Gentil, afin de venir l’inviter à venir s’entretenir avec lui.

On sait la suite.

V. — NOTES DU Dr DECORSE

Le Dr Decorse a recueilli de son côté des notes dont M. Demombynes a donné la traduction suivante[224] :

Au nom de Dieu clément miséricordieux. Sortie vénérable de Rabah hors du pays. D’abord sa résidence fut à Dem Mafiva pendant une année ; une année à Wachigoua et une saison à Dem Chakka, au Dar Four une année ; à Dem Er Rif une année. Il s’installe à Dem Gounda une année, guerre avec Bananan ; à Dem Karé une année ; à Dar Kouka une année ; il s’installe à Dem Masouna une année ; à Dem Boukka une année, guerre avec le Ouadaï ; à Dem Bahr Bala, une saison ; à Dem Kaga Chech, une saison ; à Dem M’Bangdaï, une année ; à Dar Korbol une année. Il s’installa à N’dam, où il fut une saison. Il marche sur Saoura ; guerre avec Gaourang. Il s’installe à Bousso une saison ; à Banlama guerre avec Gaourang. Il réside à Mandjafa trois mois. Ensuite ils se mettent en marche de Mandjafa et ils s’installent à Logone. De Logone, ils s’installent à Djilba. De Djilba ils s’installent à Hamdjé, guerre avec Mohamed Taher. Ils partent de Hamdjé et s’installent à Ngala. De Ngala ils s’installent à Am Habio. Guerre avec Hachem. Ils partent de Am Habio ; ils s’installent à Dikoa et y restent une saison. Ils s’en vont. Guerre avec Char. Ils s’installent à Gadjebo. De Gadjebo ils s’en vont, guerre avec Abou Kantour. L’émir revient : il s’installe à Dikoa et y reste sept saisons. Il part. Il installe à El Gamadj ; Fadel Allah fait la guerre avec Hayatou. Rabah part : il revient à Dikoa, il s’installe à Gawa. De Gawa, il s’établit à Kodégé ; de Kodégé il s’établit à Klessem ; de Klessem, il s’établit à Modobo ; de Modobo, il s’établit à Bougouman ; de Bougouman il s’établit à Mandjafa ; de Mandjafa il s’établit à Andjia ; de Andjia il s’établit à Balendjéré ; de Balendjéré il s’établit à Banlama ; de Banlama il s’établit à Mondo ; de Mondo il s’établit à Logone ; de Logone il s’établit à Bousso ; de Bousso, il s’établit à Saroua ; de Saroua, il s’établit à Miltou ; de Miltou il s’établit à Damter ; de Damter, il s’établit à Kouna ; de Kouna il s’établit dans la montagne. Combat avec Gaourang et les chrétiens. Il revient s’établir à Kouno. Combat avec le Commissaire. Après le combat avec le Commissaire, il revient et s’établit à Dikoa, où il passe un mois. Fadel Allah s’en va à Goulfeï ; combat de Çoun. De Goulfeï, il revient ; il s’installe à Logone. De Logone il va à Kousri : combat avec les Chrétiens ; il revient s’établir à Logone. Rabah arrive de Dikoa et campe à Kousri ; combat de Kousri ; Rabah est tué à Kousri.

Fadel Allah quitte Logone et s’établit à Dikoa. De Dikoa, il campe au Gamaghou, combat avec les chrétiens du Gamerghou, il campe à Ichchégué ; combat avec les Chrétiens. D’Ichchégué il campe à Dar Djébril ; de Dar Djébril, il campe à Kilba ; là un mois. De Kilba il campe à Chibak ; combat avec les gens de Chibak ; de Chibak, il campe à Marghi ; de Marghi, il campe à Bourgouma ; de Bourgouma il campe à Maïdougouri ; de Maïdougouri, il campe à Dikoa ; de Dikoa il campe à Ngala : combat avec Guerbaïe. Il laisse Guerbaïe et revient camper à Bourgouma, de Bourgouma il campe à Konézi. De Konézi, combat avec les Chrétiens de Berkedj. Il s’en va ; il campe à Bellaraba : de Bellaraba il campe sur le fleuve où est Md’allemzi. De Md’allemzi, il campe à Kouni ; guerre avec Kouni ; là quatre mois. Il part de Kouni et s’installe à Bourgouma ; il retourne à Dikoa et y campe un mois ; guerre avec les chrétiens. Fadel Allah commence à mourir ; il campe à Goudjba ; de Goudjba, combat avec les Chrétiens. Fadel Allah est tué ; la miséricorde soit sur lui ! Mohamed Niébé sort dans le pays Kirdi : combat.

[217]On en prend aussi quelques-uns chez les peuplades fétichistes de l’E. du Chari, Bouas, Noubas, Sokoros et Sarrouas.

[218]Mercuriale du prix des captifs sur les marchés du Baguirmi et du Bornou (1903) :

A) Males. — 1o Enfant de 1 à 3 ans. Ne se vend qu’avec la mère ; — 2o Enfant de 5 à 8 ans : 5 thalari ; — 3o Enfant de 8 à 13 ans : 10 thalari ; — 4o Adolescent à l’âge de puberté : 20 thalari ; — 5o Homme de 20 à 25 ans : 25 thalari. Un cheval vaut deux esclaves de cet âge ; — 6o Homme déjà âgé, 30 à 50 ans, est peu acheté. — Les Eunuques (Adim) sont très recherchés ; ils n’ont pas de prix et les sultans soudanais seuls en possèdent. Senoussi était très fier de nous montrer un de ses jeunes esclaves qui venait de subir l’opération.

B) Femmes. — Une femme, à égalité d’âge, se vend moins cher que l’homme. Ainsi une jeune fille arrivée à l’âge de puberté se vendrait seulement 10 thalari.

[219]On continue toujours à frapper le thaler de Marie-Thérèse, millésime de 1788. Sa beauté le fait rechercher par les femmes pour leur parure. Sa valeur varie selon qu’il est usé ou non ; il se déprécie si, sur l’épaule droite de l’impératrice, le noir ne reconnaît plus l’agrafe ou souna.

[220]Nous avons été surpris de trouver au cœur de l’Afrique des étoffes d’Europe de qualité ordinaire, se vendant à un prix qui n’était pas plus élevé que celui auquel on pouvait les acquérir dans la boucle du Niger, en 1899.

[221]Gaourang n’a point connu Nachtigal. Tout jeune alors il se trouvait au Ouadaï, lorsque le célèbre voyageur vint à Mandjaffa, mais plus tard il entendit dire que son frère Abbou Sekkim avait été accompagné par un chrétien pendant l’expédition qu’il fit vers Palem. Le souvenir de Barth est totalement éteint. On sait très vaguement, pour avoir recueilli cette tradition des anciens qui n’y attachaient point d’importance, que d’autres blancs avaient précédé Nachtigal dans la région du grand lac. Le voyage de Maistre à Palem et Daï n’a pas laissé plus de souvenirs au Baguirmi. Par contre la réception de Monteil à Kouka par le sultan du Bornou (Hachera) en 1892 fut connue de Gaourang. Il est vrai qu’au dire même de Monteil il se trouvait à Kouka lors de son passage un fils de Mbang.

[222]Le pagayage se fait sur des baleinières en acier (environ 15) appartenant au service local. Au début de l’occupation française il y avait sur le Chari une magnifique flottille de grandes pirogues et même des chalands indigènes. Réquisitionnées trop souvent par l’administration, la plus grande partie de ces embarcations sont aujourd’hui hors de service et les indigènes se sont abstenus d’en construire d’autres redoutant avec juste raison la main-mise trop fréquente de l’administration sur les barques de pêche.

[223]Il nous a donné un gage de sa fidélité en envoyant à Brazzaville son fils que M. Gentil a emmené en France en 1906.

[224]Du Congo au lac Tchad, p. 122.


CHAPITRE XV

LE BAHR EL GHAZAL

I. Généralités sur le Bahr el Ghazal. — II. Le Bahr el Ghazal à Massakori. — III. La région du Haut-Bahr el Ghazal. — IV. Les populations du Bahr el Ghazal.


I. — GÉNÉRALITÉS SUR LE BAHR EL GHAZAL

Le Bahr el Ghazal s’étend à plusieurs centaines de kilomètres vers le N.-E. où il reçoit des ouadi, originaires du Borkou et du Tibesti, ouadi temporaires qui s’emplissent d’eau à la saison des pluies dans la partie supérieure de leur cours mais qui ne coulent plus jusqu’au Bahr el Ghazal. Cette grande dépression fut à une époque relativement peu éloignée, il y a quelques siècles seulement, un golfe très allongé, semé d’une infinité d’îles et de presqu’îles[225]. Elle envoyait au loin un grand nombre de canaux plus ou moins anastomosés entre eux qui dans le N. pénétraient jusqu’au cœur du Kanem, jusqu’à Mondo, par exemple, et dans le S. allaient probablement s’aboucher avec les lacs Iro, Fittri, Baro, Ferch, Debaba, etc.

Aux temps néolithiques, il existait encore assez d’eau dans la vallée du Bahr el Ghazal pour qu’il y ait vécu des populations qui ont laissé des traces nombreuses de leur industrie. Elles allaient au loin à travers le Sahara qui jouissait alors d’un climat humide et tropical. Elles s’aventuraient dans les lagunes du S. pour y chasser les grands animaux. Des pierres polies se trouvent, en effet au Ouadaï, aux Monts Guérés, à Aouni, à Moito, au S. du Tchad, etc. Mais elles semblent toujours en petit nombre. Elles n’auraient point été fabriquées sur place, mais auraient été apportées par les chasseurs qui les perdaient sur leur route.

La vallée s’est asséchée aux temps historiques, comme les grandes lagunes des bassins du Chari et du Ba Laïri. La tradition, toutefois, n’a point toujours conservé le souvenir de l’ancien état hydrographique. J’avais recueilli dans la dépression de Rédéma des coquilles de Mélania et des fragments de grands Siluridés, déjà à demi fossilisés. Or les habitants, Ouadaïens et Gouranes, refusèrent de me croire quand je leur montrai des ossements de poissons en leur racontant que ces animaux avaient vécu autrefois au pied des rochers. Toutefois certaines inondations exceptionnelles, lorsque le niveau du lac est très haut, s’épandent dans cet affluent. En 1874, par une année de grande crue[226], telle que les vieillards n’en ont plus vu de semblable, les eaux du Tchad se sont encore répandues dans le lacis de canaux du Bahr el Ghazal. Elles montèrent vers le N.-E., sur environ 200 kilomètres à partir de l’archipel Kouri, s’arrêtant au lieu dit El Léan, à quelques heures à l’E. de Haroup. Les hippopotames du Tchad se répandirent jusqu’à ce point où on prit aussi des poissons en grand nombre. On en captura aussi à Douggoul (el Dougguel), à Cheddera, au moment de l’assèchement[227]. Aujourd’hui, les mares voisines du Bahr ne sont plus remplies que par les pluies d’hivernage ; presque toutes se tarissent à la saison sèche et c’est seulement près du Fittri et de Dagana qu’il se trouve encore des rahat où il reste un peu d’eau d’un hivernage à l’autre. Aucun poisson n’y vit plus, pas même ce protoptère du Tchad et du Fittri (Amkourou en arabe) qui peut se terrer dans la vase asséchée, ayant un appareil respiratoire qui lui permet de vivre pendant plusieurs mois de la saison sèche.

Le Bahr el Ghazal ne constitue point une vallée proprement dite ; il n’a pas de thalweg, c’est une immense dépression, large de 30 kilomètres au moins, à fond sablonneux ; les arbres y sont rares et n’apparaissent que par certains monticules peu apparents qui étaient sans doute des îles autrefois. Des bras diversement anastomosés s’en vont au loin dans l’intérieur, mais il est impossible d’en suivre longtemps la trace tant leur lit est effacé. Ces sillons ne sont plus marqués que par des lignes de boudas plus ou moins allongés et nus, plus rarement par des traînées boisées formées d’une végétation arborescente plus dense où parfois les Palmiers Doums croissent les uns contre les autres, à la manière des dattiers plantés dans les oasis du Sahara.

La partie médiane du Bahr el Ghazal se distingue à peine des parties latérales. Les espaces dépourvus d’arbres y sont peut-être plus nombreux ; encore les Calotropis seuls y profilent leur silhouette d’un blanc glauque. De petites cuvettes sont disséminées de tous les côtés. Des fossés ayant parfois la largeur d’un fleuve, avec des berges hautes de plusieurs mètres, s’alignent, les uns suivant l’axe même du Bahr, les autres perpendiculairement ou dans des directions intermédiaires. Parfois rien dans leur voisinage ne les fait prévoir. Le plus souvent ils n’ont que quelques centaines de mètres de longueur et leur lit se termine brusquement. Au moment de la saison des pluies ces dépressions recueillent les eaux tombées dans le voisinage et pendant plusieurs mois des mares s’allongent quelquefois sur plusieurs kilomètres jusqu’au moment où l’eau est évaporée par le soleil ou peu à peu infiltrée dans le sable. La nappe souterraine du Bahr est peu profonde, du moins dans toute la partie actuellement explorée, c’est-à-dire jusqu’à 150 kilomètres de l’archipel Kouri. En toute saison, c’est à une profondeur de 6 à 12 mètres de la surface qu’on la rencontre. Parfois, même en saison sèche, on la trouve à moins de 1 mètre de profondeur, en creusant au fond de certaines cuvettes qui ont contenu de l’eau à la saison des pluies[228]. Il est bien certain que les eaux de l’hivernage accumulées dans ces cuvettes ne suffisent plus à notre époque à alimenter pour toute l’année la nappe des puits. Comme il existe une couche profonde de sable très perméable, à un niveau inférieur à la surface du Tchad, l’eau du lac s’épand au loin sous terre, de la même façon qu’elle s’étend à la surface partout où elle trouve des trouées, au moment des grands hivernages.

II. — LE BAHR EL GHAZAL A MASSAKORI

Dans la nuit du 19 au 20 septembre, j’arrivais au poste établi depuis deux ans à Massakori, au milieu même du lit du Bahr el Ghazal. J’y reçus l’accueil le plus cordial de la part du lieutenant Boiseau, installé là pour assurer le ravitaillement de nos cercles du Kanem, et pour tenir en respect les populations krédas. J’ai séjourné jusqu’au 26 septembre dans cette localité et j’ai pu y étudier plus à loisir la dépression qui a tant intrigué les géographes depuis les explorations de Barth et de Nachtigal. A Massakori, le Bahr el Ghazal se présente sous la forme d’une immense dépression sablonneuse séparant les khalas du Khozzam des steppes du Kanem. On s’en fait une idée très fausse en s’imaginant que c’est un ouadi avec une bordure nette de berges, ou même avec un rideau d’arbres sur ses deux lisières. On y pénètre sans s’en apercevoir, car il n’y a pas de déclivité apparente sur les bords. On y parcourt des kilomètres sans observer le moindre changement dans le paysage, puis quand on est parvenu au milieu et qu’on s’élève sur un point culminant, tel que le mirador du poste, on découvre, jusqu’aux confins de l’horizon, une plaine sans fin, herbeuse à la saison des pluies, nue à partir de novembre et parsemée d’arbustes très espacés. Aux alentours du poste dominent les palmiers Doums et les Calotropis. Le feuillage glauque de ces Asclépiadées contraste avec la couleur sombre des buissons de Doums, qui se présentent presque toujours sous la forme de touffes acaules, portant des bouquets de feuilles longues de 1m,50. De loin en loin seulement, un Doum adulte, au tronc ramifié en candélabre, s’élève à une dizaine de mètres de hauteur ; çà et là quelques acacias épineux, quelques jujubiers aux aiguillons crochus ou des Balanites aux dards allongés, projettent une ombre légère sur le sol. Sur cette grande khala presque nue, ces essences paraissent de grands arbres, mais ce n’est qu’une illusion des yeux. Il est difficile de trouver un tronc atteignant seulement 8 mètres de hauteur. C’est bien la flore saharienne qui se déploie sous le regard. En cette saison le Bahr el Ghazal est un pâturage où les herbes croissent serrées les unes contre les autres, sur 1m,50 à 1m,80 de hauteur. Plusieurs sortes de krebs (panicum) actuellement récoltés, le terrible kram-kram[229], le pennisetum aux épis soyeux, blancs rouges ou violacés, sont les graminées les plus communes. Il s’y mêle quelques Cypéracées, quelques Légumineuses et d’autres plantes répandues dans tout le Soudan. L’attention est aussi attirée par de grandes places totalement nues, dont le sol blanchâtre est déjà dur comme de la pierre, par des canaux larges de 50 mètres au maximum et de petites mares en train de s’assécher, à surface couverte de fleurs d’eau (petites Algues, Utriculaires, Lemmacées). Dans quelques semaines ces mares seront à sec. Leur vase noire formera d’abord une couche molle qui en s’asséchant produira peu à peu un sol noir et fendillé. Ce genre de terrain est assez commun dans toutes ces contrées marécageuses pendant quelques mois. Le commandant Lenfant a appelé ce pays, pour cette raison, « pays des terres cassées », mais ce terme nous paraît très impropre, car ce terrain ne forme que des plages disséminées en grand nombre le long des cours d’eau du lac Tchad ou à travers les khalas. Dans toute la partie occidentale du Bahr el Ghazal et jusqu’à Ouaga, il suffit ordinairement de creuser un puits à une profondeur de 1 à 4 brasses pour obtenir de l’eau. On rencontre la couche superficielle de terre noire, plus ou moins mêlée de sable, épaisse de 0m,30 à 1 mètre, rarement de plusieurs mètres. Au-dessous existe partout le même terrain : c’est un sable très uniforme, blanc jaunâtre, à grain très fin, ne contenant jamais ni débris, ni coquilles, ni traces de galets. Au delà de Massakori, vers l’E., le Bahr el Ghazal paraît comme une série de grandes dépressions, cuvettes ou ouadi, orientés du S.-E. au N.-O. et ayant une végétation assez abondante, composée surtout de palmiers Doums dont les fruits constituent la principale nourriture des Krédas ou Nouarma.

Massakori fait partie d’une région habitée exclusivement par des Arabes pasteurs et cultivateurs, presque sédentaires. C’est le Dagana qui se prolonge au S. jusqu’à Ciré, Messaguette et Adjodol. A l’E., elle dépasse peu Massakori ; à l’O., elle s’arrête à la région occupée par les Kouris et les Assalas ; au N., elle ne dépasse point Maltoum et Mézérate. Le Dagana est, avec l’archipel du Tchad, la seule contrée du N. de l’Afrique centrale française, dont la production agricole suffise à la vie des habitants. Le Penicillaria ou petit mil, tout en étant infiniment moins productif que dans l’Afrique occidentale ou chez les Saras, suffit cependant à leurs besoins, et c’est grâce à la production en céréales des deux régions mentionnées plus haut que nos tirailleurs peuvent subsister dans le pays. Le Penicillaria s’élève à environ 2 mètres de hauteur, la récolte est presque finie dès le 20 septembre. Le sorgho, le riz et les tubercules ne sont point cultivés. Par contre les graines de Graminées sauvages recueillies entre la fin d’août et la fin d’octobre fournissent un très utile appoint pendant la saison qui précède la récolte du Penicillaria. Le riz sauvage est aussi recueilli avec soin dans les bouda qui occupent les dépressions du Bahr. Les troupeaux (bœufs et moutons)[230] du Dagana trouvent de superbes pâturages pendant l’hivernage. A la saison sèche l’herbe se fait très rare et l’on ne rencontre plus qu’un peu de gazon sur l’emplacement des mares asséchées. Les indigènes déplacent alors leurs campements et viennent s’installer pour quelques mois au bord même des îles du Tchad ou sur l’emplacement du Bahr el Ghazal.

Les habitants sont tous des Arabes, au teint ordinairement assez foncé, qui se donnent le nom de Daganas. Ils disent être venus du Bahr el Ghazal oriental où ils vivaient à côté des Krédas. La contrée qu’ils occupent aujourd’hui était habitée autrefois par les Oulad Sarrar et les Oulad Méhared qu’ils chassèrent et à la place desquels ils s’installèrent. Ils continuèrent à être razziés par les Krédas qui, récemment encore, venaient périodiquement jusqu’à Massakori.

III. — LA RÉGION DU HAUT-BAHR EL GHAZAL

Au N.-E. de Massakori, le Bahr el Ghazal pénètre dans le pays des Krédas, Berbères originaires des environs du Borkou, et établis dans cette région à une époque relativement récente. Avant eux, les Belalas, originaires du Bornou, occupaient la grande dépression. On retrouve encore à quatre jours de Massakori, au dire des Krédas, des vestiges de leurs habitations en pisé.

Les Krédas affirment qu’à cette distance, à Ouaga, le Bahr el Ghazal se rétrécit et son lit cesse de contenir de l’eau à une faible profondeur[231] ; mais la dépression sablonneuse se poursuit encore pendant quatre jours, et l’on ne trouve pas d’eau jusqu’à Al Guéradi, à mi-route d’Imado. Entre Ouaga et Imado, au N., se trouvent dans une contrée appelée Ouellé, des rahats remplis d’eau à la saison des pluies et où les Krédas vont parfois ensemencer du mil. Imado qui signifie eau rouge, tire son nom d’un puits contenant de l’eau rouge et natronnée, dont on doit remplir les guerbas pour continuer la route jusqu’au Borkou. Il faut en effet marcher pendant vingt jours, en parcourant près de 600 kilomètres à travers le Gouss (Sahara) sans rencontrer d’eau. Pourtant on suit presque constamment un ouadi assez étroit, le Sorro, qui se poursuit à travers le Bodélé jusqu’au Borkou. Il ne pleut presque pas dans cette région, ou si une pluie accidentelle survient à l’hivernage, la dépression du Sorro se remplit, mais elle ne garde pas l’eau plus de deux ou trois jours[232]. Le 15e jour, on arrive à Krai où existait autrefois un puits aujourd’hui comblé, et d’où les Krédas disent tirer leur origine. Le Sorro reçoit des ouadi venant les uns du Tibbesti, les autres du Borkou. Leur lit est toujours à sec. Dans la montagne du Borkou, se trouve une rivière où l’eau coule toute l’année. Les Arabes l’appellent Alma-Béguiri et les Tédas, Itiauk. Au bas des rochers l’eau est recueillie par des rigoles et distribuée dans les oasis où on cultive des dattiers, du petit mil, du sorgho, du blé et des légumes[233].

En résumé, d’après nos renseignements de source indigène, le Bahr el Ghazal présente l’aspect d’un vaste cul-de-sac du lac Tchad jusqu’à Ouaga. De ce point à Imado, c’est un delta ensablé. Enfin de Imado au Borkou ce n’est plus qu’un ouadi saharien, le Sorro dont le lit ne reçoit même pas les eaux du Beguiri qui sont évaporées et absorbées par le sable, à peine tombées dans la plaine.

IV. — LES POPULATIONS DU BAHR EL GHAZAL

Les abords du Bahr el Ghazal sont entièrement occupés par une seule peuplade de nomades, les Krédas, nommés aussi Gouranes par les Ouadaïens avec lesquels ils sont en rapports constants[234]. Ces pays très pauvres ne nourrissent naturellement qu’une population assez faible. On l’évalue à 10.000 âmes au plus[235]. A la suite de l’assassinat d’un de nos Sénégalais par ces pasteurs pillards, une reconnaissance fut faite en 1902 par le capitaine Bellion, accompagné du lieutenant Dhomme, qui leva un itinéraire le long du Bahr jusqu’à Adiadé, à 4 jours au N.-E. de Massakou. En février 1903, en vue d’une nouvelle expédition, le lieutenant Boiseau réunit des renseignements qu’il a bien voulu me communiquer. Un mois plus tard, avec le capitaine Durand, il accomplit un raid au cours duquel ils surprirent un campement de 500 personnes qu’ils mirent en fuite. A la suite de cette affaire les Krédas se sauvèrent presque tous ; un groupe de 30 familles vint même s’établir près du poste de Massakou. C’est là que j’ai pu étudier cette population de nomades[236].

Région parcourue par les Krédas. — Le pays Kréda s’étend du S.-O. au N.-E., sur plus de 500 kilomètres de longueur et 200 de largeur, au N. des Koukas, des Boulalas et du Ouadaï, à l’E. des Arabes Daganas et des Kanembous. Il est traversé d’un bout à l’autre par cet immense prolongement desséché du Tchad qu’est le Bahr el Ghazal. C’est la seule partie riche du pays Kréda. Sans les cuvettes innombrables qu’il contient et qui deviennent des étangs et des marais pleins de Krebs et de Nénuphars comestibles à la saison des pluies, sans les Doums et les Jujubiers qui peuplent le fond des Ouadi, sans les puits qui vont chercher l’eau à quelques mètres seulement de profondeur, la région serait inhabitable, car les pays qui s’étendent entre le Kanem et le Borkou, en dehors du Bahr el Ghazal, sont aussi arides que l’Erg Algérien.

Fig. 74. — Acyl, prétendant au Ouadaï, partant en captivité.

Population essentiellement nomade, plus encore que les Arabes et les Touaregs, avec lesquels ils vivent en mauvaise intelligence, les Krédas errent sans cesse de puits en puits, de pâturages en pâturages. Ce n’est que de temps en temps qu’ils sèment un peu de mil et ils doivent acheter la plus grande partie de celui qu’ils consomment aux cultivateurs du Dagana et du Khozzam où ils vont après la saison des pluies. Bien montés sur leurs chevaux, ils profitent de leur extrême mobilité pour razzier les sédentaires ou détrousser les voyageurs.

Comme les Sahariens, ils sont obligés de se soumettre dès qu’on les empêche de s’approcher des points d’eau. Aussi avons-nous cru devoir relever avec soin la liste de ceux que connaissaient les Gouranes de Massakori, d’autant que cette liste précise leurs relations par l’étendue de leurs connaissances géographiques. Ce sont Tégaga (il y a plusieurs localités de ce nom), Djémi, Orkomdinga, Ouadi Séfi, Efféta, Mossor, Morra, Serrali, Ham Doal, Méhérib, Chéraguen, Ouadi, Fars, Guérim, Haméra, Kofrédri, Tamara, Barragat Dolla, Am Goton près Sakarda, enfin Odouk, limite des Ouadi. Le point le plus éloigné qui soit connu à Massakori se nomme Ouelli, village Kachirda, à quinze jours[237] d’ici sur la route du Borkou. Au delà s’étend l’Erg, sans aucun puits : il faut emporter de l’eau sur les chameaux pour continuer la route jusqu’au Borkou ([238] et [239]).

Les Krédas nous ont aussi donné quelques renseignements sur leurs voisins, notamment sur les Tédas du Borkou, nommés aussi Ana Kazza. Ils sont noirs, parlent arabe, et entre eux gourane. Leur pays produit d’excellentes dattes bien meilleures que celles du Kanem. Les Ouassas vivent à Bir Alali. Ils sont blancs, parlent arabe, et comprennent le gourane. Les Dogordas, noirs, parlent gourane. Il y a beaucoup de dattes dans leur pays, situé au N.-E. de Bir Alali.

Les Garouas (ou Gadouas), noirs ou blancs, vivent à deux jours de Bir Alali. Les Kinines (ou Kindines), ainsi nommés par les Ouassas (les Djellabahs les appellent Touaré), sont, pour la plupart, d’une couleur très foncée, très peu ont le teint clair ou rouge. Il n’est pas douteux qu’il s’agit de Touaregs.

A côté des Krédas, entre le Fittri et le Bahr el Ghazal, vit une importante fraction d’arabes, les Oulad Hamed, subdivisés en plusieurs tribus, les Oulad Kardam, les Daha Talha, les Moussara. Ils occupent, à environ 80 kilomètres du Fittri, les deux régions nommées Abou Haguiling et Abou Guidad où se trouvent des rahats à la saison des pluies et des bir à la saison sèche. Ils reconnaissent la suzeraineté des Bélalas, mais quand les Ouadaïens d’Abescher viennent pour les inquiéter, ils s’enfuient chez les Krédas, à Normo et à Koyo, sur le Bahr el Ghazal.

Caractères physiques. — Les Krédas possèdent la plupart des caractères des autres peuplades Berbères qui, se trouvant au centre de la race noire, se sont métissés avec elle. Leur teint est d’un noir rougeâtre très foncé ; on ne rencontre qu’exceptionnellement quelques individus de teinte claire. Cependant les cheveux sont presque toujours lisses, les traits fins, le nez droit[240], les lèvres non saillantes. Les hommes sont de taille moyenne, ordinairement bien faits ; ils ont le corps souple, les membres grêles et nerveux. La tête est souvent rasée ; la barbe, assez développée chez quelques individus, est noire et fine ; les yeux sont petits et semblent enfoncés profondément dans l’orbite ; les pommettes généralement très saillantes. Ils ne portent ni tatouages, ni aucun ornement au cou ou aux bras. Ils sont vêtus de la gaba ou du bobo baguirmien, en cotonnade indigène ou en guinée bleue, presque toujours en guenilles. Ceux qui ne vont pas nu-pieds sont chaussés du Héza, semelle en bois supportée par deux traverses et attachée aux doigts par des lanières en cuir.

Les femmes sont rarement jolies, quoique leur corps soit bien pris. On ne développe pas l’embonpoint chez elles comme chez les femmes touareg sous prétexte de les embellir. Leurs cheveux noirs ou parfois châtains sont réunis en nombreuses petites tresses symétriques, longues de 0m,20, tombant sur les côtés et sur la nuque. Point d’ornement en bois sur le devant de la tête comme chez les femmes Koukas ou Bélabas. Dans l’aile droite du nez, les plus riches ont le petit morceau de corail rouge (mardjan) dont le beau sexe se pare dans toute l’Afrique centrale. Quelques-unes portent à chaque oreille une petite boucle en perles de verre bleu. Autour du cou, on leur voit un collier de grosses perles bleues enfilées, ou des morceaux d’ambre, et de nombreux talismans renfermés dans des sachets en cuir. Elles en ont aussi aux bras et en couvrent leurs enfants. Ceux-ci, sauf par leur teint, du reste plus clair que chez les adultes, ressemblent à de petits blancs ; point farouches, ils gambadent du matin au soir parmi le troupeau, taquinant les jeunes animaux, se roulant dans le sable, se faisant des niches. Leurs cheveux sont coupés courts. Chez les fillettes on laisse souvent sur le sommet de la tête une longue touffe qui retombe en arrière. La malpropreté des femmes et des enfants rappelle celle des Maures du Sénégal. Il en est qui semblent n’avoir jamais vu l’eau ruisseler sur leur corps, tant est épais l’enduit noir qui cache souvent la véritable couleur de leur peau.

La vie des Krédas. — Le campement des 30 familles qui se sont établies à Massakori est des plus primitifs. Un parc carré de 50 mètres de côté à peine, entouré de branches épineuses d’Acacia, est installé sur un emplacement d’où l’on a suffisamment extirpé les mauvaises herbes. C’est là que vaguent pêle-mêle les bœufs, les moutons et quelques chevaux. Les habitations de chaque famille sont dispersées sans aucun ordre. On n’y séjourne que la nuit. Rien de plus simple que ces huttes que l’on peut installer en moins d’une demi-heure. On enfonce en terre 4 ou 8 longs piquets limitant un carré d’à peine 2 mètres de côté. A mi-hauteur de ces pieux, c’est-à-dire entre 1 à 3 mètres au-dessus du sol, on fixe 4 traverses supportant horizontalement, sur quelques baguettes flexibles, une sorte de paillasson. C’est là-dessus que couche le Kréda la nuit, c’est là aussi qu’il repose une partie de la journée, pendant que la femme prépare les repas et que les enfants vagabondent au milieu du troupeau. On m’a dit qu’on élevait le lit au-dessus du sol pour ne pas être inquiété la nuit par les moustiques ; au-dessus du paillasson les plus riches placent quelques peaux de mouton. C’est là aussi qu’on met toute la fortune de la famille : quelques sacs de grains, des outres, des calebasses, des paniers ; aussi l’on peut se demander comment, lorsque le couple est couché sur un si petit espace, tous ces ustensiles ne dégringolent pas. A 1 ou 2 mètres au-dessus de ce lit primitif, supportées par quelques baguettes flexibles, sont 2 ou 3 nattes tressées en feuilles de Doum, qui protègent les dormeurs de l’ardeur du soleil et de la rosée nocturne. En un clin d’œil, le lit, les nattes, les peaux peuvent être roulés et chargés sur les bœufs ainsi que les quelques ustensiles de chaque famille et l’on s’en va camper ailleurs. A l’arrivée au nouvel emplacement il suffit de couper quelques perches et d’arracher quelques fibres de Doum qui serviront à lier les traverses et l’on pourra bientôt dormir dans une nouvelle demeure.

C’est ce qui explique la grande mobilité de cette peuplade. N’ayant ordinairement aucune culture, ne possédant que des troupeaux habitués aux longues étapes, elle se déplace suivant sa fantaisie, ses besoins, ou même au gré du chef qui la commande. Chaque tribu connaît admirablement tous les puits du Bahr el Ghazal et elle sait où il faut creuser pour trouver l’eau à quelques brasses de profondeur. Quand elle apprend qu’un parti lui fait la chasse, elle s’enfuit plus loin, vers d’autres points d’eau, en comblant préalablement les puits qu’elle quitte, afin que l’ennemi, assoiffé, soit obligé de retourner sur ses pas. Aussi les Krédas passaient-ils pour inattaquables avant notre arrivée.

Les Krédas mènent une vie trop errante pour pouvoir se livrer d’une façon suivie à la culture. Ils connaissent à peine le blé, le maïs, l’arachide, le Vigna. Toutefois, les hivernages où ils ne sont point en expédition, ils se reposent quelques mois autour des principaux rahat pour y cultiver le petit mil. Souvent, ils ensemencent la terre et ne reparaissent qu’au moment de la récolte[241]. Mal cultivé, le Penicillaria vient très mal dans le Bahr el Ghazal, il est chétif, atteignant à peine 1m,50 de hauteur ; il ne donne que 10 tiges au plus, alors que chez les Saras il peut en fournir jusqu’à 30. Je pense que les bonnes variétés de Dattiers donneraient de très beaux résultats dans le pays Kréda dont le climat est saharien. A l’aide des puits qui permettraient de rencontrer l’eau à une faible profondeur, il serait aisé d’irriguer à la saison des pluies.

La principale richesse des Krédas est constituée par leurs troupeaux, dont le lait forme le fond de la nourriture. D’après une évaluation très approximative évidemment, des Arabes de Dagana, les Krédas possèdent 6.000 à 10.000 bovidés, 1.000 à 2.000 chevaux ; de nombreux troupeaux de moutons. Les bœufs sont de petite taille. Les Krédas ont aussi des animaux à bosse, dégénérés par suite de croisements avec le type précédent. Leurs chevaux, à longue crinière, sont très proches du cheval arabe. Il y avait autrefois de très riches troupeaux de chameaux grâce auxquels ils pouvaient rayonner depuis le Tchad jusqu’au Borkou. Je crois qu’il n’y a pas de pays au monde qui convienne mieux que le Bahr el Ghazal à l’élevage des chameaux. Les petits ânes du pays, très robustes, rendraient de grands services s’ils étaient plus nombreux[242].

Ce qui montre la pauvreté de ce pays, c’est que les produits de la culture et de l’élevage, le mil et les dattes achetés aux populations voisines ne dispensent pas les Krédas de rechercher de véritables vivres de famine dans la steppe.

Les Krebs[243] contribuent à leur alimentation pendant plusieurs mois. On les recueille le matin, en août et septembre, avec un panier hémisphérique tressé en fibres de doum, le Sompo. Le glaneur de Krebs parcourt la prairie à grandes enjambées en heurtant avec son panier le sommet des herbes. Cette secousse fait tomber les graines mûres dans le sompo dont le couvercle, se rabattant en clapet, empêche les graines de sortir. Un travailleur adulte peut récolter une dizaine de kilogrammes de Krebs dans sa matinée. Dès son retour au camp les graines sont étendues sur des nattes au soleil jusqu’à complète dessiccation. Les femmes les vannent ensuite, les pilent comme le mil. On fabrique avec cette farine des semoules vraiment excellentes. A l’encontre des Arabes, des Bélabas et des Baguirmiens, les Krédas récoltent aussi les graines d’Askenit (Nogou) et s’exposent à la terrible piqûre de cette Graminée pour se procurer un peu de nourriture.

La gomme des Acacias leur sert aussi d’aliment pendant plusieurs semaines, de décembre à mars. On la nomme Samok (en arabe), Ngo (en kréda), Ntagué (en kot.). La meilleure est fournie par l’Acacia Sénégal, elle est blanche. Le Sayal (ar. Acacia tortilis), le plus commun de tous les Acacia, fournit une gomme blonde. Le Tahlar (ar.) donne une gomme rouge. L’Acacia arabica : Garatt (ar.) Gonrr (kot.) donne aussi une gomme rouge, mais en si petite quantité qu’on n’en mange guère.

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