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L'Afrique centrale française : $b Récit du voyage de la mission

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[147]On nomme kaga toute protubérance rocheuse.

[148]Position de Ndellé d’après M. Bruel : latitude 8° 23′ 19″ N. (détermination au théodolithe) ; 8° 23′ 35″ (valeur au sextant). M. Bruel prend 8° 23′ 30″ comme moyenne. Longitude 18° 25′ E. (système Bruel) et 18° 36′ (système Gentil). M. Bruel prend 18° 30′ comme moyenne.

Les observations sur la température, très fragmentaires, ne peuvent être données qu’à titre d’indications. Le 10 février, au matin, M. Bruel a observé 14° sur les bords du Bangoran. Je ne doute pas que du 15 décembre au 15 janvier, la température ne soit descendue plusieurs nuits à 12° et au-dessous. Le 18 le thermomètre atteignit 38° (à l’ombre). De 1 heure à 3 heures, il était encore à 37°, mais est descendu brusquement.

[149]En 1902-1903, il n’est pour ainsi dire point tombé de pluies de novembre à février inclusivement.

[150]Une autre plante à fibres textiles, l’Hibiscus cannabinus, est cultivée à Ndé.

[151]Il en est de même du Haricot de Lima (Phaseolus lunatus) qui constitue partout un légume excellent.

[152]Outre les petits mammifères qu’on chasse ou qu’on prend au piège, les insectes même, les termites sont alors un sérieux appoint à la nourriture.

[153]Appelée Boguen, Boguéné, en arabe ; Sau, en rounga ; Voma, Voma-Voma, en banda.


CHAPITRE IX

LE DAR BANDA

I. Histoire du Dar Banda. — II. Les Roungas. — III. Renseignements divers recueillis à Ndellé. — IV. Notes sur les peuplades du Haut-Oubangui et notes diverses.


I. — HISTOIRE DU DAR BANDA

Quand Rabah commença ses incursions chez les Bandas, le pays était déjà en partie épuisé par la traite. Ziber Rahama Ghyimme Abf y faisait faire de fréquentes expéditions. Lorsqu’en 1872, après avoir défait le ouadaïen fagui El Balalaoni Mohammed, le gouverneur général du Soudan le nomma mudir de la province du Bahr el Ghazal et dépendances, certainement dans les territoires qu’il apportait à l’Égypte, le Dar Banda se trouvait compris jusqu’à l’O. de Ndellé. Tout cela constituait le Dar Fertit. A son internement au Caire en 1874, après la conquête du Dar Four, les exploits des Djellabahs durent se ralentir. Ce répit arrêta l’émigration des peuplades bandas vers l’O., émigration commencée vers 1840, lorsque la traite, d’abord cantonnée sur les côtes, dut s’approvisionner dans l’intérieur du continent. Idris Woled Dabter, qui avait de gros intérêts dans le pays Kreich et le bassin du Mbomou, succéda à Soliman, fils de Ziber, en 1877. En 1878, Soliman le défit, Idris alla se plaindre à Khartoum et c’est à ce moment que Gessi Pacha vint rétablir l’ordre dans le Bahr el Ghazal. Le 1er mai 1879, Soliman fut complètement battu, et l’administration directe du Ghazal et du Fertit resta à l’Égypte ; mais de graves questions allaient bientôt l’occuper dans le bassin du Nil. L’insurrection mahdiste éclatait en 1881. En 1882, Lupton n’eut que le temps de pénétrer dans le pays Kreich et chez les Abouda, habitant le N. du bassin du Mbomou, mais nous ne savons s’il eut à poursuivre des Djellabahs. Les caravanes du Ouadaï, seules, devaient pourtant venir de temps en temps s’approvisionner de captifs et d’ivoire dans le Dar Banda.

En 1879, Rabah quitta Soliman ; dès la campagne du Dar Four (1872-1874), il était chef de bannière (Sandjak) de Ziber et il n’est pas douteux qu’il eût déjà parcouru en divers sens le Dar Banda pour son maître. Ses lieutenants commencèrent vers 1880 leurs incursions dans le Dar Fertit. D’après Van Gèle, des gens à lui viennent jusqu’aux Abiras (au confluent du Mbomou et de l’Oubangui) en 1882 ou 1883.

En 1884, Junker apprend par les Azandés, que ces mêmes bazinguers sillonnent le Dar Rounga.

C’est dans l’intervalle de 1880 à 1890 qu’il met en coupe réglée toute la contrée comprise entre l’Oubangui et le Mbomou au S., le Salamat au N., le Nil à l’E. et le Gribingui à l’O.

Suivant l’expression imagée de El Hadj Abdoul « il a mangé tout le pays ». Il conquit successivement les bandas du Kaga Kourou, les Tambagos, les Ngamas, les Dingas, les Ngafos, les Diengués, les Kreichs de Mbélé qui s’enfuient vers Koutouaka, les Ngaos, les habitants des kagas Djé et Mbala (Mbra). Il porte la guerre jusque chez les Nsakaras. « Où il passe, il prend tout, dit Abdoul. » Son armée est forte et s’accroît chaque jour des bazinguers qu’il enrôle, les meilleurs captifs mâles devenant des recrues pour ses compagnies. Après Mbélé, Rabah va encore attaquer Bandassa et se rend à la rivière Kapa au Dar Four[154].

J’ai appris par ailleurs que les diverses tribus de bandes étaient fréquemment en guerre avant l’arrivée des Arabes.

Kolgon me raconte que les Ngaos habitaient en ce temps-là près du Bandéro. Il y a environ 30 ans (il était enfant), ils vinrent faire la guerre aux Bandas de l’E. qui étaient commandés par le chef Gala. Ils attaquèrent les gens du Kaga Toulou qui avaient pour chef Bima, d’autres m’ont indiqué Kouaya comme ancien chef du Toulou, et les emmenèrent en captivité. Kolgon fut vendu aux Dayas, habitants des environs du lac Iro. C’est dans une razzia, faite par Senoussi chez les Dayas, qu’il a été capturé de nouveau. Dans une razzia de Allah Djabou, chez les Ouaddas de l’E., il a failli retomber récemment entre les mains des Fertit. D’après Kolgon, les Ngaos avaient seulement quelques fusils, mais leur chef disposait de beaucoup de guerriers armés de sagaies et de couteaux. Lorsque Rabi vint les attaquer au Gribingui, ils ne purent résister. Ils s’enfuirent : les uns vers l’O. sont allés au Bahr Sara, les autres vers l’E., sont venus aux sources du Bangoran. C’est là où s’établit il y a une quinzaine d’années (?) le père d’Ara. Il y est mort et a été remplacé par Ara avant l’arrivée de Senoussi[155].

Après la défaite de Gribingui, le chef des Ngaos, Djama, tomba entre les mains des troupes de Rabi et eut la tête tranchée. Senoussi était dans le Kouti à Chah, lorsque Rabi faisait la guerre à travers le Dar Banda.

M. Toqué a recueilli au Bandéro quelques notes sur les Ngaos, elles sont très vagues, les voici textuellement.

Ngaos, originaires de Kotto, rivière Gangou, chefs Sama et Ouangandi. Iama tué par Arabes, Rabi étant là, étaient alors à Mbalaoua, à côté des Mandjias, autre côté Gribingui. Ngaos sont partis. Ngaos ont fait la guerre aux Mandjias quand ils ont été rendus de l’autre côté. Chef Hassein prit nom arabe, c’est un tambago-Outa, ngao-Issah nom arabe affublé, Ouangandi, tribu Djongourou, habitaient Longba (village). Chef Ghadem vient faire la guerre à Ouangandi, aurait emmené son monde jusqu’à la Oua près du village Adaba à un jour du Durba. Apprenant l’arrivée des blancs, il aurait abandonné la Oua pour se rapprocher d’eux.

Ali Diaba aurait eu une fois l’intention de venir razzier les Ngaos, l’arrivée des missions l’arrêta. Ouangandi prétend qu’il a toujours vécu en bonne intelligence avec Senoussi du temps qu’ils étaient voisins.

M. Toqué regarde comme tribu la plus intéressante les Ngaos qui ont tenté de résister aux Arabes et ont aussi cherché à éluder notre influence par la force des armes. C’est la seule tribu banda guerrière. Son histoire, connue dans ses grandes lignes, n’est qu’une suite de luttes intestines, de combats avec les tribus voisines, de vols, d’incursions, de pillages, chez les peuples avec lesquels ils ont été en contact à la fin de leur exode vers l’O., au pays des Mandjias.

En deuxième ligne, viendraient les Sabangas, tribu toujours errante, dont l’histoire est aussi intéressante. Les autres peuplades ne sont guère braves, c’est d’elles que disait un Ascari de Rabah : « les Bandas se mènent comme les bœufs. On les frappe, ils baissent le nez et doublent le pas. »

II. — LES ROUNGAS

Les Roungas actuels n’habitent pas seulement le pays situé au N. de Boungoul, c’est-à-dire le sultanat de Mai-Doukou, vassal du Ouadaï ; une partie d’entre eux occupe la contrée située au N. du Kouti, comprise entre le Djangara, le Boungoul et la Tété. Les villages roungas que nous avons vus habités par cette peuplade sont : Djalmada (Roungas et Ndoukas), Ndélou, Kouboudoukou, Koundé, Akoulousoubla et Borr ou Boro.

Les Roungas sont un des plus beaux types de la race noire en Afrique centrale. Leur taille moyenne atteint 1m,70, leurs membres sont bien proportionnés ; ils portent une barbiche ordinairement bien fournie. Ils ne pratiquent pas le tatouage, ni d’autre mutilation, que la circoncision.

Les hommes portent tous une sorte de longue blouse à bras amples, tissée grossièrement avec du coton indigène non teint. Au-dessus du coude gauche, ils suspendent à un bracelet en cuir un petit poignard dont ils ne se séparent que très rarement. Beaucoup de ces Roungas ont été armés du fusil par Senoussi. Les pieds sont chaussés de sandales. Ils sont généralement coiffés de la petite toque blanche des musulmans de Ndellé.

Les femmes ont les cheveux tressés en petites nattes tombant sur les côtés et en arrière, et laissant au-dessus du milieu du front une raie très marquée. Le corps est drapé dans un large morceau de guinée bleue légère. L’aile droite du nez est traversée ordinairement par une paille ou par une cheville en bois. Elles ont en outre autour du cou un ou deux colliers de grosses perles bleues, quelques grains de chapelets, parfois quelques sachets en cuir constituant des amulettes. Néanmoins leur parure est des plus simples. Les enfants des deux sexes, au contraire, sont couverts d’amulettes et de perles au cou et aux bras, quelques-uns ont des bracelets en cuivre. L’extrême coquetterie chez la femme rounga consiste à s’enduire entièrement le corps avec de l’huile. C’est surtout au mois de mars qu’on se permet ce luxe, lorsque la maturité des fruits de Lophira permet de se procurer en abondance une huile qu’on ne pourrait consommer en raison de son amertume.

Leurs arts sont restés des plus primitifs. Les cases, mal faites, sont entièrement en paille et construites sur le type des cases de Ndellé, sans ornement au sommet. L’intérieur est divisé en compartiments par des nattes. On y voit de grands vases servant de resserres à mil ; d’autres vases en terre sèche et cuite, couverts d’ornements, sont destinés à porter de l’eau et ne manquent pas d’élégance. Les nattes sont ordinairement grossières. Je n’ai pas vu travailler le cuir, cependant le Rounga sait tanner et il confectionne des tapis en peaux d’antilopes. Le tissage du coton est fait assez grossièrement sur un métier très rudimentaire placé au-dessus d’un trou creusé dans le sol, dans lequel se place le tisseur. Ce sont les hommes qui filent le coton au fuseau (comme chez les Bandas).

A Ndélou nous avons rencontré une égreneuse de coton toute primitive. Cette égreneuse se compose de deux rouleaux en bois de 60 centimètres de longueur et 6 centimètres environ de diamètre, actionnés par des manivelles également en bois. Il faut deux indigènes pour la faire fonctionner. L’un d’eux se place devant, tourne la manivelle du rouleau inférieur avec la main droite et présente de la main gauche devant les rouleaux le coton à égrener, l’autre se place derrière, tourne la manivelle du rouleau supérieur avec la main droite et dégage avec la main gauche au fur à mesure qu’il se présente, le coton passant entre les rouleaux, les graines tombent naturellement en avant.

Le travail du fer paraît connu. Tous les hommes qui n’ont pas de fusils portent des sagaies qui semblent de fabrication indigène. D’ailleurs, à proximité du village de Mansaka, nous avons vu des débris d’un atelier de fonte.

L’agriculture est plus perfectionnée que l’industrie, quoique l’élevage ne soit point pratiqué ou ait disparu à la suite des razzias. Les villages sont environnés de grandes plaines parfaitement débroussaillées, ombragées de beaux arbres : Karités, Lophira, Ficus, Daniella, Parinarium. C’est là qu’on ensemence les céréales à la saison des pluies (mai). Le petit mil semble être beaucoup plus cultivé que le Sorgho. Comme cultures accessoires on trouve le niébé, le maïs, l’arachide, etc. Le coton appartient à l’espèce Gossypium herbaceum. Comme animaux domestiques on trouve des poulets, quelques cabris et des chiens destinés à l’alimentation.

Les Roungas ont été à demi convertis par la propagande islamique. Ils ne font pas salam, mais ils s’abstiennent de boire la Mérissa ou bière de mil et portent autour du cou un chapelet de musulman. Souvent ils conservent dans des sachets en cuir, fixés comme bracelets au bras droit, des formules arabes en guise d’amulettes (on sait que cet usage est répandu dans tout le Soudan). La plupart parlent un peu et comprennent l’arabe, ils saluent également à la manière des musulmans. En somme, le contact de l’Islam a élevé leur niveau social, bien supérieur à celui des Bandas et des Kreichs. Leur organisation politique est aussi plus forte. Dans chaque village se trouve un chef dont l’autorité est indiscutée.

Tout ce pays avait déjà été organisé par un sultan nommé Sodour ou Soudour. Senoussi n’a pu y établir un despotisme absolu comme dans le Kouti, et bien qu’il ait donné des ordres formels, Aïssa, le chef qui nous accompagnait, a eu de grandes difficultés à recruter les quelques porteurs qui nous étaient nécessaires. Il est loin de commander aux Roungas comme aux Bandas sur un ton de conquérant et de maître absolu.

III. — RENSEIGNEMENTS DIVERS RECUEILLIS A NDELLÉ

Les Kreichs[156] habitent au S. du Dar Bongo et du Dar Four, à l’E. du Dar Banda. Ils furent organisés par le chef Banda, dont la résidence était Bandassi, situé vers 7° lat. N., 22° long. E., dans le pays parcouru par Lupton et de la Kethulle. Ce chef, mort aujourd’hui et remplacé par son fils, gouvernait la contrée au moment de l’administration de M. Liotard, qui rencontra quelques difficultés pour empêcher Rafaï, sultan des Bandjias, de venir attaquer le pays. En 1897, M. Grech traversa le territoire de cette peuplade pour se rendre dans le pays des Vidris et chercher à attirer les commerçants ouadaïens vers la route de Mbélé. Il atteignit les environs de Djongou. C’est au N. de Rabet que commence le pays kreich, il est limité de ce côté par une rivière, la Bissi, coulant de l’O. à l’E. Vers l’O. il s’étend dans le Haut-Chinko et le Haut-Bali ou Bari et peut-être dans la Haute-Kotto qui prend sa source aux monts Manga et empêche ainsi les sultanats de s’étendre vers le N.

Les sources de la Kotto auraient été reconnues par de la Kéthulle. A cette époque, Saïd Bandassi, fils de Bandas Njaoua, était fixé sur le Haut-Chinko entre les Vidris et Mbélé.

C’est de 1890 à 1894 que Hanolet a accompli son voyage au Rounga ; Senoussi me raconte que pour venir à Mbélé, Hanolet est passé par les pays Vidris : Oundou ou Djongou, Gobou, Bahr Pipi, Gounda, Moukoua, enfin Mbélé.

Plus tard, M. Grech se rendit à mi-route en partant de Rafaï et passant par Basso. En décembre 1900, M. Prins, administrateur dans les territoires du Haut-Oubangui, tenta, de sa propre initiative, une expédition entre Saïd Baldas.

Prins part de Rafaï, passe par Diango (pb. Yangou de la Kéthulle), arrive à Marké, non loin de la Kouta, qu’il franchit à la poursuite de Saïd Baldas se sauvant devant lui. Il franchit ensuite la Koumou, au delà duquel est le camp de Saïd. Ce dernier s’enfuit de nouveau et va finalement à la frontière anglaise ; Prins est rejoint sur les bords de la Koumou par le lieutenant Bos qui avait terminé sa mission à la Haute-Kotto.

Saïd Baldas est aujourd’hui installé sur la rivière Ima, située en territoire anglais. Il reçoit du Dar Four beaucoup de marchandises anglaises qui lui sont apportées par les Néouds, arabes du N. du Dar Four, qui vivent dans une région où l’eau est si rare qu’on la conserve dans des troncs d’arbres creusés.

Les pays à l’Ouest du Dar Four. Les peuplades vivant dans la région montagneuse à l’O. du bassin du Nil sont : les Bingas, les Karas, les Djengines (Djengués), les Digas, tous tributaires du Dar Four.

Kaga Méla est habité par des Kreichs (situé bien plus au S. près de Katouaka).

Le pays de Mbélé[157] est habité par les Kreichs ; pour aller de Mbélé à Hofrat, on met 5 jours. C’est donc le 2e jour qu’on arriverait au Kaga Abtalbaré et au Kaga Méla, montagnes d’où sortent, d’un côté la Mindja, de l’autre, la Ntomé et l’Amfilia, affluents du Boulboul, tributaire du Nil, et enfin le Pipi, affluent de la Kotto.

Senoussi a beaucoup de captifs bongos. Il n’y a pas de Bongos près de Mbélé, mais on en trouve à 3 jours à l’E. de Ndellé même. Les Bongos appartiennent à la même race que les Bandas et étaient en bons termes avec eux avant l’arrivée des Arabes. Les Bongos parlent la langue banda.

IV. — NOTES SUR LES PEUPLADES DU HAUT-OUBANGUI ET NOTES DIVERSES

A la mort de Rafaï, sultan des Bandjias ou Bengérés, M. Grech ayant appris qu’une quarantaine de bazinguers venaient d’être étranglés, selon la coutume du pays, pour être inhumés avec le sultan, il interposa aussitôt son autorité et fit mettre en liberté 160 femmes et domestiques destinés au sacrifice.

Les Nsakkaras sont limités au S. par l’Oubangui-Ouellé, à l’O. par la Kotto, au N. par le pays des Vidris, à l’E. par le district des Zantès. Ils se nourrissent de manioc, de patates et de mil. Leur sultan est Bangasso. Ce sont d’ardents anthropophages, qui recherchent comme plats raffinés les femmes et les enfants. Non seulement la forme de leur justice les amène à mettre à mort et à manger les hommes suspectés de sorcellerie, ainsi que les coupables, mais leur passion pour la chair humaine est telle qu’ils n’hésitent pas à sacrifier des innocents et qu’ils entreprennent fréquemment des expéditions pour approvisionner leur garde-manger.

Les Patris (ayant pour chef Kouta) habitent le territoire de la moyenne Kotto. Ils occupaient précédemment la rive droite du pays Boubou au pays Banda. Chassés par les Nsakkaras, qui vivaient sur la rive gauche, ils se sont réinstallés sur la rive droite après l’intervention de M. Superville. Ils ont une langue spéciale.

Au N. de la région habitée par les Patris se trouve le pays des Bandas-Tambagos, contre lesquels Senoussi a fait dans le 2e semestre de 1902 une expédition, et dont le chef Bakit, qui a été fait prisonnier, est maintenant en liberté. On a ramené à Ndellé près de 2,000 prisonniers, environ 600 sont morts de la variole dès leur arrivée ; les autres ont été donnés ou vendus par Senoussi et il en reste encore une certaine quantité (500 ?) à Ndéllé. Senoussi y a envoyé le 15 janvier 1903 un de ses chefs comme résident.

Au cours de son voyage de 1896 (juin) pour aller reconnaître la route de Mbellé, M. Grech est passé chez les Vidris, peuplade peu connue, non anthropophage, qui avait été déjà visitée par de la Kéthulle.

Le sol du pays des Vidris est ordinairement ferrugineux, il est sablonneux aux environs de Korou. Dans la zone de Kakouma, Basso, il est caillouteux, avec minerai de fer. C’est à Basso que Grech a retrouvé la tombe d’un Européen de l’expédition de la Kéthulle. Les Vidris cultivent le riz, mais le manioc forme le fond de leur alimentation. Ils appellent guita la houe employée pour la culture. La liane à caoutchouc et l’arbre à gomme existent au N. du pays. Ils coagulent le caoutchouc en recevant le latex sur leur corps, c’est la sueur qui joue le rôle de coagulant. On trouve dans ce pays un caféier qui atteint quelques mètres de hauteur. Le bambou et le Borassus existent aussi. On cultive encore le tabac, le bananier, le dazo, le Ficus lili. Le bananier n’existe plus au N. de la Dorou (affluent du Bari ?). Le chien des Vidris n’aboie pas. On trouve dans le pays des moutons importés par les Ouadaïens et quelques chevaux. Les Vidris font du commerce avec les traitants musulmans qui vont chercher des captifs aux sultanats où ils séjournent en hivernage et qui retournent en été dans leur pays avec le produit des razzias qu’ils ont échangé contre de l’étain (mbassa), du sel, de la poudre, des capsules.

Dem-Ziber était la résidence habituelle du Moudir. En exécution des ordres reçus de M. Liotard, M. l’interprète Grech pénétra du bassin du Mbomou, dans le bassin du Nil et planta le pavillon français à Dem-Ziber, le 17 avril 1897[158]. Les derviches, quelques années plus tôt, avaient semé la dévastation dans la contrée, les puits étaient transformés en véritables ossuaires.

M. Grech trouva une population composée de Niogolgolés[159] commandés par Nacer Andel et de Forogués[160] commandés par Moussa-Ahmed.

Traduction de la pièce arabe de la page 155, faite par M. Gaudefroy de Monbynes.

De sa Seigneurie le sultan Senoussi à sa Seigneurie notre commandant le capitaine Youssef ; de nous à toi, salut excellent et quantité de politesses et de courtoisies. L’objet de la lettre que je t’adresse, c’est que tu nous as écrit une lettre que nous avons lue, nous avons compris ce qu’elle contenait au sujet de la grande fête. Nous n’irons point t’y joindre ; nous ne serons point tes compagnons pour manger, boire et nous divertir. Qu’Allah te bénisse dix dix fois (Merci.). Tu es notre commandant mais ces nuits-ci, moi, j’ai été malade, à peu près trois jours, je ne me suis levé du lit que pour la fête d’aujourd’hui. Mais tous les officiers iront vers toi, entre autres el Hadj Teqqo, el Hadj Mohammed, Abou Azz (?) ; beaucoup de gens iront vers toi ; voilà ce que nous avions à te faire savoir. Salut.

Nous t’informons encore que les soldats se rendront auprès de toi après la prière du soir.

[154]Il avait alors comme principal lieutenant Nour Angara (Yanbassa).

On a cité, à Abdoul, les noms des plus importants lieutenants de Rabi, c’étaient : Dioufaga, Moussa Diaman, Ethman Ouettaco, Gadou, Hassan, Baboukar, Ouad el Fagui, Abeschaoui, Hide, Roumouroulaye, Kaoutsour, Baldas, Diabon, Daaf, Barou.

[155]Le village porte le nom d’Ara.

[156]Appelés aussi Krékis (Patagos) ; Adja (Lupton) ; Krédi (Sehio) ; Baïas (Grech). Kreich serait un nom de mépris donné par les Arabes. Ils ne sont pas anthropophages, ce par quoi les Arabes les différencient des Bandas. La plupart ont été organisés en tribus puissantes dont les chefs vivaient à la manière des sultans soudanais et trafiquaient avec les Arabes.

[157]Mbélé vivrait toujours et gouvernerait un petit sultanat au S.-O. du Dar Four.

[158]Tout le monde à Ndellé croit Ziber Pacha mort depuis longtemps et on a cru que je plaisantais quand j’ai dit qu’il vivait encore au Caire.

[159]Les Niogolgolés ont pour capitale Liffi dans le Talganonna, ville principale Beled. A l’E. les Niogolgolés sont séparés des Djengués par le Bahr el Ona ou Bahr el Arab.

[160]Les Forogués sont originaires du pied du Djebel Marra ; aujourd’hui le Dar Diga ou Dar Zandé est leur principal pays. Il est traversé par la rivière Borou. Ils sont séparés des Niogolgolés par le Mangayat.


CHAPITRE X

LE MOYEN-CHARI

I. Hydrographie, généralités. — II. Le Bahr el Abiod (Bamingui) et le Chari. — III. Excursion à l’O. du Chari.


I. — HYDROGRAPHIE, GÉNÉRALITÉS

Il existe, en Afrique centrale, entre 9° et 10° de lat. S., une immense plaine qui s’étend des marais de Toubouri à la lagune du Mamoun sur plus de 6° de longitude. Lorsque les rivières, originaires des plateaux du S., arrivent dans cette dépression, elles serpentent à travers la plaine, n’ayant plus qu’une pente insensible. Leur lit est souvent incertain, le courant se frayant un chemin variable à travers les alluvions les moins résistantes. Les apports de sable en des crues annuelles comblent peu à peu les lits déjà existants, et l’eau est obligée de s’écouler par ailleurs. De là ces lits nombreux où l’eau ne coule plus, même à la saison des pluies. Les uns sont remplis seulement de sable meuble et soulevé par le vent en forme de dunes ; les autres se transforment en marais et se couvrent de bourgou.

Toutes les grandes rivières, Bamingui (Abiod), Boungoul, Bahr el Azreg et Bahr Sara, ont conservé néanmoins un lit principal, généralement très ensablé, mais qui, en temps ordinaire, suffit à l’écoulement de l’eau, le débit de ces rivières ayant considérablement diminué.

Il n’est pas rare d’observer, sur le Chari même, les berges actuelles écartées de 200 ou 300 mètres limitant un lit encombré de sables, alors que sur les deux rives on aperçoit bien, au-delà du thalweg actuel, d’anciennes berges souvent distantes de plus de deux kilomètres. Sans doute les années de très hautes crues, le fleuve peut encore reprendre momentanément son ancien lit, les apports récents d’alluvions déposés près des anciennes rives l’indiquent. Mais ce phénomène ne se produit qu’à des intervalles éloignés. Dans les crues ordinaires, lorsque le lit actuel ne peut plus suffire, l’eau se déverse dans les innombrables chenaux latéraux qui, tantôt rejoignent le fleuve en aval, tantôt vont déboucher dans des mares ou encore pénètrent fort loin dans les terres. On ne saurait considérer ces bras comme des canaux puisqu’ils sont à sec presque constamment, parfois plusieurs années de suite ; aux hivernages ordinaires, leur lit n’est en somme qu’un chapelet de mares dont l’eau provient, soit des pluies tombées dans les régions traversées par ces chenaux, soit des infiltrations des rivières. Ce sont, en somme, des ouadi dont le lit a été creusé à une époque où les crues avaient une importance infiniment plus considérable qu’aujourd’hui. Souvent même, le lit de ces chenaux devient tout à fait incertain et ce n’est plus dans une dépression rectiligne qu’afflue l’eau, mais elle s’étend dans de vastes plaines qu’elle transforme en marécages.

Cette grande plaine est sillonnée aussi de cours d’eau d’aspect particulier nommés Mindja ou Minia. Il n’y a aucun doute pour moi que les Minia sont souvent des rivières ensablées ou plutôt des canaux dont le lit a été comblé par la terre et les débris végétaux, l’eau ayant cessé d’y couler depuis longtemps, même d’une façon intermittente. D’autres Minia ont pu être des diverticules allant d’une rivière à l’autre. C’est le cas de la Minia Mbanga qui réunissait vraisemblablement le Boungoul (Aouk) au Bahr Salamat, peut-être aussi du Bahr Nam ou Ba Bo qui aurait réuni le Logone au Bahr Sara. D’autres enfin ont pu être les bras secondaires d’une rivière dont le courant principal s’est conservé tandis que les autres se sont taris par suite de la diminution des pluies, et sont devenus, pour ainsi dire, des Rivières fossiles. Les Minia, en effet, n’ont plus aucune valeur hydrographique. Dans leur lit on trouve encore çà et là des flaques d’eau une partie de l’année, parfois même des trous profonds où vivent des hippopotames. Puis le lit devient tout à fait indécis ; il se rétrécit jusqu’à une largeur très inférieure à celle qu’il a en aval ou même en amont. Parfois, à un lit ayant des berges verticales de 2 mètres de haut, succède plus loin un lit qui n’est plus marqué que par une large dépression herbeuse profonde seulement de quelques décimètres, sur les bords de laquelle on ne trouve plus de berges. Enfin il peut arriver que ces dépressions même soient comblées totalement ; le lit est de niveau avec la plaine et quelquefois la végétation ligneuse s’établit sur l’emplacement. Plus rien n’indique les traces d’une rivière. Les indigènes savent seulement qu’en creusant des puits on trouve l’eau à une faible profondeur. Ainsi au N. de 9°, presque toutes les routes de caravanes des Arabes ou les sentiers de brousse des Kirdis suivent des traces de Minia ou bien les coupent perpendiculairement de manière à les conduire d’un point d’eau à un autre. Même lorsque la dépression d’une Minia n’est plus apparente, on peut ordinairement suivre son cours en repérant les touffes de Nauclea inermis qui le jalonnent. Cet arbuste, dont les racines doivent vivre toute l’année dans la terre humide, ne s’éloigne point des dépressions. Malgré ce précieux indice, il est parfois difficile de retrouver le tracé de l’ancienne rivière. La pente n’existe pour ainsi dire plus dans le lit des Minia ; parfois même après une très grande pluie le trop plein d’une mare du lit remonte l’ancien thalweg. Le plus souvent ce trop plein se répand sur les bas-fonds avoisinants qui se transforment alors en marais étendus.

Une multitude de culs-de-sac, parfois plus profonds que la Minia même, y aboutit. Ce sont, ou les trous du lit primitif, ou même des bras secondaires. Enfin il arrive que la Minia débouche dans un Firki c’est-à-dire dans une grande plaine herbeuse sans arbres, transformée en marais après chaque pluie, l’écoulement de l’eau ne s’effectuant pas. Toutes ces causes font que la plupart des Minia ne sont point considérées comme des lits continus par les indigènes mais comme des fossés sans issues. Demandez à un noir où va et d’où vient la Minia qu’il vous montre : neuf fois sur dix, il répondra qu’elle s’arrête à une faible distance en aval et en amont. Sur les relevés d’itinéraires faits par les officiers du territoire du Chari, la plupart des Minia sont regardées comme des communications entre mares. D’autres fois, les indigènes font des réponses paradoxales : un jour ils vous diront que la Minia Lomé s’abouche avec le lac Iro, un autre jour avec le Ba Koulfé ou même avec le Bahr Chari.

En cela d’ailleurs les indigènes n’ont point tort. Il n’y a plus de doute pour moi que toute la plaine du Chari, depuis 9° N. jusqu’à la latitude du Tchad et depuis probablement les marais de Toubouri jusqu’au Mamoun, a formé une immense nappe lacustre à l’époque où l’érosion des massifs montagneux de l’E. et l’O. du Chari comblait progressivement la dépression centrale du continent noir. Les sables du Sahara lui-même seraient en grande partie constitués par les apports des fleuves tropicaux : Sénégal, Niger, Benoué, Chari, Nil, qui charriaient le limon et les sables arrachés aux montagnes situées entre 2° et 8° N. La plaine du Chari central aurait été comblée à une époque relativement récente. Le remplissage s’achève encore de nos jours. Chaque année de petits canaux latéraux à la rivière de Fort-Archambault sont ensablés ou remplis par les débris de bourgou. Il est vrai qu’à chaque crue exceptionnelle de nouveaux fossés s’ouvrent à travers les sables encore meubles des berges. En de nombreux endroits, ces sables sont consolidés et forment une muraille que l’eau rompt plus difficilement. Comme le remplissage s’est fait irrégulièrement et par apports inégaux, la plaine est loin d’être nivelée. Il reste ici et là des fossés profonds qui sont les lits des rivières actuelles permanentes, des fossés moins profonds qui sont devenus inutiles, en partie remplis. Enfin çà et là de grands marais subsistent, s’anastomosant entre eux ou avec les rivières permanentes et les Minia voisines. Ces trois catégories de dépressions forment un réseau très complexe, entre les mailles irrégulières duquel sont compris les monticules où l’eau n’a point séjourné, mais a ruisselé. Ces terrains surélevés sont de deux sortes : 1o des rochers granitiques qui se dressent en gigantesques monolithes à travers la plaine et sont ordinairement entourés d’une ceinture de blocs éboulés[161] ; 2o des mamelons de faible relief, constitués par une arène granitique, et qui entourent les roches en place sur un périmètre de plusieurs kilomètres. Appartiennent encore à cette catégorie des ondulations diversement orientées, hautes de 20 à 60 mètres au-dessus du niveau des marais, larges de 15 à 20 kilomètres, qui s’étendent souvent de chaque côté des grandes Minia. Le limon rouge (terre sablonneuse rouge) qui recouvre ces plateaux est très propre à la culture[162] ; aussi tous les villages saras sont-ils installés sur ce terrain. Les coteaux sablonneux sont perméables à l’eau qu’on est obligé d’aller chercher dans des puits profonds comme chez les Toummoks, les Saras Mbangas, etc. L’eau des pluies est immédiatement absorbée par le sol ou bien elle ruisselle pendant une heure ou deux le long de petits ravins, larges de quelques mètres à peine et profondément entaillés. Le reste du temps ces ravins sont complètement asséchés et l’on pourrait creuser dans leur lit des puits à une grande profondeur sans rencontrer d’eau, tandis que dans le lit des Minia il en subsiste ordinairement.

Valeur agricole de la plaine basse. — C’est une opinion fort répandue en Europe que les plaines de tous les grands fleuves tropicaux constituent un sol d’une fertilité remarquable. Ce n’est malheureusement souvent qu’une légende, et en ce qui concerne la vallée du Chari en particulier, le sol est très souvent impropre à la culture. Ce n’est tantôt qu’un sable absolument stérile, tantôt une argile grisâtre, bonne tout au plus à faire des poteries. Beaucoup de dépressions se prêteraient sans doute à la culture du riz, mais cette céréale est absolument inconnue tout le long du fleuve ; c’est à nous de la vulgariser. L’élevage trouverait aussi dans les grandes prairies de bourgou et dans les steppes voisines du fleuve (dont la végétation se maintient verte six mois de l’année) assez d’herbe pour les troupeaux. Mais, tant qu’on n’aura pas de remède efficace contre les maladies à trypanosomes, l’élevage demeurera dans une situation précaire. Il existe bien, çà et là, dans la vallée des points fertiles, parfois même assez étendus. Ce sont ces terrains que les tribus agricoles ont choisis pour l’emplacement de leurs villages : les Rétous, les Ndoukas, les Niellims, les Kabas, les Saras. Le Sorgho et le Penicillaria y donnent de superbes rendements, enfin le coton y est cultivé, mais en très petite quantité.

II. — LE BAHR EL ABIOD (BAMINGUI) ET LE CHARI

La direction générale du Bahr el Abiod ou Bamingui depuis le Bangoran jusqu’aux rochers des Niellims, est N. 30°. Sur ce parcours (180 kilomètres), il n’y a point, comme l’indique la carte Pelet, une multitude de canaux anastomosés et presque égaux en importance : partout on ne trouve qu’un seul grand chenal où l’on puisse à la rigueur passer à la saison sèche, où l’eau coule toute l’année.

La saison sèche se prolonge de janvier à mai inclusivement. A cette époque, même sur le chenal principal, même avec des chalands plats, la navigation est très pénible et celles de ces embarcations qui remontent font à peine 10 kilomètres par jour. Ce serait vers la fin d’avril que la hauteur des eaux atteindrait son maximum ; le 18 mai, le niveau a monté de 0m,20 environ, si l’on en juge par la ceinture de bancs de sable recouverts d’une végétation qui disparaît déjà sous l’eau. Pourtant, le 10 août, Nachtigal voyait encore à Maffaling par 10° 30′ environ, des îles sablonneuses peuplées d’hippopotames et de crocodiles[163]. En 1904, à Fort-Archambault, l’eau monta de 1 mètre le 1er août à plus de 5 mètres au milieu d’octobre. M. Bruel fait remarquer que la décrue du Chari fut alors beaucoup plus lente que celle du Logone à Laï[164]. Le premier, en effet, est alimenté par des rivières d’origines plus diverses, ne recevant pas à la même époque le maximum de précipitation ; aussi la crue dure-t-elle plus longtemps.

En saison sèche, le chenal principal est large de 200 à 1.200 mètres. L’eau n’occupe pas d’ailleurs tout ce lit au mois de mai. Si les îles y sont rares, il n’en est pas de même des bancs de sable qui, plus ou moins mobiles et souvent sans végétation, atteignent fréquemment 200 à 400 mètres de largeur. La pente est insensible et le courant, partant, très faible. Voici les dimensions relevées en quelques points de notre itinéraire : le 18 mai, j’ai passé à gué le Bamingui (Abiod) un peu en aval du confluent du Bangoran, la partie occupée par les eaux n’avait que 200 mètres de large, et la plus grande profondeur observée n’était que de 0m,60. Le 25 mai nous le traversons en aval de Fort-Archambault entre le poste et le confluent du Ba Karé ou Boungoul, nous lui trouvons 300 mètres de large et 0m,50 de profondeur. Enfin, le 27 mai, nous passons le Chari, un peu au-dessous du confluent du Bahr Salamat. Le lit est occupé, en amont et en aval du gué, par des rochers de granite, la largeur des eaux est de 150 mètres ; la profondeur observée de 1m,20, mais, en ce dernier point, il faut éviter des gouffres creusés entre les roches qui doivent avoir une grande profondeur, si l’on en juge par les tourbillons. La profondeur est donc loin d’être régulière : il n’est pas rare d’observer tout près d’un gué, soit en amont, soit parfois en aval, des cavités où les hippopotames prennent leurs ébats.

L’une des berges de ce lit mineur est abrupte, avec un à-pic de 3 à 7 mètres. L’autre est souvent à peine accusée ou bien, après un rivage qui limite le cours d’eau à la saison sèche, un second distant de 800 à 2.000 mètres de la rive opposée forme le rebord du lit majeur que l’eau ne remplit qu’aux très hautes crues. C’est en dedans de cette fausse berge que sont situés des canaux secondaires, les culs-de-sac et les mares dans lesquels l’eau reste en permanence. Dans toutes les dépressions, le niveau se maintient sensiblement le même que dans le cours proprement dit, quand bien même ces dépressions ne lui seraient pas reliées directement. Cette communication se fait par capillarité à travers le sable, et, aux Niellims par exemple, les habitants se procurent de l’eau, en creusant des trous dans un banc de sable, à 2 kilomètres du fleuve. Au-delà de ce lit majeur, les alluvions sablonneuses déposées par le fleuve à une époque de plus fortes précipitations, s’étendent presque partout sur une largeur de 8 à 10 kilomètres. Les sables soulevés par le vent forment des dunes assez mal fixées par la végétation. Ils obstruent souvent les nombreux canaux qui suivent le chenal le plus important et qui, remplis par l’eau à l’hivernage, ressemblent à ces bras de fleuve qu’indique la carte Pelet. Mais le plus souvent ils se réduisent à des culs-de-sacs et n’ont de communication avec le fleuve qu’en amont : En aval, le chenal a été obstrué, soit par les dépôts de sable qui s’y sont engouffrés, soit par l’accumulation du Bourgou dont les longs chaumes genouillés remplissent, dès le mois de mai, le lit entier des chenaux secondaires.

Fig. 48. — Cultivateurs préparant le sol.

Les roches des bords ou du lit du fleuve. — Près du confluent du Bangoran et de l’Abiod, M. Courtet a recueilli une roche à grain très fin, de couleur blanche ou brune. A 6 ou 8 kilomètres du confluent, sur la rive droite, j’ai trouvé des falaises de roche ferrugineuse dure et très caverneuse. Elles s’élèvent de 6 à 8 mètres au-dessus du niveau de l’eau, et les blocs éboulés dans le lit étaient couverts de coquilles d’Etheria fixées seulement à la surface des blocs, mais n’entrant pas dans leur constitution. Plus loin on rencontre encore le même type de roche ferrugineuse. A Fort-Archambault, il y a quelques blocs ferrugineux dans le lit du fleuve. J’ai en outre constaté sa présence sur les bords d’un marigot se jetant dans le bras principal du Boungoul (Aouk) et situé à 14 kilomètres environ de Fort-Archambault, en aval. En cet endroit, les tables ont une épaisseur de 3m,60 environ, et reposent sur une couche sablonneuse compacte, formée par l’agglutination de grains de quartz liés par une pâte assez solide. A la hauteur des confluents du Bahr el Azreg et du Bahr Sara, et sur un parcours d’une dizaine de kilomètres on observe sur la rive gauche (à 5 ou 6 kilomètres du fleuve ?), un plateau surélevé d’une vingtaine de mètres, qui se prolonge d’un côté vers Daï, et de l’autre vers les Niellims. Les roches qui le constituent n’arrivent point jusqu’au lit de la rivière.

C’est près du confluent de la première branche, la plus méridionale, du Bahr Salamat (Ba Goulfé, Ba Di, Ba Ko, Ba So, Ba Tanako[165], des indigènes) que de nouvelles roches font leur apparition sur la rive droite. Un gros bloc de grès horizontal, long de 50 mètres, large de 15 à 30 mètres, et haut de 15 à 20 mètres, se trouve à un kilomètre du lit principal, à proximité de la limite des eaux aux hautes crues. Des rochers semblables existeraient çà et là, dans la brousse, aux environs. Puis, à quelques centaines de mètres, en aval, commencent à apparaître, dans le lit même du fleuve, et sur les bords de gros blocs arrondis de granite dont la surface est noircie et comme vernissée par le bioxyde de manganèse. Ces rochers forment un barrage, non continu, près du confluent du bras principal du Bahr Salamat et du Chari. Deux ou trois kilomètres plus loin, on retrouve des blocs semblables, formant une chaîne qui va d’une rive à l’autre et alignée O. 25° N.

A partir du confluent du Bahr Salamat on aperçoit beaucoup mieux sur la rive gauche le plateau déjà cité.

Fig. 49. — Une danse des Kabas.

Les confluents. — Sur la rive droite, à 3km.,500 en aval de Fort-Archambault, il existe un petit bras peu important du Boungoul ou Ba Karé[166]. A 11 kilomètres on coupe le bras principal actuel dont le lit est large de 400 mètres environ, mais il est en grande partie ensablé, l’eau n’en occupe que 40 mètres de large et n’a qu’une profondeur au gué de 0m,40. Un autre bras se trouve à 5km.,500 plus loin, c’est le Dio dont le lit est large de 50 mètres. Tantôt l’eau occupe toute la largeur du lit, tantôt elle se réduit à un filet de 3 ou 4 mètres de largeur ayant à peine 0m,30 de profondeur ; le courant est insensible.

Le marigot de Bambara dont le confluent est situé à 40 kilomètres environ de Fort-Archambault en amont, que les laptots considèrent comme communiquant avec le Boungoul ou Ba Karé, ne constituerait pas un bras de cette rivière d’après Decorse.

Le Bahr Salamat atteint le Chari à 50 kilomètres à vol d’oiseau en aval de Fort-Archambault. Le delta se compose de plusieurs bras en grande partie ensablés. Le plus important a une centaine de mètres de largeur et se divise en deux à quelques centaines de mètres du Chari, ses berges ont de 3 à 4 mètres de haut. Le lit ne contient en mai que des flaques d’eau et des prairies de bourgou. A 6 kilomètres en aval se trouve un autre bras mais moins important que le précédent. A 6 kilomètres sur la rive gauche le fleuve reçoit successivement le Bahr el Azreg et le Bahr Sara. Ce sont des rivières distinctes. Le Bahr Sara est, de l’avis de tous, plus important que la rivière des Kabas[167] (Bahr el Abiod ou Bamingui). L’Azreg et le Bahr Sara ont leur confluent situé à 15 ou 18 kilomètres environ en aval de Fort-Archambault. A ce confluent leurs lits se confondent, étant séparés seulement par une grande plaine marécageuse, recouverte d’eau pendant les crues, et sillonnée en temps ordinaire de nombreux canaux anastomosés.

III. — EXCURSION A L’OUEST DU CHARI

Les Niellims. — Le jour même de notre passage à gué du Chari (27 mai) nous arrivions chez les Niellims, qui, autrefois, habitaient un petit massif granitique[168] longeant la rive gauche du fleuve, jusqu’au confluent du Bahr-Salamat, où se trouve une importante agglomération, résidence du chef Gaye. Ce dernier il y a quelque temps vint s’établir à Fort-Archambault, à quelques centaines de mètres seulement en aval du poste, emmenant avec lui une partie de la tribu. L’autre partie est restée sur l’emplacement granitique ou dans le voisinage de cet emplacement.

Les cultures des Niellims sont le Sorgho, variété à grain rouge qui n’est guère employé que pour faire le Pipi ou Mérissa (Bière de mil). Le petit mil (penicillaria) qui est le plus usité pour l’alimentation, l’arachide, les haricots que l’on vient de semer (26 mai), le pois de terre (Voandezeia) et des courges diverses.

La paille d’arachide est ici recueillie et utilisée pour la nourriture des chevaux. La seule espèce de coton que j’aie remarquée est le Gossypium herbaceum. On tisse peu. La plupart des hommes n’ont pour tout vêtement qu’un tablier confectionné avec une peau d’animal dont le poil a été conservé. Ce tablier se porte par derrière et ne couvre que les fesses. Les femmes sont, ou complètement nues ou portent un pagne très étroit formé d’une bande d’étoffe grossière. Pour les hommes et les femmes il en est de même dans toute la région. On rencontre très peu de tissus d’origine européenne.

Le principal commerce de la tribu qui habite l’emplacement granitique consiste dans la fabrication et la vente de meules en granite pour broyer le mil, de mortiers, d’enclumes et de pilons pour forger le fer. Ces objets se répandent jusque chez les Saras de l’E. dont nous parlerons plus loin, et à Simmé, agglomération, située à 90 kilomètres E.-S.E. environ à vol d’oiseau des Niellims, nous avons vu un superbe atelier de forgeron appartenant au chef Nagué dont les enclumes et les pilons à forger provenaient des Niellims. Je laisse maintenant la parole au Dr Decorse[169].

Rien qu’à voir leur village, on devine que les Niellims sont déjà plus policés que leurs voisins. Mais Gaye, leur chef, n’hésite jamais, paraît-il, à faire sauter une tête et même plusieurs au besoin. Mahomet est passé par là, il y a déjà de l’ordre. Chacun ne va plus s’installer à sa guise. On se groupe plus étroitement et l’aspect général y gagne.

Ce qui frappe le plus, c’est le soin des gens pour s’isoler chez eux. Comme ils vivent beaucoup plus les uns sur les autres que chez les Bandas, ils ont imaginé d’entourer leurs cases, non seulement d’un paravent circulaire, mais la plupart des habitations sont elles-mêmes placées dans une cour fermée par un secco tressé, haut souvent de 2 mètres. Les cases sont rondes, jolies et bien faites. Elles ont au minimum 3 mètres au pignon, autant de diamètre, une muraille en secco de 1m,30 de haut, une toiture en paille dont la forme affecte une forme ogivale.

Pour les construire, on commence par le toit, on tresse d’abord une forme en rubans de grosse paille, qu’on renforce intérieurement avec deux ou trois rouleaux d’herbe en cercles concentriques. Par dessus cette première carcasse, on établit une armature en tiges très légères d’une sorte de jute que les indigènes appellent « dji ». Cette membrure sert à fixer le chaume, bien imbriqué, qui s’appelle « tiani ». Du pignon jusqu’au tiers de la pente, on tresse souvent le chaume de façon à faire un chapeau bien étanche, appelé « bit ».

La toiture achevée, on plante en terre un cercle de fourches dépassant le sol de 1m,30 environ, sur la place même où va s’élever l’habitation. On soulève alors le toit tout d’une pièce et on l’installe sur les fourches où il tiendra par son propre poids.

Il ne reste qu’à tresser, en guise de muraille, un paillasson grossier qui fera tout le tour en laissant une porte large de 50 à 60 centimètres. Un store appelé « farfar » la fermera. Cette case est protégée contre les regards indiscrets par une clôture qui ménage autour d’elle un petit couloir dont l’entrée ne coïncide pas avec celle de la case, c’est le « sara ». Si la famille a besoin de plusieurs cases, un sara les englobera toutes, en circonscrivant une grande cour intérieure ; on trouvera là des cases à captifs, une case à cuisine, ainsi que les « daôlô », paniers à mil en paille tressée, de forme quadrangulaire arrondie, recouverts d’un toit conique en paille appelé « oûli ». Ces greniers sont montés sur de grossières plates-formes carrées en rondins, élevées sur des pieux de 50 centimètres à 2 mètres.

Ce nom de sara m’étonne, car c’est ainsi qu’on désigne généralement tous les gens, sans exception, qui habitent ces régions depuis le Logone à l’O. jusqu’aux frontières ouaddaïennes.

Comme à l’habitude, le mobilier n’est pas riche. En général, on ne trouve qu’un lit placé au milieu de la case, dont il occupe presque tout le diamètre. Il se compose simplement de baguettes de bois sur un cadre perché à plus d’un mètre du sol.

Pour monter dessus, il faut un marchepied, escabeau mobile, ou fourche plantée en terre. Sous le lit même, un foyer.

Dans l’endroit où l’on fait la cuisine, des marmites de terre à fonds arrondis, des écuelles également en terre, des trépieds en bois fixés dans le sol, de gros chenêts en argile pour remplacer les pierres trop rares dans le pays. Même chez les plus pauvres, on trouve une jarre énorme pour la confection du pipi, et une autre plus petite pour y mettre le synonyme ; mais on laisse celle-ci à l’extérieur ; on l’enterre jusqu’au goulot et on perce le fond ! c’est le « toulou-sala », autrement dit un urinoir pour dames.

Je ne parle pas des calebasses, des paniers et des débris de toute sorte de choses, il y a des « ngier » en paille, petites passoires à pipi en forme de bonnets de coton ; des « labri », paniers, à mettre le poisson, qui ressemblent aux nôtres ; des espèces de nasses appelées « niâr », des houes, des mortiers, des pilons, des filets. On trouve aussi des victuailles et des condiments : de l’huile de karité, des chapelets de tomates sèches, des grains de dier, espèce d’hibiscus, de l’amoâni, sorte de levûre tirée du mil qui sert à fabriquer le pipi ; de l’écorce d’un arbre appelé hoûma, elle se met dans la soupe quand on l’a débarrassée de son épiderme. Je suis obligé de m’arrêter, car j’en aurais jusqu’à demain si je voulais continuer mes inventaires.

Fig. 50. — Etablissements de cultivateurs Saras et champs préparés en sillons.

Komé est le premier village Ndamm que nous rencontrons sur notre route. Les habitants sont tributaires des Niellims. Si le village ne compte aujourd’hui que 45 cases, il fut jadis beaucoup plus important, à en juger par les anciennes cultures envahies par la brousse. Le mil et les chèvres manquent ou sont rares : l’agriculture paraît délaissée. C’est que le travail et le commerce du fer absorbent toute l’activité des habitants. Toutefois, il n’y a actuellement qu’une seule fonderie debout, tandis qu’autrefois l’extraction du fer eut une importance capitale. Des rochers des Niellims à Komé, toute la brousse est jalonnée de scories, et le village actuel est entouré d’une épaisse enceinte de scories dont les tas atteignent jusqu’à 30 mètres de diamètre et 10 mètres de hauteur. J’évalue à 50,000 mètres cubes la dimension de l’ensemble, ce qui suppose une exploitation très active pendant plusieurs siècles. Si même on réfléchit que le fer n’est employé en Afrique centrale qu’à la fabrication des couteaux, des pointes de flèches et de sagaies, et de quelques instruments agricoles, on demeure étonné de la quantité prodigieuse d’armes qui sont sorties de ces fonderies[170]. Le minerai employé est une sorte de limonite qu’on recueille dans la roche ferrugineuse, dite latérite, à la surface du sol. Les indigènes nous ont caché l’emplacement de ces gisements, mais je suis persuadé qu’il y en a partout dans la plaine où affleure la latérite. Une partie des habitants ont, devant leur demeure, un petit monceau de minerai et un peu de charbon (probablement de cailcédrat) et il est probable qu’ils fondent au fur et à mesure le fer dont ils ont besoin.

Komé (les indigènes disent Koum) est entouré d’un massif de très beaux bambous, dont les chaumes sont actuellement chargés d’inflorescences sphériques portant des graines mûres qu’on substitue au mil dans l’alimentation. Quelques beaux arbres ombragent les cases du village, les plus grands sont des Anogeissus leiocarpus, des Sterculia tomentosa, deux ou trois espèces de Ficus, des Acacia. Dans la brousse environnante, il y a en quantité des Parkia et des Butyrospermum (Karité), chargés de fruits, mais leur maturation est fort en retard sur les régions du S.[171].

J’ai remarqué que, depuis les Niellims jusqu’à Komé, la flore avait changé d’aspect. Aux essences des plaines basses s’est substituée la végétation des terrains pierreux et secs. La brousse est épaisse, les plantes à rhizome et à bulbes en ce moment ont réapparu et je revois ici presque toutes les espèces du Kouti. De même les bambous, les Daniella, les Vitex, et maintes autres essences du Soudan méridional, se retrouvent, alors que les arbustes des bords du Chari font totalement défaut. Nous ne sommes pourtant pas à plus de 10 ou 15 mètres au-dessus du fleuve ; j’attribue ce changement dans la végétation, non à l’altitude, mais à la présence des roches ferrugineuses et des graviers granitiques. La végétation est en retard d’un mois et demi sur Ndellé. Les Liliacées ouvrent à peine leurs premières fleurs et le petit gazon, qui suit les pluies, commence seulement à pousser[172]. Les tornades deviennent plus rares ; depuis le départ de Fort-Archambault nous n’avons pas eu de pluie ; les 30 et 31 mai, il a seulement tonné. Aussi l’eau est-elle rare à Komé. On la retire d’un puits situé à 1 kilomètre à l’E. du village. Ce puits, creusé dans une argile grisâtre, est profond de 8 mètres et l’eau vient actuellement à 7 mètres au-dessous de la surface.

Fig. 51. — Jeunes enfants emmenés en esclavage et délivrés par M. l’Administrateur Bruel.

A 5 ou 6 kilomètres du village, j’ai remarqué une dépression que les Ndamms nomment Pargoro. En ce point, elle était large de 50 mètres en moyenne, elle s’unissait à des culs-de-sac vers l’E. Le fond est argileux, couvert d’herbes qui commencent à pousser. Il n’y a pas de berges, à proprement parler, mais le sol gazonné s’abaisse insensiblement au niveau de la dépression, jusqu’à 1 mètre ou 1m,50 en contrebas de la plaine ; sur les rives, des bambous, de grands Vitex et des Daniella, quelques hautes termitières indiquent que le sol est humecté, sinon inondé au milieu de l’hivernage. Cependant je n’y ai pas trouvé d’eau, ni même les traces laissées par les éléphants aux lieux où ils viennent s’abreuver ; il y a seulement des empreintes d’antilopes qui feraient croire à l’existence de flaques d’eau aux environs. La direction de cette dépression, là où je l’ai traversée, était S. 20° O.-N., 20° E. ; mais elle doit dévier à peu de distance puisqu’on m’a dit qu’elle allait, d’une part, vers Potom, situé au S.-S.E., et Koutou ; d’autre part, vers Moul, situé au O.-N.O.

Palem. — Le but que j’ai poursuivi en entreprenant le voyage Niellim-Goundi-Daï-Bahr Sara était non seulement de vérifier les hypothèses émises par Nachtigal sur le régime hydrographique des marais de ces pays, d’étudier l’importance orographique et la constitution géologique des monts Niellims, mais j’ai tenu aussi à rattacher les itinéraires de la Mission Chari-Lac Tchad à ceux de Nachtigal et de Maistre. Palem était particulièrement séduisant pour cette jonction. C’est en effet le point extrême vers le S. atteint en 1872 par Nachtigal, lorsqu’il accompagna Abou Sekkin dans son expédition chez les Toummoks[173]. C’est là enfin, qu’en 1892, la mission Maistre, partie du S., rattacha son itinéraire à celui de l’illustre explorateur allemand. Au cours de ce pèlerinage, j’ai pu d’ailleurs, non seulement vérifier la sincérité des renseignements donnés par les deux voyageurs qui nous ont précédé chez les Toummoks, mais noter quelques faits scientifiques nouveaux. C’est l’apanage du naturaliste de glaner toujours des faits nouveaux, même derrière les explorateurs les plus consciencieux.

La distance de Goundi à Palem est de 8 à 10 kilomètres environ ; la route se fait en 2 heures de marche. On croise la dépression du Ba Illi à mi-chemin environ. Nous reviendrons plus loin sur cette dépression. De Goundi au Ba Illi (4 ou 5 kilomètres), le sentier serpente à travers la plaine cultivée. Les grands arbres, Ficus, Parkia, Tamariniers, Karités se mêlent à quelques palmiers (Borassus, Hyphæne) pour ombrager les champs et leur donner l’aspect de magnifiques vergers. On se croirait au Soudan nigérien, dans la région comprise entre Bobo Dioulasso et San. Le sorgho a été déjà ensemencé en grande partie, et les jeunes pieds, au nombre de 3 ou 5 par groupe, élèvent leurs feuilles de 5 à 8 centimètres du sol. Des haricots (Vigna) semés en dehors du mil ont déjà germé et étalent leurs premières feuilles. Hier et aujourd’hui, j’ai constaté que les terres cultivées autour de Goundi s’étendent sur 5 à 6 kilomètres de rayon, ce qui représenterait, en en déduisant les terrains occupés par les emplacements habités, environ 6.000 hectares. Mais on ne peut guère compter plus du tiers ensemencé chaque année, le reste étant en jachères ou en petite brousse qui ne sera détruite que dans quelques années. Il resterait encore 2000 hectares de terrain cultivé. Cela n’a rien d’exagéré, puisqu’il est établi par ailleurs que la population de Goundi est de 2000 à 3000 habitants.

Après le passage du Ba Illi, il reste encore 6 kilomètres pour atteindre Palem. Le terrain demeure plat, mais devient plus boisé. Les palmiers paraissent de plus en plus fréquents. Sur la route, nous croisons une quinzaine de femmes qui portent les fruits du Deleb au marché de Goundi. Elles y ont joint quelques gousses de Parkia et des fruits de Balanites. Les Karités (Butyrospermum) sont chargés de fruits qui ne sont pas encore mûrs.

Fig. 52. — Femmes Saras préparant le sol pour les semis.

Palem a été autrefois bien plus important qu’il ne l’est aujourd’hui. La brousse a reconquis de grands espaces depuis une quinzaine d’années. Le sol constitué par une terre beaucoup plus argileuse que sablonneuse, à l’inverse des bords du Chari, semble fertile. Une foule de petites plantes annuelles couvre déjà le sol de bourgeons et la brousse est jonchée de grosses touffes vertes de graminées à souche vivace qui repoussent en ce moment. La plus commune est un grand Andropogon à larges feuilles molles couvertes de poils blancs, les chevaux en sont très friands.

Après m’avoir conduit à l’arbre où s’arrêta Maistre, les gens du village m’accompagnent jusqu’à la demeure du chef, et c’est à l’ombre d’un grand Ficus Kobo où ont couché précédemment Nachtigal, les quatre blancs de la mission Maistre, enfin le capitaine Paraire en 1901, que je me suis moi-même installé, et c’est là que le chef vient me saluer. La conversation s’engage aussitôt sur ceux qui m’ont précédé. La plupart des gens qui étaient là à l’époque du passage de Nachtigal sont morts ; un vieux se souvient cependant du blanc qui accompagna autrefois le sultan du Baguirmi. Maistre a laissé un souvenir un peu plus vivace. Il avait de nombreux sénégalais et les habitants qui, pour la plupart, voyaient des blancs pour la première fois, lui firent le meilleur accueil qu’ils purent. Le chef qui l’avait reçu est mort depuis plusieurs années ; son fils lui a succédé. Enfin le voyage tout récent du capitaine Paraire est encore mieux connu. On s’excuse de ne pouvoir me faire des cadeaux aussi importants qu’à lui, « mais le village est pauvre en ce moment ». J’étonne d’ailleurs ces braves gens en leur remettant le cabri qu’ils m’ont donné. Depuis quelques jours, nous sommes comblés de victuailles et c’est vraiment inutile de s’encombrer de provisions. C’est une fois de plus l’occasion de constater que les pays sont assez riches en ressources indigènes, là où les Européens ne passent point d’ordinaire.

Les habitants sont des Toummoks. On m’apprend d’ailleurs que Niellims, Ndamms, Toummoks, Miltous, ne font qu’un, comme les Saras, ils n’ont d’autres vêtements que le tablier de cuir ; les cheveux sont généralement coupés ras. Parfois, quelques grisgris autour du cou, toujours le couteau de jet sur l’épaule.

J’évalue la population de Palem de 800 à 1.200 habitants. Les tapades renferment de une à cinq cases et ne sont point aussi dispersées que dans la plaine de Goundi, mais distantes seulement d’une trentaine de mètres en général. La plupart sont réunies dans une vaste enceinte, sorte de tata rudimentaire, constitué par une levée de terre glaise, haute de 0m,50 à 1 mètre, bordée en dehors par un fossé large, mais peu profond. L’intérieur de l’enceinte mesure de 4 à 500 mètres de diamètre.

Le village ne paraît point manquer de cabris, de volailles, de mil, d’arachides. J’ai compté une quinzaine de chevaux, il peut y en avoir une trentaine. Il reste encore du mil, quoique l’ensemencement soit à peu près terminé, et on en emploie beaucoup pour faire le mérissa (bière de mil). A cette époque de l’année, les fruits du Déleb sont consommés en quantité par les habitants. On compte environ 10.000 Borassus dans le village ou ses environs, et chacun peut fournir 50 fruits en moyenne, de la grosseur du poing ; les Doum sont aussi assez communs, mais en dehors du village, sur la route de Goundi[174].

Fig. 53. — Cultivateur sara et sa petite fille mettant la semence en terre.

Région de Goundi-Koumara (Goumbra), Dai (2-6 juin). — C’est le pays des Saras traversé par Maistre en 1892. Il contraste avec tout ce que j’ai vu jusqu’à présent au Chari par la grande extension des cultures, la densité de la population, le confort de l’existence. On peut dire que de Morom à Koumara la contrée n’est qu’un vaste champ-verger parfaitement entretenu. On n’y voit en friches que de petits espaces couverts d’une brousse naine qui provient du reboisement naturel des terres précédemment défrichées. D’après des calculs très approximatifs, j’évalue la population de la contrée de la manière suivante :

Morom 400 à 600
Goundi 2.000 2.500
Palem 1.200 1.500
Bodomton 400 600
Gangara 800 1.000
Dobo 600 800
Nara 1.000 1.200
Koumara 3.000 4.000
Ngabo 1.000 1.200
Saada 800 1.000
Sané 500 600
Daï 2.000 3.000
13.700 à 18.000

A Morom les habitants sont encore des Ndamms, ce sont des Toummoks à Goundi et à Palem ; des Goullei, à Gangara ; enfin des Saras depuis Nara jusqu’à Daï. Robustes, bien bâties, bien proportionnées, ces diverses fractions constituent l’une des belles races de l’Afrique centrale, sans cependant présenter autant d’hercules qu’on en trouve chez les Kabas ou les Niellims. Toutes ces tribus paraissent bien appartenir à une seule famille ethnique, dans laquelle les dissensions ont amené les scissions qu’on observe, scissions produites à une époque reculée puisque chaque groupe a aujourd’hui un dialecte spécial et nie sa parenté avec les autres.

Depuis longtemps les Baguirmiens font des incursions dans ce pays et y commettent des pillages et des vols plutôt que des razzias organisées. Le sultan Gaourang lui-même, considéré comme le suzerain du pays, y fait prendre des chevaux, de l’ivoire, des esclaves. Ses hommes y apportent un peu d’étoffe (les chefs Saras ont le grand manteau en guinée bleue des Arabes), quelques perles, venues par Tripoli, des bracelets en cuivre. Aux chefs les plus importants (celui de Goundi par exemple), ils donnent, avec les fusils (cédés par M. Gentil à Gaourang) de la poudre et des capsules.

Gaourang entretient des résidents auprès des chefs. Des commerçants baguirmiens circulent fréquemment dans le pays, quelques-uns sont installés à demeure dans les villages les plus importants.

Une petite race de chevaux provenant de la région du Logone se trouve dans le pays, on en compte une soixantaine à Goundi, 30 à Palem, quelques-uns dans les autres villages ; quelques baudets-porteurs. Decorse a vu deux bœufs à Goundi. Une belle race de moutons existe dans la contrée, ils ont les poils lisses et courts, ou un peu crépus et très longs ; différente du mouton du Dar Sila.

Le chien des Saras est petit, à pelage ras, souvent rouge, parfois bigarré de blanc, à grandes oreilles dressées, toujours à museau allongé, à corps moyen, étique, jappant beaucoup plus qu’il n’aboie, très effronté quand il a faim et rôdant constamment la nuit dans le camp et jusque sous nos tentes, mais peureux et s’enfuyant au moindre mouvement, en aboyant. Le cabri appartient à la race habituelle d’Afrique centrale, race naine, basse sur pattes, à pelage fréquemment noir, également très hardi, rôde à la façon des chiens autour des habitations.

Fig. 54. — Champ de mil et de haricots au commencement de la saison des pluies.

Le Ba Illi à Palem. — C’est une grande trouée dans la brousse, complètement dégarnie d’arbres et d’arbustes, alignée N.N.E.-S.S.O. et se poursuivant dans les deux directions jusqu’à la limite de l’horizon. Elle est en contre-bas de 1 mètre à peine sur le terrain environnant et s’étend sur une largeur de 800 à 1.200 mètres. Vers le milieu existe une déclivité un peu plus profonde, large d’une cinquantaine de mètres, encore remplie d’herbes aquatiques.

Cette partie déclive, en contre-bas de 0m,30 à 0m50 sur le marais proprement dit, constitue le chenal du Ba Illi, dont le lit est couvert d’un sable blanc très fin. Les passants ont creusé au milieu du lit des trous, sortes de puits, pour y puiser de l’eau. Actuellement l’eau affleure à 1 mètre seulement du niveau du fond du lit[175]. Ce chenal est appelé par les gens de Palem, Belaha (on avait dit Belala à Komé). En somme, c’est une trouée en grande partie rectiligne et je ne doute point pour ma part que ce ne soit une vieille branche ensablée du Bahr Sara ne jouant plus le rôle d’affluent pour cette rivière qu’à de longs intervalles. Elle se transforme seulement en marais à la fin de la saison des pluies par suite de l’apport par infiltration du trop-plein du Chari et du Bahr Sara et peut-être aussi par suite de l’emmagasinement des eaux de pluies tombées dans la plaine environnante. Ces eaux de pluies doivent cependant jouer un faible rôle dans la contrée. On sait qu’au Cayor (Sénégal), où la quantité de pluies annuelles n’est pas bien inférieure, il ne se constitue aucune mare d’hivernage en saison des pluies : le soleil et le sable boivent tout. Le Ba Illi a en réalité un régime tout à fait analogue au marigot de Mérinaghen au Sénégal, que l’on suppose avoir fait communiquer le Sénégal au Saloum, mais qui est aujourd’hui constamment à sec.

Les personnes âgées de Palem se souviennent avoir vu le Belaha rouler de telles quantités d’eau à certains moments de l’hivernage que les communications avec Goundi étaient suspendues et ceux qui se seraient risqués à passer l’eau auraient probablement été engloutis. Je ne doute point qu’il n’y ait eu depuis cette époque de nouveaux apports de sable et que le canal n’ait été en grande partie comblé.

Le Ba Illi près de Saada[176]. — A 4 kilomètres environ de Saada, le sol meuble devient plus compact ; il est formé d’une argile jaune, mêlée et surmontée de cailloutis ferrugineux. Par une pente faible on descend de 3 mètres environ et on se trouve dans une dépression (peuplée d’arbres et d’arbustes) alignée N.-S., et large de 50 mètres environ. Au milieu, le fond, large de 30 mètres environ, est sablonneux, sans végétation aquatique et je doute qu’il y ait jamais eu là un cours d’eau permanent. Le bord de la dépression, du côté E., est surélevé d’une façon presque abrupte de 7 à 8 mètres et c’est en montant ensuite insensiblement qu’on arrive au sommet du plateau boisé qui, vu de Saada, donne l’illusion d’une colline, dont les crêtes bleues semblent assez élevées. En fait elles ne dominent le pays environnant que de 15 à 20 mètres à peine.

Fig. 55 — Cucurbitacée recouvrant une case de son feuillage.

Le Ba Bo. — Le Ba Bo (Ba Baï ou Bahr Nam) ferait communiquer le Bahr Sara et le Logone ; les indigènes affirment qu’à la saison des pluies il est possible d’aller en pirogue de l’une à l’autre rivière[177]. Je l’ai atteint à 4 kilomètres au S. de Daï. Il se trouve au milieu d’une plaine nue, large de 1 à 2 kilomètres ; à 100 ou 150 mètres du bord commence la végétation arbustive que signalent quelques Hyphæne. Là où je le vis, il décrit une courbe très accentuée, allant de S. 30° O. à E. 15° S.[178]. Au point où les gens de Daï viennent pêcher, il a 50 mètres de large, mais en aval et en amont, il n’en a pas plus d’une trentaine. Sa profondeur actuelle (7 juin) est de 0m,50 à 1m,50, on nous dit qu’il y a des profondeurs de 1m,50 au milieu. On y circule en pirogues. Le courant est absolument insensible, et je me demande si ce ne serait pas un simple diverticule du Bahr Sara.

Le Bahr Sara. — Nous l’avons traversé à 12 kilomètres à l’E. de Daï et à 2 kilomètres de Balmane. Le plateau de limon rouge, qui s’aperçoit des Niellims, le domine de 8 à 12 mètres. En haut, il y a encore des Hyphæne et des Acacia albida qui sont là à leur limite S. Le fleuve vient sensiblement du S.-O. et file N.-E. en décrivant une courbe très prononcée. Sur la rive gauche, la plus basse, est installé le village pêcheur Hora de Gadia ; fort pauvre, il ne comprend qu’une trentaine de cases, pour une population d’une vingtaine d’adultes. Le lit mesure à cet endroit, 200 mètres de large ; un peu en amont, il n’a que 150 mètres. De ce côté, il est bordé de bancs de sable sur une largeur de 800 mètres à 1 kilomètre, que séparent des dépressions marécageuses, des canaux à Bourgou. Dans le chenal principal, l’eau est profonde de plusieurs mètres ; nous la passons en pirogue, les chevaux nagent, tenus en laisse à l’arrière. Le courant a une vitesse modérée. Au delà de la berge escarpée de la rive droite, entaillée de 6 à 8 mètres dans une argile mêlée de sable, s’étend une grande plaine nue, bordée de termitières sur sa lisière. Sur quelques-unes de ces termitières éboulées se trouve le Landolphia florida dont les fruits sont actuellement mûrs (8 juin). Il est ici à sa limite septentrionale.

Les termitières constituent une station végétale très spéciale. Habiles architectes, les termites ont élevé dans toutes les plaines basses et le long de toutes les dépressions des constructions en dôme ayant parfois 10 à 12 mètres de diamètre et 2 à 8 mètres de hauteur. Beaucoup ne sont plus habitées, depuis des siècles sans doute, si on en juge par la vétusté des arbres qui ont poussé à leur sommet, mais leur solidité est telle qu’elles ont résisté et résisteront presque indéfiniment à la désagrégation. Ces monticules ne sont pas seulement un refuge pour les insectes, plusieurs petits mammifères s’y établissent à demeure, mais c’est la végétation surtout qui s’est adaptée à ce genre de station. Une trentaine d’espèces végétales, en particulier le Tamarinier, le Diospyros, les Sanseviera, 4 ou 5 espèces de Capparidées qui, sur les plateaux, évitent les sols humides, sont cependant descendues dans la plaine marécageuse, mais elles vivent exclusivement sur les termitières, hors des atteintes de l’inondation.

La flore de la plaine marécageuse est excessivement pauvre ; elle se compose exclusivement de deux ou trois Andropogon, deux Panicum, quelques Cypéracées disséminés à travers des Graminées, enfin le Nauclea inermis constitue à peu près la seule espèce ligneuse venant dans ces savanes ; encore ses touffes sont-elles fort espacées.

Bahr el Azreg. — On le passe en pirogues près du village de Balimba. Entre des rives très boisées, à demi marécageuses, son lit, large de 30 à 45 mètres, a plusieurs mètres de profondeur[179]. Au delà, presque jusqu’à Fort-Archambault, s’étend une plaine basse, coupée de canaux, à Bourgou. A certaines époques, l’eau du Bahr el Abiod y pénètre et le remplit, elle s’accumule ainsi dans des séries de marais ; quand il y a trop plein, elle se déverse dans l’Abiod et établit ainsi un faux courant[180].

[161]Parfois, comme à Kérem, ces roches sont situées au bord même d’un ancien grand fleuve. Le courant a poli la pierre, creusé des godets et fait disparaître toutes les saillies qu’il a arrondies.

[162]Il est cependant parfois recouvert de sables ferrugineux stériles.

[163]Nachtigal, II, p. 738.

[164]G. Bruel, Renseignements coloniaux, 1905, p. 372. Voir p. 373 le graphique des crues du Logone et du Chari, qui ne résume, il est vrai, que les données de quelques mois d’observations en 1903 et 1904.

[165]Tanako, chef des Goulfés récemment décédé lors du passage de la mission. La traduction de Ba Tanako est Rivière de Tanako (rivière qui passe chez Tanako).

[166]Ba Karé signifie rivière de Karé ou rivière qui passe à Karé. Le Boungoul se nomme aussi Ba Keita.

[167]Les Kabas ont des villages le long du Bamingui en amont de Fort-Archambault.

[168]Ce massif a été nommé « Monts de Niellim ».

[169]Du Congo au Lac Tchad, pp. 95 à 98.

[170]On emploie d’ailleurs chez les Saras, d’après M. Decorse, de petits couteaux inutilisables qui constituent une véritable monnaie d’échange. Une monnaie semblable existe dans la région de Beyla, au Soudan (Guerzès).

[171]On commence seulement à récolter les gousses de Parkia et les fruits du Karité sont loin d’être mûrs.

[172]La chenille qui dévaste les plaines du Bangoran n’apparaît pas dans cette région.

[173]G. Nachtigal, II, ch. VI, p. 646 et suivantes.

[174]Ce palmier est probablement ici à sa limite S. ainsi que les Balanites et Acacia albida dont il existe quelques pieds. Le Fromager (Eriodendron) est au contraire à sa limite N.

[175]Les Bambaras nomment dingas ces sortes de puits dans le sable et les grandes trouées marécageuses sans arbres se nomment dalas (mar en ouolof).

[176]Saada est situé à 8 kilomètres environ à l’O. de Daï.

[177]C’est aussi l’opinion qu’adopte comme vraisemblable M. Bruel après une discussion très serrée des témoignages de Maistre, Lœfler et Faure. (Bruel, Renseignements coloniaux, 1905, no 10, p. 370-372.)

[178]Il est accompagné sur la rive voisine de Daï d’un marigot large de 15 mètres, plein d’herbes aquatiques et contenant déjà une assez grande quantité d’eau.

[179]D’après le capitaine Paraire, il aurait 5 mètres de profondeur (18 juillet 1901).

[180]M. Antony a remonté cette rivière qui se termine en cul-de-sac, jusqu’à une quarantaine de kilomètres.


CHAPITRE XI

LE LAC IRO

I. Généralités. — II. En route pour le lac. — III. Pays des Goulfés ou Koulfés. — IV. Autour du lac. — V. Chez les Saras de l’E. et retour chez les Koulfés.


I. — GÉNÉRALITÉS

Dans la zone des grandes plaines du Chari central comprises entre la 9e et la 11e parallèle, la sécheresse sévit pendant des mois ; on ne trouve plus d’eau à partir de février jusqu’en juin que dans le Boungoul ou Aouk et le Bangoran.

Le lit du Bahr Salamat est presque partout à sec et conserve de l’eau en permanence seulement en certains endroits parfois assez profonds pour que les hippopotames y demeurent toute l’année.

Des flaques d’eau plus ou moins analogues, et plus ou moins étendues existent aussi çà et là en dehors des lits fluviaux. Ce sont des dépressions naturelles, sortes de cuvettes largement évasées sans bord et sans lit précis. Les Djellabah et les Baguirmiens les nomment rahat (rouhout, au pluriel) quand elles sont de dimensions modestes, et Bahr, appellation appliquée aussi aux grands cours d’eau, quand elles contiennent toute l’année une réserve d’eau importante.

Ces Bahr et ces Rouhout sont connus de tous les trafiquants du Baguirmi, du Ouadaï et du Kouti. Pendant plusieurs mois les caravanes doivent s’astreindre à passer à proximité de ces points d’eau où des villages sédentaires sont souvent établis, les peuples pasteurs errants conduisent là leurs troupeaux, lorsque la sécheresse a fait disparaître toute trace de végétation dans les plaines et tari les mares et les ruisseaux des plateaux. Les abords des Bahr et des Rouhout sont encore verdoyants en pleine saison sèche. Au fur et à mesure que la dent des herbivores tond l’herbe, elle repousse. Elles sont fréquentées non seulement par les animaux domestiques, mais encore par un grand nombre de bêtes sauvages. Plusieurs espèces d’antilopes y foisonnent. Le bord de ces cuvettes a un peu l’aspect de nos prairies normandes vues en août et septembre, lorsqu’après la récolte des foins le regain a poussé et couvre les prés, un peu humides, d’un court tapis vert-jaunâtre sans fleurs et sans graminées fructifiées. Le nombre de ces dépressions existant au S. du Baguirmi, du Ouadaï et du Dar Four est très grand.

Situées le plus souvent dans de grandes plaines au sol argileux imperméable, presque sans pente, elles recueillent, à la saison des pluies, l’eau tombée dans tous les environs, aucune rivière avec des berges nettes ne draine ces pays. Après chaque pluie, l’eau les recouvre et les transforme en vastes marais ; entre chaque touffe d’herbe, le sol est fangeux et cède sous les pieds. En quelques jours cependant les plaines s’assèchent, soit que l’eau s’écoule suivant les lignes de plus grande pente mais sans cheminer dans un lit vers la dépression principale, soit qu’elle s’évapore de ces multiples petites mares où elle forme des flaques dormantes, ou bien elle se perd en terre. Dans les endroits où la terre est un peu sablonneuse, il s’est creusé un grand nombre de petits entonnoirs larges de quelques décimètres et profonds d’un pied à peine. Mais le sol est souvent miné en dessous et manque de solidité. Rien n’est plus laborieux que d’avancer à cheval sur ces plaines après la pluie. Dans les endroits où la terre est franchement argileuse et couverte d’une mince nappe d’eau, le cheval glisse constamment et risque en tombant de déposer le cavalier dans le bourbier. S’il avance au contraire sur un sol perméable, il s’affaisse presque à chaque pas et risque de s’enliser dans les innombrables fondrières où l’eau s’est engouffrée. Il n’est du reste pas possible de voir le terrain sur lequel on avance, puisque des herbes drues croissent partout en cette saison, qu’il y ait de l’eau ou qu’il n’y en ait pas. C’est encore dans les dépressions où l’eau demeure plusieurs semaines consécutives qu’il est le plus facile d’avancer. L’eau vient souvent jusqu’au poitrail du cheval, mais on marche avec beaucoup plus de sûreté, car le fond est solide. Aux graminées émergeant de l’eau, ont fait place de petites plantes aquatiques flottantes dans lesquelles les pieds de la monture ne risquent pas de s’embarrasser. Il faut cependant avancer avec prudence, car ces marais peuvent conduire à quelque rahat profond de plusieurs mètres.

Nachtigal a narré les difficultés et le danger de la marche en hivernage dans ces plaines avoisinant le Bahr Salamat (nommé Bahr Korté au S. du Ouadaï) : « Ce ne sont que flaques d’eau et bouillie sans fond... on patauge dans la boue jusqu’aux genoux... les bêtes enfoncent dans le bourbier jusqu’au ventre »[181].

On suit la piste des hippopotames, croyant suivre celle des hommes et on ne manque pas, après une pénible marche qui dure une demi-heure ou plus, de se trouver dans un des séjours préférés de ces amphibies, un grand bourbier caché par l’eau. Cependant, à la saison sèche, le sol est dur et très praticable, surtout dans les endroits qui n’ont pas été piétinés par les éléphants ou les hippopotames. Les pieds de ces animaux en enfonçant dans la boue y ont laissé des empreintes profondes qui entravent la marche même dans la saison où la terre est devenue ferme.

C’est dans une contrée semblable à ce pays Mangara dont les mares avaient mis un terme à la tentative d’exploration de Nachtigal vers le Kouti que Courtet et moi dûmes cheminer en pleine saison des pluies pour atteindre le fameux lac Iro qui n’était alors connu que par les vagues renseignements recueillis par l’illustre explorateur du Ouadaï. Où Nachtigal n’avait pu pénétrer, nous nous obstinâmes à aller.

II. — EN ROUTE POUR LE LAC

19 juin. — Partis fort tard du poste de Fort-Archambault nous passons immédiatement l’Abiod dans une pirogue. Le fleuve est actuellement large de 100 mètres environ et profond de 80 centimètres, la rive gauche escarpée domine le niveau de l’eau de 10 mètres, sur la rive droite au contraire de grands bancs de sables coupés de chenaux s’étendent à perte de vue. L’eau commence à couler dans quelques-uns de ces chenaux et j’observe par places de véritables amas d’Azolla pinnata aux corolles rouges en ce moment et charriées par le fleuve.

Un village Horo est installé à proximité de l’Abiod et de ces chenaux, les habitants raccommodent des filets ou se livrent activement à la fabrication d’autres engins de pêche. Les Horos en effet ne cultivent pas ; mais vivent presque exclusivement de la pêche.

Les Horo, les Tounia et les Kaba, dit le Dr Decorse[182], ont quelques engins de pêche un peu particuliers. Aux basses eaux, ils utilisent en outre de la sagaie ordinaire une espèce de foène appelée « onoufo », faite de trois branches de fer, fixées en triangle au bout d’une perche très longue et très légère ; chaque pointe est munie d’une encoche en hameçon. Entre les mains des Horo surtout, cet instrument donne des résultats remarquables. L’indigène jette son arme de la main droite et rattrape de la main gauche l’extrémité de la hampe, sans jamais laisser s’échapper l’instrument, s’il y a beaucoup de fond.

Quand les marais s’assèchent ou que les bras de la rivière s’isolent, les indigènes s’en vont par bandes de cinquante ou plus, battre les flaques d’eau laissées sans communication avec le fleuve, dans lesquelles le poisson est bloqué. Hommes, femmes, enfants, tout le monde entre dans l’eau et barbote. Les uns sont armés du panier conique à deux ouvertures, d’autres ont des épuisettes à manche, les hommes manient des troublettes dont la monture en arc de cercle est sous-tendue par une cordelle : ils les enfoncent à plat et les maintiennent sous l’eau avec leurs pieds ; de temps en temps, ils les relèvent brusquement pour voir si un poisson ne s’est pas reposé dessus et laissé prendre. Quelques-uns manient à deux de la même façon de grands filets en bande rectangulaire. Mais, dans cette pêche, attraper le poisson est, au début, la chose accessoire : ce qu’il faut, c’est remuer la vase. Chacun s’y applique à plaisir. Aussi bientôt l’eau n’est-elle plus qu’une dilution de boue dans laquelle le poisson ne peut plus respirer : il remonte à la surface et se laisse capturer facilement.

Pendant la baisse des eaux et le début de la crue, les riverains construisent aussi de grands barrages, que les Horo appellent tégahoum. Un tégahoum n’est, en somme, qu’une nasse immense, barrant presque tout un cours d’eau, se compose de petites chambres circulaires, limitées par des claies, accolées deux par deux en ne laissant entre elles qu’un étroit couloir ; leur convexité regarde en amont du courant. En aval, elles ont une porte dont les deux battants tenus ouverts vont presque jusqu’à toucher la cloison diamétralement opposée. Une seconde claie entoure les deux logettes complètement, sauf au niveau du couloir qui les sépare ; cette enceinte a donc sa porte ouverte en amont du courant, et sa convexité vers l’aval ; de ce côté, elle ménage entre elle et les logettes un espace plus ou moins grand. Le poisson qui s’introduit dans ce dédale circule toujours le long de ses parois, entre dans les logettes, et ne peut plus ressortir. Suivant la largeur du cours d’eau à barrer, on construit deux, trois, cinq couples de chambres qu’on réunit par une claie transversale.

Les riverains utilisent encore une espèce de tramail qu’ils traînent sans que le bas du filet touche le fond. En somme tous ces engins sont multiples et très bien appropriés à la nature des cours d’eau. Il faut bien remarquer que, pour ces peuplades, la pêche n’est ni un sport ni un plaisir ; c’est au contraire un moyen d’existence quelquefois le principal. Aussi dédaigne-t-on toute prise qui n’est pas d’importance. C’est pourquoi les filets ont tous des mailles énormes et sont confectionnés avec des matériaux très forts. Malgré tout, on trouve de gros poissons assez forts pour les détériorer, sans compter parfois les crocodiles qui se font prendre.

Nous avons marché pendant près de 6 kilomètres dans une grande plaine boisée où dominent comme essences le Trichilia et les Terminalia. Le sol est argilo-sablonneux souvent coupé de ravins déboisés à fond sablonneux. Dans les dépressions les plus profondes quelques petites mares commencent à se constituer, ailleurs le sol est fendillé ou encore il est miné en dessous et présente de nombreux entonnoirs où s’engouffre l’eau des pluies. Il est certain que nous nous trouvons sur un sol alluvionnaire encore mal fixé, à sol fortement perméable par places, mal tassé et susceptible d’emmagasiner de grandes quantités d’eau pouvant creuser de petits canaux souterrains et déterminant par places des affaissements du sol.

Les arbres ont à cette époque leur plus belle parure, la végétation qui a commencé dès mars a donné des pousses couvertes de feuilles en plein développement. Les graminées commencent à reverdir. Les fleurs souvent éclatantes des monocotylédones bulbeuses, Kaempferia, Amorphophallus, Lissochilus, Hæmanthus, Crinum, Chlorophytum, Anthericum, émaillent la plaine. Mais le long de l’Abiod et du Boungoul domine surtout l’Acrospira dont les beaux épis de fleurs d’un blanc nivéal couvrent parfois de grands espaces là où le sol devient plus humide, et est formé par une argile blanchâtre.

Le Boungoul (ou Ba Keïta), contrairement à ce qu’on pouvait attendre sous cette latitude, est environné d’une fausse galerie épaisse, large de près de 500 mètres sur la rive gauche. Quelques essences d’arbres seulement aux troncs tortueux constituent le fond de la végétation.

La Ba Keïta où nous la passons, a un lit large de près de 500 mètres, mais le lit actuel réel où coule l’eau mesure 15 à 20 mètres. La profondeur est de 70 centimètres. Les berges ont à peine, en ce moment, 2 mètres de surélévation.

C’est en le côtoyant pendant plus d’une heure que nous sommes parvenus à Solo. Le fleuve a un cours incertain et décrit des méandres très variés comme l’Abiod dans une grande plaine basse que ses eaux — ce n’est pas douteux — ont entièrement recouvert. D’ailleurs de nombreux bras herbeux, ordinairement ensablés à leur entrée, mais libres du côté aval, forment des séries de mares latérales le long de la rivière et emmagasinent certainement de grandes quantités d’eau au moment des crues.

Beaucoup de ces mares sont remplies de Bourgou, de nénuphars, de Jussiæa, de Ceratophyllum. La nappe est en certains endroits recouverte d’un plankton d’un rouge sang.

Solo doit son nom au chef de village actuel. C’est un village prospère dont les cases sont disséminées sur un cercle de 2 à 3 kilo mètres de diamètre, et dont les cultures s’étendent bien au-delà de cette zone. Actuellement les ensemencements sont achevés et le Sorgho en certains endroits a 0m,80 de haut. Mélangé au Sorgho, se trouvent des courgettes à huile, des niébés (haricots), des arachides, des Voandzeia.

Fig. 56. — Saras apportant du mil au poste de Fort-Archambault.

Toutes ces plantes ont déjà acquis un magnifique développement et le village a pris un aspect riant qui s’harmonise bien avec sa prospérité. Il n’y a pas de pauvre chez les Kabas. La récolte du premier mil se fera dans deux mois et cependant on a encore assez de grain pour faire de la bière. Les habitants nous font un excellent accueil et le chef nous comble de cadeaux. Nous nous acquittons par des perles, divers bibelots et surtout la viande de deux antilopes tuées par Omar. Cette aubaine remplit de joie les Kabas. Un concert nous est bientôt donné, le balafon du pays donne des accents fort harmonieux malheureusement souvent masqués par les tamtams. En même temps des danses d’un pas léger à mouvements fort élégants s’organisent. C’est la première fois que j’entends chez les noirs une semblable musique et que je vois une danse qui n’a rien de grotesque.

Le Ba Keïta coule à 100 mètres de notre campement, sa berge de droite est escarpée de 4 mètres et entaillée çà et là de coupures, sortes de couloirs s’ouvrant brusquement et permettant à l’eau des tornades tombée sur le plateau de se déverser immédiatement dans la rivière.

Au départ j’ai constaté que toutes les grandes termitières qui avoisinent le village sont utilisées pour la culture. Elles sont constituées par un sol argilo-sablonneux blanchâtre et ont parfois plus de 15 mètres de diamètre et 6 à 8 mètres de haut.

20 juin. — Mara Kouio, village de Kabas. Marche de 15 à 18 kilomètres sensiblement dans la direction du N. depuis Solo. Nous avons traversé presque constamment une brousse peu épaisse où dominent les Trichilia, les Terminalia, et le Combretum glutinosum. Très peu de Parkia et seulement quelques pieds très rares de Karité. Aucun palmier. Cette brousse est fréquemment coupée par de grands espaces nus (Firki) au sol argileux fendillé impropre à la culture ou par de grandes prairies dépourvues d’arbres, transformées en marais à la saison des pluies, si l’on en juge par l’abondance des coquilles d’ampullaires qui recouvrent le sol.

La plus vaste de ces prairies est située au S. du village de Mara Kouio, on l’appelle Oulagui. Ce Firki présente du côté de Solo des bas-fonds dans lesquels on observe encore des barrages de pêche. Au dire du rabiste Mahmadou, l’eau atteindrait à la fin de l’hivernage 1m,20 de haut dans les plus grands fonds et à l’approche du village de Mara Kouio il y aurait seulement 0m,70. D’après les indigènes ce Firki aurait son origine du côté de Mara Bei et se dirigerait vers l’E. se rendant au Chari en passant par Bô[183]. Ce renseignement est toutefois donné d’une façon très dubitative, les indigènes faisant remarquer qu’ils ne l’ont jamais suivi, ce qu’ils savent, c’est qu’il vient de Mara Bei et qu’il va à Bô.

On me donne le nom d’autres Firkis voisins : Manga, Kéniéré, Danga, Méré, Kagna, Katja, etc.

Le Firki Oulagui a environ 2 kilomètres de large, c’est une grande plaine herbeuse remplie de Panicum et d’Andropogon, les chenaux à Bourgou font défaut, en revanche on trouve de nombreuses mares contenant déjà un peu d’eau et bordées de cypéracées. Sur le sol argileux bordant ces mares, on trouve presque toujours le Crinum pauciflorum dont les grandes fleurs blanches veinées de pourpre sont actuellement épanouies ; ailleurs se mêle aux graminées un Polygala à racèmes élevés de plus d’un mètre et à grandes fleurs bleues ou roses. Quelques antilopes pâturent tranquillement dans cette prairie.

Le Firki est dominé vers le N. par un plateau élevé de 30 à 60 mètres au plus au-dessus de la plaine, il vient mourir en pente insensible au bord de la dépression et c’est sur cette pente qu’est établi le village habité par des Kabas Maras et je retrouve chez eux, comme à Solo, de belles plantations.

Ici la culture est plus avancée. Le sorgho atteint déjà 1 mètre de hauteur en moyenne. J’ai même vu exceptionnellement quelques épis sur le point de sortir. Au contraire le Penicellaria est encore au ras du sol, cette céréale talle énormément avant de monter et une seule touffe peut présenter, dans des conditions favorables, une vingtaine de chaumes.

Les femmes ont fait l’ensemencement de leurs jardins situés aux alentours des cases ; sur les tapades grimpent déjà des Lagenaria, des Dioscorea alata hauts de plus de 2 mètres. Auprès de beaucoup de cases quelques pieds de Ricin, de Pourghère et de Cotonnier (espèce du Sénégal).

Dans les coins favorables on a ensemencé du Tabac qui commence à lever, du Gombo, de l’oseille de Guinée. Les arachides et les Voandzeia sont en fleurs, le Gynandropsis pentaphylla vient sans culture, de même que l’Amarantus caudatus (la forme vulgaire), et ces plantes sont recueillies par les femmes pour préparer la sauce avec laquelle on mange le mil.

Le village est ombragé par de magnifiques Ficus et surtout par le Ficus rokko nommé goulla par les Kabas. Les gros troncs entourés de racines adventives ont parfois 1 mètre de diamètre et l’écorce n’en a jamais été enlevée. Des paquets de racines pendent souvent en longs écheveaux bruns des branches horizontales. C’est un arbre fort remarquable que je n’ai encore jamais trouvé en Afrique à l’état sauvage.

Fort curieux, il n’y a de ce côté aucun palmier (ni Hyphæne ni Borassus), pas de Fromagers, pas d’Acacia albida, les Karités sont rares ainsi que les Daniella et le Tamarinier. Point de chevaux non plus, et où la culture au mil est faite avec grand soin, l’élevage est au contraire à peine pratiqué. Seulement quelques cabris et des volailles. J’ai eu quelques renseignements intéressants par Mahmadou et le chef du village.

Les gens de Senoussi ne sont jamais venus razzier dans le pays. Au contraire ils sont venus récemment chez les Goulfés et ont emmené beaucoup de captifs. L’administration française n’est point intervenue pour les protéger. Le chef des Goulfés Tanako était allé librement faire sa soumission à Fort-Archambault et avait fourni du mil comme impôt. Il est mort depuis quelques mois et a été remplacé par un frère presque aveugle.

J’apprends aussi que les femmes de la région située au N. du Boungoul ou Ba Keïta qui portent dans les lèvres de grands disques de bois appartiennent à une tribu nommée Saras Dinguès par les arabes.

Pays des Kabas Simmés (Mara Kouio-Simmé-Kinda), 20, 21 et 22 juin 1903. — Il est à peine 4 heures du matin quand le chef de village fait retentir sa trompe. C’est aussitôt un concert assourdissant : de chaque groupe de cases partent de nouveaux coups de trompe et des appels retentissants qui se répètent jusqu’aux points les plus extrêmes du village. Les chiens mêlent leurs voix à ce concert diabolique et leurs hurlements durent sans discontinuer jusqu’au matin. Les porteurs arrivent peu à peu avec leurs armes. Ils sont bientôt en nombre double de ce qu’il nous faut. Ils prennent leurs charges de bonne humeur. Les caisses les moins volumineuses sont naturellement prises les premières, bien que ce soient souvent les plus lourdes. Les moins pressés à se munir d’un colis finissent par n’avoir rien à porter. Ils nous accompagneront néanmoins avec leurs armes et celles de leurs camarades. De Mara Kouio à Simmé nous traversons le grand plateau que nous avions vu de la plaine. Le sol est un sable très rouge propre à la culture. Aussi toute la contrée aujourd’hui abandonnée paraît avoir été autrefois cultivée ; il est parsemé de fragments de poteries. L’Andropogon hirtum spécial aux jachères abonde. Dans la brousse encore naine on voit çà et là de nombreux et gros troncs d’arbres brûlés qui furent autrefois détruits pour aérer les cultures.

Au premier groupe de case Simmés que nous atteignons les hommes s’enfuient en armes avec leurs boucliers en observant nos allures.

Postés à quelques centaines de mètres, ils constatent bientôt que nos intentions sont toutes pacifiques et ne tardent pas à venir au devant de nous. Les « Lafia, lafia, lafia », les battements de mains, les claquements de langue annoncent que nous sommes les bienvenus.

Fig. 57. — Une tombe chez les Saras, à Simmé.

Les cultures du village sont installées dans un terrain défriché depuis peu de temps, les troncs d’arbres secs et à demi carbonisés sont encore en place et presque partout je constate qu’on ensemence le mil pour la première fois.

Le terrain semble d’ailleurs convenir médiocrement. Il est en contrebas de quelques mètres au-dessous du plateau et le sable rouge est remplacé par une terre argilo-sablonneuse blanchâtre, utilisée par les termites pour faire de gigantesques tumulus. Au pied de ces monticules l’argile est plus compacte, aussi on y pratique des trous pour y recueillir l’eau au moment des pluies. Un puits creusé récemment dans une légère dépression atteint une quinzaine de mètres et l’eau manque actuellement. On a retiré du fond un sable blanchâtre mêlé d’argile et renfermant de nombreux fragments quartzeux. La roche compacte doit être très proche. Quoi qu’il en soit le niveau d’eau n’est pas encore atteint, et les habitants sont obligés d’aller chercher le précieux liquide à une grande distance ; ils le conservent ensuite dans d’immenses vases, de 1 mètre de haut, atteignant jusqu’à 150 litres de capacité.

Fig. 58. — Les soundous, ornements des lèvres des femmes Saras.

1, 3 et 4. — Soundous de la lèvre supérieure.

2 et 5. — Soundous de la lèvre inférieure.

Le village de Simmé produit l’impression d’un campement provisoire, mal situé, mal entretenu (le mil est à peine ensemencé) et il semble que les Kabas se soient installés là (depuis 2 ou 3 ans) pour se soustraire aux incursions de l’Alifat de Korbol, mais qu’ils n’ont nullement l’intention d’y rester. Korbol est venu jusqu’à cet endroit les attaquer il y a 2 ans et près de ma tente on nous montre les tombes d’un homme et d’une femme qui furent tués à cette époque. Le chef des Simmés est Nagué, un robuste vieillard d’une soixantaine d’années, aux cheveux grisonnants. L’aménité de sa réception ne dément point l’opinion qu’a pu donner son air accueillant. Bientôt le pavillon tricolore que lui a remis l’administration de Fort-Archambault est hissé au haut du mât en l’honneur de notre arrivée, et tous les notables apportant, les uns des volailles, les autres du mil, forment un large cercle autour de nous. Les palabres commencent, il est malheureusement difficile d’obtenir des renseignements géographiques, les Kabas connaissant à peine les alentours de leurs villages à quelques kilomètres de distance. Nous nous réjouissons de la bonne humeur de ces gens que la moindre facétie met en gaîté. Pendant qu’ils nous entourent ils passent le plus clair de leur temps à se faire des farces. On amène au camp comme curiosité une femme Dingué ou Djingué, ancienne captive de Rabah dont la lèvre supérieure est ornée d’un immense Soundou large de 13cm,5. Elle serait assez jolie sans cette étrange déformation qui la rend hideuse. Je lui remets une petite glace circulaire, en lui disant que sa beauté deviendra incomparable si elle remplace le disque de bois qu’elle porte au-dessus de sa bouche par cette petite glace. Un bruyant éclat de rire accueille cette plaisanterie qui n’est point trouvée de mauvais goût puisque la vénus Djingué s’en retourne enchantée du miroir. Le Dr Decorse[184] donne au sujet du Soundou les détails suivants :

Fig. 59. — Femme Sara avec ses soundous.

J’ai demandé qu’on m’amène celles qui sont ici. C’est invraisemblable ! Ces ornements s’appellent « soundou ». Pour s’en faire une idée, il faut se représenter une femme adulte portant, enchassés dans la lèvre inférieure un disque de bois large comme une assiette à dessert, et dans la supérieure, un autre disque comme une soucoupe de tasse à café. Normalement, le poids entraîne ces appendices, il les fait pendre sur le devant du menton et du cou. Aussi la femme penche-t-elle un peu la tête pour s’éviter des pressions douloureuses sur les mâchoires. Au repos, elle appuie ces ornements sur son genou fléchi. Je n’ai pas pu savoir d’une façon positive si ces malheureuses s’en débarrassent pour dormir. En tout cas, je les ai vues boire et manger sans les ôter. Pour s’introduire les aliments dans la bouche, elles sont obligées de soulever le soundou supérieur, et la mastication s’accompagne d’un bruit très drôle de castagnettes. Pour boire, c’est plus simple : la femme relève son soundou inférieur jusqu’à l’amener à une obliquité suffisante, puis verse dessus le liquide, qui coule jusque dans la cavité buccale. Ces dames ne dédaignent même pas de fumer la pipe, qu’elles s’introduisent sur le côté à la place des commissures, car celles-ci n’existent plus guère qu’à l’état de souvenirs. Le poids des disques, à force de tirailler les tissus, donne au bas de la face une forme pyramidale par suite de l’aplatissement des joues et des arcades mâchelières. Au-dessous des arcs zygomatiques, existe une dépression surtout accusée chez les plus maigres. Le sillon naso-jugal est un fossé profond. La voix prend une résonnance spéciale, on dirait une voix de ventriloque ! plus de labiales, plus d’explosives, la parole n’est plus qu’un gargouillement de voyelles pâteuses et nasillées. C’est la perfection dans le grotesque. Mais ça frise aussi le malpropre à cause de l’écoulement constant de la salive qui ne trouve plus d’obstacle et découle du soundou. Si la femme enlève ses appendices, elle devient hideuse. A la place des lèvres, pendent deux longs anneaux de chairs violacées, bourrelets irréguliers dont la surface interne est épidermisée. La bouche n’est plus qu’un trou entre les maxillaires étendus par l’usure, aplatis par la pression, et n’offrant presque plus traces de gencives. Au fond, on aperçoit la langue pelotonnée et massive dans sa position naturelle de repos. La femme elle-même en a honte.

Cette mode aurait tendance à se perdre, et les jeunes femmes l’abandonneraient. Mais, dans le principe, me dit-on, un homme se respectant n’aurait pas mangé de cuisine préparée par une femme sans soundou. Impossible de savoir pourquoi.

A Mantagoadé, les Kabas me disent que les Roûna et les Arabes, lorsqu’ils viennent razzier périodiquement le pays, attachent par les lèvres les femmes qu’ils capturent pour les empêcher de se sauver. Puis si elles sont jeunes ils pratiquent un avivement des parties charnues pour que la marchandise ne soit pas invendable. C’est possible, en somme, car cette grande plasticité des lèvres est probablement la cause de la déformation. Dès que la dilatation volontaire a atteint une certaine dimension, le poids des disques suffit pour élargir l’orifice, qui s’agrandit progressivement. La femme se trouve amenée de la sorte à porter des soundous de plus en plus grands, pour qu’ils puissent se maintenir en place. C’est un véritable cercle vicieux. De la pièce de cent sous, on passe à la soucoupe puis à l’assiette et les Dendjé en arriveraient certainement au plat, si la bonne nature ne mettait un jour ou l’autre un terme à de pareilles excentricités. Avec des perles rouges, j’achète comme souvenirs quelques séries de disques dont ces dames ne se servent plus ; ils sont en bois de ficus très léger. La vue des perles excite des convoitises et, si j’en avais les moyens, je trouverais toutes sortes de choses à échanger.

Les soundous de grande taille se portent aussi chez les Saras Ngaké et les Saras Mbanga.

Depuis deux jours le temps était à l’orage. Au départ il y avait une rosée abondante qui ne disparut qu’à 10 heures du matin et en quittant Mara Kouio, le lendemain le ciel resta complètement couvert jusqu’à 9 heures, mais il n’y eut point de rosée. Toute la journée il a fait un temps extrêmement lourd. Au coucher du soleil les éclairs ont fait leur apparition. Vers 9 heures du soir, une tornade a éclaté brusquement, et pendant plus d’une heure l’eau s’est déversée à torrents, accompagnée de vent et d’éclairs, mais point de tonnerre. Pendant que la pluie et le vent déferlaient, j’avais grand peine à maintenir ma tente. Après minuit le ciel a repris son calme habituel, mais au matin une humidité pénétrante envahit l’atmosphère. Nous marchons dans une direction générale N.-E. ; Nagué nous accompagne et a promis de venir jusqu’à Moufa. Le pays que nous traversons est toujours un terrain bas, à végétation fournie, mais peu élevée (Acridocarpus, Detarium et surtout les Afzelia qui dominent, quelques Daniella, Karités rares). En beaucoup d’endroits très éloignés des villages on a pratiqué cette année des défrichements de plusieurs centaines d’hectares. La culture s’étend dans la contrée, mais il est possible que ce soient des familles chassées de leur pays natal par les incursions d’Adem et de Korbol qui sont venues se fixer chez Nagué, chef réellement considéré dans toute la région. J’ai constaté que dans tous les champs récemment défrichés on ensemence l’arachide et surtout le niébé (haricot). Des champs entiers sont pleins de cette légumineuse dont les cotylédons commencent à sortir de terre. A 8 kilomètres environ de marche du village de Nagué, nous arrivons à celui du petit chef Kaba, Tolo-Kaba[185].

Quatre kilomètres plus loin nous atteignons le pays des Kindas et passons d’abord par la demeure du chef Shongo, puis nous installons notre campement chez Tolo, au village même de Kinda. Le chef nous souhaite la bienvenue comme d’ordinaire. Le bruit s’est répandu que nous avions donné hier des perles en échange de volailles, d’œufs et de mil, aussi un véritable marché s’installe bientôt dans le camp. Après avoir baissé le prix des poulets à deux cuillères de perles mélangées nous sommes obligés de cesser tout achat, car si nous acceptions toutes les offres nous aurions bientôt une véritable basse-cour avec nous.

Les perles de toute nature sont extrêmement prisées dans le pays Kaba et Kinda. Les femmes n’en portent point ou presque point. Quelques hommes en ont plusieurs de diverses tailles et diverses couleurs provenant du Ouadaï et du Baguirmi. La petite perle rouge est très recherchée et n’a pour ainsi dire point encore été introduite dans le pays à l’O. du lac Iro.

A peine avions-nous terminé le palabre avec Tolo que nous avons eu la visite d’un petit chef nommé Gouna, installé depuis peu à côté de Nagué. Il raconte qu’il était chef d’un village nommé Douki (ou Dougui), installé au pied d’une roche à un jour de Kendégué. Il s’est brouillé avec le chef de ce village parce que ce dernier possède deux pointes d’ivoire qu’il destine à Korbol. Gouna lui a conseillé de les donner plutôt au commandant de Fort-Archambault, mais le chef de Kendégué s’est fâché et a menacé Gouna d’une dénonciation à Korbol ; par crainte, Gouna s’est enfui. Ce sont de ces petites querelles, dénonciations, vengeances, de village à village que les administrateurs futurs auront à régler. D’un village à l’autre, les habitants se défient les uns des autres et se connaissent à peine. C’est ce qui a laissé croire aux premiers Européens qu’il y avait une multitude de peuplades distinctes, alors que ce sont partout les mêmes hommes parlant la même langue, ou des dialectes à peine différents. Les Kindas se disent distincts des Kabas Simmés, par exemple, alors qu’ils parlent la même langue et ont les mêmes habitudes et les mêmes habitations.

Les Kabas Simmés et les Kindas. — Les observations que j’ai pu faire jusqu’à ce jour chez les Niellims, les Ndamms, les Toummoks, les Goulleï, les Saras de l’O., les Tounias, les Kabas des bords du Chari entre le Bangoran et le Bahr el Azreg, les Kabas Solos, Kabas Maras, K. Simmés, Kindas m’ont persuadé que ces groupes ne forment qu’un seul peuple divisé à l’infini, chaque village constituant presque toujours un groupement complet sans rapport avec les villages voisins, ayant parfois ses habitudes spéciales et son dialecte, mais avant aussi un grand nombre de caractères communs : Villages construits de la même manière, agriculture partout très avancée, mêmes armes (surtout le bouclier et le couteau de jet) (courbache), même langue (dans ses grandes lignes), dérivée du bagrimma, même numération, même costume (le tablier de peau chez les hommes), tatouages disposés de la même façon (avec cependant des variantes), mêmes ustensiles et mêmes ornements (anneaux, bagues, billettes de bois dans les oreilles des femmes) et vraisemblablement mêmes caractères anthropologiques.

On peut déjà mettre en relief la haute stature, la robustesse du corps, les membres bien proportionnés, le nez large, les lèvres épaisses, le teint noir légèrement cuivré. Ce n’est pas la première fois qu’on voit en Afrique un seul peuple disloqué en une infinité de tribus qui semblent au premier abord n’avoir aucune connexion entre elles. Qu’il suffise de citer toutes les divisions de la grande famille Mandé au Soudan, les Diolas et tous leurs parents dans la Casamance, les Bandas en Afrique centrale, etc.

Fig. 60. — Danse de guerre chez les Kindas.

Je crois que toutes ces sous-tribus tirent leurs noms de diverses origines, parfois le nom a été donné à l’insu souvent de la tribu auquel il est dévolu par les Arabes ou les Baguirmiens. Ce serait par exemple l’origine de l’appellation Saras. Remarquons à ce propos que les Saras de l’O. et les Saras de l’E. s’ignorent complètement les uns les autres. Fréquemment le nom a pu venir d’un chef important qui aura réussi à grouper autour de lui d’importantes agglomérations. Qu’il suffise de citer au Soudan les Malinkés, hommes de Mali[186].

Les Smous ou Smoussous sont les sujets et surtout les guerriers de Senoussi. Ils sont connus sous ce nom, non seulement dans leur pays, mais dans toutes les contrées situées en dehors des états du Sultan. Les Rabi étaient les guerriers de Rabah, etc. Il est donc probable que Simmé, Mara, etc., sont aussi des noms de chefs. Les Kabas Solos tirent leur nom d’un chef actuellement vivant.

Ce qui suit se rapporte plus particulièrement à ce que j’ai vu chez les Kabas Simmés et les Kindas.

Chaque village est formé de groupes de cases nommés Soukalas, disséminés dans les cultures souvent sur une aire très étendue, certains peuvent avoir quelques kilomètres de long tout en ayant un nombre restreint d’habitants. Chaque Soukala est composée de plusieurs familles. La demeure d’une famille est entourée d’une tapade haute de 2 à 3 mètres formée par des paillons tressés appliqués sur des poteaux. Dans cette enceinte se trouvent la maison d’habitation, les cases accessoires, les réserves de bois, les fétiches, les mortiers, les récipients à eau, et les quelques autres objets nécessaires à la vie des noirs. Devant l’habitation on voit souvent une grande fourche en bois dur plantée en terre sur laquelle on place les armes et on appuie les sagaies ou lances en rentrant.

23 juin. De Kinda à Balbidjia (Balbédja). — La distance entre les deux agglomérations est de 12 kilomètres environ dans la direction N.-E. Sur ce parcours les deux tiers au moins s’effectuent dans une vaste plaine nue, constituant l’un des plus beaux Firkis rencontrés jusqu’à ce jour. Un gazon épais, haut de 30 centimètres environ, recouvre toute la plaine. On dirait vraiment une de ces prairies naturelles qui, en France, environnent les abords des cours d’eau et en général les pays bas. Nos prairies de France seraient des Firkis modifiés par l’homme et dont la végétation de zone tempérée forme un tapis à peine distinct comme aspect de celui qui recouvre les Firkis de l’Afrique centrale. En cette saison on rencontre dans les Firkis soudanais la même variété de tons qu’on observe dans les prés d’Europe peu de temps avant la récolte des foins.

Les graminées courtes, à feuilles ténues, constituent l’élément dominant. Une espèce à panicules violets et à épilets très petits est surtout abondante et on la prendrait à distance pour l’Agrostis vulgaris. D’autres graminées ressemblent à des Poa ou à des Brizes. Dans les parties plus humides et à demi marécageuses à cette époque de l’année croissent des herbes plus robustes et spécialement des Cypéracées. Enfin çà et là, la prairie présente de grandes places couvertes d’Orchidées, de Liliacées et d’Amaryllidées en fleurs. En certains endroits le sol se relève de 1 ou 2 mètres et ces places n’étant point inondées sont couvertes d’arbustes et d’arbres. La prairie proprement dite est dépourvue de toute végétation ligneuse, sauf sur ses pourtours envahis de hautes termitières boisées, tapissées de Cadalvena spectabilis, Kaempferia æthiopica et Kaempferia rosea, dont les brillantes fleurs jaunes, violet-lilas et rose-carné s’épanouissent à cette époque.

En un endroit sur le bord du Firki nous franchissons un escarpement boisé, haut de quelques mètres et formé de roche ferrugineuse, puis nous retombons dans la plaine. C’est dans cette plaine à mi-distance de Kinda et de Balbidjia que le Bahr Salamat décrit ses sinuosités. Ses rives ordinairement verticales sont en contre-bas de 3 mètres environ. Le lit proprement dit est large de 15 à 20 mètres, mais en certains endroits il s’élargit jusqu’à avoir 40 à 50 mètres. Il est à sec, ou plutôt il reste de l’eau dans des mares souvent très rapprochées, mais point encore réunies entre elles par le moindre filet d’eau. La profondeur dans les mares est environ de 3 à 5 mètres et dans l’une d’elles, ayant à peine 35 mètres de diamètre, vit un troupeau de quelques hippopotames. Nos tirailleurs font feu sur eux mais en vain. La rapidité avec laquelle ces animaux sortent et rentrent leur groin pour respirer est telle que le temps d’agir sur la détente du fusil, ils ont déjà disparu.

Les berges présentent quelques arbustes entremêlés et surtout des Mimosa asperata et des Sesbania ægyptiaca. Dans le lit de la rivière sur les bancs de sables et dans les mares peu profondes croissent de hautes herbes. Sur la rive septentrionale le Firki est coupé de lits secondaires où doit circuler l’eau à la fin de l’hivernage. Le sol, entièrement nu par places, est formé par une argile sèche et fendillée couverte de toutes parts par les pistes d’hippopotames dont l’empreinte des pieds est restée dans la glaise. Certaines mares commencent à se remplir, mais l’eau qu’elles contiennent est venue par ruissellement, et non du cours supérieur de la rivière. Dans les environs paissent tranquillement des troupeaux de plusieurs espèces d’antilopes. Par contre, les traces d’éléphants manquent totalement.

A 2 kilomètres avant d’arriver à la première agglomération Balbidjia[187], le sol se relève très légèrement et présente sans transition de beaux groupes d’arbres rassemblés surtout sur les grandes termitières. On doit noter dans ces bosquets voisins des Firkis la prédominance du Tamarinier, du Diospyros, des Capparidées. Je vois aussi apparaître un Acacia voisin de l’Acacia arabica qui se trouve là au point le plus méridional de son aire. Sous ces arbres la terre est couverte d’un frais tapis de graminées nouvelles élevées de 15 centimètres et dont les premières feuilles sont seules épanouies. Notons l’abondance d’un Andropogon très recherché par nos chevaux.

III. — PAYS DES GOULFÉS OU KOULFÉS.

La distance de Balbidjia, à l’agglomération où nous campons le 24 juin chez les Goulfés, est de 15 kilomètres environ. Comme hier nous traversons une succession de plaines basses, de firkis couverts de mares contenant déjà une eau boueuse, de fossés parfois larges de 10 à 15 mètres, remplis de grandes graminées dont le pied baigne déjà dans l’eau. Les bords de ces fossés sont parfois bordés par des arbustes en touffes épaisses constituant de fausses galeries.

Une herbe rare saupoudrée de Crinum et d’Acrospira recouvre en ce moment toutes ces plaines. Parfois cependant le sol est presque nu, formé d’une vase brune, épaisse, asséchée, mais sur laquelle l’eau a séjourné peu de temps avant notre passage. Le pied des chevaux enfonce profondément dans cette vase. Les vieilles coquilles d’ampullaires à demi enterrées abondent à la surface, les coquilles d’Anodonte et d’Unio manquent.

Comme partout les grands tumuli construits par les termites limitent les firkis de tous les côtés. Sur leurs pourtours on trouve toujours une flore très variée. La végétation s’est cependant modifiée et rappelle la zone sahelienne signalée au Soudan. L’Acacia voisin de l’Acacia arabica, signalé hier au bord du Bahr Salamat, est devenu commun et il est accompagné de l’Acacia pennata, de divers Capparis, du Balanites ægyptiaca, d’un Zyzyphus, du Caillea dichrostachys, d’une nouvelle espèce de Commiphora. Comme on le voit les plantes épineuses prennent une grande importance. Nous n’avons pas vu pendant toute la marche un seul pied de Butyrospermum ni de Parkia. En revanche les combrétacées (Combretum glutinosum, Terminalia macroptera, Anogeissus abondent.

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