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L'Afrique centrale française : $b Récit du voyage de la mission

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Fig. 31. — L’habitation dans le pays de Senoussi.

Senoussi, qui partage cette cruelle impassibilité pour les fétichistes, est pourtant le musulman le plus humain pour son entourage que nous connaissions. Il a droit de vie et de mort sur tous ses sujets et il n’en use presque jamais. Les châtiments corporels sont très rares dans la capitale, même pour les esclaves. Or Senoussi est originaire du Baguirmi, c’est-à-dire d’un pays où les princes régnants font encore crever les yeux à leurs propres frères pour les mettre dans l’impossibilité de tenter un coup d’état. A tout prendre, il est moins coupable que certains conquistadors venus d’Europe.

Il ne s’est jamais en effet montré hostile aux idées d’amélioration que nous lui avons apportées. Nos résidents lui ont conseillé de faire de l’agriculture, il a entrepris des cultures nouvelles, on lui a conseillé de faire du commerce avec les blancs de l’Oubangui, il a accepté sans aucune restriction la création d’une factorerie européenne par Mercuri. Vers la fin de notre séjour à Ndellé, je vis un matin le sultan sortir en grande pompe de son Tata, entouré de ses principaux courtisans, et se rendre au milieu des cultures où sa tente d’apparat avait été installée. Sous ses yeux 500 femmes commencèrent les travaux de défrichement et d’ensemencement.

Quelques hectares de terrain[91] furent consacrés pour la première fois à la culture du riz en grand. Un mois plus tôt il avait récolté du blé et il avait été aussi l’introducteur de cette culture. Les plantations de sorgho allaient en s’étendant d’année en année et à l’époque de notre séjour, elles couvraient déjà tous les environs de Ndellé sur 10 kilomètres de rayon. Quelques sujets du sultan s’adonnaient pour son compte à l’élevage du bétail. Il fait venir tous les ans des troupeaux du Ouadaï et s’efforce de les acclimater autour de sa résidence.

D’autres chassaient l’éléphant et lui rapportaient les défenses et jusqu’à la viande boucanée. D’autres encore allaient récolter le caoutchouc à plus d’une semaine de marche de la capitale. Enfin il se faisait apporter du café, du poivre d’Éthiopie, du sel obtenu par le lessivage des cendres de certaines herbes, de l’huile de palme, des fibres de raphia, du poisson sec, etc.

Lorsqu’il sut le but précis de notre voyage, Senoussi parut s’y intéresser. Il eut d’abord quelque peine à comprendre que nous fussions venus de si loin uniquement pour parcourir des pays nouveaux et en examiner les ressources. Je sus plus tard qu’il nous avait fait surveiller dans les premiers temps, persuadé que nous étions venus pour rechercher une mine d’or. En voyant notre zèle à recueillir des plantes, à collectionner des animaux, à ébrécher les rochers pour prélever des échantillons minéralogiques, il fut bientôt convaincu que nous formions, Courtet et moi, une catégorie à part d’Européens inoffensifs. Il demanda à Courtet de préparer sous ses yeux du caoutchouc en pilonnant des racines de petits Landolphias dans un mortier à couscous. Tout son entourage assista à l’expérience et lui-même calcula le prix de revient. D’un autre côté il me fit voir les principales productions curieuses de ses États. Quand je passais au Tata avec quelques branches d’arbres à la main pour mes collections, il m’en donnait lui-même les noms arabes et m’en indiquait les usages. A notre retour de chaque excursion, il nous interrogeait sur ce que nous avions vu et complétait nos renseignements. Lorsqu’en audience je lui demandais des indications pour compléter nos cartes, il quittait son siège et traçait lui-même sur le sable, avec le doigt, le cours des rivières dont nous voulions connaître la direction. Il était rarement embarrassé. Pendant trente années il a parcouru dans tous les sens le Dar Fertit ou Pays des Sauvages, et doué d’une mémoire prodigieuse, il a retenu le nom des moindres ruisseaux situés à plus de 200 kilomètres de sa capitale. Au départ de chaque excursion, il réglait lui-même tous les détails de notre itinéraire, et indiquait au guide les points sur lesquels il fallait attirer notre attention pendant la route. Nos rapports devinrent toutefois tendus pendant le dernier mois de notre séjour à Ndellé. Il serait sans intérêt pour le lecteur d’en connaître les raisons ; je dois seulement dire que les principaux torts n’étaient ni du côté du sultan ni du nôtre...

Fig. 32. — Petits landolphia donnant le caoutchouc des racines.

Nous ne songeons nullement à dresser contre Senoussi un réquisitoire tendant à sa déposition. Ce serait une grosse entreprise et le sang français a déjà été et même trop largement versé dans ces contrées désolées. Cette déposition, fût-elle plus facile, nous n’en voudrions point. Senoussi est le chef le plus extraordinaire que nous ayons rencontré en Afrique et, nous osons le dire, il a forcé notre admiration. D’une ambition sans bornes, mais aussi d’une intelligence vraiment puissante et d’un sens pratique encore affiné par ses opérations commerciales, il a su créer un Etat à demi policé d’un ramassis de barbares sans cohésion. Il a su s’assimiler de la culture européenne tout ce qui peut lui être utile. Nous croyons donc qu’il faut vivre en bonne intelligence avec le Sultan du Kouti, quelque chargé que soit son passé. Mais, cette absolution ne peut entraîner la licence de continuer les razzias chez les fétichistes. Et, après nous être montré si impartial dans notre jugement sur Senoussi, si préoccupé des intérêts matériels de la France, nous n’en répétons que plus fermement nos protestations contre un système trop longtemps toléré. Si la France donnait à Senoussi l’impression qu’elle est vraiment et sincèrement décidée à abolir la traite, si nous lui enlevions ces prétextes que El Hadj Tokeur nous opposait, si notre résident à Ndellé se montrait suffisamment énergique et calme, je suis convaincu que Senoussi s’inclinerait devant notre volonté bien arrêtée de supprimer les razzias d’esclaves et qu’il pourrait devenir un auxiliaire précieux pour notre administration.

[60]Senoussi n’est nullement d’origine arabe, mais c’est l’usage des pays Fertit d’appeler Arabes tous les Musulmans venus du N., quelle que soit leur origine.

[61]Pendant mon séjour à Ndellé j’ai eu l’occasion de causer à de nombreux noirs islamisés qui avaient vécu dans l’entourage de Ziber-Pacha. L’un d’eux se rappelait même avoir vu un blanc compagnon d’Abd-es-Samat et ayant comme moi la manie d’examiner les plantes qu’il rencontrait dans le bled. Le voyageur auquel il faisait allusion était sans aucun doute G. Schweinfurth, le grand explorateur allemand qui séjourna à Dem-Ziber en 1870.

[62]G. Dujarric, La Vie du sultan Rabah (1902), p. 29.

[63]Pièce traduite par M. l’interprète Grech.

[64]D’après une autre version l’assassin se nommait El Kharifine.

[65]Que Crampel ait eu vent d’une trahison dans son entourage, c’est sans doute ce qui explique le terrible châtiment d’un de ses serviteurs, qu’il fit alors fusiller. Il l’avait convaincu d’avoir volé un fusil pour le donner à un soldat de Senoussi. Crampel crut sans doute cet exemple nécessaire pour arrêter la défection commençante.

[66]25 fusils modèle 1874, armement du personnel de la mission, et 300 fusils à piston destinés à servir de cadeaux au Ouadaï.

[67]Plusieurs des assassins seraient encore à la cour de Senoussi : Allah Djabou, en particulier, est toujours chef de guerre.

[68]Cette résistance semble s’être prolongée assez longtemps, puisque cinq d’entre eux furent tués.

[69]On voit tomber le reproche de cruauté qui fut fait à sa mémoire, de même que l’accusation de trahison portée contre Niarinze. Comme tous les indigènes de la mission, elle détestait Ischekkad et elle se refusa à le suivre.

[70]Ces deux Sénégalais étaient encore à Ndellé en 1899 au moment de l’arrivée de Mercuri. Ils disparurent peu de temps après et Senoussi raconta que l’un d’eux, après avoir assassiné son camarade, s’était enfui au Ouadaï.

[71]Il paraît qu’Ischekkad se rendit librement chez Rabah et qu’il y mourut de maladie quelque temps plus tard.

[72]Le lieutenant Hanolet, que l’entourage de Senoussi appelle Alibou, séjourna quelque temps à Mbélé, mais il ne dépassa pas ce point. L’itinéraire de Mbélé à Kouga au Rounga que lui attribue M. Vauters lui fut sans doute donné par les caravaniers qui lui amenèrent des troupeaux à Mbélé, mais lui-même au dire de Senoussi ne pénétra jamais au Rounga.

[73]Senoussi m’a montré un magnifique fusil pour chasser l’éléphant que Hanolet lui avait donné.

[74]Il avait d’ailleurs publié divers articles intéressants, particulièrement sur les voies d’accès de l’Oubangui au Chari par le Kotto, dans le Bulletin de la Société de Géographie (7e série, XVIII, 1897, p. 129-178 et 340-384 ; XVIII, p. 496-518), La Géographie (III, 1901, p. 109-114 ; V, 1902, p. 216-218).

[75]Toussaint Mercuri, né en Algérie le 21 juillet 1871, mort à Ndellé le 21 juillet 1902, fit un premier séjour à Ndellé (janvier 1899-fév. 1900). Revint à Ndellé en janvier 1902 et y mourut 6 mois plus tard. La factorerie qu’il avait créée était gérée en 1902-1903 par M. Jacquier. Elle fut en janvier 1903 inspectée par M. Superville. Depuis elle a été abandonnée et la société, La Kotto, possède seulement une factorerie à Bria, sur la limite des Etats de Senoussi.

Bibliographie. — F. Mercuri, Conférence sur la mission de Béhagle (extrait du Bull. Soc. Géogr. Alger, 4e trim. 1900), Alger, 1900. — Dans le centre africain, 3 ans 1/2 au sud du Tchad, Constantine, 1900, 1 broch. 24 p. — Lettre du 4 janv. 1902 et article nécrologique, Bull. Soc. Géogr. Alger, 4e trim. 1902, p. 633-636. — Anonyme. La Kotto, Occupation et organisation de la Concession, extrait du rapport lu à l’assemblée générale le 28 déc. 1901 (1 carte), Paris, 1902.

[76]Neigel, Au cœur de l’Afrique (Bull. Soc. Géogr. d’Alger, 1903, p. 207).

D’après les rapports fournis par le capitaine Julien, le colonel Destenave a, dans les instructions spéciales données à M. Grech, résident à Ndellé, fixé le tribut de Senoussi à 40.000 francs, répartis ainsi qu’il suit : 25.000 francs comme impôt en nature (caoutchouc 2 tonnes, ivoire 2 tonnes, café 500 à 1000 kilogrammes), et 15.000 francs représentant la valeur des subsistances fournies à la résidence (alimentation des tirailleurs indigènes, etc.). En même temps le colonel Destenave informait M. Grech que, d’après le capitaine Julien, le territoire de Senoussi pouvait fournir 6 tonnes d’ivoire, 6 tonnes de caoutchouc, 500 à 1000 kilogrammes de café.

Aux termes du traité du 18 février 1903, conclu avec M. Fourneau, Senoussi s’engage à nous verser annuellement 300 kilogrammes d’ivoire, 3 tonnes de caoutchouc, 200 kilogrammes de café, 10 bœufs, 3 chevaux, 20 moutons, contre des marchandises et des munitions (F. Rouget, l’Expansion coloniale au Congo Français, Paris, 1890, p. 178)

[77]Un jour je lui énumérais les cadeaux que j’avais commandés en France pour lui, il me répondit : « Je te remercie, mais cela n’a pas grande valeur pour moi ; ce que je désirerais ce sont des fusils. »

[78]Achem a épousé Fatalou, sœur de Senoussi.

[79]Senoussi se fait appeler par les Arabes de son entourage Emir el Moumenin (Commandeur des croyants), titre que se donnait autrefois le souverain du royaume Foulbé oriental.

[80]Ces musulmans noirs sont appelés zrogues par les vrais Arabes.

[81]Certains bazinguers réputés Arabes usent même d’une boisson alcoolique (pipi ou mérissa).

[82]Au contraire le Ouadai peut d’après M. Grech disposer de 2000 cavaliers, en plus de ses 10.000 fantassins, armés en partie de fusils à tir rapide. Les aguids du Gandaba et du Salamat commanderaient, à eux seuls, à 600 cavaliers chacun.

[83]Courtet évalue à 200 le nombre de fusils à tir rapide qu’il y avait au défilé. Je suis porté à croire que Senoussi possède au moins 500 fusils se chargeant par la culasse.

[84]Outre l’armée régulière, Senoussi peut aligner de nombreux auxiliaires armés de lances et de sagaies. Ce sont pour la plupart des esclaves bandas et kreichs lui appartenant. Quelques-uns ont été mobilisés pour le tabour, notamment les chasseurs d’éléphants armés de longues lances à grande lame en forme de cœur. Je n’ai point vu à Ndellé, comme dans tous les pays fétichistes de l’Afrique centrale, de guerriers armés de couteaux de jet et de flèches.

[85]Directeur de la société commerciale « La Kotto », à Ndellé.

[86]Le toub est le grand vêtement que portent les Arabes.

[87]Senoussi se défend d’avoir des rapports avec le Dar Four, mais divers indices me permettent d’affirmer qu’il recherche des thalers pour acheter aux Anglais de cette région des étoffes communes, des guinées semblables à celles que l’on fabrique dans l’Inde et probablement des fusils.

[88]Pourtant j’ai vu entre les mains d’un esclave de Senoussi une pièce de guinée semblable à celles que l’on fabrique dans l’Inde ; et d’autre part le sultan me fit une fois observer que les Anglais n’acceptaient nos pièces de deux francs que comme un shelling.

[89]Ce serait alors que les Tambagos seraient partis vers le Bandéro.

[90]F. Rouget, ouv. cité.

[91]Cinq hectares environ.


CHAPITRE VII

EXCURSIONS AUTOUR DE NDELLÉ

I. Vers la Tété. — II. Voyage au Bangoran. — III. Voyage au Mamoun. — IV. De Ndellé à Ngara et au Bamingui.


I. — VERS LA TÉTÉ

Le 27 décembre, nous quittons Ndellé pour reconnaître la région du confluent de la Tété et du Boro. Les trois premiers kilomètres se font à travers d’étroits défilés entre les pittoresques blocs de grès qui surplombent la ville de Senoussi. Nous remontons quelque temps le ravin creusé par un ruisselet qui, un peu en aval de sa source, se perd sous des rochers, et enfin nous atteignons un vaste plateau ferrugineux (671 mètres). Les champs de mil, qui appartiennent à El Hadj Abdoul, s’étendent à perte de vue, ainsi que de belles cultures d’arachides, ombragés par les karités : on se croirait dans les vergers du Soudan Nigérien. En dehors de ces défrichements, l’aspect de la brousse est vraiment printanier : après l’incendie, les bourgeons éclatent et l’on voit apparaître les jeunes feuilles ou même les fleurs des légumineuses arborescentes ou des Landolphia owariensis. A 6 heures, nous campons dans un champ de mil, auprès de l’Ouhi. Cet affluent du Vou, qui lui-même se jette dans la Tété, n’est ici qu’un ruisseau marécageux, large de 10 mètres, mais profond de 0m,50 au plus, sans véritable galerie.

De ce campement jusqu’à la Tété, le plateau, formé par les grès horizontaux, s’incline assez rapidement. En 20 kilomètres environ, on descend de 658 mètres (près de l’Ouhi) à 487 mètres (près du confluent du Vou avec la Tété). Les moindres ruisseaux sont toujours très encaissés : le Korokiri, très près de sa source, s’enfonce de 8 mètres dans la latérite et les grès ; le Vou, à peine formé également, est à 525 mètres, tandis que la colline abrupte occidentale s’élève à 567 mètres ; comme la rive orientale est en pente beaucoup plus douce, un village a pu s’y établir. Les bords sont couverts de bambous qui s’étendent souvent jusque sur les plateaux. Ailleurs on traverse des bois épais de Vouapa, de Detarium, d’Afzelia dont les gousses entr’ouvertes laissent tomber leurs graines noires munies d’un arille rouge. L’étape de l’après-midi se fait dans la dépression que remplit la puissante galerie du Vou : de gigantesques guirlandes de Landolphia florida actuellement en fleurs grimpent au haut des futaies. Nous campons au village de Torogo, situé sur sa rive gauche. Quelques familles bandas logent ici dans des cases sur pilotis, qu’il a fallu surélever de 2 à 4 mètres en raison du nombre des panthères. Un escalier très raide permet d’entrer, par une ouverture extrêmement étroite, dans la case ; les soliveaux du plancher sont recouverts de terre, mais la paille a fait les frais des côtés comme du toit. Quelques habitations sont juchées sur les branches d’arbres à demi tombés.

A vrai dire, il s’agit moins de demeures permanentes que de villages de culture. Les divers petits groupes de cases où nous sommes passés depuis hier appartiennent à Senoussi qui y installe ses captifs lors de la récolte. Ils vivent des produits de leur travail, mais, à toute réquisition du sultan, ils doivent porter à Ndellé les grains dont il a besoin. La céréale dominante est ici le sorgho ; il y a à peine 1/3 de mil pour 2/3 de sorgho. Ce dernier comprend dans le pays une dizaine de variétés qui peuvent rivaliser avec celles du Soudan occidental. Partout le mil est actuellement en train de sécher sur des claies horizontales supportées par des piquets ; le petit mil beaucoup plus avancé est déjà emmagasiné dans les greniers, ainsi que l’Eleusine, mais cette graminée est assez rarement cultivée. Il n’en est pas de même du sésame, auquel on consacre fréquemment quelques parcelles des terres neuves et dont les tiges fructifères sèchent au soleil. Une nouvelle plante oléagineuse, l’Hyptis spicigera, fait son apparition. A Ndellé, on en fait déjà usage pour assaisonner la bouillie de mil, mais ici elle couvre autant de surface que le sésame. Citons encore, parmi les plantes fréquemment cultivées, le ricin, l’oseille de guinée et les patates qui, elles aussi, se récoltent en ce moment[92].

Notre étape du 28 s’accomplit d’abord dans une grande plaine ferrugineuse, presque partout couverte de bambous ; puis nous atteignons le Bahr Tété en un site charmant, ombragé de grands arbres et de superbes bambous ; la même essence forme une brousse claire et brûlée sur la rive droite où nous avons campé. Elle constitue des forêts entières des deux côtés de la rivière[93]. Ce bambou se présente par touffes de 10 à 30 troncs. Dans les endroits où il n’a pas été brûlé les années précédentes, il atteint environ 8 mètres de hauteur moyenne, et dépasse assez souvent 10 mètres. Les tiges, d’un vert glauque, où une bractée couverte de poils roussâtres persiste à chaque nœud, laissent actuellement tomber leurs feuilles par groupes de cinq à six attachées à une ramule[94]. Le sous-bois n’existe pour ainsi dire pas dans ces forêts de bambous.

Fig. 33. — Futaie dans le pays de Senoussi.

Près de notre campement, le Bahr Tété s’élargit jusqu’à 10 et 12 mètres ; de nombreux troncs d’arbres obstruent parfois son cours assez rapide, mais il n’y a pas de blocs de pierre. La profondeur moyenne n’est que de 0m,50 à 0m,70, mais il y a aussi des fonds de 1m,50 et d’autre part des bancs de sable sont déjà asséchés. Les berges, élevées de 1m,50, sont surmontées d’une galerie dont la largeur ne dépasse pas 20 à 30 mètres et se réduit souvent à beaucoup moins. Ailleurs, il n’y a pas d’arbres, mais de grandes prairies où l’incendie vient de consumer des herbes hautes de 2 mètres, ou des marais de Mimosa aspera, où des empreintes des éléphants sont nombreuses. Dans la galerie nous remarquons la présence des Elæis[95] qui, lorsqu’ils sont jeunes, ne se distinguent des Calamus[96] que par leurs feuilles plus grandes.

Le jour suivant, nous remontons la vallée du Tété, puis celle de son affluent le Boro. Elles s’entaillent dans des plateaux dont la tranche montre, à la base, des quartzites, plus haut, des grès horizontaux que surmonte souvent un placage de roche ferrugineuse. Nous cheminons au milieu d’interminables forêts de bambous ; ils sont si drus que d’une même souche on voit naître jusqu’à 50 rejetons. Près du confluent du Boro, une clairière et de belles cultures nous signalent le village de Ndofouti, composé de huttes carrées à double étage, à toit de chaume arrondi. Il est entouré de magnifiques champs d’Hyptis, de mil, de sorgho, d’éleusine, de tabac, de plante à sel, de ricin, de patates.

Nous restons dans cette région jusqu’au 2 janvier 1903. La galerie du Boro nous réservait en effet la surprise de la découverte d’une espèce nouvelle de café, le Coffea excelsa. A noter la fraîcheur des nuits et des matinées en cette saison : l’avant-midi nous sommes obligés, pour travailler, de nous installer auprès du feu. Le manque de vivres nous oblige à précipiter notre retour : nos porteurs ne mangent que des tubercules, et des petits mammifères qu’ils déterrent surtout dans les anciennes termitières. Notre désir d’aller au Kaga Batolo est d’ailleurs déjoué par l’obstination des gens de Senoussi : le sultan ne leur ayant pas donné l’ordre de nous y conduire, les plus beaux cadeaux ne peuvent les décider à nous y mener[97]. Le retour se fait par la brousse où çà et là de véritables prairies de lianes des herbes couvrent le sol de leurs jeunes pousses au feuillage vert clair. Les incendies ont partout anéanti la végétation herbacée, tandis que les arbustes se couvrent de feuilles et de fleurs. Des racines séculaires qui s’enchevêtrent dans le sol émettent des pousses qui ont des feuilles, des fleurs et fructifient dans l’espace de quelques semaines ; l’année suivante, elles seront la proie des flammes et de nouveaux rejetons apparaîtront pour subir le même sort. Voilà pourquoi le bush reste toujours une savane claire. Le 3 janvier nous campons à Ndé, peuplé de captifs bandas. De ce village à Ndellé, soit pendant 3 heures et demie de marche, le sentier traverse presque constamment des champs de mil déjà récoltés. Une heure avant notre arrivée, nous passons à peu de distance de la source de l’Ouhi bordé de quelques arbres. En certains endroits, l’Ipomœa involucrata en corolles d’un rose vif forme des corbeilles du plus ravissant effet. Nous rentrons à Ndellé par les sources du ruisseau qui a donné son nom à la ville, passant dans d’étroits couloirs creusés entre des blocs de grès ruiniformes pour arriver dans l’hémicycle de rochers où Senoussi a fondé sa capitale.

Fig. 34. — Caféier géant du pays de Senoussi (Coffea excelsa).

1. Rameau fructifère. — 2. Coupe transversale d’un fruit. — 3. Coupe verticale d’un fruit. — 4. Coupe verticale d’un fruit entre les deux graines. — 5. Fruits isolés. — 6. Insertion des rameaux et sections transversales des jeunes tiges. — 7. Groupe de fleurs non épanouies. — 8. Coupe verticale d’une fleur.

J’ai l’agréable surprise d’y rencontrer M. Superville que j’avais connu au Sénégal. Administrateur-Adjoint de première classe, il s’est chargé des intérêts de la société La Kotto dont dépend le comptoir installé ici par M. Mercuri, et, accompagné du garde de milice Cachat, son collaborateur, il vient de chercher la route de Ndellé à la factorerie de Kassa, au confluent de la Kotto et de l’Oubangui[98]. Il a remarqué que la végétation caractéristique du Soudan n’apparaît qu’au N. de Bria, sur la Haute-Kotto, avec la brousse claire, régulièrement incendiée, et les bois de bambous. Le grand caféier existe tout le long de la haute et de la moyenne Kotto ; c’est lui qui fournit le café en petits grains de l’Oubangui. Il a noté aussi l’absence de kagas en dômes sur sa route où, par contre, les tables de grès présentent fréquemment un aspect ruiniforme des plus pittoresques. L’érosion y a été intense ; comme en témoignent les marmites de géants et les grandes vallées qui figurent de vrais bras de mer. Les grès horizontaux n’apparaissent que vers les sources de la Kotto où on les voit reposer sur les quartzites qui se poursuivent jusqu’au bord de l’Oubangui.

Le soir nous sommes allés remercier le sultan de l’aide qu’il avait prêtée à notre excursion. Je le félicite de la beauté des champs de mil et du soin déployé par ses esclaves dans la région que nous venons de parcourir. Il nous répond qu’un pays où les captifs ne travaillent pas n’est pas un bon pays. Nous entretenant des végétaux que nous avons recueillis, il nous affirme que le café existe ailleurs qu’au Boro. On le trouverait aussi sur les bords d’un affluent de droite du Bahr Tété, le Dakéso[99]. Sur les bords de toutes les rivières du bassin de la Tété, on rencontre le palmier à huile[100] et, près de quelques-unes, le Raphia, mais celui-ci abonde surtout au pied du Kaga Bongolo[101]. A l’appui de ces renseignements, Senoussi me fait apporter du café du pays en grains et en poudre extrêmement fine, de l’huile de palme, un fruit de Raphia et un fauteuil fait avec les rachis de ce palmier. Je profite de la bonne volonté du sultan pour lui indiquer l’intérêt qu’il y aurait pour nous à aller visiter les gisements de cuivre d’Hofrat. Il me répond que les montagnes où ils se trouvent, et même les monts de Manga, sont sous la domination du Dar Four et appartiennent aux English : c’est ainsi qu’il désigne ses voisins de l’E.

Le 14 janvier 1903, nous partons pour Ara et Mbélé, accompagnés par MM. Superville et Cachat au début de notre voyage. Jusqu’à Mba, où nous campons, le sol est formé de roche ferrugineuse recouvrant les grès horizontaux et, sous ceux-ci, le granite affleure parfois. Nous passons au pied du Kaga Firindi, constitué par un entassement de tables gréseuses[102]. A quelque distance au S. de Mba le plateau, d’une élévation moyenne de 685 mètres, est interrompu par une curieuse falaise qui se poursuit du Bongolo au Maoro, c’est-à-dire du N.-O. au S.-E., sur une longueur de 12 kilomètres. La partie abrupte regarde la vallée du Haut-Bangoran dont les nombreux affluents l’animent de leurs cascades[103]. Haute de 50 à 90 mètres, cette falaise d’un blanc rougeâtre est taillée à pic dans le grès horizontal dont les gigantesques tables surplombent parfois notre sentier. Au-dessus, le plateau étend à l’infini le même paysage de brousse calcinée chaque année ou de bois de bambous presque impénétrables. Les rochers sont couverts d’aloès, de Cissus et d’une grande euphorbe cactiforme à six côtes. Dans les fissures la végétation est assez riche ; les rameaux fleuris des lianes pendent en longues guirlandes, où les racines des Ficus, tordues comme des cables, vont chercher quelque crevasse pour s’y cramponner solidement. De gros cynocéphales sautent en aboyant d’une table à l’autre ; des vautours planent sans cesse autour des précipices où sont dissimulés leurs nids ainsi que ceux des hirondelles.

C’est dans une anfractuosité de cette falaise qu’une tribu banda, celle des Mbatas, forma un véritable village qui sut résister même aux attaques de Rabah. Senoussi, en 1897 ou 1898, ne put venir à bout de ses habitants que par la faim. Il transporta une partie des prisonniers dans un nouveau village entre Ndellé et Mba. Les cavernes où se prolongea la résistance des Mbatas sont situées en un point de la falaise où celle-ci atteint 85 mètres de haut. A 15 mètres au-dessus de la plaine s’enfonce une première cavité, recouverte en grande partie par une énorme table de grès épaisse de 10 mètres ; au-dessus de celle-ci existe une seconde série d’anfractuosités dont l’entrée est obstruée par des poutres, sauf un étroit passage par où l’on ne peut pénétrer qu’en rampant. Mais c’est surtout la terrasse inférieure qui fut habitée. Les Mbatas avaient construit sur sa partie antérieure plusieurs cases dont les débris sont encore reconnaissables. De plus ils pouvaient se réfugier dans un couloir long de 30 mètres sur une largeur de 1m,50 et une hauteur de 2 mètres, où une obscurité complète leur permettait de se dissimuler facilement ; l’eau y filtre goutte à goutte et vient s’accumuler dans un réservoir qui leur épargnait la peine et le danger de descendre au ruisseau voisin. On trouve sur cette terrasse de nombreux vestiges qui prouvent la durée de l’habitat humain, mais aucun objet préhistorique n’a été rencontré. Les troglodytes se servaient d’instruments en fer, dont on relève les traces sur la roche, d’auges en granite pour écraser le mil, de poteries, de sparterie. Par endroits des monceaux considérables de coques de fruits, de débris de cuisine. Il n’est pas jusqu’aux plantes introduites par les Mbatas qui n’aient persisté, soit au bas de la montagne dont le sol meuble atteste une longue mise en culture, soit sur la terrasse où quelques parcelles de champs devaient leur fournir des aliments en cas de blocus. Parmi ces plantes, j’ai reconnu le Kondjo, igname sauvage, le Luffa cylindrica le ninigago, etc. Aujourd’hui les abris des Mbatas ne sont plus habités que par des chauves-souris, dont la fiente blanchit les anfractuosités de ces rochers.

Fig. 35. — La grande falaise et les grottes où les Mbatas s’étaient réfugiés.

Au S.-E., le plateau se poursuit presque sans ondulations, avec une altitude d’environ 720 mètres, et nous franchissons le Bangoran, à 4 ou 5 kilomètres de son origine, selon M. Superville[104], ce n’est qu’un ruisseau large de 3 mètres et profond de 0m,30, bordé d’une galerie insignifiante[105]. Nous cheminons ensuite dans une forêt de bambous jusqu’au village ngao d’Ara, où nous campons.

Ara, 16-17 Janvier. — Des deux côtés du Dirokourou, ruisseau bordé de quelques arbres espacés, on voit éparpillées une cinquantaine de zéribas comprenant chacune une dizaine de cases. La population est d’environ 1000 habitants, soumis par Senoussi vers 1896[106] ; quelques-uns sont armés de fusils. Les cultures de mil sont assez étendues ; les cabris et les volailles assez nombreux.

La brousse traversée pour aller conduire MM. Superville et Cachat au Bamingui est une épaisse futaie de bambous, avec çà et là des clairières de bush où existent les Landolphia owariensis et L. Heudelotii[107]. Des termitières, hautes parfois de 5 à 6 mètres, élèvent leurs clochetons couleur de rouille au milieu des arbres sur lesquels elles s’appuient quelquefois. J’ai remarqué de jeunes tamariniers dont les troncs étaient ainsi englobés jusqu’aux branches. Les termites vivraient-ils en association avec les tamariniers ? Cela expliquerait pourquoi presque tous les tamariniers adultes du Dar Banda sont environnés à leur base d’un monticule de terre arrondi, haut parfois de 4 à 5 mètres, et qui paraît être une termitière abandonnée. — Le Bamingui mesure 8 mètres de large et 0m,50 de profondeur au point où le franchit la route d’Ara à Diouma[108] ; tout près de là, il franchit un seuil où, réduit à n’avoir que 2 mètres en certains endroits, il descend de 6 mètres en 50 mètres. Il est entouré d’une imposante galerie large de 100 mètres, où je reconnais de nombreux Calamus épineux, le Coffea obscura et la Landolphia florida en fleurs.

Nous quittons MM. Superville et Cachat qui retournent à Mouka par Diouma et nous revenons à Ara.

Le lendemain (18 janvier), nous nous mettons en route vers Mbélé. Le chemin est très suivi ; de nombreuses sentes le coupent ou y aboutissent. Les plateaux de grès horizontal, recouvert le plus souvent de roche ferrugineuse, s’élèvent lentement vers l’E., de 703 mètres à Ara jusqu’à 827 mètres aux collines qui dominent Mbélé (50 kilomètres). Nous cheminons toujours au milieu de la brousse incendiée[109] et des grandes termitières de terre rouge ; dans les bouquets d’arbres, les bambous, les Vouapa, les Daniella, les Lophira, les Butyrospermum, les Parkia, les Terminalia, les Combretum sont les essences les plus fréquentes. Nous traversons différents ruisseaux, le Ngriki[110], affluent du Bangoran, le Manifo, affluent du Boro, où Courtet retrouve le Coffea excelsa, le Zakara, affluent de la Gounda. La Koumbara qui est également un affluent de la Gounda, est une belle rivière large de 3 mètres et profonde de 0m,30, au courant assez rapide[111]. Elle coule entre des blocs de grès horizontal et présente çà et là de petites cascades. Sa galerie, large de 100 mètres, ne renferme ni Elæis, ni Raphia, ni caféiers, du moins en cet endroit.

Fig. 36. — Landolphia owariensis (liane à caoutchouc) dans le bush.

Plus à l’E., nous coupons le ravin du Vourou près de son origine, qui est à quelques centaines de mètres à notre droite. Il présente encore en cette saison quelques flaques d’eau sans écoulement et il est environné d’Eugenia guineensis ; la galerie doit commencer un peu plus bas.

A une heure et demie du Vourou, nous arrivons à l’emplacement de la ville kreich de Mbélé[112]. Dominée par des mamelons de grès horizontaux recouverts de roche ferrugineuse, elle est située dans une dépression assez profonde[113] au confluent de deux ruisseaux, la Gounda et la Mi. Si l’on remonte la vallée de la Gounda on trouve, à 4 kilomètres de la ville, une large dépression peu inclinée qui rassemble les eaux de pluie. Puis, brusquement, un ravin large de 2 mètres et profond de 3 s’encaisse dans la roche ferrugineuse ; un peu plus bas il s’élargit et les versants deviennent moins abrupts. C’est ici qu’en saison sèche apparaissent quelques flaques d’eau ainsi que les premiers arbustes, les Eugenia guineensis, dont le port rappelle celui du Bouleau blanc, marquent toujours, dans ces vallées, le début de la galerie ; 300 ou 400 mètres plus bas, un filet d’eau large de 0m,50 commence à couler entre des blocs de grès ; la galerie s’élargit jusqu’à 150 mètres à Mbélé et les grands arbres, hauts parfois de 50 mètres, deviennent de plus en plus serrés[114]. Nous y observons le ngriki dont le fruit, semblable à un gland, est recherché par les indigènes, un arbre immense (peut-être une Sterculiacée) où les premières branches naissent à 30 mètres au-dessus du sol, l’Eriodendron anfractuosum que nous n’avions plus vu depuis la Nana[115]. Plus loin des rives le bambou d’Abyssinie pousse en quantité et les chaumes de grands Andropogon desséchés s’élèvent à 2 et 3 mètres. La galerie du Mi est beaucoup moins importante : 50 mètres à peine et sa dépression ne remonte pas à plus de 1500 mètres.

Au confluent de ces deux ruisseaux les ruines disparaissent à demi dans les bambous ; le sol est couvert de pas d’éléphants et de buffles. Le tata du sultan Mbélé, qui était situé dans le quartier Nord[116], est presque recouvert par la brousse ; les murs épais de 0m,40 s’élèvent à peiné à 0m,50 au-dessus du sol, là où la trace n’en a pas totalement disparu. On peut relever encore l’emplacement de 200 ou 300 cases dont les murs n’ont plus que 0m,30 à 0m,60 de haut et les vestiges des buttes où l’on plantait le mil et les patates[117]. L’ensemble de ces habitations pouvait s’étendre sur une centaine d’hectares, c’est-à-dire sur une superficie comparable à celle de Ndellé : la population pouvait donc être de 10,000 âmes. Ce peuple, dont la nature africaine aura bientôt fait disparaître les dernières traces, était kreich, ainsi que son chef Mbélé. Il s’était formé ici un centre commercial assez important sur la route des sultanats de l’Oubangui à l’état ouadaïen du Dar Sila, où les marchands arabes venaient acheter des captifs et envoyaient des armes. Les guerres de Mbélé contre l’autre grand chef kreich Balda fournissaient de nombreux esclaves au marché. Mbélé ne put résister aux attaques de Senoussi[118] dont l’état, constitué selon les mêmes principes et dans le même but, était mieux armé. En 1896, Mbélé fut obligé de fuir ainsi que toute la population ; il aurait fondé un petit sultanat au S.-E., maintenant son indépendance à l’égard de Balda.

Mbélé se trouve presque à la limite des bassins du Chari, de l’Oubangui et du Nil.

A 5 kilomètres au S.-E. des sources de la Gounda, sous-affluent du Chari, nous arrivons au milieu des bambous, à l’origine de la Bata qui va à l’Oubangui par le Bou, le Boungou et la Kotto. Une grande clairière à sol argileux et couverte de plantes aquatiques actuellement[119] à demi desséchées, avec encore çà et là des flaques d’eau jaunâtre ; ce doit être un marais inabordable à l’hivernage. En cette saison on y trouve en quantité les pistes de grands mammifères ; les éléphants piétinent chaque jour si bien le marais que nos chevaux ont grand peine à se tirer de ces fondrières ; les indigènes creusent des fosses près de cette dépression pour capturer les buffles qui vont s’y vautrer. Le marais se rétrécit ensuite en un ravin bordé d’arbres et il se constitue un ruisseau où l’eau coule encore en cette saison. Nous avons parcouru la brousse voisine, rencontrant quelques Borassus, jusqu’à 4 kilomètres des sources. En ce point le ravin s’encaisse de 8 mètres dans l’argile jaune ; le ruisseau a 3 mètres de largeur et 0m15 de profondeur, on y remarque de petits poissons. Une très belle galerie[120], large de 80 mètres, renferme des arbres superbes dont les troncs, çà et là renversés, viennent parfois barrer le ruisseau.

Après cette étude, nous revenons à Mbélé pour nous diriger ensuite au N., vers la Bakaka. Toujours l’interminable plateau de grès et de roche ferrugineuse, où les éléphants déterrent les rhizomes des bambous, et où l’on relève de nombreuses traces d’antilopes et même de girafes. Nous franchissons divers affluents de la Gounda, le Dirikaia et la Ngawala, qui présentent à peu près les mêmes caractères : au bas de berges, hautes de 10 à 12 mètres, si abruptes que les porteurs ont peine à passer, coule un ruisseau large de 2 à 3 mètres actuellement et profond de 0m,15 à 0m,20. Le lit est encombré de troncs d’arbres morts dans la galerie épaisse[121]. De là à la Bakaka nous traversons un plateau ferrugineux, à peine en saillie sur le reste du pays (altitude : 797 mètres) : voilà ce qui constitue le « faîte » entre les bassins du Chari et du Nil, car, d’après Senoussi, la Bakaka va au Dar Four rejoindre l’Ouadi Kabassa. C’est ici un ruisseau large de 4 mètres, profond de 0m,30, à fond sablonneux, à courant assez fort[122], entouré d’une galerie, large de 100 mètres, où dominent les Rotang[123]. A travers les roseaux et les fourrés inextricables de Calamus, les éléphants se sont frayé mille sentiers qui se croisent en labyrinthe ; ils ont complètement usé et poli l’écorce des arbres à force de s’y gratter le dos.

Fig. 37. — Tronc d’arbre à Mbélé, enveloppé par les racines adventives d’un Ficus.

Le plateau s’incline doucement au N.-O. de la Bakaka vers le confluent de la Gounda et de la Dornatt, dont nous descendons la vallée au milieu des bois de bambous et de Raphia que traversent à l’hivernage des ruisseaux actuellement taris[124]. Le 24 janvier, nous arrivons dans une région de rochers dominant la plaine de 8 à 10 mètres. Ils s’éparpillent au milieu de la splendeur printanière de la brousse, où la plupart des arbres sont actuellement parés de leurs nouvelles feuilles, où les Butyrospermum, les Lophira, les Eugenia chargés de fleurs blanches et parfumées font ressembler le bush soudanais aux vergers normands d’avril et de mai. D’une infinie diversité les rochers gréseux se présentent tantôt en grandes tables régulières portées par des piliers rétrécis, tantôt en fines aiguilles, en créneaux, en falaises trouées de grottes profondes. Monuments celtiques, débris de camps romains, ruines de châteaux du moyen âge ; l’imagination la plus fertile ne peut épuiser le nombre des compositions que suggère ce paysage. La pierre près de laquelle nous campons est un immense monolithe à moitié renversé, d’environ 20 mètres de haut. Sa cîme est couronnée d’aloès, et de nombreuses sociétés de mellipones ont élu domicile entre ses fissures où le soir on voit rentrer chargés de pollen les insectes de la taille d’un moucheron. Parmi les rochers qui composent le kaga Toulou, une grande falaise orientée N.E.-S.O. est percée de part en part par une grotte capable d’abriter une peuplade tout entière. L’entrée est étroite, presque à fleur de terre, il faut se baisser pour passer. Une petite cavité arrondie, creusée dans la roche, indique que l’on pouvait placer là un obstacle qui permettait d’obstruer l’entrée. Le seuil franchi on pénètre dans une grande salle circulaire d’une vingtaine de mètres de diamètre. La falaise étant percée de part en part un filet de lumière pénètre du côté opposé à l’entrée. L’homme a laissé dans cette grotte des traces ineffaçables de son passage : les murs sont tout enfumés, le sol est jonché de débris de poteries contemporaines et même de fragments de sparterie en décomposition. Les blocs de pierre qui font saillie sont polis et luisants tant on s’est assis dessus. Certains blocs sont creusés en godets et ont servi, d’après les indigènes, à pilonner du mil et du tabac. En quelques endroits les parois sont creusées à hauteur d’homme d’anfractuosités artificielles qui étaient destinées à recevoir divers objets domestiques. On retrouve des coques de fruits, des fragments de bois grossièrement travaillés, des os, des coquilles du grand hélix de la contrée. Tout indique que l’abandon de ces grottes remonte à quelques années seulement.

Les chauves-souris et les Hyrax sont les seuls habitants actuels de ces repaires. Dès qu’on pénètre dans la grotte une odeur nauséeuse et un nuage de fine poussière se soulève et vous irrite la gorge. En plusieurs endroits il faut se baisser et même ramper pour passer des blocs de grès tabulaires éboulés. Enfin on pénètre dans une seconde salle tournée au S., moins large, mais à plafond plus élevé et mieux éclairée par une large baie regardant le S.-E. et précédée d’une large terrasse surélevée de 15 mètres dans le rocher à pic, de ce côté les hommes armés de sagaies pouvaient tenir à l’écart les assaillants privés d’armes à feu. La deuxième chambre se continue latéralement par un couloir obscur long d’une quinzaine de mètres qui va se perdre dans le fond de la roche.

En un point de cette salle le plafond est percé d’une cheminée verticale de près de 2 mètres de diamètre qui s’ouvre au sommet même du roc, la roche rougie indique qu’en cette place on entretenait fréquemment un foyer.

A l’O. du Kaga Toulou la Dornatt se jette dans une rivière nommée Kourou, qui n’est autre, sans doute, que la continuation de la Gounda et le cours inférieur du Moussoubourta, affluent du Boungoul. Le Kourou[125] mesure ici 8 mètres de large, 0m,30 de profondeur (26 janvier) ; il coule sur un lit de cailloux entre des blocs de grès ; son lit est encombré d’énormes troncs d’arbres renversés entre des escarpements assez faibles : 1 mètre sur la rive droite, 6 mètres sur la rive gauche. La galerie se réduit à 10 ou 30 mètres de largeur au milieu de la brousse à bambous. Quelques heures de marche vers l’O. nous conduisent au Kaga Diffili, amas de blocs de grès horizontal, et à la Tété : nous reprenons alors en sens inverse notre ancien itinéraire pour rentrer à Ndellé (27 janvier).

27 et 28 janvier. — Le sultan s’est laissé complaisamment interroger sur les régions limitrophes du Dar Four. La rivière Bakaka que nous avons traversée au N. de Mbélé va bien se jeter dans l’Ouadi Kabassa de type désertique. Ce Kabassa ne communique pas avec la rivière de Hofrat qui va vers l’Adda sans jamais se dessécher. Le nom de Bahr-el-Fertit que lui donnent les cartographes est inconnu, et l’Abiod, selon Senoussi, pourrait tout aussi bien le porter. A quelques centaines de mètres, de la rivière, les habitants d’Hofrat fouillent le sol pour en extraire le cuivre.

II. — VOYAGE AU BANGORAN

Le 7 février nous nous dirigeons à l’E. de Ndellé vers le cours moyen du Bangoran. Après avoir franchi le Djigangou, nous apercevons à notre gauche une série de mamelons granitiques, hauts de 20 mètres, où la roche plutonienne est en contact avec des quartzites[126]. Sur ces grandes savanes le feu a accompli son œuvre de renouvellement ; les arbustes ont repris leur parure de jeunes feuilles et de fleurs. C’est la saison des Combrétacées, des Terminalia surtout. Les buffles et les antilopes de petite taille apparaissent fréquemment. Le Mindjaengoulou, que nous suivons jusqu’à son confluent avec le Bangoran, est large de 6 à 15 mètres. Son lit s’encaisse de 2 à 5 mètres dans la roche ferrugineuse. En cette saison, il est presque complètement asséché ; il ne reste que des flaques parfois profondes d’un mètre, d’une eau jaunâtre, sans communications entre elles. Plusieurs familles bandas se livrent à la pêche des Siluridés et autres poissons réfugiés dans ces mares. Une très étroite galerie comprend surtout des Vitex cuneata, des Afzelia africana. Les seules lianes sont la Landolphia florida et un jasmin.

Le 9 février nous atteignons le confluent du Mindjaengoulou à 60 kilomètres environ de Ndellé. Le Bangoran qui a gardé jusqu’ici une direction S.E.-N.O. dévie assez fortement vers l’O. après avoir franchi, à 1 kilomètre du confluent, un barrage de bancs de sable où germe à cette époque un fin gazon de plantes annuelles. Le bief supérieur, du nom d’Abdeli, constitue ici un grand réservoir qui conservera plusieurs mètres de profondeur quand, dans quelques semaines, le cours inférieur se réduira à une série de flaques recouvertes d’une couche grise de protozoaires. L’Abdeli présente vers l’E. une berge presque abrupte sur 10 à 15 mètres de hauteur ; la roche ferrugineuse, qui forme cette falaise, est creusée d’une infinité de nids, de guêpiers au milieu desquels couvent les petites poules pharaons. Les hippopotames remontent jusqu’ici en hivernage, comme le prouve la présence de vertèbres d’un hippopotame adulte ; j’ai reconnu aussi des carcasses de crocodiles et des squelettes de gros poissons à plaques osseuses. Les buffles, les antilopes, les phacochères viennent comme les carnassiers, leurs ennemis, boire près des bancs de sable.

Le 12 février nous étions de retour à Ndellé où venaient d’arriver MM. Fourneau, Bruel et Kieffer.

III. — VOYAGE AU MAMOUN

A la fin de janvier, j’avais commencé à interroger les indigènes sur la position de ce lac mystérieux. Senoussi prétendait qu’il était situé à la limite du Dar Four et du Dar Rounga, distant de 15 journées de Ndellé dont 5 jours après le dernier village appartenant au sultan. On comparait son étendue à celle du lac Iro ; ce qui la portait à 200 ou 300 kilomètres carrés. Quelques-uns y faisaient aboutir de nombreuses rivières des pays Kara et Fongoro, situés à l’E. et au N. du lac qu’on disait se déverser dans l’Aouk. A l’E., au S., il y aurait eu également de vastes étangs, quoique de moindres dimensions : l’impression populaire était celle d’un complexe de lacs et de marécages très étendu, sur lequel — fait qui avait frappé l’imagination — les habitations s’élevaient sur pilotis. Les Goullas Homer, les Fongoros, les Karas seraient des pêcheurs analogues aux populations insulaires du Tchad ; mais des fractions de ces tribus ou d’autres voisines, comme les Bingas, les Youlous, m’affirmait-on, ne viennent que temporairement sur ses rives ; le plus souvent elles vivent retirées dans des pays de kagas situés à 4 ou 5 jours du Mamoun, où des citernes naturelles leur permettent de passer la saison sèche. L’entourage de Senoussi les considérait comme assez redoutables par leur possession de nombreux fusils ; le sultan ne nous permit de nous aventurer chez eux qu’accompagnés de 40 bazinguers chargés de veiller sur notre sécurité. Nous dûmes attendre le retour d’une partie de la razzia d’Adem pour commencer notre voyage.

Le 7 mars, sous la conduite d’Aïssa, chef que Senoussi avait désigné pour nous accompagner, nous partons enfin vers le N., à travers une plaine presque entièrement cultivée, où les passereaux s’envolent nombreux des champs de mil. Sur notre droite, la falaise gréseuse nous domine d’environ 40 mètres ; 3 ou 4 marigots en descendent, actuellement réduits à des chapelets de mares[127]. Nous croisons une caravane de marchands arabes envoyés chez Senoussi par le sultan du Dar Sila ; assez faible, elle se compose de 15 ânes porteurs d’une douzaine de ballots. Peu après nous arrivons au village de Golo (7 kilomètres environ de Ndellé) qui paraît assez prospère ; le mil abonde près de ses 50 cases, et les habitants en portent sans difficulté sur l’ordre du sultan. Ils comprennent à la fois des Bandas et des Ndoukas, commandés par un chef de chaque fraction. Un gneis à grands cristaux, d’un beau rouge, affleure sous les grès où s’enfoncent des abris enfumés, jadis habités. A l’O. du village se dresse assez brusquement le kaga Yapéré ; une brousse de graminées sèches, avec de petits arbres de 5 à 8 mètres, recouvre les flancs jusqu’à un sommet déprimé où la végétation arborescente devient plus dense et plus belle.

En quittant Golo, nous faisons l’ascension de la falaise[128] où commence le plateau de grès horizontaux surmonté de roche ferrugineuse et fort boisé (Vouapa, Daniella, Detarium, Parkia, tous en fruits). Dans des dépressions, où nous traversons le lit à sec d’affluents de la Tété, le sol composé d’humus et d’argile présente des fourrés de bambous. Parfois on rencontre les diverses lianes à caoutchouc.

Le soir nous descendons au village ndouka de Mansaka dont le chef, un Arabe du nom d’Abdoulaye, étend son autorité sur tous les villages environnants. L’importance de cette localité ne lui vient pas seulement de sa population (300 habitants), mais aussi de sa position, à la limite du Kouti, sur une route très suivie par les caravaniers du Dar Sila. Bien que musulman, Abdoulaye entretient à l’intérieur de sa zériba une place fétiche, encombrée de trophées de chasse et d’un bonnet de sorcier.

Fig. 38. — Encephalartos septentrionalis.

1. Plante complète. — 2. Une foliole. — 3 Ecaille du cône C. — 4. Graine vue dans le sens vertical. — 5. Coupe verticale d’une graine. — 6. Vue du sommet de la graine. — b. Bulbe. — c. Cône. — fe. Feuilles très jeunes. — fj. Feuille jeune. — f. Feuille adulte. — r. Racine.

La courte étape du 9 mars, de Mansaka à Djalmada, se fait au milieu d’un pays très accidenté[129]. La falaise que nous laissons à l’E., détache sur notre route des collines de quartzites, parfois injectés de roches éruptives et séparés par de profonds vallons actuellement sans eau[130]. La végétation, très épaisse, est très fournie en arbres utiles (Parkia Butyrospermum) et fait de ce pays l’un des plus riches que nous ayons traversé dans les états de Senoussi.

Près du village de Djalmada de grands champs de mil sont ombragés de beaux arbres comme en Sénégambie : Parkia, Daniella, Butyrospermum, Ficus, Tamarindus, Lophira. Entre les cases nous voyons des poulets, des chiens comestibles, quelques ânes.

Au N.-E. du village nous retrouvons (10 mars) le même paysage accidenté, formé de quartzites inclinés vers le S. Certaines couches plus tendres ont laissé des vides occupés par des conglomérats ferrugineux remaniés. En certains endroits la roche ferrugineuse affleure, englobant à son contact avec les quartzites, des fragments non roulés, de plusieurs décimètres cubes de volume. La végétation du plateau est très pauvre et relativement en retard ; un feu de brousse vient de brûler l’herbe sèche et les bourgeons des arbres n’ont pas eu le temps de s’ouvrir. Dans une dépression cultivée, un village a été récemment et complètement consumé ; il ne reste plus une seule case et les habitants logent dans une petite paillette provisoire. Des cendres, fumantes encore, émergent les bancs en terre ornés de moulages grossiers et les grands vases en terre sèche où l’on entasse le grain après la récolte. Au N. s’étend un vaste plateau sans végétation, assez bas[131], très humide en hivernage si l’on en juge par le sol tout fendillé. On y trouve une fontaine, connue sous le nom de Kouboudoukou par les caravaniers. Cette fontaine, comme il en existe dans le N. du pays banda, au Sénégal (les séanes des Peuls) et partout où les cours d’eau permanents font défaut, est une simple cavité cylindrique de 0m,50 à 2 mètres de diamètre, dont on augmente la profondeur suivant les besoins. Ici l’eau affleure à un mètre du sol. Elle sort goutte à goutte d’une argile blanche et s’accumule au fond. Comme elle a pu se décanter la nuit, elle est généralement assez limpide le matin, mais à mesure qu’en puisant la calebasse touche le fond, elle devient terreuse et garde sa couleur blanchâtre même conservée dans des vases ou passée dans un filtre à charbon[132]. Une heure de marche nous conduit de là au Méla, affluent de la Tété. Il possède une galerie de 40 mètres de large, formée par des Eugenia owariensis, des Erythrophleum, des Landolphia florida. Dans cette région je constate diverses modifications de végétation et de flore. La galerie de Koundé sera la dernière vers le N. Plusieurs plantes disparaissent à mesure que nous nous éloignons de l’équateur : le Piper Clusii ne dépasse pas Djalmada, ni le Raphia la galerie de Koundé. Les jours suivants nous amèneront au-delà de l’aire d’extension du Landolphia owariensis et du bambou, puis de la liane des herbes. Par contre nous trouverons pour la première fois plusieurs Capparidées du N. (Boscia, Capparis, etc.) ainsi que le Combretum aculeatum. Ces Capparidées seront de plus en plus communes ainsi que les Loranthus, dans les plaines dénudées que nous traverserons près de la Moussoubourta. A 3 kilomètres du Méla le village ndouka de Koundé est bâti sur le bord d’une dépression marécageuse traversée par un ruisseau, et bordée d’une superbe galerie constituée pour la plus grande partie par des Raphia actuellement en fleurs et en fruits. Il s’y mêle des lianes, de grands Sarcocephalus, des Uapaca et, sous le couvert épais, des Scitaminées et des Aroïdées. Sur la lisière les nombreuses termitières sont presque toujours surmontées par des Tamariniers. Les grands ruminants (antilopes) abondent dans la contrée. Les cultures du village, ombragées par de beaux Daniella, se font remarquer par leur air de prospérité, la fertilité du sol, l’activité des indigènes.

Au voisinage d’Akoulousoulba des collines de quartzites bordent la route et nous campons à ce village les 11 et 12 mars. Au N., nous retrouvons encore pendant 9 à 10 kilomètres les blocs de quartzites mêlés aux conglomérats ferrugineux, qui ensuite forment, avec un diluvium blanc, le sol de la plaine qui s’incline doucement vers la Tété. Dans certaines cuvettes, peu ou point boisées, bordées de termitières, on remarque la trace de la persistance des eaux après l’hivernage, mais nulle part il n’y a jusqu’au fleuve de véritable point d’eau à cette époque de l’année. L’aspect général est celui d’une grande plaine médiocrement boisée, sans bambous ni lianes à caoutchouc, au travers de laquelle serpente le sentier des caravanes du Dar Sila. A environ 6 kilomètres d’Akoulousoulba, un puits asséché marque l’emplacement de l’ancienne ville rounga d’Ankomé qui fut détruite par des sofas venus de chez Ziber que j’assimile aux troupes de Rabah. Un monceau de scories, à 4 kilomètres au N.-E., atteste que les Roungas connaissaient la métallurgie, ou bien que Rabah la faisait pratiquer en cours de route pour augmenter le nombre des armes de ses bazinguers.

La Tété, qui coule ici vers le N.-O. est très réduite à cette époque (13 mars). Au milieu d’une grève, large de 25 mètres, constituée par du sable blanc et des graviers que recouvre un chétif gazon après le retrait de l’eau, on franchit sans difficulté une nappe large de 12 mètres, profonde au plus de 40 centimètres ; le courant est encore assez rapide. Elle est parfois dominée par des berges de 1m,50 à 3 mètres de hauteur presque à pic, souvent creusées de nids de guêpiers. La Tété décrit des méandres dans une plaine large d’un kilomètre qui est certainement inondée en hivernage par un lacis de canaux bordés de quelques arbustes, notamment de sensitives (Mimosa polyacantha). Sans autre végétation qu’une herbe desséchée ou brûlée, cette plaine est accidentée de grosses termitières où l’on trouve les seuls arbres voisins de cette rivière : des Tamariniers, des Landolphia géants au tronc bizarrement retombé. Çà et là, pourtant, des buissons d’arbustes épineux, des Ficus, des grosses touffes de Bourgou à demi submergées tiennent la place des belles galeries à Elæis que nous avons laissées au S. Les antilopes, les hyènes abondent dans la plaine, comme les aigles et les pélicans près de la rivière.

Fig. 39 — Termitières dans les grandes plaines du pays de Senoussi.

Sur la rive droite de la Tété, nous traversons l’emplacement de Dandail (Dandaia) dont l’existence ne se révèle que par la végétation spéciale aux lieux jadis habités. Des touffes d’arbustes (Bauhinia, Zyzyphus Baclei, Acridocarpus, Detarium) forment un fouillis presque impénétrable au-dessous duquel croissent de nombreuses touffes compactes d’Icacina senegalensis. On voit encore çà et là les troncs à demi calcinés des arbres atteints par le feu qu’allumaient les indigènes pour consumer les mauvaises herbes. La situation de certaines cases est indiquée par des touffes de cotonniers hautes de plusieurs mètres. Autour du village, les cultures pouvaient s’étendre sur environ 100 hectares. A 12 ou 15 kilomètres de Dandail, sur la rive gauche du Moussoubourta, le village de Ngardiam, lui non plus, n’a laissé d’autres traces qu’une modification particulière de la végétation. Ces points étaient occupés par des Rounga « meskin », non armés, qui s’enfuirent à l’arrivée des Arabes, me dit-on (il s’agit sans doute des troupes de Rabah) et allèrent s’installer à Akoulousoulba.

Entre la Tété et le Moussoubourta, le pays est d’une monotonie désespérante : plus de plateaux gréseux dominant la route, mais une plaine basse, parfois argileuse et à sol compact, parfois déjà recouverte de sable mouvant. C’est donc dès le 9° de lat. N. que commence cette zone sablonneuse si étendue dans le N. La végétation s’appauvrit : le bush clairsemé, duquel ont disparu les Lophira et où les Butyrospermum sont rares, alterne avec de grandes plages dénudées, sans autres arbres que quelques pieds de Nauclea inermis, inondées à l’hivernage. C’est seulement sur les monticules de terre accumulés par les termites qu’une végétation plus dense se maintient. Renversées, effondrées les unes sur les autres, parfois hautes de 10 mètres et larges de 15, parfois se dressant de distance en distance, ces anciennes termitières apparaissent comme des bouquets verdoyants au milieu des arbres clairsemés et rachitiques de la brousse.

Le lit du Moussoubourta, large ici de 10 à 15 mètres, ne contient actuellement qu’un filet d’eau large de 6 mètres et profond de 0m,30. Le fond est très vaseux, couvert de feuilles mortes que surmonte une Hydrocharidée dont les fleurs sont portées par des pédoncules spiralés ; les fleurs mâles, à 3 étamines étalées, s’en détachent et flottent à la surface vers les fleurs femelles qu’elles vont féconder. Çà et là des plages sableuses engazonnées, piétinées par les antilopes, les buffles, les éléphants, les rhinocéros, bordent la rivière dont les berges ont de 1 mètre à 1m,50 de hauteur. Plus loin s’étend, sur 200 à 1000 mètres de chaque côté, une plaine d’inondation déboisée, sans autre végétation qu’une seule espèce d’Andropogon dont les incendies ont à demi calciné les chaumes durs. Nos porteurs mettent le feu aux touffes encore intactes et font fuir de gros Fahr-el-Bouss[133] qu’ils percent de leurs sagaies au sortir des flammes. Le Moussoubourta est très poissonneux. A côté de la route des caravanes on voit un barrage aménagé à l’hivernage précédent par des pêcheurs. Nos hommes prennent divers siluridés qui se trouvent fort bien au milieu de la vase que charrie cette rivière en toute saison[134].

Nous suivons vers le N. la dépression du Moussoubourta qui serpente dans une plaine, large de 3 à 6 kilomètres, et forme déjà un lacis qui me rappelle complètement l’aspect des diverticules du Niger aux environs de Tombouctou. Les Andropogon couvrent encore cette plaine de leurs chaumes ; les souches, espacées de 0m,30, ont résisté à l’incendie, malheureusement pour la rapidité de notre marche. De place en place, des touffes de Nauclea inermis, de Bauhinia reticulata, de Combretum glutinosum et quelques Kigelia dont les énormes fruits pendent au-dessus du sol. Nous nous arrêtons près d’une de ces dépressions asséchées que forme le Moussoubourta et dont le Bourgou recouvre complètement le fond. Ces très nombreuses cavités, où l’eau s’accumule à la saison des pluies, ne sont qu’à peine dominées par des plaines, tantôt couvertes par le bush, tantôt formant de grandes savanes où s’élèvent çà et là des bouquets d’arbres. Les parties les plus saillantes sont les termitières avec leur végétation verdoyante et, depuis la Tété, nous n’avons même pas rencontré une croupe de 10 mètres de haut. En somme, il doit être très difficile de circuler dans cette région à l’époque des pluies. Actuellement, au contraire, la marche est très aisée et le pays presque totalement asséché. Aussi les indigènes y viennent en grand nombre chasser et pêcher, de Ndellé, du Dar Rounga, peut-être du Dar Sila ; et même quelques Arabes amènent leurs troupeaux au risque de les faire piquer par la tsé tsé.

A notre passage (16 mars) le Boungoul a l’importance du Gribingui à Fort-Crampel. Entre des bancs de sable où s’ébattent des centaines d’oiseaux, coule une nappe d’eau de 0m,40 à 0m,50 de profondeur ; la largeur de ce lit mineur n’est que de 30 à 35 mètres. Mais sur sa rive gauche, au-delà d’une berge en pente douce surélevée de 2m,50, s’étend une plaine nue, large de 300 à 500 mètres, creusée de dépressions où séjourne l’eau des crues de l’été. Sur la rive droite, la falaise haute de 4 mètres, est entaillée dans une argile blanchâtre sans galets ni coquilles. La végétation de ses rives se borne à des roseaux, Bourgous et Calamagnostis, actuellement à demi desséchés ; mais pas un arbre, pas un arbuste : l’Eugenia, pourtant, si commun, fait ici défaut.

Cette absence de végétation arborescente semble particulière au Boungoul : un léger rideau d’arbres borde presque partout son affluent, le Diahap, auprès duquel nous campons et que nous remontons le 17 mars. C’est un large marigot actuellement sans courant, parfois complètement à sec, plus souvent large d’une trentaine de mètres entre des berges argileuses élevées rarement de plus d’un mètre, sur certains points très profond et hébergeant encore à cette époque des hippopotames et des caïmans[135]. Au-delà de la ligne d’arbres nous retrouvons comme près de Boungoul une plaine nue large de 100 à 200 mètres. Décidément, dans cette zone, les espaces sans arbres, couverts de Bourgou et d’Andropogon, caractérisent l’abord de toutes les rivières importantes. La marche y serait facile sans les terribles tsé tsé, extrêmement abondantes : il faut constamment émoucher les chevaux, même en plein midi, pendant la marche et, quand ils sont attachés, brûler des feuilles vertes auprès d’eux. La morsure de ces mouches, appelées aussi « Boguené », produit sur l’homme une sensation comparable à celle du taon ou des moustiques ; après une irritation assez douloureuse, la partie atteinte se congestionne ; il est vrai qu’une heure après la piqûre, toute trace a disparu. Bien qu’on les rencontre encore à 300 mètres de la berge, elles foisonnent surtout auprès de la rivière ou des mares en voie d’assèchement et à l’ombre des arbustes. Là où les Boguené fourmillent, il n’y a pas actuellement de moustiques : ces deux insectes s’excluraient-ils[136] ?

Fig. 40. — Le Boungoul aux basses eaux.

La vie est abondante auprès du Diahap comme sur les bords du Boungoul. La plaine basse est sillonnée de sentiers de fauves et d’antilopes, sentiers très battus. Les traces d’éléphants ne se comptent plus. Les aigrettes, les pélicans et les hérons, les sarcelles et les vanneaux, ainsi que de nombreux oiseaux carnassiers, tourbillonnent au-dessus de la rivière où les poissons sont extrêmement nombreux. Dans les flaques croupissantes, les Bandas capturent d’énormes poissons de 0m,70 de long, à écailles osseuses, d’une chair très ferme et sans aucun goût de marais. Les pêcheurs entrent dans les mares, effraient le poisson et le percent de leurs sagaies quand il apparaît à la surface de cette eau presque noire. D’autres, des Roungas, enfoncent çà et là, verticalement, une sorte de nasse ; comme il est impossible d’apercevoir le fond, on ne connaît la présence d’un poisson que par l’agitation qu’il imprime à ce treillis de roseaux et on le prend en passant la main à travers les barreaux.

Le 18 mars, nous quittons le Diahap pour traverser le bush par des pistes de fauves. Nous y trouvons un grand étang d’une trentaine d’hectares, le Ni, très vaseux, et bordé d’un liseré de boue noirâtre, fendillée, qui rend la nappe libre inabordable. Nous le contournons en suivant la plaine d’inondation, couverte seulement d’une végétation herbacée, puis, après des champs de mil récoltés depuis quelques mois, nous arrivons à un village goulla dont les habitants sont absents. Ce sont simplement des cases de culture qu’on évacue dès la moisson finie, mais que l’on entretient pourtant d’une année à l’autre ; on conserve des gerbes de paille pour reconstruire, en cas d’incendie, ces abris assez sommaires. A 4 ou 5 kilomètres vers le N.-E. se trouve un autre groupe d’une cinquantaine de cases, Gosso, qui est aussi sous l’autorité d’Adem, sultan de Kouga. Ici, il s’agit bien d’un village permanent, car on trouve autour tout ce qui est d’un usage journalier chez les noirs : ricin, cotonnier, pastèques, sans parler des cultures vivrières, ici assez étendues.

Toute cette région entre le Diahap et le Bahap n’est qu’une vaste dépression marécageuse dont les principales rigoles d’écoulement sont reliées entre elles par des cheneaux transversaux, aux multiples anastomoses. Après l’hivernage, ils s’assèchent ou ne conservent de l’eau que dans des mares dont le lit en mars est rempli de plantes aquatiques en fleurs. Près de Gosso, le fond de l’un d’eux, le Gata, complètement découvert, porte des arbres dont les troncs sont munis à la base de racines adventives et dont les souches sont en partie déracinées, indice d’un courant violent ; l’on a parfois l’illusion d’une galerie, mais toujours peu épaisse et discontinue[137].

Quant au principal marigot de ce réseau, le Bahap, qui porte aussi, à partir du Mamoun, les noms de Koumara en goulla et de Kamarè en arabe, son lit principal a de 30 à 35 mètres de large ; ses dimensions sont donc analogues à celles du Boungoul, et si son débit est moins fort à cette époque, les Arabes le disent plus important. A l’hivernage, il semble inonder une grande partie des prairies de graminées qui le bordent et que traversent parfois des bras morts du fleuve.

Fig. 41. — Un étang de la plaine du Mamoun. — Incendie d’herbes.

Le bush que sillonnent ces diverticules est d’aspects assez divers, tantôt reposant sur un terrain sec et sablonneux avec quelques Acacias çà et là comme près de Gosso[138] ; tantôt c’est le « parc » avec la végétation vigoureuse de ses termitières. Mais ce qui domine, c’est le type de la prairie sans arbres ni arbustes[139]. Elle se compose de Graminées, hautes de 1 mètre à 1m,50, à feuilles fines et non coupantes et bien différentes des pailles raides des roselières du Boungoul. Desséchées par le soleil, elles repoussent à l’hivernage d’une souche vivace. Aussi les antilopes recherchent-elles ces pâturages d’autant qu’ils se trouvent toujours au voisinage de l’eau. La prairie ou Koubou est en effet marécageuse à l’hivernage, si bien qu’à la saison sèche le sol noir se fendille parfois là où les mares ont stagné le plus longtemps[140].

Cependant sachant que le Mamoun n’était plus qu’à quelques kilomètres, nous prions Aïssa de préparer notre expédition vers ce lac mystérieux dont on m’avait dit et l’étendue et la singularité des riverains. A notre grande surprise, ces préparatifs furent très simples ; quelques provisions seulement ; et Aïssa, le 19 mars, nous présenta comme guide le chef des Goulla, cette population lacustre dont tout Ndellé semblait craindre l’humeur belliqueuse. Or Semina et les deux autres goullas qui devaient nous accompagner ne présentaient rien de spécial, ni dans leur aspect, sauf la gracilité des jambes[141], ni dans leur habillement, qui se composait, pour le chef, d’une blouse blanche en coton grossièrement tissé, comme celles des bazinguers de Senoussi, et pour les porteurs, d’une bande de coton passée entre les cuisses. Sans Aïssa, j’aurais pris ces Goullas pour des Roungas, parmi lesquels d’ailleurs ils vivent ici.

Ce fut sous leur conduite que nous joignîmes le Bahap. Très variable de dimensions, son lit n’avait au début de notre marche que 30 mètres de largeur et l’eau n’en occupait que 7 mètres avec à peine 0m,30 de profondeur ; plus loin il s’étale sur 50 à 60 mètres entre des berges argileuses hautes de 4 mètres. L’eau coule là à pleins bords et semble profonde : sur le sable on observe des traces fraîches d’hippopotames et le sillon laissé par la queue des crocodiles. Plus bas encore, le Bahap s’élargit encore davantage, jusqu’à 120 mètres, dont 20 seulement sont occupés par l’eau. Puis le fleuve reprend ses dimensions normales et nos guides nous annoncent l’arrivée au terme de notre exploration, le Mamoun.

Fig. 42. — Groupe de Goullas Homer.

Sur la rive droite du Bahap, qui prend en aval le nom de Koumara, et séparée de la rivière par une sorte de digue large de 20 mètres que barrent deux déversoirs peu profonds, s’étend vers le N. une mare en arc de cercle, large de 40 à 50 mètres et assez profonde pour que le fond reste invisible : c’est le Mamoun. Une eau légèrement trouble remplit le lit entier entre des berges hautes de 1m,50, peu ou point boisées. A l’E. une grande plaine herbeuse (Koubou) s’étend sur 2 à 3 kilomètres ; à l’O., le bush atteint presque le bord du canal. En longeant le Mamoun vers le N. il perd bien vite l’aspect assez imposant du début. A 2 kilomètres du Bahap, ce n’est plus qu’un large marais, au lit incertain, embarrassé de bancs de vase, et de Papyrus ; à 4 kilomètres, il disparaît dans une vaste plaine herbeuse. Aucune trace d’une rivière venant du N.-E., du Dar Fongoro ; simplement des dépressions, des lits asséchés, à travers d’immenses espaces plats couverts de bourgou et d’Andropogonées amphibies où nous rencontrons, par troupeaux de 5 ou 6, de nombreuses antilopes peu craintives : si les Goullas réservent le nom de Mamoun au canal voisin du Bahap, les Arabes l’étendent à toute cette région basse, qui doit être totalement inondée, sauf de rares îlots, au moment de l’hivernage : ainsi s’explique l’erreur de Senoussi et de son entourage. En somme notre désillusion n’est point trop dure : nous n’avons pas découvert, comme on nous l’avait fait espérer, un lac semblable au lac Iro, mais nous avons reconnu un complexe de marigots et d’étangs, intéressant par son absolue similitude avec ceux du Niger moyen, entre Mopti et le lac Débo.

Malheureusement, ce pays, le Dar Goulla, est loin d’égaler en richesse le Macina. Sans doute le riz viendrait à merveille sur ces terres périodiquement inondées, mais il n’est même pas connu. Les cultures se bornent au mil, aux haricots, à divers légumes, au coton avec lequel les habitants tissent eux-mêmes la bande d’étoffe qui les ceint. Point de troupeaux, en raison de la présence de la mouche Boguéné, analogue à la tsé tsé[142] ; pas de lianes à caoutchouc. L’ivoire serait le seul produit exportable ; les éléphants semblent fréquents si l’on en juge par les empreintes, mais on sait combien le commerce de l’ivoire est passager et aléatoire. Quant à la puissance d’achat des indigènes, que peut-on proposer à une misérable population de pêcheurs presque nus, dont le seul luxe est l’échange de quelques colliers de grosses perles bleues contre les vivres nécessaires aux caravaniers du Dar Sila ? C’est visiblement un pays en décadence. Autrefois, dit-on, ils habitaient des villages sur pilotis et leurs pirogues sillonnaient les étangs dont le poisson était le principal aliment. Mais cet habitat lacustre ne les a point mis à l’abri des razzias de leurs puissants voisins, les Roungas et les Karas, qui chaque année leur enlèvent des femmes et des enfants pour les emmener en captivité. Avec leurs sagaies, qu’ils forgent eux-mêmes, ils n’ont pu résister à ces pillards armés de fusils. De là l’abandon des villages, l’émiettement en groupes de deux ou trois familles qui se cachent en un coin de la brousse pour tenter quelque culture : toute agglomération serait immédiatement anéantie.

Sur le point de disparaître, les Goullas se sont mis sous la protection de Senoussi, mais cette protection, nous le savons trop, ne peut s’appeler que la régularité dans l’oppression la plus écrasante ; d’autre part Ndellé est trop loin pour les défendre des incursions des Dar Four. L’installation d’un poste français sauverait ce qui reste de ces malheureux.

Un poste français au Mamoun, outre qu’il protégerait les habitants, permettrait d’entraver très sérieusement la traite des esclaves qui se fait toujours très activement, comme personne ne l’ignore, dans nos possessions de l’Afrique centrale. Les caravaniers ouadaïens qui entretiennent ce commerce passent en effet au Dar Goulla tout près de Gosso, pour se rendre au Dar Kreich et chez les sultans Bangassou, Rafaï-Ethman et Zémio. Le jour où la route sera barrée aux trafiquants arabes qui vivent de ce commerce, par les Anglais sur toutes les routes du Dar Four, par nous depuis le Tchad jusqu’au Mamoun en gardant tout le cours du Koumara, l’exportation des esclaves de l’Afrique centrale vers le Ouadaï et le Sahara oriental sera près de disparaître. L’installation d’un poste se ferait sans aucune résistance, mais on ne pourrait pas au début ravitailler ce poste, sauf toutefois par le Koumara ou le Boungoul qui peuvent être remontés par des baleinières ou des pirogues en hivernage. Le poste pourrait en outre étendre ensuite son influence au Dar Rounga, au Dar Fongoro, à la partie orientale du pays des Karas et au pays des Youlous.

Le 21 mars, à 4 heures de l’après-midi, nous avons quitté le village de Gosso pour reprendre le chemin de Ndellé et nous sommes allés camper à l’étang de Ni où Aïssa devait nous quitter pour aller à Agouaré chez Maï-Douka, chercher des bœufs pour le sultan Senoussi. De l’étang de Ni, nos guides nous firent prendre une route différente ; nous longeâmes pendant un certain temps un bras marécageux nommé Kouyane faisant communiquer le Koumara avec le Boungoul et le soir nous arrivions au Boungoul. Pendant ce trajet un de nos Sénégalais fit un superbe coup de fusil en tuant deux énormes antilopes avec la même balle, à la grande joie de nos porteurs qui allaient faire, chose qui leur arrive rarement, un substantiel repas de viande fraîche. Un peu plus loin nous rencontrons un couple de rhinocéros qui, surpris, s’apprêtent à nous charger, ce qui jette la panique parmi nos porteurs. Fort heureusement il n’en fut rien et les porteurs remis de leur émotion viennent reprendre leurs charges qu’ils avaient jetées en toute hâte pour fuir au plus vite.

Notre campement était à peine installé au bord du Boungoul que nous vîmes arriver une caravane composée d’une dizaine d’Arabes armés de lances, une quinzaine de convoyeurs, 3 ânes, 12 bœufs et 8 moutons. Cette caravane venait de Kouga et était envoyée à Ndellé par le sultan Adem au sultan Senoussi.

Le lendemain 23 mars, après la traversée du Moussoubourta un peu en aval du point où nous l’avions traversé en allant, nous suivons un bras marécageux, nommé Boua, faisant communiquer le Moussoubourta avec la Tété. La caravane de la veille qui avait cheminé avec nous resta pour camper auprès du Moussoubourta. Quant à nous, comme nous voulions le soir même atteindre la Tété, nous nous remîmes en marche aussitôt le déjeuner.

Auprès du Moussoubourta nous avons rencontré un campement de gens d’Akoulousoulba se livrant à la chasse de l’hippopotame et qui avaient été assez heureux pour tuer un de ces animaux. C’était vraiment fête pour eux et auprès de leurs abris en paille ils faisaient boucaner, en grandes lanières, la viande de cet animal. Après une dure étape, où nous fûmes continuellement assaillis par les mellipones, nous atteignîmes enfin la Tété à la nuit tombante.

Le lendemain 24 mars, au lever du jour, nous assistâmes aux ébats d’une bande de singes qui, sans s’effrayer outre mesure de notre présence, jouaient dans les quelques arbres bordant la rive opposée.

Nous partons pour Akoulousoulba à 6 h. 25. A 8 kilomètres environ à vol d’oiseau avant d’atteindre ce village, nous rencontrons une grande grotte dont l’ouverture est au ras du sol. Cette grotte ayant environ 8 mètres de profondeur n’était habitée que par des chauves-souris.

Le 25 mars, nous campions à Koundé et de là nous gagnons Mansaka par Ndélou, point très connu des caravaniers, et Djalmada. A Djalmada, par suite du manque d’eau, le village était momentanément abandonné. Les cases avaient été découvertes et nous n’y trouvâmes qu’une bande de cynocéphales qui s’empressèrent de prendre la fuite à notre approche. Les habitants du village étaient campés à quelques kilomètres en aval le long du ruisseau.

Le soir nous arrivions à Mansaka et le lendemain 27 mars nous étions de retour à Ndellé.

IV. — DE NDELLÉ A NGARA ET AU BAMINGUI

De Ndellé pour gagner Fort-Archambault nous aurions voulu que Senoussi nous fît conduire par le Djangara et l’Aouk (Boungoul), mais il nous fut impossible d’obtenir cela du sultan et pendant plus de quinze jours tous nos efforts furent vains. La razzia qu’Adem avait été conduire chez les Saras de l’E.[143] rentrait à Ndellé par la route que nous devions prendre et il est évident que Senoussi se souciait fort peu de nous voir rencontrer cette razzia. D’un autre côté le moment du départ était venu, car si nous voulions nous rendre de Fort-Archambault au lac Iro, il fallait que ce voyage se fasse avant la saison des pluies et au plus tard fin juin ou commencement de juillet.

Le 2 mai 1903 nous quittions donc définitivement Ndellé.

Fig. 43. — Boucanage de la viande d’un hippopotame.

A peu de distance de Ndellé, on entre dans la région montueuse du Kouti et jusqu’à Télé, village situé à l’extrémité O. de cette région, la piste franchit une série interminable de vallons et de collines rocheuses. A part quelques points culminants, ces collines varient entre 570 et 685 mètres d’altitude ; c’est l’extrémité O., à quelques kilomètres de la plaine du Bangoran par laquelle on entre à Télé[144], qui atteint cette dernière altitude.

Jusqu’au kaga Batolo escarpement d’une altitude de 680 mètres (la plaine au pied étant à une altitude de 587 mètres, soit 93 mètres de hauteur), qui est situé à 45 kilomètres environ à vol d’oiseau au N.-E. de Ndellé, les ruisseaux rencontrés déversent leurs eaux vers le Bangoran. Quelques-uns atteignent la Mindja Engoulou, affluent du Bangoran, les autres se perdent dans la grande plaine à quelques kilomètres ou quelques centaines de mètres de leurs débouchés dans cette plaine. Du Kaga Batolo aux collines qui dominent le village de Kourou (24 kilomètres environ à vol d’oiseau) on rencontre une certaine quantité de ruisseaux déversant leurs eaux vers le Djangara. Certains de ces ruisseaux nous ont été signalés comme se perdant dans la plaine sans atteindre cette artère ou un affluent de cette artère. On rencontre ensuite des ruisseaux déversant leurs eaux dans la plaine de Bangoran, et se perdant dans cette plaine.

Le 7 mai, nous arrivons à Télé et nous restons en cet endroit jusqu’au 11 espérant toujours que le sultan Senoussi se déciderait à nous envoyer des guides pour nous conduire à l’Aouk (Boungoul). Notre attente fut encore vaine et le 12 au matin, nous nous décidions à partir pour gagner le Bangoran et le village de Ngara.

Entre Ndellé et Télé, sur tout le parcours la végétation est assez intense, peu de bambous (un seul îlot), souvent de beaux arbres. Les endroits les plus fertiles sont tous cultivés ou l’ont été, et ceux qui sont abandonnés ne l’ont été qu’à la suite de razzias continuelles. Nous avons retrouvé à 55 kilomètres environ à vol d’oiseau de Ndellé les ruines des habitations des Couraboulous que Senoussi a emmenés au village de Kaka auprès de Ndellé.

Tout le massif montueux traversé est constitué par des quartzites dans lesquels on relève des traces de roches éruptives. Leur structure varie du compact au grossier, mais les couches compactes dominent. La roche ferrugineuse en forme continue est l’exception, elle n’existe ainsi qu’en de rares endroits du parcours.

Les environs de Télé doivent être particulièrement riches en lianes à caoutchouc, car le long du ruisseau, à partir de l’endroit de la plaine où commence la galerie, sur une longueur de 600 pas, nous en avons compté douze toutes exploitées. Le diamètre de ces lianes pour la moitié d’entre elles variait de 8 à 15 centimètres, pour l’autre moitié de 5 à 8 centimètres. Cette abondance ne doit exister que dans certains vallons ou débouchés bordant la plaine, car dans les autres parties du trajet la liane exploitable n’a été rencontrée que par unités isolées et assez espacées.

Fig. 44. — Landolphia owariensis (liane à caoutchouc) dans une galerie forestière.

Pendant notre séjour à Télé nous y avons découvert l’Ousonifing ou Pomme de terre de Madagascar (Coleus rotundifolius) et nous avons appris que ce tubercule était cultivé par les Ndoukas du Kouti[145]. Le Palmier à huile existe également dans cette région.

Le 12 mai, à 8 heures du matin, nous quittions Télé pour gagner le Bangoran. Nous circulons dans une grande plaine à brousse claire, à végétation pauvre, avec quelques rôniers disséminés de loin en loin. Nous comptions trouver de l’eau en route, mais à cette époque de l’année les mares et les rares puits que nous avons rencontrés étaient asséchés et après une très dure étape, coupée de courtes haltes seulement afin de laisser reposer un peu les porteurs, nous atteignîmes enfin le Bangoran à 4 heures de l’après-midi.

Le lendemain 13 mai, à midi, nous étions au village de Ngara habité par des indigènes se disant Ndoukas.

L’agglomération qui constitue le village de Ngara est une des plus curieuses que nous ayions rencontrée. Elle se compose de quatre enceintes circulaires, la plus grande ayant environ 300 mètres de diamètre et les trois autres de 150 à 200 mètres environ. Ces enceintes organisées défensivement sont entourées par un épais massif, absolument impénétrable, formé avec un arbuste très épineux, l’Acacia pennata, dont les rameaux s’entrelacent et forment un lacis inextricable. Un étroit couloir dans le massif conduit aux enceintes. Il est barré par un obstacle formé de grosses pièces de bois dur, plantées en terre et enchevêtrées, ne permettant que le passage d’une seule personne à la fois et en se courbant. Pendant la nuit l’étroite ouverture laissée est encore barricadée par d’autres pièces de bois, de sorte qu’il est impossible de pénétrer par surprise dans l’agglomération. En arrière de ce premier obstacle, à droite se trouve un couloir conduisant à deux enceintes communiquant entre elles par un autre couloir, la première de ces enceintes étant également barrée par un obstacle analogue au précédent, mais sans dispositif pour fermer l’ouverture pendant la nuit. Si on continue à avancer dans le couloir principal on arrive à la plus importante des enceintes également barricadée et communiquant encore par un couloir avec une autre enceinte.

Fig. 45. — Tamarinier et Fromager au village de Ngara.

Telle qu’elle a été conçue la défense de Ngara faisait de ce point un endroit imprenable pour des bandes venant opérer des razzias et n’ayant pas toujours le loisir de se livrer à une attaque en règle pouvant durer longtemps. A l’abri de leur massif épineux, les gardant bien, les Ndoukas de Ngara durent vivre de longues années hors des atteintes des Djellabah toujours en quête de nouveaux esclaves, car il y a dans les enceintes des arbres plus que séculaires, dont quelques-uns ont été plantés, ce sont les Fromagers (Eriodendron anfractuosum) dont le coton est employé comme amadou, et les autres Tamariniers et Kigelia, ou respectés lors du premier établissement, ou plantés aussi, mais on les retrouve à l’état spontané dans les environs. Le dispositif indique deux groupes ayant accès par un passage barricadé commun, et chaque groupe avait ensuite son passage barricadé particulier. L’enceinte la plus vaste contenant 42 cases est seule occupée aujourd’hui par le chef Lomba et sa famille, le reste de la population est momentanément absent. Les autres enceintes paraissent abandonnées depuis longtemps.

Cette population n’a pas reçu d’empreinte musulmane, elle est restée fétichiste. Leurs fétiches travaillés avec un certain art consistent surtout en têtes de bœufs ou d’antilopes en bois sculpté plus ou moins. Ils sont placés au pied des arbres légèrement enfoncés dans le sol. Un autre fétiche consiste en une quille moulurée et travaillée, dont le sommet représente, dit le chef Lomba, la tête d’un homme avec organes plus ou moins indiqués. En outre, on remarque souvent auprès de la porte des cases un fétiche qui consiste en une sorte de toiture de case minuscule, portée sur un support central.

Les chapiteaux placés au sommet des cases sont confectionnés avec soin et reçoivent une certaine ornementation.

On remarque encore des petites têtes d’antilope sculptées, quelquefois ornées, qui s’adaptent à une sorte de toron en corde tressée. Les indigènes se fixent cette sorte de cimier sur la tête pour danser une danse particulière.

Les morts sont enterrés dans l’enceinte, les pieds vers l’intérieur, la tête indiquée par trois morceaux de bois équarris, plantés côte à côte, et légèrement inclinés en arrière. Chaque morceau porte de larges bandes transversales peintes en rouge. Sur les tombes les plus récentes on remarque des traces de cuisine consistant dans trois supports en terre recevant une petite marmite également en terre ; les traces de feu sous cette marmite étaient très visibles.

Un puits retrouvé abandonné sous les épines fournissait l’eau nécessaire à la population, cette eau est aujourd’hui retirée d’un autre puits situé à l’extérieur des enceintes.

De Ngara pour atteindre le Bamingui il faut trois jours de marche en suivant le cours du Bangoran. Sur tout le parcours, c’est toujours la brousse claire avec des bouquets d’arbres rabougris de 6 à 8 mètres de hauteur. Le feu a consumé les herbes jusqu’au ras du sol, noirci l’écorce épaisse des troncs d’arbres et même calciné quelques-uns, mais à leur place surgissent des repousses de 0m,20 à 0m,50 qui parviennent à fleurir entre deux incendies de savanes.

La végétation souffre encore de l’extrême abondance d’une variété de chenille qui prend successivement la teinte grisâtre du sol, la nuance jaunâtre des feuilles mortes ou la couleur verte des herbes et des feuilles qu’elle transforme en dentelle. On en voit par milliers au pied des arbres où elles cherchent dans le sol un abri pour leur vie de chrysalide.

Un rideau d’arbres accompagne en général le Bangoran. La liane à caoutchouc n’existe pas dans la plaine.

Fig. 46. — Manifestations artistiques chez les Ndoukas de Ngara.

a. Fétiche en forme de tête d’animal (bœuf ou antilope). — b. Fétiche en forme de quille. — c. Chapiteau orné du sommet d’une case. — d. Petite pirogue de 1m,20 de longueur avec sculptures.

Fig. 47. — Têtes d’animaux sculptées à Ngara servant d’attributs pour une danse.

Le cours du Bangoran est constitué en cette saison (mai 1903) par une série de biefs plus ou moins encaissés et dont la berge, du côté attaqué par le courant, varie entre 5 et 10 mètres de hauteur ; la largeur de ces biefs varie entre 10 et 35 mètres et leur profondeur entre 0m,50 et 1m,20. On y trouve cependant des trous qui, au dire des indigènes, ont plusieurs mètres de profondeur, ce qui est d’ailleurs admissible. Ils ne veulent sonder que les endroits où ils sont sûrs d’être à l’abri des atteintes des crocodiles[146]. Les biefs sont séparés par des seuils sablonneux par lesquels l’eau se déverse de l’un à l’autre bief. A ces seuils le lit a toujours une faible largeur, 8 à 10 mètres, et très peu de profondeur : 0m,20 à 0m,30. Dans les biefs le courant n’a pas de force. Aux seuils il est parfois assez accentué. Les traces qui restent visibles le long des berges, et particulièrement sur les arbres bordant le cours, permettent de dire que la rivière est navigable pour des pirogues et des baleinières à la saison des hautes eaux dans le parcours reconnu et peut-être jusqu’au confluent de la Mindja Engoulou.

A son confluent avec le Bamingui, le Bangoran n’a que 10 mètres de largeur et 0m,30 de profondeur avec un courant assez fort.

Les rives du Bangoran sont désertes et ne sont fréquentées que par des gens venant momentanément y faire la pêche.

A 2 km. 500 environ en aval du confluent se trouve le gué du Bamingui, qui a en cet endroit une profondeur de 0m,60 seulement (mai).

Mission scientifique et économique
CHARI-LAC TCHAD
dirigée par A. Chevalier

Itinéraires levés par Mr. Courtet

Région de Ndellé

[92]Dans un petit village aux sources du Vou, nous avons observé deux papayers.

[93]Nous ne l’avons pas vue en fleurs, mais il semble que ce soit le bambou d’Abyssinie. Dans les galeries du Vou, il était mélangé à la petite espèce de l’Ombella. Le grand bambou s’appelle Ngara en banda, Teïba en kreich, Bar en bambara.

[94]Trois semaines plus tard, nous avons vu les bambous complètement dépouillés ; par contre, beaucoup d’arbres venaient de se couvrir de feuilles et de fleurs.

[95]Appelés Darasa en banda et Reïni en kreich.

[96]Appelé Amforo et Sougbou.

[97]Une rixe entre nos bazinguers nous apprit le peu de cas que l’on fait des captifs : l’un d’entre eux ayant eu une artère de la cuisse tranchée d’un coup de couteau, les Arabes se moquèrent de sa douleur. On me dit que s’il ne mourait pas, l’Arabe qui l’avait blessé ne serait même pas inquiété.

[98]Voir Superville, De l’Oubangui à Ndellé par la Kotto (La Géographie, VIII, 1903, p. 3-22, 1 pl. itinéraire à 1 : 1.000.000).

[99]Nous avons également rencontré ce caféier à la traversée du ruisseau Manifo en allant de Ara à Mbélé.

[100]Nommé Yem Téni par les Arabes.

[101]Nommé Nakol forône par les Arabes.

[102]Altitude au pied : 695 mètres ; au sommet, 720 mètres.

[103]Le Bongolo descend par des chutes hautes de 10 mètres jusque dans la plaine. Près des cascades du Maoro, nous avons remarqué des marmites de géant profondes de 2 mètres.

[104]M. Superville l’a vu près de sa source disparaître quelque temps sous des rochers.

[105]Parmi ces arbres dominent l’Uapaca et le grand Sarcocephalus, avec des épiphytes (fougères, Piper Clusii).

[106]A quelques heures d’Ara vers le S., il y a encore des tributaires de Senoussi, les Sabangas ; j’ai rencontré des bazinguers qui allaient y chercher de l’ivoire.

[107]Une anonacée qui s’élève jusqu’au sommet des arbres peut être confondue pour son port avec ces lianes.

[108]Appelé Abiod (fleuve blanc) par les Arabes.

[109]Au ras du sol on trouve des espèces naines de Landolphia et de Combretum.

[110]Près du Ngriki on voit encore les ruines du village banda de Gono.

[111]Altitude du thalweg : 718 mètres ; altitude du plateau entre la Koumbara et le Yourou : 790 mètres.

[112]Fait assez curieux : on ne trouve pas trace de métallurgie dans la ville.

[113]Altitude de la Gounda : 745 mètres ; l’altitude du plateau varie entre 790 et 827 mètres.

[114]C’est ainsi que naissent la plupart des ruisseaux dans le plateau banda.

[115]On m’avait signalé à Ara la présence du Poivre d’Éthiopie sur les bords de la Gounda ; je ne l’ai point rencontré. Par contre le Piper Clusii fructifié abonde. Il y a très peu de lianes à caoutchouc.

[116]Il formait un carré de 100 mètres de côté.

[117]Les seules plantes naturalisées qui aient subsisté sont le ricin et le piment.

[118]Les bazinguers de Senoussi prétendent que la destruction de la ville remonte à quelques années auparavant ; leur maître n’aurait plus trouvé qu’à glaner dans les ruines amoncelées par Rabah.

[119]20 janvier.

[120]Le Coffea excelsa y est très commun.

[121]Parmi les essences, citons le Tetrapleura Thonningii, un Xanthoxylum arborescent à tronc couvert de grosses épines, une Euphorbe cactiforme, dont les rameaux sarmenteux s’élèvent à 7 ou 8 mètres et retombent à 1 mètre du sol, un très grand Sanseviera, le Landolphia owariensis ; le Coffea excelsa paraît manquer.

[122]Altitude : 744 mètres.

[123]Spécialement l’espèce à tiges très flexibles et sans épines sur la gaine des feuilles.

[124]Le lit de ces ruisseaux s’encaisse ordinairement dans la roche et les cascadelles sont nombreuses au milieu de galeries assez épaisses.

[125]Altitude : 560 mètres. Les altitudes relevées dans les Kagas environnants varient de 591 à 634 mètres.

[126]Le village de Kaka, situé dans le voisinage, est occupé par des Couraboulous ; ce sont des Diris, originaires du Dar Kouti, amenés près de Ndellé par Senoussi.

[127]Le plus important, le Mansaco, à 500 mètres au S. de Golo, est complètement asséché. Son lit s’encaisse de 5 à 8 mètres dans les rochers (il est ici près de sa source) ; large de 8 à 15 mètres, il est presque entièrement occupé par une belle galerie où je remarque plusieurs touffes de bambou d’Abyssinie. Sur le haut du plateau, on trouve, outre les Landolphia nains, les deux espèces utiles : L. Owariensis et L. Heudelotii, le Clitandra ; enfin le Landolphia amœna est commun dans les rochers. On rencontre aussi sur le plateau une plante très curieuse l’Encephalartos septentrionalis.

[128]Altitude de Golo : 633 mètres ; du sommet de la falaise, 719 mètres : altitudes relevées pendant la traversée du plateau (20 kilomètres) : 706, 752, 767, 745, 752, 727 mètres ; Mansaka, 668 mètres ; Djalmada, 645 mètres.

[129]Au cours de nos marches nous eûmes beaucoup à souffrir d’un ennemi qui semble bien insignifiant ; la mellipone. On a beaucoup exagéré le danger des fauves et des reptiles pour l’explorateur ; on s’est plaint des ennuis que font subir les fourmis, les termites, les insectes xylophages. Tout cela n’est rien à côté de l’irritation énervante causée par la mellipone. C’est un hyménoptère gros comme un très petit moucheron (3 millimètres de long), noir de tête et de corselet ; l’abdomen, très aplati, est brun roussâtre en dessus et blanchâtre en dessous ; le cou et les pattes sont velus, les ailes diaphanes avec des reflets roses et bleuâtres. Vivant en société comme l’abeille, elle gîte dans les crevasses des rochers ou dans les troncs d’arbres secs renversés sur le sol. Le miel, d’un jaune brun, est encore plus sucré et plus fin que celui de l’abeille, on en trouve parfois de très acide, couleur jaune-clair, produit peut-être par une autre espèce. On rencontre des nuées de mellipones dans presque toutes les parties boisées des plateaux qui dominent Ndellé, dans une grande partie du Soudan occidental, sur le Haut-Oubangui au N. des rapides de l’Eléphant : la forêt équatoriale semble ici barrer son extension. Aux environs de Mansaka ces insectes sont si nombreux qu’ils constituent un fléau insupportable. Quand vous êtes à cheval, ils tourbillonnent déjà par centaines autour de votre tête et de vos mains, mais si vous vous arrêtez c’est par milliers qu’ils s’assemblent autour de vous, vous frôlant sans cesse, entrant dans les yeux, dans le nez, les oreilles, dans la bouche si vous parlez, se noyant par dizaines dans votre verre. N’essayez pas d’ailleurs de les écraser : ils dégagent une odeur des plus écœurantes.

[130]Le Djalmada, affluent du Djangara, est tari ; on creuse des trous dans l’argile blanche et on recueille l’eau qui suinte la nuit.

[131]Kouboudoukou est à 596 mètres.

[132]Le filtre au permanganate magnéso-calcique la rend plus limpide, mais elle conserve néanmoins son goût terreux.

[133]Rat des roseaux (Aulacode swinderien).

[134]L’eau est d’un gris blanchâtre, si trouble qu’on ne peut distinguer le fond à 0m,30. Les parties vaseuses sont parfois couvertes de châtaigne d’eau, de Nymphæa pourprés, de Potamogeton, d’Alisma humilis, de Jussieria dont les racines se transforment en flotteurs d’un blanc d’ivoire. Mais l’espèce caractéristique de ces mares, en des lits asséchés, c’est le Panicum Bourgu habité par de nombreux « Rats des roseaux », que nos porteurs manquent rarement de pourchasser.

[135]Une végétation composée d’un très petit nombre d’espèces (Nénuphar, Potamogeton, etc.), mais très abondante, remplit parfois le lit entier de la rivière.

[136]Les Mellipones sont communes, mais dans le bush et non dans les plaines d’inondation. La plupart des arbres qui présentent des creux sont occupés par le nid de ces Hyménoptères, dont nos porteurs recherchent le miel.

[137]Ces rideaux d’arbres et d’arbustes s’appellent en banda Goungou, en ndouka Koutou, en bambara Kotori.

[138]Le Balanites ægyptiaca nous apparut pour la première fois en cette station.

[139]Ces prairies nues sont désignées par les Roungas sous le nom de Koubou, de Rando par les Bandas ; enfin des Bambaras emploient le terme de Kégnaka pour un type analogue au Soudan occidental.

[140]Ce genre de terrain s’appelle Pata en banda, Bodo en ndouka et Bogondongou en bambara.

[141]On sait que ce trait se retrouve chez les Danakil des marécages du Haut-Nil.

[142]Les Arabes du Dar-Sila perdraient, au passage de cette zone marécageuse infestée par la Boguené, le tiers du bétail et des chevaux qu’ils conduisent à Ndellé. (D’après le capitaine Julien).

[143]Les gens d’Adem se sont avancés jusqu’au village koulfé de Molo, situé à 75 kilomètres environ à vol d’oiseau au N.-E. de Fort-Archambault, et sur le plateau Sara à moins de 60 kilomètres à vol d’oiseau.

[144]La plaine au pied des collines est à une altitude de 470 à Télé.

[145]Télé est un village Ndouka.

[146]Un des bazinguers de Senoussi qui nous accompagnaient a découvert dans le sable une ponte de crocodile de 48 œufs. Nous avons cassé un de ces œufs et le petit crocodile se mit à marcher. Les bazinguers ont fait cuire les autres œufs sans les casser et les ont mangés.


CHAPITRE VIII

GÉNÉRALITÉS SUR LE PAYS DE SENOUSSI

I. Aperçu général. — II. Aperçu sur la météorologie de Ndellé. — III. Végétation et agriculture.


I. — APERÇU GÉNÉRAL

La partie orientale du bassin du Chari, où le sultan Senoussi s’est constitué un petit empire placé sous le protectorat français, comprend deux contrées fort distinctes.

L’une située au S. et au S.-E. de Ndellé forme un plateau élevé de 650 à 850 mètres au-dessus du niveau de la mer, où naissent les affluents orientaux du Chari, ceux de la Kotto, ainsi que les rivières du S.-O. du Dar Four. Ces rivières, tant qu’elles sont sur le plateau, coulent dans des lits profondément entaillés dans la roche qui est, tantôt le grès horizontal rapporté sans preuves paléontologiques aux formations du Karroo, tantôt le grès ferrugineux improprement désigné sous le nom de latérite par Junker et les voyageurs récents.

Les galeries qui bordent ces rivières ont encore la splendeur des galeries du bassin de l’Oubangui. Certains arbres s’y élèvent à 40 mètres de hauteur. Les lianes s’y enchevêtrent, les palmiers, les fougères, les grandes aroïdées vivent sous ce couvert imposant. Quelques orchidées épiphytes, associées aux tiges sarmenteuses du Piper Clusii, ou des Culcasia enlacent les vieux troncs d’arbres couverts de mousses, de lichens et de champignons. Ces galeries dépassent rarement 100 mètres de largeur et sont souvent beaucoup plus étroites, mais elles existent partout où il y a un cours d’eau coulant sur la roche.

L’eau y circule d’une manière permanente, au contraire, les moins importantes de ces rivières s’assèchent au printemps dans la partie de leur cours situé dans la plaine : à 150 kilomètres de sa source, le Bangoran, en février, n’est plus formé que d’une chaîne de mares occupant les dépressions du lit asséché alors qu’à quelques kilomètres de sa source, c’est, à la même époque, une belle rivière au courant assez rapide.

Au delà des galeries s’étend, sur tout le plateau, une végétation assez dense quoique subissant annuellement l’action des incendies de brousse. Le bambou d’Abyssinie forme de grandes taches, et ses chaumes, la plupart desséchés, couvrent des centaines d’hectares, à l’exclusion de toute autre végétation.

Les Vouapa, les Afzelia, les Daniella et d’autres légumineuses arborescentes forment parfois des futaies assez étendues, mais leurs troncs sont complètement nus et dépourvus de toute végétation cryptogamique. La brousse claire (le bush de Schweinfurth) avec des arbres nains aux troncs tordus, est l’exception.

Cette contrée est de beaucoup la plus riche en productions naturelles. La liane à caoutchouc du Soudan (Landolphia owariensis et L. Heudelotii) et surtout les lianes naines (lianes des herbes) donnant du caoutchouc dans leurs racines, y sont fréquentes ; un intéressant caféier sauvage se rencontre dans les galeries, ainsi qu’un poivrier ; le palmier à huile croît sur le haut Tété. C’est aussi sur le plateau que sont établis la plupart des villages, et lorsque les Arabes ou plutôt les Baguirmiens islamisés et les Rabistes sont venus conquérir cette contrée, ils ont eux aussi construit leurs zéribas sur les escarpements du plateau ou dans les déchirures qui sont fréquentes à l’entrée de la plaine.

Celle-ci constitue l’autre contrée du Chari oriental. C’est une seconde terrasse de 100 à 150 mètres en contre-bas de la première. Nous avons décrit son aspect à l’O. de Ndellé dans un précédent chapitre. Nous avions traversé cette plaine en venant de Fort-Crampel après le massif des Mbras, en coupant les dépressions du moyen Koukourou, du moyen Bamingui et du Bangoran.

Les kagas[147], dispersés entre ces rivières, sont tantôt d’énormes blocs de quartzites que l’érosion a respectés, tantôt des dômes de granit semblables à de gigantesques termitières. Ce sont les seuls accidents de terrain qu’on observe de ce côté.

Au N.-N.-E. de Ndellé, la plaine a un autre aspect et la monotonie de la végétation s’accentue davantage encore.

Jusqu’à la Tété et à l’Aouk le pays est très faiblement irrigué et le lit des rivières qui le traversent ne contient plus d’eau à la saison sèche.

De Ndellé jusqu’aux derniers ruisseaux allant à la Mindja Engoulou (rivière de Ndellé, affluent du Bangoran), le grès horizontal vient mourir au bord de la plaine, formant une falaise presque abrupte diversement déchiquetée, mais ayant une direction générale N.-S. Cette falaise domine la plaine de 50 à 80 mètres.

En poursuivant la route vers le N., en même temps qu’on descend, on passe du grès horizontal sur des quartzites inférieurs à stratification très inclinée.

On coupe près de leurs sources le Mansaka et le Djalmada complètement asséchés en mars, mais environnés encore de petites galeries. Ces deux ruisseaux sont les hauts affluents du Djangara, rivière du Kouti, tributaire de l’Aouk, actuellement inconnue, mais qui aurait, au dire des Arabes, l’importance du Bangoron. Ensuite on coupe ou on longe de faibles ondulations constituées par les quartzites, très redressés, dont il a été question. En se décomposant ces quartzites ont donné un sol très pierreux, peu boisé, impropre à la culture.

Par une pente insensible, on arrive dans cette vaste région d’inondation qui, commençant à la Tété, se poursuit jusqu’à la frontière du Dar Four sur près de 8° en longueur et qui atteint environ 80 kilomètres de largeur ; c’est la basse plaine du Mamoun, dont l’altitude est comprise, à la limite des hautes eaux, entre 470 et 490 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Cinq grandes rivières originaires des plateaux du S. : la Tété, le Moussoubourta, le Boungoul, la Mindja ou Diahap, enfin, le Bahap, ont tracé leur lit dans ce pays marécageux, sans pente, et sont réunies entre elles par plusieurs bras communiquant eux-mêmes par des cheneaux au lit incertain, avec des étangs et des canaux à une seule issue.

A l’E. du Dar Sara et du Dar Salamat, tous ces bras se réunissent en un seul auquel on peut conserver le nom d’Aouk que lui a donné Nachtigal. En réalité Aou, synonyme de Bahr ou de Ba, signifie fleuve en langue rounga. Il y a l’Aou Tété, l’Aou Boungoul, etc. C’est incontestablement le Boungoul qui doit être regardé comme la branche principale de l’Aouk. Où nous l’avons traversé, le cours mesure de 30 à 35 mètres. La berge de la rive droite a 4 mètres et la bande d’inondation a 300 à 500 mètres de large.

Si, comme cela est probable, aucun barrage de roches n’interrompt le cours inferieur du Ba Aouk, cette artère, la plus longue du bassin du Chari, pourrait être remontée à l’hivernage par des embarcations assez sérieuses.

On pourrait de même remonter la Tété, large de 25 mètres, avec des berges de 1m,50 à 3 mètres de hauteur, où nous l’avons passée, et le Bahap qui mesure à côté du Mamoun 30 à 60 mètres de large avec des berges de 2 à 4 mètres, mais où l’eau ne coule plus au moment des plus basses eaux que sur 6 à 10 mètres de largeur et 0m,20 à 0m,30 de profondeur.

La Tété prend sa source à une cinquantaine de kilomètres au S.-E. de Ndellé. Le Moussoubourta reçoit la Gounda qui naît près des ruines de l’ancienne ville kreich de Mbélé.

Le Boungoul vient du même plateau, mais plus à l’E. dans la contrée habitée autrefois par des Bongos.

Quant au Diahap, il est formé par la Mindja, rivière originaire des Monts Châla, où Potagos a découvert ses sources en 1878.

Après avoir traversé le pays des Bingas, la Mindja se divise en deux branches, l’une constitue le Bahap et l’autre le Diahap nommé aussi Kuési, vient tomber dans le Boungoul. Le nom de Mamoun est donné à une mare en arc de cercle, située au N. du Bahap, qui mesure aux basses eaux 40 à 50 mètres de large sur 4 kilomètres de long et 0m,50 à 1 mètre de profondeur, avec des fosses plus profondes où se retirent les hippopotames à la saison sèche. Vers le N. ce chenal s’élargit en un marais qui collecte en hivernage les eaux des environs et au S. est séparé du Bahap par une jetée naturelle, large de 20 mètres, coupée de deux fossés par lesquels le trop-plein du Mamoun se déverse dans le Bahap qui, à partir de là, prend le nom de Koumara (en goulla), Kamaré (en arabe).

Au N. du Mamoun existent encore d’autres rivières que coupent les caravanes qui se rendent au Dar Sila : l’une est l’Aou Kali, qui va se jeter dans l’Aouk, et l’autre la Mé (probablement le Mérabé de Nachtigal) qui irait au Bahr Salamat.

Quant à l’ouadi Nzilli, c’est l’affluent le plus septentrional de l’Aouk. Il viendrait des hauteurs du Dar Fongoro, riches en Borassus et situées en plein Dar Four.

Par extension les Arabes ont donné le nom Mamoun à toute la région des rivières du delta de l’Aouk. A la saison des pluies cette région devient un immense lac dont le Mamoun, proprement dit, constitue la partie la plus centrale. Chaque rivière et chaque chenal est environné de bordures, larges de quelques centaines de mètres et parfois de plusieurs kilomètres, entièrement dépourvues d’arbres et sur lesquelles doit s’étendre l’inondation à la saison des pluies.

L’ensemble constitue alors une immense nappe d’eau remplie de plantes aquatiques d’où émergent des îles plus ou moins boisées et surélevées de quelques mètres à peine. Lorsque la crue est terminée, il ne reste plus que des flaques d’eau dans les dépressions séparées par des prairies de bourgou et d’andropogonées amphibies.

Il est difficile de se faire une idée de la richesse de cette contrée en grands mammifères herbivores. Dans le court séjour que nous avons fait au Mamoun, nous avons vu 4 à 5 espèces d’antilopes par grands troupeaux de 10 à 50 individus, un couple de rhinocéros, de nombreux phacochères. Les Fahr el bous (Aulacodus) foisonnent dans les prairies de Bourgou et constituent un des gibiers les plus délicats. Nous avons vu en outre des traces fraîches de buffles, de girafes, et les abords des mares sont littéralement piétinés par les éléphants et les hippopotames ; enfin les indigènes nous ont assuré que le lamantin nommé abkour par les Arabes et kerevoa par les Goullas était commun dans le Mamoun et dans les parties les plus profondes du Boungoul.

Les oiseaux de rivage qui vivent sur le bord des grands fleuves africains ne sont pas moins nombreux ; les aigrettes, en particulier, sont fréquentes. Dans l’eau on trouve une tortue qui mesure plusieurs décimètres de diamètre, le crocodile vulgaire y est commun, ainsi que diverses espèces de grands poissons siluridés.

La végétation se compose des essences habituelles de la zone soudanienne : le karité, le nété, le cailcédrat, le Diospyros mespoliformis, les Terminalia, les Combretum, auxquels s’ajoutent quelques espèces plus septentrionales, comme le Balanites ægyptiaca, le Sclerocarya Birrœa, le Combretum aculeatum, le Boscia senegalensis, etc. Chose curieuse, les Acacia et plusieurs autres arbustes épineux des steppes, y sont moins communs que dans les plaines plus méridionales du Bangoran. Le bourgou, la plante saccharifère de Tombouctou, remplit la plupart des fossés et le riz réussirait parfaitement dans tous les terrains s’inondant chaque année. Cependant le pays est pauvre et peu peuplé.

En résumé, les contrées situées à l’E. et au S. du Ouadaï n’ont qu’une valeur médiocre. La liane à caoutchouc, principale richesse de l’Afrique centrale que l’Européen puisse exploiter, y fait presque complètement défaut.

Enfin les habitants, comme toutes les races faibles du Soudan, ont beaucoup souffert des incursions des musulmans qui, loin de développer une civilisation, n’ont laissé que des traces de leur oppression, en faisant partout de larges vides.

II. — APERÇU SUR LA MÉTÉOROLOGIE DE NDELLÉ[148]

En décembre, janvier et février, la direction du vent oscille entre le N. et l’E., en se fixant souvent au N.-E. Quand la direction se rapproche de l’E., il devient froid et parfois légèrement humide ; s’il est au N., au contraire, il est brûlant et élève la température. C’est en janvier que ce vent atteint sa plus grande intensité ; il souffle parfois toute la nuit avec une violence qui augmente encore de 7 à 10 heures ; vers midi il cesse généralement pour reprendre un peu vers le soir.

Quand il est franchement de N.-E., ce vent transporte beaucoup de sable, mais pas suffisamment pour en accumuler d’une façon sensible dans les dépressions du relief. Il contribue largement à la dissémination des graines à cette époque. Il fait tomber les fruits indéhiscents des arbres (Detarium), entr’ouvre les gousses (Erythrophleum), transporte les aigrettes (Vernonia), charrie les fruits à ailettes (Combretum, Terminalia). Il arrache aussi les feuilles mortes ; c’est pourquoi beaucoup d’arbres de la brousse perdent leurs feuilles en décembre et janvier (Terminalia, Combretum, Parkia, Butyrospermum, Vitex, Anogeissus). Les rameaux de certaines espèces se détachent même des branches principales (Detarium, Bambou). Il a parfois une influence néfaste sur la végétation en grillant les fleurs (Butyrospermum, Mimusops des rochers). Il est probable qu’il active l’écoulement de la gomme des Légumineuses arborescentes (Acacia, Parkia, Lonchocarpus erinaceus, Afzelia), car en janvier le pied des arbres est parfois entouré d’une masse séreuse de gomme.

Le vent soufflant de l’O. précède les tornades du petit hivernage. Le 19 février, au matin, la direction E. du vent s’est brusquement renversée, le vent souffle avec impétuosité de l’O., charriant toujours du sable ; le temps, moins sec qu’auparavant, est très lourd. A midi, il se ralentit, mais le soir, à 8 heures, il redevient violent en venant toujours franchement de l’O. (malgré une légère déviation vers le N.). La nuit a été très lourde, la transpiration abondante. Le thermomètre qui était monté à 37° n’est pas descendu au-dessous de 27°. Le soir, il y avait eu des éclairs vers l’O. et à 2 heures, nous avions entendu les roulements lointains du tonnerre. Le 20, à 8 heures et demie du matin, le ciel est couvert, le vent a cessé, il tombe quelques gouttes de pluie sans tonnerre. Les précipitations de cette saison sont très faibles à Ndellé[149], tandis que les pluies ne sont pas rares alors à Fort-Sibut ni parfois à Fort-Crampel.

Dans le Dar Kouti, c’est le début du printemps qui marque l’extrême sécheresse du pays. A partir de février, le Bangoran ne coule plus, la Mindja Engoulou est tarie, il ne reste plus que çà et là des flaques d’eau. Ce n’est plus qu’à leur sortie des massifs de grès horizontaux que les ruisseaux ne sont pas à sec, mais dès qu’ils sont parvenus dans la plaine, tout s’évapore. Il reste seulement dans leur lit des chapelets de mares permanentes.

La saison des pluies débute aux premiers jours de mars par une série d’orages, mais non accompagnés de précipitations très abondantes. On observe fréquemment un vent d’O., le ciel est parfois couvert et orageux. La première pluie est tombée à Ndellé le 16 mars ; le 29, à 3 heures, il y eut un orage assez fort, accompagné de tonnerre ; à 4 heures, quelques gouttes d’eau sont tombées ; le 30, le ciel fut très couvert le soir, mais à la nuit les nuages se dissipèrent. Une forte tornade avec tonnerre, éclairs et pluie abondante, qui a duré une demi-heure, eut lieu le 3 avril au soir ; le 4, il y eut un nouvel orage ; puis encore le 8 au soir, avec quelques gouttes d’eau. En somme, la saison des pluies commence franchement au début d’avril pour continuer, dans toute sa force, jusqu’en octobre.

Dès avril on se met à cultiver les champs situés autour des habitations. Ceux qui ont du bétail le parquent là quelques jours. On ensemence alors autour des cases du maïs, des patates, des dazos.

Les grandes plantations ne se feront qu’un peu plus tard.

Maturations. — Du 25 février au 5 mars, Lophira ; du 20 au 30 mars, le Daniella, puis le Vouapa ; les premières Ximenia en février ; les premiers Nété au 5 avril ; les Detarium, de décembre à avril.

En somme, Ndellé a un climat analogue à celui de Fort-Sibut.

III. — VÉGÉTATION ET AGRICULTURE

Les populations des Etats de Ndellé sont exclusivement agricoles. En effet, c’est uniquement dans la culture et la récolte des produits de la brousse qu’elles peuvent chercher leur subsistance. La chasse ne fournit presque rien ; la pêche est inconnue et d’ailleurs des rivières comme le Bangoran et la Tété sont peu poissonneuses. L’industrie n’existe pour ainsi dire pas. Le prétendu Arabe ne l’a pas introduite dans ces contrées et l’arborigène était incapable d’aucune initiative. La teinturerie est ignorée, le travail des cuirs est rudimentaire, le tissage du coton n’est connu que par des étrangers et des Roungas. Seul le travail du fer (fonte et forge) entièrement aux mains des Bandas, est assez perfectionné.

L’étain (mbassa) vient de la Tripolitaine par les caravanes. On n’en trouve pas dans la région et c’est par erreur que le capitaine Julien en avait signalé la présence vers la moyenne Kotto. Comme le cuivre (nagas), produit du Dar-Four, il s’emploie pour la fabrication des bracelets et des ornements d’armes.

Les productions agricoles du sultanat de Ndellé sont sensiblement les mêmes que celles du Soudan occidental, avec quelques espèces en moins. C’est ainsi que les végétaux tinctoriaux (indigo et henné), n’étant pas employés, ne sont pas cultivés. Il en est de même des textiles, sauf le coton.

Les deux principales plantes alimentaires du pays sont : 1o le Sorgho (Panicum Sorgho) ou gros mil ; 2o le petit mil (Penicillaria spicata). Les autres végétaux de grande culture sont ensuite, par ordre d’importance : le Maïs, le Sésame, l’Eleusine, le Niébé (haricot), la Patate, l’Arachide et le Woandzou (Pois de terre).

Il est difficile d’évaluer la quantité de mil cultivée. On peut admettre qu’un kilogramme de cette céréale représente la consommation journalière d’un noir. A la fin de la saison il en est mangé peut-être moins, mais comme aussitôt après la récolte il en a été gaspillé une grande quantité pour la fabrication du pipi, ce chiffre n’est pas exagéré. La population de Ndellé et des environs étant de 15,000 âmes, cela fait 5,475 tonnes que doit produire la région. Avec tout ce qui est perdu sur pied ou mangé par les oiseaux et les rats, un hectare ne rend en moyenne que 1,200 kilogrammes de mil. Pour subvenir à l’alimentation du pays il faut donc 4,562 hectares, soit un peu plus de 45 kilomètres carrés. Cette superficie est bien cultivée en effet autour de Ndellé. Les premières pluies arrivant en avril-mai, c’est à ce moment que se fait l’ensemencement. Au 1er décembre la récolte du mil était déjà terminée presque partout dans le Dar Banda. Autour de certains villages, avant de moissonner, on rabat les tiges des épis mûrs sur le sol, et on les laisse quelque temps en cet état pour que le grain puisse sécher. Les épis couchés sont moins visités par les oiseaux. De plus, on enclot parfois les plantations au moment de la récolte à l’aide de haies vives, de branches, d’arbustes épineux, pour protéger les champs contre les déprédations des grands herbivores africains : éléphants, antilopes. Lorsque les épis sont coupés et les grains détachés, on met ces derniers sécher sur des aires autour des cases, ou même sur des rochers avoisinant le village pour que la dessiccation soit plus rapide. Le grain est ensuite emmagasiné dans de grands vases en terre, ayant parfois 1m,50 de hauteur. Il y est à l’abri des termites et des rats et en cas d’incendie de la case, chose fréquente, il n’est pas brûlé. Aussitôt après la récolte les tiges desséchées du mil et des autres Graminées sont brûlées. Dès les premiers jours de décembre, les feux de champs cultivés s’allument autour de tous les villages et s’étendent malheureusement fort loin dans la brousse, détruisant toute végétation et jusqu’aux lianes à caoutchouc. On voit que les choses se passent comme au Soudan français.

Le Maïs (Banya en Banda) est recueilli un mois ou deux avant le mil ; on fait sécher les épis sur de grandes claies dressées dans les cours des zéribas et on les suspend ensuite par paquets à l’intérieur des cases. Il ne se sème que dans les sols riches autour des habitations ou sur le bord des eaux. L’Eleusine (mbissé en banda) se sème à la volée dans les terrains nouvellement défrichés et se récolte en octobre et novembre. Le rendement est faible, mais cette plante donne d’excellent pipi. Le grain se consomme aussi bouilli dans l’eau, sans être écrasé. Le Sésame (nonnou en banda) demande aussi peu de soins ; il se récolte en décembre. La graine est d’un usage général dans la préparation des mets chez les Bandas. La Patate est assez largement cultivée et se récolte toute l’année. On ne possède ici que la variété à tiges couchées, à feuilles cordiformes entières et à tubercules à pelure rose. L’Arachide (Koura en banda) se mange surtout grillée ; on ne sait pas en retirer l’huile. Sa culture tient peu de place. Le Niébé (haricot) est d’excellente qualité, mais beaucoup moins répandu que chez les Ndis ou les Ungourras. Quant au Voandzou (pois de terre, Koura en banda) nous en avons à peine rencontré quelques graines.

Ces plantes sont à peu près les seules cultivées en grand et d’une façon rationnelle chez les Bandas. Il convient néanmoins d’ajouter à cette liste quelques autres espèces qu’on trouve couramment autour de chaque village, bien qu’elles soient toujours en quantité fort réduite et qu’elles y viennent pour ainsi dire sans soins.

Notons d’abord le Tabac, beaucoup moins abondant que chez les Mbrous, les Ndis et les Mandjias. Senoussi ne fume pas et interdit à son entourage l’usage du tabac. Cependant on voit à Ndellé près de chaque case les deux espèces : Nicotiana rustica et N. Tabacum. Les feuilles sont mises à sécher sur les cases et pulvérisées comme notre tabac à priser (ngao). On n’y ajoute pas comme chez les Bambaras des sels provenant de cendres de certains arbres.

Au voisinage des habitations il existe toujours quelques pieds de Cotonniers (tendé en banda) dont les fibres sont récoltées en ce moment. Les espèces qu’on rencontre sont le Gossypium herbaceum (devenu ligneux, vivace et s’élevant à 2 mètres de haut), le G. barbadense (rare, alors que c’est l’espèce la plus fréquente vers la Tomi et l’Ombella), enfin, et surtout, le G. hirsutum qui remplace ici l’espèce cultivée au Soudan occidental (G. punctatum). Il n’existe nulle part au Chari de champs de cotonniers comme au Niger, bien que le coton y soit au moins aussi beau. Ce sont les hommes qui récoltent le coton et le filent sur des fuseaux. Les tisserands sont très rares dans le pays. Les bandes de tissus indigènes viennent surtout du Baguirmi, on les appelle des Tonkia. Étant donné la facilité avec laquelle croît le coton au Dar Banda, je considérerais cette plante comme un produit d’avenir pour la contrée, si toutefois, eu égard à la distance qui sépare l’Afrique centrale des marchés européens, l’exportation, même avec un chemin de fer, n’en était si coûteuse. Je demeure de plus en plus convaincu que c’est au Soudan nigérien, au Dahomey et dans certaines parties de la Sénégambie que doivent porter tous les efforts du Gouvernement et des colons français pour assurer la production de ce textile[150].

Il convient de mentionner encore un certain nombre de plantes alimentaires qui viennent presque sans soins autour des cases. Ce sont des épices et des condiments, comme le Piment vivace (Capsicum frutescens) ; deux espèces de tomates amères et la petite tomate-cerise commune dans tout le Soudan ; les Cucurbitacées alimentaires, comme les nombreuses variétés de Courges, les Pastèques ; enfin le Koukré, sorte de Cucumis à fruit amer et à graines très petites recherchées pour leur huile. Ce Cucumis se rencontre partout en Afrique centrale où il se sème dans le mil. Quand ce dernier est récolté, on laisse les fruits de Koukré pourrir sur place et lorsque la pulpe devient déliquescente on la recueille ; par des lavages on se débarrasse des impuretés pour ne conserver que les graines qui ont à peine 3 millimètres de diamètre. Leur tégument est blanc et le goût de l’amande n’est pas désagréable. Notons également les Lagenaria dont il existe plusieurs variétés grimpant sur les cases. Chez certaines, le péricarpe, desséché et vidé, donne des gourdes, des bouteilles, etc. La variété la plus commune est celle qui donne ces gros fruits sphériques qu’on coupe en deux pour en obtenir les calebasses, ustensile de première nécessité pour les noirs.

Plantes a huile et a graisse. — Ce n’est point pour la préparation des aliments que l’huile est indispensable aux noirs de l’Afrique centrale ; ils s’en passent fréquemment, mais une femme banda ne consentirait jamais à cesser de s’oindre le corps avec de l’huile. Pour faire cette toilette les matières grasses les plus vulgaires lui sont bonnes. Nous avons déjà parlé du Sésame et de l’Arachide cultivés pour d’autres usages. C’est le Ricin qui fournit l’huile de toilette aux femmes Bandas. Aussi on rencontre cette Euphorbiacée dans tous les lieux habités où elle pousse sans soins. C’est la même variété qu’au Sénégal, vivace, très rustique, formant parfois un petit arbre qui s’élève à 5 et 6 mètres de hauteur. Les graines renfermées dans une coque indéhiscente sont très petites, mais les grappes fructifères très fournies. Lorsque le Ricin manque, on fabrique de l’huile avec les graines de différentes plantes de la brousse, le Butyrospermum, le Lophira, etc.

Légumes. — La bouillie du mil, mets principal des Bandas, se mange toujours avec une sorte de soupe dans laquelle divers légumes ont cuit. Ceux qu’on cultive à cet effet (car beaucoup se cueillent dans la brousse ou sont naturalisés autour des cases, comme le Pourpier, la Melothrie) sont les suivants : le Gombo (Hibiscus esculentus) ; l’Oseille de Guinée (H. Sabdariffa) ; plusieurs espèces de Corchorus ; l’Amarante (Amarantus caudatus) ; une autre Amarantacée appelée en banda Demba Yafourou (queue de chien) ; le Basilic (Ocymum).

On mange aussi les feuilles des Courges, des Patates, etc., en guise d’épinards. Le Manioc, si communément cultivé sur les bords des affluents septentrionaux de l’Oubangui et qu’on rencontre encore en quantité chez les riverains de Gribingui, fait presque entièrement défaut dans les états de Senoussi. Nous n’avons vu à Ndellé que quelques touffes de manioc doux qui étaient fort belles, ce qui prouve que la plante réussirait ; mais dans tous les pays musulmans on préfère la farine de mil à la farine de manioc.

On peut en dire autant des Bananiers. Ils viennent parfaitement et il existe dans quelques zéribas une variété du Musa paradisiaca dont les fruits, longs de 0m,20 environ, sont excellents. Toute la vallée où coule le ruisseau de Ndellé pourrait être transformée en une vaste bananeraie alors qu’il n’y pousse actuellement que des herbes de marais.

L’Igname dont il existe deux variétés cultivées en pays banda, le Baba yassi (Dioscorea alata) et le Baba gossi (D. Sativa), grimpe seulement le long de quelques enclos[151]. Quant à l’Igname à tubercules aériens, nous ne l’avons vu qu’en de rares zéribas et toujours en petite quantité. Il appartient à une variété qui donne des tubercules à peau cendrée, beaucoup plus petits que les variétés des Bandas de l’O.

Le Dazo (Coleus dazo), si répandu du pays Ouadda sur l’Oubangui jusque chez les Ungourras, est aussi cultivé. Nous avons rencontré cultivé chez les Ndoukas du Dar Kouti l’Ousonifing (Coleus rotundifolius).

L’échalotte et l’ail si estimés des Arabes, et qui viendraient avec la plus grande facilité à Ndellé, ne sont connus que par quelques bulbes apportées par les caravanes du Ouadaï.

Plantes naturalisées. — Beaucoup des légumes que nous venons d’énumérer viennent sans soins, sur les détritus accumulés autour des cases, et c’est à peine si de temps en temps les femmes s’en occupent. Les graines d’ailleurs se resèment d’elles-mêmes. Il est toute une autre catégorie de plantes qui se rencontrent toujours en abondance autour des zéribas, mais rarement ailleurs, qu’on ne sème point et qui pourtant ne s’éloignent pas des habitations. Ce sont vraisemblablement des plantes qui ont été cultivées à une époque plus ou moins reculée par d’autres peuplades disparues ; bien que négligées par les nouveaux venus, elles ont continué à se multiplier sur l’emplacement des anciens villages. Bien plus, elles ont suivi l’homme partout où il se transportait, même dans ses retranchements et, par exemple, sur le sommet de kagas inhabités on les rencontre fréquemment. Nous avons noté une quinzaine d’espèces végétales de cette catégorie. Nous parlerons seulement de deux, en raison de leur abondance et de l’utilisation qui en est encore faite.

L’Hyptis spicigera (Bourounyou en banda). Labiée ayant le port d’une grande Menthe, existe en abondance autour des villages et même en pleine brousse. M. Schweinfurth l’a vue cultivée chez les Bongos. Au mois de décembre, lorsque la plante se dessèche, on en récolte les épis et on en fait tomber les graines riches en huile alimentaire. Aussi, à Ndellé, on substitue souvent ces graines à celles du Sésame dans la préparation des aliments. Une deuxième plante, belle Acanthacée à tige terminée par un long épi de fleurs bleues, foisonne autour de presque toutes les habitations bandas. On la sème encore quelquefois, mais le plus souvent elle vient toute seule. En brûlant les tiges de cette plante et en lessivant les cendres, on obtient par évaporation un sel de potasse impur qui est le seul condiment dont font usage les noirs et même les Arabes du peuple dans le Dar Banda et en général dans toute l’Afrique centrale.

En effet, le sel, apporté quelquefois à Senoussi par les caravanes, est une denrée fort chère et les riches seuls peuvent en faire usage. Trois kilogrammes de sel représentent à peu près la valeur d’un esclave mâle adulte. Lorsque la plante à sel vient à manquer dans un village, on la remplace par quelques espèces fréquentes dans la brousse qui contiennent les mêmes substances ; ce sont : plusieurs arbustes des bords des marigots, les tiges du Lippia adoensis, enfin les gousses d’une espèce de Tetrapleura (Kakré ou Kakéré en banda).

Utilisation par les indigènes des végétaux de la brousse. — Quoique moins misérables que les Mandjias et même que la plupart des Bandas soumis à notre autorité directe dans les cercles de Krébedjé et de Fort-Crampel, les sujets de Senoussi sont parfois visités par la famine, surtout dans la période qui précède immédiatement la récolte[152]. Aussi recourent-ils parfois aux végétaux spontanés de la brousse.

Nos porteurs déterraient souvent une grosse igname qu’ils trouvaient dans les galeries et dans la brousse très boisée à quelques kilomètres de la Koddo. Ce tubercule se nomme Bago. Il vaudrait les espèces cultivées, s’il ne gardait, même après cuisson, une saveur un peu amère.

Le Parkia fournit en mars et avril la farine jaune de ses gousses, mais, quoique l’arbre soit abondant, on en fait beaucoup moins usage qu’au Sénégal. Il en est de même de la graine de Karité (Butyrospermum) ; cet arbre, répandu depuis le septième degré jusqu’au neuvième degré, est commun dans le Dar Banda.

Le Café de Senoussi, vient des bords du ruisseau appelé Bolo ou Boro, affluent de la Tété, situé à une journée de marche de Ndellé. Il est connu sous le nom de Gaoua par les Arabes de Ndellé. Nous l’avons rencontré en outre aux points suivants : sur le Haut-Manifo, la Haute-Gounda et le Bata (ce dernier ruisseau, affluent de la Kotto). D’après Senoussi, il existe encore sur le Haut-Déo, la Haute-Tété et le Haut-Dakéso.

Le capitaine Julien prétend avoir été le premier à faire connaître à Senoussi et son entourage le café qu’on faisait venir précédemment des Sultanats. C’est inexact. C’est par erreur aussi qu’il dit dans son rapport avoir vu le café au Bamingui et au Bangoran. Cet arbuste ne saurait exister aux points où il a passé ces rivières, qui n’y sont point bordées de galeries.

Le Bétail et la Tsé tsé. — Nous avons dit que Senoussi joint à ses nombreux revenus ceux de l’élevage et de la vente de la viande à ses sujets ; nous avons indiqué aussi le haut prix de la viande à Ndellé. La rareté du bétail vient en partie du monopole du sultan, en partie de l’occupation arabe qui a épuisé le pays au point que, dans les villages païens, il n’y a plus ni poules ni cabris. Mais elle tient aussi, du moins pour les bœufs et pour les chevaux, aux ravages de la mouche tsé tsé[153].

La tsé tsé est l’un des principaux, sinon le plus grand fléau du pays de Senoussi et du Ouadaï. Aïssa disait : « Tu ferais grand plaisir au sultan Senoussi et au sultan du Ouadaï si tu pouvais leur indiquer un remède pour guérir leurs animaux piqués par le Boguéné. » La tsé tsé fait mourir les bœufs, les chevaux, les ânes, peut-être les chameaux ; l’homme piqué ressent une légère douleur, mais n’est pas autrement incommodé. Huit jours environ après un séjour dans une région infectée (voyage au Mamoun) les phénomènes suivants ont été observés sur le cheval de Courtet :

28 mars. — Enflure des paturons des pieds de derrière, suintement aqueux mais léger par les naseaux.

20 avril. — Grosseurs aux glandes de la ganache, enflure aux commissures de la bouche, membres inférieurs enflés, suintements par les naseaux.

21 avril. — Humeur sanguinolente sortant en assez grande abondance des glandes de la ganache.

23 avril. — Grosseur sous le ventre avec suintements rosés.

24 avril. — Apparition d’une seconde grosseur sous le ventre, mais sans suintement.

25 avril. — Commencement de gonflement le long du cou, enflure plus forte des membres inférieurs.

26 avril. — Augmentation de l’enflure des jambes de derrière, suintements purulents par les naseaux, amaigrissement considérable, abattement, flancs non-caves, mange une quantité normale d’herbe fraîche, mais avec difficulté depuis deux jours.

27 avril. — Enflure atteignant la partie supérieure des jambes, testicules enflés ; écoulements purulents (naseaux, ganache et pourtour de la bouche) ; petites grosseurs disséminées laissant suinter un liquide rosé.

28 avril. — Respiration sifflante par suite de l’engorgement des naseaux, n’a pas mangé.

29 avril. — Ne s’est pas levé ce matin, mort vers 1 heure de l’après-midi.

Les régions où existe la mouche tsé tsé sont connues des indigènes, quand on les traverse, au lieu de laisser vagabonder les chevaux autour du camp, on les attache à un arbre, près d’eux on allume un brasier de branches bien feuillues dont la fumée éloigne les mouches. C’est souvent dans les marais ou à la traversée des rivières qu’elles piquent les animaux porteurs.

J’ai remarqué que la tsé tsé existe partout où les grands ruminants sauvages abondent, c’est-à-dire à proximité des grands cours d’eau, dans les plaines herbues, dénudées en partie, inondées à l’hivernage, aussi bien que sur les parties boisées et très giboyeuses qui les environnent.

Cette mouche est particulièrement abondante entre le Tété et le Boungoul ; on la trouve aussi près de l’Abiod (Bamingui) sur la route de Ndellé à Fort-Crampel et au Bangoran sur la route de Ndellé à Fort-Archambault. Elle n’existe heureusement pas à Ndellé et c’est une des raisons qui ont engagé Senoussi à installer sa résidence en cette localité.

Elle est parfaitement connue de nos Sénégalais qui la disent commune le long du Sénégal, du Niger et de leurs affluents. Cependant, dans l’Afrique occidentale, sa morsure ne serait pas mortelle pour les chevaux et les bovidés pour lesquels on ne prend aucune précaution ; ils n’en seraient même pas incommodés. J’ai vu cependant, aux environs de Sikasso, un cheval dont la maladie paraissait occasionnée par la tsé tsé.

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