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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain
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A L’EXEMPLE DES ABEILLES
J’ai dans ma cour, au pied de beaux arbres fleuris,
Un rucher bigarré fait de vibrantes ruches ;
On dirait un hameau sous les verts tamaris,
Un hameau de couleur au pays des perruches.
Les bruits frais des torrents, des ruisseaux, de la mer,
Autour de ma fenêtre enroulent leurs murmures ;
Sans quitter ma maison, je puis, par un jour clair,
Me croire au cœur profond de la verte nature.
En proie au dur travail qui bourdonne en son flanc,
Le rucher au soleil ronfle comme une usine.
Ah ! pourquoi tout à coup, ivre et tourbillonnant,
S’en échappe un essaim qui va vers la colline ?
Abeilles au vol sûr, je vous vois tour à tour
Porter le pollen blond et le nectar qui grise ;
Chaque instant le rayon de miel se fait plus lourd.
Vous remplissez l’azur d’une belle surprise.
Je perçois grâce à vous les puissantes odeurs
Des grands arbres mirant leur ombrage aux fontaines,
Vous portez jusqu’à moi l’enivrement des fleurs
Et l’âme des beaux jours chante en vos ruches pleines.
Séduits par votre exemple, ô peuple merveilleux,
Mes espoirs sont partis dans le vent qui les berce,
Mais rapporteront-ils à mon cœur anxieux
Le pollen du bonheur et le miel de l’ivresse ?
Quand un de vos essaims tournoie, ardent et nu,
Ayant abandonné le trésor des cellules,
Avant de se poser dans quelque arbre inconnu
De la grande forêt pleine de crépuscule,
Je rêve de quitter la paisible maison
Où j’ai mené des jours d’une existence sûre,
Pour aller je ne sais vers quel autre horizon
Affronter les périls d’une belle aventure.
A UNE LIANE
O liane étoilée et de fleurs et de fruits,
Tu parfumes mes jours et parfumes mes nuits !
Tu suspends aux bras frais d’un tamarinier grêle
Les mille serpents verts de ta verte tonnelle.
Pour cueillir sur ta tige un rose charançon,
Un jaune oiseau des bois t’apporte sa chanson,
Tu vois voler vers toi dans les aubes vermeilles
Soixante colibris et plus de mille abeilles.
Les bougainvilias et les longs quisqualis
Ont moins que toi l’odeur adorable des lys.
Quand un orage court, te heurte et te chavire,
Le vent du sud te fait chanter comme une lyre.
Lorsque le croissant brille et que la ville dort,
La luciole en toi pose un confetti d’or ;
Et c’est l’heure indolente où vibre en ton feuillage
Le chant de l’andolite[1] et du grillon sauvage.
O compagne odorante, ô fille des forêts,
Grâce à toi, je peux voir la nature de près,
Sans cesse je retrouve en ton jeune feuillage
Le charme et les odeurs d’un lointain paysage ;
Et toujours étoilée et de fleurs et de fruits
Tu parfumes mes jours et parfumes mes nuits.
[1] Andolite (anolis) : Petit lézard fort commun aux Antilles. Certaines espèces chantent par les belles nuits.
LA MAISON AUX ABEILLES
Modeste est ma maison, mais fort je la chéris
Au doux feu des heures vermeilles !
Car elle communique avec les bois fleuris
Par le fil d’or de ses abeilles.
Tel parfum qui flotta sur le morne embaumé
Et qui subit le sort des roses
Vit encor, souvenir adorable de mai,
Dans l’étui des cellules closes.
Tel nectar, diamant liquide dans la nuit
Ou rosée à perle tremblante
Dort maintenant, plus blond que le suc d’un beau fruit,
Au cœur chaud de la ruche ardente.
De l’aube au soir l’essaim ardent et régulier
Apporte à ma cour des messages.
Je sais quand « l’épineux » porte des fleurs d’argent
Et quand c’est le mois des orages.
Je sais que les poix doux sont pleins de « sucriers »
Et les flamboyants d’oiseaux-mouches
Et que les agoutis gambadent par milliers
Dans le sentier des vieilles souches.
Je sais que l’ortolan roucoule à la fraîcheur
Du courbaril près de la source
Et que l’étang où vient s’abreuver le chasseur
Mire les feux de la Grande Ourse.
Je sais que la campagne est un vaste bouquet
De fleurs, d’odeurs et de musiques
Où le maigre coucou, de bosquet en bosquet,
Chasse les guêpes métalliques.
Ce soir, on est au mois où l’amour met le nid
Comme un trophée au cœur des branches ;
Et mes vers accouplés volent vers l’infini
Comme des vols d’aigrettes blanches !
L’ÉGLISE CLAIRE
Non loin de la maison aux abeilles, l’église
Où chante le dimanche un petit chœur d’enfants.
Je me complais alors à suivre les doux chants
De ces petits dont l’âme est encore indécise.
L’encens embaume l’air et par les jours de mai
Il arrive parfois qu’on voit voler en elle
D’une fenêtre à l’autre un vol de tourterelle
Qui se sent bienheureux en ce lieu parfumé.
VOL D’ABEILLES
Mille quittent la ruche en projectiles d’or.
Mille rentrent soudain en cascades vermeilles.
Tout le jour la maison entend vibrer l’effort
Vibrant et radieux des divines abeilles.
C’est d’une reine unique en la paix du rucher
Que sont nés les feux d’or de tant de travailleuses.
Et le cœur du poète est un divin archer
Qui lance sans compter les flèches merveilleuses.
LE RÉVEIL DES RUCHES
L’aube à peine a teinté les collines vermeilles,
Qu’un gai bourdonnement s’élève du rucher.
Quel est l’arbuste en fleur au parfum de pêcher
Qui donne tant de joie au peuple des abeilles ?
Tout le jour, vibrera le généreux travail,
De la ruche à la fleur, de la fleur à la ruche ;
Jusqu’à l’heure où le soir plus vert qu’une perruche
Dorera de ses feux une mer de corail.
Désirs, désirs plus beaux que les mouches fidèles,
Vous n’avez de repos ni l’hiver ni l’été ;
Grisés par les parfums de l’arbre de Beauté,
Nuit et jour vous volez aux fleurs surnaturelles.
LE BEAU VERS
Lorsque sur le papier traçant le noir sillon,
Ma plume écrit un vers d’une beauté parfaite,
Il me semble en la nuit voir un beau papillon ;
Complaisant et joyeux, j’admire ma conquête.
Mais dès que sur les lacs le soleil s’est levé,
Le vers prend la couleur morte des chrysalides ;
Il a perdu l’éclat du sphinx vert des Florides,
Je n’écrirai jamais le vers que j’ai rêvé.
LE RAYON
Garde-toi d’enlever de la ruche qui dort
Le rayon non scellé par les abeilles d’or,
Le miel operculé seul est un vrai trésor.
Il faut que ta pensée, ô poète, soit mûre,
Pour que dans un beau vers, son moule et sa parure,
Elle dure longtemps et se conserve pure.
AU COLIBRI
Colibri, tous les bois fleuris sont en liesse ;
Et pourtant, tu reviens au jardin de Roseau
Apporter à mes fleurs ta frôleuse caresse,
Ah ! de quel paradis sors-tu, charmant oiseau ?
LE MIEL
De même que le vin évoque un coteau bleu,
L’odeur de ce beau miel fait revivre ta flore,
Campêche blond qu’on vit l’an dernier, à l’aurore,
Lourd de guêpes de cuivre et d’abeilles de feu.
LA MONTAGNE
Montagne couronnée et de lune et de rêve,
C’est vers vous cette nuit que voyagent mes vœux ;
Non point pour vos splendeurs qu’on voit de cette grève
Mais parce que vos lacs me rappellent ses yeux.
LE POÈTE
O poète, tu n’as qu’un moment de beauté,
Pour ciseler le vers sauveur de ta mémoire,
Le vers vaisseau de fer et vaisseau de clarté
Qui portera ton nom sur les mers de la gloire.
BEAUX JOURS
Mille parfums de fleurs annoncent que le miel
Sera bientôt porté vers les ruches ardentes ;
Et plus de cent essaims d’abeilles bourdonnantes
De leurs voyages d’or éblouissent le ciel.
Mon esprit, travaillez loin des sombres demeures,
Devant le beau visage étincelant des jours ;
Pour qu’en vers lumineux comme les rayons lourds,
Vous condensiez l’essence impalpable des heures.
LA FENÊTRE
Je veux chanter la chambre ouverte à l’alizé ;
Par sa large fenêtre on peut voir la montagne,
Des bois et des vallons, la lointaine campagne,
Où chaque arbuste en fleur forme un îlot rosé.
On voit aussi la mer, flot calme ou flot brisé,
De larges vols d’oiseaux que le vent accompagne,
Un horizon plus bleu que celui de l’Espagne,
Et les mille splendeurs du couchant embrasé.
Dans le ciel exigu qu’encadre la croisée,
La nuit sombre et la nuit brillante de rosée
Se révèlent soudain dans toute leur fraîcheur.
Et dans le rose azur d’une naissante aurore,
Je regarde rougir la voile d’un pêcheur,
Pâlir la Croix du Sud et mourir les Centaures.
LA TOMBE FLEURIE
Je hais le cimetière où l’on dort à l’étroit.
Ah ! qu’on ne couvre pas ma dépouille de marbre ;
Mais qu’on m’enterre, à l’ombre verte d’un grand arbre,
Et que la mer, la mer chante près de l’endroit.
Je voudrais que ma fosse ainsi qu’une tonnelle
Fût en tout temps fleurie afin que le passant
Séduit par la splendeur de l’arbre ravissant
S’arrêtât pour rêver, quelques instants, près d’elle.
Mais, je voudrais surtout, lorsque le renouveau
Enivre les chemins, que passent de beaux couples
De jeunes amoureux aux corps minces et souples
Et qui ne sauraient pas que là gît un tombeau.
Mon âme, au jardin bleu des ténèbres enclose,
Tressaillirait du fond de l’éternel exil
Lorsque l’adolescent divin, le frêle avril,
Viendrait avec l’Aurore y respirer les roses.
Et par les grands étés de l’immense avenir,
Dans les sèves de l’arbre éclaterait encore,
Pour le parer soudain d’une éclatante flore,
Mon rêve radieux qui ne veut pas mourir !
STANCE AUX ABEILLES
Lorsque je partirai, mes petites amies,
N’allez pas quitter le rucher ?
N’allez pas essaimer par delà le clocher ?
Restez, vous charmerez les roses endormies.
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