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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain
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J’écris ces vers d’une île où sont les perroquets,
Où les arbres fleuris sont d’énormes bouquets
Odorants et joyeux aux beaux mois des corolles.
J’écris ces vers au chant des fontaines créoles.
Sur un piton lointain ondule un palmier vert.
Par ma fenêtre bleue entre l’air de la mer.
Les frégates sans fin sollicitent le rêve ;
Avec elles l’espoir plane loin de la grève.
Tout près de ma maison où bourdonne un rucher
Chantent trois fois par jour les cloches d’un clocher.
Ma demeure est toujours tranquille et solitaire ;
C’est là que je conserve un grand amour sincère ;
Et le charme est si pur d’y chérir deux beaux yeux
Lointains, que mon bonheur illumine les cieux.
J’écris ces vers au chant de la mer des Antilles
A l’heure où sur les monts, lune verte, tu brilles.
LE VENT DU SUD
A vous troupe légèreQui d’aile passagèrePar le monde volez.Joachim du Bellay.
Le doux vent que l’on respire,
Par ce beau jour d’odeurs,
Apporte l’âme en délire
Des flots et des fleurs.
Non, ce n’est pas de ces plages
Que vient le vent frais,
Il a fait de beaux voyages.
(O Mers, ô Forêts !)
Il a charmé l’Atlantique
De son rêve fol,
L’odeur de la Martinique
Flotte dans son vol.
Il a frôlé la grenade
Aux divins vergers
Et la limpide Barbade
Aux arbres légers.
N’est-ce pas, pur et tonique,
Sur les ajoupas,
L’air de la brune Amérique
Où sont les pampas ?…
Il traîne par le tropique,
Tenace témoin,
Quelque chose d’exotique
Qui vient de plus loin.
Il a bu le sel des îles
Désertes où les bois
Ont des notes plus subtiles
Que tous les hautbois.
Il a chanté sur cent grèves
Avec les oiseaux,
Il a bercé mille rêves
Et mille roseaux.
Il a gonflé mille voiles
Sur les chaudes mers
Et frémi sous mille étoiles
Aux cieux pleins d’éclairs.
Il donne la nostalgie
De pays lointains.
Mon âme s’est élargie
D’espoirs incertains.
Ah ! ce n’est pas de nos plages
Que vient le vent frais.
Il a fait de grands voyages.
(O Mers, ô Forêts !)
Vent qui pousses les nuages
Vers le nord frileux
Et te complais aux ombrages
Hantés de paons bleus.
Toi qui sèmes à nos portes
L’or des orangers,
Prends avec les feuilles mortes
Mes rêves légers.
Prends mes chants et sème-les
Sur toutes les mers
Et que toutes les forêts
Respirent mes vers.
Emporte au loin par le monde
— Divin troubadour —
L’ivresse pure et profonde
De mon cœur trop lourd !
AU BEAU LYS DE FRANCE
Dans l’île montagneuse et pleine de forêts,
Voilà bientôt six ans que je chante aux étoiles
Et que je songe à vous, tandis que mille voiles,
Mille oiseaux migrateurs voyagent aux vents frais.
AURORE AUSTRALE
La nuit ferme son aile et parmi les roseaux
On entend pépier d’innombrables oiseaux.
A pas comptés, l’aube s’approche.
De la savane la plus proche
On entend les clairons des coqs.
Argo ne vogue plus dans la vaste nuit bleue.
Le long Scorpion d’or rentre sa longue queue
Par delà l’île aux sombres rocs.
Les torrents de l’aurore en blanchissant l’azur
Ont emporté le sable éclatant des étoiles
Et la mer voit soudain, à son orient pur,
Le clair vaisseau du jour dresser ses roses voiles.
INCANTATION
Ah ! vivre ici, bercé de secrètes musiques
Et le regard toujours tourné vers la beauté ;
Les meilleurs de nos vers n’étant que des reliques
Où l’on veut des beaux jours conserver la clarté !
Poèmes de tendresse écrits à la nuit close,
Brillez comme l’étoile en un feuillage noir ;
Gardez le souvenir de la dernière rose
Et l’écho langoureux des colombes du soir.
LE RÊVE
Bien que je vive aux lointains bords
De l’exotisme,
Mon rêve, oiseau fier, sans efforts,
Sait franchir l’isthme.
Il revient se poser souvent
Sur la ruine
D’un temple grec où l’on entend
Chanter la mer de Salamine.
INVITATION AU CLAIR DE LUNE
Clair de lune, je vais faire éteindre les lampes,
Pour que vous rentriez ce soir dans ma maison ;
Vous avez des pitons illuminé les rampes
Et vous baignez déjà le subtil horizon.
Beau feu blanc de la lune, entrez par mes fenêtres
Et faites pour mes yeux danser vos froids rayons ;
Je reverrai l’étang qui brille sous les hêtres,
J’entendrai Philomèle et le chant des grillons.
LE SEUL REGRET
Si vous étiez près de mon cœur
Que la nuit serait belle !
Il n’est pas une autre île en fleur
A mes yeux valant celle
Où de ma fenêtre je vois,
Dans la campagne amie,
Bambous penchés et palmiers droits
Et la mer endormie.
LA LETTRE
Qui eust pensé que l’on peust concepvoirTant de plaisir pour lettres recepvoir ?Clément Marot.
Ecrivez-moi sans cesse, ô mon beau Lys lointain,
Bientôt luira le jour radieux que j’espère ;
En attendant, les mots tracés par votre main
Sont des ruisseaux où mon amour se désaltère.
LES ILES
A Marius-Ary Leblond.
Océan, garde-nous les Iles.Fernand Thaly.
Qui dira le charme des îles,
Oasis que borde d’azur
Le désert des ondes mobiles ?
Qui chantera leur soleil pur ?
Berceau de légendes splendides
Depuis le temps d’Aphrodite,
Ne sont-elles ces Atlantides
Les paradis de la beauté ?
C’est dans un îlot qu’Ariane
Fut abandonnée aux tourments.
En Sicile, au chant du platane,
Théocrite eut des jeux charmants.
Chio te vit grandir, Homère !
Rhodes charma les Chevaliers ;
Et Cœur-de-Lion, âme fière,
Aima Chypre aux pourpres halliers,
Sur les mers de la solitude
C’est par l’une des Bahamas
Que Colomb commença l’étude
Des merveilleux panoramas.
C’est aux Mascareignes, dans l’île
Des filaos plantés en rangs
Que naquit Leconte de Lisle,
Poète grand parmi les grands.
Les plus beaux yeux de l’Odyssée
D’une île ont admiré la mer,
Et Nausicaa fut bercée
Par le lyrisme du flot clair.
Iles du Sud hospitalières
Aux Bougainville, aux Carteret ;
Elles gazouillent, vos lisières ;
Mais pas d’oiseaux dans la forêt !
Et c’est vous, charmantes Antilles,
Les plus admirables joyaux
Des îles riches en coquilles
Sous l’or des tropiques royaux.
Terres d’amour, chères aux rêves
Et propices aux Robinsons,
Les vents alizés de vos grèves
M’ont donné de belles leçons !…
Vous parfumez vos claires rades
Du souffle des matins rosés
Et dans vos golfes les dorades
Dansent sous les flots irisés.
C’est à vos cieux que je dérobe
Le murmure des filaos,
Lorsque la mer change de robe
A l’aurore, au parfum des flots.
Je vois rentrer le paille-en-queue
Pareil à mon blanc rêve pur,
Lorsque blonde en sa prison bleue
La lune contemple l’azur.
Ile ardente du Pacifique
Stevenson ne t’aime pas mieux
Que je n’aime ma Dominique,
Ma belle île aux oiseaux heureux.
Douce Antille aux bois admirables,
Sera-ce sous ton azur clair,
Que j’entendrai, du fond des sables,
Les grandes lyres de la mer ?
L’ANSE AUX TORTUES
Sur la plage où le flot a des lueurs d’agates
Ne glisse plus le vol émouvant des frégates.
Les lézards ne vont plus parmi les mangliers
Happer les fourmis d’or qui rôdent aux halliers.
Du croissant safrané vois les cornes pointues.
C’est juillet, mois torride où pondent les tortues.
Veux-tu que nous allions vers le sable luisant
De la plage où le flot blanchit le noir brisant ?
Là, muets, nous pourrons peut-être, sous la lune,
Voir l’immense tortue aborder la lagune,
Se traîner sur le sable et longtemps épier
Les ombres du rivage et celles du hallier
Puis enfouir, afin que l’île les protège,
Ses œufs dont la couleur est celle de la neige.
LE NAGEUR
« Dans l’onde transparente où luisent les coraux,
J’ai vu les grands requins poursuivre les bécunes ;
Va plutôt te baigner dans les eaux des lagunes,
Derrière la savane où beuglent les taureaux. »
Mais tu me répondis : « Tes paroles sont vaines :
Tu ne sauras jamais le plaisir merveilleux
Qu’on éprouve à franchir les grands espaces bleus
De l’Atlantique, au chant des Antilles sereines. »
Depuis, je te vois fendre au loin les vastes eaux,
Et traîner sur la mer un lumineux sillage ;
Et moi qui suis épris d’un autre beau voyage
Je te regarde, assis à l’ombre des roseaux.
Là-bas, c’est le récif que hantent les grands squales
Et voici l’horizon houleux des cachalots.
Nage, souple nageur, jusqu’au soir plein d’étoiles,
Ainsi qu’un grand poisson de nacre dans les flots.
Nage sous les ciels d’ambre et sous les nuits funèbres,
Dans le flot rose ou vert, noir ou phosphorescent,
Jusqu’au jour où soudain brisera tes vertèbres
Quelque monstre marin aux yeux ivres de sang.
En attendant, jouis de la vague éternelle,
Respire la douceur du soir occidental ;
L’océan te caresse en ses flots de cristal,
Tes bras sont vigoureux et ta jeunesse est belle.
LA NUIT DANS LES GRANDS BOIS
A M. H.-M.-S. Laidlaw.
Les perroquets criards, les perroquets têtus,
Les perroquets dans l’arbre aux fruits noirs se sont tus.
C’est l’heure où le soleil, parcourant d’autres lieues,
Quitte la Dominique et ses montagnes bleues.
Le crabier sur la branche a rejoint ses petits.
Le sentier ne voit plus rôder les agoutis.
Une dernière fois, la brise sur son aile
Porte à l’écho lointain un chant de tourterelle.
Un grand concert soudain s’élève des bosquets ;
Grenouilles et lézards répondent aux criquets.
Avant de sombrer dans le rêve…
La forêt mêle les couleurs
Harmonieuses de ses fleurs.
Sur les bois la lune se lève…
Les odeurs de la nuit chassent celles du jour.
Mille bruits que le vent emporte avec amour
Exaltent l’air plus vif des solitudes vierges.
L’astre blanc sème ici des lumières de cierges
Et là-bas, sur une eau, des feux de diamants.
Il s’élève admirable entre les fûts dormants
De deux minces palmiers et c’est comme une aurore
Où le chat-huant gris jette son cri sonore.
La nuit claire à présent est reine de l’azur.
L’air est plus lumineux et le parfum plus pur.
Il semble que soudain mille corolles blanches
Parfument les rameaux des immobiles branches.
Les sphinx ont remplacé l’essaim des papillons.
Des lucioles d’or voltigent les feux blonds.
Un lampyre embrasé semble un lent météore.
Un palmier nain d’un feu verdâtre se colore
Tandis que le taupin se pose sur son fût.
Un chien aboie, un chien caraïbe à l’affût ;
Et, vers un grand figuier dont mûrissent les figues,
Je vois bondir soudain deux petites sarigues.
PETITS PAYSAGES
LE FLAMBOYANT
Sous l’étincelle d’or des oiseaux-mouches braves,
Le rouge flamboyant semble un volcan de fleurs ;
Une averse un instant a noyé ses splendeurs,
Mais le soleil couchant va raviver ses laves.
L’ARBRE INCONNU
Au bord de la savane où broutent les cabris,
L’arbre en fleurs dont les fruits sont aimés des perruches
Semble un grand arc-en-ciel ivre d’un bruit de ruches,
Tant il est éventé de vols de colibris.
L’ARBRE ROUGE
Quand l’aube blanche et rose inonde la prairie,
Il est comme un récif de corail aux cieux clairs ;
Sur lui des papillons voltige la féerie,
Les oiseaux-mouches bleus le traversent d’éclairs.
L’EUCALYPTUS
Le bel eucalyptus balancé par le vent
Semble d’un vaisseau fou la grande voile verte ;
Qu’il est doux à ses pieds de s’endormir, rêvant
Qu’on est parti tous deux vers une île déserte.
LES POISSONS
Vous qui jouez aux eaux des anses découvertes,
Du doux chant des oiseaux vous ignorez le miel ;
Mais vous savez l’îlot cher aux Sirènes vertes,
Poissons mystérieux, frères de l’arc-en-ciel.
LA TOURTERELLE
La vérandah laissait rentrer l’heure laiteuse
Et la lune dorait l’île de sa clarté ;
Toute la claire nuit, nous avons écouté
Ton frais roucoulement, tourterelle amoureuse.
LES LUCIOLES
J’aime les clairs de lune où miroitent les anses,
Mais préfère les nuits où voltigent vos feux,
Lucioles, berçant à l’heure du silence,
Vos douces lampes d’or dans les grands arbres bleus.
LE RÊVE
Qu’elle est douce la voix de la mer des Antilles
Quand elle chante au pied des verts tamariniers,
Que les femmes des bourgs passent sous leurs paniers
Pleins de citrons ambrés ou de vertes vanilles !
Qu’il est tendre ce chant autour de l’île en fleur,
Tandis que chaque flot écume sur le sable.
Ah ! vous mener un jour vers l’immense douceur,
Ma charmante, des flots de la mer adorable !
STANCE
Amour, voici le mois des plus belles étoiles.
Les grands arbres seront couronnés de lueurs.
La mer balancera de radieuses voiles
Et mon cœur loin de vous sera plein de langueurs.
D’UNE VÉRANDAH FLEURIE
(Conversation avec Arthur-Harry Law)
I
Roseau dans mon enfance était plein de cabris
Qui des pavés disjoints broutaient les touffes d’herbe.
Des lanternes passaient dans les beaux soirs fleuris.
Sur les monts violets la lune était superbe.
II
Ivre du chant constant des bois et de la mer
La Dominique est une Antille langoureuse.
Sous la mélancolie âpre de son soir vert,
Je suis comme un chartreux de la Grande-Chartreuse.
III
Je garde en ma mémoire un beau souvenir clair.
C’était dans le mois triste où l’eau du fleuve est grise.
Dans les yeux d’une enfant des bords de la Tamise
J’ai vu la mer et les étoiles de la mer.
IV
Ah ! qu’ils sont loin les soirs de la pâle Angleterre
Où nous étions de beaux éphèbes amoureux.
Poètes décadents, amis de la chimère,
Que vos vers me plaisaient sous les blancs ciels brumeux !
V
Oxford, en revenant d’une fête nautique,
La tête pleine encor des courses de Henley,
Je compris en lisant une ode de Shelley
La divine splendeur de l’âme romantique.
VI
Comme on aime les yeux du rêve et de l’amour
Paris que je connus à vingt ans, je les aime
Tes vieux quartiers vibrants où quelque vieille tour
Me fait songer à Marguerite d’Angoulême.
VII
« Cesse d’écrire en vers, c’est un jeu hasardeux »,
Me disais-tu, penchant vers moi ta tête blonde.
Et j’embrassais tes mains, ma petite Esclarmonde,
Mangeuse de sorbets, toi dont les yeux sont bleus.
VIII
Billy Milner d’un match éclatant fut vainqueur
Et le soir il reçut des billets pleins de flammes.
Chaque lettre disait : « Donne-moi donc ton cœur. »
Billy aimait le sport et n’aimait pas les femmes.
IX
Pendant que les marchands comptent les escalins,
Parlons de Rupert Brooke et de ses purs poèmes,
Puis nous irons rendre visite aux orphelins,
Aux petits orphelins dont les fronts sont si blêmes.
X
C’est devant un coucher de soleil sans pareil
Que j’écris ces quatrains. Je donnerais la gloire
De la mer embrasant un quatre-mâts vermeil,
Pour un soir sans éclat reflété par la Loire.
XI
Près du flot sans reflet du fleuve glorieux,
Vous seriez près de moi, ma vivante statue ;
La voix des mariniers dans la nuit s’étant tue,
Je reverrais les soirs de la mer dans vos yeux.
CLAIR DE LUNE A MINUIT
Roseau la nuit semble une ville
Des mille et une nuits
Aux parfums des jardins de l’Ile
Se mêlent ceux des fruits.
Au port désert un chien aboie,
Un grillon dit son chant.
Et la mer plus douce que soie
S’étend comme un grand champ.
On dirait la ville enchantée
Aux fontaines sans bruits,
Où la pleine lune argentée
Miroite au fond des puits.
L’OISEAU LOINTAIN
Par ce soir de mélancolie,
Quel est l’oiseau qui chante au loin,
Qui chante si bien
Au cœur de la forêt fleurie ?
Charme étrange et mystérieux,
Quel est l’oiseau délicieux
Dont la flûte grave module
Des notes d’or au crépuscule ?…
Que t’importe ;
Ecoute le chant
Qui vient mourir devant ta porte,
A l’heure du soleil couchant.
C’est peut-être la flûte de Pan,
C’est peut-être la voix du printemps.
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