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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain

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A LA BEAUTÉ

A thing of beauty is a joy forever.

J. Keats.

Pour avoir tant chéri votre forme parfaite,
Je connais aujourd’hui l’amour et la beauté.
Vous avez entr’ouvert la porte de clarté,
Qui fermait le jardin de la pure conquête.
Par vos divins regards où rayonne la fête
De l’or et de l’azur des plus célèbres yeux,
Mon cœur s’est à jamais épris des vastes cieux
Et j’ai pour l’idéal une ferveur secrète.
Vous m’avez révélé mieux que tout autrefois,
Le rythme de la mer, le mystère des bois
Et le charme éternel de la nature immense !
Et le beau feu sacré qui consume mon cœur,
Je ne le dois qu’à vous, plus douce qu’une sœur,
Vous qui fîtes chanter les harpes du silence !

STANCE

S’ils sont beaux, sur les monts, les pieds du voyageur
Qui porte de bonnes nouvelles ;
Il est encor plus beau, sur la mer, le vapeur
Messager des amours fidèles !

AU BEAU LYS DE FRANCE

La lune verte luit au front d’un cocotier ;
Et tout en admirant son beau reflet sur l’arbre,
Je songe à ce vieux parc de France, aux bancs de marbre
Où je vous vis sourire au détour d’un sentier.
Ainsi passe ma vie aux belles Iles bleues.
Que ce soit dans le jour, dans l’aurore ou la nuit,
Chaque fois qu’un instant de beauté me séduit,
Mon rêve refranchit plus de trois mille lieues.
Je pense à vous devant la mer et les torrents,
Devant l’écoulement rapide des rivières,
Au chant des alizés sous les planètes claires,
Au souffle des palmiers plantés en libres rangs.
Votre nom que jamais je ne dis à personne,
Comme un beau vers je vais le chantant sur les monts ;
C’est d’un charme infini sous nos grands cieux profonds ;
Ainsi qu’un grave écho longuement il résonne.
Dans le brasier des soirs éblouissants de feux
Je crois voir d’un vaisseau les lumineuses voiles
Et jusqu’à l’heure tendre où naissent les étoiles
Je contemple la mer en songeant à vos yeux.
Par les nuits qu’une lune énorme idéalise,
Votre fantôme passe et repasse sans fin ;
De votre jeune corps tous mes désirs ont faim
Et ce sont vos odeurs qui parfument la brise.
Lorsque je sors la nuit, pour apaiser le mal
D’un pauvre être agité qui souffle et qui délire,
Votre cher souvenir m’accompagne et m’inspire ;
Ah ! que de fleurs alors sur le chemin banal !
Voilà bientôt dix ans que les printemps de France
Ont fleuri vaporeux et verts loin de mes yeux ;
Et pourtant, je redis le nom délicieux,
Je pense encor à vous, malgré l’horrible absence.
Mais hélas, je vieillis et les rêves sont fous.
Je vois toujours leurs feux du haut de mes fenêtres,
Mais les grands paquebots ne portent plus vos lettres,
Je n’ai nul confident à qui parler de vous.
Je songe bien souvent aux paroles sincères
Dont vous avez bercé l’espoir de mon retour ;
Quand vos yeux aux lacs purs de leurs prunelles claires
Miraient encor le ciel profond de mon amour…
Je demande parfois au vent quand il voyage :
« N’as-tu pas vu la Fleur splendide du printemps ?
Puis-je espérer encor, exquis et repentant,
Retrouver le divin, le merveilleux visage ? »
Et le vent me répond : « Reste au bord des grands bois
Et garde dans tes yeux l’image qui t’est chère.
Ne va pas soulever le voile du mystère.
Il ne faut plus songer aux beaux yeux d’autrefois. »
Alors, je crie au loin, sous la lune émouvante :
« Beaux yeux, beaux yeux charmants, qu’êtes-vous devenus ? »
Rien ne répond ; l’Océan bat les récifs nus
Et son sanglot jeté dans la nuit m’épouvante.

LE FANTOME

L’absence a su flatter mon amour et l’accroître
Et changer mon ivresse en culte harmonieux,
Telle la solitude émouvante du cloître
Exalte et purifie un cœur religieux.
Beau rêve illuminant une existence morne,
Vous avez éclairé chacun de mes instants ;
Votre image me suit parmi les fleurs du morne
Et flotte sur l’azur vaporeux des étangs.
Je vous vois, près de moi, traverser les prairies
Où la liane pend en lumineux hamacs ;
Et vous m’accompagnez jusqu’aux cimes fleuries
D’où descendent les eaux murmurantes des lacs.
C’est pour avoir chéri votre seule pensée
Et pour n’avoir aimé que votre souvenir,
Que j’ai porté dix ans une ivresse insensée
Et que je n’attends rien du puissant avenir.
J’ai dédaigné pour vous, ô fantôme suprême,
De faire de ma vie un champ harmonieux
Et j’ai passé dix ans à chanter, en moi-même,
Des chants purs à la gloire exquise de vos yeux !
O mon charmant amour, lumière de ma vie,
Rose de mon jardin, lampe de mon espoir,
Je ne vous verrai plus, vous dont j’ai tant envie
Et vous ne serez pas l’étoile de mon soir.
Pourtant ce sera vous, vous que je chercherai
A travers tous les yeux et toutes les amantes
Et malgré le désir des lèvres inconstantes
Vous serez dans mon cœur et je vous chérirai.
Encor quelques beaux jours à passer sur la terre
Et puis la grande nuit envahira les cieux.
Ah ! laissez-moi songer encor à la lumière
Exquise et merveilleuse et pure de vos yeux !

STANCE

Beaux voyageurs des mers, sous la nue embaumée,
Des steamers aux feux d’or arrivent dans le soir ;
Mais ils ne portent plus à mon cœur nul espoir ;
Pour mon cœur sans espoir, ils ne sont que fumée !
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