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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain
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LE CHANT DE LA MÉDITERRANÉE
Ionienne, Adriatique,
Chantez avec moi, douces sœurs,
J’ai plus de gloire et de douceur
Que tes flots mouvants, Atlantique !
Beau miroir de trois continents,
Je suis la mer civilisée ;
Mon horizon est plus prenant
Que le ciel vu du Colisée.
Suivant le moment de l’été,
Je suis de saphir ou d’opale.
C’est sur mon lac qu’a palpité
Le vol fier du fils de Dédale.
J’ai bercé les vaisseaux lascifs ;
Je suis le chemin bleu des rêves.
Qu’ils sont beaux et qu’ils sont pensifs
Les promontoires de mes grèves.
C’est dans mes coquillages d’or
Qu’on entend les mers anciennes.
C’est sous mon ciel que Pan est mort
Et que chantèrent les Sirènes.
LE CHANT BLEU DU RUISSEAU
A Georges Duhamel.
L’eau d’un ruisseau vert
Courant vers la mer
Disait ce chant dans la lumière.
Plus pure qu’une voix automnale d’oiseau,
Plus fraîche qu’un soupir des flûtes de roseau
M’a semblé la chanson rapide de cette eau
Qui voyageait vivante et claire :
« Je suis lasse d’avoir changé plus de cent fois,
Vapeur ou rosée, averse ou nuage,
D’être le miroir flou du paysage,
De bondir, de heurter les racines des bois.
Je suis lasse, parmi les forêts monotones
D’être toujours en plein exil ;
Je fus aux nuits d’hiver le givre au pâle fil
Et la pluie aux soirs de l’automne.
Serpent vert des prés lumineux,
Blanche crinière des cascades,
Je descends vers les golfes bleus
Où sont les thons et les dorades.
J’ai jailli d’une source en face du matin,
J’ai coulé sous de noirs ombrages,
J’ai traversé mille villages,
Je suis au bout de mon destin.
Encor un effort vers les beaux rivages,
Encor quelques heurts, encor quelques bonds
Et ce sera la plaine unie,
La grande plaine infinie.
Par un matin vibrant et léger, loin des monts,
Où j’ai gémi durant d’inexorables lieues,
Je verrai tout à coup mon grand pays : la mer ;
Et joyeuse, mirant ta coupole, ciel clair,
Vague je danserai parmi les vagues bleues ! »
LE CHANT DE LA SIRÈNE
A André Foulon de Vaulx.
Le pêcheur d’or s’en va chaque nuit sur la mer,
Les flots ont des lueurs dansantes de phosphore.
La lune verte luit au cœur du ciel désert.
Le beau pêcheur s’en va pêcher jusqu’à l’aurore.
— Pêcheur, ne jette pas tes filets dans les flots.
Les trésors que tu vois ne sont que vains fantômes.
Le vent froid de la nuit pleure sur les îlots.
Pourquoi veiller à l’heure où reposent les hommes ?
Ces récifs sont hantés par un esprit méchant :
Sous ce vaste rocher habite une sirène ;
Garde-toi d’écouter la douceur de son chant
Nul, nul n’est revenu de sa grotte lointaine.
Mais les yeux du pêcheur ont lui ;
Car la folie est dans ses voiles.
La mer est d’or autour de lui ;
La mer est d’or sous les étoiles.
Des reflets fauves de métaux
S’élèvent jusqu’aux Pléiades,
C’est l’heure où brillent dans les eaux
Le congre vert et les dorades.
Au cœur du flot diamanté
Le filet scintillant replonge
Et le canot est emporté
Au loin vers les Iles du Songe.
L’incomparable voix plus douce que la nuit
Emplit soudain l’azur d’une beauté sereine,
Et les larmes voilant son pur regard qui luit,
Le bienheureux pêcheur écoute la Sirène.
De ses tremblantes mains il touche aux mille feux
D’ors couleur de soleil et d’ors couleur de lune ;
Dans son cœur rajeuni bondit un sang joyeux ;
Chaque coup de filet ramène une fortune.
Ah ! pouvoir de cet or tuer la pauvreté,
Abolir la misère et protéger l’enfance.
Beau rêve généreux d’amour et de bonté,
Bel impossible espoir, frère de la démence !
Et les marins du port ont un rire cruel
Quand le pêcheur revient au jour, sa barque vide,
Mais aucun d’eux ne voit ce qu’il voit sous le ciel
Quand le trésor des mers s’offre à son œil lucide.
Aucun d’eux n’a surpris la Sirène aux bras blancs
Alors que toute nue elle chante aux étoiles,
Aucun d’eux n’a senti le vertige troublant
D’un frénétique espoir gonflant les folles voiles.
Et c’est pourquoi, rivés à leur rêve lointain,
Les beaux yeux du pêcheur regardent sans colère ;
Il sait qu’il est de ceux dont le grave destin
Est de mourir du baiser fou de la chimère.
En attendant, son ombre au bord du grand chemin
Fait trembler les enfants qui chantent à la brune ;
Et la mer, chaque nuit, berce le rêve humain
Du beau pêcheur hagard qui pêche sous la lune.
LA CHANSON DE LA LUNE
(Episode Pyrénéen.)
Voici la chanson de la Lune
Qu’une pauvre folle d’amour
S’en allait dire au carrefour
Des chemins estompés de brune :
Frêle croissant
Phosphorescent,
Qui viens argenter les collines
Et te mirer dans les ravines,
J’aime l’amant
Aux lèvres fines.
Croissant d’amour
Du troubadour,
O nacelle des nuits dorées,
Toi qui vogues dans les nuées,
Au haut des tours
Des bien-aimées.
Svelte croissant
Adolescent,
Qui seras la lune argentée,
Illumine la nuit lactée
Pour mon amant
Et son aimée.
Je t’implore, Croissant du beau soir infini,
Toi qui viens éblouir l’oiselle sur le nid,
Toi que le mendiant aux longues mains tendues
Invoque, par delà les libres étendues,
Afin que ta vertu fasse de l’indigent
Plus nombreuses encor les piécettes d’argent.
Fais grandir en mon cœur, au seul gré de tes phases,
Un amour merveilleux, un désir fort et fier,
Sois le cadran de joie où du haut de l’éther
S’annonceront pour nous les heures des extases.
Ce soir, nous irons voir ton fuseau de métal
Traverser d’un fil d’or le nuage en dentelle
Et nous serons alors sous notre ciel natal
Les tendres amoureux que l’amour ivre appelle.
C’est l’éveil des espoirs et des rêves muets.
Les feuilles aux buissons chantent nos fiançailles.
Un troupeau sur la route agite ses sonnailles
Et le vent parfumé berce les serpolets.
Puis, dès demain, au fond des bois et des collines,
Ta faucille d’argent, gloire du ciel vermeil,
Nous guidera tous deux vers un nid de sommeil,
Où nous serons bercés par l’écho des ravines.
Tandis que mon amant, couché dans les roseaux,
Ecoutera frémir le luth des brises d’eaux,
Je boirai des baisers entre ses lèvres minces ;
Il sera, pour mon cœur, le plus charmant des princes
Et sur les ongles purs de ses doigts de clarté,
J’admirerai les fins croissants couleur d’aurore,
Qu’en signe de tendresse et de félicité,
Aux doigts des bienheureux ton astre fait éclore.
Quand tu viendras, pareille au beau rayon de miel,
Eblouir l’essaim blond des abeilles du ciel,
Nous viderons la coupe où le désir s’étanche,
Sans épuiser pourtant sa suprême douceur.
Notre amour va grandir au gré de ta splendeur,
Et, quand par un grand soir ta face pleine et blanche
Mettra sur les sommets une aube de dimanche,
Nous irons sur les monts t’élever un autel.
Ah ! quelle ivresse souveraine,
Croissant d’argent
Du soir changeant,
Quand tu seras la lune pleine !
Il est sur la montagne où luit le romarin,
Une grotte sacrée et propice aux ivresses.
Des herbes de senteur y balancent leurs tresses.
Là, le coq de bruyère annonce le matin.
Nous dormirons le jour, mais lorsque ta lumière
O Lune, incendiera les palais du ciel bleu,
Mon amant t’offrira sur un lit de fougère,
Mon corps brûlant encor de ses baisers de feu.
O Lune pâle,
Limpide opale,
Tu redeviendras croissant d’or
Et le bel amour sera mort !
Quand tu te flétriras comme une pauvre fleur,
Nous ne médirons pas de nos gloires passées,
Mais je serai très douce aux aubes de douceur
Où ton arc agonise en teintes effacées.
O Lune, je ne veux qu’un tendre mois d’amour
Où nous épuiserons la gamme des ivresses,
Où du bonheur humain nous aurons le cœur lourd
Et qui ne laissera ni regrets, ni tristesses.
Quand j’aurai bien chéri le tendre bien-aimé,
Tu me feras mourir, Lune couleur d’opale,
Il s’en reviendra seul au seuil accoutumé
Mais moi, je veux monter vers ta planète pâle…
Si mon vœu s’accomplit au gré de ton décor,
Quand ton feu s’éteindra dans la nuit améthyste,
Je vêtirai pour mon cercueil ma robe triste
Où mon aiguille bleue a mis des croissants d’or…
Voici la chanson de la Lune
Qu’une pauvre folle d’amour
S’en allait dire au carrefour
Des chemins estompés de brune.
LES CORBEAUX FOUS
(Légende vénitienne.)
Il était un jeune seigneur
Qui mourut en terre lointaine,
Quand il sut que sa châtelaine
Trahissait son nom et son cœur…
Les corbeaux vinrent qui mangèrent
Le corps empoisonné d’amour
Et pris d’amour sombre à leur tour,
Dans le ciel sombre ils s’envolèrent.
Le grand essaim noir tournoya,
Franchissant plaines et frontières ;
Vers le château de l’adultère
Pendant trente jours il vola.
Or, tout à l’autre bout du monde,
Ayant parjuré son serment
Et pris son page pour amant
Vivait la jeune épouse blonde.
« Beau page, à l’horizon du soir,
Que vois-tu ? » dit la châtelaine.
« Je vois s’élever de la plaine
Tout au loin un nuage noir.
« Mon bel ami, que tu me navres !
C’est le retour des Chevaliers ! »
« Non, reine, ce sont par milliers,
Noirs corbeaux mangeurs de cadavres… »
Fou d’amour, poussant des clameurs,
Le large essaim d’oiseaux sans nombre
S’abattit au ras du ciel sombre,
Voilant la lumière et les fleurs.
Et quand à leurs grands cris acerbes
Le village fut accouru,
Le manoir avait disparu
Sous l’aile des oiseaux funèbres.
Sous l’étreinte des corbeaux fous
Mourut la blonde châtelaine.
L’amour avait chargé la haine
De venger la mort de l’époux.
ÉTOILES DE NOEL
(Chanson provençale.)
Le ciel est un livre aux belles images
Petite bergère, aimes-tu le ciel ?
T’en vas-tu, la nuit, quand revient Noël
Voir les trois Valets et les trois Rois Mages ?
Au haut du tilleul et du coudrier
Je vois Orion et son baudrier.
Les petits enfants rêvent aux étoiles.
On dirait les fruits d’un vaste verger
L’étoile des monts sourit au berger,
L’étoile polaire éclaire les voiles.
Au haut du tilleul et du coudrier
Je vois Orion et son baudrier.
Qu’ils sont doux les feux de la Poussinière
Lorsque de l’église on sort à minuit,
Les petits sabots font un joyeux bruit,
Et Jésus sourit dans la crèche claire.
Au haut du tilleul et du coudrier
Je vois Orion et son baudrier.
Regarde ces feux d’étoiles filantes
Les astres la nuit font la charité ;
Et les prés auront des fleurs de clarté
Quand tu sortiras tes brebis bêlantes.
Au haut du tilleul et du coudrier
Je vois Orion et son baudrier.
Il est tard, rentrons, petite bergère,
Un soir, aux chansons de ton amoureux,
L’étoile d’amour luira dans tes yeux.
Il est tard, rentrons, voici ta chaumière.
Au haut du tilleul et du coudrier
Je vois Orion et son baudrier.
LES PÈLERINS DE LA MORT
A Gratien Candace.
Un rhéteur parle :
Sous le soleil du soir, au couchant de la vie,
Les hommes, pèlerins en marche vers la mort,
Après des jours d’orgueil, de peine ou de remords,
Passaient tumultueux sur la route infinie.
Ils s’en allaient, troublant le silence des monts,
Comme un vaste troupeau marchant dans la poussière ;
Des souffles haletants soulevaient les poumons
Et de vastes clameurs faisaient trembler la terre.
Dans l’ombre qui tombait des arbres embaumés,
Les hommes confondaient leur croyance et leur doute ;
Les peuples de l’orgueil cheminaient sur la route
Mêlés au noir bétail des peuples opprimés.
Les riches, les heureux, les satisfaits du monde
S’avançaient les premiers en groupes clairsemés ;
C’étaient ceux dont les blés doraient la plaine blonde
Et qui vivaient de luxe au cœur des jours charmés.
Ils allaient à pas lents, chantant la destinée
Qui les avait placés sous les bonnes étoiles,
La grange où s’entassait le bon grain de l’année
Et le bon vent menant au port les bonnes voiles.
Ils disaient la douceur des rêves accomplis.
De beaux soldats chantaient la guerre et la victoire,
Les expéditions vers les pays conquis ;
On entendait les mots de patrie et de gloire.
Mais tandis qu’ils chantaient l’ample sérénité,
De larges hurlements troublaient leur harmonie,
Plus vaste le troupeau des vains déshérités
Proclamait la géhenne ardente de la vie.
Des malades affreux, d’horribles amputés,
De grands vieillards usés, des nains courbant la taille,
Des hommes nus traînant la femme et la marmaille
Déroulaient vers le ciel le chant des révoltés.
L’espoir pourtant, l’espoir était pur et vivace
Au cœur cent fois blessé de ces êtres maudits :
Mille fois dans les feux des matins attiédis,
Ils avaient entrevu les aurores de grâce.
L’apaisement tombait des voûtes étoilées,
Quand la horde brutale atteignit l’horizon ;
Calmes et douloureux, sans cri, sans oraison,
Les derniers Pèlerins passaient dans les vallées.
C’étaient les grands Vaincus et les grands Obstinés,
Les Penseurs méconnus par les foules abjectes,
Les Socrates honnis, les Colombs enchaînés,
Frères de Galilée et frères des prophètes.
C’étaient ceux qui voulaient grandir le cœur humain
Et dont la bonne auberge était à tous ouverte,
Ceux qui n’eurent d’amis qu’au banquet du matin
Et dont la maison pauvre au soir dur fut déserte.
Plusieurs avaient subi l’exil et la prison
Dans les bagnes de fer aux murs sentant le vice,
Pour avoir élevé ta lampe d’or, Raison,
Et pour avoir crié vers tes astres, Justice !
Ils songeaient, ce soir-là, que des flambeaux brisés
Ne jaillirait jamais la flamme salutaire
Et gardaient des jours morts et des orgueils usés
Le souvenir affreux d’une grande misère.
Leurs yeux étaient levés et regardaient le ciel ;
Dans l’ombre gémissait la voix des cathédrales ;
Et les vaincus voyaient, dans le soir solennel,
De grands crucifiés sur les croix des étoiles.
Et la lune pleurait au fond du ciel en deuil,
Sur la route où passait la tristesse des hommes.
Des nuages sanglants imitaient des fantômes
Et la lugubre nuit semblait un grand linceul…
Et pourtant, c’est de vous que nous tenons les rêves,
L’idée au vol hardi, l’idéal tout puissant ;
Et sans vous, nous serions des Bêtes sur les grèves,
De sombres carnassiers toujours ivres de sang.
Vous êtes nos maisons, nos navires, nos plaines,
Nos arches, nos clochers, nos lumières, nos ports ;
O phares dans la nuit des détresses humaines,
Soleils de vérité que n’éteint pas la mort !
LE SOLEIL ET LA MORT
O Soleil, tu dorais la paisible maison
Où je naquis, les yeux éblouis de lumière.
O Mort, j’étais encor un être sans raison
Quand je te vis debout au chevet de ma mère.
Depuis, pur idéal tu fis naître à l’amour
Mon cœur d’enfant épris d’une forme adorable.
O vanité, depuis, tu redis chaque jour
A mon cœur tourmenté que tout est périssable.
Nos désirs sont chargés d’ombre et d’éternité.
La plus divine joie est d’une essence amère.
Toute douleur recèle un peu de volupté.
Tout se mêle et s’unit aux jardins de la terre.
Les climats les plus beaux sont les plus meurtriers.
Tu préfères, ô Mort, les Tropiques aux Pôles
Et toi, joyeux Soleil, ami des ateliers,
Que riche est ta splendeur aux murs des nécropoles !
Qu’êtes-vous devenus beaux siècles enchantés
Où le grand Sphinx ouvrit son rêve sur le monde,
Près du fleuve indolent de l’Egypte féconde
Roulant dans la splendeur torride des étés,
Nuits pures où marchaient les pâtres de Chaldée
Sous les feux solennels des constellations,
Grands prophètes menant les grandes nations,
Premier orgueil, premier culte, première idée,
Rois mitrés conduisant de longs troupeaux plaintifs
Vers le suprême éclat des Villes opulentes,
Portes d’or où passait le fleuve des captifs
Et les gémissements des races indolentes ?
Le silence a grandi sur votre vanité
Orgueilleuse grandeur des Thèbes aux cent portes.
Le marbre de Memnon d’où montaient des voix fortes
Est mort du long sommeil de l’immobilité.
Et toi divine Hellas, immortelle patrie,
Qui dressas vers le ciel le svelte Parthénon,
Nous ne reverrons plus de lumière fleurie
Renaître la beauté parfaite d’Apollon !
Le néant a repris les grandes Babylones
Sous la sécurité des constellations.
Mais par l’orgueil plus grand des générations
D’autres Babels naîtront des siècles monotones.
Soleil qui nous versez l’espérance et l’amour,
Rayons, future vie et futures pensées,
Sur un fleuve rapide emportés sans retour
Nous subissons la loi cruelle des années.
O Forces, notre esprit après le grand départ
Verra-t-il l’infini de la lumière pure ?
O Mort, sous quelle lune, autour de quel rempart
Irons-nous féconder l’herbe de la nature ?
Notre âme est-elle un peu de toi, beau firmament ?
Nos corps sont-ils pétris de ton limon, ô sable ?
Est-ce enfin vous qui vous mêlez confusément
Dans notre être à la fois divin et misérable ?
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