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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain
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LE JOUR
Le jour trop beau blesse mon cœur d’un glaive d’or.
Pourquoi, pourquoi, toujours cette étrange tristesse
Devant cet horizon rayonnant d’allégresse
Où la vague infinie et muette s’endort ?
Qu’il fut divin le bain dans la mer sous le fort !
Chaque lame traînait une tiède caresse,
Mais un vague tourment me poursuit et m’oppresse ;
Devant le ciel trop beau l’esprit songe à la mort.
Ah ! que vienne bientôt l’instant où les Centaures
Luiront sur le haut cap battu des flots sonores ;
Alors je sentirai le calme m’envahir ;
La lune nagera dans des vapeurs rosées
Et très fraîche sera la voix du souvenir
Mêlée aux longs soupirs des brises apaisées.
CRÉPUSCULE EN DÉCEMBRE
Que j’aime la clarté grave de ce couchant !
Un insecte attardé traîne un trait de lumière ;
Un chien aboie au seuil lointain d’une chaumière,
Sur les lèvres du jour s’éteint le dernier chant.
Le beau soir frôle ainsi qu’une robe de fée
L’eau de la pleine mer plus paisible qu’un lac,
Le vent dans l’arbre noir balance le hamac,
L’heure qui va venir est de lune coiffée.
Un feu de luciole a lui dans le bambou
Et la savane où flotte une odeur de vesou
Verra trembler bientôt les premières étoiles.
Admire la splendeur de l’instant solennel.
Regarde par delà l’Océan et les voiles
Le soleil peindre en or le grand mur bleu du ciel.
LE SOIR
Le vent dans les palmiers chante des odes pures
Et la vague blanchit le golfe lumineux ;
L’horizon est de pourpre et les pitons sont bleus
Dans les grands cocotiers les noix blondes sont mûres.
Les algues dans l’air frais sèchent leurs chevelures.
Les sables un à un éteignent leurs doux feux.
Le jour meurt. Des pluviers reviennent deux à deux
Vers l’îlot où la lame a de rauques murmures,
Un nuage a noyé le profil pur des monts ;
Les canots sont rentrés parmi les goémons,
A l’ouest rougit encor la dernière des voiles.
Viens voir pour enchanter ton cœur toujours amer,
Sous l’azur éternel, où naissent les étoiles,
Miroiter les déserts immenses de la mer !
LE POÈME A LA NUIT
La mer phosphorescente étincelle et reluit.
Un nuage a l’aspect d’un mont couvert de glace,
Une pâle clarté déchire au loin l’espace,
La lune brillera sur la crête à minuit.
C’est l’heure où frôlant l’air de ses ailes, sans bruit,
Vole aux sapotilliers le chat-huant vorace ;
Poète, négligeant l’Hymette et le Parnasse,
Il te faut composer un poème à la nuit ;
A la nuit tropicale, immense, sans pareille,
Portant l’étoile verte et l’étoile vermeille,
Dont le voile est de feu, d’ombre et de diamant.
Chante, la voix des mers immenses t’accompagne
Et l’encens sept fois pur des fleurs de la montagne,
Charmera ton silence et ton recueillement.
VOLS D’OISEAUX EN SEPTEMBRE
Le vent tumultueux blanchit les flots mobiles
Et l’espace est rempli de vols d’oiseaux de mer
Qui s’en vont, radieux de la vigueur de l’air,
Chercher d’autres climats et frôler d’autres îles.
Par delà les vols blancs des mouettes agiles,
Plus haut qu’aucun oiseau de passage au vol fier,
Les frégates, au cœur lumineux de l’éther,
Planent, le col tendu, les ailes immobiles.
Longtemps, je suis des yeux le départ émouvant
Des oiseaux migrateurs emportés par le vent
Vers le nord éclairé des lumières plus frêles.
Déjà le dernier vol s’efface à l’horizon !
Je vous envie, oiseaux qui changez de saison
En une nuit, par la puissance de vos ailes !
LE SOUVENIR
Le soir est plus profond qu’un soir sur les Balkans,
Plus bleu qu’un soir de France ou qu’un soir d’Italie,
Un voile de mystère et de mélancolie
Plane sur les sommets qu’éclairent des boucans.
Sur la mer passe un vol grave de pélicans,
De sauvages parfums montent des forêts sombres ;
Et par delà les pics qu’enveloppent des ombres
La lune monte au front dentelé des volcans.
Ah ! je donnerais bien toute la solitude
Des grands monts violets, toute ma quiétude
Pour le divin bonheur de revoir deux yeux bleus.
Mais pourquoi rappeler cette grande infortune ?
Respirons la douceur du ciel harmonieux,
Les palmes des palmiers sont luisantes de lune.
LE VOILIER
Au siècle des vapeurs et de l’aéroplane,
Un blanc voilier qui passe à l’horizon du soir,
Alors que l’Océan brille comme un miroir,
N’est en réalité qu’une lourde tartane.
Mais quelque chose évoque, en l’heure diaphane,
Où les yeux de la nuit vont percer l’azur noir,
L’âme des temps passés et le rêve croit voir
Des feux de Caraïbe au fond de la savane.
Le blanc voilier, glissant sous l’éther tropical,
Revient de Montserrat et loin de l’air natal
Porte un maigre troupeau de chèvres au col grêle.
Mais telle est la splendeur du ciel et du décor,
Qu’il semble qu’en la nuit d’azur, ta Caravelle,
O Cristobal Colon vogue sur les flots d’or.
CIEL DES INDES OCCIDENTALES
Nul ne peut se vanter de voir un ciel nocturne
Plus beau, plus étoilé que celui qui s’étend
Sur la mer Caraïbe, à l’heure taciturne
Où le golfe endormi brille comme un étang.
Dans la sérénité des voûtes tropicales,
Tous les astres connus luisent splendidement :
Les étoiles du sud aux feux de diamant,
Les étoiles du nord plus fines et plus pâles.
Et par les lourds étés, aux mois où les palmiers
Bercent la tourterelle et le chant des ramiers,
On voit le Chariot en face des Centaures,
Le Cygne bleu voler vers l’azur boréal,
Tandis qu’au front des caps, blancs de lames sonores,
Surgit le Scorpion, gloire du ciel austral…
NUIT DU ONZE AVRIL 191.
Arcturus sur le mont semble un feu de berger.
Sirius à pas lents suit Orion qui chasse.
L’Ourse erre autour du pôle étincelant de glace.
Aldébaran bientôt dans la mer va plonger.
Les Centaures ont lui, la Croix bénit l’espace ;
Et le charme est si pur sous le grand oranger,
Que vingt fois je reviens sur la haute terrasse,
Voir du fond de la nuit les astres émerger.
Miracle étincelant d’une voûte étoilée !
Vains désespoirs, sombrez au fond de la vallée,
Toi, rêve aérien, monte comme Altaïr !
Pour aimer dignement vos splendeurs magnifiques,
Que ne suis-je au sommet d’un piton de saphir,
O constellations mouvantes des tropiques !
MATIN DEVANT LA MER
Au soleil du matin, sous l’azur émouvant,
Les flots sont couronnés de hautes crêtes blanches,
Le vent jusqu’à la mer porte l’odeur des branches ;
On voudrait de tels jours d’ivresse plus souvent.
Ainsi que la frégate, ivre, au soleil levant,
De l’horizon qui flambe et de la mer qui chante,
L’esprit prend son essor et d’une aile vibrante,
Monte vers l’idéal et les cieux en rêvant.
Rien ne vaut ce voyage enivrant et sonore,
Au pays du soleil, au pays de l’aurore,
Quand chante aux mille bords de ses îles la mer.
Rien ne vaut ce départ vers les sphères sublimes
Où le rêveur revoit planer son rêve fier
Entre le double azur du ciel et des abîmes.
A L’IDÉAL
Combien de cris encor me feras-tu pousser
Avant que le vaisseau de la mort ne m’emporte ?
Que les chiens du malheur hurlent devant ma porte,
Idéal, dans mon cœur, rien ne peut t’émousser !
Le vent rit. Les steamers rapides vont hisser
Les pavillons joyeux à leur mâture forte ;
Comme les goélands, nous leur ferons escorte,
Nos rêves sur les grands océans vont danser.
O vols sacrés fuyant loin de l’heure présente !
L’imagination ouvre une aube enivrante,
Les beaux cieux de l’esprit s’entr’ouvrent, éclatants.
Et nous contemplerons, superbes ou tragiques,
Sur les Bleus Saharas des mouvants Atlantiques
Les lointains fabuleux de l’espace et du temps.
STANCE
La mer autour de moi dresse sa prison bleue.
Je ne sais quel désir me vient d’un autre ciel.
Qu’il est beau sur la mer ce lointain paille-en-queue
Qui monte vers l’azur comme un rêve éternel !
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