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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain

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ONZIÈME CHANT
LE RETOUR

LE DÉPART

Quand nous quittâmes Saint-Nazaire
Sur un vapeur plein d’étrangers,
Des cris d’adieu dans la lumière
Montèrent vers les passagers.
Et ce fut comme un vent d’automne
Sur un paysage en émoi ;
Les adieux n’étaient pas pour moi,
Car je ne connaissais personne.
Mais cependant comme un enfant
Je sentis à mes yeux des larmes ;
O France, le cœur se fend
De quitter ton ciel plein de charmes !

LE CŒUR DU POÈTE

A Jean-Louis Vaudoyer.

Cœur de poète, ainsi que le cœur de la mer,
Vous gardez en secret d’incroyables merveilles,
De splendides beautés invisibles, pareilles
Aux trésors inconnus de son grand gouffre amer.
Quelquefois l’océan fait rouler sur le sable
Arraché des palais de jaspe un joyau vert ;
Et parfois de toi monte un admirable vers,
Faible écho de ton grand cantique inépuisable.
Mais les plus beaux trésors dorment sous les flots bleus,
Cachant aux yeux humains leur lumineuse fête ;
Et ton chant le plus pur dort dans ton cœur, poète,
Dans ton cœur malheureux, dans ton cœur merveilleux.

STANCE

Ainsi de vous qui me plaisez
Le vapeur m’éloigne sans trêve.
Ah ! qu’il est court, le temps du rêve !
Qu’ils sont rapides, les baisers !

LES HUBLOTS

Les hublots, bleus pendant la nuit,
A l’aurore ont des couleurs vives ;
Bientôt nous serons près des rives
Où la mer indigo reluit.
Les hublots sont devenus jaunes,
Puis verts, puis d’un rose tremblant ;
Le jour nouveau monte tout blanc
Salué d’oiseaux monotones…

Grands hublots noirs, aux larges yeux,
Fenêtres rondes du navire,
Grâce à vous, j’admire les cieux
Et je vois la mer en délire.
Bientôt au lieu d’oiseaux marins
Qui dansent devant vous sans cesse,
Nous verrons sous les tamarins
La robe rouge des négresses.

LES COULEURS DE LA MER

Suivant l’heure de la journée,
La mer a changé de couleur ;
Parfois plus rose qu’une fleur,
Parfois de teinte surannée.
Reflétant l’enfance du jour,
A l’aurore elle est verte et claire,
Comme eau d’une source légère,
Dorée et verte tour à tour.
Elle est tachée en mille places
De grandes taches jaune-marron,
Quand elle ourle le goémon
Venu de la mer des Sargasses.
La brise soulevant ses eaux
Blanchit le courant qui voyage ;
Et sur elle à l’infini nage
Une écume de blancs oiseaux.
Plus tard elle s’orne de moires
Couleur de plumes de paons bleus,
Elle étale des lacs ombreux
Et des déserts brûlés de gloires.
Sous le grain vif, l’air est de miel,
Les gouttes au soleil sont blondes ;
La mer revêt quelques secondes
Sa robe couleur d’arc-en-ciel.
Des marsouins noirs, comme en débauche,
Dansent autour du steamer gris ;
Et le poisson volant surpris
Comme un caillou d’argent ricoche.
Puis le soir sème çà et là
De grenats sa robe de gaze,
Et de la lune la topaze
Dore sa robe de gala.
Ceux que le roulis bouleverse
Sur le pont marchent de travers,
Et moi je compose des vers
Au beau chant de la mer diverse.
Car j’écris ce poème clair
Loin de la ville et de la foule,
A bord d’un grand vapeur qui roule
Sur l’Atlantique découvert.
Derrière sont les grandes villes,
Londres, Paris aux yeux de feu ;
Devant nous, c’est le chemin bleu
De la mer et les vertes îles.

LE REGRET DES FOULES

(Déclamation sur la mer)

Autrefois, j’aimais peu les foules formidables.
J’étais jeune, c’était par ces jours délectables
Où je vivais au cœur grouillant d’une cité.
Je préférais alors la lointaine beauté
Des lacs et des forêts, la mer sous les étoiles.
Les aubes où cinglaient de lumineuses voiles,
Aux noirs torrents humains débordant les trottoirs.
Ah ! que ne donnerais-je à présent, par ces soirs
Où seul sur l’océan je vois bondir des troupes
De dauphins noirs dansant et frôlant nos chaloupes ;
Où la lune, au réseau d’un nimbe violet,
Semble un beau poisson d’or pris dans un grand filet,
Pour me sentir encor dans une grande foule,
Pour n’être qu’un atome éphémère qui roule,
Un flot vibrant parmi des millions de flots,
Un cœur qui bat parmi le rêve et les complots,
Une âme qui bercée au chant des avenues
Se mire en vos beaux lacs changeants, prunelles nues,
Cependant que sans fin marchent auprès de nous
Les héros, les penseurs, les malades, les fous.
Tous les vices sont là, muets, attendant l’ombre,
Et toutes les vertus, sous leur tunique sombre.
Ah ! se sentir grandi par les souffles d’espoir
Du rêve humain plus pur lorsque tombe le soir
Et que, dans les remous de la foule anonyme,
On est comme un vaisseau qui danse sur l’abîme.
Ah ! rendez-moi le fleuve ardent du boulevard
Où soudain la beauté dresse son étendard,
Rendez-moi, rendez-moi le beau soir électrique
Où passe dans les flots d’une foule magique
Porté par un beau corps un visage divin
Qui grise la pensée ainsi qu’un jeune vin…
Ah ! rendez-moi la foule émouvante des rues ;
Ses chansons, ses appels, ses clameurs, ses cohues.
Ah ! faites que toujours luise sur mon chemin
L’interminable ciel du beau regard humain.
Oui, tout pour une vie intense et variée
Débordante d’efforts sans cesse extasiée.
Donnez-moi les quartiers vibrants, les quartiers noirs,
Les théâtres qui font l’émotion des soirs.
Donnez-moi chaque jour des compagnes nouvelles,
Des compagnons nouveaux, des amitiés fidèles.
Ah ! rendez-moi la vie émouvante de l’art…
Ce soir j’ai trop rêvé sur la mer, il est tard !

L’APPEL DE PARIS

(Hallucination sur la mer)

D’ici cinq ou six jours, au chant calme des flots,
J’aborderai dans l’Ile où sont les filaos ;
Et je verrai, parmi les lianes vermeilles,
La maison où je vis seul avec mes abeilles.
O Paris, toujours jeune et toujours accueillant,
Pourquoi t’ai-je trouvé si beau, si bienveillant ?
Et pourquoi de beaux yeux pleins de neuves chimères
Ont-ils comblé mes yeux de leurs belles lumières ?
Paris de la victoire et Paris de la paix,
Plus grand que le Pans d’autrefois que j’aimais,
O Ville, me voilà plein de ton bruit encore,
Jusqu’à moi retentit ton grand appel sonore…
Dans les nuages noirs se dessinent tes tours…
Je vois tes boulevards, je vois tes carrefours…
Tes feux d’or et des feux sanglants coupant la Seine…
Ce jeune homme à vingt ans est déjà capitaine…
Cet autre fut parmi les lions à Verdun.
Qu’ils sont profonds les yeux de cet ouvrier brun !…
Déjà le clair de lune éclaire Notre-Dame…
Ah ! je te reconnais, divine jeune femme…
Grand cœur d’un grand pays si noble en ses malheurs,
Jamais ville à son front n’eut de telles lueurs ;
Paris vertigineux, Paris incomparable,
Profond comme la mer, mouvant comme le sable…
Mais pourquoi m’appeler, lumineuse cité,
Ville de l’allégresse et de la vanité !
Pourquoi me rappeler les nuits enchanteresses ?
Pourquoi me promets-tu de nouvelles ivresses ?
Que serai-je parmi ton océan humain ?
Folle barque aujourd’hui, folle épave demain.
Ton cœur est-il pareil au cœur de la Sirène ?
Qu’ils sont tristes, les yeux des noyés de la Seine.
Ah ! laisse-moi, je sens, venus des grands ciels bleus,
Les alizés porteurs de messages heureux.
Ils me disent : « Là-bas, ton île est merveilleuse,
La tourterelle chante en sa nuit langoureuse.
D’ici cinq jours ses monts surgiront du flot vert
Et toutes ses forêts parfumeront la mer !… »
Mais cependant ta voix se fait impérative.
Elle couvre la mer de l’une à l’autre rive.
Elle éveille en mon cœur mille échos endormis,
Elle jette les noms de mes plus chers amis.
Plus belle que la lune éclairant Notre-Dame,
L’hallucination illumine mon âme.
Un cri monte soudain de mon rêve blessé ;
Un grand cri douloureux vers le bonheur passé,
Un long cri désolé plein d’angoisse cruelle
Et que le vent du nord emporte sur son aile ;
C’est le cri de mon cœur qui se sentant repris
Répond à ton appel formidable, Paris !

STROPHES AU TRANSATLANTIQUE

Entre deux continents, grand steamer, tu voyages.
Ta passerelle érige un sublime balcon.
L’Amérique est là-bas et le vaste flocon
D’un nuage lointain ourle des paysages.
Mille oiseaux inconnus, mille oiseaux émouvants
Parsèment le ciel frais des blancheurs de leurs ailes ;
Beaux adieux dispersés aux quatre coins des vents
Et venus des pays où les femmes sont belles…
Entre deux continents, ô splendide vapeur,
De ta proue acérée ouvre l’onde plus verte,
Le dernier des oiseaux a fui, l’heure est déserte.
Du salon ébloui monte un chant de langueur.
C’est une femme aux yeux de turquoise qui chante
Un hymne humain, plaintif et grave et désolé.
De beaux astres pensifs l’azur est étoilé.
La mer prolonge au loin la gamme frémissante.
Dans la vibrante voix pleurent de beaux oiseaux,
Rossignols éperdus troublant l’air de leur peine,
Et je crois voir soudain le front d’une Sirène
Emerger mollement de l’abîme des eaux.
Nous sommes, ô vapeur, dans ton île flottante,
Dans ton île de fer pour de courts lendemains,
Nous avons de la mer parcouru les chemins
Et je vais te quitter pour une île vivante.
Bientôt resplendira la ville aux clairs couchants
Où je vais débarquer ; mais souvent de sa plage,
Souvent, j’évoquerai le splendide voyage
Qu’une belle inconnue ennoblit de ses chants.
Et je regretterai cette voix pénétrante
Qui dominant soudain le tumulte des flots,
Par un chant plein d’amour et gonflé de sanglots
Me parut émouvoir la mer indifférente.
Et quand je revivrai ces instants de douceur
Par les soirs trop nombreux d’une existence triste,
Je me croirai bercé par ton roulis berceur,
Grand vapeur aux feux d’or sur la mer d’améthyste !

A LA MER

A M. Albert Thibaudet.

Femme et Sirène, ô mer, mystérieuse mer,
C’est de toi que je tiens le rêve et les poèmes.
Sous l’adieu solennel des crépuscules blêmes,
Je me suis imprégné de ton grand souffle amer !
C’est toi qui balançais dans le soir pourpre et vert
Le paquebot, à l’heure où dans les aquarelles
Que le couchant dessine à l’horizon désert,
Les nuages semblaient d’ardentes caravelles !
O mer, c’est sur tes bords que je voudrais dormir.
Pendant l’éternité, j’écouterais frémir
Tes chants comme les miens fidèles et sauvages.
Les vents feraient danser l’écume de clarté ;
Et tu me redirais la chanson des voyages,
Pour consoler mon cœur de l’immobilité !

LE CHANT DU RETOUR

A la recherche du bonheur
Nous avons fait bien des escales.
Au petit jour les mers sont pâles.
Que rapportez-vous, ô mon cœur ?
Avez-vous trouvé cette coupe
Où se boit le vin de l’oubli ?
Le beau voyage est accompli ;
Déjà pointe la Guadeloupe.
Croyez-vous regretter vraiment
La grande ville enchanteresse ?
Vous pleurez le passé charmant
Et regrettez votre jeunesse.
Quand le vapeur s’est arrêté
Il ne reste rien du voyage.
La vie humaine est un sillage
Sur la mer de l’éternité.

A bord de « La Navarre », Avril 1921.

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