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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain
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SIXIÈME CHANT
LE PETIT VOYAGE AUX ILES BLEUES
L’APPEL DE L’ATLANTIQUE
Rose, la mer baignait les promontoires bleus.
De grands oiseaux planaient, sollicitant le rêve.
Une voix murmura : « Quitte donc cette grève !
Va voir d’autres pays aux visages heureux !
« Il faut te dépêcher de vivre, l’heure approche
Où tes yeux n’auront plus la clarté des étangs.
Quelque jour, l’avenir te fera le reproche
De n’avoir pas assez savouré les printemps.
« Il faut d’un bel amour la flamme généreuse
Pour guérir l’autre amour en ton cœur insensé.
Ce n’est pas dans ton île, oasis merveilleuse,
Qu’on trouve le Lotus et qu’on trouve Circé.
Non loin d’ici rayonne une Antille enchantée
Où tu pourras cueillir un rapide bonheur.
N’en demande pas plus et sous la voie lactée
Débarque, en pleine nuit, dans la belle île en fleur.
« Pars et va-t’en chercher le suprême antidote.
D’autres yeux te feront oublier son œil clair.
Qu’il est doux dans le bois le cri de la hulotte !
Ah ! que le clair de lune est divin sur la mer ! »
STANCE AU NAVIRE
O navire, bercé par ton beau mouvement,
Je vois décroître au loin les pitons noirs de l’île.
Qu’il est poignant l’adieu de la petite ville !
Ah ! que ce cocotier sur la mer est charmant !
AU LARGE DU MONT PELÉ
A St-Pierre.
Quand par la belle nuit sereine du tropique
Où le blanc bouclier ne brillait pas au ciel,
Le vapeur traversant les eaux de l’archipel,
Nous vîmes, sur la mer en feu, la Martinique,
Les passagers, à bord du noir transatlantique,
Cherchèrent dans la nuit le piton de malheur ;
Et quelqu’un redisant le récit plein d’horreur,
La mer sembla jeter un long sanglot tragique.
Et nous deux qui savons tout ce que nous a pris
Le vieux mont sommeillant sous le nuage gris,
Nous redîmes ton nom, ô ville malheureuse.
Et tandis que le vent soufflait rapide et fort,
Les astres palpitants de la nuit merveilleuse
Semblaient du grand volcan les étincelles d’or.
A UNE CRÉOLE BLONDE
O toi qu’admire Fort-de-France
D’où te vient ce beau teint si frais ?
— Du Morne Rouge les forêts
Ont bercé ma petite enfance.
Et ce port, ces gestes fleuris,
Cette élégance sans seconde ?
— Vers la liane pourpre ou blonde
J’ai vu voler les colibris.
Née au pays des Sapotilles
D’où te viennent ces yeux si bleus ?
— Ils ont illuminé mes yeux
Les flots de la mer des Antilles.
Le fruit de ta bouche est vermeil
Et ta chevelure te dore.
— Ah ! je me baigne dans l’aurore ;
Je suis la fille du soleil !
Je suis blonde et je suis créole.
Mon parler est un chant d’oiseau.
J’ai la souplesse du roseau
Et l’éclat de la luciole.
LA MARTINIQUAISE
Est-ce une femme, est-ce une fleur
Cette forme au fond de l’allée ?
O belles filles de couleur !
Taille élégante et grâce ailée !
Sous la mantille et le mouchoir,
Qu’ils soient d’azur, d’ombre ou de braise,
Les plus beaux yeux qu’on puisse voir
Sont ceux de la Martiniquaise.
DANS LA HAUTE CAMPAGNE
Les grands criquets du soir vibrent dans les manguiers.
Un croissant encor faible éclaire la savane
Et dans l’air, qu’alourdit l’odeur d’une liane,
Un large oiseau de nuit frôle les bleus halliers.
Les constellations scintillent par milliers.
Un rayon jaune allume au loin un champ de cannes
Et les sentiers déserts sous l’heure diaphane
Montent vers la fraîcheur des grands bois familiers.
Un chien aboie au loin au fond de la campagne ;
L’aboi d’un autre chien plus proche l’accompagne,
Le vent s’est apaisé dans les feuillages mous.
Les brises des forêts enivrent les prairies ;
Et, comme un serpent d’or, glisse sous les bambous
Un ruisseau que la lune orne de pierreries.
LOUANGE DE LA BARBADE
Antille que l’on dit financière et bourgeoise,
Ile chère aux vaisseaux, propice aux étrangers,
Qu’il fut doux de te voir surgir des flots légers,
Ceinte de tes palmiers sur la mer de turquoise.
Sous ton ciel ne rit pas la complainte patoise,
Point de monts tropicaux ni de blonds orangers.
Mais bien que tu sois plane et veuve de vergers,
La beauté de la mer t’enivre et te pavoise.
Que tes sables sont doux aux pieds nus des baigneurs !
Que tes jardins sont frais, que vives sont tes fleurs,
Oasis par l’odeur des sucres parfumée !
Barbade, sur tes bords j’ai vécu trois beaux jours ;
Dans le rapide éclair de leurs instants trop courts,
Je t’ai trouvée exquise et digne d’être aimée.
LE POÈME TROUVÉ SUR UNE PLAGE
They cried : « La Belle Dame sans MerciHave thee in thrall. »J. Keats.
Nous trouvâmes un soir sur le sable d’une île
Déserte où ne vivait que le crabe inutile,
Couvert d’algue marine, un cadavre encor frais.
Le beau, l’énigmatique et mince jeune Anglais
Que nous avions connu dans Londres merveilleuse
Avait trouvé la mort près de l’onde rêveuse.
Près de son pâle front gisait un noir coffret
Où dormait ce poème ardent et sans apprêt :
I
« O mon Amour, ma vie est la rose qui ploie
Et ton cœur est un grand papillon plein de joie.
II
« Ta chair était pareille à celle des lys blancs.
Ta bouche avait l’éclat des grenades ouvertes.
J’admirai de trop près tes deux prunelles vertes
Et depuis je suis plein de remords sanglotants.
III
« O charme merveilleux de cette tête ovale,
De ce visage pur, délicat et charmant,
De ces yeux dont l’azur, le saphir et l’opale
Evoquaient pour mon cœur l’Ange du sentiment !
IV
« De ta divine bouche, incomparable rose,
Sortaient de tendres mots, des chants purs et joyeux.
Je n’ai su que plus tard que ce n’était que pose
Et que tout était faux, ta douceur et tes yeux.
V
« Je porte le fardeau d’un grand amour avide,
D’un amour sans remède et qui sent le malheur.
Dieu n’a pas mis de cœur dans ta poitrine vide
Mais ta bouche, ironie, a la forme d’un cœur.
VI
« Etre fait de caprice étrange, idole infâme,
Je devrais loin de toi partir à tout jamais ;
Mais que ferais-je hélas, hélas si je perdais
Tes yeux bleus peints d’azur où j’ai noyé mon âme !
VII
« Ta couronne tressait une aurore à mon front,
Amour, je te portais jadis comme un trophée ;
Je te porte aujourd’hui ainsi qu’un sombre affront,
Un mauvais sort jeté par une vieille fée.
VIII
« Ah ! c’est ma faute hélas, à moi toujours épris
De ce qui passera : chair, sourire, caresse,
Et qui n’ai dans le cœur qu’indifférent mépris
Pour l’âme, les vertus et la pure sagesse.
IX
« Je te hais quelquefois au point de désirer
Ta mort… un grand frisson me parcourt les moelles.
Tes yeux sur les chemins maudits vont m’égarer.
Je ne gravirai plus le sentier des étoiles.
X
« Si je retrouve un jour la paix, la paix du cœur ;
Seigneur, si je guéris de cette maladie,
Je serai calme et pur comme un héros vainqueur,
Après la guerre et le carnage et l’incendie.
XI
« Comme on porte une torche ardente dans la nuit,
Je porte ma douleur merveilleuse et cruelle ;
Je ne veux pas l’éteindre ; elle est tragique et belle.
Elle brûle mon cœur et le ronge sans bruit.
XII
« Vers d’angoisse où gémit une intime épopée,
Je vous trempe au creuset rouge de ma douleur
Et vous polis avec les larmes de mon cœur
Afin que vous ayez la splendeur de l’épée.
XIII
« J’ai trop souffert par vous, mauvais Ange, c’est trop,
Et par quelque terrible soir
Je jetterai mon cœur aux requins noirs du haut
Des falaises du désespoir ! »
.......
..........
...
Jeune homme, je revois tes yeux de clématite,
Je respire tes vers ainsi qu’un grave encens.
Qui donc te fit verser pour sa beauté maudite
Les belles larmes d’or d’un Keats adolescent ?
L’ILE DU BONHEUR
Le vent traînait l’odeur d’une rose fanée
Quand surgit de la mer l’Antille aux arbres bleus,
La belle Ile fleurie où vous fut amenée
Héliotrope, aux jours d’un amour merveilleux !
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