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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain
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SANTANDER
A Santander, en plein hiver,
Les mouettes volaient dans l’air ;
Et nos prunelles étonnées
Vous revirent, ô Pyrénées !
Ville espagnole au noir couvent,
Je trouvai ton décor vivant,
Malgré la juste impatience
De revoir le doux ciel de France.
LA COMPLAINTE DES SOUVENIRS
I
Ah ! vos parfums sur la pelouse
O violettes de Toulouse !
II
Au cœur des fraîches Pyrénées
J’ai connu des jours souriants.
Chers beaux jours des mortes années,
Espagne, peupliers tremblants !
Se cache-t-elle encor la caille
Dans le blé noir et le sainfoin ?
L’étable a-t-elle assez de paille
Pour le troupeau qui vient de loin ?
III
Londres, cité la plus splendide,
Je vins à vous par un soir blond
Je n’étais que la chrysalide,
Vite je devins papillon.
IV
Petit cottage anglais aux roses,
Que j’aimais tes heures moroses
Bexil chantait près de la mer
Un nostalgique petit air.
V
Europe, Europe, Europe exquise !
Vieille terre de mes parents,
Dans la brise de mer qui grise
Que de beaux effluves errants !
VI
Un doux air me vient en mémoire :
« Sous le grand chapeau green-away »
Il est mort l’espoir de la gloire
And the blue bird has gone away.
VII
Le temps passe et la neige lasse.
J’ai trop peur de mes souvenirs.
Oublions, pour mieux voir en face
Les jours nouveaux qui vont venir.
VIII
Emporte-moi, vieux train sonore,
A travers prés et champs.
Je verrai Paris à l’aurore !
Espoir chante tes chants !
IX
Rouges lueurs au ciel gris-bleu…
Paris ! le sang vibre à mes tempes !
Paris ! les papillons du feu
Palpitent dans les lampes !
X
Quand soudain du vapeur retentit la sirène,
O France, je te vis surgir des grandes eaux ;
Bien que l’hiver eût pris tes fleurs et tes oiseaux
Ton beau ciel n’eut jamais de douceur plus sereine.
A LA FRANCE
A Madame Geneviève Henry Bérenger.
Jours d’autrefois, jours purs, jours d’idéal, jours ivres,
Où sous le vaste ciel du tropique irisé,
Je sentais chaque soir, en refermant tes livres,
Mon jeune cœur pour toi d’amour fier embrasé.
France, j’aimais de loin ta grande âme qui vibre
Comme un clairon à l’aube où flambent tes drapeaux ;
Et je rêvais de vivre enfin sur ton sol libre
Sur ton sol où la gloire éclaire les tombeaux.
Et tandis qu’aux plateaux sanglants du crépuscule,
Le bataillon vaincu du jour ardent recule,
Sur les monts flamboyaient les pavillons du soir ;
Et d’une île perdue au bord des mers profondes,
Par delà les déserts de l’Atlantique noir,
Je t’invoquais, ô France, ô noblesse du monde !
A PARIS
O ville de François Villon et de Verlaine,
Me voilà donc foulant encor tes beaux pavés !
Oublieux des torpeurs de la maison lointaine,
Les soleils du plaisir dans la nuit sont levés !
Je pourrai me mêler à la foule inconnue,
N’être qu’un flot parmi ton océan humain,
Monter le boulevard, descendre l’avenue
Et voir mille beaux yeux passer sur mon chemin.
O Paris, sous tes feux d’électricité blonde,
De toutes tes splendeurs me voilà le témoin ;
Ce soir, j’entends encor battre le cœur du monde !
O solitaires jours que vous me semblez loin !
EXTRAITS DU CARNET DE NOTES
Nec mergitur.
I
N’allons pas, dès les premiers soirs,
Vers les quartiers des nouveaux riches,
Tenons promesse aux vieux espoirs,
Laissons tranquilles les affiches.
Qu’ils sont charmants, les premiers pas
De ce tendre pèlerinage.
Ils ont trop de feux les repas
Que préside un jazz-band sauvage.
A loisir, revenons à pied
Respirer l’odeur des ruelles ;
Je connais un vieux cabaret
Au boulevard Bonne-Nouvelle.
La douce église est à côté,
Toute vieillotte et toute brune,
J’aime ce coin d’obscurité
Près des « Brioches de la Lune ».
Aux beaux quartiers de l’avenir
Nous donnerons d’autres soirées ;
Menons, menons le souvenir
Vers les heures décolorées.
II
Je connus un jardin en mai
Où j’ai cueilli souvent les roses,
Les roses des amours moroses,
Ce doux jardin est-il fermé ?
A l’église de la Sorbonne
Dort le tombeau de Richelieu ;
A Cluny, lorsque l’air est bleu,
Nous allions revoir la Licorne.
Est-ce bien moi, par ce soir-ci,
Est-ce bien moi qui me promène
De la Concorde au pont Sully,
En regardant couler la Seine.
Est-ce bien moi qui suis ici,
A l’heure où la lune se lève,
Villon ne venait-il aussi
Refléter en ces eaux son rêve.
Mieux que les Montmartrois fleuris,
Que l’Etoile, immense poème,
Pour te bien comprendre, Paris,
C’est le vieux quai Conti que j’aime.
Ils ont tant dit et tant écrit
Qu’ils feraient mentir ta devise,
Que la revoir, sans contredit,
Est une chose bien exquise.
Qu’ils sont beaux sous les claires nuits
Les mille feux de la Concorde !
Ah ! beau Paris, chante et reluis,
O toi qui de gloire débordes.
III
A Pierre Lièvre.
Contrastes merveilleux de l’immense Paris.
Quartiers vibrants, tout près de mornes quartiers gris.
Charme tout un matin de suivre les dédales
De ces réseaux obscurs qui conduisent aux halles,
D’errer dans des faubourgs grouillants où des palais
S’élevèrent au temps du joyeux Rabelais,
De méditer, songeur, sur la place des Vosges,
D’entrevoir les portiers des plus sordides loges,
Auprès d’un carrefour où l’âme du truand
Revit dans un couplet d’Aristide Bruand ;
D’évoquer en lisant le nom de vieilles rues
Une époque où la Seine eut ses premières crues ;
O charme, ayant quitté les murs d’un hôpital
Qu’à peine a réchauffé le soleil matinal,
De songer que du Vieux-Colombier le théâtre
Donne « la Nuit des Rois » adorable et folâtre ;
Qu’en attendant la fin du bel après-midi,
On s’en ira s’asseoir sous le ciel attiédi
Du Luxembourg, ou bien sur la claire terrasse
De « la Paix » d’où l’on voit la foule ivre qui passe.
IV
Au pied du Panthéon, nous vous aimons, ruelles
Où l’on se croit la nuit au doux temps des chandelles.
Que de fois, en hiver, pour vous suivre au hasard,
Nous avons déserté le vivant boulevard,
A l’heure où les échos lointains d’une musette
Pleuraient les bals défunts où dansa la grisette.
V
Tout change. Le quartier a des aspects nouveaux.
Il est mort l’omnibus avec ses lents chevaux.
Pourtant le vieux Paris chante un dernier poème
Au cœur des noirs faubourgs qu’il baptisa lui-même.
Chaque plaque de rue au nom moyen-âgeux
Est comme un souvenir laissé par les aïeux.
Qu’ils sont frais et chantants tous ces noms populaires
Qui pour les citadins évoquent les lumières
Ici, de la province où bleuit le coteau,
Là, du fleuve houleux où tangue le bateau…
Mais pour les gouvernants vous semblez trop naïves,
Paroles d’autrefois, joyeuses ou pensives,
Et vos beaux noms fleuris, les aurez-vous tantôt,
Rue Grange-Batelière et rue des Blancs-Manteaux,
Des Francs-Bourgeois, des Quatre-Vents, du Chat-qui-pêche ;
N’aurez-vous pas bientôt le nom morne ou revêche
D’un commerçant ou d’un ministre ou d’un athlète,
Ruelles de Montmartre où croît la violette ?
VI
Paris danse : on n’entend que sons et que musiques ;
Un grand peuple joyeux emplit les carrefours.
Mais quel est ce beau chant plein de douleurs épiques
Qui monte vers l’azur morne des soirs trop lourds ?
Ce sont les chants des morts de la grande hécatombe,
Ce sont tous les tués, tous les crucifiés
Qui chantent chaque nuit du tréfonds de leur tombe
Sous le ciel des pays encor terrifiés.
C’est un chant de fierté, de douleur et de gloire,
Si morne et si poignant qu’on ne peut l’écouter
Sans sentir que, malgré la paix et la victoire,
Une douleur en nous est prête à sangloter.
Et c’est pour étouffer cette plainte cruelle,
Cet hymne du devoir, si terrible et si beau,
Que Paris, fils aîné de la France immortelle,
Danse de tout son cœur, danse au bord des tombeaux.
VII
Quand je suis pris soudain par le fleuve des foules,
Quand je suis emporté par leurs torrents joyeux,
Je fais parfois ce rêve, au rythme de leurs houles,
Ce rêve sans raison, ce rêve merveilleux :
Il me semble revoir parmi de beaux visages,
Les visages de ceux que la mort a glacés ;
La foule étant aveugle au soir des grands orages,
Parmi ces chants joyeux passent des trépassés.
Et j’imagine alors que quittant leurs ténèbres,
Tous les jeunes soldats qui n’avaient pas vingt ans
Quand la mort les coucha dans les plaines funèbres,
Reviennent rire encor au milieu des vivants.
C’est pourquoi, sous l’éclat des lampes électriques,
Je marche regardant les yeux des promeneurs,
Et, pris d’un grand amour pour les rêves mystiques,
Je sens mon cœur s’emplir d’ineffables douceurs.
Je veux porter en moi cette chimère heureuse
Qui berce mes chagrins et calme mes remords,
En attendant la nuit terrible ou merveilleuse
Où je serai parmi vos phalanges, ô morts !
THE END OF A PERFECT DAY
Rien qu’à ton maintien
Qu’à ta pure ligne,
D’Albion insigne
Je sens que tu viens.
Ta taille parfaite
Ton teint merveilleux,
Tes limpides yeux
Me sont une fête !
Dans les yeux anglais
Luit la mer immense ;
J’aime ton silence
Et ton regard frais.
La ville s’est tue.
Je suis plein d’émoi ;
Marche près de moi
Ma belle statue !
LES VAUTOURS
J’ai vu dans les couloirs d’hôpital et d’hospice
Passer la caravane innombrable des maux ;
Et parmi les cités en deuil tous les fléaux
Qui dans la chair de l’homme allument le supplice.
Un avorton, victime innocente du vice,
Souffrait dans les draps blancs de son étroit berceau,
Et ses yeux agrandis par le mal et très beaux
Semblaient chercher le ciel et demander justice.
Et je songeais alors à votre mission,
Prophètes pleins d’amour et de compassion,
Savants brûlés aux feux de vos laboratoires ;
Vous qui rêvez, dans le silence et la clarté,
D’arracher à jamais toutes les ailes noires,
Des grands vautours planant sur notre humanité.
HÉRÉDITÉ
Quand un noble idéal gonfle l’âme sereine,
Nous rêvons la lumière en elle et non la nuit ;
Et nous nous efforçons d’y taire tout vain bruit
D’orgueil et d’en chasser l’injustice et la haine.
Mais, ravivant le flux des passions lointaines,
Invisible et présente, au gré du temps qui fuit,
Toujours l’Hérédité fatale nous poursuit,
Vieux revenant sorti des ténèbres humaines.
L’héritage des morts est en ses doigts cruels
Et nous sentons en nous, ainsi qu’en des Babels,
Gronder l’écho confus des vices séculaires.
Car du legs ancestral rien ne s’est effacé,
Le sang des vieux péchés coule dans nos artères ;
Sur l’avenir s’allonge l’ombre du passé.
SOUVENIRS ET REGRETS
I
BOIS DE BOULOGNE
Madame, il ne faut pas écraser les manantsQui traversent pour voir vos yeux impertinents,Car vous risqueriez fort, par une après dinée,De tuer le plus grand amour de cette année.De Porto-Riche.
Je redisais ces vers charmants quand vous passiez
Jadis, au Bois, au trot de vos jeunes coursiers.
Hélas ! j’ai dû rester bien longtemps dans mon île,
Hélène à présent vieille en votre automobile !
II
QUARTIER LATIN
Où sont les gracieux galantsQue nous suivons au temps jadis.François Villon.
De-ci, de-là, dans le quartier,
Je rencontre un visage
Que portait un beau corps altier
Quand j’avais mon jeune âge.
Quoi, c’est donc vous, frais céladon,
Adorable Marie ;
Ce gras, cet énorme bedon,
Cette dame flétrie ?
Déjà le « gracieux galant »
Est devenu notaire
Et Rose au front étincelant
Est morte à Saint-Nazaire.
III
AUTEUIL
But where is bounty guy ?
Walter Scott.
Rien n’a changé, verte pelouse,
Pas même le starter,
Quant aux jockeys, j’en revois douze ;
Mais où donc est Carter ?
Où donc est-il, ô « La Valeuse »,
Celui qui te montait
Au mois où La Morlais heureuse
Voit poindre le muguet ?
Alec Carter est mort en guerre
Ainsi qu’un preux de roi :
Au ciel il porte la bannière
Sur un grand palefroi.
IV
BAR DE LA PAIX
A Henri Martineau.
Comment entrer dans ce bar triste
Sans songer à Toulet ?
C’est là que fut bel ironiste
Ce poète complet.
La nuit est couleur de poussière
Dites-nous donc, garçon,
Ne pourrait-on avoir un verre
De vin de Jurançon ?
ENVOI
Aux Aliscamps, Muses fidèles,
Qu’ils sont purs vos sanglots !
Maurice ! sous tes filaos
Pleurent les tourterelles !
EN SORTANT DE PELLÉAS
Mélisande aux yeux bleus que vous êtes touchante !
Qu’ils sont poignants les cris que vous jetez ! Hélas !
Que n’avez-vous d’abord rencontré Pelléas,
Mélisande aux cheveux d’aurore murmurante ?
A PARIS
Paris si plus que tous ton nom fleuri rayonne,
Si de revoir tes tours l’œil n’est jamais lassé,
C’est qu’autour de l’éclat que le présent te donne,
Se perçoit le halo splendide du passé.
LE JARDIN DU VERT-GALANT
Lorsque sur le Pont-Neuf toute rumeur s’est tue,
L’âme du Béarnais revient rêver parmi
Les arbres familiers qui gardent sa statue,
Au chant berceur, au chant du doux fleuve endormi.
J’aime ce coin perdu près du Louvre de gloire
Où par les jours d’azur, où par les jours de froid,
De beaux arbres pensifs veillent sur le grand roi
Qui fut un chêne vert aux forêts de l’histoire.
RUE CAUMARTIN
Je dirais au roi Henri :Reprenez votre Paris,J’aime mieux ma mie, o gué !
Cette rue est toujours en fête
Et c’est une Babel,
Allons-nous-en, douce Muguette,
Muguette aux yeux de ciel.
Quittons ces ors, ces améthystes,
Rentrons à notre hôtel.
J’aime le son de tes eaux tristes,
Fontaine Saint-Michel.
LA POÉSIE ET LA DANSE
A un danseur russe.
En te voyant danser, danseur éblouissant,
Je me disais : Voici le Rêve !
Ah ! je voudrais que le poème que j’achève
Eût ce beau rythme caressant.
Je regardais tes pieds légers et tes bras souples,
Tes cheveux libres et flottants,
Et mes vers se donnant la main dansaient par couples
Dans l’allégresse du printemps !
CIMETIÈRE MONTPARNASSE
In memoriam. L. T.
On laisse périr de misère
Plus d’un bel écrivain
Et plus tard on érige en vain
Une statue altière.
C’est pour vous, Amour, et pour moi
Que j’écris le poème ;
A côté de vous, bel émoi,
Ah ! que la gloire est blême !
ENTRE CHIEN ET LOUP
Ainsi que celle à Trianon
De Marie-Antoinette,
A Saint-Sulpice, de Manon
J’ai vu la silhouette.
Aux Halles, c’est Mimi-Pinson
A côté de Musette ;
Au Luxembourg près d’un buisson
La douce Addy s’arrête.
Sapho passe sur le trottoir
Lugubre à voir et triste.
O souvenir du livre noir
Toujours toi qui persistes !
IN MEMORIAM
A peste, a fame, a belloLibera nos, Domine.
Que vas-tu faire à Chantilly ?
Au ciel d’hiver luisent les Ourses.
Le givre argente les taillis,
Ce n’est pas le beau mois des courses.
— Ah ! ce n’est pas pour les châteaux,
Pour le lac, ni pour les chevaux ;
C’est pour voir sous le soir qui tombe
Une noire, une froide tombe !
Pour un soldat mort jeune et beau
Je veux dire un mot de prière ;
Et te maudire encor, ô guerre,
O toi qui le mis au tombeau !
L’ADOLESCENT AUX YEUX BLEUS ET VERTS
J’aurai seize ans au mois des roses purpurines
Mais la beauté déjà m’ouvre un chemin de feu,
Les hommes sont surpris de mon beau regard bleu,
Les femmes veulent mordre à mes lèvres divines.
Le soir, je marche seul aux feux du boulevard,
Parmi les mille cris de la foule vulgaire ;
Comme un souple serpent passant une rivière,
Je porte haut mon front que ne souille aucun fard.
Mille cœurs pour mon cœur brûlent d’un amour sombre,
Mille caprices fous me provoquent sans fin,
Moi qui ne suis vêtu que de grâce et de lin
Des yeux voluptueux me poursuivent dans l’ombre.
Je suis comme un jeune arbre exquis et plein de sève
Dont on voudrait cueillir les fruits à peine mûrs,
Ma voix est musicale et mes genoux sont purs,
Parmi tant de laideurs je suis le divin rêve.
J’ai le corps d’Adonis et le regard d’Eros.
Je fais songer aux chants des nuits vénitiennes.
Aux miroirs de mes yeux sont les mers anciennes.
Le marbre de ma chair est digne de Paros.
Je suis droit, je suis pur comme le feu du cierge.
Je marche devant moi sans crainte de l’affront,
J’aperçois aux miroirs la pâleur de mon front
Et je suis à la fois et l’éphèbe et la vierge.
L’aurore rêve encore en mes yeux éclatants.
J’étais de sept enfants celui qu’aimait ma mère
Et sachant que mon charme est un don éphémère,
J’imagine, ce soir, que je suis le printemps.
Paris danse et je suis emporté par ses houles.
Mon cœur plein de désirs n’a pas encore aimé,
Comme un vaisseau fleuri sur un fleuve embaumé
Je monte et je descends le beau fleuve des foules ;
Et je jouis ce soir du trouble radieux
De sentir que je traîne un sillage de gloire,
Et que je porte, au cœur d’une humanité noire,
La beauté lumineuse et parfaite des dieux !
LE BEAU DANSEUR
A Léon Bocquet.
Je suis le beau danseur aux cheveux de clarté ;
Et je ferai danser ce soir la fille laide ;
De celle dont le front rayonne de bonté
Je prendrai dans mes bras la taille infirme et raide.
Je veux voir s’animer, au contact de mon corps,
La pauvrette qu’au bal ont toujours délaissée
Le fat, le vaniteux, le sot et le retors ;
Je suis le beau danseur à la taille élancée !
Je suis le beau danseur, harmonieux et blond,
Qui levant le loup vert qui mimait l’allégresse,
Montre aux regards surpris un secourable front
Et deux yeux attendris, étoilés de tristesse.
Toute la poésie est dans mes mouvements ;
Quand la danse me prend, emporté par mon rêve
Je glisse sous des nuits pleines de diamants,
Vers les horizons bleus où la lune se lève.
Nous nous enlacerons, au rythme du tango,
Puis l’orchestre divin jouera la valse illustre ;
Au chant des violons, sur les mers indigo,
Nous partirons en songe aux mille feux des lustres.
Soulevant dans mes bras le fardeau précieux,
— Qu’elle sera légère avec sa robe mince ! —
Je mettrai du soleil aux puits noirs de ses yeux,
Je lui dirai mon nom de seigneur et de prince.
Je la ferai ployer comme le vent joyeux
Fait ployer au rosier une rose trop frêle ;
Je la ferai tourner dans des tourbillons bleus,
Je lui dirai cent fois qu’elle est la toute belle.
Dédaignant les beautés dont le cœur est brutal,
Je vais, toute la nuit, chérir la délaissée,
Pour qu’elle emporte à l’aube, au sortir de ce bal,
L’orgueil d’avoir été divinement bercée.
Il suffit bien souvent, pour embellir demain,
Dans ce monde où l’amour est plus fort que la haine,
Qu’un instant le bonheur nous ait pris par la main
Et que deux yeux se soient penchés sur notre peine.
O TOI
A Renée M.
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !Baudelaire.
Je ne sais rien de toi, mais je te vis de près
Par une folle nuit et j’aimai ton teint frais,
Ton jeune corps, tes yeux, ton sourire, tes lèvres,
Depuis, je suis brûlé de nostalgiques fièvres.
Je te cherche partout et ne te trouve pas.
Parfois, je me retourne en entendant des pas,
Mais ce sont d’autres yeux qui passent dans la rue.
Je te cherche sans fin dans l’ardente cohue
Des sombres boulevards où je te rencontrai,
Par ce beau soir plus tendre encor qu’un soir de mai.
Je ne sais rien de toi, j’ignore la province
Qui te fit le front droit et la lèvre si mince,
Mais dans mon cœur pour toi brûle un limpide feu.
Les autres yeux n’ont pas ton triste regard bleu.
Chaque soir, je reviens toujours à la même heure.
Ah ! te trouver et te mener dans ma demeure.
Mais, c’est en vain, hélas, que je fais le chemin,
Où je te rencontrais, ma Rose, mon Jasmin.
Ah, qui sait, il se peut qu’ayant quitté la ville,
Tu sois dans la douceur d’un village tranquille ;
Il se peut bien aussi que vous soyez, beaux yeux,
A bord d’un noir steamer parti vers d’autres cieux.
En songeant à cela, mon rêve se désole.
Reverrai-je jamais tes yeux, petite idole ?
LES PHALÈNES
(PETITS POÈMES AUX YEUX QUI PASSENT)
I
Les jardins sont veufs de feuillages
Et c’est l’hiver sous le ciel noir ;
Mais, ville, du matin au soir,
Que de beaux yeux, de beaux visages !
II
O toi qui passes simplement,
Offrant à mes yeux tes prunelles ;
C’est la nuit ; mais je vois en elles
Les jours bleus de l’espoir charmant.
III
D’autres portèrent des présents,
Dirent les paroles amies ;
D’autres promirent pour des ans
L’amour ivre et sans accalmies.
Toi qui viens tard, presque trop tard,
Tu ne dis rien, ô tête blonde,
Mais d’un regard, d’un seul regard
Tu promets la beauté du monde.
IV
Nos deux regards se sont croisés, comme vaisseaux
Allant d’une île à l’autre, ivres d’un beau voyage ;
Mes yeux voient dans tes yeux l’aube et le paysage,
Tes yeux voient dans mes yeux la mer et ses oiseaux.
V
Lorsque nous nous croisons dans la banale rue,
Ton beau regard en moi plonge un si frais bonheur,
Que je voudrais chanter un poème à la nue,
J’entends le galop fou des chevaux de mon cœur.
VI
Sans mots, nous nous faisons de troublantes promesses,
Chaque fois que nos yeux s’attirent dans le soir.
Partirons-nous bientôt sur la mer des ivresses ?
Resterons-nous plutôt aux rives de l’espoir ?
VII
Je préfère ce soir m’abstenir de théâtre
Et, par ce mardi-gras où Paris est houleux,
M’enfermer dans ma chambre et rêver devant l’âtre
Aux promesses qu’ont fait à mes rêves tes yeux.
LA RESSEMBLANCE DIVINE
Un soir que je passais, froid rêveur sous la nue,
Songeant toujours à l’amour mort,
Deux yeux miraculeux, deux yeux d’azur et d’or
Etincelèrent à ma vue.
Et soudain je crus voir le « beau Lys d’autrefois »
Comme si les cruelles lois
N’avaient pas existé pour Elle.
Celle qui vint avait sa voix
Sa voix légère
Sa voix sincère
Sa jeune voix au frisson d’eau…
Elle dit : « Que l’Amour est beau !
De ton désir j’ai le visage.
Je suis le but de ton voyage.
A l’arbre de la volupté
Je suis la fleur dernière éclose.
Je serai ta félicité,
Ton Lotus, ton Jasmin, ta Rose.
Chaque jour renaît virginale
La forme ivre de la beauté.
Je viens du pays d’Euryale
Et j’ai les yeux d’Aphrodité.
Je ne te dirai pas ma vie
Et tu ne sauras pas mon nom.
Je suis l’Image poursuivie,
Par le rêveur au triste front.
Quand tu m’auras baisé les lèvres
Ton cœur n’aura plus de regret
Je vais guérir toutes tes fièvres
Par ma caresse sans apprêt. »…
Hymen ! Hymen ! O Hyménée !
La nuit est tendre et surannée.
Paris soudain s’est transformé !…
Et voici les hamadryades,
Dansant sous les fines Pléiades,
Au bord d’un beau fleuve embaumé !
LE POÈTE ET LA BEAUTÉ
« Beauté, criai-je, après dix ans
Je te trouve pareille !
— Rêveur, tes songes exaltants
Ont fait cette merveille.
— J’avais de ton beau souvenir
Fait ma lampe fidèle.
— Dans un cœur fervent l’avenir
Rend l’image plus belle !
— J’ai retrouvé le lys si beau
Qui manquait à la grève.
— L’amour a sauvé du tombeau
La forme de ton rêve.
— Je croyais ta fragilité
Déjà prise par l’âge.
— Rien ne peut ternir la beauté
Que protège un mirage.
— O matin qui n’a pas de soir !
Lumière enchanteresse !
Mon beau Lys, je crois te revoir
Dans toute ta jeunesse ! »
A LA JEUNE ITALIENNE
Rien qu’à te voir mon cœur se sent jeune et joyeux.
Le soleil du bonheur éclaire toutes choses.
Ton regard est plus bleu que le ciel le plus bleu
Et tes lèvres n’ont rien à désirer des roses.
Dans une île amoureuse et vibrante d’oiseaux,
Tu semblerais, au bord d’une aurore élargie,
Une naïade allant chanter au bord des eaux,
Tu fais songer au ciel de la mythologie.
Tu fais aussi songer à ce beau paradis
Dont les élus verront les splendeurs éternelles,
Tu n’as jamais marché dans les chemins maudits ;
Il ne te manque rien, mon ange, que les ailes !
CHANSON D’HIVER
Que veux-tu que cela me fasse
Qu’il soit mort le printemps ?
Mon bel ange aux yeux éclatants,
N’as-tu pas pris sa place ?
Grâce à toi tout me semble Avril
Bien que ce soit Décembre,
Qu’ils sont souples, tes cheveux d’ambre,
Qu’il est fin, ton profil.
Ton souffle est une source pure.
Ton cœur est un ruisseau ;
Et comme un ardent arbrisseau
Tu fleures la verdure.
Ton corps fut moulé par les dieux
Qui sculptent la jeunesse.
Qu’elle est suave, ta caresse !
Qu’ils sont profonds, tes yeux !
Tes odeurs sont plus ingénues
Que celles du jasmin.
De plus belles fleurs sous la main
Je n’en ai jamais eues.
Jamais les roses les plus belles
N’enivrent le jardin
Comme enivrent mon cœur soudain
Les lys de tes bras frêles.
Quand tu parles, je me tais,
Et j’écoute, lointaines,
Chanter les voix des fontaines
Qui sont dans les forêts.
Je n’ai plus que quelques semaines
A chérir tes doux yeux.
(Soyez longs, ô jours bienheureux,
Où je bois son haleine !)
Quand nous nous ferons nos adieux,
Ce sera l’heure amère,
Alors, ce sera sur la terre
Avril délicieux.
TROIS STANCES
I
Jeunesse, il ne faut pas me déserter, jeunesse ;
Fais encor de mon corps ta joyeuse maison ;
Que deviendrai-je aux soirs où je perdrai l’ivresse,
Où je verrai l’Amour s’enfuir à l’horizon.
II
Le chat voluptueux se change vite en tigre,
Mon cœur, il ne faut plus jouer avec l’amour.
Admire la beauté, mais reste toujours libre ;
Le félin aux yeux verts t’a joué plus d’un tour.
III
Paris, si je pouvais rester toute une année
Dans tes murs, il serait bien moindre, le plaisir ;
Mais hélas, la saison est presque terminée.
Je t’aime d’autant plus qu’il faut bientôt partir.
C’est demain que je dois te quitter, bon hôtel,
Et quand je m’en irai, ton aspect sera tel
Qu’il fut au jour joyeux de ma bonne arrivée.
La chambre où j’ai vécu sera vite occupée.
Nul ne regrettera mon départ sur la mer ;
Et le nouveau venu (quelque sage au front fier)
Ignorera toujours qu’une âme fut bercée
Dans le lit noir au chant des vers de l’Odyssée.
Les rideaux laisseront pénétrer le soleil.
Le clair retour d’avril sera doux et vermeil
Et la bonne servante aux paupières jaunies
Oubliera le « petit monsieur » des colonies.
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