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L'Ile et le voyage: petite odyssée d'un poète lointain

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L’EMBARQUEMENT

Ce soir les sept couleurs du prisme
Coupent l’azur de leurs splendeurs.
Un arc-en-ciel de son bel isthme
Joint le steamer à l’île en fleurs…
Pour voir d’autres pays, d’autres mers, d’autres villes,
Bel Archipel, je vais te quitter pour un temps.
Je veux aller revoir l’Europe aux nuits subtiles ;
L’Europe de la neige et celle du printemps.
Pour consoler mon cœur d’avoir vieilli, je rêve
De marcher dans l’hiver des bois.
Ici tout est splendeur du piton à la grève
Sous le ciel pareil, douze fois.
Je veux aller revoir les villes populeuses,
Les boulevards emplis par les fleuves humains ;
J’ai trop longtemps vécu dans les îles rêveuses,
La mer va m’ouvrir ses chemins.
On ne peut de nos jours rencontrer l’aventure
Merveilleuse en un îlot clair.
Nausicaa n’est plus l’enfant de la nature
Et ne vit plus près de la mer…
On garde encor sous les cyprès de l’Italie
De la beauté des dieux le culte pur et fier
Et dans Londres le soir, pleins de mélancolie
Il est des yeux profonds et beaux comme la mer.
Paris, cité divine est l’oasis lointaine,
Le dernier paradis terrestre où loin du sot
On peut sans trépasser écouter la Sirène
Et retrouver les yeux pâles de Calypso.
Enivrés par l’azur où chantent les vents calmes,
Exaltez-moi, vastes flots bleus,
Et vous, palmiers lointains, faites avec vos palmes
De tendres, d’émouvants adieux !

LE VOYAGE A TRAVERS L’ARCHIPEL

A Jean Royère.

Le grand steamer coupa les flots de l’Archipel.
Les nuages dans l’air semblaient de belles voiles ;
Et chaque île, dressant son profil sur le ciel,
Parut dans un décor de soleil ou d’étoiles.
Aux cadres des midis, des aubes et des soirs,
Nous avons admiré leur lumière diverse :
Les unes dans l’azur dressaient leurs pitons noirs ;
D’autres étaient encor luisantes d’une averse.
L’une ouvrait une rade où les flots violets
Balançaient des trois-mâts, des bricks et des gabares ;
Une autre avec sa ville aux toits bariolés
Imitait un château de carte aux couleurs rares.
Que la Barbade est belle au miroir des flots bleus
Baignant ses sables nus de leur écume claire ;
Les vents venus d’Europe aiment le ciel heureux
De cette minuscule et grouillante Angleterre.
Plus au nord, se dressait, au gouffre de l’éther,
Sainte-Lucie avec ses montagnes jumelles ;
La rade de Castrie est comme un étang vert
Reflétant les villas du golfe et leurs tonnelles.
Une angoisse nous prit à regarder tes monts
Frères du noir Pelé, superbe Martinique ;
Ton volcan, dans les feux des crépuscules blonds,
Perce d’un glaive noir ton ciel mélancolique.
La Dominique est l’île vierge où le ciel frais
Respire encor l’odeur des floraisons premières,
De musicales eaux courent dans ses forêts
Où volent des oiseaux sous des lumières vertes.
La belle Guadeloupe offrit le couchant d’or
Splendide d’un ciel rouge illuminant la vitre
Flambante de la mer. Des feux brillaient au port.
Au loin les flamboyants saignaient sur Pointe-à-Pitre.
Puis ce fut Montserrat, Nevis, Saint-Kitts en fleurs,
Christianstad où la mer a l’éclat des turquoises,
Charlotte-Amalia riche de sept couleurs ;
Charmantes toutes deux et toutes deux danoises.
Dans l’île de Sabah il est des enfants blonds
Dont les yeux font songer aux beaux lacs de Norvège ;
De souples négrillons aux yeux gris, aux bras ronds,
Peuplent Fredericstad aux murs couleur de neige.

Les marchés étaient pleins d’oiseaux et de beaux fruits :
Perroquets et ramiers, mangues et barbadines.
Des guitares jouaient dans la fraîcheur des nuits
Des tangos langoureux et des valses divines.
De suaves parfums voyageaient dans les airs,
Venus des chauds jardins où croissent les épices,
Et de souples cabris, aux rivages déserts,
Sautaient de roc en roc au bord des précipices.
Nous devinions au loin de sombres marigots
Sur qui tournaient des vols rapides et farouches,
Tandis que fleurissait parmi l’or des mangos
Un arbre illuminé de flammes d’oiseaux-mouches.
Des éclairs de poissons zigzaguaient dans les flots
Au large de l’îlot où pondent les tortues ;
On voyait les jets d’eaux souples des cachalots,
La nuit, quand les clameurs des marins s’étaient tues.
Un soir que nous disions des vers d’Heredia,
Les planètes soudain se levèrent plus belles
Et sur l’orient d’or la lune incendia
Un passage émouvant de lentes caravelles.
Devant nous se dressaient les sommets de saphir
Des beaux pays où sont les hautaines créoles,
Des îles évoquant les richesses d’Ophir
Et le fier souvenir des gloires espagnoles.
Mais au lieu d’affronter les chatoyantes eaux
Du golfe mexicain où dansent les flots rudes,
Le grand vaisseau suivi d’immenses vols d’oiseaux
Cingla vers les brouillards irisés des Bermudes.
Qui dira la clarté de ces terres d’amour
Où Colomb aborda lors du premier voyage,
Où poissons et coraux allument, tour à tour,
Les transparentes eaux qui reflètent la plage ?
Et tandis que le ciel sur les jardins fleuris
Déroulait tour à tour les aurores sanglantes,
Les crépuscules verts pleins de chauve-souris
Et les vagues de feu des nuits phosphorescentes,
Je redisais vos noms vivants, défunts amis :
Lafcadio[2], conteur aux rêves nostalgiques ;
Et vous, Nau, goéland dont l’âme ivre est parmi
Les vols d’oiseaux planant sur la mer des tropiques !

[2] Lafcadio Hearn.

LE DÉPART POUR L’EUROPE

A Paul Labrousse.

Tournant sa proue en feu vers le Nord-Est brumeux,
Le vapeur nous emporte au chant de sa machine ;
Les îles du couchant nous font de beaux adieux
Et les vents jusqu’à nous portent leur voix divine.
Nous entendons grandir ton immense rumeur,
Formidable Atlantique illuminé d’écume
Dont chantent les longs flots comme un immense chœur
Et qui fais du vapeur sonore ton enclume.
Nous frôlons des trésors que nous ne verrons pas,
Des peuples inconnus de poissons et de plantes,
Des joyaux inouïs, des carènes, des mâts,
Des crabes monstrueux, des méduses géantes.
Tandis que les dauphins s’ébattent à fleur d’eau,
Les bécunes des fonds poursuivent les orphies.
Une tortue au loin flotte comme un radeau
Sur les flots lourds hantés de carangues bouffies.
Tiédis par les baisers du Gulf-Stream, les courants
Traînent sur l’océan des routes lumineuses,
Dans leurs flots tempérés nagent les thons errants
Ivres de réchauffer leurs écailles frileuses.
Partis des ciels lointains dont se voile l’azur
Des oiseaux migrateurs voyagent par nuées ;
C’est ainsi que s’en vont vers le rivage pur
De la beauté le vol des ivresses sacrées.
Je t’évoque, aux lueurs du beau soleil couchant,
Océan et te fais tout haut cette prière :
De ton immense lyre accompagne mon chant
Et que notre vapeur ignore ta colère.

STANCE

Homme voici la mer que tu ne peux dompter.
Comme elle est belle et comme en l’azur elle chante !…
— Je songe à deux beaux yeux que je n’ai su capter
Et qui vous ressemblaient, ô mer indifférente !

CHANT DE VOYAGE

O poètes de l’autre bord,
O rêveurs de l’autre rive,
Quand vous apprendrez que j’arrive,
Venez me rencontrer au port.
Venez Royère et vous Paul Fort,
Foulon de Vaux, Pilon, Montfort
Et vous tous dont la voix m’est chère.
Venez Guy Lavaud, Duhamel ;
Venez sous l’hiver blanc du ciel
Accueillir un poète, un frère…
Solitaire je suis resté
Loin de vous pendant mon été ;
Ah ! maudissons les tours d’ivoire !
Je n’aime plus que la bonté,
La tendresse et la volupté.
Tout le reste est chiffre et grimoire.
Si j’ai chanté près des forêts
Au lieu d’écrire dans les villes,
(Le déplorer est inutile)
C’est que Dieu, Dieu l’a fait exprès.
Vos belles voix se sont mêlées
Et de vibrantes assemblées
Ont entendu vos cris touchants.
Mais moi sous les soleils couchants
Je suis l’oiseau de la vallée
Qui chante loin de la mêlée
Et dont on ignore les chants.
Bien que je vienne des Tropiques
Au grand vent des deux Amériques,
Je ne suis pas un étranger.
Si j’ai rêvé sous l’oranger
Au lieu de rêver sous le chêne,
J’ai lu Keats et j’ai lu Verlaine.
Mon navire est plein de rayons !
Il a connu les nuits mauvaises
Entendu le bruit des canons
Et ce sont les couleurs françaises,
Qui décorent ses pavillons !

EN RENCONTRANT DES VAISSEAUX

Les pays que l’on a traversés ne sont pas,
Même en songe — aussi beaux que ceux que l’on ignore.
O charme de penser qu’il est d’autres climats,
D’autres ciels inconnus qui m’attendent encore.

NORVÈGE

Par les jours où le ciel haletait de chaleurs,
Je rêvais d’un pays du nord, ô sortilège ;
Et tandis que le vent buvait le sang des fleurs,
Je redisais ton nom de tristesse, Norvège.

PROJET

N’allons pas vers New-York, ville belle entre toutes,
Mais qui ne convient pas à l’esprit du rêveur,
Des plaines de la mer suivons les autres routes
Allant vers l’Italie et la France, sa sœur.

A SHELLEY

O toi que l’on trouva noyé dans la mer vive !
Shelley, je me sens plein d’une immense douceur,
Quand je t’évoque mort, portant à la dérive,
Les beaux « écrits sur l’eau » de John Keats sur ton cœur.

L’ILE NATALE

O mon pays natal, dès que je t’ai quitté
Je songe à tes palmiers, à tes buissons d’icaque ;
Et sous les ciels d’hiver et sous les nuits d’été
Je suis comme un Ulysse évoquant son Ithaque.

EN FACE DES FLORIDES

Ces effluves légers qui parfument la mer
Dites-nous, n’est-ce pas un appel des Florides ?
La nue est embrasée et le flot est sans rides
Et des astres nouveaux montent dans le ciel vert.

VOL D’OISEAUX

Où vont les blancs oiseaux dont les ailes trop calmes
Font songer à l’hiver, sous ce beau ciel si pur ?
Sont-ils des goélands, ne sont-ils pas les âmes
Des matelots sombrés aux gouffres de l’azur ?

CLAIR DE LUNE

Le couchant sur la mer dessine des rivages
Chimériques ; la mer semble un Sahara d’or.
Il n’est pas de pays réel dont le décor
Vous vaille, beaux pays, créés par les nuages.

ON MIAMI SHORE

Ah ! jouez-nous encor, orchestre, sur la mer
Cette belle valse divine !
Océan, la musique est ta sœur enfantine.
Je vois trois goélands dans l’air !

KEATS ET SHELLEY

Les violettes sont le sourire des morts.

J.-P. Toulet.

Quand nous serons à Rome à la fin de ce mois,
Nous irons respirer l’odeur des violettes
Au bord de vos tombeaux perdus, divins poètes
Et nous dirons vos plus beaux vers à douce voix.

AUX BERMUDES

Bermudes, beaux jardins suspendus sur la mer
Où brillent les coraux dans les palais de l’onde,
Vos ciels et vos climats sont les plus doux du monde,
Pourtant vous n’avez su guérir mon cœur amer.

LE FROID

Sur l’océan et dans le ciel c’est le grand froid.
Déjà les alizés ont fait place au zéphire.
Vers le Baudrier d’or Sirius monte droit.
Je respire l’odeur de l’Europe… délire !

CHANT DANS LA TEMPÊTE

Ecoutons la chanson du mât,
La chanson du mât de misaine,
Qui fut, sous un autre climat,
Un grand arbre bleu dans la plaine.
Lui qui charmait l’air du vallon,
Il est nu sur la mer sauvage.
Il a pour fleur le pavillon !
Il a les agrès pour feuillage !
Se souvient-il des grands étangs
Où se miraient les pâles Ourses ?
Se souvient-il des courts printemps
Où riaient les nymphes des sources ?
Ecoutons le large soupir
Du mât de misaine en détresse.
O mon cœur, que va devenir
L’arbre vert de notre jeunesse ?

DEVANT LES AÇORES

Entre deux continents, Açores, îles pâles,
Grâce à vous, je revois la brume, sur les bois.
Je voudrais, sous vos cieux, vivre quelques beaux mois
Quand vos soirs automnaux sont couronnés d’opales.

L’HYMNE DES VENTS

HOMMAGE A LA FRANCE

A Madame Segond-Weber.

La France est chère à toute âme qui aime l’humanité.

Rudyard Kipling.

Le grand steamer tanguait loin de la paix des monts,
Sur le tumulte bleu des bondissantes vagues ;
Autour de lui flottaient l’algue et les goémons,
Les regrets du départ sombraient dans nos cœurs vagues.
Les vents heureux qui sont de purs esprits dans l’air
Chantent aux voyageurs comme au temps des Sirènes,
Quand la lune rosée enivre le cœur fier
Des jeunes matelots et des vieux capitaines.
Comme aux jours où leur souffle emportait les vaisseaux
Les vents nous invitaient à parcourir la terre ;
Leurs chants étaient plus frais que celui des oiseaux
Lorsque l’arbre fleuri neige sur la rivière : —
« Quels sont les grands pays que vos yeux veulent voir ?
Terre des mimosas, est-ce l’ample Australie ;
L’Ile rouge du Sud où fume un volcan noir ?
Préférez-vous les ciels de la mélancolie ?
Nous avons escorté sur les saphirs de l’eau
Le beau dreadnought blanc où voyageait un Prince,
S’en allant visiter, soldat et matelot,
La Nouvelle-Zélande, une de ses provinces.
Les routes de la mer sont libres, sans dangers.
Les récifs sont lointains et la vague est sereine.
Voulez-vous voir New-York, propice aux étrangers,
Ou Paris, la Circé fabuleuse et lointaine ?
Aimez-vous mieux les lacs étincelants du Nord,
Le Canada, patrie immense des étables,
Le beau Mississipi mirant des couchants d’or
Quand les vols des flamands éblouissent ses sables ?
Connaissez-vous l’Islande, île des brouillards frais ?
Ah ! qu’une Rose anglaise est suave en Septembre !
Le chardon écossais et le trèfle irlandais,
Voulez-vous les cueillir sous un Octobre d’ambre ?
Qu’ils sont beaux les pays dont le grand rêve est pur :
La Hollande endormie aux miroirs verts des ondes,
La Suède brumeuse avec ses yeux d’azur,
La Belgique, rempart inespéré des mondes !
Voguerez-vous vers l’Inde où sont les lotus bleus,
Ou l’île de Chio qui vit grandir Homère ?
Voulez-vous un pays pour le cœur et les yeux ?
Plus que tous les pays, France vous sera chère.
Nous aimons écouter s’éteindre les clameurs
De ses clairons, aux cieux des grands automnes pâles,
Quand par les soirs profonds, décorés de lueurs,
Chantent les angelus aux vieilles cathédrales ! »
« Ah ! vous m’exaltez, vents des mers !
Il est des pays bien plus verts
Et bien plus riches que la France,
Mais il n’en est pas de plus chers !
Pas un, comme elle, dans l’absence
Ne fait regretter la distance ;
Pour les peuples aux cœurs amers
Elle est la terre d’espérance.
Vents des cieux et des bois fleuris,
C’est surtout pour elle et Paris
Que nous avons fait ce voyage.
Il nous fallait lui rendre hommage.
Ayant chassé le Hun puissant,
Elle fut fière et triomphale ;
Mais nous la trouverons très pâle
Car elle a perdu trop de sang !
On a tué dans les batailles
Ses soldats aux petites tailles,
Ses officiers aux fronts rêveurs ;
Elle a souffert mille douleurs…
Plus d’une fois on la crut morte ;
Plus d’une fois elle tomba ;
Tant était rude le combat
Et tant la poussée était forte !
Parce qu’elle a des yeux charmeurs,
Qu’elle aime les chants et les fleurs,
On l’appelait : « France frivole »
Ah ! comme elle a changé de rôle !
Quand, contre le fer meurtrier,
Elle a dressé son bouclier,
Elle a fait haleter la terre,
La France, la France guerrière !
Elle ne veut pas de sanglots
Sur les tombes de ses héros ;
Les grands deuils sont aux yeux des mères ;
Nous les verrons, femmes sincères,
Portant plus haut leur beau front clair,
Maîtriser leur cœur qui soupire ;
Car la France est le pays fier
Où les douleurs savent sourire !
Chantez autour de nous, bons vents,
Sous l’azur des ciels émouvants,
Mêlez vos chœurs aux chœurs des lames !
Les couchants ont de belles flammes,
Les matins ont des feux tremblants ;
Et bientôt, coupant le silence,
Viendront vers nous, beaux oiseaux blancs,
Les aéroplanes de France ! »

STANCE

Dans les miroirs du flot mobile
Je vois Paris aux toits gris-bleu
Je vois aussi ma petite île
Qui me fait de beaux adieux.
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