I
Me voilà revenu sous ton ciel, ô mon île,
L’eau qui chante en la cour évoque tes roseaux ;
J’entends les premiers bruits du rucher, de la ville,
Et je m’éveille au chant joyeux de tes oiseaux.
Qu’ils sont beaux, dans la nuit tropicale, les astres !
Qu’ils sont purs, les matins qui parfument la mer !
Pays, j’ai pu guérir enfin mon cœur amer.
Gardez-moi près de vous loin du vent des désastres.
Qu’ils sont beaux, dans la nuit tropicale, les astres !
II
Que la vie est chose changeante !
Hier, c’était le vibrant Paris ;
Et ce soir, belle île indolente,
Je suis sous tes manguiers fleuris !
Hier nous étions des enfants sages,
Demain nos cheveux seront gris ;
Ah ! qu’ils sont courts les beaux voyages,
Où de tout le cœur est épris.
III
SAGESSE
A M. Gabisto.
Je cueille suivant l’heure et suivant la saison,
Les fruits de mon verger, les fleurs de la savane ;
Sans cesse de mon cœur un vers limpide émane
Devant la mer, les bois, le lac ou l’horizon.
Qu’on soit vêtu de pourpre ou couvert de haillons,
La vie est une feuille ivre que le temps fane ;
Comme l’astre tombé d’une nuit diaphane
Le poète en vain trace un lumineux sillon.
Je ne convoite pas une gloire éternelle,
Trop heureux, par les mois où la lune est trop belle,
De sentir tout à coup mon être s’émouvoir
En songeant que peut-être il est sur cette terre
Un écolier pensif et toujours solitaire
Qu’enivre un de mes vers dans la beauté du soir.
IV
PAIX DU SOIR
Dans le beau flamboyant chantent les anolis ;
Le soir pourpre et doré rayonne sur les îles ;
Les rivières d’argent aux écumes mobiles
Rêvent en caressant les cailloux de leurs lits.
C’est la belle heure rose aux lumières païennes
Où le cœur se recueille au départ du beau jour,
Où les eucalyptus, harpes éoliennes,
Chantent dans l’air léger leurs cantiques d’amour.
V
INNOCENCE
Une petite fille aux yeux larges et bruns,
Une frêle fillette aux innocents parfums,
M’apporte une corbeille où sont les fruits de l’île :
La mangue, l’acajou, la figue et la vanille.
Chère enfant dont le père est parti loin de nous,
J’aime la pureté de ton regard si doux,
Si tu veux bien, enfant qui n’as pas de famille,
Par la loi de mon cœur tu deviendras ma fille !
VI
Puisqu’avril nous revient, ramenant le beau temps,
Nous irons, par delà les montagnes désertes,
Revoir Pointe-Mulâtre où sont les mangoustans
Et les cerfs roux broutant sur les savanes vertes.
La maison de l’ami sera, par les jours frais,
A l’ombre des manguiers et claire et pacifique ;
Et tout en écoutant les rires des forêts,
Nous verrons écumer tes longs flots, Atlantique !
VII
Ils me disent : « Combien de dollars ou de livres
Vous rapportent vos chants, ces nostalgiques fleurs ? »
« — Un petit vers tracé dans la plaine des livres
Plus que tous vos sillons peut durer, ô planteurs. »
VIII
Parques, bientôt pour moi grinceront vos ciseaux
Quand le vaisseau fatal abordera la grève.
Pourtant grâce à l’espoir qui brille dans mon rêve,
A chaque aube en mon cœur rechantent les oiseaux.
IX
Bien qu’il soit loin du ciel, des grives, des corbeaux,
L’oiseau captif à l’aube exulte dans sa cage.
J’ai chanté, loin des chœurs, dans une île sauvage,
Les solitaires chants, Muse, sont-ils moins beaux ?
X
Les fenêtres sont d’or à chaque crépuscule.
Un volcan de splendeurs éclate au couchant vert.
Malheureux est l’esprit qui se sent incrédule
Devant l’immensité du ciel et de la mer.
XI
L’ILE BLEUE
Dominique, où le sort a voulu que je vive,
Il n’est nul voyageur que n’enchante ta rive.
Le front du Diablotin plus haut que le Pelé
Est souvent de vapeurs et de brouillards voilé.
Dans tes vallons fleuris courent trois cents rivières.
Mille arbres merveilleux parfument tes lisières.
Tu protèges encor au bord de tes forêts
Dans deux hameaux lointains et bercés des vents frais
Le Caraïbe habile à monter sa pirogue…
Dans les eaux de ta plage où le goémon vogue
De lumineux poissons brillent les cent couleurs.
Tes coquillages ont l’éclat riche des fleurs.
Sur tes sables d’argent que hantent les tortues,
Lorsque les grandes voix des lames se sont tues,
Des crabes aux yeux droits courent en bataillons…
A l’heure où de tes bois partent les papillons
Qui forgent à tes fleurs de mobiles couronnes,
On voit planer dans l’air les ailes monotones
Des frégates glissant dans l’immobile azur
Sur la sérénité de ton beau golfe pur.
Il n’est pas de serpents dans tes savanes claires,
Les lianes en fleurs sont tes seules vipères.
Tes derniers « diablotins » à jamais sont partis
Mais ta vierge forêt regorge d’agoutis,
De perroquets plus verts que les plus verts feuillages,
De lézards aux yeux d’or, de sarrigues sauvages
Et de beaux ramiers bleus dont le roucoulement
Chante la solitude et le recueillement.
O mon île boisée, enchantement des mers,
Les flots autour de toi dansent des ballets verts
Et comme un petit monde où le bonheur réside
Tu chantes au soleil sous l’alizé rapide.
Vierge et libre à jamais, Eldorado charmé,
Dont les vents aux vaisseaux portent l’air embaumé,
Tu ne seras jamais la conquête de l’homme.
Tu lui donnes tes fruits, ton miel au pur arome,
Mais tu seras toujours, ô reine des forêts,
Le sauvage oasis, l’Hespéride au ciel frais.
Et quand d’autres pays auront perdu leurs palmes,
Que leurs cieux seront veufs des oiseaux aux vols calmes,
Tu garderas encor comme aux jours de jadis
Le charme inviolé des anciens paradis.
Permets qu’en te louant, pays, je me souhaite
D’être inspiré longtemps par ta beauté parfaite
Et de pouvoir, au chant de tes arbres épais,
Vivre encor de beaux jours de soleil et de paix.
XII
LE SOUVENIR
Je veux encor aller revoir la mer changer
De couleur, rire
Comme en délire,
Et mourir, vague molle au pied de l’oranger.
Je veux aller revoir la maison blanche
Au bord des flots,
Où jadis le chant bleu des mers et leurs sanglots
Se mêlaient au cantique admirable des branches.
Je serai seul sur le rivage harmonieux
Et dans la brise
Sur la mer grise
Des vols d’oiseaux seront comme de noirs adieux.
Ah ! ce n’est plus le temps fleuri de la jeunesse !
Vous m’étiez chers
Soirs bleus, soirs verts,
Pleins de tendresse,
Vous étiez beaux
Soirs si nouveaux
Où chaque flot chantait un hymne d’allégresse.
XIII
« La petite Odyssée », ami, est incomplète,
M’a dit mon compagnon, le pur et doux poète.
Ce n’est pas tout d’avoir tendrement encensé
Le pâle Lys de France et la jeune Circé.
Ce n’est pas tout d’aller dans les cités lointaines
Ecouter sans mourir les voix d’or des Sirènes
Et d’entrevoir aux feux d’un beau soir obsesseur
Le Bel Adolescent et le Divin Danseur.
Tu ne dois plus revoir la tendre Italienne
Qui chassa de ton cœur la chimère ancienne.
Elle fut le Lotus qui guérit tout chagrin.
La tempête est passée et l’azur est serein.
Il te faut ajouter un chapitre à l’ouvrage
Et le remplir des chants d’un amour noble et grave.
Crois-moi, ne reste pas si seul sous le ciel bleu !
Les maisons sans enfants ne plaisent pas à Dieu.
Qu’elle soit Antillaise ou qu’elle soit d’Europe,
Il faut, dans la maison aux ruches, Pénélope.
FIN
LE DIVAN
REVUE DE LITTÉRATURE ET D’ART
PARAIT DIX FOIS PAR AN
et
A PUBLIÉ DES ŒUVRES INÉDITES
de
Roger ALLARD, Pierre BENOIT, J.-M. BERNARD,
Charles DU BOS, Jacques BOULENGER, Marcel
BOULENGER, Francis CARCO, Georges LE
CARDONNEL, Philippe CHABANEIX, Gilbert
CHARLES, Henri CLOUARD, Tristan DERÈME,
Charles DERENNES, Roland DORGELÈS, Paul
DROUOT, Lucien DUBECH, Francis ÉON,
Albert ERLANDE, Lucien FABRE, François
FOSCA, André DU FRESNOIS, André GIDE,
François LE GRIX, Daniel HALÉVY, Emile HENRIOT,
Edmond JALOUX, Francis JAMMES,
André LAFONT, Léo LARGUIER, Guy LAVAUD,
JEAN LEBRAU, Pierre LIÈVRE, Jean LONGNON,
Pierre MAC’ORLAN, Eugène MARSAN, Camille
MAUCLAIR, François MAURIAC, Alphonse
MÉTÉRIÉ, Francis DE MIOMANDRE, Eugène
MONTFORT, Comtesse DE NOAILLES, Jean
PELLERIN, Edmond PILON, Henri DE RÉGNIER,
Étienne REY, Daniel THALY, Louis THOMAS,
P.-J. TOULET, Robert DE TRAZ, Paul VALÉRY,
Jean-Louis VAUDOYER, Francis VIÉLÉ-GRIFFIN,
Gilbert DE VOISINS, Emile ZAVIE, etc.
DIRECTEUR : HENRI MARTINEAU
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