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La Légende des siècles tome I

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VI
LE ROI ABJECT

Roi que gêne la cuirasse,
Roi qui m’as si mal payé,
Tu fais douter de ta race;
Et, dans sa tombe ennuyé,
Ton vieux père, âme loyale,
Dit:—Quelque bohémien
A, dans la crèche royale,
Mis son fils au lieu du mien!—
Roi, ma meilleure cuisine
C’est du pain noir, le sais-tu,
Avec quelque âpre racine,
Le soir quand on s’est battu.
M’as-tu nourri sous ta tente,
Et suis-je ton écolier?
M’as-tu donné ma patente
De comte et de chevalier?
Roi, je vis dans la bataille.
Si tu veux, comparons-nous.
Pour ne point passer ta taille,
Je vais me mettre à genoux.
Pendant que tu fais tes pâques
Et que tu dis ton credo,
Je prends les tours de Saint-Jacques
Et les monts d’Oviédo.
Je ne m’en fais pas accroire.
Toi-même tu reconnais
Que j’ai la peau toute noire
D’avoir porté le harnais.
Seigneur, tu fis une faute
Quand tu me congédias;
C’est mal de chasser un hôte,
Fou de chasser Ruy Diaz.
Roi, c’est moi qui te protége.
On craint le son de mon cor.
On croit voir dans ton cortége
Un peu de mon ombre encor.
Partout, dans les abbayes,
Dans les forts baissant leurs ponts,
Tes volontés obéies
Font du mal, dont je réponds.
Roi par moi; sans moi, poupée!
Le respect qu’on a pour toi,
La longueur de mon épée
En est la mesure, ô roi!
Ce pays ne connaît guère,
Du Tage à l’Almonacid,
D’autre musique de guerre
Que le vieux clairon du Cid.
Mon nom prend toute l’Espagne,
Toute la mer à témoin;
Ma fanfare de montagne
Vient de haut et s’entend loin.
Mon pas fait du bruit sur terre,
Et je passe mon chemin
Dans la rumeur militaire
D’un triomphateur romain.
Et tout tremble, Irun, Coïmbre,
Santander, Almodovar,
Sitôt qu’on entend le timbre
Des cymbales de Bivar.
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