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La Légende des siècles tome I
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VII
LES PYRAMIDES
Et, comme dans un chœur les strophes s’accélèrent,
Toutes ces voix dans l’ombre obscure se mêlèrent.
Les jardins de Bélus répétèrent:—Les jours
Nous versent les rayons, les parfums, les amours;
Le printemps immortel, c’est nous, nous seuls; nous sommes
La joie épanouie en roses sur les hommes.—
Le mausolée altier dit:—Je suis la douleur;
Je suis le marbre, auguste en sa sainte pâleur;
Cieux! je suis le grand trône et le grand mausolée;
Contemplez-moi. Je pleure une larme étoilée.
—La sagesse, c’est moi, dit le phare marin;
—Je suis la force, dit le colosse d’airain;
Et l’olympien dit: Moi, je suis la puissance.—
Et le temple d’Éphèse, autel que l’âme encense,
Fronton qu’adore l’art, dit:—Je suis la beauté.
—Et moi, cria Chéops, je suis l’éternité.
Toutes ces voix dans l’ombre obscure se mêlèrent.
Les jardins de Bélus répétèrent:—Les jours
Nous versent les rayons, les parfums, les amours;
Le printemps immortel, c’est nous, nous seuls; nous sommes
La joie épanouie en roses sur les hommes.—
Le mausolée altier dit:—Je suis la douleur;
Je suis le marbre, auguste en sa sainte pâleur;
Cieux! je suis le grand trône et le grand mausolée;
Contemplez-moi. Je pleure une larme étoilée.
—La sagesse, c’est moi, dit le phare marin;
—Je suis la force, dit le colosse d’airain;
Et l’olympien dit: Moi, je suis la puissance.—
Et le temple d’Éphèse, autel que l’âme encense,
Fronton qu’adore l’art, dit:—Je suis la beauté.
—Et moi, cria Chéops, je suis l’éternité.
Et je vis, à travers le crépuscule humide,
Apparaître la haute et sombre pyramide.
Apparaître la haute et sombre pyramide.
Superposant au fond des espaces béants
Les mille angles confus de ses degrés géants,
Elle se dressait, blême et terrible, étagée
De plus de plis brumeux que l’âpre mer Égée,
Et sur ses flots, jamais par le vent secoués,
Avait au lieu d’esquifs les siècles échoués.
Elle était là, montagne humaine; et sa stature,
Monstrueuse, donnait du trouble à la nature;
Son vaste cône d’ombre éclipsait l’horizon;
Les troupeaux des vapeurs lui laissaient leur toison;
Le désert sous sa base était comme une table;
Elle montait aux cieux, escalier redoutable
D’on ne sait quelle entrée étrange de la nuit;
Son bloc fatal semblait de ténèbres construit;
Derrière elle, au milieu des palmiers et des sables,
On en voyait surgir deux autres, formidables;
Mais, comme les coteaux devant le Pélion,
Comme les lionceaux à côté du lion,
Elles restaient en bas, et ces deux pyramides
Semblaient près de Chéops petites et timides;
Au-dessus de Chéops planaient, allant, venant,
Jetant parfois de l’ombre à tout un continent,
Des aigles effrayants ayant la forme humaine;
Et des foules sans nom éparses dans la plaine,
Dans de vagues cités dont on voyait les tours,
S’écriaient, chaque fois qu’un de ces noirs vautours
Passait, hérissé, fauve et sanglant, dans la bise:
—Voilà Cyrus! Voilà Rhamsès! Voilà Cambyse!—
Et ces spectres ailés secouaient dans les airs
Des lambeaux flamboyants de lumière et d’éclairs,
Comme si, dans les cieux, faisant à Dieu la guerre,
Ils avaient arraché des haillons au tonnerre.
Chéops les regardait passer sans s’émouvoir.
Un brouillard la cachait tout en la laissant voir;
L’obscure histoire était sur ses marches gravée;
Les sphinx dans ses caveaux déposaient leur couvée;
Les ans fuyaient, les vents soufflaient; le monument
Méditait, immobile et triste, et, par moment,
Toute l’humanité, comme une fourmilière,
Satrape au sceptre d’or, prêtre au thyrse de lierre,
Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants,
Était subitement visible sur ses flancs
Dans quelque déchirure immense des nuées.
Tout flottait sur sa base en ombres dénouées;
Et Chéops répéta:—Je suis l’éternité.
Les mille angles confus de ses degrés géants,
Elle se dressait, blême et terrible, étagée
De plus de plis brumeux que l’âpre mer Égée,
Et sur ses flots, jamais par le vent secoués,
Avait au lieu d’esquifs les siècles échoués.
Elle était là, montagne humaine; et sa stature,
Monstrueuse, donnait du trouble à la nature;
Son vaste cône d’ombre éclipsait l’horizon;
Les troupeaux des vapeurs lui laissaient leur toison;
Le désert sous sa base était comme une table;
Elle montait aux cieux, escalier redoutable
D’on ne sait quelle entrée étrange de la nuit;
Son bloc fatal semblait de ténèbres construit;
Derrière elle, au milieu des palmiers et des sables,
On en voyait surgir deux autres, formidables;
Mais, comme les coteaux devant le Pélion,
Comme les lionceaux à côté du lion,
Elles restaient en bas, et ces deux pyramides
Semblaient près de Chéops petites et timides;
Au-dessus de Chéops planaient, allant, venant,
Jetant parfois de l’ombre à tout un continent,
Des aigles effrayants ayant la forme humaine;
Et des foules sans nom éparses dans la plaine,
Dans de vagues cités dont on voyait les tours,
S’écriaient, chaque fois qu’un de ces noirs vautours
Passait, hérissé, fauve et sanglant, dans la bise:
—Voilà Cyrus! Voilà Rhamsès! Voilà Cambyse!—
Et ces spectres ailés secouaient dans les airs
Des lambeaux flamboyants de lumière et d’éclairs,
Comme si, dans les cieux, faisant à Dieu la guerre,
Ils avaient arraché des haillons au tonnerre.
Chéops les regardait passer sans s’émouvoir.
Un brouillard la cachait tout en la laissant voir;
L’obscure histoire était sur ses marches gravée;
Les sphinx dans ses caveaux déposaient leur couvée;
Les ans fuyaient, les vents soufflaient; le monument
Méditait, immobile et triste, et, par moment,
Toute l’humanité, comme une fourmilière,
Satrape au sceptre d’or, prêtre au thyrse de lierre,
Rois, peuples, légions, combats, trônes croulants,
Était subitement visible sur ses flancs
Dans quelque déchirure immense des nuées.
Tout flottait sur sa base en ombres dénouées;
Et Chéops répéta:—Je suis l’éternité.
Ainsi parlent, le soir, dans la molle clarté,
Ces monuments, les sept étonnements de l’homme.
Ces monuments, les sept étonnements de l’homme.
La nuit vient, et s’étend d’Élinunte à Sodome,
Ouvrant son aile où vont s’endormir tour à tour
L’onde avec son rocher, la ville avec sa tour;
Elle élargit sa brume où le silence pèse;
Les voix et les rumeurs expirent; tout s’apaise,
Tout bruit s’éteint, à Rhode, en Élide, au Delta.
Tout cesse.
Ouvrant son aile où vont s’endormir tour à tour
L’onde avec son rocher, la ville avec sa tour;
Elle élargit sa brume où le silence pèse;
Les voix et les rumeurs expirent; tout s’apaise,
Tout bruit s’éteint, à Rhode, en Élide, au Delta.
Tout cesse.
Alors le ver du sépulcre chanta.
Je suis le ver. Je suis fange et cendre. O ténèbres,
Je règne. Monuments, entassements célèbres,
Panthéons, Rhamséïons,
Façades de l’immense orgueil humain, si fières,
Que l’homme devant vous doute s’il voit des pierres
Ou s’il voit des rayons,
Je règne. Monuments, entassements célèbres,
Panthéons, Rhamséïons,
Façades de l’immense orgueil humain, si fières,
Que l’homme devant vous doute s’il voit des pierres
Ou s’il voit des rayons,
Sanctuaires chargés d’astres et d’empyrées,
Splendides profondeurs de colonnes dorées,
Vaste enceinte d’Assur,
Mur où Nemrod cloua l’hippanthrope Phœanthe,
Et dont la ronde tour, sous les oiseaux béante,
Leur semble un puits obscur,
Splendides profondeurs de colonnes dorées,
Vaste enceinte d’Assur,
Mur où Nemrod cloua l’hippanthrope Phœanthe,
Et dont la ronde tour, sous les oiseaux béante,
Leur semble un puits obscur,
Terrasses de Theglath, avec vos avenues
Augustes par deux rangs de sphinx aux gorges nues,
Cirque d’Anthrops-le-Noir
Si beau que, résistant à l’heure qui s’arrête,
Les chevaux du soleil, cabrés, baissent la tête
Pour tâcher de te voir!
Augustes par deux rangs de sphinx aux gorges nues,
Cirque d’Anthrops-le-Noir
Si beau que, résistant à l’heure qui s’arrête,
Les chevaux du soleil, cabrés, baissent la tête
Pour tâcher de te voir!
Jardins, frontons ailés aux larges envergures,
Portiques, piédestaux qui portez des figures
Au geste souverain,
Et qui, du haut des caps que votre masse encombre,
Ajoutez à la mer vaste et sinistre l’ombre
Des déesses d’airain,
Portiques, piédestaux qui portez des figures
Au geste souverain,
Et qui, du haut des caps que votre masse encombre,
Ajoutez à la mer vaste et sinistre l’ombre
Des déesses d’airain,
Acropole où l’on vient des confins de la terre,
Tour du Bœuf, où Jason, raillant le Sagittaire,
Vint sonner du buccin,
Qui fais aux voyageurs, vains comme les abeilles
Et vivants par leurs yeux avides de merveilles,
Braver le Pont-Euxin,
Tour du Bœuf, où Jason, raillant le Sagittaire,
Vint sonner du buccin,
Qui fais aux voyageurs, vains comme les abeilles
Et vivants par leurs yeux avides de merveilles,
Braver le Pont-Euxin,
O temple Acrocéraune, ô pilier d’Érythrée,
Fiers de votre archipel, car c’est la mer sacrée,
La mer où luit Pylos,
Ses vagues ont noyé la horde massagète,
Et, comme le vent vient de la montagne, il jette
Des plumes d’aigle aux flots,
Fiers de votre archipel, car c’est la mer sacrée,
La mer où luit Pylos,
Ses vagues ont noyé la horde massagète,
Et, comme le vent vient de la montagne, il jette
Des plumes d’aigle aux flots,
Chéops, bâtie avec un art épouvantable,
Si terrible qu’à l’heure où, couché dans l’étable,
Le chien n’ose gronder,
Sirius, devant qui toute étoile s’efface,
Est forcé de tourner vers toi sa sombre face
Et de te regarder!
Si terrible qu’à l’heure où, couché dans l’étable,
Le chien n’ose gronder,
Sirius, devant qui toute étoile s’efface,
Est forcé de tourner vers toi sa sombre face
Et de te regarder!
Édifices! montez, et montez davantage.
Superposez l’étage et l’étage à l’étage,
Et le dôme aux cités;
Montez; sous votre base écrasez les campagnes;
Plus haut que les forêts, plus haut que les montagnes,
Montez, montez, montez!
Superposez l’étage et l’étage à l’étage,
Et le dôme aux cités;
Montez; sous votre base écrasez les campagnes;
Plus haut que les forêts, plus haut que les montagnes,
Montez, montez, montez!
Soyez comme Babel, âpre, indignée, austère,
Cette tour qui voudrait échapper à la terre,
Et qui dans les cieux fuit.
Montez. A l’archivolte ajoutez l’architrave.
Encor! encor! Mettez le palais sur la cave,
Le néant sur la nuit!
Cette tour qui voudrait échapper à la terre,
Et qui dans les cieux fuit.
Montez. A l’archivolte ajoutez l’architrave.
Encor! encor! Mettez le palais sur la cave,
Le néant sur la nuit!
Montez dans le nuage, étant de la fumée!
Montez, toi sur l’Égypte, et toi sur l’Idumée,
Toi, sur le mont Caspé!
Pleurez avec le deuil, chantez avec la noce.
Va noircir le zénith, flamme que le colosse
Tient dans son poing crispé.
Montez, toi sur l’Égypte, et toi sur l’Idumée,
Toi, sur le mont Caspé!
Pleurez avec le deuil, chantez avec la noce.
Va noircir le zénith, flamme que le colosse
Tient dans son poing crispé.
Ne vous arrêtez pas. Montez! montez encore!
Moi, je rampe, et j’attends. Du couchant, de l’aurore,
Et du sud et du nord,
Tout vient à moi, le fait, l’être, la chose triste,
La chose heureuse; et seul je vis, et seul j’existe,
Puisque je suis la mort.
Moi, je rampe, et j’attends. Du couchant, de l’aurore,
Et du sud et du nord,
Tout vient à moi, le fait, l’être, la chose triste,
La chose heureuse; et seul je vis, et seul j’existe,
Puisque je suis la mort.
La ruine est promise à tout ce qui s’élève.
Vous ne faites, palais qui croissez comme un rêve,
Fronton au dur ciment,
Que mettre un peu plus haut mon tas de nourriture,
Et que rendre plus grand, par plus d’architecture,
Le sombre écroulement.
Vous ne faites, palais qui croissez comme un rêve,
Fronton au dur ciment,
Que mettre un peu plus haut mon tas de nourriture,
Et que rendre plus grand, par plus d’architecture,
Le sombre écroulement.
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