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La vie privée d'autrefois; Arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle. Les soins de toilette; Le savoir-vivre

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Extrait du Nouveau Traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnestes gens.

Par Antoine de Courtin[289].

[1675]

L'audience d'un Grand.—A l'égard d'un Grand, lors que l'on entre dans sa chambre ou dans son cabinet, il faut marcher doucement, et faire une inclination du corps et une profonde révérence, s'il est présent. Que s'il ne paroissoit personne, il ne faut point fureter çà et là, mais sortir sur-le-champ, et attendre dans l'antichambre.

Si cette personne est malade et au lit, il faut s'abstenir de la voir, si elle ne le demande; et si nous la voyons, il faut faire la visite courte, parce que les malades sont inquiets et sujets aux remèdes et aux temps. Il faut de plus parler bas, et ne l'obliger que le moins qu'il se peut à parler.

Mais sur tout, il faut observer que c'est une très-grande indécence de s'asseoir sur le lit, et particulièrement si c'est d'une femme. Et même il est en tout temps très-mal séant et d'une familiarité de gens de peu, lors que l'on est en compagnie de personnes sur qui on n'a point de supériorité, ou avec qui on n'est pas tout à fait familier, de se jetter sur un lit, et de faire ainsi conversation.

Si cette personne écrivoit, lisoit, ou étudioit, il ne faut pas la détourner, mais attendre qu'elle ait achevé ou qu'elle se détourne elle-même, afin que nous luy parlions.

Si elle nous ordonne de nous asseoir, il faut obéir avec quelque petite démonstration de la violence que souffre notre respect, et observer de se mettre au bas bout, qui est toujours du costé de la porte par la quelle nous sommes entrez, comme le haut bout est toujours où la personne qualifiée se met.

De même, il faut prendre un siége moins considérable que le sien, s'il y en a. Le fauteuil est le plus honorable, la chaise à dos après, et ensuite le siége pliant.

C'est une chose tout à fait indécente de se présenter devant des personnes au-dessus de nous, et particulièrement devant des Dames, et de montrer la peau à travers la chemise et le pourpoint; ou d'avoir quelque chose d'entr'ouvert qui doit estre clos par honnesteté, comme nous avons déjà dit.

Quand on s'assiet, il ne faut pas se mettre coste à coste de la personne qualifiée, mais vis-à-vis, afin qu'elle voye que l'on est tout prest à l'écouter. Il faut avec cela se tourner le corps un peu de costé et de profil, parce que cette posture est plus respectueuse que de se tenir de front.

Il faut luy laisser entamer le discours, quand elle ne diroit qu'un mot qui nous donnât lieu de parler. A moins qu'on ne vist cette personne en passant, pour l'informer promptement d'une affaire, ou la faire ressouvenir de quelque chose qu'elle sçûst déjà.

Il ne faut pas se couvrir si elle ne le commande. Il faut avoir ses gands aux mains, et se tenir tranquille sur son siége, ne point croiser les genoux, ne point badiner avec ses glands, son chapeau, ses gands, etc., ni se fouiller dans le nez, ou se grater autre part.

Il faut éviter de bâiller, de se moucher et de cracher. Et si on y est obligé, là et en d'autres lieux que l'on tient proprement, il faut le faire dans son mouchoir, en se détournant le visage, et se couvrant de sa main gauche, et ne point regarder après dans son mouchoir.

A propos de mouchoir, on doit dire qu'il n'est pas honneste de l'offrir à quelqu'un pour quelque chose, quand même il seroit tout blanc, si on ne vous y oblige absolument.

Il ne faut point prendre de tabac en poudre, ni en mâcher, ni s'en mettre des feuilles dans le nez, si la personne qualifiée, qui est en droit d'en prendre devant nous, ne nous en présentoit familièrement. Auquel cas il faut en prendre, ou en faire le semblant si on y avoit répugnance.

Si on est assis près du feu, il faut bien se donner de garde de cracher dans le feu, sur les tisons, ni contre la cheminée; moins encore faut-il s'amuser à badiner avec des pincettes, ou tisonner le feu. Que si cette personne témoignoit de vouloir accommoder le feu, alors il faut se saisir promptement des tenailles ou pincettes pour la prévenir, à moins qu'elle ne le voulust faire absolument elle-même pour son divertissement. Il ne faut pas aussi se lever de dessus son siége pour se tenir debout le dos au feu; mais si cette personne se levoit, il faudra se lever aussi.

Que si par avanture il ne se trouvoit qu'un écran chez cette personne, et qu'elle vous contraignist de le prendre: après luy avoir témoigné la confusion que vous avez de l'accepter, il ne le faut pas refuser. Mais incontinent après, sans qu'elle s'en apperçoive, il faut le mettre doucement de costé, et ne s'en point servir.

De même, si par quelque occasion cette personne se trouvoit chez vous près du feu, il ne faut pas souffrir qu'un laquais luy présente un écran, mais vous devez le luy présenter vous-même.

Et pour ce qui est des Dames, c'est une immodestie très-grande de trousser leurs jupes près du feu, aussi-bien qu'en marchant par les ruës.

Il ne faut pas, quand on parle, faire de grands gestes des mains: cela sent d'ordinaire les diseurs de rien, qui ne sont pathétiques qu'en mouvemens et en contorsions de corps.

Mais il est ridicule, en parlant à un homme, de luy prendre et tirer ses boutons, ses glands, son baudrier, son manteau, ou de luy donner des coups dans l'estomac, etc.

Il s'en fait quelquefois un spectacle des plus divertissans, quand celuy qui se sent poussé et tiraillé, recule, et que l'autre, n'appercevant pas son incivilité, le poursuit et le recogne jusqu'à luy faire demander quartier.

Il est mal-séant aussi de faire de certaines grimaces d'habitude, comme de rouler la langue dans la bouche, de se mordre les lèvres, de se relever la moustache, de s'arracher le poil, de cligner les yeux, de se frotter les mains de joye, de se faire craquer les doigts en se les tirant l'un après l'autre, de se grater, de hausser les épaules, etc. Il ne faut pas avoir non plus une contenance toute d'une pièce, fière, arrogante et dédaigneuse.

Il est de même très mal-séant, quand on rit, de faire de grands éclats de rire, et encore plus de rire de tout et sans sujet.

Que si par hazard cette personne laissoit tomber quelque chose, il faut en cette rencontre comme en toute autre, le ramasser promptement, et ne pas souffrir qu'elle ramasse rien de ce qui nous seroit tombé, mais il le faut ramasser vistement nous-même.

Que si elle éternuoit, il ne faut pas luy dire tout haut Dieu vous assiste; mais il faut seulement se découvrir, et faire une profonde révérence, faisant ce souhait intérieurement.

Et si la nécessité nous oblige nous-même d'éternuer, il faut tâcher de le faire doucement, et non comme certaines gens qui en ébranlent la maison par les fondemens: ce qui est très-importun aux personnes qui nous entendent.

S'il arrivoit qu'elle se mist en peine d'appeler quelqu'un qui ne fust pas proche d'elle, il faut sortir pour l'aller appeller soy-même: ce qu'il ne faut pas faire tout haut sur le degré ou par la fenestre, mais envoyer quelqu'un le chercher où il sera pour le faire venir: autrement c'est pécher contre le respect[290].

Une autre incivilité fort mal-plaisante est de ceux qui ne croyent pas qu'on les entende s'ils ne parlent bouche à bouche, crachant au nez des gens, et les infectant bien souvent de leur haleine. Les personnes qui ont de la civilité en usent autrement, et si elles ont quelque rapport à faire ou quelque chose de secret à dire à quelque personne qualifiée, elles luy parlent à l'oreille.

Au reste, il faut avoir grand soin de ne pas faire sa visite trop longue; mais observer, en cas que la personne qualifiée ne vous congédiast point elle-même, de prendre le temps pour sortir lors qu'elle demeure dans le silence, lors qu'elle appelle quelqu'un, ou lors qu'elle donne quelque autre indice qu'elle a affaire ailleurs. Et alors il faut se retirer sans grand appareil, et même sans rien dire s'il arrivoit quelque tiers qui prist votre place, ou si la personne s'appliquoit à autre chose. Que si votre retraite est apperceuë, et que ce grand Seigneur voulust vous faire quelque civilité au sortir de sa chambre, il ne faut pas l'en empêcher, parce que ce ne seroit pas paroistre assez persuadé qu'il sçait ce qu'il fait, et que souvent il arriveroit que nous nous défendrions d'une chose que l'on ne fait pas à notre sujet. On peut bien seulement témoigner par quelque petite action, qu'en cas que cet honneur s'adressast à nous, nous ne nous l'attribuons pas, et cela se fait en poursuivant son chemin sans regarder derrière soy, ou même en se tournant ou en s'arrestant, comme pour le laisser passer, et montrer par là que l'on croit qu'il a affaire autre part.

Que si on ne peut éviter que la civilité ne se manifeste, et que cette personne sorte de sa chambre, il faut s'arrester tout court, se tirer à costé, et ne point sortir de cette place qu'après qu'elle sera rentrée dans sa chambre.

De même, si par rencontre cette personne avoit à aller quelque part et que nous nous trouvassions devant, il faut se tirer à costé, s'arrester tout court, la saluer, et la laisser passer.

Et même, si c'estoit le Roy, la Reine, Monseigneur le Dauphin, Monseigneur le Duc d'Orléans, et autres Enfans de France qui dûssent passer, il faut s'arrester d'aussi loin que l'on entend le bruit, pour les laisser passer, soit que l'on fust à pied ou à cheval, en chaise ou en carrosse.

Que si la personne qualifiée nous menoit à une fenestre, ou que même il y eust quelque spectacle à voir de là, il ne faut point prendre place, ni s'approcher de cette fenestre, qui nous seroit commune avec elle, pour regarder. Il ne faut pas non plus cracher par la fenestre, ni en cette rencontre-là, ni en aucune autre.

Que si la personne qualifiée nous reconduisoit jusqu'à la porte de la ruë, il ne faut point monter, ni à cheval, ni en chaise, ni en carrosse en sa présence, mais la prier de rentrer dans sa maison avant que d'y monter. Que si elle s'obstinoit, il faut s'en aller à pied et laisser suivre le carrosse, etc., jusqu'à ce que cette personne ne paroisse plus.

Que si en présence de cette personne qualifiée, il en arrivoit une autre qui fust notre supérieure, mais inférieure à l'autre, il ne faut pas quitter la personne qualifiée à qui nous faisons la cour, pour aller au nouveau venu, mais il faut faire simplement quelque signe de civilité muette. Que si ce dernier estoit supérieur à la personne à qui nous rendons visite, alors il faut que comme celle-cy se rangera vray-semblablement à son devoir, nous nous y rangions de même, et que nous quittions le premier pour honorer le dernier.

Que si avec cela la personne qualifiée parloit à une autre, il ne faut pas se servir de ce temps-là pour faire conversation à part avec quelqu'un qui seroit près de nous: cette familiarité est mal-séante. Outre que si on parle bas, cela est suspect et défendu, et si on parle haut, ce bruit l'interrompt et l'importune.

Que si on est obligé d'accompagner cette personne supérieure dans sa maison, ou même en la nôtre, il faut, s'il y a lieu de cela, passer devant, pour ouvrir les portes et pour relever les tapisseries s'il y en a à relever. Même si c'est un homme qui ait de mauvaises jambes et qui marche avec peine, il est de la civilité de luy donner la main pour l'aider à marcher.

Pour marcher avec un Grand et pour le salut.—Que si nous sommes obligez d'aller dans les ruës à costé de personnes qualifiées, il faut leur laisser le haut du pavé, et observer de ne pas se tenir directement coste à coste, mais un peu sur le derrière, si ce n'est quand elles nous parlent et qu'il faut répondre, et alors il faut avoir la teste nuë.

Sur quoy il est bon d'avertir ceux qui ont droit de souffrir qu'on leur cède toujours le haut du pavé[291], d'avoir un peu de considération pour ceux qui leur rendent cet honneur, et de se dispenser le plus qu'ils peuvent de passer et de repasser le ruisseau, pour ne pas les incommoder en les obligeant de faire une espèce de manége autour d'eux pour leur laisser le lieu d'honneur.

Que si quand nous sommes dans la ruë avec une personne qualifiée, il passoit ou s'il se rencontroit quelqu'un de connoissance, ou un laquais de quelque amy, il faut bien se garder de les appeler tout haut: Holà, hé? Comment se porte ton maistre? Mes baise-mains à Madame, etc. Il n'y a rien de si mal poli, aussi-bien que de quitter la compagnie de cette personne pour aller à eux. Mais si on a affaire à ces personnes-là, et que l'on ne soit pas engagé à l'entretien de la personne qualifiée, on peut faire signe secrètement, et leur dire à l'écart et promptement ce qu'on a à leur dire, ou les saluer de loin simplement, sans que la personne qualifiée l'apperçoive trop.

De même, c'est une grande incivilité, rencontrant dans les ruës une personne avec qui on n'est pas familier, de luy demander où elle va ou d'où elle vient.

Que si on se promène avec cette personne supérieure dans une chambre ou dans une allée, il faut observer de se mettre toujours au-dessous. Dans une chambre, la place où est le lit marque le dessus, si la disposition de la chambre le permet, sinon il faut se régler sur la porte.

Que si c'est dans un jardin, il faut se mettre à main gauche de la personne, et avoir soin sans affectation de regagner cette place à tous les tournans.

Que si on est trois à se promener, le milieu est le lieu d'honneur et, partant, celuy de la personne qualifiée; la droite est le second, et la gauche est le troisième. De là vient que le haut bout dans un jardin, et ailleurs où l'usage n'a rien déterminé, est la droite de la personne qualifiée.

Que si, par exemple, deux grands Seigneurs faisoient mettre un inférieur au milieu d'eux pour pouvoir mieux écouter quelque récit qu'il auroit à leur faire, il faut à chaque retour d'allée que l'inférieur se tourne du costé du plus qualifié de ces Seigneurs. Que s'ils sont tous deux égaux, il faut qu'il se tourne à un bout d'allée du costé de l'un, et à l'autre bout du costé de l'autre; observant de quitter luy-même le milieu quand il aura achevé son récit.

Que si la personne qualifiée garde sa place, qui est le milieu, et que les deux autres personnes qui sont à ses costez soient d'une assez égale condition, il sera de son honnesteté de se tourner à chaque retour d'allée tantost vers l'un et tantost vers l'autre.

En général, quand on se promène deux à deux, il faut observer qu'au bout de chaque longueur de promenade, on doit tourner en dedans du costé de la personne avec laquelle on se promène, et non en dehors, de peur de luy tourner le dos.

Que si on se promène trois ensemble, et que l'on soit égaux, on peut se quitter le milieu alternativement à chaque retour d'allée, celuy qui estoit au milieu se reculant à costé pour laisser entrer au milieu un de ceux qui estoient à costé.

Que si la personne qualifiée s'asseoit pour se reposer, il ne faudroit point s'asseoir près d'elle qu'elle ne nous y conviast, et en ce cas-là on doit prendre le bas bout, c'est-à-dire sa gauche, en laissant un espace raisonnable entre deux. Mais si nous nous trouvions avec d'autres gens, ce seroit une grande incivilité de se promener en la présence et à la veuë de la personne qualifiée pour laquelle on doit avoir du respect; comme aussi de se tenir assis devant elle si elle se promenoit.

De même, c'est une grande incivilité, quand on est dans le jardin d'une personne que l'on doit respecter, d'y cueillir ou des fruits, ou des fleurs, ou autre chose. Si on en présente, on peut les accepter, sinon il ne faut toucher à rien que des yeux.

Que si on rencontre dans les ruës teste à teste une personne de qualité, il faut prendre le bas où est le ruisseau. S'il n'y a point de haut ni de bas dans un chemin, il faut se poster en sorte que nous passions sous sa main gauche pour luy laisser la main droite libre. Et cela se doit aussi observer dans la rencontre des carrosses.

Que s'il s'agit de la saluer comme venant de la campagne, il faut le faire en se courbant humblement, ostant son gand et portant la main jusqu'à terre. Mais sur tout il faut faire ce salut sans précipitation ni embarras, ne se relevant que doucement, de peur que la personne que l'on saluë venant aussi à s'incliner, et peut-estre par honnesteté à embrasser celuy qui la saluë, on ne luy donne quelque coup de teste.

Que si c'est une Dame de haute qualité, il faut par respect ne la pas baiser, si elle-même par honnesteté ne tend la jouë, et alors même il faut seulement faire semblant de la baiser, et approcher le visage de ses coëffes. Et de quelque façon qu'on la saluë, soit qu'on la baise ou non, il faut que toutes les révérences se fassent avec de très-profondes inclinations de corps.

Que si, en la compagnie de cette Dame, il s'en rencontre quelques autres qui soient d'égale condition ou indépendantes d'elle, alors il les faut saluer de même. Que si elles luy sont inférieures ou dépendantes, c'est une incivilité de les saluer, parce que c'est faire quelque injure à leur supérieure que de les traiter de leur égale.


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