La vie privée d'autrefois; Arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle. Les soins de toilette; Le savoir-vivre
Extrait des Règles de la bienséance et de la civilité chrétienne.
[Édition de 1782]
De la tête.—Gratter sa tête lorsqu'on est en compagnie, cela est d'une très-grande indécence, et indigne d'une personne bien née. C'est aussi l'effet d'une grande négligence et malpropreté, car cela vient ordinairement de ce qu'on n'a pas assez de soin de se bien peigner et de se tenir la tête nette. C'est à quoi doit prendre garde une personne qui n'a point de perruque de ne laisser ni ordure, ni crasse sur sa tête, car il n'y a que des personnes mal élevées qui tombent dans cette négligence.
La modestie et l'honnêteté demandent qu'on ne laisse pas amasser beaucoup d'ordure dans ses oreilles; ainsi il faut de temps en temps les nettoyer avec un instrument fait exprès, qu'on nomme pour ce sujet cure-oreille. Il est d'usage à présent que les oreilles ne soient pas entièrement couvertes de cheveux; c'est pourquoi il faut avoir grand soin de les tenir fort nettes.
Il n'y a qu'une nécessité indispensable qui puisse obliger un homme à pendre des anneaux à ses oreilles. C'est une marque d'esclavage qui l'avilit, et qui ne peut convenir qu'aux femmes qui, selon la loi de Dieu, doivent être assujetties à leurs maris, et à qui la vanité fait croire que c'est un ornement d'avoir des pendants d'oreilles.
Le plus bel ornement des oreilles d'un chrétien est qu'elles soient bien disposées et toujours prêtes à écouter avec attention et à recevoir avec soumission les instructions qui regardent la religion...
Quoiqu'il ne faille pas facilement mettre de la poudre sur ses cheveux, et que cela ressent un homme efféminé, on doit cependant prendre garde de ne les pas avoir gras. C'est pourquoi, lorsqu'ils le deviennent, on peut les dégraisser avec du son, ou mettre de la poudre dans le peigne pour les rendre secs et leur ôter leur humidité, qui pourroit gâter le linge et les habits.
On ne doit jamais sortir du logis qu'après avoir peigné et arrangé proprement ses cheveux. On y peut mettre de la pommade et de la poudre en très-petite quantité.
Il est de la modestie et de l'honnêteté de ne pas toucher ses cheveux sans nécessité. C'est pourquoi il n'y faut mettre que très-peu de poudre, parce que la trop grande quantité engendre de la vermine, qui engage quelquefois les jeunes gens à imiter certaines dames qui frappent la tête avec le doigt dans les endroits où cette vermine se fait sentir.
Il est de la propreté de se nettoyer tous les matins le visage avec un linge blanc pour le décrasser. Il est moins bien de le laver avec de l'eau, car cela rend le visage plus susceptible du froid en hiver et du hâle en été.
C'est une chose très-messéante de mettre des mouches sur son visage, et de le farder en y mettant du blanc ou du vermillon. Cette vanité prouve que ceux qui en usent ainsi n'ont pas de beauté naturelle.
Il n'est pas à propos de se couper les sourcils fort courts: ce seroit s'exposer à s'attirer quelque fluxion sur les yeux.
Un homme sage ne doit jamais lever la main pour donner sur la joue à quelqu'un. La bienséance et l'honnêteté ne le permettent pas, à l'égard même d'un domestique.
Il est de la bienséance de tenir le nez fort net; car il est l'honneur et la beauté du visage, et la partie de nous-même la plus apparente.
Il est vilain de se moucher avec la main nue en la passant dessous le nez, ou de se moucher sur sa manche ou sur ses habits.
C'est une pratique assez en usage de prendre du tabac en poudre. Il est cependant beaucoup mieux de ne le pas faire, particulièrement lorsqu'on est en compagnie, et il ne faut jamais le faire lorsqu'on est avec des personnes à qui on doit du respect. Mais il est très-indécent d'en mâcher, et de s'en mettre des feuilles dans le nez. Il ne l'est pas moins de le prendre en pipe, surtout en présence des femmes.
Si une personne de haute qualité prend du tabac devant ceux qui sont avec elle, et qu'elle leur en présente, le respect qu'ils lui doivent les empêche de le refuser, ou du moins faire semblant. Mais de toute autre personne on peut le refuser, en la remerciant honnêtement.
Lorsqu'on prend du tabac en compagnie, il faut que cela soit rare, et qu'on n'ait pas toujours une tabatière ou un mouchoir entre les mains et les doigts pleins de tabac. On doit aussi prendre garde qu'il n'en tombe pas sur le linge ni sur les habits, car il est malhonnête qu'on y en apperçoive; et afin que cela n'arrive pas, il en faut prendre peu à la fois.
Il faut bien prendre garde de ne pas se servir de ses ongles, de ses doigts ou d'un couteau pour nettoyer ses dents. Il est de la bienséance de le faire avec un instrument fait exprès, qu'on nomme cure-dent, ou avec un bout de plume taillée à propos pour le faire, ou avec un gros linge.
C'est une incivilité très-grande de se prendre une dent avec l'ongle du pouce pour exprimer un dédain ou un mépris de quelque personne ou de quelque chose; et il est encore plus mal de dire en le faisant: Je m'en soucie non plus que de cela.
Il n'est pas moins incivil de mettre la langue ou la lèvre d'en bas sur la lèvre d'en haut pour en tirer de l'eau qui seroit tombée du nez, et de la rapporter ensuite dans la bouche.
Du chapeau et de la manière de s'en servir.—Le chapeau sert à l'homme pour orner sa tête, aussi bien que pour la garantir de plusieurs incommodités. Le porter sur son oreille, ou sur le derrière de la tête, ou le mettre trop fort sur le devant, comme si on vouloit cacher son visage, sont toutes manières ridicules et indécentes.
Lorsqu'on salue quelqu'un, il faut prendre son chapeau avec la main droite et l'ôter entièrement de dessus sa tête, et d'une manière qui soit honnête, en portant le bras jusqu'en bas et en tenant le chapeau par le bord, et le côté qui doit couvrir la tête tourné vers la cuisse, sans la toucher.
Si on ôte son chapeau dans les rues, ou en passant devant quelque personne pour la saluer, on doit le faire un peu avant que d'être auprès d'elle, et ne pas se recouvrir qu'on ne soit un peu éloigné de cette personne.
Et si on salue quelqu'un en l'abordant, il faut ôter son chapeau cinq ou six pas avant que d'en approcher.
Lorsqu'on entre dans une place où il y a une personne de qualité ou à qui on doit beaucoup de respect, il faut toujours ôter son chapeau avant que d'entrer dans cette place. Si ceux qui sont dans la place sont debout et découverts, on est obligé de se tenir dans la même posture. Après avoir ôté son chapeau avec bien de l'honnêteté, il faut tourner le dedans vers soi, et le mettre sur le bras gauche ou devant soi sur l'estomac du côté gauche.
Lorsqu'étant assis, on est obligé d'avoir le chapeau bas, il est de la bienséance de le tenir sur ses genoux, le dessus tourné vers soi.
C'est une grande incivilité, lorsqu'on parle à quelqu'un, de tourner son chapeau, de gratter dessus avec les doigts, de battre le tambour dessus, de toucher la laisse ou le cordon, de regarder dedans ou tout autour, de le mettre devant son visage ou sur sa bouche.
Les occasions dans lesquelles il faut se découvrir et ôter son chapeau, sont:
1o Lorsqu'on se trouve dans un lieu où il y a des personnes considérables;
2o Quand on salue quelqu'un;
3o Quand on donne ou qu'on reçoit quelque chose;
4o En se mettant à table;
5o Quand on entend prononcer le saint nom de Jésus et de Marie[296]; excepté lorsqu'on est à table, car il faut seulement baisser la tête;
6o Lorsqu'on est devant des personnes à qui on doit beaucoup de respect; comme lorsqu'on est avec des ecclésiastiques, des magistrats, et d'autres personnes considérables. A l'égard de ces personnes, on doit se découvrir d'abord, mais il n'est pas nécessaire de se tenir découvert, à moins que l'on ne leur soit beaucoup inférieur.
On doit aussi se découvrir devant toutes les personnes qui sont supérieures, et ne pas se recouvrir que par leur ordre. Et aussitôt qu'elles le disent, il faut se recouvrir sans différer, parce que c'est un ordre; mais, après s'être couvert, il ne faut plus se découvrir qu'en les quittant.
Il est contre la bienséance de se découvrir lorsqu'on est à table, à moins qu'il ne survienne quelque personne qui mérite beaucoup d'honneur.
S'il y a à table quelque personne de haute qualité qui soit sans chapeau pour sa commodité, il ne la faut pas imiter, cela serait trop familier, mais on doit toujours demeurer couvert.
Lorsque quelqu'un parle le chapeau bas, il faut toujours ordinairement le faire couvrir si on lui est supérieur; et on peut alors lui dire: Couvrez-vous, monsieur. Cette manière de parler n'est cependant permise qu'à l'égard des personnes qui sont beaucoup au-dessous de soi.
Faire couvrir quelqu'un qui est au-dessus de soi, c'est une grande incivilité. Cela se peut bien faire à l'égard des personnes avec qui on est familier et qui sont d'égale condition; mais il ne faut pas que ce soit par manière de commandement, ni qu'on se serve de paroles qui en expriment aucun. On doit le faire, ou seulement par signe et se couvrir en même temps, ou par quelque circonlocution, en disant par exemple: Vous pouvez, monsieur, être incommodé d'être découvert; ou en se servant de paroles familières, comme de celles-ci: Sans doute, monsieur, que vous restez découvert pour votre commodité.
De la manière dont on doit saluer les personnes qu'on visite ou qu'on rencontre.—La première chose qu'on doit faire en entrant dans la chambre d'une personne qu'on visite est de la saluer et de lui faire la révérence.
On peut saluer quelqu'un de trois manières différentes.
Il y a une manière de saluer qui est fort ordinaire, qui se fait:
Premièrement, en se découvrant de la main droite en portant le chapeau jusqu'en bas, étendant tout à fait le bras jusque sur la cuisse droite et laissant la main gauche dans sa liberté.
Secondement, en regardant doucement et honnêtement la personne qu'on salue.
Troisièmement, baissant la vue et inclinant le corps.
Quatrièmement, en tirant le pied. Si on veut avancer, il faut couler le pied droit en avant. Si on veut reculer, en tirant le pied gauche en arrière. Si l'on passe à côté, en glissant le pied en avant du côté de la personne qu'on veut saluer, et en se courbant et saluant la personne quelques pas avant que d'être vis-à-vis d'elle. Si on salue une compagnie tout entière, on doit couler le pied en avant pour saluer la personne la plus considérable, et tirer le pied gauche en arrière pour saluer de côté et d'autre toute la compagnie.
La seconde manière de saluer est de saluer dans la conversation, c'est ce qu'on nomme ordinairement une honnêteté. Cela se fait simplement en se découvrant, en se courbant tant soit peu, et en glissant le pied en avant d'une manière imperceptible.
La troisième manière de saluer, qui est extraordinaire, se fait quand quelqu'un vient du dehors, ou lorsqu'on prend congé de quelqu'un avant son départ pour un voyage. Cette manière de saluer se fait comme la première; mais il faut ôter son gant de là main droite, se courber humblement, et après avoir porté la main presque à terre, la rapporter ensuite doucement vers sa bouche, comme pour la baiser.
Une autre manière extraordinaire de saluer est d'embrasser la personne qu'on aborde. Ce qui se fait en portant la main droite dessus l'épaule et la gauche dessous, et en se présentant l'un à l'autre la joue gauche, sans se la toucher ni la baiser.
Le baiser est encore une autre manière de saluer, qui ne se fait ordinairement que par des personnes qui ont quelque union entre elles et quelque amitié particulière.
Dans Paris, on ne salue ordinairement que les personnes qu'on connoît ou qui sont d'une qualité éminente et beaucoup élevée au-dessus du commun, comme sont les princes et les évêques.
Lorsque dans la rue on rencontre tête à tête quelque personne de qualité, il est à propos de se détourner un peu et de passer au-dessous d'elle, en se retirant du côté du ruisseau.
S'il n'y a point de haut ni de bas, mais un chemin uni, il faut passer à gauche de la personne qu'on rencontre et lui laisser la main droite libre. Et quand elle passe, il faut s'arrêter et la saluer avec respect, et même avec un profond respect si sa qualité le demande.
Lorsqu'étant en carrosse, on se rencontre en un lieu par où passe le Saint-Sacrement, on en doit descendre et se mettre à genoux. Si c'est une procession ou un enterrement, ou bien le Roi, la Reine, les Princes les plus proches du sang Royal, ou des personnes d'un caractère ou d'une dignité éminente, il est du devoir et du respect de faire arrêter le carrosse jusqu'à ce qu'elles soient passées, et avoir la tête nue.
Il n'est pas de la bienséance de monter en carrosse ou à cheval devant une personne pour qui on doit avoir quelque considération, à moins qu'elle n'en fasse un commandement; et alors il faut éloigner un peu le carrosse ou le cheval, ou bien on peut faire avancer le carrosse ou le cheval jusqu'à ce qu'on ne la voie plus, et y monter ensuite.