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La vie privée d'autrefois; Arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle. Les soins de toilette; Le savoir-vivre

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AVERTISSEMENT

Mon intention, en écrivant ces petits volumes, a été de pénétrer dans la vie privée de nos pères, de les montrer tels qu'ils étaient dans l'intimité, de mettre en lumière les petits côtés de leur existence, ceux qu'ont systématiquement négligés tous les historiens.

De là, la nécessité d'aborder parfois certains sujets scabreux, difficiles à traiter aujourd'hui. Il est clair, par exemple, que, recherchant les secrets de la toilette, je ne pouvais passer sous silence la coutume de l'épilation; que voulant reconstituer les règles du savoir-vivre, j'étais bien forcé de rappeler qu'au seizième siècle le meilleur monde autorisait sur beaucoup de points un laisser aller qui révolterait notre société actuelle[300].

Afin de concilier le respect des bienséances avec mes devoirs d'écrivain consciencieux, j'ai pris le parti de réserver pour un Appendice facile à détacher du volume, les renseignements qui s'adressent surtout aux érudits. On y trouvera aussi certaines pièces que notre pruderie moderne,—pruderie dans les mots, s'entend,—ne m'eût pas pardonné de produire au trop grand jour.

A tort ou à raison, nos pères n'y regardaient pas de si près. Ainsi, au seizième siècle, les vers de Pierre Broë étaient répandus dans toutes les écoles, et on les faisait apprendre par cœur aux enfants; ils n'ont même été composés que pour cela. Et qu'on ne suppose pas que ce soit là un fait isolé. En veut-on une preuve? Le vertueux Mathurin Cordier, le pédagogue le plus accompli du seizième siècle, celui qui avait pris pour devise: Pietas et boni mores cum litterarum elegantia, publia vers 1563 des entretiens destinés à former les mœurs des enfants, en même temps qu'à les familiariser avec la langue latine. Le livre eut un immense succès, les éditions s'en multiplièrent, et deux ou trois amis de la jeunesse se chargèrent de le traduire en français.

J'ai sous les yeux une de ces traductions, donnée en 1672 sous ce titre: Nouvelle traduction des colloques de Mathurin Cordier. Corrigée d'un grand nombre de fautes, et mise dans la pureté des deux langues, pour la plus grande facilité des enfans. J'en extrait trois passages, qui suffiront pour donner une idée de l'ensemble.

LE MAISTRE.—D'où venez-vous?

L'ENFANT.—Je viens d'en bas.

LE MAISTRE.—Quelle affaire aviez-vous en bas?

L'ENFANT.—J'estois allé pour pisser[301].

Livre I, colloque 23, page 33.

ROSSET.—Je vous diray encore un autre usage du papier, et très-fréquent au collége.

LE MOINE.—Quel?

ROSSET.—Je n'oserois pas le dire sans compliment[302].

LE MOINE.—Qu'est-il besoin de faire des compliments entre amis, car les paroles ne puent pas.

ROSSET.—Je le diray donc, puisque vous le voulez.

LE MOINE.—Dites librement.

ROSSET.—Pour torcher son derrière au privé[303].

Livre I, colloque 27, page 41.

LE MAISTRE.—A quelle heure vous êtes-vous éveillé ce matin?

L'ENFANT.—Avant le jour; je ne sçay à quelle heure.

LE MAISTRE.—Qui vous a éveillé?

L'ENFANT.—Le réveilleur de la semaine est venu avec sa lanterne, il a heurté fort à la porte de ma chambre...

LE MAISTRE.—Dites moy par ordre tout ce que vous avez fait depuis ce temps-là. Vous autres, enfans, écoutez avec soin des oreilles et de l'esprit, afin que vous appreniez à imiter vostre compagnon.

L'ENFANT.—Estant éveillé, je me suis levé du lit, j'ay mis ma camisole avec mon pourpoint... je me suis bien peigné, j'ay mis mon chapeau, j'ay mis ma robe; ensuite je suis sorty de ma chambre, j'ay descendu en bas, et j'ay pissé contre la muraille[304].

Livre II, colloque 54, page 210.

C'est ainsi qu'au seizième siècle, et même à la fin du dix-septième, on entendait l'éducation des enfants. Nous en sommes revenus, et un peu trop peut-être. A une si grande licence, innocente en somme, a succédé une pudeur exagérée qui explique l'oubli dans lequel ont été laissés les usages et la vie privée d'autrefois. L'histoire s'est faite trop chaste et trop fière pour s'occuper de pareils détails. Laissez-moi en citer un curieux exemple. Vers 1828, un homme de talent, M. F. Barrière, découvre et publie les très intéressants Mémoires de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne. Il y rencontre cette phrase: «Sa Majesté, me voyant entrer si matin dans sa chambre, dont toutes les entrées m'étoient permises, même de sa garde-robe, où j'entrois à toute heure, sans avoir eu besoin de brevet d'affaires, même quand elle étoit sur sa chaise percée...» Ces derniers mots révoltent M. Barrière, qui les supprime. Il en éprouve pourtant quelque remords, et, dans une note perdue à la fin du volume, il avoue qu'il n'a pas reproduit cette ligue parce qu'elle «figurait assez mal dans une scène d'amour». Mais, barbare, notre littérature n'est que trop riche en scènes d'amour; ce qui importait, c'était de nous montrer dans quelle position, en dépit de l'étiquette, le grand roi consentait à recevoir ses secrétaires d'État. Saint-Simon, heureusement, a été moins réservé.

En voici assez, j'espère, pour excuser mon éditeur et moi. Les lecteurs sont donc prévenus que je ne reculerai devant aucune des exigences de mon sujet. C'est, d'ailleurs, une nécessité que je subirai, n'ayant aucune envie de courir au-devant des occasions, et, dans les moments difficiles, je m'effacerai autant que possible pour laisser parler les documents contemporains. A cet égard, les Appendices me seront d'une grande utilité. J'aurai soin, cependant, de n'y insérer que des pièces historiques ayant directement trait à la question et susceptibles de l'éclaircir. Quant aux gens qui y chercheraient autre chose, je les avertis qu'ils chercheront en vain.


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