La vie privée d'autrefois; Arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle. Les soins de toilette; Le savoir-vivre
Extrait de La civilité puérile et honneste, dressée par un missionnaire[292].
[1749]
La manière de saluer en se rencontrant.—Si dans le chemin vous rencontrez une personne qui vous semble de mérite, ou par son âge ou par sa qualité, vous la saluerez honnestement, sans beaucoup vous retourner vers elle, si ce n'est que vous la connoissiez particulièrement.
Il ne faut pas qu'un jeune enfant fasse de difficulté de saluer les personnes qu'il rencontre, particulièrement si ces rencontres ne sont pas fréquentes, parce qu'il y a de l'honneur à honorer les autres.
La coutume de Paris est de ne saluer que ceux que l'on connoist, à cause du luxe et de la braverie[293] qui règne dans cette ville, où la qualité des personnes est méconnoissable. Il ne faut pas néanmoins refuser ce devoir aux ecclésiastiques et aux religieux.
Si une personne vous salue et vous arreste dans le chemin, il faut lui rendre au moins autant qu'il vous donne, pourveu qu'il ne vous soit pas tout à fait inférieur. Il ne faut pas dire à toutes personnes: Comment vous portez-vous? mais seulement à ceux qui vous sont à peu près semblables, et que vous connoissez particulièrement.
Dans la rencontre d'une personne d'honneur ou qui vous est semblable, donnez-lui le haut bout, et vous retirez tant soit peu au milieu de la rue pour lui faire honneur[294].
Il est de mauvaise grâce de dire à une personne Couvrez-vous, monsieur, si ce n'est qu'il soit inférieur. A vos semblables, vous pouvez dire Couvrons-nous.
Si vous avez besoin de vous couvrir en présence d'une personne à qui vous voulez faire de la civilité, vous pouvez lui dire: Monsieur, j'attends votre ordre pour me couvrir.
Si on vous dit de vous couvrir, il le faut faire incontinent, sans attendre qu'on vous l'ait dit trois fois; et si la personne qui vous parle est aussi découverte, ne vous couvrez pas le premier, mais faites-le ensemble.
Du port ou du maintien extérieur.—Il ne faut point baisser le dos comme si vous aviez un gros fardeau sur les épaules; mais tenez-vous toujours droit, et accoutumez-vous à cette posture.
Ne mettez pas votre chapeau sur l'oreille, ni trop sur le devant de la teste comme si vous vouliez cacher votre visage; voyez comme font les honnestes gens.
Portez votre manteau sur les deux épaules, et non pas retroussé sous le bras; il est encore plus ridicule de le porter sur le coude.
Ne mettez pas les bras aux costés, comme ces femmes qui sont en colère et qui disent des injures à leurs voisines.
Il est incivil de branler les jambes quand on est assis, comme font les petits enfans qui ne peuvent s'en empescher.
Il ne faut pas aussi mettre une jambe sur l'autre: cela n'appartient qu'aux grands Seigneurs et aux Maistres; mais tenez-les fermes et arrestées, les pieds également joints et non croisés l'un sur l'autre.
La manière de donner ou de recevoir quelque chose.—Si vous présentez quelque chose à quelqu'un, il faut baiser la chose si cela se peut; et la lui ayant présentée, il faut faire la révérence.
Si on vous présente quelque chose, telle qu'elle puisse estre, il faut baiser la main avant que de la recevoir, et puis baiser la chose que vous avez reçue. Il ne faut pas néanmoins mettre la main ou la chose si près de la bouche: il suffit de faire semblant de la baiser.
Quand vous présentez quelque chose à quelqu'un, il la faut tellement tenir qu'il la puisse prendre facilement par où elle doit estre prise. Ainsi, lorsque vous présentez un couteau ou une cuillière, il faut tourner le manche vers celui qui doit la recevoir.
C'est contre la bienséance de faire des éloges du présent que vous faites, comme si vous vouliez que l'on eût plus de reconnoissance. Que si d'autres le louoient, il faut répondre que vous souhaiteriez qu'il fust plus beau et plus digne du mérite de celui à qui vous le présentez.
Il est de la civilité, au contraire, de témoigner de l'estime du présent que l'on vous fait, et de ne le point cacher incontinent.
C'est une très-grande faute d'y trouver à redire, particulièrement devant celui qui vous l'a fait, parce qu'il ne faut jamais faire honte à personne.
La manière de se moucher, cracher et éternuer sans manquer à la civilité.—Bien que toutes les actions soient naturelles et quelquefois nécessaires, il y a néanmoins la manière de les faire pour ne point pécher contre les règles de la civilité.
Quand vous avez besoin de cracher, tournez-vous tant soit peu le visage à costé, en sorte que vous n'incommodiez personne. Mettez incontinent le pied dessus, avant qu'il puisse estre apperçu, si le phlegme est considérable.
Il est de mauvaise grâce de cracher par la fenestre dans la rue, ou sur le feu, et en tout autre lieu où on ne pourroit marcher sur le crachat.
Ne crachez point si loin qu'il faille aller chercher le crachat pour mettre le pied dessus, et encore moins ne crachez point vis-à-vis de personne.
Gardez-vous bien de vous moucher avec les doigts ou sur la manche, comme les enfans; mais servez-vous de votre mouchoir, et ne regardez pas dedans après vous estre mouché.
Il ne faut pas aussi faire un grand bruit en se mouchant, comme pour sonner de la trompette. Mais on doit se comporter tellement qu'à peine ceux qui sont présens puissent s'en appercevoir.
Si vous vous sentez disposé à éternuer, tournez-vous tant soit peu de costé, couvrez votre visage avec le mouchoir, et remerciez la compagnie qui vous aura salué, en lui faisant la révérence.
Il faut s'abstenir de bâiller en compagnie autant que l'on peut, parce que c'est une marque d'une personne ennuyée. Que si néanmoins on y étoit contraint, il faudroit s'abstenir de parler pour lors, mettre le mouchoir ou la main devant la bouche, après avoir tourné la teste.
Comme l'enfant doit se comporter auprès du feu.—Apprenez à vous comporter auprès du feu comme en toute autre rencontre, et que l'honnesteté veut que l'on cède toujours la place la plus honorable et la plus commode aux personnes de plus grand mérite.
La place d'honneur est celle du milieu, quoique à présent, dans les familles, celle du coin qui regarde la porte soit celle d'ordinaire que le maistre choisit pour voir ceux qui entrent et qui sortent; mais ce doit estre une place de son choix, non pas qu'elle puisse estre honnestement présentée à un honneste homme.
Ne vous approchez pas si près du feu, crainte de vous brûler les jambes; et encore moins ne mettez pas les mains dans la flamme.
Toucher au feu sans cesse, pour approcher les tisons les uns des autres ou pour changer la disposition du feu, c'est la marque d'un esprit turbulent et qui ne peut se tenir en repos.
En présence d'honneste compagnie, vous ne devez pas tourner le dos au feu; et si quelqu'un se donnoit cette liberté à cause de sa prééminence, il ne faudroit pas l'imiter en cela.
La charité, aussi bien que la civilité, veut que l'on fasse place à ceux qui viennent de nouveau, et que l'on s'incommode un peu en faveur de ceux qui ont plus besoin de se chauffer.
Si quelqu'un jette quelque chose dans le feu, comme lettres, papiers, ou autres choses semblables, il est de très-mauvaise grâce de les retirer pour quelque raison que ce puisse estre.