La vie privée d'autrefois; Arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle. Les soins de toilette; Le savoir-vivre
Voici le passage auquel je fais allusion, page 121:
«Le lendemain, j'entrai chez elle en même temps que sa femme de chambre; elle fit tirer les rideaux et se leva. Tandis que ma sœur préparait une chemise, madame, qui se trouvait debout vis à vis de moi, laissa subitement couler celle qu'elle avait sur le corps, et resta nue comme une statue de marbre. J'étais interdit et n'osais lever les yeux sur elle... Quand je fus seul avec ma sœur, je lui demandai si madame du Châtelet changeait ainsi de chemise devant tout le monde; elle me dit que non, mais que devant ses gens elle ne se gênait nullement, et elle m'avertit qu'une autre fois, quand pareille chose arriverait, je ne fisse pas semblant de m'en apercevoir.
«Cependant, quelques jours après, au moment où elle était, dans son bain, elle sonna. Je m'empressai d'accourir dans sa chambre; ma sœur, occupée ailleurs, ne s'y trouvait point alors. Madame du Châtelet me dit de prendre une bouilloire qui était devant le feu, et de lui verser de l'eau dans son bain, parce qu'il se refroidissait. En m'approchant, je vis qu'elle était nue, et qu'on n'avait point mis d'essence dans le bain, car l'eau en était parfaitement claire et limpide. Madame écartait les jambes, afin que je versasse plus commodément et sans lui faire mal l'eau bouillante que j'apportais. En commençant cette besogne, ma vue tomba sur ce que je ne cherchais pas à voir. Honteux et détournant la tête autant qu'il m'était possible, ma main vacillait et versait l'eau au hasard: «Prenez donc garde, me dit-elle brusquement d'une voix forte, vous allez me brûler.» Force me fut d'avoir l'œil à mon ouvrage, et de l'y tenir, malgré moi, plus longtemps que je ne voulais.
«Cette aventure me parut encore plus singulière que le changement de chemise. Je n'étais pas encore familiarisé avec une telle aisance de la part des maîtresses que je servais... J'ai été à même de juger que les grandes dames ne regardaient leurs laquais que comme des automates. Je suis convaincu que madame du Châtelet dans son bain, en m'ordonnant de la servir, ne voyait pas même en cela une ombre d'indécence, et que mon individu n'était alors à ses yeux ni plus ni moins que la bouilloire que j'avais à la main[317].»
Soulavie[318], de son côté, raconte le fait suivant, bien invraisemblable de toute manière, et qui ne se concilie guère avec ce que madame Campan nous dit de la réserve que montra toujours sur ce point Marie-Antoinette: «Un ecclésiastique remarquable par son âge, ses vertus et sa réputation dans une des parties de l'art de guérir, appelé auprès de la Reine, la trouva nue, étendue dans un bain. Le vieillard recule, elle le rappelle, et il est obligé de lui répondre et de rester dans une situation où il pouvait admirer le plus beau corps qu'eût jamais produit la nature.»