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La vie privée d'autrefois; Arts et métiers, modes, moeurs, usages des parisiens du XIIe au XVIIIe siècle. Les soins de toilette; Le savoir-vivre

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Extrait de la CIVILITÉ d'Érasme,

traduite en français par Claude Hardy en 1613[284].

[1530]

Du nez.—Les enfants ne doibvent aucunement laisser de morve en leur nez, qui est le propre des ords et salles; duquel vice et salleté Socrates a esté blasmé. Mais se moucher à son bonnet ou à sa manche appartient aux rustiques; se moucher au bras et au coulde convient aux patissiers; et se moucher de la main, si d'aventure au mesme instant tu la portes à ta robbe, n'est chose beaucoup plus civile. Mais recevoir les excrements du nez avec un mouchoir, en se retournant un petit des gens d'honneur, est chose honneste. Et si d'aventure quelque chose tomboit à terre en se mouchant de deux doigs, il faut incontinent marcher dessus.

Souffler du nez.—C'est chose indecente de souffler haut du nez, qui est un tesmoignage de cholère; et est encores chose plus laide de ronfler, car il appartient aux furieux seulement, principallement si cela se fait avec accoustumance. Mais il faut pardonner à ceux qui ont la courte haleine, et qui ne respirent qu'avec difficulté. C'est aussi chose ridicule de parler du nez, qui convient aux corneilles et elephans. Froncer le nez appartient aux mocqueurs et gausseurs.

De l'esternuement.—S'il advient qu'il te faille esternuer en la presence d'autruy, c'est chose honneste de se tourner un petit, et à l'instant après que la violence est passée, faire le signe de la croix, et puis après oster son bonnet et saluer ceux qui t'auront salué ou deu saluer: car l'esternuement et le baailler prive l'oreille de sentiment. Il te faut aussi prier la compagnie de t'excuser ou la remercier.

C'est chose religieuse de saluer celuy qui esternuë. Si plusieurs gens eagez saluent quelque homme ou femme d'honneur à qui il soit arrivé d'esternuer, le debvoir de l'enfant est d'oster son chappeau. Davantage, c'est le propre des fols et glorieux de s'efforcer à esternuer hault, et de redoubler pour monstrer ses forces. Retenir le son que la nature excite, c'est marque de folie, et attribuer plus à la civilité qu'à la santé.

Des jouës.—Que les jouës de l'enfant soient teintes d'une honte naïfve, sans fard et faulse couleur, combien qu'il la faille tellement temperer qu'elle ne se tourne en meschanceté et trop grande hardiesse, ne qu'elle apporte trop grand estonnement, et comme dit le proverbe, le quatriesme degré de folie. Car il y en a qui de leur naturel sont tellement timides, qui sont presque semblables à celuy qui radote. Ce deffault se peut corriger, si l'enfant s'accoustume à vivre avec gens plus eagez que luy, et s'il est exercé à joüer des comedies. Enfler les joües est un tesmoignage d'orgueil, et les retirer est un signe de meffiance: l'un est pour le glorieux, et l'autre pour le traistre.

De la bouche.—Que la bouche ne soit serrée, chose qui convient à celuy qui craint de prendre l'haleine d'autruy; qu'elle ne soit aussi ouverte, comme appartient aux incensez. Mais que les lèvres soient conjoinctes, s'entrebaisants doucement l'une-l'autre. C'est aussi chose peu decente de faire des lèvres comme si tu applaudissois à un cheval en sifflant, combien que cela se doibve pardonner aux grands qui marchent en quelque grande foulle: car rien ne leur messiet. Mais nous voulons icy dresser seulement les enfants.

Du baaillement.—Si d'aventure le baailler te presse, et si tu ne peux te tourner ou demarcher un petit, il te fault mettre ton mouchoir ou ta main devant ta bouche, et faire le signe de la croix.

Du rire.—C'est le propre des fols de rire à tout propos; et de ne rire d'aucune chose appartient aux stupides; de rire de choses vilaines et deshonnestes, c'est meschanceté. Outre plus, ceste manière et façon de rire qui esmeut tout le corps, que les Grecs appellent [Greek: synkrousion], n'est honneste et decente à aucun eage, non pas mesme à la jeunesse. C'est aussi chose deshonneste de rire en hennissant; comme il n'est pas decent et seant de rire en eslargissant la bouche et en retirant les joües et descouvrant les dents, car proprement c'est un ris de chien et sardonien; mais il faut que le visage soit tellement composé qu'il demonstre une alegresse et non pas un esprit dissolu, ny aucune difformité de la bouche. Ce sont propos de fols de dire: je pisse ou crève de rire; je pasme de rire, ou j'ay cuidé mourir de rire.

Et si le subject qui se presente nous force malgré nous à rire, alors il faudra se couvrir le visage ou de la serviette ou de la main. Rire tout seul sans aucune apparente raison est un acte de sottise ou de pure folie. Et le cas advenant qu'il soit eschappé de rire à l'enfant, cela dependera de la civilité de declarer ouvertement la raison qui l'aura meu à rire; ou s'il n'est à propos de le dire, il fault controuver quelque cassade, afin que nul de la compagnie n'aye quelque soupçon que l'on veuille se moquer de luy.

De ne mordre ses lèvres.—C'est une mauvaise contenance que de mordre ses lèvres d'embas avec les dents de dessus, et les lèvres de dessus avec les dents d'embas: car c'est le geste d'un homme qui menace quelqu'un. C'est aussi chose indecente de lescher le bord de ses lèvres avec la langue. Advancer ses lèvres, et comme les preparer à un baiser, estoit jadis une coustume bien receuë entre les Alemans, comme il se peult remarquer par des tableaux anciens. C'est un tour de bouffonnerie en tirant la langue se moquer de quelqu'un.

Du cracher.—Tourne ton visage quand tu voudras cracher, afin que nul de la compagnie ne soit offensé de ton crachement. Si tu as craché par terre ou si tu t'y es mouché, il convient marcher dessus, comme j'ay cy-devant dit, afin que personne n'en aye mal au cœur. Si tu n'as moyen de te tourner, reçoy le crachat en ton mouchouer.

Avaller sa salive est une chose deshonneste; comme pareillement de cracher à chacun mot, comme nous en voyons beaucoup ausquels cela arrive d'ordinaire, plustost par mauvaise accoustumance que par necessité qu'ils en ayent.

D'abondant, il y en a qui toussent en parlant, par une habitude qu'ils ont contractée, sans qu'il en soit besoin. Mais telle façon de faire est propre à ceux qui se proposent de mentir, et qui se veulent donner du temps pour penser à ce qu'ils doivent dire.

Aucuns, encores plus incivils, ne sçauroient dire trois mots sans roter. Que si le jeune enfant dès son bas eage prend ceste mauvaise coustume, elle luy demeurera. Il en faut autant dire du cracher, dont le Clitipho de Terence[285] est blasmé par un serviteur.

Si tu es pressé de la toux, garde toy de tousser en la bouche d'autruy, et prens bien garde de commettre ceste ineptie que de tousser plus hault que la nature ne le requiert.

Du vomissement.—Quand tu auras volonté de vomir, tire toy à quartier; car le vomissement n'est pas deshonneste, mais bien de le provoquer par gourmandise.

Des dents.—Il faut soigneusement prendre garde d'avoir les dents nettes; car de les blanchir avec des poudres, il n'appartient qu'aux filles; les frotter de sel ou d'alun est fort dommageable aux gencives; et se servir de son urine au mesme effet c'est aux Espagnols à ce faire.

S'il te reste entre les dents quelque chose, ne te sers du cousteau ou de tes ongles pour les tirer, comme les chiens et les chats; ny avec la serviette; mais avec la pointe d'un cure-dent de lentisque, ou d'une plume, ou de petits os tirez des pieds de chappons ou des poulles bouillies.

De laver la bouche.—C'est une chose civile et salubre de laver sa bouche d'eau nette le matin. Mais de la laver souvent, c'est un acte qui est impertinent. De la langue, nous en parlerons en son lieu.

De nettoyer la teste.—C'est à faire aux gens de village de ne se peigner la teste. Il faut que la teste soit tellement nette qu'elle ne soit pas pourtant atiffée comme celle d'une fille. C'est chose deshonneste d'y voir des pouds et des lentes.

En après, grater sa teste devant quelqu'un et faire tomber l'ordure qui en sort sur luy, c'est chose peu decente; tout ainsi que se grater avec les ongles les autres parties du corps, c'est chose vilaine, principalement s'il le fait avec accoustumance et non par necessité.

Les cheveux ne doivent tomber sur le front, ny couvrir les espaules. Esbranler ses cheveux en secouant la teste, c'est le propre des chevaux qui se panadent. De relever les cheveux du front en hault avec la main gauche, c'est chose peu seante, mais il est plus à propos de les demesler avec la main droite.

Qu'il ne faut retenir son urine, ny le son du ventre.—Se garder d'uriner est dommageable à la santé; mais se tirer à part pour rendre l'urine est chose digne de la honte requise à un enfant.

Il y en a quelques uns qui commandent que l'enfant retienne la ventosité du ventre, serrant les fesses. Mais ce n'est pas chose civile de se causer une maladie pour avoir la reputation d'estre bien apprins. S'il luy est loisible de s'esloigner de la compagnie, qu'il lasche son vent estant ainsi à l'escart, sinon qu'il desguise, selon l'ancien proverbe, le son du ventre par un toussement. Autrement pourquoy n'ordonnent ils pas, par semblable raison, qu'ils s'empeschent d'aller à la garderobbe, veu qu'il est plus dangereux de retenir son vent que de s'abstenir des necessitez de nature[286].

De se tenir droict.—C'est imiter le glorieux Trason de Terence[287] que de se seoir les genouils ouverts, et de brandiller ou entortiller ses jambes. Quand tu seras assis, prends garde à joindre tes genouils, et quand tu seras debout tiens tes pieds proches l'un de l'autre, au moins qu'ils ne soient que moyennement esloignez. Aucuns sont assis avec ceste mauvaise grace qu'ils font passer la jambe par dessus le genouil; les autres sont debout, ayans les bras croisez et les jambes joinctes estroictement: desquelles façons de faire, l'une est propre aux resveurs et l'autre aux gens grossiers et mal apprins. Se seoir ayant la jambe droicte jettée sur la gauche estoit une ancienne coustume des Rois, mais maintenant elle est reprouvée. Les Italiens, par respect, mettent un pied sur l'autre, et se soustiennent quasi sur une jambe, à la mode des cigongnes, mais je ne sçaurois bonnement dire si cela est decent à l'enfant.

Comment il convient faire la reverence.—Pareillement, en un païs une façon de fleschir les genouils et faire la reverence est bien receuë, laquelle en autre païs donneroit subject de rire et de se moquer. Quelques-uns ployent les deux genouils ensemble, et entre ceux-là, les uns tiennent le reste du corps droit et les autres le panchent aucunement. Il y en a d'autres qui estimans ceste façon de faire la reverence n'estre seulement convenable qu'à la femme, ployent en premier lieu le genouil droit, et puis le gauche au mesme instant, et ceste manière de reverence est recommendable en la jeunesse de Bretaigne. Les François, contournant doucement le corps, fleschissent seulement le genouil droit. Es choses ou la varieté n'a rien de repugnant à la bienséance, il sera en la liberté de chacun de practiquer l'usance du païs, ou suivre les façons estrangères, comme il s'en trouve aucuns ausquels elles plaisent davantage que celles de leur païs[288].


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