Le parfum de la Dame Noire : $b Physiologie humoristique de l'amour Africain
CHAPITRE XVII
De la condition de la femme.
La condition de la femme noire consiste à rester toute sa vie en condition.
C’est une esclave. Elle est la pauvre Mme Pile-Toujours, qu’on voit de l’aube au couchant occupée à écraser le mil dans le mortier du ménage. Quand son seigneur et maître monte à cheval, elle doit lui présenter l’étrier, ce qui constitue une façon un peu spéciale de recevoir les honneurs du pied. Elle fait chambre à part, et même case à part. Lorsque Monsieur veut de l’amour, il faut que Madame se dérange. S’il a les moyens de s’offrir plusieurs épouses, il établit entre elles un roulement, soit dit sans comparer à de la peau d’âne la chair noire de ces dames. Celle qui a reçu en dernier lieu l’hommage conjugal est chargée de nourrir le mari et de le servir à table. Dame ! quand on a été à l’honneur, il faut bien être à la peine et savoir réparer les forces qu’on a fait perdre.
L’hommage conjugal expose la dame noire à d’autres devoirs. C’est d’abord celui de mettre un enfant au monde et de l’allaiter pendant trois ans. On voit qu’à notre exemple, les populations africaines sont vraiment portées à exagérer le régime lacté. Comment voulez-vous qu’après trois ans d’un pareil régime une poitrine ne donne pas le lamentable spectacle d’une cascade de bitume capable d’enlever toute envie de cascader ?
Durant cette longue période, la femme ne doit plus compter sur la moindre prévenance de son mari, qui n’entend honorer de ses faveurs que des épouses sèches. Ainsi le veut une tradition inhumaine. Le Noir, à l’exemple du héros de Francillon et à la différence des militaires, ne peut pas souffrir les nourrices. La maman en est réduite à un tête-à-tête prolongé avec son poupon, et encore le mot tête-à-tête me paraît plutôt impropre, car le petit passe presque tout son temps sur l’échine maternelle, où le maintient un pagne solidement noué.
Un symbole, cette mode de porter sa progéniture, pour signifier clairement qu’on en a plein le dos des joies de la famille !
Non content de faire d’elle une perpétuelle couveuse, le nègre exploite sa femme de toutes les façons. Il la revend, la met en gage, l’échange, la prête. Avec l’argent qu’il retire de ces différentes opérations, il se payera d’autres épouses. En Afrique, la femme est une valeur éminemment négociable. Elle rend les services que nous demandons chez nous à la banque et au mont-de-piété. Elle constitue à elle toute seule un véritable mont-de-piété, sans reconnaissance, hélas ! car son cynique époux ne lui a aucune gratitude de son incontestable utilité. Cette utilité est telle qu’il ne fait pas un seul pas sans femmes. Il les entraîne à sa suite dans tous ses déplacements. Le tirailleur se montre un soldat infatigable et modèle, mais il faut que sa mousso le suive. Pas de mousso, pas de lapin. Le Noir ressemble aux palmiers de son pays, qui ne fleurissent qu’auprès de leur femelle. Mais s’il a tant besoin de ses compagnes, c’est beaucoup moins pour les aimer que pour les faire travailler.
Et si vous saviez ce que comporte là-bas de variétés ce que nous appelons chez nous « l’ouvrage de dames » ! Élégantes papoteuses qui vous réunissez, une bande de tapisserie ou de broderie aux doigts, dans quelque salon ou casino, et qui croyez, pour quelques coups d’aiguille, avoir fait œuvre méritoire, voulez-vous avoir une idée des besognes qui vous attendraient si, pour votre malheur et le nôtre, la nature avait coloré du plus beau noir le pigment transparent de votre peau ? Il vous aurait fallu, de l’aube à la nuit, piler le mil, récurer les calebasses, cuisiner, laver, filer, tisser, teindre, modeler de la poterie, fabriquer de l’huile, du savon, du beurre de karité, faire la cueillette du coton, du caoutchouc, de l’indigo, récolter l’or.
Oh ! je sais bien qu’en tous pays, et particulièrement dans les plus avancés en civilisation, les femmes s’entendent admirablement à cette dernière récolte. Elles ont même pour la pratiquer des moyens qui tiennent essentiellement à leur sexe. Mais les travailleuses africaines ne voient pas affluer le précieux métal avec la même facilité et le même agrément que Danaé. Courbées en deux, dans l’eau jusqu’aux hanches, elles l’extraient péniblement des sables aurifères, lavant dans leur calebasse les imperceptibles parcelles étincelantes qu’elles ont recueillies, puis vont les remettre scrupuleusement à leur mari, qui se garde bien d’aider au travail autrement que par sa présence. Il se dit, ce pratique flemmard, que ses femmes sont d’éternelles mineures, et très logiquement il les emploie à un travail de mines. Au fond, elles sont bonnes à tout. Nos modernes championnes du féminisme croient avoir fait faire un grand pas au progrès en décrétant que la femme vaut mieux que l’homme pour exécuter n’importe quel travail. La belle découverte ! Il y a longtemps que les Noirs s’en sont aperçus.
Si seulement ils savaient un peu gré aux pauvres créatures surmenées de tout le mal qu’elles se donnent pour eux ! Autant pour un cheval de fiacre compter sur les remerciements de son cocher. Si l’une d’elles meurt à la peine, le mari ne prendra même pas le deuil, tandis que la veuve est tenue de le porter de la façon la plus rigoureuse. Vous comprenez bien que, dans de telles conditions, les veuves joyeuses sont légion en Afrique occidentale. Aussi a-t-on estimé comme une précaution utile de les obliger à dissimuler quelques temps cette joie sous des apparences affligées.
Une autre façon de remercier, pour le mari, consiste à divorcer, afin de ne pas acquitter la dot qu’il doit, ou de rentrer dans ses débours. Si la femme ne veut pas divorcer, il l’y forcera par de fréquentes distributions d’arguments frappants.
En France, les femmes invoquent le divorce pour ne plus être rossées : chez les Noirs, on les rosse pour leur en suggérer l’idée. Il est vrai que cette méthode n’est pas tout à fait étrangère à certains Européens avides de reprendre leur liberté.
La pauvre dame noire n’est pas plus galamment traitée au chapitre des successions. On la met sur le pied d’une vache. Elle fait partie intégrante du capital. Lorsqu’un homme meurt, ses femmes passent à ses héritiers avec ses troupeaux et ses captifs. Ils peuvent disposer d’elles à leur gré. C’est tout à fait ce qu’on appelle une succession ouverte.
En somme, de même que, pour le Blanc, la femme noire est un meuble, elle est, pour le Noir, un immeuble qu’on achète, qu’on vend, qu’on exploite, qu’on donne à bail, qu’on hypothèque et dont on fait à la fois une propriété d’agrément et de rapport.