Le Whip-Poor-Will, ou, les pionniers de l'Orégon
CONCLUSION.
Dès la première aube du jour, Daniel Boon, le docteur Hiersac et le Natchez Whip-Poor-Will étaient sur pieds; après avoir fait leurs préparatifs de départ, les trois amis se rendirent auprès des pionniers pour leur faire leurs adieux; chacun eût voulu pouvoir retarder le moment de la séparation…
—Oui, mes amis,—dit Daniel Boon aux pionniers rassemblés autour de lui,—nous sommes peut-être le peuple destiné à opérer la révolution la plus consolante pour l'humanité; la folie des conquêtes passera; le commerce sera plus respecté qu'il ne l'a été jusqu'ici; il sera le destructeur des préjugés et le soutien de l'agriculture… Peut être achèterez-vous, par de grandes fatigues, le bonheur des générations futures; c'est le seul espoir qui puisse vous les faire supporter avec courage. Vos enfants, fiers à leur tour, des vertus et de la gloire de leurs pères, devront à votre mémoire de transmettre sans altération, à leurs neveux, les libertés et l'indépendance nationales conquises par tant de constance et d'héroïsme… Mes amis, celui-là seul qui saurait lire dans l'avenir, pourrait signaler les obstacles, peut-être même les orages qui vous attendent; l'existence des États (comme celle des hommes) n'est qu'une lutte perpétuelle… Mais encore quelques années, et les populations pourront se compter par milliers dans ces régions où l'on ne voit aujourd'hui que des animaux sauvages… Adieu, mes amis; n'oubliez jamais que vous êtes Américains; les ennemis de nos institutions feront de grands efforts pour vous égarer, mais rappelez-vous qu'un gouvernement paternel veille sur vous, et que votre cause est celle de tout un peuple qui s'intéresse à votre prospérité… Amérique, tes destinées sont grandes!… tu ne sens pas encore tes forces! tu ne connais pas encore les faveurs que la fortune doit te prodiguer! Gouvernée par de sages lois, ta prospérité étonnera le monde!… J'ignore les desseins de la Providence; mais nos neveux verront de grandes choses!… Un jour, debout sur les pics des Monts-Rocheux, ils salueront le radieux soleil d'Orient, et, tendant la main à la France qui vit leurs pères au berceau, ils s'écrieront: «Eh bien! sommes-nous toujours dignes de vous?…» Adieu, mes amis, adieu; peut-être vous reverrai-je encore…»
Les pionniers étaient émus jusqu'aux larmes. Daniel Boon, le vieux docteur canadien et le Natchez montèrent à cheval et partirent; on les suivit longtemps des yeux; les dames agitaient leurs mouchoirs, et les hommes leurs bonnets de peau… Enfin les trois amis disparurent derrière les collines.
Daniel Boon mourut peu de temps après son arrivée sur les bords du fleuve Missoury. Le vieux docteur canadien revit le beau pays de France. Quant au Natchez Whip-Poor-Will, privé de son unique ami, il renonça à la vie sauvage, se retira dans l'État de New-York et fut adopté dans la tribu des Tuscarooras; il embrassa la religion chrétienne et devint un zélé propagateur de la foi parmi ses frères… Nous le rencontrerons encore…