Les Rois Frères de Napoléon Ier: Documents inédits relatifs au premier Empire
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, 2 janvier 1813.
Ce que la seconde dépêche me charge de faire connaître particulièrement à la cour de Westphalie, je l'ai déjà fait entrer dans une conversation provisoire que j'ai eue avec M. le comte de Furstenstein au moment de son départ pour Catharinental. Ce ministre m'a assuré qu'une économie sévère et beaucoup de retenue pendant l'hiver et le carnaval entraient dans les plans du roi. Il est certain, Monseigneur, que depuis l'éloignement de M. Laflèche-Keudelstein qui vient de partir pour Paris par congé, comme on dit, mais très probablement pour ne point revenir, on aperçoit plus d'ordre et de sagesse dans l'administration et l'emploi des fonds de la liste civile; et qu'en ce moment, la seule dépense importante, d'une inutilité reconnue, consiste dans ce que fait le roi pour embellir et pour agrandir l'habitation provisoire qu'il occupe depuis l'incendie du château. Mais, ce sur quoi j'insisterai beaucoup et que je présenterai comme un devoir indispensable à remplir et comme un titre à acquérir à l'approbation de Sa Majesté impériale, c'est l'armement et l'approvisionnement de la place de Magdebourg, et, certes, il est impossible que le roi ne sente pas que, dans les circonstances actuelles, il lui convient davantage de construire un arsenal qu'un palais.
Le duc de Bassano à Reinhard.
Fontainebleau, 26 janvier 1813.
J'ai mis sous les yeux de Sa Majesté vos dépêches des 18 et 20 de ce mois, nos 418 et 420. Elle est satisfaite des démarches que vous avez faites et du compte que vous en rendez.
Je vous envoie la copie d'un décret sur l'approvisionnement de la place de Magdebourg. Cet approvisionnement doit être pour 15,000 hommes et 2,000 chevaux pendant un an, tant en vivres qu'en effets d'habillement, pour une garnison de cette force et pour un hôpital extraordinaire de 2,000 malades.
Dans la rigueur du droit, cet approvisionnement devrait être fait par le royaume de Westphalie; mais Sa Majesté veut ménager les moyens du roi afin qu'il ne néglige pas la formation de son contingent. Elle prend en conséquence à sa charge la moitié de l'approvisionnement de Magdebourg.
Elle laisse le roi le maître de faire lui-même et par ses agents cette moitié de l'approvisionnement qui serait payé comptant à proportion des versements. Elle a pensé que le roi pourrait trouver quelque avantage à se charger de cette opération en employant ou des moyens de crédit ou des revirements commodes pour ses finances, ou tout autre expédient qui lui conviendrait.
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, le 28 janvier 1813.
Le roi n'a pas tardé à faire répondre à ma note du 14 janvier, concernant l'approvisionnement de la place de Magdebourg.
Avant de recevoir cette réponse, j'avais reçu une lettre de M. le ministre, directeur de l'administration de la guerre, qui, en me chargeant d'employer tous mes soins pour que les mesures les plus promptes soient prises pour approvisionner au complet la place de Magdebourg, m'envoyait un état des denrées nécessaires pour l'approvisionnement d'un an pour 15,000 hommes et 500 chevaux. Je me suis empressé de faire passer cet état avec une nouvelle note à M. le comte de Furstenstein, et ce ministre le tenait déjà lorsque je suis arrivé pour lui parler de la sienne.
Votre Excellence trouvera la copie de cette note ci-jointe. Elle n'est qu'une répétition des mêmes offres que le roi avait déjà faites à M. le comte de Narbonne, sans avoir égard à l'état de la question, telle que je l'avais posée d'après vos ordres; et ce que mon devoir était surtout de ne pas laisser passer sans contradiction, c'est la demande renouvelée de 3,770,000 francs[141] qu'on prétend avoir dépensés en 1811 pour l'entretien des troupes françaises, en sus de la compensation qu'on avait obtenue: arrangement sur lequel, d'après les intentions connues de Sa Majesté impériale, il n'y avait plus à revenir.
Toutes ces considérations m'ont engagé à prier ce ministre de reprendre sa note. M. de Furstenstein m'a répondu que la forte résolution du roi de tenir religieusement ce qu'il promettait le déterminait à ne rien promettre au-delà de ce qu'il pourrait tenir; que sa note disait exactement les mêmes choses que le roi avait déjà écrites à Sa Majesté l'empereur; que les 3,700,000 francs ne comprenaient pas seulement l'excédent des avances faites en 1811, mais encore d'autres sommes que la Westphalie avait à réclamer, telles que la part qui lui avait été promise dans le produit des denrées coloniales séquestrées à Magdebourg, etc.; que ce n'était pas précisément au paiement de cette somme que le roi tenait, mais à un secours, à une avance quelconque de la part de la France, soit en argent comptant, soit en moyens de crédit. J'ai néanmoins insisté à ce qu'il reprit sa note. Je l'ai engagé de nouveau à en parler au roi et ajoutant que quoique je ne pusse me flatter d'avoir sur l'esprit de Sa Majesté une influence égale à la sienne, je n'hésiterais pas à lui demander une audience pour le même motif. M. de Furstenstein m'y a beaucoup encouragé, non sans protester contre l'influence que je supposais qu'il avait sur l'esprit du roi. Dans ma conversation, j'étais surtout parti de ce point, que le roi avait calculé les offres qu'il faisait et pour la recomposition de son contingent et pour l'approvisionnement de Magdebourg, sur les moyens tant ordinaires qu'extraordinaires qui étaient à sa disposition: qu'ainsi il n'y avait pas impossibilité absolue de porter plus haut l'approvisionnement de Magdebourg; mais qu'il s'en suivrait seulement que le roi ne pourrait pas employer à la formation de son contingent la totalité des sommes qu'il voulait y consacrer; que dès lors il s'agissait de savoir lequel de ces deux objets était pour le moment le plus important et le plus pressé, et que j'avais lieu de penser que Sa Majesté l'empereur attachait la plus haute importance à l'approvisionnement le plus prompt et le plus complet de Magdebourg, tandis que le roi préférerait peut-être employer ses plus grandes dépenses pour la réorganisation de son armée. J'aurai tout-à-l'heure à rendre compte à Votre Excellence du résultat qu'a produit ce raisonnement.
De chez M. de Furstenstein, je suis allé chez M. le ministre des finances qui, tandis que le premier m'avait fait les démonstrations accoutumées d'une bonne volonté impuissante, m'a parlé en vrai ministre des relations extérieures. Il m'a entretenu de tous les sacrifices faits par la Westphalie, de toutes les conventions, de toutes les promesses faites et non tenues par la France, de ses efforts pour porter le budget de 1813 à 44 millions de revenu qu'il aurait réduit à 40, si avant de le mettre sous les yeux du roi il avait connu le 29e bulletin, de l'impossibilité de rester ministre des finances, en admettant des demandes aussi vagues et aussi illimitées que les nôtres. Au milieu de tout cela, je lui ai parlé de l'approvisionnement de Magdebourg. M. de Malchus m'a dit qu'il s'engageait formellement qu'au 5 février il y aurait à Magdebourg un approvisionnement complet pour trois mois et pour 15,000 hommes, conformément à l'état envoyé par M. le comte de Cessac, et qu'en outre M. le ministre de la guerre se chargeait, par le moyen de ses fournisseurs ordinaires, d'un autre approvisionnement de deux mois. À l'objection que j'ai faite que je savais que cet approvisionnement n'avait été dans les derniers temps que pour 2,400 hommes, il a répondu que cela regardait M. le ministre de la guerre; mais M. le comte de Höne m'a promis depuis, sur sa responsabilité, que cet approvisionnement de deux mois serait pour 12,500 hommes et même pour 15,000. Le roi a chargé M. de Malchus exclusivement de tout ce qui concerne le nouvel approvisionnement de Magdebourg; mais comme le marché que M. de Höne a fait avec des fournisseurs tient encore, il paraît que ce sera sur les fonds qui restent à la disposition du ministre de la guerre que sera pris cet approvisionnement de deux mois. Le budget de ce ministre pour 1813 est de 19,400,000 francs, dont 17 millions pour les troupes westphaliennes et 200,000 francs par mois pour l'entretien des troupes françaises. La vanité de M. de Malchus l'a fait convenir qu'il avait fait des épargnes pendant l'année passée, et sans elles, m'a-t-il dit, le roi n'aurait pas pu faire les offres qu'il a faites à l'empereur. Quant à M. de Höne, il prétend que toutes les épargnes qu'il a pu faire sur la solde ont été absorbées par le matériel qu'il a fallu fournir à l'armée entrant en campagne et par la formation des nouveaux régiments.
Tel était, Monseigneur, l'état des choses, lorsque M. Balthazar, aide de camp de M. le duc de Feltre, est arrivé. La lettre qu'il m'a portée de la part de Son Excellence indiquait quatre objets principaux de sa mission: l'approvisionnement de la place de Magdebourg, le complétement de sa garnison, la formation de nouveaux cadres et de nouveaux corps westphaliens et, en outre, la formation à Magdebourg de nouveaux magasins considérables qui puissent alimenter une armée nombreuse pendant plusieurs mois.
Comme épisode tenant au sujet, je dois dire à Votre Excellence que j'étais chargé par M. le duc de Feltre de présenter M. Balthazar à la cour de Westphalie, et de lui faciliter les moyens de parvenir jusqu'au roi avec lequel il serait bien qu'il eût une conversation. Je m'acquittai de ce double devoir en prévenant en même temps le chambellan de service que je présenterais M. Balthazar à l'audience du corps diplomatique qui devait précisément avoir lieu hier matin; et M. de Furstenstein que je désirais que Sa Majesté accordât à cet officier une audience particulière. Le roi fit dire à M. Balthazar de s'adresser au ministre de la guerre. J'insistai: M. Balthazar ajouta qu'il avait non seulement une lettre à remettre à Sa Majesté, mais encore des choses particulières à lui dire sur des mesures non patentes encore qu'on prenait en France. En attendant que M. de Furstenstein négociât, nous allâmes chez le ministre de la guerre que nous engageâmes de son côté à obtenir une audience pour M. Balthazar.
À mon retour chez moi, je trouvai M. Siméon que le roi m'envoyait extra-officiellement pour confirmer son refus de voir M. Balthazar, pour me dire d'aller passer au cabinet et pour me prévenir de la réponse que Sa Majesté allait faire à M. le duc de Feltre. J'avais pensé que l'embarras de répéter à M. Balthazar toutes ses déclarations précédentes et la crainte d'être trop pressé par cet officier étaient les seules causes de ce refus; mais Sa Majesté ne m'a pas laissé ignorer que si elle accordait des audiences à un aide de camp de l'empereur, il n'en était pas de même d'un major aide de camp du ministre de la guerre. Et puisque dans un moment aussi grave le roi n'oublie point l'étiquette, il faudra bien, Monseigneur, dire un mot sur une petite contestation qui s'est élevée pendant que M. de Narbonne était ici. Le roi avait choisi le seul jour ou je pouvais espérer voir ce général à dîner chez moi, pour nous faire inviter à la table du maréchal de la cour. Je refusai, comme une lettre de M. le duc de Frioul m'en donnait le droit; mais comme M. de Furstenstein à qui nous avions dit nos raisons et qui s'était chargé de la négociation revint pour me dire que je ferais plaisir au roi en y allant, je déclarai que j'y voyais un ordre de Sa Majesté et je me rendis à la table du maréchal en laissant à la mienne ceux de mes convives que les ordres du roi ne m'avaient pas enlevés. Nous eûmes ensuite l'honneur de faire au cercle la partie de Leurs Majestés, d'assister au spectacle de la cour et de souper à la table de la reine.
Je reviens à mon sujet. Dans la conférence avec M. le comte de Höne, M. Balthazar a reçu l'assurance d'un approvisionnement de Magdebourg, au moins pour cinq mois, et de 18,000 hommes qui au 1er mai seraient à la disposition de Sa Majesté impériale. Quant aux magasins à former pour des armées, M. de Höne, ainsi que les autres ministres, en a déclaré l'impossibilité. Ce ministre n'a vu aucune difficulté à ce que le roi fît entrer dès à présent à Magdebourg le 9e régiment ainsi que plusieurs dépôts qui pourraient y recevoir leurs conscrits, il y a même vu des avantages. Mais étant allé le soir même en parler à Sa Majesté, il a trouvé que le roi avait de la répugnance à donner ces ordres immédiatement. Je ne doute au reste aucunement que ces ordres ne soient donnés dès que Sa Majesté l'empereur l'exigera.
Il me reste à rendre compte à Votre Excellence de ma conversation avec le roi. Sa Majesté m'a fait lecture de sa lettre à M. le duc de Feltre où, après avoir commencé par renouveler ses premières offres, elle déclare que, si Sa Majesté l'empereur le préfère, le roi fera l'approvisionnement de Magdebourg pour un an et pour 20,000 hommes; mais qu'alors il ne pourra mettre à la disposition de l'empereur que 6,000 hommes d'infanterie et 800 chevaux. «Je me chargerai ensuite, a-t-il ajouté, d'entretenir de mes propres moyens une force suffisante (de 4 à 5,000 hommes) pour la sûreté de ma personne et pour celle du pays, mais il me faudrait alors une garantie que ces troupes resteront à ma disposition et ne pourront m'être enlevées par aucun ordre.» Le roi parlait d'abord d'une convention, ensuite d'une promesse officielle et enfin d'une garantie quelconque.
La Westphalie n'avait pas assez de ressources pour faire à Magdebourg de grands approvisionnements et pour mettre en même temps sur pied une armée d'une vingtaine de mille hommes. Il fallait opter. L'empereur devait évidemment préférer qu'un de ses boulevards, Magdebourg, fût en état de faire une longue défense; Jérôme, qui savait bien que Napoléon finirait toujours par faire l'approvisionnement, était naturellement plus enclin à se créer une armée qui pût le défendre lui et son royaume.
Vers cette époque les armées ennemies gagnant du terrain vers le Nord, Jérôme commença à être inquiet pour la reine et désira son départ pour Paris. M. Reinhard écrivit à ce sujet au duc de Bassano.
Ayant eu à cette époque plusieurs conversations d'un certain intérêt avec le roi, le ministre en rendit compte par la lettre suivante au duc de Bassano, datée de Cassel 1er mars 1813, 3 heures après midi.
«Oui, a dit le roi, il y va de votre propre intérêt et je vous en avertis. Lorsque la Westphalie succombera de misère et que les habitants aimeront mieux se faire tirer des coups de fusil que de donner leur dernier morceau de pain, c'est à vous qu'on reprochera de n'en avoir pas fait connaître la véritable situation. Votre devoir est de dire la vérité, même au risque de déplaire, d'être rappelé, d'être disgracié: après trois mois on vous rendra justice.»
À ce discours qui a été très long, j'ai répondu que Sa Majesté impériale connaissait par moi et sans moi la situation de la Westphalie: que, lorsqu'il s'agissait de remplir mon devoir, je ne manquais ni de franchise, ni de fermeté; qu'assurément je n'avais rien dissimulé et de ce que le roi m'avait dit, et de ce que je pensais moi-même sur l'insuffisance des moyens de la Westphalie; qu'avant tout il importait de bien convaincre Sa Majesté l'empereur que toutes les ressources quelconques de ce pays étaient consacrées..... Ici le roi m'a coupé la parole.—«Eh! vous voyez bien, avec plus de trois mois d'approvisionnement pour Magdebourg, avec mon contingent entier à réorganiser, avec 40,000 hommes de troupes françaises dans le royaume.»
Je n'ai peut-être pas tort, Monseigneur, en considérant cette attaque personnelle que le roi m'a faite, comme une espèce de riposte à la lettre que j'avais écrite avant-hier à M. de Furstenstein. Aussi c'est avec calme que j'invoque le témoignage de toute ma correspondance avec Votre Excellence. Mais je me permettrai une seule observation. Quant au passé, je dirai avec vous, Monseigneur, qu'il est sans remède, mais quant au présent il serait possible que Sa Majesté impériale, frappée de quelques notions de détails que j'ai cru de mon devoir de donner, par exemple d'une réserve du trésor qui existait à la fin de l'année, de la prédilection du roi pour sa garde, des projets des fournisseurs, de leur intelligence avec des protecteurs, etc., en conclût que le roi ne veut pas faire en ce moment tout ce qu'il peut, ou que ses ministres sacrifient la célérité et l'ensemble du service à leur intérêt personnel. Je dois répéter ici, et je crois fermement que les circonstances sont devenues trop graves pour ne point les absoudre de cette accusation et que ce qui peut rester à leur charge est d'une faible importance en comparaison des dépenses immenses et simultanées qu'exige le moment actuel. Je dois particulièrement rendre au ministre de la guerre la justice d'assurer que, si c'est lui qui semble ralentir les opérations et qui passe des marchés onéreux, c'est précisément lui qui est le moins soupçonné de concussions ou de vues intéressées: que c'est un très honnête homme, très laborieux, très dévoué à l'empereur et au roi; mais que c'est un homme faible, susceptible de recevoir toutes les impressions qu'on lui donne, et seulement au niveau de sa place lorsque les événements le sont aussi. Enfin les fournisseurs refusent et voudraient être en dehors de leurs marchés, quelque avantageux qu'ils puissent être: et ce n'est pas là une grimace! Je crois que c'est tout dire.
Extrait d'une lettre du roi arrivée le 6 mars à 6 heures du soir, et adressée à l'ambassadeur de Cassel à Paris:
Les événements se pressent. La grande armée va être réunie derrière l'Elbe. 30,000 hommes et 3,000 chevaux sont à l'entour de Magdebourg. Passé le 15 mars, si l'empereur ne m'envoie pas d'argent, il me sera impossible de les nourrir. Il faudra qu'ils soient à discrétion chez l'habitant. Qu'en arrivera-t-il? Trois mois d'approvisionnement viennent d'être faits par la Westphalie. Le quatrième est sur le point d'être achevé.
Les contributions, entre autres, du département de l'Elbe ne rentrent presque plus. Si l'empereur ne nous fait pas payer quatre millions à compte sur ce qu'il nous doit, la marche du gouvernement se trouvera arrêtée tout-à-coup, et les suites en sont incalculables.
Mon peuple est bon: tant qu'il aura quelque chose, il le donnera. Mais quand chaque sujet se trouvera vis-à-vis de rien, n'ayant plus que le choix de mourir de faim ou d'un coup de fusil, il n'est pas douteux qu'il ne préfère courir la dernière chance.
Le roi ayant obtenu de l'empereur de faire partir la reine Catherine, Reinhard écrivit de Cassel le 8 mars 1812 au duc de Bassano:
D'après ce que le roi m'avait dit hier sur le départ de la reine, je ne m'attendais pas à lire dans le moniteur westphalien d'aujourd'hui que la reine partait pour Paris sur l'invitation de Sa Majesté impériale, et que ce départ aurait lieu après-demain. Le roi m'avait dit que Sa Majesté l'empereur l'autorisait à faire partir la reine, lorsque l'empereur Alexandre ou Kutusoff serait à Berlin ou à Dresde. Il est vrai que, par son courrier de retour, le prince vice-roi l'avait informé que, les Russes passant l'Oder en force et ayant déjà sur la rive gauche 80 pièces de canon, il se décidait à quitter la position de Berlin pour n'être pas coupé par sa droite.
Le préfet du palais, Boucheporn, partira demain avec une partie du service; mesdames de Bocholtz, de Furstenstein, de Pappenheim, d'Oberg, la princesse de Philippsthal, M. le comte de Busche, chevalier d'honneur, M. le comte d'Oberg, premier écuyer d'honneur de la reine, seront du voyage. Il y a en ce moment conseil des ministres.
On dit que c'est hier au soir que le roi, étant au spectacle, a reçu une lettre par le prince vice-roi, portée par un officier d'ordonnance de Sa Majesté impériale allant en courrier à Paris. Après le spectacle, M. Pothau a été appelé et les ordres ont été donnés. M. de Furstenstein assure que le roi n'a point reçu de lettre du vice-roi.
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, le 11 mars 1813.
La reine est partie hier après midi, à deux heures, par la route de Wetzlar. Le roi l'a accompagnée jusqu'à Wabern. La princesse de Philippsthal a obtenu la permission de rester, comme venant de se relever de ses couches et se trouvant encore indisposée. Le baron de Boucheporn, maréchal de la cour, l'a précédée: il a dû arriver à Paris quelques jours avant Sa Majesté.
Ce sont les nouvelles que M. Athalin avait portées de Berlin et du quartier général du vice-roi qui ont amené la détermination de ce prompt départ. Le roi m'a dit lui-même que deux heures avant l'arrivée de M. Athalin, lorsque j'avais eu l'honneur de voir Sa Majesté, il n'en avait pas encore eu la pensée. Le lendemain matin, le passeport d'un inspecteur des postes qui me fut porté pour être visé m'en donna le premier soupçon qui fut converti en certitude quelques minutes après, lorsque je reçus le moniteur westphalien annonçant que la reine partait sur l'invitation de Sa Majesté impériale.
Jérôme à Napoléon.
Cassel, 24 mars 1813.
Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté en date du 14 courant et je m'empresse de lui envoyer ci-jointe la copie du décret que j'ai signé et fait expédier depuis le 20. Elle y verra que tout ce qu'elle désire est fait, mais, Sire, je vous supplie de ne pas laisser succomber par le manque de quelques millions un pays tel que le mien, qui vous est d'une si grande utilité.
Le déficit sur les revenus du mois passé pour les départements de l'Elbe, de la Saale et de l'Oder est de trois millions, ce mois-ci il sera du double: nous sommes au 24 et 500,000 francs ne sont pas encore rentrés; cependant, Sire, confiant dans la parole de Votre Majesté, mon armée s'organise, tout se fait et se livre, mais le mois prochain rien ne pourra être payé, si Votre Majesté ne vient à mon secours.
À la fin de la semaine prochaine, 10 bataillons d'infanterie, plus 2,000 cavaliers bien montés et équipés et 24 pièces de canon pourront partir avec moi pour Brunswick et se porter jusque sur l'Elbe si Votre Majesté le désire.
M. Reinhard écrit tantôt que le roi ne veut pas de commandement, tantôt que le roi désire un commandement.
Le roi Jérôme désirait ardemment un commandement assez important pour que cette position le mît en relief. Doué d'une grande confiance en son aptitude militaire, et d'un amour-propre excessif, il ne mettait pas en doute qu'il ne fût aussi capable que le prince Eugène et tous les maréchaux de l'empire, sans en excepter un seul, de gagner des batailles et de rappeler la victoire sous nos drapeaux. Mais telle n'était pas l'opinion de l'empereur qui, tout en appréciant la bravoure et les belles qualités militaires de Jérôme, était loin de lui reconnaître le génie nécessaire à un chef d'armée. En 1854, lors de la guerre d'Orient, sous le second empire, le vieux prince crut un instant que son neveu lui donnerait le commandement en chef de son armée, attendu, disait-il, que lui seul en France avait l'habitude de la grande guerre et des grands commandements et était en état de remuer des masses.
Jérôme à Napoléon.
Cassel, 14 avril 1813.
Sire, je viens d'apprendre l'arrivée de Votre Majesté à Mayence et m'empresse d'envoyer auprès d'elle mon ministre des finances, il est plus à même que personne de faire connaître à Votre Majesté notre situation financière; elle est telle, Sire, que, depuis le 11, toutes les ordonnances qui ne sont pas pour la solde et les traitements ont été suspendues au trésor, et qu'à la fin du mois, je dois opter entre le paiement de l'armée ou celui des fonctionnaires publics. La suppression du paiement des ordonnances tirées par les ministres a fait un tel mauvais effet que l'habillement et le harnachement, la livraison des chevaux ont été totalement suspendus.
Je vous supplie, Sire, de ne point nous laisser tout à fait écrouler et de nous envoyer quelques millions afin de nous soutenir; quel chagrin pour moi, Sire, de me voir détruit par celui même qui m'a créé!
Bulletin.
Cassel, 12 avril 1813.
Le roi, informé par moi que M. le maréchal duc de Valmy envoyait quatre bataillons à Wetzlar sur les confins de la Westphalie et du grand duché de Berg, a désiré que M. le maréchal en envoyât deux autres à Marbourg et m'a chargé de lui faire connaître ce désir.
Le roi a passé la journée d'hier à Napoléonshöhe: le temps était magnifique. Le soir il y a eu spectacle et souper: la réunion était nombreuse. On disait que le roi avait voulu montrer qu'il n'avait pas fait emballer les meubles de ce château et qu'il avait voulu faire déballer aux dames peureuses leurs manteaux de cour.
On commençait à craindre les conspirations en Westphalie, principalement à Cassel, que l'ennemi savait fort mal gardé, et autour du roi, déjà à cette époque hors d'état de défendre sa résidence et son royaume.
Reinhard à l'Empereur.
Cassel, 8 mai 1813.
Le roi m'a fait communiquer par le général Bongars un rapport du sieur Delagrée, chef d'escadron de la gendarmerie westphalienne, concernant plusieurs mesures de précaution et de sévérité que M. le maréchal, prince d'Eckmühl, a prescrites au général Bourcier revenu à Hanovre après avoir vu le maréchal à Minden.
Le roi m'ayant fait appeler ensuite m'a fait lecture de la lettre qu'il se proposait d'envoyer à M. le maréchal. Sa Majesté déclare au prince qu'elle ne peut croire que de pareils ordres aient été donnés et qu'elle les regarde comme entièrement contraires aux intentions de Votre Majesté. Elle pense que si des mesures de sévérité sont nécessaires dans son royaume, elles doivent être prises par le souverain qui a déjà établi des commissions militaires à Wanfried (où quelques habitants avaient livré à l'ennemi quelques chevaux et un gendarme), à Lichtenau près Paderborn (où des voitures du roi et des voyageurs français avaient été insultés). Elle fait entendre que de pareils procédés pourraient la conduire à prendre un parti extrême, etc., etc.
J'ai cherché, Sire, à dissuader le roi de l'envoi de cette lettre. Les ordres du prince semblaient dater de la fin d'avril: peut-être renoncerait-il de lui-même à leur exécution. Il me paraissait préférable de notifier au général Bourcier que, s'il y avait des mesures à prendre, des coupables à punir dans son royaume, le roi s'en chargerait. Mais le roi me répondit que cette manière d'agir ne serait point généreuse, qu'elle compromettrait le général Bourcier qui était subordonné au maréchal; que, d'ailleurs, des troupes françaises étaient déjà arrivées à Hanovre et qu'il voulait que le prince s'expliquât catégoriquement sur les ordres qu'il avait donnés. Sa Majesté a désiré en même temps que je rendisse compte de cet incident à Votre Majesté. La lettre du roi au maréchal a dû partir hier par courrier; j'ignore si elle est partie. Quant à la ville de Hanovre et aux Hanovriens, l'enquête portera-t-elle sur leurs vœux et sur leurs espérances, ou sur leurs démonstrations et sur leurs actions? Tous les rapports de la police semblent les absoudre d'actions criminelles: l'ordre public n'a été troublé nulle part; les démonstrations mêmes ont été ou contenues ou réprimées; et si, dans une effervescence d'opinions, la responsabilité cesse d'être personnelle, la fidélité et l'obéissance ne suffiront plus pour discerner l'innocent du coupable.
Le roi Jérôme écrivit de Cassel, au commencement de juin 1813, au général Dombrowski à Wittemberg de se rendre à Hersfeld le 10 juin, et il lui dit:
«D'après les instructions que j'ai reçues de S. M. l'empereur, vous devez diriger vos deux bataillons d'infanterie et votre artillerie de Hersfeld par Rothembourg à Eschwege et vos deux régiments de cavalerie de Hersfeld sur Kreutzbourg, afin qu'ils puissent s'unir à moi et chasser l'ennemi de l'autre côté de l'Elbe.»
Le duc de Valmy, auquel Dombrowski soumit cette lettre en demandant des ordres à son chef immédiat, écrivit à l'empereur pour avoir ses ordres. Ce dernier manda à Berthier le 10 juin: «Le roi de Westphalie a écrit la lettre ci-jointe au général Dombrowski. Écrivez à ce général pour lui faire connaître la marche qu'il doit suivre.» Et en post-scriptum: «Écrivez au roi de Westphalie pour lui faire connaître l'inconvenance d'employer mon nom pour changer la direction de la marche des troupes; que cela peut mettre les généraux dans l'embarras; que c'est contraire à toutes les formes; que personne n'a le droit de prendre mon nom et de supposer que j'ai donné des ordres quand ce n'est pas.»
Bulletin de Reinhard.
Cassel, le 2 juin 1813.
On dit que les ennemis annoncent le projet de faire une pointe sur Cassel. Enflés par quelques succès, il ne serait pas en effet impossible qu'ils poussassent leur témérité à ce point. Il est vrai qu'avec ce qui est parti pour Minden nous aurions 4 à 5,000 hommes d'infanterie et environ 1,000 chevaux à leur opposer: mais quelles troupes et comment dirigées? Si cela continue, de surprise en surprise, ou même avertis mais mal informés, sans prudence, sans ensemble, nous serons détruits en détail.
Depuis plus de trois mois que le roi est à Napoléonshöhe, je n'ai eu l'honneur d'approcher de Sa Majesté qu'une seule fois. Mais M. de Furstenstein continue à être invisible: son cabinet est au salon de service. M. Siméon est toujours, M. de Höne, M. de Bongars sont tour à tour du voyage. M. de Höne avait été malade: il est retourné aujourd'hui à Napoléonshöhe. Il doit, dit-on, proposer au roi de mettre toutes ses forces disponibles sous les ordres du général Teste. Il est à prévoir que cette proposition ne sera point agréée. Le roi paraît se trouver de nouveau dans un de ces accès de dégoût où, se livrant à l'apathie, il cherche des distractions dans des plaisirs dont le secret n'est pas assez gardé pour ne point faire une impression fâcheuse sur le public. Je ne méconnais point ce qu'en ce moment la situation du roi a de pénible sous tant de rapports que je connais et peut-être sous quelques rapports que j'ignore: mais le travail et le dévouement surmonteraient facilement des peines qu'on ne se serait pas attirées soi-même, et ce sont ces dernières qui sont poignantes et qui découragent. Au milieu de tout cela, on se croit trop petit souverain avec deux millions d'âmes: on s'en sépare d'affection et d'intérêts. On est jaloux des conseils, on s'impatiente de la vérité. Voilà près de cinq ans depuis que Sa Majesté impériale a daigné me confier la mission de Westphalie; et laissant à part ce qui doit être imputé à des événements qui n'ont pas dépendu du gouvernement de ce royaume, je ne puis me dissimuler, je ne puis, quelque chagrin que j'en aie, dissimuler à Votre Excellence qu'en principes d'administration, en talents et en connaissances, en moralité surtout, les choses y sont toujours allées en empirant.
Bulletin.
Cassel, 20 mai 1813.
Une semaine passée en voyage à Napoléonshöhe me met à portée d'en décrire les usages et de rendre compte du genre habituel de vie que le roi a adopté dans cette résidence d'été.
Le costume de voyage est un petit uniforme bleu, brodé en argent, pantalon bleu et bottes à l'écuyère. On garde ce costume jusqu'à l'heure du dîner excepté les dimanches et jeudis, jours où tous ceux qui ont les grandes entrées paraissent au lever du roi.
La semaine de voyage commence dimanche au soir et finit le dimanche suivant après le spectacle. Les invités sont rarement au-dessus du nombre huit, quatre hommes et quatre femmes. Rarement les femmes et les maris sont invités ensemble. Dans la semaine passée, nous étions au nombre de six. Le ministre de la guerre, le baron de Schulte, conseiller d'État, la comtesse de Furstenstein, madame la comtesse de Jagow, femme d'un chambellan du roi, madame Chabert, femme du capitaine de la garde, madame de Schlicher, dame du palais, étaient de semaine.
Le lever a lieu vers les dix heures. À 11 heures, déjeuner; à 6 heures ½, dîner. Il n'y a rien de recherché, ni dans les plats, ni dans les vins; la table est bien servie, mais sans profusion. Le roi déjeune et dîne seul: il est cependant d'usage d'inviter une fois à dîner et une fois à déjeuner à la table de S. M. les personnes du voyage. Le déjeuner eut lieu à Schönfeld, petite maison de campagne du roi située entre le parc de Cassel et Napoléonshöhe, et le dîner à Mouland, petit village chinois bâti par l'ancien électeur et dont les maisons, encore en état de servir, viennent d'être réparées et remeublées avec une simplicité élégante.
Après le déjeuner, jusqu'à deux heures, promenade devant le château et entretiens du roi avec les personnes qu'il fait appeler. Après 2 heures, le roi se retire, ou bien il y a promenade en voiture. Pendant la semaine dernière, le roi a passé deux revues, l'une des grenadiers de sa garde et l'autre des cuirassiers: il a présidé une fois son conseil d'État. Il est allé deux fois à Cassel pour voir les travaux de son palais.
Lorsque le temps le permet, le roi dîne en plein air ou dans un petit pavillon du jardin de la reine. Après le dîner, on reste devant le château avec ou sans le roi. À 9 heures on se réunit soit dans les appartements de Sa Majesté, soit dans la petite salle de spectacle. Ces jours passés, il y avait un petit concert de trois ou quatre musiciens et jeu ou spectacle. Le jeu dominant, c'est le whist. Le genre de spectacle que le roi préfère, c'est la comédie. La petitesse de la salle de l'intérieur ne permet pas de donner de grandes pièces qui sont réservées pour le dimanche.
À 10 heures du soir, tout est fini et le roi se retire. Le roi est toujours aimable: on dirait cependant qu'il est devenu plus grave. L'ordre et la décence règnent partout. La table du maréchal est de dix-huit à vingt personnes.
La princesse de Löwenstein étant dans son huitième mois de grossesse a cessé de paraître à la cour. Elle vint cependant dimanche en robe du matin et partit le lendemain après avoir déjeuné avec le roi. Cette dame, par beaucoup d'esprit de conduite, s'est fait une existence à part qui ressemble un peu à celle d'une favorite en titre. Aucune des dames invitées ne pouvait avoir de prétentions.
On dit que le roi se souvient encore quelquefois de madame Escalonne qui avait été avec lui pendant sa dernière campagne de Pologne.
Sa Majesté prenait depuis quelques jours des bains pour lesquels on faisait venir l'eau de Pyrmont.
Le danger devenant de jour en jour plus imminent pour la Westphalie et pour Cassel, Reinhard, sur les instances de Jérôme, envoya au général Lemoine une dépêche pour qu'il vint à Cassel avec sa division. Cette mesure fut désapprouvée par Napoléon, qui fit écrire à Reinhard de Dresde, le 10 août 1813, par M. de Bassano:
Dresde, 30 août 1813.
L'empereur a pris lecture de votre lettre du 27, qui annonce que vous avez invité le général Lemoine à se porter avec son corps sur Cassel. Sa Majesté n'approuve point cette démarche: les circonstances n'exigent point un pareil mouvement; et la présence du corps du général Lemoine sur le Weser est trop nécessaire pour qu'il doive se déplacer légèrement. Ce général a ses instructions: il faut dans votre correspondance avec lui vous borner à l'instruire de l'état des choses et des nouvelles qui vous parviennent.
Le même jour, l'empereur écrivit de Dresde à Berthier: «Mandez à Lemoine de ne pas aller du côté de Cassel, de rester à Minden pour faire exercer ses troupes et former sa petite division. Que son premier but doit être de couvrir Wesel et qu'il est autorisé également à se porter sur Magdebourg si le général Lemarrois se trouvait avoir une garnison trop faible; enfin qu'il doit avoir de la troupe en observation sur le Weser; mais qu'il ne doit pas se remuer légèrement.»
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, 12 septembre 1813.
Le roi me dit à l'instant qu'il envoie un courrier à Sa Majesté impériale avec les nouvelles qu'il a reçues du côté de Brunswick. Ce ne sont à la vérité que des rapports de gendarmes, mais ils viennent de différents côtés: ils s'appuient et se confirment. Il paraît qu'un corps ennemi, qu'on porte à 15,000 hommes avec 16 pièces de canon et dans lequel se trouve de la cavalerie anglaise venant de Domitz, a passé l'Elbe le 9. On annonçait en même temps pour le 11 le passage d'un autre corps destiné à occuper Haarbourg, le prince d'Eckmühl étant revenu à Hambourg. Le roi transmet ces nouvelles directement à Sa Majesté impériale et lui demande des ordres éventuels.
Le général Lemoine doit avec son corps arriver aujourd'hui à Brunswick dont des patrouilles ennemies, depuis quelques jours, se sont approchées jusqu'à quatre lieues. Monseigneur le major général, en m'annonçant que Sa Majesté impériale n'avait point approuvé la lettre que j'avais écrite à ce général pour l'engager à venir couvrir Cassel, m'écrivit qu'il était nécessaire sur le Weser. J'ignore en conséquence si le mouvement qu'il fait sur Magdebourg où il est appelé par le général Lemarrois est conforme aux intentions de Sa Majesté. Je n'ai reçu de lettres, depuis plusieurs jours, ni de l'un ni de l'autre de ces généraux. J'ignore si le général Lemoine a emmené toutes les troupes, hors celles qui sont sous les ordres du général Laubardière et qui sont peu considérables.
En ce moment, Monseigneur, je suis moins rassuré que dans les jours du mois d'avril dernier, dans le cas où l'ennemi menacerait la ville de Cassel qui est certainement un point très important sous les rapports militaire et politique. Le roi pense que l'ennemi ne peut se hasarder à ce point, et ses raisonnements sont fort justes; mais nous vivons d'une crise pleine d'événements imprévus et je voudrais au moins voir le roi entouré, outre ses hussards, de quelque infanterie française[142].
Nous voici arrivé au moment de l'entrée à Cassel du général Tchernischeff et à l'évacuation de cette ville par Jérôme.
Cet épisode, raconté tout au long et dans les plus grands détails par le roi dans sa lettre du 4 octobre 1813 au ministre duc de Feltre, dans l'espèce de précis historique que M. Hugot fit alors avec M. Reinhard, l'est également dans une lettre du roi à l'empereur. Ce dernier document n'ayant pas trouvé place aux Mémoires de Jérôme, nous allons le donner ici, mais nous le ferons précéder de la dépêche suivante de M. Reinhard, laquelle contient une assez singulière conversation du roi:
Dès le 12, après avoir reçu des nouvelles alors exagérées des forces ennemies qui avaient passé à Danneberg, le roi envoya un courrier à Sa Majesté l'empereur pour demander des ordres éventuels sur ce qu'il devait faire, si l'ennemi menaçait sa capitale. Ayant appris les passages du côté de Dessau, que les rapports annonçaient comme étant ceux d'un corps d'armée entier, Sa Majesté me dit qu'elle n'avait point reçu et que probablement elle ne recevrait pas d'ordres de l'empereur, et me demanda ce que je pensais qu'il convenait de faire. Après plusieurs préambules, le roi me pressant toujours, je conclus qu'il faudrait se retirer quand le danger serait imminent et certain. «Mais, dit le roi d'un air assez délibéré, si je faisais comme les petits princes, si je restais? Mon intention est de rester.»—«Mais Votre Majesté s'exposerait.»—«Sans doute, dit le roi, il faudrait que l'ennemi le voulût.» Je changeai de conversation et quelque temps après je revins à la circonstance. Je citai le grand-duc de Toscane qui en 1799 avait voulu rester, et qui en 24 heures reçut l'ordre de partir. «Sa position, dit le roi, était différente de la mienne.»—«Oui, dis-je, peu de semaines auparavant, il avait payé deux millions pour sa neutralité.» J'ajoutai que, si l'ennemi permettait aux petits princes de rester, c'était dans l'espérance qu'ils embrasseraient ce qu'ils appellent la cause commune; «et c'est, dis-je, ce que Votre Majesté ne peut ni ne voudra faire.» La conversation en resta là, et je crus m'apercevoir que le roi était satisfait de ce que je venais de dire. Néanmoins, quelque soit l'intention avec laquelle il a mis cette idée en avant, elle m'a paru trop extraordinaire pour que je puisse me dispenser d'en rendre compte à Votre Excellence. Du reste, on prend au château des précautions à tout événement. Il y a même trois chevaux sellés pour le roi qui y entrent toutes les nuits.
Il est difficile d'admettre que la possibilité de rester dans ses États fût jamais passée par la tête du roi. Son attachement à la France et à son frère, la rectitude de son jugement, la loyauté de son caractère ne permettent pas de le supposer. Jérôme a dit depuis que Tchernischeff lui avait proposé de rester et qu'il avait repoussé avec indignation cette proposition[143]; mais ce qui ne permet pas d'admettre non plus que les souverains ligués contre Napoléon aient pu avoir cette pensée, c'est que le but avéré du général russe était de faire Jérôme prisonnier à Cassel.
Voici maintenant la lettre du roi, de Wetzlar, 29 septembre 1813.
Sire, le 24, j'appris que l'ennemi était entré à Mulhausen, avec 4,000 chevaux, 2,000 chasseurs et 16 pièces de canon; en même temps le général Lemarrois annonçait au ministre de France que 3 régiments d'infanterie russe, 800 chevaux et 12 pièces de canon avec lesquels une division s'étaient battue à Wollmerstadt se dirigeaient sur Brunswick. Il ne me parut plus douteux qu'ils ne voulussent faire une tentative sur Cassel. J'en prévins le duc de Valmy et l'engageai à faire passer par Cassel sa 34e colonne de marche forte de 3,200 hommes, en lui observant que, si mes craintes n'étaient pas fondées, cette colonne ne perdrait qu'un jour de marche et que, s'il en arrivait autrement, elle servirait soit à repousser l'ennemi de Cassel où j'étais décidé à l'attendre, soit à assurer ma retraite en cas de nécessité. Le 26, le général Bastineller qui observait dans le Harz les mouvements de l'ennemi m'annonça qu'il se portait au nombre de 7,000 hommes sur Eschwege, et le général Zandt qui était en position à Gœttingen me rendit compte en même temps que l'ennemi était entré en force dans Brunswick. Cependant, comptant sur l'arrivée de la colonne française que j'avais demandée au duc de Valmy, je fis mes dispositions de défense. Je donnai ordre au général Bastineller d'appuyer sa gauche à Witzenhausen et sa droite à Melsungen afin que l'ennemi ne pût intercepter la route de Francfort en passant le gué qui est près de ce dernier endroit.
Le général Bastineller ne put exécuter assez promptement ce mouvement, l'ennemi étant en forces devant lui. Il me rendit compte que 800 chevaux et 4 pièces de canon étaient parvenus à tourner sa droite et se hâtaient d'arriver sur Cassel. Le 27, je lui donnai l'ordre de prendre position en avant de Cassel. Le même ordre fut donné au général Zandt, mais l'ennemi les gagna de vitesse, renversa le même jour à 11 heures du soir les avant-postes qui étaient à Elsa et à Kauffungen et hier 28, à 4 heures du matin, j'en reçus la nouvelle. Je fis sur-le-champ prendre les armes au peu de troupes que j'avais avec moi. J'envoyai 25 hussards, 2 compagnies de chasseurs de la garde pour reconnaître l'ennemi, au milieu duquel ils se trouvèrent un quart d'heure après être sortis de la ville. Le brouillard était si épais que l'on pouvait à peine se voir à deux pas. Ce détachement se replia sur la porte de Leipsick en assez bon ordre, quoiqu'il eût perdu la moitié de son monde par l'artillerie ennemie. Deux pièces de canon que j'avais placées à la porte de Leipsick ripostaient vivement à l'ennemi dont les boulets traversaient la ville, mais ces deux pièces furent démontées en peu de temps et après une demi-heure de combat. Pendant ce temps, je faisais barricader le pont qui communique du faubourg à la ville. À peine cette opération fut achevée que l'ennemi enfonça la porte à coups de canon et vint braquer une pièce vis-à-vis du pont, ouvrit la prison d'État qui en est près et fit sortir tous les prisonniers. Je perdis sur ce point beaucoup de monde. Une partie de mes hussards, ne sachant point encore monter à cheval et n'étant point équipés, me demandèrent des fusils et défendirent ce pont, ma dernière ressource.
Pendant ce temps, 400 chevaux avaient passé la Fulde à gué et venaient par la porte de Francfort. Le moment était critique, je me mis à la tête de mes gardes du corps, de deux escadrons de hussards, je fis longer la rivière à mes grenadiers de la garde pour s'emparer du gué. Je sortis par la porte de Francfort. À peine avais-je fait deux cents pas qu'un peloton d'avant-garde m'annonça que l'ennemi était en bataille devant lui. Je m'avançai de suite au galop pour le reconnaître, mais le brouillard était si épais que je me trouvais au milieu de lui à pouvoir faire le coup de sabre; je le fis charger aussitôt par le 2e escadron de hussards pendant que je le faisais tourner par sa droite par les gardes du corps, afin de le rejeter sur les grenadiers qui occupaient déjà le gué. Cela me réussit, il fut mis en déroute et les grenadiers en tuèrent un bon nombre. Ce mouvement força l'ennemi d'évacuer la partie de la ville qu'il occupait du côté de la porte de Leipsick, craignant que je ne le prisse à dos en passant moi-même le gué, ce que j'étais loin de vouloir faire, étant convaincu que cette avant-garde allait être fortement soutenue.
Après avoir ainsi dégagé la ville, je pris position à une demi-lieue en arrière avec mes gardes du corps, mon bataillon de grenadiers et 400 hussards, les seuls qui fussent en état de se tenir à cheval et de donner un coup de sabre. J'attendis dans cette position, depuis 10 heures que le combat avait cessé jusqu'à 3 heures, espérant à chaque instant, mais en vain, voir déboucher les colonnes des généraux Zandt et Bastineller. Ne les voyant pas paraître, je renforçai les postes de la ville par une compagnie de chasseurs carabiniers et deux pièces d'artillerie et, comme l'ennemi remontait la Fulde pour arriver à Wabern avant moi, je me repliai sur Jesberg, décidé à m'y tenir et à attendre la colonne française que je ne doutais pas que le duc de Valmy m'envoyât. Quel fut mon étonnement en recevant à 10 heures du soir, par le retour de mon courrier, une lettre en réponse à la mienne, par laquelle le duc de Valmy m'annonce ne pouvoir prendre sur lui une pareille mesure. Dans cet état de choses, il ne me restait d'autre parti à prendre, ne pouvant point tenir chez moi ni compter sur des secours, que de me retirer vers Coblentz, mais je ne passerai point le Rhin avant de connaître les intentions de Votre Majesté.
Je réunirai mes troupes à Wetzlar. J'aurais préféré rester avec elles à Marbourg, mais l'esprit public y étant très mauvais, la désertion se mettrait parmi le peu de soldats qui me restent.
Il est bien entendu, Sire, que si j'apprenais que quelque corps français marchât pour me soutenir, je pourrais rentrer à Cassel dans peu de temps.
Mon régiment de hussards français s'est conduit pendant toute la journée d'hier avec beaucoup de valeur; j'ai dû malheureusement en perdre beaucoup qui, n'ayant pas l'habitude du cheval, tombaient en chargeant l'ennemi.
La correspondance de Reinhard et celle de M. de Malartie, son secrétaire de légation, du 10 octobre au 10 novembre 1813, feront connaître les événements qui eurent lieu en Westphalie pendant le dernier mois du règne de Jérôme, la rentrée du roi dans sa capitale et sa retraite définitive.
Malartie au duc de Bassano.
Coblentz, le 10 octobre 1813.
La lettre ci-jointe de M. le baron Reinhard instruira Votre Excellence de la résolution qu'il a prise de me faire partir hier matin pour Coblentz, afin que je fusse à portée de l'informer de la marche du roi et de l'époque présumée de son retour dans la capitale.
Je suis arrivé ici hier à midi; ce matin à 8 heures j'ai vu M. le comte de Furstenstein et le préfet du département.
Déjà beaucoup de serviteurs du roi sont retournés à Cassel. Je citerai entre autres le directeur général des postes, le préfet de police, le ministre des finances, l'intendant général du Trésor, l'intendant de la maison du roi.
Le roi a des nouvelles du général Allix qui a dû quitter Cassel avant-hier pour suivre le général Czernischeff. Sa Majesté a envoyé un courrier au général Allix pour lui ordonner de s'arrêter, mais je ne crois pas que le général ait besoin d'instructions à cet égard. Il n'a avec lui que 4,000 hommes et, si je me rappelle bien les conversations que nous avons eues souvent ensemble en pesant l'hypothèse que malheureusement nous avons vue se réaliser, son plan est de prendre position en avant de Göttingen, près d'Heiligenstadt, peut-être même du côté d'Halbertstadt; de s'éclairer avec le plus grand soin et de manœuvrer de manière à couvrir Brunswick et Cassel contre des attaques d'ennemis qui ne peuvent réussir que dans des coups de main et qui doivent être eux-mêmes tout étonnés de leurs succès passagers. Je fais seulement des vœux pour que la santé du général Allix se soutienne. Mais ce sont les mouvements de la grande armée et ceux du prince de la Moskowa qui décideront du sort ultérieur de la Westphalie.
Je ferai mon possible, Monseigneur, pour recueillir des détails exacts sur ce qui s'est passé à Cassel pendant l'occupation. Jusqu'à présent les rapports sont ou exagérés ou contradictoires. Le roi s'est montré bien douloureusement affecté de la conduite de quelques personnes qu'il avait comblées de bienfaits, et qui ont paru en avoir perdu le souvenir: mais on ne sait encore rien de positif.
Il est pour moi extrêmement délicat, Monseigneur, d'avoir à parler à Votre Excellence de la position gênée où se trouve le roi à Coblentz. Le bruit est que S. M. part ce soir et l'on fait des préparatifs dans sa maison. D'un autre côté, M. de Furstenstein a dit positivement à M. Duntzau et à moi que le roi ne partait point encore. Il m'a dit de plus que S. M. avait écrit à M. le duc de Valmy qu'il voulait savoir sur combien de troupes françaises il pouvait compter pour se maintenir dans son royaume et pour ne plus être exposé à en sortir. Je lui ai demandé si le roi avait des nouvelles de l'empereur. Oui, m'a-t-il répondu. «S. M. a de l'empereur une lettre du 4. L'empereur ne lui parle point de l'événement de Cassel. Il l'ignorait encore. Le roi ne peut pas concevoir cela.» Je n'avais rien à dire, Monseigneur, je me suis tu.
M. Duntzau, préfet de Coblentz, que je connaissais d'ancienne date, m'a paru sentir parfaitement l'importance de tous les différents devoirs qui lui sont imposés dans la circonstance présente. Sa douceur et son aménité lui ont procuré le bonheur de plaire au roi.
Mme la princesse de Löwenstein, la comtesse de la Ville-Illion, Mme de Furstenstein, Mme Chabert sont ici. Ces dames dînent avec le roi et S. M. passe la soirée avec elles et les officiers de sa maison.
Du reste, le roi vit d'une manière fort retirée.—J'ai dit à M. de Furstenstein que je suivrai ses conseils pour savoir si je devais demander que S. M. m'admît à l'honneur de lui faire ma cour.
Du 13, à dix heures du matin.
Le roi vient de partir. M. Duntzau a accompagné S. M. jusqu'aux frontières du département et est revenu enchanté de toute l'amabilité dont il a été comblé.
Le roi compte coucher à Wetzlar. Je le suivrai dans la journée. Je suis parti d'auprès de M. de Reinhard sans argent et sans voiture. Il faut que je m'occupe un peu de moi-même. D'ailleurs, il n'y a plus de chevaux à la poste. Mme de Löwenstein, Mme de la Ville-Illion, Mme de Furstenstein restent ici pour le moment. M. Siméon partira dans quelques jours pour Paris. Ce respectable vieillard ne quitte le roi qu'avec un regret qui fait autant d'honneur au souverain qu'au ministre. Surtout, quoique depuis longtemps il songeât au repos, ce n'était pas dans une circonstance critique qu'il eût voulu se séparer du roi dont il a vu poindre la jeunesse et auquel il a rendu tant de services essentiels. Le roi sentira peut-être trop tard que M. Siméon était un des appuis de son trône. Le peuple n'en est pas à le sentir. Je ne sais, mais la vieillesse de M. Siméon, de longtemps encore, n'approchera de la caducité, et si l'empereur rendait au ministre qu'il avait prêté à son frère l'honneur de siéger au conseil, il est à croire qu'il trouverait en lui un serviteur d'autant plus éclairé qu'un séjour de six ans en Allemagne a dû augmenter la masse de ses connaissances et donner à ses réflexions un nouveau poids.
M. de Wolfradt sera son successeur.
On m'a assuré, mais je ne voudrais pas garantir cette assertion, que M. de Czernischeff avait un plan exact du château qu'habitait le roi, qu'il est arrivé sans guide jusqu'à la chambre de Sa Majesté, et qu'il a dit que si un gendarme ne s'était pas échappé de ses mains il prenait le roi dans son lit[144].
À cette date s'arrête, dans les Mémoires du roi Jérôme, ce qui est relatif à ce prince en Westphalie.
Les mémoires ne reprennent qu'en 1814. Il nous a été possible, à l'aide de la correspondance diplomatique, de combler cette lacune.
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, le 18 octobre 1813.
Le roi a nommé le général Allix son lieutenant, parce qu'il ne croit pas pouvoir se mettre en personne à la tête de 4,000 hommes. Il regrette d'être revenu. Si l'ennemi marche de nouveau contre Cassel, ou si les troupes qui sont ici ont ordre de marcher ailleurs, il se retirera d'un pays mûri partout pour la révolte, et en attendant, lorsque tout est désorganisé, lorsque le service de S. M. I. exige qu'on ne s'occupe que de rassembler toutes les parties éparses pour pourvoir aux besoins les plus urgents de l'armée, il ne médite que des projets de vengeance! Ses premiers dignitaires sont arrêtés, exilés pour n'avoir pas toujours porté l'ordre, pour n'avoir pas suivi sa personne, etc. La commission nommée par Czernischeff, composée des hommes les plus estimables, fonctionnaires du roi, se dévouant à la circonstance, mais absolument incapables d'en sentir les difficultés, et commettant des fautes graves de forme, qu'on convertit en crimes de lèse-majesté, seront traduits à une commission militaire; son intention, j'en suis persuadé, est de faire grâce, mais il veut qu'ils soient condamnés à mort.
Ces pensées tout à fait étrangères au moment, qui exige d'autres soins, l'absorbent lui et son lieutenant. M. Siméon voulait revenir, c'est le roi qui n'a pas voulu, parce qu'il craignait d'en être contrarié. Toutes les prisons sont pleines. La terreur règne, et le seul excès criminel qui ait été commis l'a été par un étranger portant en poche un brevet de duc.
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, le 19 octobre 1813.
Il a fallu interrompre ma lettre d'hier pour me livrer aux visites, aux rapports, aux lamentations qui de toutes parts affluent autour de moi. Depuis les ministres du roi jusqu'aux particuliers, personne ne connaît le but de cette commission militaire appelée à juger la commission de Cassel nommée par l'autorité du conseil municipal sous l'autorisation du général russe. Pour m'éclairer enfin, je me suis décidé à aller directement chez le général Allix, unique moteur de cette mesure, puisque le roi l'a prise sur ses rapports et puisque c'est encore sur son rapport qu'elle a été maintenue hier au conseil des ministres.
Après une conversation de deux heures qui est devenue d'autant plus vive que je comprenais moins le général Allix se tournant toujours dans un cercle vicieux et n'osant pas prononcer le mot qui trancherait la difficulté, il s'est trouvé que tandis que d'après l'unanimité des rapports je n'avais vu dans tout ce qui s'est passé le 30, lors de la reddition de la ville, que la peur des bourgeois, craignant de voir leur ville et leurs maisons incendiées et convaincus de l'absurdité de défendre une place ouverte avec moins de 300 hommes de troupes, le général Allix posait en fait que Cassel avait été en pleine révolte. Ce fait posé, il n'y avait plus rien à dire, et la commission militaire était de droit. Mais malheur à l'homme capable de sacrifier en ce moment la vie d'une vingtaine d'hommes respectables et, par l'effet que cette procédure peut produire sur un peuple exaspéré, celle des Français dans le cas d'une seconde retraite, peut-être la sûreté du roi, peut-être les ressources les plus précieuses pour la grande armée à un amour-propre irrité.
Et que c'est là l'unique cause qui a fait établir comme principe la révolte de Cassel, le général Allix lui-même m'en a donné la conviction intime. Il m'est impossible, Monseigneur, d'entrer dans des détails dont la discussion entraînerait des journées entières: je dois pour cette fois me prévaloir de ma qualité d'honnête homme et d'homme de sens et demander à être cru sur ma parole. Aussi ne suivrai-je pas plus loin le général Allix. Je dirai seulement que tandis qu'il soutient que cette procédure est nécessaire pour l'exemple, je soutiens, moi, que les hommes dont il s'agit, eussent-ils mérité de perdre la tête, ce n'est pas le moment de les mettre en jugement.
Si après cela je disais que le général Allix a montré du zèle et du caractère en défendant la ville et surtout en s'empressant d'y rentrer, il faudrait dire aussi que le général Allix a laissé à une lieue de la ville, sous la garde d'une sentinelle, six canons que l'ennemi a enlevés le 28 avec leurs munitions, et que le commandement de 4 à 5,000 hommes de troupes françaises lui inspire des projets d'un écervelé.
Avant d'aller voir le général Allix, j'avais vu M. de Marienrode, qui m'a montré sur toutes ces affaires la même manière de penser que moi. Je lui ai demandé s'il avait déjà commencé l'envoi des trois cents quintaux de farine par jour demandés pour Erfurth. Il m'a répondu qu'il en avait fait la répartition entre les départements en omettant ceux qui dans ce moment étaient hors d'état d'y contribuer, mais qu'il ne lui avait pas encore été possible de faire commencer les livraisons.
Les contributions ne rentrent plus, les contribuables demandent qu'on aille les chercher. Depuis son retour le roi n'a pu réunir cent mille francs dans son trésor. Les préfets craignent de donner des nouvelles des mouvements de l'ennemi. La présence du roi et le devoir de garder sa personne et sa capitale paralysent l'activité de nos troupes. Il ne les commandera point, il ne s'en séparera point. J'apprends cependant que M. le duc de Feltre a écrit au comte de Salha que ces troupes doivent être sous les ordres immédiats du roi. J'ai trouvé le roi beaucoup plus calme aujourd'hui qu'hier, comme s'il avait reçu des nouvelles de S. M. I. Il en recevait en ma présence du général Amey qui lui annonce l'entrée de Tettenborn à Brême le 15. Un bataillon suisse s'y est rendu par capitulation. Il sera conduit en France. Un second bataillon s'est retiré avec le général Lauberdière sur Leipzig.
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, le 24 octobre 1813.
Le roi m'a fait appeler hier soir à onze heures. Le colonel Lallemand venait d'arriver. Il avait laissé S. M. l'empereur le 18 sortant de Leipzig à la tête de sa garde impériale. Il était arrivé à Erfurth au milieu des troupes qui revenaient. Il s'était glissé à Gotha à travers les cosaques. Il m'a porté votre lettre du 6 octobre, que je conserverai éternellement comme le mouvement le plus touchant et le plus honorable de votre bienveillance et de votre intérêt.
L'intention du roi est de se retirer à Marbourg après avoir reçu des nouvelles de S. M. impériale, à moins qu'il ne soit forcé de le faire plus tôt. Il a distribué les 8,000 hommes en colonnes mobiles, en gardes pour sa personne, et en garnison pour Cassel. Il est à craindre que les événements ne permettent pas à Sa Majesté impériale de les lui laisser plus longtemps. Prévenu par M. de Feltre qu'elles devaient être sous son commandement immédiat, il en a donné le commandement sous ses ordres au général Rigaut, qui est ici. Le général Allix, blessé de se le voir ôter, a fait de nouvelles folies. Elles ont indisposé le roi qui lui a donné sa démission; cet homme pourrait devenir notre perte; en ce moment, il est nécessaire de l'écarter de toute influence politique.
Aucun mouvement sérieux ni combiné n'a éclaté en Westphalie. Mais nous sommes cernés partout. Un nouveau corps de 10,000 hommes avait dirigé, dit-on, sa marche sur Cassel. Il l'a suspendue. Les cosaques occupent toute l'autre rive de la Werra. Il en arrive des patrouilles nocturnes jusqu'à quelques portées de fusil de la ville. L'ennemi est devant Minden; on s'y est fusillé au pont, mais il ne paraît pas assez nombreux.
Que dire? que faire? Ah! si nous pouvions avoir un mot de S. M. impériale. Nous savons du moins qu'elle se porte bien. Ma conduite est simple. C'est de partager la destinée du roi.
Reinhard au duc de Bassano.
Cassel, ce 25 octobre 1813.
Le roi, décidé à quitter Cassel, soit à cause des inconvénients de la guerre, soit à cause des embarras de l'administration auxquels il ne peut remédier, informé en outre ce matin par le général Rigaut que l'ennemi est réuni en force à Duderstadt, prendra demain la route d'Arolsen et ensuite celle de Paderborn et de Lippstatt, au lieu de la route de Wabern et de Marbourg qu'il était résolu de prendre encore ce matin. Je précéderai S. M. de quelques heures, surtout parce qu'avec ses troupes et à cheval elle prendra une route peu praticable pour les voitures. Cette lettre partira après notre départ et je l'écris au clair, parce qu'il serait possible que lorsqu'elle rencontrera Votre Excellence, elle ne se trouvât pas à portée de ses archives. Mon cœur est oppressé, mais le courage et la confiance ne m'ont point abandonné.
Reinhard au duc de Bassano.
Arnsberg, dans le grand-duché de Darmstadt, 28 octobre 1813.
J'envoie cette lettre sous le couvert de M. le duc de Valmy; et comme, lorsqu'elle parviendra à Votre Excellence, vous aurez reçu celles que, depuis notre retour à Cassel, je vous avais adressées par l'entremise de M. d'Hédouville, je ne remonterai dans mon récit qu'à la veille du second départ du roi de sa capitale. Ce ne sera même qu'un très court résumé, en attendant la direction que Votre Excellence me donnera pour les rapports qu'il me reste à lui faire.
Dès que le roi eut appris par le colonel Lallemand les événements militaires jusqu'au 18 et l'arrivée du prince de la Moskowa à Buttelstadt, il se décida d'autant mieux à partir de Cassel, que d'un côté il se sentait favorisé par l'embarras de ses finances auquel il ne pouvait remédier, et que d'un autre côté les rapports qu'il recevait mettaient hors de doute qu'un nouveau corps ennemi aussi nombreux était en marche sur Cassel.
Dans la matinée du 26, jour du départ, le canon fut distinctement entendu à Cassel à deux et à six heures. À six heures, le roi partit de Napoléonshöhe à cheval, précédé et entouré des troupes qu'il avait désignées pour former sa garde, et qui étaient composées d'un bataillon d'infanterie légère, de 2 à 300 grenadiers de la garde, de 60 gardes d'honneur, d'une compagnie de cuirassiers, d'une de dragons, tous Français, et d'environ cent gardes du corps, Westphaliens.
Les premières mesures avaient été prises pour se retirer par Marbourg. Le roi préféra ensuite la route directe de Cologne ou de Dusseldorf par les montagnes. Celle qui conduit de Napoléonshöhe à Arolsen étant impraticable pour les voitures, le roi, comme je n'ai pas l'habitude du cheval, m'engagea à prendre la route de poste et me chargea de dire au prince de Waldeck qu'il désirait d'être reçu sans cérémonie et de pouvoir être à Arolsen comme s'il était chez lui. J'avouerai, Monseigneur, que je ne trouvai aucune difficulté à porter la cour de Waldeck à se conformer aux désirs de S. M. Le roi prétend savoir que, lors de la première apparition des Russes, le prince a fait avec eux un traité de neutralité. Quoi qu'il en soit, la peur de se compromettre et le malaise où l'arrivée du roi mettait cette petite cour se sont montrés par plusieurs traits, dont quelques-uns dans d'autres circonstances mériteraient d'être relevés.
Nous trouvâmes à Arolsen les ministres de Saxe et de Darmstadt. Le premier, qui y était avec sa famille, paraissait décidé à ne point retourner encore en Saxe, le second manifestait le désir de se rendre promptement auprès de son maître.
Le 27, le roi partit à 7 heures du matin par Jadsbrogne pour Bridsove dans l'ancien duché de Westphalie, route de neuf à dix lieues, par des chemins presqu'impraticables. Aujourd'hui, S. M. est arrivée par Meschede à Arnsberg, capitale du même duché. Demain, elle se rendra à Iserlohn, dans le grand-duché de Berg, sept lieues; après demain, sept lieues, à Hagen, où elle attend ses équipages qui viennent par Paderborn, Lippstadt et Hamm. Le 31, on ira à Lennep, neuf lieues, et le 1er novembre à Cologne.
Les trois journées depuis Cassel ont été fatigantes pour les troupes, aussi l'infanterie est-elle restée à Meschede. Ce sera à Hagen que les troupes se trouveront toutes réunies.
Le roi n'a eu, à ma connaissance, de nouvelles directes de Cassel que par une seule lettre du général Rigaut. Ce général n'avait plus laissé d'avant-poste qu'à Liebenau; il comptait évacuer Cassel aujourd'hui en se retirant par Paderborn; c'est par cette route que s'est retiré tout ce qui n'a pas suivi le roi. Les ministres sont partis comme nous, mardi 26, mais à six heures du soir. Le lendemain, M. de Malartie est arrivé avec eux à Paderborn. Une escorte de 250 hussards Jérôme-Napoléon les accompagnait; dès qu'ils ont été passés, les paysans ont commencé à commettre des excès; quelques Français ont été pillés.
Le général Allix est parti pour la France.
Le 25, le prince d'Eckmuhl était encore à Ratsbourg. Le 21, le général Lauberdière était rentré à Bremen.
J'expédierai, Monseigneur, cette lettre d'Iserlohn et j'y ajouterai, s'il y a lieu, ce que la journée de demain pourra apporter de remarquable.
Le roi n'ayant reçu à Iserlohn aucune nouvelle et la poste n'étant pas partie, je continue ma lettre d'ici, où S. M. est arrivée à quatre heures du soir. Ses équipages l'avaient jointe à Hagen. Elle avait fait à cheval, heureusement, par un temps assez beau, toute cette route, où nous avons passé par les chemins les plus abominables que j'aie jamais rencontrés.
Le général Wolff et le colonel Verges, partis le 24 d'Eisenach d'où ils ont encore ramené 50 cavaliers du beau régiment des chevau-légers, sont arrivés aujourd'hui de Cassel, qu'ils avaient quitté dans la matinée du 27. Alors tout y était calme; le général Rigaut ne paraissait pas encore disposé à partir et l'ennemi, qui s'était avancé contre lui, paraissait avoir pris une autre direction.
Le comte Beugnot est arrivé de Dusseldorf pour prendre les ordres du roi. Ce matin encore, l'intention de S. M. était de se rendre directement à Cologne; j'ignore si elle en a changé. Comme demain les troupes doivent se réunir et se reposer à Elberfeld, il est possible que le roi passe aussi la journée dans cette vallée si remarquable par les enchantements que l'industrie et la liberté du commerce y avaient produits.
Le roi étant en correspondance suivie avec M. le duc de Valmy et ne m'ayant pas prévenu de l'envoi de ses courriers ni de ses officiers, dont l'un a été expédié au roi de Naples, je dois d'un côté supposer Votre Excellence déjà instruite du voyage de S. M., et les cinq jours depuis notre départ de Cassel s'étant passés en route, sans événements et sans nouvelles, j'ai d'un autre côté jugé inutile de prendre une voie extraordinaire pour vous transmettre des détails sans intérêt.
J'apprends à l'instant que M. le comte Beugnot est reparti subitement pour Dusseldorf et qu'il doit revenir demain, j'en conclus que le roi aura pris la résolution de partir pour Dusseldorf, où il pourra en même temps très convenablement laisser ses troupes.
Ce 31.
M. le comte Beugnot est retourné hier à Dusseldorf, parce que dans les circonstances actuelles et chargé de l'approvisionnement de Wesel, il ne peut guère s'en absenter. Le roi passera la journée ici. Il est un peu incommodé, mais demain il se rendra droit à Cologne.
J'ai reçu des nouvelles de M. de Malartie de Lippstadt. Il est parti de Cassel le 26 après les ministres et après avoir mis ordre à tout ce dont je l'avais chargé. Il a prouvé que si, lors de la première surprise, il n'avait pas encore l'habitude du danger, il lui avait été très facile de la prendre; et j'ai lieu d'être satisfait sous tous les rapports de sa conduite.
J'ai reçu aussi de Mme la princesse de Detmold une lettre qui est un document très convenable de son dévouement à la Bavière et à la cause de S. M. l'empereur. Les deux officiers français dont j'ai parlé à Votre Excellence, chargés d'organiser le contingent de la Lippe et partis de Cassel le 20, ne sont arrivés à Detmold que le 25. Votre Excellence pensera sûrement qu'en ce moment leur mission a cessé d'être utile.
Le roi paraît persuadé que le général Rigaut a évacué Cassel le 27. S. M. craint qu'il ne se soit trop pressé.
J'éprouverai, Monseigneur, un bonheur extrême en recevant les premières nouvelles qui m'annonceront votre heureuse arrivée à Mayence. J'attends soit à Cologne, soit auprès du roi, si S. M. quitte cette ville, les ordres que vous aurez la bonté de me faire parvenir.
Reinhard au duc de Bassano.
Cologne, le 3 novembre 1813.
Le roi est arrivé à Cologne le 1er à quatre heures du soir; je l'ai suivi de près. Hier sont arrivés les comtes de Höne, de Wolfradt, de Marienrode, M. de Bongars, etc., qui avaient pris la route de Paderborn. M. de Malartie, qui était avec eux, est arrivé ce matin. Je viens de voir le roi après M. de Rumigny, auquel S. M. était très impatiente de parler. Elle avait reçu hier une lettre de M. le duc de Valmy, écrite au nom de S. M. impériale, et qui lui annonçait que M. le duc de Tarente allait prendre le commandement des troupes sur toute la ligne du Rhin depuis Mayence jusqu'à Wesel. Le roi m'a dit qu'il attendrait certainement M. le maréchal à Cologne, mais informé par M. de Rumigny que S. M. impériale partait pour Paris, il m'a montré un grand désir de la suivre dès que M. le duc de Tarente aurait pris le commandement. Ce sera une chose à concerter entre S. M. et S. Exc.
Quant à la mission de M. de Rumigny, il n'est que trop douteux s'il pourra la remplir dans toute son étendue. Le roi m'a dit que le général Amey, réuni au général Lauberdière, a quitté Minden, que les avant-postes et l'arrière-garde du général Rigaut ont déjà été attaqués par les Russes à Lippstadt, j'ignore quel jour, probablement le 31, et que le prince d'Eckmuhl ayant demandé à se retirer sur le Rhin, l'ennemi lui a répondu qu'il fallait se rendre prisonnier. M. de Rumigny écrit en ce moment à Votre Excellence, chez moi. Il continuera ensuite sa route par Wesel. Les affaires de la conscription avaient conduit M. le préfet de la Roer à Cologne. Le roi l'a trouvé ici. Les lettres dont M. de Rumigny est porteur pour lui lui ont été remises. Il les a lues en notre présence, et à chaque paragraphe il a dit que c'était fait.
Le roi a congédié la plupart de ses gardes du corps qui l'avaient suivi jusqu'à Cologne. Avant de quitter Cassel, il leur avait laissé la liberté de le suivre ou de rester. Cependant en route, lorsqu'on approchait du Rhin, plusieurs, même les officiers, avaient déserté. Les Westphaliens qui restaient avaient demandé la permission de retourner chez eux. Refusée d'abord, elle vient de leur être accordée.
Le roi attend décidément M. le duc de Tarente à Cologne. Si, comme on nous l'assure, l'ennemi est à Montabaur, il est à craindre que M. le maréchal ne s'arrête à Coblentz.
Reinhard au duc de Bassano.
Cologne, le 5 novembre 1813.
Le roi est parti ce matin à neuf heures pour Aix-la-Chapelle. J'ai vu S. M. hier en sortant d'une longue conférence qu'elle avait eue avec M. le duc de Plaisance, qui était arrivé la veille et lui avait porté une lettre de S. M. impériale. Il résulte de ce que le roi m'a dit que S. M. impériale ne désire point qu'il choisisse le moment actuel pour se rendre à Paris, et qu'elle préfère que le roi établisse sa résidence provisoirement dans l'un des quatre départements du Rhin. Le roi, après avoir conféré avec M. le préfet de la Roer, s'est décidé pour Aix-la-Chapelle. Dans le commencement de sa conversation avec moi, S. M. disait qu'elle y passerait deux ou trois jours; vers la fin, elle a parlé de trois semaines ou d'un mois, et comme l'ordre a été donné d'y louer pour le roi une maison entière, je ne doute point que son intention ne soit d'y attendre les directions ultérieures de son auguste frère.
Bassano à Reinhard.
Mayence, le 4 novembre 1813.
Je n'apprends qu'en ce moment que S. M. l'empereur a écrit de Westphalie au roi par M. le duc de Plaisance, que son intention est que S. M. s'établisse dans un château des départements de la Save, de la Roer ou du Rhin-et-Moselle et qu'elle y fasse venir la reine. Les dispositions de S. M. à cet égard sont précises, et elle désire que le roi ne s'en écarte point. Elles sont déterminées par des considérations telles que si le roi ne s'y conformait pas, l'empereur serait obligé de prendre, même envers sa personne, des mesures pour en assurer l'exécution. S. M. juge convenable que vous vous expliquiez avec le roi à ce sujet, en mettant dans cette explication toutes les formes et tous les ménagements possibles. Le but sera rempli si le roi est bien persuadé des intentions bien positives de l'empereur.
L'empereur a été également mécontent de ce que le roi a fait et de ce qu'il n'a pas voulu faire. Il ne veut pas donner à Paris et à la France le spectacle d'un roi détrôné qui, dans son malheur, n'a pas la consolation d'avoir laissé des amis dans le pays qu'il a gouverné. Il ne permet pas au roi de venir à Mayence. Le roi n'ayant jamais voulu suivre les conseils de l'empereur ni faire aucune des choses qui importaient si entièrement à son intérêt et à celui de sa couronne, ses entrevues avec S. M. ne pouvaient, d'après de telles dispositions, qu'être pénibles et sans objet.
La reine, par la conduite qu'elle tient à Paris, a déplu à l'empereur. Le roi préviendra des désagréments et de nouveaux chagrins dans sa position actuelle, en faisant venir la reine près de lui.
S. M. a su récemment, et n'a pu l'apprendre qu'avec mécontentement, que la reine s'occupe avec des gens d'affaires à acheter pour le roi des maisons de plaisance aux environs de Paris, et notamment le château de Stains. D'après le statut de famille, un prince sur un trône étranger ne peut rien posséder en France sans la permission de l'empereur. Les projets du roi sont donc irréguliers. Ils sont d'ailleurs l'objet de la risée publique. On comprend difficilement comment un roi dans sa position, et lorsque la France n'est occupée que des sacrifices à faire pour soutenir l'honneur national, se livre à des projets qui lui sont personnels.
Ce qu'il y a de mieux dans les circonstances actuelles, c'est que ni le roi ni la reine ne fassent parler d'eux. Moins ils feront de bruit, mieux cela vaudra. Le roi est à sa place dans un département voisin de ses États. Il serait, par exemple, d'une manière très convenable au château de Bruhl. La manière d'être la plus simple et l'attitude la plus modeste sont les convenances impérieuses du moment. S. M. fait sans doute une grande différence entre le roi de Westphalie et le roi d'Espagne; cependant elle a voulu que ce dernier ne vînt point à Paris, restât à Mortefontaine, n'y vît ni les ministres, ni les sénateurs, ni aucun des fonctionnaires publics, et se tînt dans l'incognito le plus complet.
S. M. m'a ordonné d'entrer avec vous dans ces détails pour votre gouverne. Elle a pour but que le roi sache bien à quels désagréments il s'exposerait en s'écartant de ses volontés. Usez du reste de ces communications avec prudence et pour prévenir des fautes contre lesquelles S. M. devrait sévir; mais ayez soin de n'aigrir ni humilier personne. S. M. s'en repose sur votre tact et votre excellent esprit.
Reinhard au duc de Bassano.
Cologne, le 6 novembre 1813.
Le courrier qui m'a apporté les deux dépêches de Votre Excellence, datées du 4, m'a trouvé à ma campagne, où j'étais allé ce matin avec l'intention de revenir ce soir. Ma lettre d'hier vous aura informé, Monseigneur, que le roi est parti hier pour Aix-la-Chapelle. J'ajouterai qu'il avait envoyé le maréchal de sa cour pour y louer une maison pour un mois, aux conditions dont il était convenu avec M. le préfet du Roer et, comme il paraît, après avoir fait tomber M. le duc de Plaisance d'accord avec lui sur la convenance de ce séjour. Quant à la reine, le roi m'avait dit lui-même que S. M. impériale lui avait écrit qu'il était le maître de la faire venir auprès de lui s'il voulait.
Ce qui m'importe le plus, Monseigneur, c'est d'être assuré que le roi ne quittera pas Aix-la-Chapelle avant que je ne me sois acquitté auprès de S. M. des ordres que j'ai reçus de Votre Excellence. Malgré la certitude qui paraît résulter des données que je viens d'exposer, je serais parti cette nuit même si M. le préfet de la Roer, précédé d'un courrier, ne partait pas demain matin, et dans l'impossibilité où je prévois que je serais d'aller plus vite que lui, je suis convenu avec lui de lui remettre une lettre pour M. de Furstenstein, que son courrier portera dès le moment de son arrivée, et qui, je n'en doute point, produira l'effet que je désire, dans le cas même, si improbable qu'il soit, où le roi, changeant encore de résolution, aurait voulu quitter Aix-la-Chapelle après-demain.
Par ce moyen, je gagnerai la journée de demain pour remplir l'autre commission dont Votre Excellence m'a chargé. Attendu la difficulté de trouver des hommes propres aux genres d'informations que vous demandez, je regrette infiniment de n'avoir pas reçu vos ordres seulement deux fois vingt-quatre heures plus tôt. J'aurais alors pu retenir quatre ou cinq gendarmes westphaliens, gens éprouvés et Allemands, que le roi a congédiés et qui ont repassé le Rhin hier. Je fais en ce moment prendre des informations pour connaître tous les Westphaliens de cette classe, ou à peu près, qui peuvent encore se trouver à Cologne. Je laisserai M. de Malartie ici pour suivre cet objet pendant mon absence à Aix-la-Chapelle, où peut-être je trouverai moi-même une partie de ce que je cherche.
Reinhard au duc de Bassano.
Aix-la-Chapelle, le 9 novembre 1813.
Hier, après mon arrivée, je suis allé voir M. le comte de Furstenstein; il me suffisait d'avoir encore honoré le roi. Je me suis borné à dire à son ministre que les instructions de S. M. I. étaient positives sur deux points: le premier que le roi élirait pour sa résidence quelque château situé dans un des trois départements de la Roer, de la Save et de Rhin-et-Moselle, et le second que S. M. fit venir la reine auprès d'elle. M. de Furstentein m'a dit que le roi me recevrait à son lever.
Je m'y suis rendu, il n'y a point eu de lever. Le général Wolff venait d'arriver de Mayence. À onze heures j'ai obtenu d'être annoncé et le roi m'a fait dire qu'il me recevrait à une heure.
Il est deux heures. Le roi m'a reçu avec une espèce de cérémonial. Je suis entré en matière en lui disant exactement ce que j'avais déjà dit à M. de Furstenstein; j'ai ajouté que, d'après ce que S. M. m'avait dit elle-même, ce que renfermait la lettre de Votre Excellence devait déjà en grande partie lui être écrit. Le roi m'a répondu que quant au choix de sa résidence, le général Wolff, parti de Mayence soixante heures après ma dépêche, lui avait porté des propositions différentes, et qu'il lui était impossible de faire venir la reine aux avant-postes. J'ai insisté sur les deux points; j'ai dit que les instructions de S. M. I. à cet égard étaient positives et dictées par des considérations de la plus haute importance et que j'avais l'ordre de le déclarer. J'ai répliqué à plusieurs observations que le roi avait faites, comme par exemple qu'il était toujours souverain, et peut-être le seul souverain resté fidèle, qu'on voulait attenter à sa liberté personnelle, aux droits qu'un mari avait sur sa femme, etc. J'y ai répliqué, dis-je, avec modération, et par des raisonnements fort aisés à trouver, mais le roi s'est emporté de plus en plus.—«Au surplus, a-t-il continué, c'est une affaire de famille entre l'empereur et moi; et si l'empereur vous charge de me dire quelque chose, adressez-vous à M. le comte de Furstenstein.»—«C'est à Votre Majesté, ai-je dit, que j'ai été chargé de faire connaître les volontés de l'empereur, et puisque c'est une affaire entre lui et V. M., elle ne voudra pas y faire intervenir un tiers. Il me suffit au reste que V. M. ait bien entendu la mission dont j'étais chargé, et il ne me reste qu'à rendre compte de la réponse qu'elle vient de me faire. Mais V. M. me permettra-t-elle de lui dire qu'il est impossible que ce qu'elle a entendu de moi et ce qui est si pleinement dans les convenances politiques et dans les vôtres, sire, ait produit sur elle l'effet que je vois?»
Alors le roi m'a dit: «Oui, j'ai le cœur plein d'amertume et je ne le montre qu'à vous. Je sais qu'on traite en ce moment de mon royaume, qu'on en traite sans moi, et peut-être on l'a déjà cédé. J'ai demandé comment le roi le savait. L'empereur l'a dit, ou à peu près, au général Wolff, et je le sais encore par d'autres sources. Comment l'empereur justifiera-t-il ce procédé envers un souverain et frère si fidèlement dévoué, aux yeux de l'Europe?»—J'ai répondu qu'aux yeux de l'Europe le roi ne pouvait jamais avoir raison contre l'empereur, que supposé qu'il fût vrai, qu'il fallût céder, ce que le frère de l'empereur perdait, l'empereur le perdait également, et que c'était peut-être le moment de lui rappeler que dans d'autres époques il m'avait souvent témoigné que la couronne lui pesait.
Dans une autre occasion, je me suis permis de lui dire qu'en ce moment S. M. ne devait pas s'étonner si S. M. I. considérait moins ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Ce mot a changé la tournure de la conversation.—«Oui, a dit le roi, l'empereur est dans un moment malheureux; il est contrarié, je le sens; aussi n'écrivez rien qui puisse déplaire. Je ne défends que mes droits personnels.»—Quant aux propositions portées par le général Wolff, le roi m'a parlé du château de Pont où S. M. I. lui permettrait de se rendre lorsqu'il le demanderait. «Cette retraite, m'a-t-il dit, conviendrait à la reine et beaucoup moins à moi, qui préfère Aix-la-Chapelle; pour appeler la reine près de lui, c'est le château de Laeken (près Bruxelles) qui réunit toutes les convenances; jamais mon intention n'a été de me rendre en ce moment à Paris, etc.»
La poste me presse, Monseigneur, je n'ai ici ni estafette ni courrier hors celui que m'offre le roi. Je réserve pour demain plusieurs particularités.
En résumé, je dois dire que le roi me paraît décidé à ne point faire venir la reine à Aix-la-Chapelle. Quant au séjour de Pont, ses objections m'ont paru faibles; mais j'ai écarté toute discussion à ce sujet comme étant étrangère à ma mission.
J'ai dit au roi tout ce qui pouvait se dire dans les limites de ma mission et dans la situation actuelle de son âme. J'ai d'ailleurs pu me convaincre que ce qu'il avait appris par d'autres sources ne lui permettait point de se méprendre sur l'esprit de mes instructions et qu'il n'ignorait pas même ce qui concerne la nécessité éventuelle des mesures à prendre contre sa personne.
Reinhard au duc de Bassano.
Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.
À peine ma lettre de ce jour avait-elle été envoyée à la poste pour Mayence, que le roi m'a fait appeler pour me dire qu'un de ses courriers avait rencontré S. M. I. à Verdun, et qu'il lui avait parlé. Il paraît que l'intention du roi est d'aller à Pont, comme d'après ce que S. M. m'a dit hier. Elle en avait reçu la proposition de S. M. l'empereur par le général Wolff. Quant à moi qui ne connais que mes ordres, je ne puis faire autre chose que de les répéter au comte de Furstenstein et de mettre sur sa responsabilité personnelle ce qui pourrait se faire de contraire aux instructions de S. M. I. dans une circonstance où le roi m'assure que des indications postérieures qu'il a reçues de S. M. I. ont rendu mes instructions superflues. Ce ministre sort de chez moi. Je dois rendre justice à sa manière de voir, à ses alarmes, à ses efforts. Je porterai cette lettre à S. M., qui est pressée d'envoyer son courrier; je la lui lirai, je la conjurerai d'attendre au moins une lettre de son auguste frère, qui ne saurait tarder. Dieu veuille que nous soyons écoutés.
Reinhard au duc de Bassano.
Aix-la-Chapelle, 10 novembre 1813.
Il était évident que le roi avait différé de me recevoir pour se recueillir après les nouvelles que lui a portées le général Wolff et pour prendre une détermination préalablement à son entretien avec moi. Je me flattais qu'il aurait renoncé au château de Laeken et que la seule question importante serait de savoir si S. M. I. consentait à ce que le roi restât à Aix-la-Chapelle. Je ne prévoyais aucune difficulté sur le voyage de la reine. M. de Furstenstein avait déjà parlé à Cologne de la proposition d'habiter le château de Brühl. Deux considérations importantes ont empêché le roi de l'occuper: l'une qu'il n'est qu'à la distance d'une petite lieue des bords du Rhin, et qu'il aurait fallu une force armée pour mettre S. M. à l'abri des incursions des partisans; l'autre que le château n'est pas meublé et se ressent fortement de l'abandon total où l'a laissé le prince d'Eckmuhl depuis qu'il en est possesseur. Si le roi était venu l'habiter, ma maison de campagne, ancienne dépendance de ce château, aurait servi d'avant-garde, et je me serais trouvé fort heureux d'être le voisin et en quelque sorte le vassal de Sa Majesté.
Lorsque j'ai parlé au roi de quelque château dans les trois départements indiqués et voisin de ses États, il m'a parlé de châteaux voisins de Paris. «C'est précisément des châteaux voisins de Paris que l'empereur ne veut pas que l'on habite en ce moment-ci. L'empereur sait qu'on s'y occupe déjà des acquisitions de châteaux pour V. M., ce qu'il trouve irrégulier à cause du statut de famille et inconvenable dans les circonstances actuelles.»—«Le statut de famille, me répondit le roi, n'a pas empêché le roi d'Espagne d'habiter Mortefontaine.»—«Mais il l'aura acquis de l'agrément de l'empereur et il l'habite sans voir personne et dans le plus grand incognito; c'est même ce que je suis chargé de représenter à V. M.»—«Sans voir personne? Le roi d'Espagne va seulement coucher toutes les nuits à Paris et ce n'est pas pour conjurer, c'est pour s'amuser. Jamais je ne ferai venir la reine à Aix-la-Chapelle: 500 cosaques peuvent arriver par Dusseldorf, rien ne les en empêche. La place de la reine n'est pas aux avant-postes, tandis qu'à Laeken elle est à quatre-vingts lieues du Rhin.» J'ai répondu que les cosaques n'arriveraient point plus facilement à Aix-la-Chapelle qu'à Laeken. «Oui, c'est comme quand on était à Dresde, on disait qu'ils ne passeraient pas l'Elbe. Si l'empereur veut que je fasse venir la reine, pourquoi ne fait-il pas venir l'impératrice?»—«Parce que l'impératrice est chez elle et que la reine est chez l'empereur, qu'elle en reçoit l'hospitalité et qu'elle ne peut pas la recevoir malgré lui.»—«Eh! bien, je lui ordonnerai d'aller chez elle; je la suivrai, mais ce sera moi seul qui commanderai à ma femme. Je sais que je suis sous la puissance du plus fort; mais on sait que j'ai du caractère; je m'exposerai plutôt à une esclandre, et il faudra que celui qu'on m'enverra pour me forcer soit bien ferme sur ses étriers. Que l'empereur attende encore quinze jours, et il verra ce qu'il peut se promettre des autres membres de sa famille. Je vois des traîtres (comme ce roi de Suède) affermis sur leur trône, et moi seul, constamment resté fidèle, je perds le mien. On m'a fait des propositions pour rester à Cassel; je les ai rejetées; l'empereur le sait, il l'a dit au général Wolff. (Si Votre Excellence a reçu ma dépêche no 527 du 22 septembre, elle y aura trouvé le récit d'une conversation avec le roi qui semble s'y rapporter.) Je pourrais passer le Rhin aujourd'hui, je pourrais retourner dans mes États, et j'y serais bien reçu!» Je me suis borné à répondre que S. M. serait bien malheureuse séparée de l'empereur comme une branche de son tronc[145].
C'est lorsque le roi me vantait les services qu'il avait rendus à S. M. I. que je lui ai dit qu'en ce moment l'empereur considérait moins ce que le roi avait fait que ce qu'il n'avait pas fait. Soit adresse, soit promptitude, le roi a pris pour un assentiment ce qui était un reproche, et je n'ai pas jugé convenable de contrarier le changement de ton qui s'en est suivi.
J'ai pensé, Monseigneur, qu'il importait à Votre Excellence de connaître à fond les dispositions actuelles de l'âme du roi. Je puis l'assurer qu'elle était telle antérieurement à sa conversation avec moi; peut-être même était-ce son dessein de me la montrer exaltée; d'ailleurs il s'est assez dit des paroles (le roi lisait des lettres que lui a portées le général Wolff) pour m'expliquer ce qui se passait en lui. Je l'ai laissé calme, écartant l'attitude du roi vis-à-vis du ministre, parlant de son auguste frère avec des expressions et des sentiments où j'ai retrouvé sa raison et son cœur et espérant tout d'un délai de quelques jours.
Le roi me disait hier qu'il était toujours roi, toujours souverain. «Souverain, ai-je répondu, V. M. ne l'est pas ici.»—«Oui, je le suis ici, et même plus qu'à Cassel.» J'ai résolu de ne plus aller à la cour que lorsque le roi me ferait appeler. Je me suis défendu à Cassel de l'habitude des salons de service dont M. de Furstenstein est le pilier. Il paraît qu'il a voulu me la faire prendre hier, mais il me trouvera indocile. Ces petites considérations n'influent certainement pas sur ma manière de traiter les affaires; mais depuis Cologne les choses ont été poussées assez loin pour qu'il soit bon que Votre Excellence en soit informée. La manière dont ce favori était avec le roi pendant le dernier voyage était assez curieuse. Il boudait visiblement à cause des disgrâces que le roi aurait fait éprouver à son frère et à la famille de son frère; il prenait même la liberté de contredire et d'aller quelquefois en voiture lorsque le roi voulait impitoyablement qu'il allât à cheval. Le roi le caressait en l'agaçant. Pendant les repas il lui lançait des boulettes de pain; il l'appelait traître et perfide. Enfin la paix a été faite.
Il paraît que tous les officiers restés en arrière sont actuellement réunis autour du roi. Les généraux Lajou, Zandt, comte de Wittenberg et plusieurs autres officiers sont arrivés après avoir quitté le général Rigaut à Elberfeldt. Ils espèrent tous d'entrer au service de S. M. I. et je crois qu'en général l'acquisition sera très bonne. Ce sont des Français, à l'exception de six ou huit Allemands dont la fidélité a été éprouvée par les événements.
De tous ces officiers, le seul qui m'ait paru jouer un rôle maussade, c'est le capitaine-général de gardes.
Le prince de Löwenstein, pauvre prince, pauvre mari, pauvre officier, est auprès du roi en qualité de premier chambellan, à cause de la princesse son épouse, seule dame à la suite de S. M. Le comte de Furstenstein la craint, et il la dit très méchante, très intéressée, et il peut avoir raison; il croit qu'il sera bien difficile de l'éloigner du cœur du roi, et en effet c'est la seule femme de la cour qui se soit toujours conduite avec adresse et en poursuivant un but qu'elle est parvenue à atteindre.
Le roi a fait vendre à Cologne, au plus vil prix, un assez grand nombre de chevaux, parmi lesquels était un bel attelage de six chevaux qui ont été vendus pour 1,900 fr. On a vu avec regret que dans ces ventes on avait compris les chevaux des gardes du corps, que le roi renvoyait après leur avoir fait ôter leurs uniformes, que plusieurs étaient hors d'état de remplacer par d'autres habits, et sans leur faire payer la solde qu'il avait cependant touchée du trésor. C'est désespérés de ce délaissement et se proposant de le publier partout que ces jeunes gens sont partis.
Le général Bongars est encore ici, quoique réduit à une parfaite nullité. Il avait amené cinq gendarmes qu'il a été obligé de mettre à la disposition du comte de Malsbourg, grand écuyer. J'en ai demandé quelques-uns au roi, pour m'en servir pour la commission dont Votre Excellence m'a chargé. Le roi me les a refusés, disant qu'il en avait besoin pour escorter ses bagages. Toutes les communications entre les deux rives du Rhin étant déjà à peu près rompues, je crains que M. de Malartie ne trouve beaucoup de difficultés pour remplir les vues de Votre Excellence. Les correspondances de commerce sont les meilleures; je lui ai indiqué quelques maisons, mais je me suis convaincu qu'il vaudra mieux profiter des nouvelles qu'elles reçoivent pour leur compte que d'effaroucher leur pusillanimité en leur demandant des services directs. M. le duc de Tarente m'a promis aussi de faire connaître à M. de Malartie ce qui parviendrait à sa connaissance. Ici nous sommes sans nouvelles, le roi lui-même n'en a point.
Reinhard au duc de Bassano.
Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.
Je viens de recevoir un billet officiel de M. le comte de Furstenstein qui me prévient que le roi partira cette nuit pour Pont-sur-Seine. J'ai l'honneur d'en transmettre la copie à Votre Excellence, ainsi que celle de ma réponse. C'est tout à fait malgré moi que j'ai écrit dans cette circonstance pénible et délicate, mais le roi m'y a forcé. Si je n'eusse pas répondu au billet de M. de Furstenstein, il aurait pris tout ce qui s'était passé verbalement pour de vaines paroles. Il a fallu employer pour le retenir, s'il était possible, le seul moyen qui me restait.
Voilà, Monseigneur, ma mission terminée. Peut-être les circonstances nouvelles justifieront-elles l'impatience du roi. Mais il est malheureux qu'il n'ait pas voulu sentir ce qu'il devait au moins aux apparences pour montrer le prix qu'il mettait à sa couronne. C'est là encore ce que je m'étais efforcé de lui représenter; mais, pénétré de l'idée qu'on traitait de la cession de son royaume, il s'est surtout irrité, non contre la proposition de résider dans un des trois départements désignés, mais contre le motif comme étant voisin de ses États.
Je n'ai rien à ajouter à ma lettre d'hier. Je ne prendrai pas congé du roi, à moins que S. M. ne me fasse appeler.
P. S.—J'apprends par le ministre de la guerre (car je ne suis point allé aujourd'hui à la cour et je n'ai point vu M. de Furstenstein) que le roi laisse ici sa maison avec tous les services, sous la direction de M. le comte Marienrode (Malchus).
Le nombre des officiers venus avec le roi ou venus le joindre, et devant toucher leur solde, est de quatre-vingt-treize. Ils seront tous payés jusqu'au 1er novembre. M. Höne estime à soixante-dix le nombre de ceux qui demanderont à servir en France.
On attendait aujourd'hui les ennemis à Deutz, vis-à-vis de Cologne.
Copie du billet de M. de Furstenstein.
Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.
J'ai l'honneur de prévenir V. Exc. que le roi mon maître se mettra en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine, appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur[146].
Reinhard au comte de Furstenstein.
Aix-la-Chapelle, 11 novembre 1813.
Je viens de recevoir le billet que V. Exc. m'a fait l'honneur de m'écrire pour me prévenir que S. M. le roi se mettra en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine appartenant à S. A. I. Madame Mère, ce lieu ayant été jugé convenable pour la résidence du roi par S. M. l'empereur. Après les communications verbales que j'ai eu à faire à V. Exc. et après la connaissance que j'ai eu l'honneur de donner directement à S. M. des intentions de l'empereur mon maître, il ne me reste qu'à répéter que les volontés de S. M. I., telles que M. le duc de Bassano me les a fait connaître par une dépêche du 4 novembre envoyée par courrier, sont positives sur deux points; le premier que S. M. s'établisse dans un château des départements de la Sarre, de la Roer ou du Rhin-et-Moselle; et le second qu'elle y fasse venir la reine. Cette dépêche ajoute que les intentions de S. M. impériale sont déterminées par des considérations telles que, si le roi ne s'y conformait pas, l'empereur serait obligé de prendre des mesures pour en assurer l'exécution.
Mon devoir, Monsieur le comte, se bornait à faire bien entendre à S. M. que telles sont les volontés de son auguste frère. Je ne puis m'écarter de ce devoir, quelles que soient les communications directes que le roi a pu recevoir depuis. Après avoir satisfait, dans cette circonstance pénible, autant qu'il était en moi, à ma responsabilité et à ma conscience, il ne me reste qu'à rendre compte à mon gouvernement de la détermination que le roi a prise.
Le brusque départ de Jérôme de l'armée en 1812, après l'ordre secret de l'empereur dont le prince d'Eckmülh s'était si brutalement prévalu, avait irrité Napoléon contre son frère au point de l'empêcher d'avoir pour lui les mêmes égards qu'autrefois.
Les lettres du baron Reinhard, empreintes d'une grande vérité, ses rapports secrets n'étaient pas de nature à ramener l'harmonie entre les deux frères. Napoléon n'écrivait plus que très rarement, et pour les affaires de politique et de guerre, à Jérôme. Il lui refusait les moyens de soutenir, de sauver la Westphalie, ne s'attachant qu'à la conservation des places-fortes (comme celle de Magdebourg) qui pouvaient jouer un grand rôle dans son système.
À la fin de 1813, la désobéissance du roi aux ordres qu'il lui avait fait donner par le duc de Bassano pour sa résidence, ordres dont Jérôme s'était affranchi, malgré tout ce qu'avait pu faire et écrire l'empereur, le froissa de plus en plus. Les choses en arrivèrent à ce point que ce dernier ne voulut recevoir à Paris ni son frère ni la reine Catherine, qu'il aimait et estimait beaucoup.
Jérôme partit d'Aix-la-Chapelle avec quelques personnes de sa suite le 11 novembre 1813, malgré les représentations du baron Reinhard, pensant bien que Napoléon n'userait pas de violence pour le retenir. Il passa quelques instants au château de Pont-sur-Seine chez Madame Mère et rejoignit sa femme chez le roi Joseph, au château de Mortefontaine, près Senlis.
Le 29 novembre, il fit demander à l'empereur de le recevoir. L'empereur refusa. Alors Jérôme, qui avait fait l'acquisition du joli château de Stains, près Saint-Denis, une des causes, on l'a vu, qui avaient mécontenté l'empereur, fut avec sa femme y fixer sa résidence.
Napoléon quitta Paris pour se rendre à l'armée. L'impératrice Marie-Louise lui ayant témoigné le désir de voir Jérôme, il lui défendit de recevoir le roi et la reine de Westphalie. L'impératrice adressa le 4 février 1814 à Joseph, lieutenant-général du royaume, la lettre ci-dessous:
Paris, 4 février 1814.
Mon cher frère, je reçois à l'instant une lettre de l'empereur du 2 qui me défend, comme réponse à la mienne, de recevoir sous aucun prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public ni incognito.
Je vous prierai donc, mon cher frère, de leur peindre tous les regrets que j'ai de ne pouvoir les voir demain et de croire à la sincère amitié avec laquelle je suis, mon cher frère,
Votre affectionnée sœur,
Signé: Louise.
Joseph, ayant demandé à Napoléon quelques jours plus tard de lui faire connaître ses intentions à l'égard de Jérôme, reçut la lettre suivante:
Nogent-sur-Seine, le 21 février 1814.
Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie. Je l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation que je donne à tous les princes français; vous le ferez connaître au roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme hollandais. Le roi Jérôme donnera des congés à toute sa maison westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester en France. Le roi présentera sur-le-champ à ma nomination trois ou quatre aides-de-camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, tous Français; et pour la reine deux ou trois dames françaises pour l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans des lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen et l'autre tiers au lycée de Paris. Immédiatement après, le roi et la reine seront présentés à l'impératrice et j'autorise le roi à habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la reine continueront à porter le titre de roi et de reine de Westphalie, mais ils n'auront aucun Westphalien à leur suite. Cela fait, le roi se rendra à mon quartier-général, d'où mon intention est de l'envoyer à Lyon prendre le commandement de la ville, du département et de l'armée, si toutefois il veut me promettre d'être toujours aux avant-postes, de n'avoir aucun train royal, aucun luxe; pas plus de quinze chevaux; de bivouaquer avec sa troupe, et qu'on ne tire pas un coup de fusil qu'il n'y soit le premier exposé.—J'écris au ministre de la guerre et je lui ferai donner des ordres. Il pourrait, pour ne pas perdre de temps, faire partir pour Lyon sa maison, c'est-à-dire une légère voiture pour lui, une voiture de cuisine, quatre mulets de cantine et deux brigades de six chevaux de selle; un seul cuisinier, un seul valet de chambre avec deux ou trois domestiques, et tout cela composé uniquement de Français. Il faut qu'il fasse de bons choix d'aides-de-camp; que ce soient des officiers qui aient fait la guerre et puissent commander des troupes, et non des hommes sans expérience comme les Verduns, les Brugnères et autres de cette espèce. Il faut aussi qu'il les ait tout de suite sous la main. Enfin il faudrait voir le ministre de la guerre et se consulter pour lui choisir un bon état-major.
Votre affectionné frère.
La rapidité avec laquelle se précipitèrent les événements pendant le mois de mars 1814 empêcha sans doute Jérôme de se rendre à l'armée de Lyon. Il se trouvait encore à Paris lors du départ de l'impératrice pour Blois le 29 mars. Il la suivit, ainsi que Catherine qui ne voulut pas la quitter, et n'abandonna Marie-Louise que quand cette princesse se fut remise elle-même avec le roi de Rome aux mains de son père l'empereur d'Autriche, à Orléans, le 9 avril. Le 10, la reine Catherine revint à Paris pour voir le prince royal de Wurtemberg, son frère, qui, à Cassel, avait été comblé par elle et par son mari. Le prince ne voulut pas la recevoir, et le vieux roi leur père fit demander à Catherine par son ambassadeur, le comte de Wintzingerode, d'abandonner son mari. Indignée d'une telle proposition, la reine répondit par un refus énergique à cette singulière ouverture.
Elle ne trouva un bon accueil qu'auprès de son parent l'empereur Alexandre. La proposition du roi de Wurtemberg à sa fille ayant fait comprendre à cette vertueuse princesse ce que l'on tramait contre elle et contre son mari, elle ne songea plus qu'à rejoindre ce dernier. Jérôme de son côté partit pour la Suisse et de là gagna Trieste, dans les États autrichiens. La reine Catherine quitta l'hôtel du cardinal Fesch dans la nuit du 17 au 18 avril, accompagnée du comte de Fürstenstein et de la comtesse de Bocholz. Des voitures de suite portaient ses domestiques et ses bagages. Elle se dirigea vers Orléans. Arrivée la nuit à Étampes, elle y trouva un message de son mari la prévenant que, menacé par le parti royaliste, il avait cru prudent de s'éloigner au plus vite et qu'il se rendait à Berne, où il lui donnait rendez-vous. Catherine continua sa route.
En passant à Dijon, elle rencontra l'empereur conduit à l'île d'Elbe, y reçut ses derniers embrassements et gagna Nemours le 21. Le 22 avril, en arrivant au relai de Frossard, elle fut arrêtée et complètement dévalisée par le marquis de Maubreuil, l'ancien officier aux chevau-légers westphaliens, l'ancien écuyer du roi Jérôme, l'amant de Blanche Carrega. Forcée de revenir une fois encore à Paris, la malheureuse princesse ne put se réunir que plus tard à son mari.
Tous deux se trouvaient à Trieste avec le jeune prince dont la reine venait d'accoucher (frère aîné de la princesse Mathilde et du prince actuel Jérôme-Napoléon) lorsqu'on apprit dans cette ville, au mois de mars 1815, le débarquement de l'empereur sur les côtes de France et son retour à Paris.
Trompant la surveillance de la police autrichienne, Jérôme, décidé à rejoindre à tout prix son frère, s'embarqua sur un petit navire, et à la suite de mille dangers, après avoir vu Murat à Naples, il parvint auprès de Napoléon qui, cette fois, l'accueillit avec bienveillance et lui donna le commandement de la 6e division (2e corps, général Reille) par une décision impériale en date du 3 juin. Le général de division Guilleminot, un des meilleurs officiers d'état-major de l'armée, fut désigné pour remplir les fonctions de chef d'état-major de la division Jérôme. L'ex-roi de Westphalie reçut deux jours plus tard la lettre suivante de Napoléon:
Au prince Jérôme.
Paris, 5 juin 1815.
Mon frère, j'ai reçu votre lettre; je ne puis pas consentir à ce que vous paraissiez à l'armée française entouré d'Allemands. De tous ceux qui sont avec vous, vous n'en pouvez conserver qu'un qui sera votre écuyer[147]. Je leur donnerai des grades et des traitements en France. Envoyez au ministre de la guerre leurs états de service. Vous aurez un maréchal de camp pour premier aide-de-camp, et deux chefs de bataillon et quatre capitaines pour aides-de-camp; vous n'avez pas besoin d'officiers d'ordonnance.
Après la bataille de Waterloo (18 juin), pendant laquelle le prince Jérôme déploya une grande énergie et la plus brillante valeur, ce prince, fortement contusionné par une balle, fut un instant investi par son frère du commandement en chef des débris de l'armée, dont il rallia quelques tronçons. Il vint ensuite à Paris. Là, traqué, recherché, il fut sauvé par Fouché, ministre de la police, qui, sachant le danger qu'il courait et étant lié avec lui, lui procura les moyens de passer à l'étranger et de rejoindre la reine.
De la fin de 1815 à la fin de 1847, Jérôme resta en exil quasi-prisonnier tantôt en Wurtemberg, tantôt sur le sol autrichien, puis dans les États pontificaux, enfin à Florence, en Suisse et en Belgique. Sa femme lui donna une fille (la princesse Mathilde) en 1820 et un fils (le prince Napoléon-Jérôme) en 1823. Il blâma la conduite de ses neveux les deux fils du roi Louis dans l'affaire des Romagnes contre le pape, de qui sa famille avait reçu le plus sympathique accueil.
Voici, relativement à cette affaire, quatre lettres qui nous ont paru intéressantes. Elles sont adressées par Jérôme à ses neveux les princes Napoléon et Louis (ce dernier depuis l'empereur Napoléon III), au roi Louis leur père, à la reine Hortense et à la duchesse de Rovigo, avec laquelle l'ex-roi était resté en relation épistolaire.
Jérôme aux princes Napoléon et Louis.
Rome, 25 février 1831.
Mes chers neveux, cette lettre vous sera remise par le baron de Stölting, qui vous entretiendra de toute la position actuelle. C'est avec le plus profond chagrin que j'ai appris qu'envisageant mal votre position et celle de toute votre famille, vous vous êtes laissé entraîner au milieu du mouvement. Que dirait l'empereur s'il pouvait voir ses neveux, destinés à être un jour le soutien de sa dynastie, payer l'asile que le saint-père accorde à toute sa famille en s'armant contre ce même souverain et en compromettant ainsi le sort de ses parents!
Songez, mes chers neveux, au chagrin, à l'affliction de votre père et mère, de votre respectable grand'mère, si vous persistiez dans une démarche où un moment d'enthousiasme a pu vous entraîner, mais que la raison comme la politique vous font une loi d'abandonner.
Je vous en conjure, écoutez la voix d'un vieux soldat et d'un oncle qui vous aime comme ses propres enfants et qui ne vous conseillerait pas une démarche contraire à l'honneur ni à votre caractère d'homme.
Songez que ce n'est que de cette manière que vous devez entrer dans la carrière des armes; le temps viendra peut-être où vous pourrez le faire avec honneur, et alors, si vous persistiez dans votre démarche, vous vous ôteriez tout moyen de reparaître un jour sur la scène politique avec honneur, et vous vous attireriez la malédiction de vos parents.
Adieu, mes chers neveux, je nourris l'espoir que vous ne vous refuserez pas à suivre les conseils d'un oncle qui vous chérit tendrement.
Jérôme au comte de Saint-Leu.
Rome, 26 février 1831.
Mon cher frère, aussitôt que M. Bressieux m'a rendu compte de la position de vos enfants à Spoletto, je n'ai pas balancé à faire une démarche que vous eussiez faite à ma place pour mes enfants. Je me suis, sans perdre de temps, rendu chez le pape et le secrétaire d'État; j'ai été vraiment touché de la manière dont Sa Sainteté et son ministre ont envisagé la question; ils étaient non seulement au courant de tout, mais encore m'ont appris que le prince Louis avait eu la veille un petit engagement à Otricoli, et que le fils du prince de Canino s'était enfui de la maison paternelle.
J'ai représenté à S. S. que les princes se rendaient au-devant de leur mère, lorsqu'à Peruggia, ils ont été reconnus et se sont laissé entraîner par l'enthousiasme populaire, mais sans préméditation de leur part ni sans plan arrêté, puisqu'ils se trouvent manquer des objets les plus nécessaires. J'ai prié S. S. de me donner des passeports pour le baron de Stölting, que j'ai expédié sur-le-champ avec une lettre pour les princes que vous trouverez ci-jointe, ainsi que pour les colonels Armandi et Sircognani que je connais particulièrement. Je fais remettre en même temps aux princes les fonds nécessaires pour retourner à Florence, ayant appris par M. Bressieux qu'ils en étaient dépourvus.
J'espère, mon cher frère, avoir rencontré votre approbation en accomplissant ce que j'ai considéré comme mon devoir, quelle qu'en puisse être l'issue. Le cardinal a écrit une lettre dont le baron de Stölting a été également chargé.
Madame, qui est très affligée de ce qui se passe, me charge de vous dire qu'elle n'écrit pas par ce courrier, mais que sa santé est bonne.
Le prince Jérôme écrit le même jour à la reine Hortense deux mots dans le même sens.
Jérôme à la duchesse de Rovigo.
Rome, 15 mars 1831.
..... Les troupes du pape sont à Civita-Castellana au nombre de 2,000 hommes, que l'on peut compter comme autant de troupes pour les constitutionnels. L'enthousiasme depuis Bologne jusqu'à Otricoli est incroyable; s'il y avait des armes, déjà 60,000 hommes seraient en ligne.
Vous serez bien étonnée, chère duchesse, de savoir que c'est ce même Sircognani que vous ayez vu si souvent faire votre partie d'écarté qui est le héros du jour. C'est lui qui fait trembler Rome et qui, probablement avant une dizaine de jours, y entrera. On aime le saint-père, qui le mérite sous tous les rapports; mais on exècre le gouvernement des prêtres, lesquels, s'ils venaient à triompher, commettraient les plus horribles cruautés. Pendant un instant qu'ils ont cru à l'entrée des Autrichiens, ils ne parlaient que de pendre, fusiller et confisquer. Qu'arrivera-t-il de tout cela, Dieu seul le sait!
Quant à moi, je me tiens absolument éloigné de tout ce mouvement et suis un observateur impartial, qui voit, entend et juge sans jamais émettre une opinion. Lorsque le temps viendra de se montrer avec honneur, ce ne sera jamais que comme Français, d'autant plus qu'il m'est clairement démontré que c'est à notre belle patrie que chacun en veut. J'espère qu'elle sortira triomphante de cette lutte et apprendra au monde que c'est elle qui doit donner la loi et non la recevoir.
La mère de mes neveux (la reine Hortense) s'est rendue à Bologne pour les conduire en Suisse.
Jérôme à la duchesse de Rovigo.
Rome, 31 mars 1831.
C'est avec un bien vif chagrin que vous et votre famille aurez appris la mort de notre cher Napoléon; il a expiré à Forli le 17, par suite d'une rougeole méconnue. Son frère le prince Louis seul était auprès de lui, sa malheureuse mère n'étant arrivée que le lendemain. Elle est à Ancône avec le seul fils qui lui reste; où ira-t-elle? je l'ignore. Depuis un mois, les communications directes avec les Marches étant interrompues, c'est par suite de tous ces troubles que les lettres de Pompeï ne vous seront pas parvenues.
Les insurgés se sont battus contre les Autrichiens devant Forli avec quelque avantage; ils ont fait une capitulation avec le cardinal Benvenuti qui se trouve à Ancône, mais cette capitulation n'a pas été ratifiée. À Modène, on fusille, on pend, on exile, on confisque. Le pape, qui est bon, voudrait accorder un pardon entier, mais il y a des cardinaux tellement énergumènes que l'on peut douter si le pape et son secrétaire d'État pourront faire ce qu'ils désirent tous deux, pardonner.
Les constitutionnels sont exaspérés contre la France, qui les a sacrifiés, à ce qu'ils disent. Le fait est qu'il ne reste guère à cette armée d'insurgés qu'à se faire tuer, si l'on n'intervient en leur faveur, au moins en négociation. Quant à moi, je soupire après ma patrie, car il est affreux de ne savoir sur quoi ni sur qui s'appuyer.
Dans une lettre du 12 avril au duc de Rovigo, le roi écrit: «Il est certain que le fameux Sircognani a trahi les siens pour 10,000 piastres et un passeport; on assure qu'Armandi et Bussy en ont fait autant et ont sacrifié ce malheureux Zucchi qui s'est fié à de pareilles canailles. Du reste, ils n'ont que ce qu'ils méritent.»
Jérôme, comme ses frères Joseph et Louis, n'approuva pas les coups de tête de son neveu Louis-Napoléon à Strasbourg et à Boulogne. Il ne cessa, surtout depuis la révolution de Juillet et la mort de la reine (29 novembre 1835 à Lausanne), de revendiquer ses droits de Français et l'autorisation de rentrer dans sa patrie.
Il obtint enfin de revenir à Paris à la fin de 1847 et allait recevoir une rente viagère de cent mille francs, lorsque la révolution de 1848 jeta hors de France la dynastie de Juillet.
L'ex-roi Jérôme et son fils s'empressèrent d'envoyer au gouvernement provisoire leur adhésion à la République.
Conclusion.
Nous avons dit que pendant sa longue carrière, si mouvementée, si singulière, le dernier des frères de Napoléon Ier semble avoir été condamné par le destin à des vicissitudes plus extraordinaires encore que celles des autres frères de Napoléon.
Depuis l'abandon de ses États en 1813, il avait passé par toutes les phases du malheur, conservant toujours une certaine dignité et de la générosité dans le caractère. La révolution de 1848 allait le faire remonter aux plus hautes dignités.
Son neveu le prince Louis-Napoléon ayant été élu président de la République, Jérôme devint un des principaux personnages de l'État, et pour que rien ne parût manquer à l'originalité de cette destinée unique de l'ancien souverain, il occupa, pendant les douze ans qui s'écoulèrent de 1848 à l'époque de sa mort en 1860, les positions les plus bizarres.
Le président lui rendit son grade de général de division, grade auquel il avait été nommé en 1806, il y avait quarante-deux ans, en sorte qu'il devint le plus ancien divisionnaire des armées européennes. Il eut ensuite le poste de gouverneur des Invalides, gardien des cendres de son frère déposées à l'hôtel des vieux soldats. Quelques mois plus tard, le prince Louis, cédant aux suggestions d'un membre de la famille Bonaparte et croyant être agréable à son oncle, lui envoya le bâton de maréchal de France. À la formation du Sénat, il eut la présidence de ce premier corps de l'État.
Ainsi, de roi, Jérôme était devenu général, maréchal, sénateur. Singulières transformations pour une tête couronnée!
Marié régulièrement à une noble Florentine, la marquise Bartholini, qui vint habiter avec lui en France, il se trouvait avoir eu trois femmes, dont deux existaient encore.
Lorsque le prince Louis mit la couronne sur sa tête, Jérôme devint prince impérial et fut placé sur les marches du trône. Il reçut à Paris son fils et son petit-fils Messieurs Patterson Bonaparte, que l'empereur Napoléon III avait appelés en France et dont le dernier, beau et brillant jeune homme, entra dans notre armée où il ne tarda pas à se distinguer.
Enfin, avant sa mort, Jérôme fit un voyage en Bretagne, revit la baie de Concarneau, dîna dans la ville de pêcheurs, ayant à ses côtés la mère du matelot (Furic) qui avait sauvé le vaisseau le Vétéran, à laquelle il assura une pension sur sa cassette particulière. Il put assister au mariage de l'empereur, à la naissance du prince impérial et à l'union de son fils avec la vertueuse princesse Marie-Clotilde.
Enfin, dernier bonheur, il put voir la France impériale redevenue la puissance prépondérante du monde, après les guerres d'Orient et d'Italie, et il échappa à la douleur d'assister à ses défaites de 1870 ainsi qu'à la chute de sa dynastie par la mort de Napoléon III et du jeune prince impérial.
Certes, nous le répétons, jamais destinée ne fut plus singulière que celle de cet homme dont le caractère offre un si étrange mélange de défauts et de qualités, et qui, malgré ses fautes, montra en mainte occasion un caractère fier et chevaleresque.
APPENDICE
CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE
RELATIVE À LA HOLLANDE
PENDANT LE RÈGNE DU ROI LOUIS
De juin 1806 à juillet 1810.
Année 1806.
Cette correspondance étant très volumineuse, nous l'avons analysée en partie, principalement celle de 1806 à 1808, ne donnant in extenso que les pièces importantes. Cette correspondance eut lieu entre M. de Champagny, duc de Cadore, ministre des affaires étrangères de France, le général Dupont-Chaumont, puis le comte de la Rochefoucauld, tous deux ministres de famille de l'empereur auprès du roi Louis; l'amiral Werhuell, ambassadeur du roi de Hollande à Paris; M. de Roëll, ministre des affaires étrangères de Hollande, et en 1810 avec le maréchal duc de Reggio, commandant l'armée du Nord.
Dans sa première lettre, datée du 15 juin 1806, Dupont-Chaumont fait part au duc de Cadore des dispositions bienveillantes, pour le roi Louis et la reine Hortense, du corps diplomatique. «L'esprit public, dit-il, un peu étonné d'abord de la promptitude des événements, commence à revenir, la population vit en bonne intelligence avec le soldat français. Une garde d'honneur s'organise pour recevoir Leurs Majestés.» Le 23 juin, Dupont envoie des détails sur cette réception. Bientôt l'ambassadeur ayant obtenu un congé pour venir en France, M. Serrurier, chargé d'affaires, prend l'intérim. Le 29 juillet, l'empereur écrit de Paris à son frère la première lettre de reproche ci-dessous.
Saint-Cloud, 29 juillet 1806.
Au roi de Hollande.
Je lis dans les journaux que vous suspendez toute exécution à mort dans votre royaume. Si cela est, vous avez fait une grande faute. Du droit de faire grâce ne dérive pas la nécessité de reviser tous les procès. C'est une manie d'humanité déplacée. Le premier devoir des rois, c'est la justice.
Dans une lettre du 10 août, Serrurier fait connaître au ministre le désir des Hollandais d'un accroissement de territoire, et, dans une autre en date du 14, il raconte la tentative d'insoumission d'un bâtiment de la flotte hollandaise, lorsque le serment de fidélité au nouveau roi a été exigé des matelots. Le 17 septembre, le duc de Cadore reçoit une note sur la composition de l'armée hollandaise, forte de 12 à 15,000 combattants disponibles. Le roi semble décidé à porter à 25,000 hommes l'effectif de ses troupes, mais par des enrôlements volontaires. Il ne veut pas entendre parler de la conscription comme le désirerait l'empereur. Cet usage est antipathique à la Hollande.
Le 13 décembre, Dupont-Chaumont rend compte au duc de Cadore d'une conversation qu'il vient d'avoir avec le roi et dont voici la substance: Le roi, écrit-il, se plaint de l'opinion de l'empereur qui semble l'accuser de montrer peu de zèle pour le succès de ses armées.—La grande plaie est le mauvais état des finances.—Son gouvernement est ruiné par les dépenses antérieures, les anticipations d'impôts. On lui conseille de suspendre le paiement des rentes; mais il désapprouve ce moyen, d'ailleurs inefficace. Il voudrait que l'empereur envoyât en Hollande un financier expérimenté qui prît connaissance des choses et en rendit compte. Il espère porter l'armée à 25,000 hommes, c'est-à-dire 18,000 prêts à combattre; mais c'est à peine suffisant pour défendre le pays contre une invasion anglaise.
Le 14 décembre, Dupont transmet à Cadore une plainte portée contre les douaniers français qui, sans ordres, ont franchi la frontière batave, pillé une maison, chassé les habitants à coups de fusil. Le roi est affecté de ces désordres. Dupont déclare qu'il est temps de faire un exemple pour mettre fin à ces exactions. Le duc de Cadore, par ordre de l'empereur, répond que les plaintes du gouvernement hollandais ne sont pas fondées.
Cependant, le décret sur le blocus continental ne tarde pas à être connu en Hollande.
L'empereur en recommande la stricte application. Le 28 décembre, Dupont fait connaître: que les Hollandais mettent beaucoup d'hésitation à le faire exécuter; que les villes maritimes sont plongées dans le désespoir; que le roi est dans le plus grand embarras; que le parti anglais se remue et intrigue; que le frère de l'empereur est souffrant.
Ici commence réellement la mésintelligence entre l'empereur et le roi Louis. Nul doute que sans le blocus continental, les deux souverains eussent vécu à peu près d'accord, malgré les exigences politiques de Napoléon.
À la fin du même mois de décembre 1806, le 29, Dupont transmet de nouveau à Cadore des plaintes du gouvernement hollandais relativement à des fraudes nombreuses qui ont lieu à Flessingue, au préjudice du trésor, sous le couvert de la marine française. Il fait connaître également les ennuis que cause au roi la question de la défense de Flessingue et le peu d'accord qui existe entre les généraux français. L'empereur, décidé à donner tort à son frère, à ne pas accueillir ses représentations, commence à songer au remplacement du général Dupont-Chaumont, qui lui paraît beaucoup trop dans les intérêts du gouvernement de Louis.
Année 1807.
Le 8 janvier 1807, le ministre de Hollande se plaint de nouveau des douaniers français qui ne cessent de violer le territoire batave. Le 22, Dupont atteste que la situation des esprits s'améliore et annonce que le roi va écrire à l'empereur, relativement à la question du blocus. Le 26, Werhuell mande à Cadore qu'une députation va être envoyée à l'empereur en Prusse. Dupont annonce le 5 février 1807 le retour de la reine à La Haye, le bon effet produit par sa présence. Le lendemain 6, Cadore engage le gouvernement hollandais à envoyer la députation par Varsovie ou Berlin à Clarke, qui lui donnera les moyens d'arriver jusqu'à l'empereur à Feinkestein.
Le 14 avril, Dupont déclare à Cadore que la majorité du conseil des ministres paraissait tenir pour le parti anglais et s'efforçait de faire admettre au roi que la Hollande avait intérêt à se détacher de l'alliance française. Le 26, il écrit qu'en l'absence du roi le conseil a supprimé la Gazette française pour que le résultat des conférences eût moins de retentissement en France, et qu'on élaborait secrètement un projet de régence. Le 7 mai, l'ambassadeur fait connaître la mort du prince royal et le départ du roi et de la reine. Quatre jours plus tard, il déclare qu'en l'absence de Sa Majesté, la France ne saurait compter sur les ministres de Hollande.
Le 9 juin, il annonce que la reddition de Dantzig met fin aux inquiétudes du roi, lequel est estimé de tous les partis. Le 23, le ministre de France fait connaître qu'une escadre anglaise paraît vouloir menacer Stralsund, et que le maréchal Brune en a reçu avis. Le 12 juillet, Cadore écrit à Dupont de faire connaître au gouvernement hollandais que tout navire de la marine française entrant à Flessingue devra faire connaître à la douane son chargement. Le 8 août, le cabinet français presse Dupont d'obtenir de la Hollande de faire terminer à ses frais les travaux de Flessingue. Le 10 août, l'ambassadeur de France prévient que plusieurs divisions anglaises sont sorties du 20 au 26, que d'autres sont prêtes également à quitter les ports de la Grande-Bretagne, que la totalité de ces forces est évaluée à 40,000 hommes et que les troupes hollandaises se sont rapprochées de Brune. Le 14 août, l'empereur fait écrire à Dupont qu'il est informé que des communications fréquentes ont lieu entre la Hollande et l'Angleterre, qu'il fasse connaître aux ministres du roi que si toute relation de commerce et de correspondance ne cesse pas entre les deux pays, des troupes françaises entreront en Hollande. Le gouvernement du roi Louis, à cette menace, demande une note écrite; Dupont la refuse. Les ministres déclarent que si des infractions aux ordres du roi concernant l'Angleterre ont existé, cela ne pouvait avoir eu lieu que par surprise; que les pouvoirs des ministres n'allant pas au-delà de l'exécution des lois existantes, il allait être expédié un courrier à Sa Majesté, absente, pour prendre ses ordres. Le 19 août, Cadore écrit de nouveau à Dupont que les plaintes contre les douaniers français ne paraissent nullement fondées. Ainsi, d'une part, menaces de l'empereur et refus de ses ministres d'admettre les griefs de la Hollande contre les agents français; d'autre part, assurance que l'on fait tout ce que l'on peut faire pour l'exécution du blocus. Les plaintes de la France continuent. Le gouvernement du roi Louis y répond en imposant les bâtiments français qui remontent l'Escaut à destination d'Anvers. L'empereur, furieux, ordonne le remboursement des droits perçus et défend d'en payer à l'avenir. Nouvelle note des ministres hollandais pareille à la première (24 août). Le 31 août, le chargé d'affaires écrit à Cadore que le roi a appris avec douleur les plaintes de son frère, et qu'il rend un décret pour une surveillance plus sévère; le même jour on annonce que les finances sont dans le plus mauvais état. Le 4 septembre, Dupont fait connaître la publication du décret royal contre le commerce avec l'Angleterre et déclare que toute la responsabilité doit tomber sur M. Goguel, ministre des finances.
Cette correspondance acerbe continue entre les agents des deux gouvernements.
La question du blocus paraissant terminée, le ministre de France en soulève une nouvelle. Il écrit à l'ambassadeur de Hollande: «L'empereur a éprouvé un vif mécontentement, en apprenant que les malades français avaient été renvoyés des hôpitaux de la Hollande sous prétexte d'économie; il ne peut voir dans cette mesure qu'une manœuvre du parti anglais, et si malgré la bonne volonté du roi les fonctionnaires hollandais continuaient à agir de la sorte, l'empereur, usant du droit de conquête, sera contraint de faire régir la Hollande par une administration française.» M. de Cadore ne dit pas que les finances de la Hollande sont obérées par les exigences de la France, par l'entretien des troupes françaises; que l'empereur ne rembourse aucune avance et ruine les États dont il a imposé la royauté à son malheureux frère.
Aux plaintes injustes de l'empereur, le gouvernement batave répond: qu'on a admis dans les hôpitaux autant de malades que ces établissements en pouvaient contenir; qu'à Middelbourg on a établi un nouvel hôpital; qu'à Flessingue, qu'à Walcheren on a fourni aux troupes tous les objets nécessaires; que, vu l'obération des finances, on n'avait pu créer de nouveaux établissements; que depuis les plaintes du gouvernement impérial, le roi avait donné l'ordre de fournir aux soldats et marins français malades tout ce dont ils auraient besoin; que les hospices hollandais, dans cette saison, ne pouvaient suffire aux malades nationaux. Bientôt le gouvernement français adresse, par l'entremise de Dupont, de nouveaux reproches à la Hollande. «Les facilités qu'on accorde au commerce anglais, écrit M. de Cadore à l'ambassadeur, ont accru le mécontentement de l'empereur, qui trouve cette condescendance honteuse au moment où les Anglais brûlent les bâtiments hollandais à Batavia. Vous devez insister pour que sans délai il soit mis un terme à cet état de choses, et déclarer qu'au besoin l'empereur enverra 30,000 hommes en Hollande pour en garder les côtes.» Il est permis de croire que l'empereur en voulait venir là d'abord, puis à l'annexion. Le 24, Dupont fit connaître la réponse des ministres à sa note. «Le conseil déclarait que déjà il avait été répondu que les infractions aux lois prohibitives de tout commerce avec l'Angleterre ne pouvaient être attribuées qu'à un défaut de surveillance des employés, dont plusieurs avaient été déjà incarcérés.» C'était donner un prétexte à l'empereur pour faire exercer la surveillance par ses propres agents. Cela ne devait pas tarder à avoir lieu. Le 6 octobre, Cadore fait dire au ministre de Hollande que la frontière du côté de la France étant un foyer de contrebande et donnant un débouché aux marchandises anglaises, l'empereur prend des mesures sévères pour y mettre fin. Le 16, il fait savoir à ce même ministre que l'empereur, informé que des marchandises anglaises sont reçues par l'Elbe et le Weser, a donné l'ordre de visiter tout bâtiment naviguant sur ces fleuves, et veut que des mesures analogues soient prises en Hollande. Le 26, Cadore apprend que le roi a rendu un décret prohibant toute navigation le long des côtes depuis le Dollart jusqu'au Weser, étant bien résolu à prendre toutes les mesures de réciprocité avec la France.
Année 1808.
Cadore à Dupont.
Paris, 14 janvier.
Monsieur, Sa Majesté l'empereur et roi vient d'apprendre avec autant de mécontentement que de surprise, que l'on reçoit dans les ports de Hollande des bâtiments suédois, chargés de marchandises que l'on tente de faire passer en France, et que pour expliquer des procédés aussi étranges on allègue une raison bien plus étrange encore, savoir que la Hollande et la Suède ne sont point en guerre. Sa Majesté n'a pu comprendre que des relations de paix continuées jusqu'à présent entre la Hollande et la Suède, aient pu paraître une chose si naturelle et si simple que vous ayez négligé d'en rendre compte. Quand bien même l'alliance qui subsiste entre la France et la Hollande, quand les liens plus étroits qui unissent les deux états auraient pu permettre à la Hollande de considérer comme amie une puissance ennemie de la France, le continent tout entier n'est-il pas uni aujourd'hui dans un même vœu, dans un même intérêt, dans une même cause? La Suède n'est-elle pas seule exceptée de ce concert général? N'est-elle pas la seule alliée de l'Angleterre? N'est-elle pas en cette qualité l'ennemie du continent? Et la Hollande a-t-elle pu la regarder comme amie, sans abandonner en quelque sorte la cause commune? L'intention de Sa Majesté est que: dans les vingt-quatre heures qui suivront la réception de cette lettre, la Hollande déclare la guerre à la Suède et traite les Suédois et leur commerce comme ennemis. Sa Majesté vous charge d'en faire la demande dans les termes les plus précis et d'insister sur une réponse immédiate et catégorique. Vous voudrez bien m'informer sur le champ de cette réponse.
P. S.—L'empereur, Monsieur, se rappelle que les troupes hollandaises se sont battues à Stralsund contre les Suédois, et n'admet point cet état de paix de la Hollande avec la Suède. Il vous ordonne en conséquence de requérir l'arrestation des bâtiments suédois qui sont dans les ports de Hollande et le séquestre des marchandises qu'ils ont apportées. Son intention est aussi que les Suédois soient arrêtés comme prisonniers de guerre et que les agents de cette nation soient renvoyés. Dans le cas où la Hollande refuserait de se mettre en guerre contre la Suède, l'empereur vous ordonne de quitter La Haye.