Les Rois Frères de Napoléon Ier: Documents inédits relatifs au premier Empire
Cadore à Dupont.
Paris, 16 janvier.
Monsieur, le 4 décembre dernier, un convoi de cinq bâtiments hollandais, escorté par trois chaloupes canonnières de Sa Majesté le roi de Hollande, a mouillé à l'embouchure du Weser. Le 5 au matin, le convoi ayant appareillé, il fut tiré de la batterie de Carlestadt deux coups de canon à poudre pour indiquer que le convoi ne pouvait la dépasser sans avoir arraisonné. Les canonnières assurèrent leur pavillon, mais le convoi n'en continua pas moins sa route. Alors la batterie tira à boulets et ce ne fut qu'au huitième coup que les bâtiments mouillèrent. Au même instant quatre autres navires de la même nation, qui entraient dans le fleuve escortés pareillement par une canonnière, jetèrent l'ancre auprès du premier convoi. Le capitaine de l'une des deux canonnières descendit à terre pour se plaindre du procédé du commandant de la batterie. La réponse du commandant fut qu'il n'agissait que conformément à ses instructions, d'après lesquelles tout bâtiment, sans exception, devait être assujetti à la visite. Le capitaine hollandais demanda cette déclaration par écrit. On la lui donna et il retourna à bord après avoir donné sa parole qu'il ne mettrait point à la voile sans avoir rempli les formalités requises; mais dix minutes après il leva l'ancre et se rendit à Brolke. On lui écrivit pour se plaindre de sa conduite et pour réclamer les bâtiments qui étaient montés à la faveur de son escorte en forçant le passage. Il répondit qu'il n'avait fait que suivre très scrupuleusement les instructions qui lui avaient été données d'après les ordres de Sa Majesté le roi de Hollande.
Le 6 du même mois, un autre convoi hollandais escorté par des canonnières, descendit le Weser et mouilla à l'embouchure du fleuve. Le mauvais temps empêcha d'aller à bord. Le 7 au matin, il appareilla et partit malgré le feu de la batterie. Ces faits, dont il a été rendu compte à Sa Majesté l'empereur, ont excité son mécontentement. Elle vous charge d'en porter plainte au gouvernement hollandais et de demander que les capitaines et officiers de la marine marchande soient tenus de se conformer à toutes les ordonnances de police maritime rendues dans les pays occupés par les armées françaises. S'il en était autrement, Sa Majesté se verrait dans la nécessité de faire punir les personnes qui chercheraient à enfreindre ses ordres.
Vous voudrez bien me faire connaître, Monsieur, l'effet que produiront les représentations que vous êtes chargé d'adresser à cet égard au gouvernement près duquel vous êtes accrédité.
Werhuell à Cadore.
Paris, 25 janvier.
Je m'empresse, par suite des ordres de ma cour, de répondre à la note que V. Excellence a adressée à mon prédécesseur M. le ministre Brantven, en date du 5 janvier dernier, et par laquelle elle l'a honoré de la communication des mesures que Sa Majesté l'empereur et roi avait prescrites dans son décret du 19 décembre concernant le blocus de l'Angleterre et des îles de la Grande-Bretagne.
Déjà, avant la réception de cette note, le ministre de France résidant à La Haye avait officiellement communiqué les dispositions dudit décret, et Sa Majesté s'était aussitôt déterminée à adopter de pareilles mesures. Elle chargea, par un ordre de cabinet du 8 de ce mois, son ministre des finances de considérer comme propriété anglaise et de déclarer par cela même de bonne prise tout vaisseau ou bâtiment quelconque sans exception, qui, après avoir été visité par des bâtiments de guerre anglais, ou avoir été dans un port anglais, ou avoir payé le moindre droit au gouvernement anglais, serait pris par des vaisseaux de guerre ou des corsaires hollandais, et le même ordre rendit le ministre des finances responsable de la stricte exécution de cette mesure.
Ces dispositions convaincront V. Excellence combien le roi est pénétré de la nécessité de s'opposer avec la plus grande énergie aux vexations toujours croissantes des ministres britanniques, et combien il désire de seconder de toutes ses forces les mesures que son très auguste frère l'empereur croit devoir prendre pour les combattre.
Werhuell à Cadore.
Paris, 30 janvier.
Par suite des ordres que je viens de recevoir de ma cour, je m'empresse de communiquer à V. Excellence les nouvelles mesures que le roi a ordonnées pour empêcher toute relation entre son pays et la Suède.
Elles sont contenues dans le décret du roi, en date du 18 de ce mois, dont ci-joint la copie.
En priant V. Excellence de porter ces dispositions sous les yeux de l'empereur et roi, j'ose me flatter que Sa Majesté y verra une nouvelle preuve que le roi mon maître est plus que jamais disposé à traiter en ennemis tous les états qui seraient en guerre avec la France, et à concourir de tous ses moyens au succès des vastes projets que son auguste frère médite pour les forcer à accepter à la fin des conditions de paix compatibles avec la sûreté et l'honneur des puissances de l'Europe.
Décret du roi de Hollande daté d'Utrecht, 18 janvier.
Louis Napoléon, par la grâce de Dieu et la constitution du royaume, roi de Hollande, connétable de France.
Sur les informations que les mesures ordonnées pour le blocus des Îles Britanniques ne seraient pas suivies avec la même rigueur par rapport à quelques bâtiments suédois, et considérant que la guerre existe entre ce pays et la Suède comme avec l'Angleterre;
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
Article 1er.
Tout bâtiment suédois qui pourrait s'être introduit dans les ports du royaume sera sequestré immédiatement, de même que toute marchandise appartenant à cette nation.
Article 2.
Tout Suédois qui aurait rempli précédemment des fonctions diplomatiques ou d'agent commercial, et qui pourrait se trouver encore dans ce royaume, sera tenu d'en sortir immédiatement après la publication du présent décret.
Article 3.
Tous les Suédois qui pourraient se trouver dans les ports ou quelques autres endroits du royaume, seront arrêtés immédiatement et traités comme prisonniers de guerre.
Article 4.
Les mesures actuellement en vigueur pour le blocus des Îles Britanniques seront également et sans exception applicables à la Suède.
Article 5.
Nos ministres des finances et de la justice et police sont chargés de l'exécution du présent décret qui sera publié partout où besoin sera.
Donné à Utrecht le 18 janvier de l'an 1808, de notre règne le troisième.
Louis.
Werhuell à Cadore.
Paris, 2 février.
Je suis expressément chargé de communiquer officiellement le décret ci-joint à V. Excellence et de l'inviter à vouloir bien en donner immédiatement connaissance à Sa Majesté impériale et royale. Sa Majesté le roi de Hollande se flatte que son auguste frère verra dans les dispositions de ce décret une éclatante preuve de son invariable volonté de concourir de tous ses moyens aux mesures qui peuvent hâter le moment si désiré de la paix, et un touchant témoignage de son amour pour sa personne, de sa confiance absolue dans sa haute sagesse. Je ne m'attacherai point à faire valoir l'étendue des nouveaux sacrifices que ce rigoureux décret impose à mon pays. On sent facilement qu'il entraînerait sa ruine totale si la guerre était prolongée. Dans des circonstances aussi impérieuses, Sa Majesté, irrévocablement déterminée à rendre impossible toute communication de ses sujets avec l'ennemi, vient de prohiber le commerce que les habitants de la Zélande faisaient sur les côtes anglaises, quoique par sa nature ce commerce, tout à l'avantage de la Hollande, fût extrêmement nuisible à l'Angleterre. Sa Majesté a voulu que son peuple renonçât à des bénéfices qui ne pouvaient se concilier avec le système actuel de la guerre. Il n'échappera pas sans doute à V. Excellence que les mesures adoptées ne laissent aux Anglais aucun moyen possible de communiquer avec la Hollande, puisque le roi a également ordonné de séquestrer même les navires qui, quoique non visités, auraient abordé dans un port britannique.
Sa Majesté a cru que la nation, pour qui la paix devenait le premier, le plus pressant des besoins, devait l'acheter par les plus rigoureux sacrifices, bien convaincue que le génie de son illustre frère y mettra bientôt un terme, et que sa justice et sa générosité sauront honorablement dédommager la Hollande de ses privations et de ses pertes.
Dupont à Cadore.
La Haye, 8 février.
Les travaux se poursuivent à Amsterdam pour la réception du roi. L'occupation de l'hôtel de ville, où se trouvent la banque et tous les grands dépôts, a étonné d'abord et fait baisser les fonds, parce que le moment a été mal choisi. Mais on peut attendre pour l'avenir d'heureux résultats, s'il résiste aux difficultés que lui attire le passage du gouvernement par Utrecht, et la contrariété dans les habitudes, si puissantes dans ce pays.
La sévérité du blocus a éprouvé de légères atteintes; des bâtiments chargés de poisson salé se sont présentés à Amsterdam et y ont été refusés. Ils sont entrés à Anvers où ils ont vendu leur cargaison parce qu'ils étaient en règle; mais des Américains chargés de marchandises ou peut-être de denrées coloniales et appartenant à des Hollandais, ont ému la sensibilité du gouvernement et obtenu l'entrée des ports. Vraisemblablement ils n'étaient pas chargés de marchandises prohibées. Aussi ne cité-je ces faits que pour répondre à l'observation officielle qui m'a été faite par Son Excellence le ministre des affaires étrangères, que son gouvernement avait été au delà des mesures prises par la France, en fermant ses ports à toute espèce de navires.
Dupont à Cadore.
La Haye, 13 février.
J'ai l'honneur de vous écrire par un retour de courrier qui m'a été dépêché par S. Excellence le vice-amiral Decros, avec une lettre de l'empereur pour Sa Majesté le roi de Hollande.
Le gouvernement hollandais s'est depuis quelques jours ostensiblement relâché de la sévérité du décret du 23 janvier, en ordonnant aux commandants militaires de ne plus repousser les bâtiments qui se présenteraient dans les rades et les ports; d'y placer des sauvegardes et d'attendre des ordres.
Il y a encore de l'humeur et du mécontentement à Amsterdam. On l'attribue à la transformation de la maison de ville en palais royal; mais la stagnation des affaires et un peu de misère dans la classe des ouvriers en est peut-être la véritable cause. Toujours faut-il convenir que le roi n'est aidé ni servi par personne dans son projet de changer sa résidence. Ce qui fait naître des difficultés sans nombre et propage les murmures de la multitude. La demande que vient de faire l'empereur arrive à propos pour occuper les oisifs et imprimer un mouvement utile dans les ports. J'avais, dans mes conversations non officielles, l'année dernière, observé aux ministres du roi que l'on négligeait bien la marine, et surtout à l'époque du dernier licenciement des marins: on objectait la pénurie des finances. Aujourd'hui que les matelots ont été dispersés par la misère, et qu'il y en a beaucoup d'enlevés par l'Angleterre, il serait difficile de compléter les équipages, s'il est nécessaire d'armer un certain nombre de vaisseaux.
Ici doivent prendre place deux longues lettres de l'amiral Werhuell et dont nous allons donner la substance. Dans la première, l'amiral, au nom du roi, demande que l'artillerie de la ville de Flessingue soit rendue à la Hollande, puisque la ville a été cédée à la France le 6 février. L'empereur s'y oppose et fait dire qu'il comptera avec la Hollande.
Dans la seconde lettre, le roi fait rappeler à l'empereur l'engagement du gouvernement français de rembourser à la Hollande le prix des frais d'équipement des recrues hollandaises appelées à faire partie de la grande armée. L'empereur se borne à répondre que ce déboursé doit rester à la charge de la Hollande (singulier exemple de bonne foi!).
Cadore à Larochefoucauld[148].
Paris, 16 mars.
J'ai l'honneur de vous faire part d'une décision de Sa Majesté impériale relativement aux Français qui se trouvent actuellement au service de S. M. le roi de Hollande.
Tous les sujets de S. M. impériale actuellement au service de S. M. le roi de Hollande et qui auront prêté serment comme sujets du roi, cesseront d'être considérés comme Français, et pourront demeurer au service du roi en se munissant d'une autorisation spéciale de S. M. l'empereur.
Vous voudrez bien informer de cette décision le gouvernement près duquel vous êtes accrédité.
Serrurier[149] à Cadore.
La Haye, 17 mars.
Ce serait peut-être ici la place de tracer à V. Excellence un tableau succinct de l'état où je retrouve les affaires au moment de mon retour en Hollande; mais l'ambassadeur, que j'apprends être arrivé à deux ou trois journées de La Haye, remplira à cet égard les vues de V. Excellence beaucoup mieux que je ne pourrais faire. Je me bornerai à lui annoncer que le roi est fort occupé en ce moment des moyens de remplir les vues de son auguste frère relativement à la marine. M. Roëll, dans une assez longue conversation où le hasard nous engagea hier, s'exprima à cet égard de la façon la plus satisfaisante. Il paraît que le roi veut pousser ses préparatifs dans le silence, et réserve une surprise générale à l'empereur. Je trahis un peu Sa Majesté et M. Roëll, par cet avis, mais c'est mon métier et l'on devra me le pardonner.
Werhuell à Cadore.
Paris, 21 mars.
Depuis quelque temps le commerce que la Hollande fait par les rivières le Weser et l'Elbe avec le nord de l'Allemagne et les pays avoisinants, éprouve de fortes entraves de la part des douaniers français établis à l'embouchure de ces rivières et sur les côtes.
Ces douaniers empêchent le passage des productions des fabriques hollandaises en se fondant sur les dispositions de l'article 2 du décret impérial du 2 août dernier, qui assimile aux marchandises anglaises toute marchandise quelconque de la nature de celles que l'Angleterre peut produire ou fournir, à moins qu'elles ne viennent de la France. Comme c'est presque l'unique commerce que la Hollande a conservé depuis que ses ports sont entièrement fermés, le roi, mon maître, m'a chargé de porter cet objet à la connaissance de V. Excellence, en la priant de le mettre sous les yeux de S. M. impériale.
Le roi se plaît à croire que son très auguste frère daignera ordonner que les dispositions du décret susdit, évidemment rendu dans l'intention de nuire à l'ennemi commun, ne soient pas applicables aux marchandises hollandaises; mais que celles-ci puissent entrer sans obstacle, toutesfois qu'elles seront duement munies de certificats d'origine, délivrés par les magistrats des lieux où elles auront été fabriquées, ou d'où elles auront été expédiées, ou moyennant telles autres mesures de précaution que S. M. impériale jugera convenable d'admettre.
Cadore à Larochefoucauld.
Paris, 31 mars.
Sa Majesté l'empereur et roi est informée qu'il est arrivé à Amsterdam deux bâtiments américains chargés de denrées coloniales et venant d'Angleterre. Sa Majesté est pareillement informée que cent cinquante autres bâtiments américains sont maintenant en chargement à Londres où ils prennent aussi des denrées coloniales dans le dessein de les transporter en Hollande. En conséquence, Sa Majesté vous charge, M. l'ambassadeur, de redoubler d'attention et de vigilance, de prendre toutes les précautions et de faire toutes les démarches nécessaires, pour que des bâtiments américains ainsi chargés de contrebande, ne pénètrent point en Hollande, ou n'y pénètrent pas du moins impunément. Vous devez partir de ce principe que tout bâtiment américain chargé de denrées coloniales est suspect, ces dernières ne pouvant pas être apportées des États-Unis, puisqu'il existe un embargo général et qu'aucun bâtiment n'en peut sortir.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 13 mai.
Avant-hier soir, il y eut cercle à la cour, et dans une longue conversation que j'eus avec le ministre des affaires étrangères, je lui observai que c'était à regret que je ne voyais pas ici dans la direction générale des affaires l'esprit que je désirais y trouver, que ce n'était pas assez pour la Hollande de prendre les mesures qui lui étaient demandées pour l'intérêt commun, mais qu'il fallait les faire exécuter avec le zèle qui en assurait le succès. Je lui citai plusieurs preuves de mon assertion, en lui démontrant l'inconvenance et appuyant sur le mal que la Hollande se ferait, si les choses ne changeaient pas entièrement de face. Le ministre me parut abonder dans mon sens et m'a parlé comme regardant le sort de la Hollande dans les mains de l'empereur, et comme n'attendant que de lui le bonheur de sa patrie. J'ignore si M. Roëll rendit compte au roi de notre conversation, mais hier Sa Majesté me fit prier de venir lui parler.
Je me rendis au palais à quatre heures, et restai avec S. M. jusqu'à six heures. Le roi m'engagea de lui parler franchement sur tout ce que je voyais, en me priant même de ne rien lui cacher. J'eus donc l'honneur de lui répéter tout ce que j'avais dit la veille au ministre. J'allai même plus loin, en communiquant au roi des faits dont j'avais trouvé plus convenable de ne pas parler à M. Roëll. J'observai à S. Majesté que l'attachement qu'on lui portait pouvait beaucoup lui servir pour diriger l'opinion publique; que lorsqu'on verrait que sa conduite est véritablement française, et qu'il est mécontent de celui qui n'en a pas une prononcée dans le même sens, alors en peu de temps le gouvernement prendrait la même direction; qu'il ne m'appartenait pas de me mêler du choix de ses agents, que je ne devais connaître que le résultat de leurs travaux; mais qu'avec les moyens personnels qu'il avait, il me paraissait impossible que Sa Majesté ne distinguât pas, quand elle le voudrait, celui qui la sert dans l'une ou l'autre ligne.
Le roi eut la bonté de me traiter avec toute sorte d'indulgence en me promettant de lui parler aussi franchement; il se plaignit de sa position, des peines qu'il était obligé de se donner pour arriver malheureusement à de bien petits résultats. Il me répéta combien le peuple qu'il gouvernait était à plaindre, et en même temps combien il était difficile de le diriger, puisque n'étant pas susceptible d'enthousiasme, les chiffres devenaient la seule base de leur opinion. Cependant, le roi me demanda ce qu'il devait faire. Il me répéta que son désir était de deviner, s'il était possible, les désirs de l'empereur, et il m'autorisa non-seulement à le prévenir de ce qui pourrait se faire de répréhensible, mais même encore me promit de faire généralement tout ce que je pourrais croire utile aux vues de l'empereur. C'est maintenant à votre Excellence de me faire connaître les ordres de S. M. impériale et royale. Je ne puis douter de la vérité des intentions que le roi m'a manifestées; mais il dépend de l'empereur d'en acquérir la certitude. Je tous promets de porter dans ma mission l'œil le plus vigilant, et de tout faire pour opérer ici un changement de système. J'aime à me flatter qu'aidé du roi, j'y parviendrai. V. Excellence sait ce qu'il y a à faire. Moi je n'envisage que le plaisir, en faisant mon devoir, d'être utile à l'empereur. Je suis en mesure d'exécuter ses ordres, soit qu'ils portent sur les choses ou les personnes. J'attends donc avec impatience la réponse de V. Excellence. Je ne puis finir ma dépêche sans vous répéter à quel point j'ai été content de ce que le roi m'a fait l'honneur de me dire.
Roëll à Larochefoucauld.
Amsterdam, 19 mai.
J'ai mis sous les yeux du roi mon maître la lettre que V. Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire aujourd'hui au sujet de quelques vaisseaux nouvellement entrés dans les ports de ce royaume malgré les lois prohibitives à cet égard.
Sa Majesté n'a pu voir qu'avec peine se renouveler une plainte qu'elle se flattait d'avoir entièrement écartée par les dispositions prises relativement à la fermeture des ports. Cependant, n'ayant point de raisons suffisantes pour révoquer en doute la véracité des informations parvenues à V. Excellence au sujet des bâtiments susdits, elle s'est empressée d'expédier aussitôt un courrier extraordinaire pour se faire rendre un compte exact sur cette affaire, et, sans attendre le résultat des recherches, elle a décidé que non-seulement les bâtiments indiqués par V. Excellence devront se remettre en mer sans aucun délai, mais aussi que la clôture des ports, précédemment décrétée, sera maintenue avec la plus grande rigueur, et l'entrée défendue à tout bâtiment marchand, quels que soient son pavillon et sa cargaison, et sans avoir égard à d'autres considérations quelconques, si ce n'est celle du gros temps, à l'exception cependant d'un seul, parti d'ici depuis dix-huit mois pour Canton, avec la promesse positive de S. Majesté de ne trouver aucun empêchement pour la rentrée dans nos ports, et au sujet duquel elle se propose d'entretenir verbalement V. Excellence, en vous faisant part de cette détermination du roi, par laquelle il se flatte d'avoir détruit jusqu'à la' possibilité de tout abus ultérieur. Je suis chargé particulièrement de vous communiquer en même temps que si, d'un côté, S. Majesté n'a pu voir qu'à regret une plainte quelconque faite de la part de son auguste frère, elle a su, d'un autre côté, apprécier la nouvelle preuve de franchise et de loyauté que V. Excellence vient de donner dans la manière dont elle a dirigé la démarche à laquelle les informations reçues l'ont obligée.
S. Majesté est si éloignée de se plaindre de la démarche même qu'elle désire au contraire, que si, contre son gré, il y avait encore à l'avenir quelque chose qui puisse être désagréable à son auguste frère, et qu'il soit en son pouvoir de prévenir ou de faire cesser, V. Excellence veuille, sans délai et sans réserve, faire parvenir par mon organe ses informations à cet égard à la connaissance de S. Majesté, laquelle, tout pénible que soit dans ce moment pour ses sujets l'état où son royaume se trouve, est trop convaincue que les sacrifices actuels sont le seul moyen de voir renaître les avantages d'une paix prompte et durable, pour ne pas persévérer avec une constance inébranlable dans toutes les mesures dont ils sont la conséquence.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 23 mai.
Le roi m'entretint l'autre jour de la décision de S. M. impériale et royale sur les Français qui étaient à son service. Il me dit qu'il ne voulait parler à aucun de cet objet, qu'il lui suffirait de leur avoir fait écrire une lettre pour connaître le parti qu'ils voulaient prendre. Sa Majesté me parut très froide, ayant même peu d'intérêt pour eux. Les Français sont de leur côté mécontents; plusieurs m'en ont parlé dans des ternies très convenables; et maintenant qu'il s'agit de prendre un parti définitif, presque tous ne voudraient pas perdre leur véritable patrie pour en adopter une nouvelle. La gloire et l'attachement pour l'empereur les appellent; la reconnaissance et le devoir les retiennent. Ils craignent d'être mal vus de l'empereur s'ils quittent le service de la Hollande, et cependant plusieurs ne peuvent se décider à signer qu'ils consentent à n'être plus Français. Ce qui me paraît certain, c'est que plusieurs de ces messieurs ont cru obéir à S. M. impériale et royale en venant ici et n'ont jamais imaginé s'éloigner entièrement de la France. V. Excellence conçoit bien que je n'ai rien répondu de positif et que je me suis borné à leur dire qu'il m'était impossible de les conseiller dans une circonstance aussi délicate. Les Hollandais, jaloux des Français, cherchent à leur donner continuellement des désagréments et ceux-ci ne sont pas soutenus par le roi. Dans cette position je voudrais connaître le désir de l'empereur afin de leur faire prendre la ligne qu'il ordonnera. Le général Demarçay, qui commandait l'artillerie, vient encore de quitter le service de la Hollande, n'y pouvant plus tenir.
Ayant une occasion sûre pour faire passer cette dépêche en France, j'en profite pour parler à V. Excellence de la contrebande qui se fait en Zélande. Il paraît que l'île de Walcheren est principalement le point sur lequel se dirigent les contrebandiers. À mon passage à Anvers, on m'en parla déjà, et l'on ne me cacha point que par l'Escaut il s'introduisait beaucoup de marchandises anglaises, mais que l'on accusait davantage les autorités hollandaises qui paraissaient se prêter à ce commerce illicite. Depuis que je suis en Hollande, les principaux agents du gouvernement avouent la difficulté et presque l'impossibilité d'empêcher entièrement ce genre de commerce en Zélande, mais aussi les mêmes agents prétendent que les douaniers et même les autorités françaises favorisent ceux qui leur font partager les bénéfices de ce commerce. Le résultat me paraît être une impossibilité reconnue de guérir ce mal. Ne serait-il pas possible qu'en coupant le nœud de la difficulté l'empereur y remédiât en réunissant l'île de Walcheren à la France, et Sa Majesté ne pourrait-elle pas porter cette réunion jusqu'à la Meuse? Alors la frontière deviendrait telle qu'il serait facile de la garder, et le Brabant hollandais, habité par des catholiques, se trouverait heureux d'être réuni à l'empire français. Votre Excellence sait, à quel point l'intolérance est portée dans ce pays: ce qui ne paraît point devoir diminuer, le roi venant de placer l'ex-ministre de l'intérieur, M. Mollerus, à la tête des cultes. Cette intolérance fera donc toujours Français tous les catholiques hollandais. Quant à une indemnité à donner à la Hollande, l'empereur peut à cet égard être aussi généreux qu'il lui conviendra. Je soumets ces observations à V. Excellence comme le moyen que je croirais le plus sûr d'aplanir les difficultés qui surviennent tous les jours et qui tiennent à la position de la frontière.
Au sujet de la contrebande, le roi vient dans l'instant de m'envoyer un secrétaire du cabinet pour me communiquer une liste que S. M. impériale et royale lui a envoyée d'une certaine quantité de maisons ou d'individus hollandais accusés de faire la contrebande. S. Majesté y a fait joindre la réponse du ministre des finances avec copie de l'interrogation que l'on a fait subir aux prévenus. Il en résulte qu'un d'eux est mort depuis un an, deux autres sont aux galères depuis quatre ans et tous les autres sont innocents. Quant à cette dernière partie, je ne puis m'empêcher d'observer à V. Excellence que l'interrogatoire peut être très exact, mais qu'il est fait de manière à ne trouver aucun coupable, puisque tous ces individus ont été appelés et que l'on s'est contenté de leur demander ce qu'ils avaient fait, et d'envoyer ensuite leur réponse. Il est cependant possible que d'autres recherches aient été faites; c'est ce que je tâcherai d'apprendre.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 9 juin.
D'après ce que j'apprends par MM. les consuls, il y a encore une communication avec l'Angleterre, mais elle paraît peu considérable et vient des petits ports qui ne sont pas surveillés. C'est principalement par la Zélande que l'on suppose que les passagers peuvent s'embarquer pour l'Angleterre et s'introduire en Hollande. Il est certain que le comte de Bentinck a été arrêté au moment où il s'embarquait à Cathvyck, et qu'il n'a été relâché que sur l'exhibition d'un ordre du roi; il a fait un voyage en Angleterre et en est revenu il y a deux jours. On dit qu'il était envoyé pour faire un arrangement qui permît à une certaine quantité de bateaux hollandais de pêcher le hareng. J'en ai parlé à M. Roëll qui m'a assuré n'en être pas instruit. Ce M. de Bentinck doit, dit-on, être grand écuyer.
Le ministre des affaires étrangères a envoyé hier et avant-hier la circulaire à tous les Français au service de la Hollande, pour connaître le parti décisif qu'ils voulaient prendre. Cette liste est d'environ 500 personnes dont il paraît que la plus grande partie réclamera les bontés de l'empereur pour rentrer au service du roi, sans perdre leur qualité de Français. L'autorisation donnée par S. Majesté pour la sortie des beurres et fromages n'a pas atteint son but. Aucun négociant n'a voulu donner la caution exigée. J'ai appris, de mon côté, aux maisons qui se sont adressées à moi que j'ignorais absolument les motifs qui avaient décidé le roi à prendre cette mesure. Il me semble que, par son effet, elle doit être regardée comme nulle.
Cadore à Berthier.
Bayonne, 22 juin.
S. M. impériale voulant donner au commerce de la Hollande toutes les facilités compatibles avec l'exécution des grandes mesures adoptées contre l'Angleterre, a consenti à autoriser le commerce de cabotage sur les côtes de l'Allemagne septentrionale depuis l'embouchure de l'Ems jusqu'au canal de Holstein. Les bâtiments destinés à ce commerce suivront la côte, escortés par des chaloupes canonnières de la marine hollandaise. Ils ne pourront transporter aucune espèce de denrées coloniales, bien moins encore des marchandises anglaises.
Cette navigation a pour objet d'établir par le canal de Holstein une communication avec la Baltique, d'où la Hollande pourra tirer des bois de construction, des chanvres et autres approvisionnements nécessaires à sa marine.
V. A. S. jugera sans doute convenable d'instruire les généraux français commandant dans le nord de l'Allemagne des intentions de S. M. pour qu'ils ne mettent point d'obstacle à une navigation autorisée par elle.
Cadore à Larochefoucauld.
Paris, 9 juillet.
Monsieur l'ambassadeur, j'ai reçu vos deux dépêches numérotées 13 et 14. Il m'en est parvenu d'autres qui sont encore dans le portefeuille de S. Majesté et auxquelles je répondrai plus tard.
Je dois aujourd'hui vous recommander, d'après les ordres de l'empereur, de ne point perdre de vue les instructions qui vous ont été données et de veiller avec un soin constant à l'exécution des mesures du blocus. Vous ne cesserez de faire sentir au gouvernement hollandais, au roi même, quand vous en trouverez l'occasion, combien il importe de ne laisser à l'Angleterre aucun débouché pour ses marchandises sur le continent. Il faut attaquer son commerce, puisque son commerce est la source de ses revenus, puisque c'est là qu'elle puise les moyens de prolonger la guerre. Toutes les puissances de l'Europe se sont réunies dans le même but, et le succès des mesures qu'elles ont prises ne peut être douteux, si partout on les fait exécuter avec persévérance et sévérité.
S. M. impériale a été informée que des smoggleurs, sortant journellement des ports de la Hollande, entretiennent des communications avec les Anglais qu'ils instruisent de tout ce qui se passe à Flessingue et dans l'Escaut. Vous appellerez l'attention du gouvernement hollandais sur ces manœuvres qui peuvent avoir des conséquences dangereuses et qu'il importe de prévenir. Les smoggleurs qui communiquent avec les Anglais doivent être considérés et traités comme espions.
Il est un autre objet que S. Majesté recommande à vos soins, c'est de faire en sorte que les Français de l'âge de la conscription qui cherchent à se réfugier en Hollande ne puissent y être admis, et que ceux qui y seront trouvés soient immédiatement anotés et remis aux autorités françaises. Vous voudrez bien m'instruire du résultat des démarches que vous aurez faites dans le terme des directions que je suis chargé de vous transmettre.
Cadore à Werhuell.
Bayonne, 12 juillet.
Lorsque S. Majesté, usant d'un juste droit de représailles, eut déclaré les îles Britanniques et leurs colonies en état de blocus, la presque totalité des puissances du continent, également blessées par les prétentions exagérées de l'Angleterre, se réunirent successivement à S. Majesté et résolurent, d'un commun accord, de suspendre toute communication entre leurs États et les îles Britanniques. Votre gouvernement adopta le premier les mesures qui avaient été prises par l'empereur.
Aujourd'hui l'Angleterre ne compte plus qu'une puissance amie sur le continent. Tous les ports de l'Europe, à l'exception des ports de Suède, sont fermés à son commerce. Les États-Unis d'Amérique ont renoncé à toute communication commerciale avec elle, et il ne lui reste plus de débouchés pour ses marchandises, de moyens d'approvisionnement pour sa marine que dans ses propres colonies et dans le Brésil, qui ne lui offre que de bien faibles ressources. Plus son commerce est gêné, plus elle met d'activité, de soin et d'adresse pour verser sur le continent, par le moyen de la contrebande, ses marchandises et les denrées coloniales dont ses magasins sont encombrés. Simulation de pavillon, papiers faux, certificats d'origine publiquement contrefaits, tout est employé; et, sans une surveillance active et continuelle de la part de toutes les puissances du continent, les grandes mesures qu'elles ont adoptées n'étant qu'imparfaitement exécutées n'obtiendront point tout l'effet qu'on devait en attendre. Il ne suffit pas de fermer tout débouché au commerce de l'Angleterre, et puisqu'elle est séparée des autres puissances du continent en refusant de reconnaître les principes du droit maritime qui les régit, il faut maintenir l'interdiction qu'elle a prononcée elle-même, et que le continent rompe toute communication avec elle. S. Majesté, en me chargeant d'appeler l'attention de votre gouvernement sur ces deux objets, se persuade que le roi son frère se fera un plaisir de seconder ses vues et prendre les mesures les plus propres à déjouer les tentatives de la contrebande, et à empêcher toute communication quelconque entre ses sujets et les Anglais.
Je prie V. Excellence de vouloir bien porter à la connaissance de sa cour les communications que j'ai l'honneur de lui adresser aujourd'hui.
Cadore à Larochefoucauld.
Bayonne, 19 juillet.
Dans une de vos dernières dépêches, vous avez énoncé une idée qui a fixé l'attention de S. Majesté. Vous parliez de la difficulté de prévenir le versement des marchandises de contrebande de Hollande en France, difficulté qui tenait principalement à la nature des frontières actuelles entre les deux États, et qui ne cesserait que lorsque la frontière de l'Europe française aurait été portée jusqu'à la Meuse. Sa Majesté n'a point méconnu la justesse de vos observations, et elle entrevoit volontiers un arrangement avec le roi son frère pour parvenir à une rectification de frontières qui faciliterait l'action des douanes et aurait le grand avantage de donner à la France une ligne non interrompue de limites naturelles. Il est loin des idées de S. M. de demander des cessions gratuites à la Hollande; elle ne veut même faire aucune proposition d'échange avant de savoir si elle pourrait convenir au roi.
Je vous invite en conséquence, Monsieur l'ambassadeur, à vouloir bien sonder l'opinion du gouvernement hollandais à cet égard, vous vous attacherez surtout à connaître quelles indemnités la Hollande désirerait, dans la supposition où elle nous céderait soit les territoires à la gauche de la Meuse, soit même tout ce qui est à la gauche du Vaal. Le plus important pour la France est d'obtenir une frontière fixe et bien définie, ce qu'elle trouve dans la Meuse et encore plus dans le Vaal, soit que la Zélande fasse ou ne fasse point partie de la cession.
La Hollande peut trouver une compensation dans les pays d'Allemagne qui sont encore à la disposition de Sa Majesté. Le grand-duc de Berg est dans cette classe. Les souverains des petits États qui touchent à la Hollande pourraient, au moyen d'arrangements particuliers, être transportés ailleurs. Je ne vous en dis point davantage, Monsieur l'ambassadeur, j'attends que vous m'ayez fait connaître les dispositions dans lesquelles vous aurez trouvé le ministère hollandais. Votre premier soin doit être de découvrir ses vues, de savoir ce qui peut être à sa convenance, et, lorsque vous m'en aurez instruit, j'aurai l'honneur de prendre et de vous faire connaître les intentions de Sa Majesté; mais ne faites aucune proposition directe.
Werhuell à Cadore.
Paris, 20 juillet.
Les circonstances actuelles de l'Europe et les liens étroits qui unissent la Hollande à la France, joints à la haute bienveillance dont Sa Majesté l'empereur honore son auguste frère le roi, mon maître, ont naturellement fait naître dans le cœur de tout bon Hollandais le désir de voir son pays partager les nouveaux liens qui rapprochent d'autres États encore plus intimement de la France. Lorsque la Hollande confia ses destinées au monarque chéri qui la gouverne, elle voulut, en croyant assurer par là son intégrité, son indépendance et son bonheur, prouver à la fois d'une manière éclatante sa vive affection pour la France et son profond respect pour le plus magnanime des monarques de l'univers. Constamment animée de ces sentiments et fortement pénétrée de tout ce qu'elle doit à l'alliance sacrée qui l'unit au peuple français, la Hollande serait flattée d'en resserrer encore les liens, et l'on se persuade d'atteindre ce but, si S. M. impériale et royale daignait regarder comme un nouvel hommage de dévouement à son auguste personne le désir de voir le royaume de la Hollande admis dans la confédération du Rhin.
Le poste éminent et honorable que Votre Excellence occupe auprès de Sa Majesté la met plus que personne à même de savoir si l'expression officielle de ce vœu de mon souverain ne déplairait point à l'empereur. J'attacherais beaucoup de prix à être instruit par Votre Excellence des intentions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi à cet égard, et je m'estimerais très heureux si j'avais l'honneur d'être choisi par mon souverain pour être auprès du magnanime protecteur de la Confédération rhénane l'organe d'une demande inspirée par le respect, la reconnaissance et un amour sans bornes.
Me reposant sur la noblesse de caractère qui illustre Votre Excellence et qui m'a inspiré depuis longtemps une confiance illimitée, j'ose la prier de regarder ma demande comme n'ayant pas été faite, si elle croit qu'elle ne serait pas agréable à S. M. l'empereur.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 8 août.
J'ai pu enfin m'acquitter jeudi dernier des ordres de l'empereur. Je suis parvenu, après bien de vaines tentatives, à rejoindre M. Roëll qui était au Loo depuis huit jours. J'ai parlé au ministre de l'idée d'échanger le Brabant jusqu'à la rive gauche de la Meuse, et plus encore du Vaal, contre des pays en Allemagne qui restaient à la disposition de S. M. impériale et royale, en y comprenant le grand-duché de Berg. J'ai fait sentir au ministre combien le système des douanes souffrait de la mauvaise frontière qui existait maintenant entre la Hollande et la France, combien nos agents avaient rejeté souvent sur les autorités hollandaises les atteintes portées aux lois françaises, et combien les deux gouvernements avaient d'exemples du résultat désagréable de ce genre de discussion; que l'empereur, en se donnant de ce côté une frontière naturelle, ne voulait rien faire qui fût contre les intérêts du royaume de Hollande; que c'était dans cette idée que Sa Majesté ne fixait pas un échange, mais désirait avant tout savoir ce que le roi de Hollande jugerait équivaloir à la partie de son royaume qu'il devait céder. M. Roëll commença par me dire qu'il lui était impossible de répondre à une proposition aussi inattendue, que le roi pouvait seul donner une décision dans cette circonstance. Il me laissa cependant entendre qu'il était personnellement contre cette idée, et son opinion me parut basée sur cinq points principaux:
Le 1er était la difficulté ou presque l'impossibilité de s'entendre sur les travaux de mer indispensables dans les îles pour garantir le midi de la province de Hollande, travaux sur lesquels les ingénieurs d'un même gouvernement avaient déjà bien de la peine à être du même avis, et sans lesquels la Hollande courrait les plus grands dangers.
2o Le ministre regarde le cours des rivières comme la seule richesse de ce pays, et par conséquent le tharvlweg du Vaal comme ruineux pour la Hollande.
3o Il estime le revenu du Brabant à cinq millions de florins, et regarde que ce revenu augmente journellement.
4o Son opinion est que pour pouvoir sauver sa patrie il est nécessaire que le revenu territorial soit augmenté de cinq à six millions, ou au moins de moitié, et qu'un échange amènerait difficilement cet avantage; qu'il verrait donc avec peine le roi perdre d'anciens sujets sans acquérir la certitude que la Hollande y gagnerait une existence stable et indépendante.
5o Enfin M. Roëll m'a fait sentir qu'il y avait eu de grandes discussions lorsqu'il s'agit, l'année dernière, de l'échange de Flessingue, et qu'il ne savait pas jusqu'à quel point le roi pourrait même traiter seul cet objet.
Je répondis à ces observations:
1o Que l'on pourrait laisser à la Hollande les îles; que par conséquent les travaux de mer resteraient dans ses mains.
2o Que le cours de la petite Meuse serait seul perdu pour la Hollande, et que ses deux ports principaux, Amsterdam et Rotterdam, lui resteraient toujours ainsi que sa navigation intérieure.
3o Que je regardais le revenu du Brabant comme très exagéré; qu'au surplus ceci était une affaire de détail à laquelle je n'avais pas à répondre puisqu'il ne s'agissait que d'asseoir le principe d'échange, mais nullement de discuter la valeur des objets proposés.
4o Que je venais de répondre à sa quatrième observation, et qu'enfin la cinquième me paraissait d'autant moins fondée qu'une fois la chose arrêtée du commun accord des deux parties et à leur avantage réciproque, l'on prendrait la forme que l'empereur jugerait nécessaire.
Votre Excellence sentira que cette conversation nous mena très loin. Le ministre rappela les sacrifices de la Hollande, en me faisant entendre que le roi s'attendrait dans cette circonstance à une augmentation de territoire, et que Sa Majesté préférerait un moins grand avantage à un échange qui lui assurerait des revenus plus considérables. Je suis tombé d'accord avec le ministre sur la position malheureuse de ce pays, qui souffrait plus que le reste du continent des mesures nécessitées par les circonstances; mais en même temps je lui ai rappelé que le gouvernement n'avait rien fait pour mériter les bontés particulières de l'empereur, puisque son esprit était mauvais, sa direction habituellement vicieuse, et que ce n'était qu'en insistant et par la crainte que l'on pouvait l'amener à des mesures et à une conduite dont il cherchait à s'écarter dans toutes les occasions; que j'en étais habituellement témoin, et que certainement ce n'était pas ainsi que l'on acquerrait le droit d'attendre une existence indépendante du souverain qui pouvait tout; que le gouvernement hollandais était d'autant plus répréhensible que c'était de lui seul que venaient les torts, puisque le pays était bon et souffrait avec une résignation qui lui faisait le plus grand honneur. M. Roëll m'a répété qu'il me priait de regarder comme une simple conversation ce qu'il venait de me dire, attendant les ordres du roi pour me communiquer sa réponse. Il m'a témoigné son embarras d'en parler à Sa Majesté et m'a demandé quelque chose par écrit: ce que j'ai refusé. On annonce l'arrivée du roi pour jeudi. J'imagine qu'alors j'aurai l'honneur de le voir et de savoir la détermination de Sa Majesté. On dit que le roi donnera des fêtes pour le jour de saint Napoléon. Rien n'est cependant encore connu. Je verrai M. Roëll aujourd'hui et pourrai peut-être rendre compte à Votre Excellence de ce qu'il m'aura dit à ce sujet.
La côte est bien gardée. On a arrêté dernièrement plusieurs passagers venant d'Angleterre. Il n'entre pas de marchandises. Nous avons cependant assez régulièrement les nouvelles de Londres, et les journaux du 28 sont en ville. Les nouvelles qu'ils contiennent sont bien tristes sur l'Espagne. J'aime à les croire fausses. Je ne doute pas que l'empereur reçoive tous ces journaux. Si Sa Majesté les désirait, je puis les avoir sans me compromettre.
Votre Excellence sait combien je surveille la fermeture des ports, et elle doit supposer combien les mesures prises et exécutées doivent être contraires à la majeure partie des habitants d'Amsterdam. C'est donc avec une véritable peine que j'apprends que les mêmes mesures ne sont pas exécutées partout avec la même sévérité. J'ai la certitude positive qu'il entre à Brême une énorme quantité de marchandises anglaises et que l'on ne fait rien pour l'empêcher. Les négociants hollandais se plaignent alors d'un poids qu'ils supportent seuls. Je ne puis rien répondre aux preuves qu'ils me présentent et ma position devient désagréable. Je suis aussi fâché de voir dans les journaux français l'arrivée dans nos ports de navires américains chargés de denrées coloniales. Le prétexte qu'ils ne sont pas entrés en Angleterre n'en est pas un admis ici, et l'on a la certitude que beaucoup de navires ont des journaux doubles, et que l'on imite si bien en Angleterre les signatures et les papiers que les prétendus signataires ne peuvent pas même les reconnaître.
J'apprends à l'instant que M. Roëll est encore à Utrecht. Je ne puis donc rien mander de plus à Votre Excellence.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 11 août.
J'arrive dans l'instant de chez le roi qui est à Amsterdam depuis hier soir. Sa Majesté m'a fait écrire par son ministre des affaires étrangères de me rendre à son palais, à deux heures. J'ai exécuté cet ordre et n'ai pas été peu étonné en entrant dans le cabinet du roi d'y trouver M. Roëll, ce qui n'était jamais arrivé depuis que je suis en Hollande, Sa Majesté m'ayant entretenu toujours seul. J'ai donc pensé qu'il s'agissait d'une réponse officielle à l'ouverture que j'avais été chargé de faire au sujet de l'échange proposé par l'empereur comme rectification des frontières, et je ne me suis pas trompé dans mon pressentiment. Le roi m'a répété absolument tout ce que M. Roëll m'avait dit il y a quelques jours, m'a déclaré son éloignement pour la cession proposée par l'empereur. Sa Majesté m'a annoncé que, dans son opinion, cette proposition était aussi désavantageuse pour lui personnellement que pour le pays qu'il gouverne; qu'il serait perdu aux yeux des Hollandais; qu'ainsi, s'il en était le maître, il ne pouvait l'accepter; qu'il ne pouvait renoncer à d'anciens sujets; qu'enfin il m'enverrait une réponse par écrit qui développerait plus en détail les différents points de vue sous lesquels il envisageait cette affaire. J'ai eu l'honneur d'observer au roi que l'avantage de la Hollande consistait dans l'échange qui serait fait; qu'ainsi il paraissait difficile à Sa Majesté de prévoir qu'il serait désavantageux à son royaume puisqu'il n'était pas connu; que, quant à lui personnellement, il me semblait que dans la position où étaient les finances de l'État, il ne pouvait lui être préjudiciable d'admettre un principe qui aurait pour but de les améliorer et de sauver son pays qui, de son propre aveu, marchait journellement à sa ruine. J'ai eu la douleur d'entendre le roi me tenir un langage d'indépendance absolument nouveau. J'imagine que S. M. s'y est crue obligée en présence de son ministre. J'ai répondu avec la dignité que j'ai cru qui convenait à l'ambassadeur de l'empereur, mais en même temps avec tout le respect que je dois à tant d'égards au frère de mon souverain. Je n'ai dit que ce que je voulais dire; mais j'ai fait sentir au roi que d'aller au devant d'une idée qui paraissait agréable à l'empereur ne me paraissait pas devoir être si éloigné de sa pensée, surtout lorsqu'elle était présentée par ma cour avec une modération qui prouvait son intention de ne faire aucun tort à la Hollande. Je n'ai voulu entrer dans aucun autre développement. M. Roëll était présent, c'était une raison de plus de ne pas aller plus loin. J'aurai donc l'honneur d'adresser à Votre Excellence la réponse du roi, si elle me parvient avant le départ du courrier. Je n'étais pas heureux aujourd'hui, car il m'est survenu un autre objet sur lequel je n'ai pu tomber d'accord avec le roi. Il a été question des soldats de sa garde que Sa Majesté a licenciés et de la pension que l'empereur exige qui soit faite à ces soldats. Le roi m'a dit que ces militaires étaient partis parce qu'ils ne voulaient plus rester à son service; qu'ainsi il n'était tenu à leur donner aucune pension; qu'il leur avait fait demander s'ils avaient de quoi vivre en France; qu'ils avaient répondu affirmativement et avaient ajouté qu'ils étaient très contents. J'ai eu l'honneur d'observer au roi qu'ils avaient tenu un autre langage dans ma chancellerie où ils s'étaient plaints de leur licenciement, en disant qu'ils ne partaient que parce qu'ils ne voulaient pas devenir Hollandais. Sa Majesté me dit les avoir fait parler, et me cita le général de Brac, grand maréchal du palais, comme ayant été chargé de s'assurer qu'ils partaient entièrement de leur consentement. Le roi sonna aussitôt, fit appeler M. de Brac qui dit qu'ils avaient tous répondu qu'ils quittaient à regret le service du roi; mais que dès qu'ils devaient devenir Hollandais pour y rester, ils préféraient retourner dans leur patrie. J'ajoutai alors que cette réponse cadrait parfaitement avec le dire des soldats, puisqu'ils n'avaient quitté le service du roi que pour obéir à l'option qui leur avait été faite. J'eus l'honneur de prendre congé de Sa Majesté, qui reste encore quelques jours dans sa capitale, et qui donnera lundi, jour de saint Napoléon, un concert et un bal. Le même jour j'ai engagé dans un grand dîner les ministres du pays et étrangers, ainsi que les chefs des autorités civiles et militaires.
P. S. Le roi ne m'ayant rien envoyé, je suis obligé de fermer ma dépêche. J'imagine que Sa Majesté expédiera un courrier à l'empereur.
P. S. J'ouvre ma dépêche pour envoyer à Votre Excellence la note de M. Roëll.
Le duc de Cadore remit cette lettre à l'empereur après l'avoir fait suivre de la note ci-dessous:
Je renouvelle au sujet de cette lettre l'observation déjà faite que M. de Larochefoucauld a été au delà de ses instructions lorsqu'il a fait la proposition directe d'un échange sur lequel il était seulement chargé de connaître les dispositions du gouvernement hollandais.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 15 août.
Je n'ai que le temps, avant le départ du dernier courrier, d'envoyer à Votre Excellence la réponse officielle du roi transmise par M. Roëll. Je l'ai déjà trouvée plus mesurée que ce que j'avais entendu quelques heures auparavant, et j'ai su que le roi avait senti la position fausse dans laquelle il s'était placé, ainsi que moi, lorsqu'il me parla devant son ministre. J'ai eu l'honneur de revoir Sa Majesté avec laquelle j'eus une longue conférence, et je dois à la vérité d'assurer à Votre Excellence que je l'ai trouvée absolument différente dans son opinion, du moins dans la manière de l'exprimer. Le roi m'a dit que son idée, en rendant M. Roëll témoin de sa réponse, était, dans une affaire aussi majeure, qu'elle fût connue de son ministre. Je lui ai observé que ceci ne me paraissait pas être le meilleur moyen d'atteindre son but; car son ministre pouvait me répondre s'il ne s'agissait uniquement que de me faire connaître sa détermination; mais que, me faisant l'honneur de m'appeler, je devais supposer que Sa Majesté voulait discuter la proposition, ce qui devenait inutile dès que sa réponse était concertée d'avance. Nous avons repris l'objet en question; nous en avons discuté les avantages pour la Hollande ainsi que les désavantages, et j'ai vu que la répugnance du roi à cet échange tenait plutôt à l'impossibilité où il se croyait de céder une partie de ses sujets, et au doute qu'il avait que cette proposition plût ou convînt à la nation qu'à aucune autre raison; qu'ainsi il ne pouvait pas le demander, mais qu'il ne s'y opposerait pas et en serait peut-être bien aise, si le résultat était un avantage dont ce pays ne peut se passer. Le roi m'a dit avoir écrit à l'empereur. Je puis ajouter à Votre Excellence que plusieurs personnes m'ont parlé de cette affaire, quelques-unes comme la désirant, regardant que leur patrie a besoin de possessions en Allemagne pour se soutenir pendant la guerre; d'autres comme espérant de la générosité de l'empereur un avantage pour ce pays; enfin d'autres comme jugeant nécessaire de faire une cession qui convenait à l'empereur, et par cela mériter ses bontés et échanger l'opinion que l'on suppose à S. M. impériale et royale sur la Hollande. Enfin, comme j'ai eu l'honneur de vous le mander dans une de mes dépêches précédentes, l'on commence à sentir que l'on ne peut plus rien attendre que de la France. Le résumé de cette dépêche est donc que l'empereur peut faire l'échange s'il le désire, et que Sa Majesté attirera à elle tout ce pays-ci si elle juge devoir l'aider à sortir de la crise où la stagnation du commerce le met. Le roi m'a traité avec beaucoup de bonté la dernière fois que j'ai eu l'honneur de le voir. Je lui ai rappelé différents griefs pour telle ou telle affaire particulière que j'avais eu à traiter. Sa Majesté a eu la bonté de m'en éclaircir plusieurs. J'espère, dans ce voyage, avoir fait quelques pas vers le but que je me propose; il y a certainement du mieux. Il n'entre pas de bâtiments, et c'est beaucoup. Je désire pouvoir bientôt mander à Votre Excellence que ce mieux est devenu un bien. Je n'épargne rien pour y parvenir. Je vais aller au Te Deum que le roi fait chanter à sa chapelle.
Dans mon premier numéro j'aurai l'honneur de vous rendre compte de la manière dont la journée se sera passée[150].
M. le général Brunot, aide de camp du roi, vient d'être nommé grand écuyer.
M. le comte de Turkheim Montmartin, ministre de la cour de Wurtemberg, vient d'obtenir son rappel, M. de Munch, son secrétaire de légation, vient d'arriver. Il restera chargé d'affaires, en attendant une nouvelle nomination.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 18 août.
Je me suis rendu le 15 de ce mois à la chapelle du roi où j'ai entendu la messe et ensuite le Te Deum chanté pour la fête de l'empereur. Le roi y a assisté; mais la cour n'était pas en grande cérémonie, et le service ordinaire était simplement présent. Le roi a travaillé avec ses ministres dans la matinée. J'ai ensuite donné un grand dîner à tous les ministres du roi, aux grands officiers du royaume et du palais, aux premiers fonctionnaires publics, civils et militaires, et à tout le corps diplomatique. De toutes les personnes qui entourent le roi, M. le maréchal de Brac et M. de Heckeren, grand veneur, se sont seuls rendus à mon invitation. Au dessert, le ministre des affaires étrangères a, d'après l'offre que je lui en ai faite, porté le toast de l'empereur et y a joint l'expression de son désir que S. M. impériale et royale veuille bien penser au bonheur de sa patrie. Tout le monde était obligé de se rendre de très bonne heure à la cour, ce qui m'a forcé de réunir en un seul toast: au roi, à la paix maritime et au bonheur de la Hollande.
Quant aux gazettes anglaises, je n'avais pas été plus loin avant d'avoir la réponse de Votre Excellence; mais hier j'ai pris de plus amples informations. On m'offre les papiers, les notes des ministères, les ordres donnés dans les différents ministères, etc.; mais pour cela l'on demande près de 3,000 fr. par mois; pour les gazettes seulement moitié, ou un peu plus. Alors deux fois par semaine vous pourriez les recevoir, et je les enverrais par exprès jusqu'à Anvers, pour que cette correspondance fût à l'insu du gouvernement hollandais qui pourrait bien l'empêcher. Je ne paraîtrais nullement, et Votre Excellence peut s'en rapporter à ma prudence et être sûre que je ne ferais rien qui puisse blesser le moins du monde le système général. Répondez-moi, je vous en prie, le plus promptement possible en m'indiquant la latitude que je puis prendre.
Cadore à Larochefoucauld.
Paris, 26 août.
J'ai reçu votre dépêche du 18 août, no 27. Je vois avec satisfaction que vous avez heureusement terminé l'affaire des deux prises conduites à Helvoët-Huyr, et avec regret que le roi ait l'intention d'insister désormais sur le principe même qui avait fait naître la difficulté. Je sens bien tout l'inconvénient qu'il y aurait à admettre ce principe et c'est ce que vous devez vous garder de faire. Mais il y a de plus pour le combattre des raisons solides. Si la Hollande était neutre, elle aurait en cette qualité des obligations pour lesquelles le droit qu'elle réclame lui pourrait être nécessaire. Mais elle est alliée de la France et son alliée à perpétuité, son alliée envers et contre tous. Non seulement les deux pays ont les mêmes amis et les mêmes ennemis, mais dans l'un et l'autre les règlements concernant la navigation des neutres sont entièrement et parfaitement les mêmes. La nature des choses veut donc que lorsqu'il s'agit, soit de poursuivre l'ennemi commun, soit d'empêcher les prévarications des neutres, les deux territoires, quoique distincts, soient considérés comme un seul et même; et, comme il ne peut être dans l'intention du gouvernement de Hollande de protéger ses propres ennemis, il est évident qu'il ne peut empêcher les opérations des armateurs français et vouloir les enlever à leurs juges naturels, sans aller lui-même contre ses vues autant que contre son intérêt. Telles sont les considérations que vous aurez à faire valoir lorsque l'occasion s'en présentera.
Des deux offres qui ont été faites relativement aux papiers anglais, je n'accepte que celles qui regardent les gazettes. Je vous prie de vouloir bien donner vos soins à me les procurer avec exactitude. Vous pouvez, comme vous le proposez et si vous le jugez utile, les envoyer par exprès à Anvers. Toutes les avances que vous aurez faites pour cet objet vous seront remboursées à votre première demande.
Cadore au ministre de la marine.
Paris, 26 août.
Au moment où je recevais la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 22 de ce mois, il m'en parvenait une de M. de Larochefoucauld où il m'annonce qu'il a terminé, selon vos désirs et les siens, l'affaire des deux prises conduites par des corsaires français à Helvoët-Huyr. Le roi a passé sur la violation du territoire hollandais reprochée aux deux corsaires, mais en déclarant, par l'organe de son ministre des affaires étrangères, que, si dans cette occasion il se désistait de son juste droit, c'était uniquement pour donner une nouvelle preuve de sa constante déférence à ce que paraissait désirer S. M. l'empereur, son auguste frère; mais que cette condescendance ne pourrait jamais tirer à conséquence et qu'à l'avenir tous les cas de même nature seront décidés suivant les statuts et les lois du royaume.
Les Hollandais ont constamment soutenu et soutiennent que tout étranger, même d'un pays leur allié, qui fait des prises dans leurs eaux, viole leur territoire, ou, ce qui est la même chose, attente à leur souveraineté et commet un délit dont la connaissance appartient exclusivement au souverain offensé et dont la première conséquence est de rendre la prise illégale et nulle. Il faut l'avouer, ce ne sont pas les Hollandais seuls qui ont professé cette doctrine. Elle a été celle de toutes les puissances maritimes dans les dernières guerres. Elle me semble admise par nos propres ordonnances, et c'est en vertu de ce principe que nous-mêmes nous avons exigé et obtenu de diverses cours, et naguère encore du Danemarck, des indemnités pour des bâtiments français pris dans leurs eaux.
Sa Majesté le roi de Hollande, se montrant jaloux de son droit et annonçant la résolution de ne s'en point désister à l'avenir, il me paraîtrait désirable, pour éviter désormais des discussions désagréables, qu'il fût enjoint aux corsaires de ne saisir dans les eaux de la Hollande, à une distance des rivages moindre que la portée du canon, aucun bâtiment sous pavillon neutre (car pour les prises sous pavillon ennemi, il ne s'élèverait, je présume, aucune difficulté, ou elles seraient aisément aplanies), ou du moins de ne pas conduire dans les ports hollandais les bâtiments saisis à une moindre distance, et cela sous peine d'être privés de l'intervention et de l'appui du gouvernement français.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 29 août.
J'ai eu l'honneur, dans un de mes numéros, d'informer Votre Excellence que j'avais un moyen d'envoyer en Angleterre une personne qui pourrait me rendre compte de la véritable situation de ce pays et sonder ses intentions. Je prie Votre Excellence de me mander simplement si S. M. impériale et royale désire que je conserve ce moyen ou si elle veut que je l'abandonne. Ne voulant pas compromettre ma cour, je retarde de donner une réponse, prétextant mon désir de voir l'issue de quelques événements avant de ne rien entreprendre; mais ceci a ses bornes, et je craindrais que la personne regardât ce retard prolongé comme une manière de se jouer d'elle; ce qui me priverait d'un agent qui est bon et m'a déjà été souvent utile. Je demande donc simplement à Votre Excellence un oui ou un non sur cet article.
On a attendu ici le roi le 1er septembre; Sa Majesté donnera le 2 un grand bal pour son jour de naissance. Le ministre des affaires étrangères a invité le corps diplomatique à un grand dîner pour le même jour.
Il y a quelques jours que les Anglais vinrent à Zandvoort, près de la côte, à quatre lieues d'ici, demander du poisson. Sur le refus que l'on fit de leur en donner, ils tirèrent sur ce village environ 80 coups de canon. Le dommage, que l'on avait dit être très considérable, est presque nul.
Je viens d'être informé que le roi venait d'accorder la libre sortie de tous les produits de la Hollande. Le ministre Roëll, qui sort de chez moi et à qui j'en ai parlé, m'a assuré l'avoir aussi entendu dire, mais n'en rien savoir positivement. Il m'a simplement informé qu'il savait que l'on s'était adressé au roi pour l'engager à donner un écoulement à la garance et aux avoines qui étaient tombées en baisse par la quantité prodigieuse qu'il y en avait dans le pays. Je ne doute pas que le roi n'ait mis des bornes à cette permission, qui paraîtrait bien vague et dangereuse quant à ses conséquences.
On commence à organiser le commerce de cabotage le long de la côte du Nord. On est informé ici que l'on charge des bâtiments en Russie pour la Hollande, et le commerce espère dans ce nouvel essai éprouver quelques adoucissements à la triste position dans laquelle il se trouve réduit.
Roëll à Cadore.
Amsterdam, 28 septembre.
J'avais l'honneur de m'adresser il y a peu de jours à Votre Excellence pour la solliciter de se servir de toute son influence auprès de S. M. impériale et royale afin d'obtenir à ce royaume un accroissement de territoire, en dédommagement des sacrifices énormes que les habitants ont déjà faits depuis longtemps et font encore pour la cause commune. J'osais me flatter alors que S. M. impériale et royale serait convaincue elle-même, d'un côté, de la nécessité absolue de cet agrandissement, sinon pour nous tirer d'affaire, au moins pour nous soulager dans l'état pénible où nous nous trouvons; et que, d'un autre côté, elle serait si intimement persuadée de la stricte observation du système de blocus dans ce royaume, que lorsque l'occasion s'en présenterait, elle daignerait manifester son contentement à ce sujet, comme elle l'a déjà fait une fois, il y a quelques semaines, à l'ambassadeur Werhuell par l'organe de Votre Excellence.
J'étais donc loin de prévoir alors que, si peu de temps après, je serais dans le cas de m'adresser à Votre Excellence sur le coup si terrible qui vient de nous frapper dans le décret impérial du 16 de ce mois, contenant une prohibition de faire entrer en France des denrées coloniales venant de l'Espagne ou de la Hollande, et une confiscation de tous les bâtiments qui entreraient dans la Suède; décret qui, en supposant une facilité d'introduction de ces denrées dans ce royaume et par là même une communication commerciale avec l'ennemi, a fait la sensation la plus pénible parmi les habitants, et a presque entièrement détruit l'espoir qu'ils avaient de trouver dans les dispositions bienveillantes de S. M. l'empereur et roi envers leur patrie une garantie puissante du prix qu'ils recevraient un jour des sacrifices auxquels ils se sont assujettis avec tant de résignation.
En effet, que faut-il de plus pour succomber entièrement sous le triste sentiment de sa destruction que de se voir assimilé sous certains rapports à une nation qui, au lieu de reconnaître ce grand et salutaire but de l'empereur et roi dans la part qu'il prend à l'amélioration de leur existence, pousse l'ingratitude et l'aveuglement assez loin pour se déclarer son ennemi ouvert, et de s'y voir assimilé non seulement dans une communication de gouvernement à gouvernement, mais dans une pièce qui, par sa nature même, devait être publique, et par là à la face de l'Europe entière.
Et, si tel est l'effet de ce décret sur la nation, quel ne doit donc pas être celui qui en résulte auprès de l'auguste frère du souverain qui l'a rendu? Que V. Excellence veuille juger elle-même. Avoir satisfait à toutes les demandes qui ont été faites de la part de S. M. impériale et royale, avoir été même au delà de ses désirs en allant encore plus loin qu'en France même, et être dénoncée après cela indirectement, comme manquant de bonne foi, à l'univers entier, voilà des choses dont l'effet peut bien se sentir mais ne pas se décrire.
Comme le roi mon maître écrit lui-même à S. M. impériale et royale, je crois ne devoir pas occuper plus longtemps l'attention de V. Excellence sur l'effet que le décret dont il s'agit vient de produire ni sur les observations à faire sur son contenu, puisque M. le chevalier Bourdeaux, qui aura l'honneur de remettre cette lettre à V. Excellence, est chargé de faire des représentations à ce sujet. Je me borne donc à la prier qu'elle veuille bien les recevoir comme officielles, et qu'ajoutant foi à tout ce que pourra lui dire M. Bourdeaux sur la manière dont le blocus s'observe dans ce royaume, elle veuille bien intercéder auprès de S. M. impériale et royale pour que le décret soit modifié de manière à ce qu'il n'en reste aucune impression désavantageuse ni pour le roi ni pour ses sujets, ou que du moins il plaise à S. Majesté de faire voir par un témoignage public de son contentement et de sa bienveillance à notre égard, que le but du décret n'a rien qui doive inspirer de la peine ou de l'inquiétude aux habitants de ce royaume.
Qu'avant de finir V. Excellence me permette de lui transmettre encore une seule réflexion particulière: c'est que, d'après ma manière de voir, un sentiment pareil à celui dont j'ai parlé ci-dessus ne saurait manquer d'être toujours mis à profit par l'ennemi pour faire naître un mauvais esprit là où il n'existe pas, et que c'est même une raison de plus pour ceux qui ont de bonnes dispositions de souhaiter de voir écarter tout ce qui peut produire un effet si peu désirable.
Cadore à Roëll.
Erfurth, 12 octobre.
M. le chevalier Bourdeaux m'a remis la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je lui ai procuré sans délai une audience de l'empereur, et il a eu l'honneur de remettre à S. Majesté la lettre de S. Majesté le roi de Hollande. J'avais précédemment entretenu S. M. l'empereur du sujet de la mission de M. le chevalier Bourdeaux et je lui avais lu la lettre que vous m'avez adressée. Je suis autorisé à vous déclarer que rien ne serait plus mal fondé que la supposition qu'on aurait voulu comparer et mettre sur la même ligne les peuples de la Hollande et de l'Espagne, un peuple patient, soumis, éclairé, qui supporte avec courage de grands sacrifices, et des hommes aveugles, égarés par l'ignorance et la violence de leurs passions, et qui repoussent dans leur délire le bien qui leur est offert. Le décret qui vous a donné lieu de faire cette supposition est tout à fait étranger aux affaires politiques. Il a été proposé par le ministre des finances, discuté au conseil d'État; c'est un décret d'administration intérieure dicté par les intérêts de cette administration. L'empereur en a plus particulièrement fait connaître les motifs au chevalier Bourdeaux. Je ne reviens pas sur ce qu'a dit Sa Majesté, M. Bourdeaux en rendra compte au roi. J'ajoute seulement que, dans le moment où nous cherchons à établir par des bâtiments qu'on a appelés aventuriers des relations directes avec nos colonies, on ne doit pas être étonné que nous cherchions à décourager les importations des denrées coloniales qui sont faites par les étrangers. Sa Majesté l'empereur m'a annoncé l'intention de répondre à Sa Majesté le roi et de charger M. le chevalier Bourdeaux de cette réponse[151].
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 29 décembre.
J'avais été surpris d'apprendre que Sa Majesté avait terminé l'affaire de la prise de l'America au moment même où je recevais la réponse de V. Excellence et avant que ma dernière note ait pu parvenir au ministre; mais m'étant aperçu depuis longtemps que toutes les dépêches de V. Excellence étaient ouvertes avant de m'être remises, je me suis assuré que celle-ci avait eu le même sort. Il devient donc plus que probable que les ministres hollandais auront craint de continuer une opposition devenue inutile et auront engagé le roi à prendre une décision conforme au désir de l'empereur. Au reste, V. Excellence n'entendra plus parler de cette affaire, le vice-consul ayant touché les fonds.
Nous terminerons cette curieuse correspondance diplomatique relative aux affaires de la Hollande en 1808, par deux lettres, écrites les 3 et 24 septembre d'Amsterdam par le prince Dolgorouki, ministre de Russie en Hollande, à M. le comte de Romanzoff, ministre des relations extérieures de Russie; toutes deux avaient été copiées à la poste. Ainsi, M. de Larochefoucauld avait trouvé moyen d'obtenir des copies de dépêches étrangères importantes. On a vu, par la lettre précédente, que le gouvernement hollandais agissait du reste de la même manière à l'égard de la France.
Avant-hier le roi de Hollande arriva vers les huit heures du soir à Amsterdam et y fut reçu aux plus vives acclamations d'une foule de peuple immense. Des inquiétudes sur l'état de sa santé, le bruit qu'on s'était plu à répandre qu'il avait été mandé à Paris pour assister à une réunion de famille, et plus que cela, un passage mal rédigé du programme de la fête à célébrer le 2 de ce mois, avaient fait craindre qu'il n'y viendrait pas, et cette crainte redoubla l'expression de la joie qu'on a éprouvée à le revoir. La journée d'hier lui a prouvé à quel point il était aimé; des gens de différents partis et d'opinions opposées se sont empressés de se rendre à la cour, et l'on a remarqué qu'il y avait au moins deux fois plus de monde qu'à la fête du 15 août. Ce jour-là le roi portait l'ordre de Hollande et celui de la Toison d'or; mais hier il n'était décoré que du seul ordre de Saint-André. S. Majesté me dit au cercle diplomatique: «Monsieur le prince Dolgorouki, j'aurai bien des choses à vous dire la première fois que nous causerons ensemble. Mon ministre m'a transmis tout ce que l'empereur Alexandre lui a dit à mon sujet, et j'en suis pénétré de la plus vive reconnaissance; je n'ai pu aussi qu'être très flatté de la manière dont S. M. l'empereur a bien voulu distribuer les cordons de Hollande que j'avais mis à sa disposition; aussi, pour célébrer ma fête, je n'ai pas cru pouvoir mieux faire que de me décorer de l'ordre de mon frère Alexandre. J'ai un secret pressentiment que c'est à lui que nous devons la paix générale. C'est le plus beau rôle à jouer que celui de pacificateur du monde, et ce rôle lui est réservé. Je fais continuellement des vœux pour qu'il éloigne de nous toute idée de guerre.»
M. Roëll me souffla à l'oreille que M. de Six[152] avait dîné chez l'empereur, mon maître; qu'il avait apprécié cette distinction, qu'il en était tout glorieux et qu'on avait été enchanté ici de ses dernières dépêches.
Le roi revint ensuite à moi pour m'annoncer que le bataillon de Gorcum serait prêt dans quatre jours. Il m'engagea à être indulgent, ajoutant qu'il aurait voulu faire davantage, mais que le temps manquait et qu'il avait pensé qu'il serait plus utile d'en presser le départ avant la mauvaise saison.
Le ministre de la guerre, faute de logement, a donné hier un grand dîner dans une auberge. M. Roëll, moins mal logé, a invité chez lui le corps diplomatique. Les envoyés de Danemark et de Bavière, tous deux très malades, n'y sont pas venus. S. Majesté voulait dîner avec les ministres de famille, mais le baron de Munchhausen, envoyé de Westphalie, eut seul cet honneur, dont l'ambassadeur de France n'a pas pu profiter, étant attaqué d'une inflammation de la vessie.
Le bal de la cour a été très nombreux et très brillant; les quatre nouvelles dames du palais ont été présentées. Le roi a paru très gai, très bien portant et a fort bien supporté les fatigues de cette journée qui a été terminée par un souper de quatre cents couverts, auquel cependant il n'assista point. Ma femme et moi nous fûmes placés à la table de S. Majesté, dont le grand maréchal fit les honneurs. Le palais, ainsi que les principaux édifices de la ville, ont été illuminés; les théâtres furent ouverts gratis et 20,000 florins furent distribués aux pauvres.
Deuxième lettre.
Le Moniteur du 13 septembre nous rapporte le discours du comte Regnault de Saint-Jean-d'Angély relatif à la conscription de 1810. Déjà, y est-il dit, les côtes de France, de Russie, d'Italie, d'Allemagne, de Turquie, sont interdites à la Grande-Bretagne.
Comme dans ce passage il n'est pas fait mention des côtes de la Hollande, on ignore si cette omission provient de ce que les côtes hollandaises sont censées appartenir à la France, ou bien qu'on ne les croit pas entièrement interdites à la Grande-Bretagne. Cette dernière supposition acquiert un plus haut degré de probabilité par un nouveau décret de l'empereur, qui défend d'introduire en France les denrées coloniales qu'on pourrait vouloir y faire passer d'Espagne, de Portugal ou de Hollande. Les bons Hollandais, scrupuleux observateurs des lois et des ordonnances de leur pays, voient avec douleur que l'empereur les assimile ainsi aux Espagnols et aux Portugais, avec lesquels ils n'ont rien de commun. Car il est bien certain qu'il n'y a aucun rapport ni aucune relation entre la Hollande et l'Angleterre, à moins qu'on ne regarde comme tels l'arrivée ou le départ de quelques individus qui, de temps à autre, parviennent, au risque de leur vie, à se soustraire à la vigilance des douaniers et des gardes-côtes, ce qui est très rare et ne pourra jamais être empêché par des mesures plus strictes que celles qu'on emploie maintenant. Il y a quelque temps qu'un particulier s'étant jeté dans une nacelle à Sendvaart pour passer en Angleterre, fut tué d'un coup de fusil par un douanier hollandais. Un autre particulier, plus heureux, après s'être tranquillement promené le long des dunes de Schvesingen, s'est précipité à la mer et a gagné un cutter anglais à la nage. Ces faits prouvent bien à quel point est poussée la surveillance, puisqu'on est obligé de recourir à des moyens si violents pour s'y soustraire. Enfin, comme je l'ai déjà dit, il n'y a ici ni marchandises ni gazettes anglaises, sinon de loin en loin, et par pièces et morceaux, et le plus souvent arrivant par Anvers.
L'existence de la Hollande paraît à tous égards péricliter de plus en plus. Onze cent millions de dettes qui absorbent annuellement quarante millions d'intérêt, et les fortes impositions que le défaut de commerce met dans l'impuissance d'acquitter, doivent nécessairement amener dans peu une banqueroute générale. Le manque de numéraire commence déjà à se faire sentir, ainsi que celui des lingots d'or et d'argent regardés comme marchandises.
Année 1809.
De Larochefoucauld au duc de Cadore.
Amsterdam, 23 janvier 1809.
Monsieur, j'ai l'honneur d'accuser réception à V. Excellence de la lettre par laquelle elle m'enjoint de notifier à la cour de Hollande l'intention de S. M. impériale et royale que le roi son auguste frère imite son exemple en ne recevant pas, de la cour de Rome, les cierges bénits qu'elle est dans l'usage d'envoyer aux différentes cours catholiques.
J'ai exécuté à cet égard les ordres de V. Excellence, et j'aurai l'honneur de lui transmettre la réponse que je recevrai du gouvernement hollandais.
Le 13 février, le ministre de Hollande prévient le ministre de France que le roi ne recevrait pas les cierges bénits, se plaint de la froideur polie du roi à son égard et ajoute:
Il est vrai qu'ignorant les intentions de l'empereur j'ai cru devoir me mettre en mesure d'exécuter tels ordres qu'il plairait à ma cour de me donner; j'ai donc désabusé le commerce et presque la totalité des Hollandais de la fausse idée que l'empereur était la cause de leurs malheurs et voulait leur ruine.
J'ai séparé ce que l'on devait attribuer à la force des événements de ce qui tenait à la conduite blâmable du gouvernement hollandais; j'ai assuré que la multiplicité des décrets dont on se plaignait n'était pas ordonnée par l'empereur, comme on cherchait à le faire croire; enfin j'ai prouvé à la saine partie de la nation que son véritable intérêt était d'être attachée à mon souverain, la Hollande ne pouvant attendre de salut que des bontés de l'empereur. Je crois pouvoir assurer à V. Excellence que j'ai pleinement réussi.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 6 février.
Monsieur, nos occupations sont maintenant bien tristes en Hollande. La plus grande partie des provinces méridionales de ce royaume est submergée et les détails qui nous arrivent journellement sont loin d'être rassurants, etc.
Le roi qui, comme j'ai eu l'honneur de le mander à V. Excellence, est parti il y a près de quinze jours, après s'être arrêté 24 heures à Utrecht, a été jusqu'à la ville de Gorcum. Il paraît que dans cette dernière ville S. Majesté a couru de grands dangers et que les ordres qu'elle a donnés, ainsi que le courage, que la présence du souverain impose toujours, ont fortement contribué à garantir de l'inondation la partie de la ville de Gorcum située dans la province de Hollande. La partie gueldroise de cette ville était déjà sous l'eau, et ce n'est qu'à force de monde qu'on a pu préserver la digue qui sépare les deux parties de cette même ville. Je regrette qu'après avoir terminé ce voyage, qui fait d'autant plus d'honneur au roi que sa santé est délicate, S. Majesté n'ait pas cru devoir revenir dans sa capitale. Le roi est resté à Utrecht où il est depuis plusieurs jours et où il a fait venir une grande partie de sa maison. Tous les ministres ont été appelés avant-hier. D'un autre côté, la prorogation des séances du Corps législatif, qui retient à Amsterdam les plus riches propriétaires, ne leur avait fait aucun plaisir, et l'absence du roi leur fait craindre que l'époque fixée au 15 mars ne soit encore insuffisante...
Il existe donc un mécontentement qui balance les justes éloges que l'on se plaît à rendre à la conduite personnelle du roi.
Le ministre terminait cette lettre en se plaignant de ce que le roi avait voulu recevoir un Français alors en Hollande, M. Faypault, ancien préfet, sans qu'il soit présenté à son audience par lui, comte de Larochefoucauld, ministre de France. L'empereur fit répondre, le 24 février, que le roi son frère pouvait, à cet égard, agir comme bon lui semblait[153].
Dépêche secrète.
Werhuell à Roëll.
Paris, 3 février 1809.
La situation déplorable de la Hollande est connue et appréciée à Paris.—On voudrait y porter remède pourvu qu'on n'enfreignit pas le système du blocus.—Il y a d'ailleurs défaut de confiance dans le gouvernement hollandais. Il faudrait demander quelles sont les intentions précises de l'empereur sur le blocus.—En se bornant aux mesures prises en France, on obtiendrait une amélioration réelle. Ce qu'on a fait en plus a paru illusoire et suspect.—Une convention fixe devrait stipuler les moyens de surveillance. Il ne pense pas qu'on se contente d'une surveillance purement hollandaise. On voudrait y adjoindre sans doute temporairement une inspection française; à ce prix on pourrait obtenir l'abaissement des tarifs sur divers objets et faciliter l'échange entre les deux pays.—Le cabotage pourrait se faire sous protection de bateaux armés.—Il faudrait dresser une liste d'objets sur lesquels porterait l'abaissement des tarifs, pour les présenter dans un mémoire étendu sur la situation de la Hollande.—Le point délicat est l'inspection française de la surveillance; mais il croit qu'il n'y a rien à faire sans cela.
Cette dépêche étant parvenue au roi par l'entremise de son ministre des affaires étrangères, Sa Majesté écrivit au-dessous:
Amsterdam, 20 février 1809.
Nous renvoyons le rapport ci-joint à notre ministre des affaires étrangères pour répondre au maréchal Werhuell de donner la note diplomatique d'après laquelle il a fait sa dépêche, parce qu'il m'est impossible de croire que le maréchal soit assez jeune homme pour ne pas sentir que ce n'est pas dans ce sens qu'on doit écrire. Quelle que soit son opinion, c'est la nôtre qu'il doit embrasser.
Il est là pour la faire valoir et la défendre, et pour ne jamais donner tort à son pays, quelque chose qui s'y fasse. Notre ministre susdit lui fera connaître de plus que nous avons particulièrement marqué la phrase: Car Sa Majesté l'empereur ne souffrira pas qu'on se serve, etc., phrase qui peut appartenir au ministre de l'empereur de dire, mais qui n'appartient à qui que ce soit d'autre de nous adresser, et principalement à un Hollandais, quand cela vient de notre ambassadeur, cela nous paraît tout à fait incompréhensible.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 13 février.
Sa Majesté est arrivée hier d'Utrecht à 7 heures du matin. On m'assure que le roi n'est pas incommodé des fatigues qu'il a souffertes dans ses différentes courses. Enfin il est pénible de voir que, lorsque le pays est si bien disposé, le gouvernement le soit aussi peu à rendre justice aux Français, ce qui m'oblige à réclamer très souvent pour des objets qui ne devraient pas faire la moindre difficulté. Le gouvernement hollandais est inquiet; mille choses me le prouvent. Non seulement l'on m'a fait plusieurs questions, mais encore l'on s'est adressé à d'autres personnes que l'on supposait instruites. L'ambassadeur n'écrit rien et son silence étonne et afflige.—Si le gouvernement attend avec impatience et crainte ce que l'empereur décidera, les vrais Hollandais ne sont pas moins tourmentés de l'incertitude de leur situation politique. Les têtes sages regardent l'absence de la reine comme une preuve de l'instabilité de leur position. Plusieurs personnes marquantes m'en ont parlé souvent dans ce sens. Elles craignent pour leur patrie tant que leur souveraine n'est pas au milieu d'eux, comme un gage des bontés de Sa Majesté impériale et royale pour la Hollande. Cette opinion est générale, elle occupe tous les amis de l'indépendance de ce pays-ci, qui savent et reconnaissent qu'ils ne peuvent avoir d'autre système politique que celui de la France et qui voient à regret que leur gouvernement dépasse souvent les hautes conceptions de l'empereur sans jamais en atteindre le but.
Décret de l'empereur (3 mars) cédant en toute souveraineté au prince Napoléon-Louis, fils aîné du roi de Hollande, le grand-duché de Berg et Clèves, qui lui était rétrocédé par Murat par suite du traité de Bayonne du 15 juillet 1808[154].
Werhuell à Cadore.
Paris, 28 février.
Votre Excellence connaît tout l'empressement que le roi mon maître a mis à concourir aux mesures du blocus des Îles Britanniques décrétées par S. M. impériale et royale. Elle sait également que Sa Majesté n'a pas borné ses dispositions à celles qui existaient à ce sujet en France, mais que, pour ôter à ses sujets jusqu'à la possibilité même d'entretenir des relations de commerce avec l'ennemi, elle a cru devoir fermer pendant quelque temps ses ports à toute espèce de navigation et suspendre l'exportation des produits du sol et de l'industrie nationale, même pour les ports neutres et amis.
En imposant à son peuple des sacrifices dont l'histoire n'offre guère d'exemple, Sa Majesté a donné la plus éclatante preuve de la pureté de ses intentions et de son dévouement à la personne de S. M. impériale et royale. Mais un système qui ôte à un peuple commerçant tous les moyens de faire le commerce ne saurait être suivi que pendant un très court espace de temps, et Sa Majesté est maintenant convaincue de l'impossibilité d'y persister davantage sans que la ruine d'un très grand nombre de ses sujets n'en soit le résultat inévitable.
N'ayant cependant et ne pouvant même avoir d'autre volonté que celle d'entrer dans les mesures que son auguste frère a conçues pour le continent, Sa Majesté a réfléchi sur les moyens de concilier les dispositions du blocus avec les besoins de son peuple, et elle s'est déterminée à adopter pour son pays toutes les mesures que le gouvernement français a prises ou pourrait prendre encore durant cette guerre à l'effet d'empêcher les communications avec l'Angleterre et avec les possessions britanniques dans les deux Indes, mais à accorder aussi à ses nationaux les mêmes avantages que S. M. impériale et royale laisse au commerce français.
Chargé d'avoir l'honneur d'informer V. Excellence des dispositions que Sa Majesté compte introduire avec le commencement du mois prochain, je m'en acquitte par la présente et profite en même temps de l'occasion pour lui exprimer de nouveau les vœux de ma cour, qu'il plaise à S. M. impériale et royale de supprimer le décret du 16 septembre dernier et de rétablir les relations du commerce entre les deux pays sur le même pied où elles étaient avant cette époque. Le roi m'a autorisé à donner les assurances les plus positives qu'il emploierait tous les moyens qui sont en son pouvoir à surveiller la stricte exécution des mesures adoptées pour empêcher toute communication avec l'ennemi. L'organisation actuelle des douanes hollandaises, au sujet de laquelle V. Excellence m'a demandé quelques renseignements que j'ai l'honneur de lui adresser ci-joints, offre à cet effet bien des ressources. Sa Majesté les augmentera de toute manière et elle recevra avec reconnaissance les projets d'amélioration que le gouvernement français voudra bien lui soumettre.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 6 mars.
On a reçu plusieurs fois des nouvelles du roi. Sa Majesté, le jour même de son départ, a été au Loo, d'où elle a fait quelques petites excursions. Elle est partie trois jours après pour Zvol et l'on suppose qu'elle continuera sa tournée pour l'Over-Yssel et que peut-être elle reviendra par le Brabant. Le roi voyage avec le ministre de l'intérieur et celui des cultes. Sa Majesté est en outre accompagnée des officiers de sa maison que j'ai eu l'honneur de désigner à V. Excellence dans mon dernier numéro. On assure que le roi est bien portant et content de son voyage. Le ministre de Wesphalie a reçu un courrier du roi Jérôme. Il est en conséquence parti sur-le-champ pour rejoindre Sa Majesté le roi de Hollande. Les communications entre ces deux cours sont très fréquentes. V. Excellence sait mieux que personne que Varel[155] est rendu à S. A. le duc d'Oldenbourg; M. Berger, qui était chargé ici de suivre cette négociation, est sur le point de repartir. Il doit remettre aujourd'hui à M. Roëll une boîte avec le portrait du duc. Je rappellerai à V. Excellence la nécessité d'empêcher que cette restitution ne nuise à l'ensemble des mesures prises pour empêcher la contrebande. Varel peut devenir très nuisible s'il n'est pas bien gardé. On m'a assuré qu'il serait occupé par des troupes françaises: de cette manière, tout est bien. Dans le cas contraire, il deviendrait indispensable de surveiller la communication entre Varel et Helgoland. On s'occupe ici d'un nouveau cérémonial, malheureusement les grands officiers de la couronne qui sont chargés de ce travail sont peu propres à remplir sur cet objet les intentions du roi. Aucun n'a connu les cours étrangères et, par conséquent, ne peut juger du bien ou des inconvénients de telles ou telles étiquettes. Au reste nous avons grand besoin d'un changement, car rien n'est fixé. Il y a quelques jours, le corps diplomatique avait été invité au bal du roi par le chambellan de service, et l'on apprit par le ministre des affaires étrangères, à 6 heures du soir, que le bal n'aurait pas lieu le même jour, à 8 heures; et la note officielle qui annonçait ce changement prévenait aussi qu'une audience diplomatique qui devait précéder le bal était ajournée, tandis que personne n'avait connaissance de cette audience.
Je regrette de n'avoir pu remplir les ordres de V. Excellence, relativement à l'article qu'elle m'avait chargé de faire insérer dans la gazette hollandaise la plus répandue; mais il avait paru dans la Gazette royale, deux jours auparavant, un article que j'ai l'honneur de vous envoyer. Il avait été publié par ordre du roi, d'après, ce que l'on assure, les informations venues à Sa Majesté par M. Jacobson, son ministre près S. A. I. le prince Primat. Les différents rédacteurs ont eu peur que l'on ne regardât cet article comme une réfutation de celui de la Gazette royale, et, comme ils sont sujets à une censure sévère, ils ont demandé qu'on les garantît de ce qu'on pourrait leur dire à ce sujet. J'ai pensé que cela ne remplissait pas le but de V. Excellence, et je me suis contenté de faire passer, par une main sûre, ce même article à Hambourg, où il sera rendu public et d'où il reviendra en Hollande sans que l'on puisse soupçonner qu'il vienne de moi. Au surplus, j'ai employé des personnes si sûres, que je puis répondre que personne n'a connaissance de ce que j'ai fait et voulu faire.
On répandait hier en ville que la véritable raison du départ du roi était une entrevue que Sa Majesté devait avoir avec le roi de Westphalie. On disait aussi que le baron de Münchhausen n'était parti que pour rejoindre son souverain.
On croit ici à la guerre. Les lettres de Paris et celles de Vienne en contiennent l'assurance. On ne peut plus placer aucun papier sur cette dernière place, à quel taux que ce soit. On parle aussi d'une expédition du Danemark contre la Suède, et l'on assure qu'une immense quantité de marchandises anglaises et coloniales trouve un débouché en Russie. Au reste, toutes ces nouvelles sont des on dit que V. Excellence peut apprécier mieux que personne. Ce qui n'est pas une chose incertaine, c'est la position affreuse de la Hollande et la nécessité de s'occuper de son sort. Toute la ville assure que le retour de la reine est très prochain, et cette idée plaît généralement.
Larochefoucauld à Cadore.
23 mars.
Le dernier décret de l'empereur au sujet du grand-duché de Berg a été l'objet de toutes les conversations et chacun s'est permis d'en tirer des conséquences. On aurait désiré que la Hollande retirât quelques avantages présents de cette donation.
Je n'ai pas à me plaindre maintenant de la marche des affaires, elles se traitent mieux qu'elles ne le faisaient anciennement, et, depuis quelque temps, je crois que la contrebande continue et qu'aucun bâtiment n'est admis dans les ports; mais cette situation ne peut durer longtemps. Le besoin d'exportation se fait sentir tous les jours davantage, et on me parle souvent du décret qui empêche l'entrée en France des denrées coloniales et autres. Je rappelle souvent cet objet à Votre Excellence, mais j'y suis forcé, étant continuellement pressé de solliciter les bontés de l'empereur à ce sujet.
Larochefoucauld à Cadore.
30 mars.
... Le roi m'a paru peiné d'avoir appris que l'empereur croyait que les communications de la Hollande avec l'Angleterre étaient rétablies. Il me dit que faisant autant, il était fâché de voir la même opinion subsister encore. Il me fit ensuite l'honneur de m'annoncer que S. M. impériale et royale n'ayant pas répondu à son projet d'exportation, elle regardait ce silence comme une approbation et donnait des ordres en conséquence.—Je dois avoir l'honneur d'affirmer à Votre Excellence que, quoique j'exerce la plus grande surveillance sur ce qui se passe dans les ports de la Hollande, je ne me suis aperçu d'aucune entrée de bâtiments chargés de marchandises prohibées; que certainement il se fait quelque contrebande surtout par la Frise et Helgoland, mais que cette introduction est si peu considérable que tous les articles défendus n'éprouvent aucune baisse à la bourse. Enfin je ne puis que répéter la satisfaction que j'ai éprouvée de trouver le roi dans de bonnes dispositions et de m'être aperçu que Sa Majesté paraissait sentir que les choses n'avaient pas été jusqu'à présent comme nous avions lieu de le désirer et qu'il était dans l'intention de changer ce qui pouvait avoir déplu à l'empereur. Il est possible que je me flatte et que cette bonne direction ne soit pas de longue durée. J'espère le contraire et ferai mon possible pour entretenir le roi dans cette nouvelle marche.—Votre Excellence aura vu, dans les papiers anglais, la défense de laisser en Angleterre les beurres, les fromages et les genièvres venant de Hollande. Ceci me paraîtrait prouver que les mesures contre l'introduction des marchandises anglaises sont bien exécutées dans ce pays-ci.
Werhuell à Cadore.
Paris, 11 avril.
J'ai reçu les ordres les plus pressants du roi mon maître, de communiquer confidentiellement à Votre Excellence les inquiétudes dans lesquelles Sa Majesté se trouve au sujet des préparatifs secrets qui se font actuellement dans les ports de l'Angleterre et qui pourraient bien être dirigés contre les côtes de la Hollande.
Ce qui paraît autoriser cette idée, c'est que depuis quelque temps les Anglais prennent et amènent nos pêcheurs, qu'ils s'approchent plus constamment et plus près des côtes, qu'enfin, depuis quelques jours, ils reconnaissent les côtes et sont occupés à sonder partout où elles présentent des facilités pour un débarquement.
Les forces que le roi a de disponibles pour s'opposer à un projet de débarquement quelconque sont extrêmement faibles; il ne reste à Sa Majesté que ses gardes et deux bataillons qu'elle a donné l'ordre de concentrer et de faire camper pour en tirer le meilleur parti en cas de besoin. Elle fait armer en même temps la garde nationale, mais elle ne se dissimule pas combien peu elle doit se reposer sur ces deux ressources, et que son pays serait essentiellement exposé si elle ne peut pas augmenter son corps d'armée, n'ayant d'ailleurs pour la garde des côtes que quelques canonniers et quelques hussards de distance en distance.
Je prie Votre Excellence de mettre cet état de choses sous les yeux de S. M. l'empereur, qui saisira d'un coup d'œil tous les dangers de la Hollande, et accueillera, je l'espère, les sollicitations du roi pour que les troupes hollandaises, actuellement dans le nord de l'Allemagne, puissent rejoindre le pays et contribuer à sa défense. Le roi m'a chargé de demander cette faveur avec d'autant plus d'instance qu'elle regarde que la réunion de ces troupes à celles qui lui restent lui donnera à peine les forces suffisantes pour faire une résistance convenable à une attaque éventuelle[156].
Le roi mon maître, en me donnant les ordres ci-dessus énoncés, m'a envoyé en même temps deux lettres pour son très auguste frère, et m'a enjoint de solliciter une audience particulière de Sa Majesté pour avoir l'honneur de les lui remettre. Je serais très flatté si Votre Excellence voudrait en faire part à S. M. impériale et royale et m'obtenir cette grâce.
Werhuell à Cadore.
Paris, 23 mai.
Les nouvelles entraves qu'éprouve de toutes parts le commerce hollandais m'imposent le devoir de renouveler à Votre Excellence avec les plus vives instances les démarches que j'ai déjà eu l'honneur de faire plus d'une fois pour obtenir de S. M. l'empereur et roi que les relations commerciales entre la France et la Hollande soient rétablies sur le même pied où elles étaient avant les mesures prohibitives émanées de France dans le mois de septembre dernier.
Votre Excellence sait que l'implacable ennemi de la prospérité hollandaise vient de déclarer de nouveau en état de blocus tous les ports de la Hollande. Il empêche également la sortie des bâtiments neutres chargés de productions hollandaises, et comme la saison où nous sommes entrés permet à ses nombreuses croisières d'observer toute l'étendue de nos côtes d'un bout à l'autre, le peu de commerce qui restait encore à ce pays est par là entièrement détruit.
L'inimitié entre les deux nations est à son comble, et si l'Angleterre pouvait anéantir aujourd'hui toute la Hollande, elle y emploierait tous ses moyens et regarderait la destruction de son ancienne rivale comme la plus grande conquête remportée sur l'industrie des autres nations.
Il paraît que ce nouvel acharnement est une suite de la sévérité avec laquelle le roi a fait exécuter dans les ports de son royaume les mesures du blocus. Les Anglais ont cru devoir s'en venger. Mais le peuple hollandais, habitué depuis longtemps aux plus grands sacrifices, toujours ferme et inébranlable dans ses principes, ne ralentira pas ses efforts pour la cause commune. Il aime à nourrir l'espoir qu'il trouvera dans ses relations avec la France une compensation à ses pertes.
Le roi mon maître, plaçant dans cet état de choses, comme toujours, sa confiance entière dans l'amitié de son très auguste frère, se flatte que S. M. impériale et royale voudra bien prendre en considération qu'il est impossible que la Hollande reste entre deux prohibitions, et désire vivement qu'elle accorde la suppression du décret du 16 septembre dernier qui pèse si fâcheusement sur les liaisons commerciales entre les deux pays et est si nuisible à leurs intérêts réciproques.
Votre Excellence connaît particulièrement la fâcheuse impression et les funestes résultats que ce décret a produits en Hollande; je la prie donc instamment de vouloir profiter de la première occasion favorable pour mettre le contenu de cette lettre sous les yeux de S. M. impériale et royale et d'honorer ma demande de son appui.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 30 avril.
Les affaires continuent à suivre une bonne direction, et je commence à croire que véritablement l'intention du gouvernement hollandais est changée. Le roi envoya hier à son ministre des affaires étrangères le décret relatif à la sortie et à l'entrée des marchandises indiquées dans ce décret. Il lui enjoignait de me le communiquer; une fois le principe admis, je crois que la rédaction des articles doit prévenir tous les abus.
N'ayant reçu aucune réponse de Votre Excellence au sujet de ce décret, je dois supposer que S. M. impériale et royale y donne son assentiment. Je n'ai donc pas cru devoir discuter le principe, mais prendre simplement toutes les précautions possibles pour que le système général de l'empereur ne souffre aucune atteinte. J'ai lieu d'espérer que le gouvernement hollandais sera sévère, qu'il punira de la manière la plus forte toute espèce de fraude. Je lui ai fait entendre qu'il était indispensable pour le bien du commerce que cette sévérité ne souffrît aucune exception, et je crois l'avoir persuadé.
Le roi, par un décret du 2 de ce mois, vient de séparer l'administration des douanes du ministère des finances.
Sa Majesté a nommé M. Van Meuwen, conseiller d'État dans la section des finances, son administrateur général des douanes. M. Van Meuwen est du Brabant. L'opinion générale me paraît être qu'il mettra du zèle et de l'exactitude dans ses fonctions. Quant à ses moyens, ils sont peu connus, du moins des personnes à qui j'en ai parlé. Je sais de la manière la plus positive que ce décret du roi a été pris dans l'intention d'entrer dans les vues de l'empereur et que Sa Majesté l'a décidé sans en parler à ses ministres; celui des finances n'en ayant été informé que lorsque le nouveau directeur général des douanes est venu lui porter la lettre du roi qui lui annonçait sa nomination.
Sa Majesté est attendue aujourd'hui pour dîner. Demain, il y a bal à la cour, et, dans peu de jours, je crois que le roi ira en Zélande et retournera à Utrecht.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 8 mai.
Je prie Votre Excellence de vouloir bien, lorsque l'occasion s'en présentera, parler à l'empereur du décret du 16 octobre qui interdit en France l'entrée de toutes les denrées coloniales venant de la Hollande. Ce décret, indépendamment qu'il affecte beaucoup le roi, nuit essentiellement au commerce de ce pays, qui ne trouve pas de débouché pour les objets qu'il a encore en magasin. Il a de plus l'inconvénient d'habituer les Hollandais à un commerce de contrebande qui s'établit du côté du grand-duché de Berg.
J'ai de plus la certitude qu'il serait très agréable au roi que l'empereur reconnût, et, plus encore, portât, ne fût-ce qu'un instant, l'ordre que Sa Majesté a fondé. Si Votre Excellence pouvait être autorisée à m'écrire quelques mots à ce sujet, je crois que cela ferait grand plaisir au roi.
Le roi s'occupe maintenant à mettre la Zélande en état de défense. Sa Majesté avait donné ordre que l'on désarmât l'île de Gorée; mais sur les représentations qui ont été faites au roi, Sa Majesté a rapporté cette décision, et la batterie de Borschin, jugée une des plus importantes de la Zélande, vient d'être augmentée. Le colonel Domrat, aide-de-camp du roi, commande le génie dans cette partie de la Hollande.
Les camps ne sont pas encore établis. Les troupes sont cantonnées dans les environs de Naarden et de Wesesp, c'est-à-dire très près d'Amsterdam. Le général Tarayre est toujours destiné à commander le camp qui doit être de 25,000 hommes. La division hollandaise qui était à Brême, Hambourg, etc., est en marche pour se rendre à Gœttingue. Elle n'a laissé qu'environ 3,000 hommes pour garder les positions qu'elle occupait.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 12 mai.
Le roi est arrivé avant-hier à 4 heures du matin. J'ai eu l'honneur de voir Sa Majesté le même jour. Je l'ai trouvée en parfaite santé et point fatiguée de ses voyages, malgré la chaleur étouffante qu'il fait ici depuis trois semaines. Il paraît que le projet du roi est de rester peu de jours à Amsterdam. Sa Majesté doit aller à Southdeck et au Loo, mais elle reviendra souvent dans sa résidence où sa présence ne peut produire qu'un bon effet. Le roi a été à Flessingue. Il me semble que Sa Majesté m'a dit qu'elle avait écrit à l'empereur. Elle a admiré notre flotte qui est maintenant composée de dix vaisseaux de ligne; mais elle n'a pas été contente ni de l'état dans lequel elle a trouvé la place ni de l'attitude de notre amiral qui, à ce que j'ai appris, n'a rendu au roi que les honneurs de prince français, mais pas ceux dus à son rang, ce qui m'a fait d'autant plus de peine que, dans les circonstances présentes, le roi marchant franchement au même but que l'empereur, il est utile et nécessaire d'entourer Sa Majesté d'une force d'opinion dont elle a besoin pour maintenir la tranquillité qui règne dans son royaume, et que la bonne intelligence entre les deux cours et la grande déférence pour le roi est l'arme la plus forte que l'on puisse mettre dans les mains de Sa Majesté. J'ai donc soin de rejeter et d'oublier tout ce qui s'est passé, même ce qui pourrait encore me blesser, pour défendre le roi, dès que l'on cherche à attaquer quelques-unes de ses actions. J'ai rendu compte à Votre Excellence des pamphlets et des libelles qui ont circulé ici. De très mauvais propos ont été dits et répétés à Amsterdam et des lettres anonymes ont été écrites au roi. Sa Majesté a méprisé toutes ces attaques indirectes. Une seule femme qui répandait ces libelles a été arrêtée et est encore maintenant dans les mains de ta justice. L'exemple de la Westphalie a, je crois, fait une grande impression sur le roi. J'ai eu l'honneur de causer longtemps avec Sa Majesté, sur ce sujet; je l'ai trouvée telle que je pouvais le désirer, et bien franchement le frère de l'empereur. Le point sur lequel le gouvernement hollandais doit avoir les yeux le plus ouverts est l'Ost-Frise où il règne le plus mauvais esprit. Heureusement les Anglais ne cherchent pas à y débarquer, car il est triste de penser qu'ils y seraient reçus à bras ouverts. Plusieurs propositions d'actes de sévérité ont été faites au roi, mais S. M. les a très sagement écartées. Elle ne se fait pas illusion sur la position de l'Ost-Frise et sur la contrebande qui s'y fait depuis cet hiver. Mais ce malheur momentané, et qui n'a pas de grandes conséquences, ne peut pas entrer en comparaison avec le danger d'exciter des troubles, qu'il serait peut-être ensuite difficile d'apaiser. La Hollande est dépourvue de troupes. La formation de la garde nationale a souffert de grandes difficultés. Il deviendrait donc impossible d'employer de grands moyens de répression dans un pays où il n'y a plus d'esprit public. Le roi se contente de diminuer le mal autant que possible, en attendant une époque plus heureuse pour l'extirper entièrement. Les finances sont toujours l'objet de la plus grande sollicitude; le commerce diminue, les moyens s'affaiblissent, et j'ignore comment l'on fera ici si cet état de choses doit durer longtemps. Nous aurions besoin en Hollande d'une preuve d'approbation de l'empereur, et d'un de ces mots que S. M. impériale et royale sait dire si à propos pour donner du courage et de la force aux gouvernements et de l'espérance aux habitants. V. Excellence ne doute pas que l'espoir de nos ennemis soit dans le peu de confiance qu'ils croient que nous devons avoir dans la Russie. Il est donc malheureux que nous n'ayons pas ici un ministre de cette nation plus prononcé. Le prince Dolgorouki, sans tenir ouvertement une conduite opposée à notre cour, n'est pas tel que je pourrais le désirer, et sa manière de partager nos succès équivaut à un regret d'être forcé de les admirer. Il élève habituellement des doutes sur le résultat de la campagne. Maintenant ses prétendues inquiétudes sont portées sur Schill, qu'il regarde comme pouvant détruire l'armée française. Heureusement, comme je crois déjà avoir eu l'honneur de vous le mander, il ne jouit ici d'aucune espèce de crédit. Ainsi ses paroles ont peu de poids; mais le petit effet qu'elles produisent est mauvais. Il a déjà reçu, je crois, une forte réprimande de sa cour: une seconde serait très bien placée.
Les troupes hollandaises sont maintenant campées à quelques lieues d'ici. Les camps d'Harlem et de La Haye sont regardés comme l'avant-garde de celui qui couvre Amsterdam. Tous sont sous le commandement du général Tarrane, capitaine des gardes. Un autre capitaine des gardes commande la cavalerie.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 13 mai.
Je profite de l'occasion de M. de Vaux, qui est appelé au quartier général de S. M. impériale et royale, pour faire parvenir cette dépêche à Votre Excellence.
Depuis quelques jours il s'est répandu ici plusieurs pamphlets écrits dans un très mauvais esprit: ils ont été saisis par la police. Celui que l'on répandait avec la plus grande profusion était une espèce de manifeste du prince d'Orange qui, rappelant aux Hollandais leur ancienne splendeur et le bonheur dont ils jouissaient sous son gouvernement, les invitait à le rappeler au milieu d'eux, promettant d'y venir sur le champ et de les défendre, aidé par les Anglais, contre les dangers qu'ils pourraient redouter. Ces pamphlets n'ont produit aucune fermentation; mais l'opinion publique est bien molle et l'absence du roi fait un bien mauvais effet. On est étonné et fâché de voir le voyage du roi se prolonger dans des circonstances aussi importantes. Le roi perd dans l'opinion publique, et je crains que les personnes qui entourent Sa Majesté ne l'engagent à s'éloigner de sa capitale que pour lui nuire et le perdre. J'ai de fortes raisons de croire qu'ils me craignent, et ils caressent les anciennes idées du roi, en ne lui faisant voir d'indépendance que lorsqu'il est éloigné des Français. Je me fais rendre compte de tout ce qui se passe, et si je voyais le moindre danger, je me rendrais sur le champ auprès du roi pour déjouer les mauvais esprits qui l'entourent. Tout est tranquille ici. La garnison d'Amsterdam est au camp de Naarden. La garde du roi est même partie, et le palais, ainsi que la ville, n'a plus qu'un bataillon de vétérans qui occupent tous les postes. Le ministère est dans de très bonnes dispositions et je l'y maintiendrai. V. Excellence peut donc être bien tranquille; je lui écris aujourd'hui à la hâte et aurai l'honneur de lui rendre un compte plus détaillé au premier moment.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 29 mai.
Malheureusement, malgré toutes les peines que je prends et tout le désir que j'ai de voir régner une bonne harmonie entre le gouvernement hollandais et ma cour, je me trouve forcé de rendre compte à V. Excellence d'un nouvel incident qui fait suite à ceux de même nature que j'ai supportés depuis quinze mois et dont je n'ai pas parlé; mais celui-ci devient plus grave par la grandeur de l'événement auquel il a rapport et par l'effronterie que l'on a eue d'en faire un article de la Gazette royale d'aujourd'hui.
V. Excellence sait peut-être que le dimanche est en Hollande le jour que l'on passe ordinairement à la campagne, comme le seul dont les négociants puissent disposer. J'étais invité dans les environs de la ville et je devais partir samedi soir. Ayant appris qu'il devait y avoir un Te Deum à la cour, j'écrivis samedi à M. Roëll qu'ayant des projets de campagne, je désirais savoir si le Corps diplomatique était invité au Te Deum, pour régler ma marche d'après sa réponse. Le ministre me répondit d'abord qu'il allait s'en informer positivement. Deux heures après il m'écrivit un billet par lequel il me prévenait que M. le baron de Pallandt, chambellan de service, venait de lui mander que mon invitation était déjà expédiée. Je restai donc en ville, ignorant si le Te Deum aurait lieu le matin ou le soir, et ne voulant pas en aucun cas y manquer. La matinée se passa sans recevoir aucune lettre de la cour, enfin à une heure et demie M. de Pallandt m'envoya un valet de chambre pour me prévenir que le Te Deum venait d'être chanté, et pour me demander si je n'avais pas reçu d'invitation. Je répondis au valet de chambre que je n'avais rien reçu, et que probablement elle n'avait pas été expédiée. J'écrivis ensuite à M. Roëll pour me plaindre d'un pareil oubli, et de la manière leste et peu convenante dont il avait été réparé. Le ministre me répondit une lettre d'excuse dans laquelle il s'efforça de m'assurer qu'il n'y avait eu aucune intention de me manquer, mais un simple oubli. Le roi me fit appeler à la cour. Je me rendis aux ordres de Sa Majesté. Elle voulut bien me témoigner ses regrets, me dit des choses obligeantes, m'assura avoir fortement réprimandé les auteurs de cette faute, et quoique j'aie trouvé le roi enclin à prendre le parti de son chambellan, je n'ai pas eu à me plaindre. Je rappelai seulement à Sa Majesté combien j'avais supporté de petites choses de ce genre, et combien il me paraissait nécessaire qu'elle voulût bien y mettre ordre. Le roi partait ce matin. J'eus donc l'honneur de prendre congé de Sa Majesté. Ma conférence se termina en parlant au roi de plusieurs affaires qui se traitaient à présent et après avoir renouvelé à Sa Majesté l'assurance de mon zèle à faire valoir la marche nouvelle qu'elle avait prise, et je ne parlai plus de l'affaire du matin. Mais tout à l'heure, en lisant la Gazette royale, je lis: «Il a été chanté hier dans la chapelle royale, en présence de toute la cour, un Te Deum en l'honneur des étonnantes victoires de l'armée française. Son Excellence l'ambassadeur de France devait y assister, mais une indisposition l'en empêcha.»
J'écrivis sur le champ au ministre des affaires étrangères la lettre dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à V. Excellence, et j'aurai celui de vous faire part de la réponse du ministre dès qu'elle me sera parvenue. Je me décidai ensuite à démentir le fait inséré dans la Gazette. V. Excellence trouvera bon, j'espère, que je sois fortement blessé d'être ainsi récompensé de la conduite plus que modérée que je tiens en Hollande, elle approuvera que je n'aie pas laissé croire aux Hollandais, qui me voient journellement, que je n'aie pas voulu assister au Te Deum chanté pour des événements aussi marquants et qui intéressent aussi directement mon souverain et mon pays. Je prendrai cette occasion d'avoir l'honneur de vous assurer que tout ce qui est fait ici en l'honneur de nos victoires l'est d'une manière peu conforme à la grandeur des événements. Le canon fut tiré il y a trois jours pour notre entrée à Vienne, mais personne n'en fut informé que par la gazette. Car les ordres furent donnés de le tirer à six heures du matin et absolument à une extrémité de la ville. Il n'y eut aucune fête à la cour, aucune audience extraordinaire; enfin le Te Deum fut chanté hier simplement à la chapelle du roi. Il n'y avait que deux ou trois dames du palais et les personnes qui tiennent au service personnel du roi. Le Corps diplomatique n'y était même pas invité. Je devais être le seul admis à faire ma cour au roi dans cette circonstance marquante. Que V. Excellence veuille bien ajouter à ceci que les bulletins de notre armée ne sont pas publiés en Hollande tels qu'ils sont réellement, mais que l'on en donne uniquement un extrait, ayant soin d'en ôter tout ce qu'ils contiennent de réflexions politiques. Quant à M. de Pallandt, dont je viens d'avoir l'honneur de vous parler, ce chambellan est une des personnes qui professent les opinions les plus opposées à la France et à l'empereur. Il se vante d'influencer le roi et de le diriger d'après ses opinions. Tous les Français en sont et en ont toujours été mécontents. Enfin il serait trop long de répéter à V. Excellence tous les propos qu'il a tenus dans toutes les circonstances qui se sont présentées.
Les justes observations faites à l'empereur sur le triste sort de la Hollande, non seulement par les agents de ce malheureux pays, mais par ceux de la France, finirent par être écoutées. Napoléon, par un décret daté d'Ebersdorf, 4 juin 1809, rapporta celui du 16 septembre 1808. En voici la teneur:
Les relations commerciales entre la France et la Hollande seront rétablies sur le même pied qu'avant notre décret du 16 septembre 1808.
Cette nouvelle, parvenue à Amsterdam le 16 juin 1809, répandit la joie dans le royaume. Le duc de Cadore l'annonça à Larochefoucauld par la lettre suivante, du 5 juin:
M. l'amiral Werhuell m'avait adressé au nom de sa cour de nouvelles instances pour la révocation du décret du 16 septembre. J'ai entretenu Sa Majesté de cet objet et elle a bien voulu rétablir les relations entre les deux pays sur le pied où elles étaient antérieurement.
Je n'ai point laissé ignorer à M. Werhuell que l'empereur avait été déterminé par ce que vous avez mandé de l'exactitude avec laquelle les mesures contre le commerce anglais étaient exécutées depuis un certain temps. Sa Majesté a été très surprise et même peu satisfaite d'apprendre que M. Janssins, l'un des ministres du roi, ait été chargé d'une mission (sans doute publique) auprès de S. A. S. Madame la grande-duchesse de Toscane, qui n'est point souveraine.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 6 juillet.
J'ai eu l'honneur de mander à V. Excellence que les bâtiments américains continuaient à entrer dans les ports de la Hollande. Le roi n'a pas encore pris de résolution formelle à cet égard, mais on assure que le décret qui autorise l'arrivée de ces bâtiments est déjà rendu et qu'il sera bientôt public.
Il y a trois jours qu'une scène fort désagréable arriva au Texel. Un corsaire français s'empara de deux navires américains. Les stationnaires hollandais se rendirent sur les prises, en arrachèrent le pavillon français et empêchèrent le capitaine du corsaire de communiquer avec ses prises. V. Excellence verra par le rapport ci-joint les détails de cet événement. Comme je n'ai pas encore de réponse de V. Excellence à ma dépêche du 19 juin, je me suis borné à écrire à M. Roëll la lettre dont je joins une copie. Je n'ai pas voulu aller plus loin, mais il est pénible de voir mes espérances s'évanouir chaque jour davantage. Les affaires, au lieu de prendre une tournure satisfaisante, empirent à chaque instant. La contrebande augmente d'une manière effrayante. La mauvaise marche du gouvernement reprend un nouvel essor, et l'on dirait que l'acte de bonté de l'empereur n'a servi qu'à réveiller une conduite aussi blâmable qu'insensée. Le commerce souffre beaucoup et désapprouve tout ce qui se passe maintenant. De fortes représentations ont été faites, mais malheureusement tout est inutile, et nous sommes retombés dans la même position que l'été dernier.
Le roi est au Loo. Sa Majesté voit ses ministres tous les 15 jours ou toutes les trois semaines. Elle est entourée des dames du palais et des officiers de sa maison, et s'occupe dans la matinée des affaires et de l'arrangement de ses jardins. Le soir, il y a concert ou spectacle. Personne n'est admis au Loo que les Hollandais qui y sont invités, et je regarde ces voyages prolongés comme une des causes de ce dont j'avais à me plaindre. Le roi y est livré à quelques personnes qui abusent de sa bonté. Les ministres mêmes ne sont pas là pour faire des observations à Sa Majesté, et les affaires y sont décidées sans cet ensemble qui est indispensable dans la direction d'un gouvernement.
Des nouvelles que je reçois dans le moment me forcent à reparler à V. Excellence de l'affaire arrivée dernièrement au Texel. Un second corsaire français vient d'adresser au consul général un rapport qui est absolument conforme à celui que j'envoie à V. Excellence; mais des lettres d'un des armateurs, qui est au Helder, ajoutent que les Hollandais maltraitent les Français qui sont à bord des prises, qu'ils les empêchent de venir à terre, tandis qu'ils accordent cette permission aux Américains; qu'enfin les papiers de ces prises viennent d'être envoyés au directeur général des douanes ou au ministre de la marine; qu'ainsi il deviendra très difficile de réfuter l'objection qui sera faite que ces navires ont été pris dans les eaux du royaume de Hollande. Il est au reste prouvé que ces bâtiments ont été visités par les Anglais, et constant que tous les Américains sont escortés par des bricks anglais jusqu'à la passe du Texel. M. le général Knobelsdorff, ministre de Prusse, sort de chez moi. Il est venu m'apporter une lettre que son souverain lui écrit au sujet de l'emprunt; par cette lettre le roi, croyant très difficile de l'effectuer, me prie de certifier à l'empereur l'impossibilité de trouver cette ressource en Hollande. J'ai répondu au ministre que M. de Nieburg, chargé de cet emprunt, m'avait assuré qu'il avait contracté un engagement avec une maison de commerce d'Amsterdam, que cet engagement était soumis à l'approbation de la cour de Prusse et à l'autorisation du roi de Hollande; que depuis cette époque je n'avais plus entendu parler de cette affaire, et que j'attendais, pour témoigner au roi le désir de l'empereur que cet emprunt s'effectuât, que M. de Nieburg m'eût assuré que cette opération était prête, sauf cet agrément. Je priai donc M. de Knobelsdorff de répondre à S. M. le roi de Prusse que je ne pouvais écrire à S. M. impériale et royale dans le sens qu'il désirait, que dans le cas où le roi de Hollande refuserait de permettre cet emprunt, ce que je suis loin de supposer.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 6 juillet.
J'annonçais à Votre Excellence, par le dernier courrier, que j'étais informé que S. M. le roi de Hollande avait pris une résolution qui permettrait l'entrée des ports de son royaume aux navires américains. V. Excellence en trouvera ci-joint la traduction, ainsi que celle d'une seconde résolution prise le même jour, 30 juin, qui augmente de six articles ceux autorisés par le décret du 31 mars dernier. Ces deux résolutions ont été sanctionnées à mon insu, et jusqu'à ce moment elles ne me sont pas parvenues officiellement. Le ministre ne m'en a même jamais parlé; probablement il ne les connaissait pas lui-même. Quant à la première de ces résolutions, je l'ai passée sous silence, ayant voulu attendre les ordres de l'empereur avant d'agir, et, ne m'étant pas formellement opposé à l'entrée des navires américains, il eût été inconséquent, avant d'avoir reçu de nouvelles instructions, de faire une levée de boucliers contre un décret qui admet ces bâtiments. J'ai été plus embarrassé sur le second objet. Si S. M. le roi de Hollande n'eût pas été le frère de l'empereur, ma conduite eût été si ferme et si positive, que le décret eut été rapporté. Mais les circonstances m'ont paru mériter des ménagements, et le respect pour tout ce qui tient à l'empereur m'a retenu. Je me suis donc contenté de demander un rendez-vous au ministre par la lettre dont copie est ci-jointe, et lui ai donné trois jours pour qu'il puisse me répondre et qu'il ait le temps de prévenir le roi de cette conférence. Le but principal de cet entretien est de savoir si le roi a consulté S. M. impériale et royale, ce dont je doute beaucoup. Si cependant je me trompe, et que l'empereur ait trouvé bon l'introduction des sucres, cafés et cotons, dès ce moment je n'ai plus rien à dire; mais dans le cas contraire, il me paraît impossible de permettre l'entrée en France de ces denrées coloniales avant d'y être autorisé. Je viens donc provisoirement de prescrire aux consuls de ne délivrer aucun certificat d'origine pour les six nouveaux articles, avant le jour où je dois avoir une explication avec M. Roëll. Le prétendu serment exigé du capitaine américain est un article de forme qui ne sert à rien, car quel peut être le capitaine qui fasse saisir son bâtiment, pour ne pas affirmer qu'il n'a pas été en Angleterre et qu'il n'a été visité par aucun bâtiment de cette nation? Je ne puis pas non plus me fier au gouvernement hollandais, car j'ai de fortes raisons de croire que des navires avec licences anglaises ont été admis, et j'ai acquis la certitude que des bricks anglais escortaient tous les américains qui sont entrés en Hollande dans le mois dernier. Ce fait est tellement avéré que tout le commerce et la marine en sont informés.
Pour me rendre raison de cette nouvelle mesure prise par le roi, je suppose que les Hollandais auront renouvelé leurs plaintes de voir les productions de leurs colonies vendues à vil prix en Angleterre, et qu'ils auront obtenu de Sa Majesté cette dernière résolution qui va inonder la France et l'Allemagne de ces articles, surtout depuis que S. M. impériale et royale a rapporté le décret du 16 septembre, car avec la meilleure volonté, il est très difficile aux consuls de n'être pas souvent trompés sur l'origine des articles qui leur sont présentés, et en outre, ces derniers objets étant autorisés par le roi, il leur sera impossible de les refuser. C'est pour couper court à ces inconvénients que je me suis décidé à enjoindre aux consuls de n'autoriser l'entrée en France d'aucun des objets qui me paraissent en entière opposition avec les intentions de l'empereur, et qui le sont avec mes anciennes instructions qui m'enjoignent d'empêcher l'entrée en Hollande de navires américains chargés de denrées coloniales, et même de déclarer que je quitterais le royaume si le gouvernement hollandais persistait dans cette conduite.
Si S. M. impériale et royale eût été à Paris, je ne me serais pas porté à cette mesure, qui a quelque chose de désagréable pour le roi, mais d'un autre côté j'ignore ce qui s'est passé en Autriche depuis dix jours. L'empereur est peut-être encore plus éloigné de nous, et avant que je ne puisse recevoir les ordres de V. Excellence, les magasins d'Anvers seront remplis de denrées coloniales. Il me paraît difficile ensuite de remédier à cet inconvénient, tandis qu'en conservant les choses en statu quo, l'empereur peut décider, et si je n'ai pas agi conformément à ses instructions, le tort ne retombe que sur moi, et les affaires reprennent leur marche ordinaire. J'envoie cette dépêche par estafette à M. le comte Beugnot, afin qu'elle parvienne plus promptement à V. Excellence.
La bourse d'Amsterdam est dans une grande agitation. Ces nouvelles résolutions donnent beaucoup d'inquiétude. Quelques propriétaires ou consignataires des bâtiments américains sont contents, mais la grande majorité des négociants fera de grandes pertes si l'admission des Américains est maintenue. Hier on ne pouvait rien vendre; les denrées sont à vil prix.
Quant à la contrebande, V. Excellence verra par un rapport de M. Sadet, que le gouvernement hollandais ne la surveille que très faiblement. En tout les affaires prennent une marche bien désagréable et qui, je vous assure, m'afflige beaucoup. Le roi est parti de Loo le 3 de ce mois, il a été à Harlem, a dîné chez le préfet, a acheté à la foire de cette ville une quantité de marchandises, a paru à un bal qu'une des personnes les plus riches de la ville donnait, et est reparti le lendemain matin pour Loo. Je devais être à ce bal; mais des affaires m'ayant appelé ici, je n'ai pu y assister. Pour me résumer, j'ai donc l'honneur de prévenir V. Excellence que si j'apprends que l'empereur n'a aucune connaissance des dernières résolutions du roi, je ferai suspendre la délivrance des certificats d'origine pour les articles compris dans la dernière décision, jusqu'à ce que je reçoive les ordres de S. M. impériale et royale, et j'en informerai M. Roëll.
Cadore à Larochefoucauld.
Vienne, 17 juillet.
Monsieur l'ambassadeur, le décret par lequel le roi de Hollande a ouvert les ports de son royaume aux navires et aux productions des États-Unis a causé à S. M. l'empereur un vif déplaisir.
C'est pour ainsi dire au moment même où la Hollande obtenait de Sa Majesté une faveur qu'elle avait ardemment désirée, qu'elle a pris elle-même une mesure contraire aux vues et aux intérêts de la France, autant qu'elle est favorable aux desseins de l'ennemi.
Sa Majesté vous charge de demander la révocation instante, immédiate de ce décret. Elle vous charge de faire connaître que la Hollande ne doit pas se flatter de pouvoir tenir en fait de commerce maritime une ligne de conduite qui ne soit pas entièrement conforme à celle de la France et du reste du continent; qu'elle doit être indissolublement unie à la France, partager son sort, sa bonne et sa mauvaise fortune, n'avoir d'autre système que celui de la France, le suivre sans déviation; qu'autrement, si elle veut séparer sa cause du continent, l'empereur, à son tour, se séparera d'elle.
Sa Majesté veut que vous mettiez la plus grande énergie dans votre langage, ce que vous saurez faire en gardant tous les égards que vous avez pour le roi et que vous lui devez. Mais il faut que tous les ministres et tous ceux qui ont la confiance du roi sentent que non seulement un refus, mais de simples hésitations, pourraient avoir les conséquences les plus sérieuses. Vous iriez même s'il le fallait (mais je suppose que cela ne sera pas nécessaire), vous iriez, dis-je, jusqu'à déclarer que si la Hollande ne se remet pas sur le champ sur le même pied que la France, et ne rentre pas dans son système pleinement et sans réserve, vous ne pouvez pas garantir qu'elle ne cessera pas d'être considérée comme alliée et comme amie, ni répondre de la continuation de l'état de paix.
P. S.—Cette lettre écrite, j'ai reçu celle que vous m'avez adressée le 6 de ce mois. J'en ai rendu compte à Sa Majesté, qui approuve la mesure que vous avez prise de défendre aux consuls français de donner des certificats d'origine pour les objets dont le roi de Hollande vient de permettre l'introduction.
Roëll à Larochefoucauld.
Amsterdam, 8 août.
Je me suis fait un devoir de mettre sous les yeux du roi les différentes réclamations que V. Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser au sujet de plusieurs navires capturés par des corsaires français; je me suis également empressé de soumettre à Sa Majesté les observations contenues dans la lettre de V. Excellence du 31 juillet, relativement à la marche adoptée depuis quelque temps en Hollande de renvoyer sur un simple ordre du roi l'équipage français des prises qu'on regarde comme irrégulières.
La mesure contre laquelle V. Excellence a cru devoir réclamer a été provoquée par les excès des corsaires qui, se comportant en vrais pirates, s'arrogent le droit de s'emparer de tous les navires sans distinction, à l'embouchure de nos rivières et dans les eaux mêmes de la Hollande, sans aucun respect pour la souveraineté territoriale. C'est ainsi que le 1er du mois passé, le corsaire le Furet s'est emparé d'un navire popembourgeois, de Trree Gebroeders, capitaine Jennis Pieters, chargé de sel, venant de la Norvège; les déclarations unanimes des gardes-signaux des côtes ne laissent aucun doute que cette prise n'ait été faite dans les limites du royaume. Le lendemain, les corsaires l'Hébé et la Revanche ont conduit au Texel cinq autres bâtiments sous pavillon neutre, chargés de sel et destinés pour des ports hollandais. Les prises ont été également faites à l'embouchure de nos rivières.
Quelque extension que l'on veuille donner aux droits de la guerre, ils ne pourront jamais servir à justifier la violation des droits sacrés d'une puissance amie et alliée, et toutes les fois que des armateurs se permettent des voies de fait dans l'enceinte de la juridiction maritime d'un état, le souverain territorial a le droit de punir et de réprimer leurs excès.
Leurs prises étant par elles-mêmes des actes d'hostilité, ils ne peuvent plus invoquer la protection des formes légales, mais ils doivent être soumis à l'action immédiate du gouvernement qui peut sans aucune forme de procédure leur faire lâcher prise. De même lorsque les corsaires s'avisent de surprendre des bâtiments sortants ou entrants avec permission, le pouvoir exécutif a également le droit de connaître administrativement de ces prises.
D'après ces principes avérés par les publicistes les plus éclairés, c'est donc à tort que les corsaires français se plaignent d'une mesure que leurs propres désordres ont provoquée. Aussi Sa Majesté a-t-elle décidé qu'il n'y a pas lieu de revenir sur le passé ni de soumettre les affaires déjà terminées à un nouvel examen.
Cependant, pour donner une nouvelle preuve de se rendre autant que dépendra d'elle aux vœux de V. Excellence, Sa Majesté a bien voulu ordonner qu'à l'avenir la discussion sur la validité des prises conduites dans les ports de Hollande sera portée au Conseil pour les affaires maritimes et de commerce (Raad van Indication), et que même dans le cas où les corsaires viendront à être accusés d'avoir violé le territoire du royaume, la prise ne sera adjugée que sur une décision motivée du dit Conseil, qui déclare la prise bonne et légitime, ou qui condamne le corsaire, après avoir mis les intéressés à même de faire valoir leurs droits.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 23 août.
Par ma lettre particulière du 19 de ce mois, j'ai eu l'honneur de prévenir V. Excellence que Sa Majesté est arrivée le 17 ici. Depuis cette époque le roi n'a vu personne. On dit que la santé de Sa Majesté est un peu altérée. Elle s'occupe journellement de la défense du pays. Quinze cents soldats de la garde, après être restés vingt-quatre heures à Amsterdam, sont retournés au camp où ils étaient lorsqu'ils furent envoyés à Berg-op-Zoom. On attend au même camp la division du général Gratien qui doit maintenant être entrée en Hollande, en revenant d'Hanovre.
Les gardes nationales s'organisent ainsi que quelques corps de volontaires; mais les bourgeois hollandais ont de la peine à devenir soldats. Demain douze compagnies de 100 hommes chacune doivent sortir de la ville pour aller aux lignes. Cet essai donnera une idée de la possibilité d'utiliser cette milice. On se plaint de la manière dont ces compagnies ont été formées. Les officiers ont choisi les hommes sans aucun égard pour leur famille ni pour leur âge, mais uniquement en consultant leur passion. Il y a donc une foule de réclamations dont plusieurs ont été écoutées.
On parle d'un décret que le roi doit prendre, par lequel Sa Majesté recevra tous les navires américains en faisant recharger les marchandises déposées dans les magasins royaux. Mais V. Excellence sera surprise d'apprendre que les magasins sont vides, que tout a été rendu aux propriétaires ou consignataires; qu'ainsi cette décision, qui paraît être très forte, n'aura aucun but réel. Les cafés et les sucres qui ont été apportés par des bâtiments américains ont probablement été tous reconnus production de l'île de Java. La ligne de douaniers français qui cerne dans ce moment la Hollande a fait un grand effet en bourse. Les marchandises ont beaucoup baissé. Les premières qualités de café de 3 et 4 sont tombées à 50 c. Les cotons ont éprouvé la même baisse. Il devient impossible d'exporter aucune denrée coloniale, même en Allemagne, et le commerce est dans une crise fâcheuse.