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Les Rois Frères de Napoléon Ier: Documents inédits relatifs au premier Empire

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Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 2 juin 1810.

«Mes craintes se confirment: de funestes conseils prévalent dans l'esprit du gouvernement et semblent prêts à l'égarer. On a déclaré à gens sûrs, de qui je le tiens, qu'on se battrait si on voulait mettre garnison à Amsterdam. Peut-être n'est-ce qu'un premier mouvement. Les projets du général Krakuhoff sont remis sur le tapis; on assure même qu'ils ont été proposés en conseil et que la majorité des ministres a fait la plus forte opposition. Heureusement, ces projets extravagants ne s'appuient que sur 3,000 hommes de garde mal sûrs et dont les chefs y regarderont à deux fois avant de tirer l'épée.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 3 juin 1810.

«Le gouvernement hollandais paraît arrêté au projet de s'opposer à l'occupation d'Amsterdam; en vain les ministres ont-ils supplié le roi de ne pas livrer sa personne, sa ville et tout son peuple à une perte certaine, pour satisfaire la passion de quelques furibonds, ennemis de sa gloire, et qui seront les premiers à l'abandonner quand ils l'auront compromis. Ces représentations sages n'ont pas été écoutées, et les conseils violents ont prévalu. Heureusement, cette lutte scandaleuse, s'il est impossible de l'éviter, ne peut être longue, ni douteuse, ni sanglante. Le gouvernement hollandais dispose au plus de 3,000 hommes de garde. Il a fait venir hier, de La Haye, un bataillon du 5e régiment; voilà, avec deux escadrons de cavalerie, toute son armée. Une partie couvre Harlem et l'autre Naërdem et les points d'attaque du côté d'Utrecht. Il n'y a pas un officier habile qui voudra prendre sur lui la responsabilité horrible de couvrir sa patrie de sang et de la ruiner pour un but aussi monstrueux et sans aucune espérance de succès. Le général Travers commande la garde. C'est un homme plein d'honneur, attaché à son prince par reconnaissance, mais Français avant tout. Il ne peut se prononcer qu'au moment; mais sa conduite n'est pas douteuse, si on lui montre des Français au bout de ses baïonnettes. Le général Brunot pense de même, et je crois pouvoir répondre de ces deux officiers. Le maréchal duc de Reggio se croit sûr du général Dumonceau. Ainsi, point de chef capable pour cette petite troupe d'enfants perdus que l'on prétend opposer à l'armée française.

«La seule chose à craindre est qu'on ne cherche parmi ce désordre à remuer l'horrible populace d'Amsterdam, et qu'on ne la porte à des excès qu'il serait sans doute aisé de punir, mais qui pourraient entraîner de fort grands inconvénients dans une aussi grande ville. Le moyen le plus sûr de les éviter paraîtrait être que la marche des corps destinés à occuper Amsterdam fût tellement rapide qu'on n'eût ni le temps de délibérer ni celui de remuer le peuple. Cette manière aurait encore l'avantage de fixer les irrésolutions et d'aider aux gens de cour, retenus par les austérités de la discipline, incertains encore de ce que l'on veut d'eux et qui se prononceraient dans un mouvement rapide et décidé.

«Mais, le premier avantage sans doute de cette rapidité serait d'arracher l'auguste personne qui se trouve jetée si déplorablement au milieu des rebelles, aux fureurs de ces conseils, à ses propres emportements, et de diminuer pour elle les dangers auxquels, dans son funeste égarement, elle croirait de sa gloire de s'exposer.

«Ce n'est pas, Monseigneur, sans un profond sentiment de douleur que je traite une pareille matière, si éloignée de tout ce dont se devrait composer une correspondance de famille; mais mes premiers devoirs sont envers l'empereur, et quelque pénibles qu'ils soient, j'ai juré de les remplir.

«Votre Excellence concevra que je ne lui écris, comme je le fais, que sur les avis positifs qui me sont venus d'Utrecht.

«Les renseignements que je reçois à l'instant par une voie secrète et sûre, du ministère de la guerre, s'accordent sur les ordres donnés de défendre les lignes.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 5 juin 1810.

«Je me suis rendu hier soir chez le roi, d'après l'invitation que j'en avais reçue. J'ai trouvé Sa Majesté seule. «Je vous ai fait appeler, Monsieur, me dit le roi, pour m'entretenir sur l'état général de nos affaires, sur ma position, sur celle du pays que je gouverne, et sur les moyens d'y porter remède, s'il en est temps encore. Votre mission sera belle, Monsieur, si vous voulez et si vous pouvez concourir à ce but.» J'ai répondu au roi que j'étais sans instructions sur les objets de discussion que Sa Majesté pouvait vouloir traiter avec moi; que cette audience, où elle daignait m'appeler, n'ayant pas été prévue, Sa Majesté ne devait pas être étonnée de me trouver entièrement au dépourvu sur les ouvertures qu'elle aurait à me faire; que jusqu'ici je n'avais été autorisé qu'à transmettre des demandes que Votre Excellence m'avait chargé d'adresser au ministre des affaires étrangères, et que j'étais sans pouvoirs et sans direction pour tout ce qui aurait le caractère d'une négociation ou même d'une discussion; mais que j'écouterais avec respect et que je transmettrais avec fidélité à Votre Excellence tout ce que Sa Majesté me ferait l'honneur de me dire. Ces bases posées, le roi entra en matière.

«Sa Majesté me retraça d'abord l'état dans lequel elle avait trouvé le royaume à son avènement à la couronne, les sacrifices immenses que ce petit pays avait faits à la cause commune, la ruine de son commerce, l'épuisement de ses finances, les malheurs successifs qui l'avaient frappé dans ces trois dernières années plus particulièrement, les efforts qu'il avait faits pour la guerre de Prusse, le dévouement de ses troupes en Poméranie et en Espagne, les cessions considérables du dernier traité, et enfin la remise de toute l'étendue de ses côtes et de la meilleure partie de son territoire au pouvoir et à la garde de l'armée française.

«Voilà pour mon pays, me dit le roi, et quant à moi, que veut-on de plus que de remplir avec fidélité tous mes engagements envers la France? Sans doute, ils sont grands ces engagements: frère de l'empereur et son ouvrage, comment a-t-on pu s'imaginer que je pensasse à m'en séparer par un système d'isolement impossible à réaliser? et qu'aurais-je donc à attendre des ennemis de mon frère que mépris et abandon? Je dois tout à ce titre; je lui dois les respects de mon peuple et la considération de l'Europe, et je sais que je ne puis rien que par lui. Par quelle fatalité prétend-on donc toujours me classer parmi les ennemis de sa puissance; puis, que me veut-on? s'écria brusquement le roi. Je n'ai pas sans doute la prétention d'avoir signé un traité avec l'empereur, mais, enfin, j'ai ratifié une convention qui cède à mon frère une partie de mon territoire déjà si borné et remet à ses troupes la meilleure partie de l'autre. Est-ce la conduite d'un rebelle? J'ai rempli, de mon côté, autant que j'ai pu, toutes les conditions du traité, mais quelle extension la France ne donne-t-elle pas à cette convention? Un article porte que les douanes seront placées à toutes les embouchures des rivières. J'ai donné l'ordre de les y recevoir; mais aujourd'hui on m'annonce des douaniers à Maarchen, Muyden et jusqu'à Diemen, espèce de faubourg d'Amsterdam, et l'on veut en établir, aussi bien que des troupes, dans ma capitale. J'ai répondu au maréchal duc de Reggio qu'il était assurément bien le maître de donner de pareils ordres et d'envoyer ses douaniers, mais que je ne les recevrais pas, puisque cela était contraire aux stipulations de mon dernier traité. Si l'on veut plus de moi, pourquoi ne pas le faire connaître par la voie des ambassadeurs respectifs? C'est pour cet objet plus particulièrement, continua le roi, que j'ai désiré m'entretenir avec vous, Monsieur; si mes sacrifices ne suffisent pas encore, qu'on me le dise: je suis prêt à signer une nouvelle convention, et l'empereur pourra en dicter les conditions. Je n'ai pas la chimère de traiter d'égal à égal avec mon frère; il me permettra seulement que je plaide pour mon peuple. Je souscrirai tout ce qu'il voudra, mais qu'il daigne faire connaître ses intentions. Une occupation militaire n'est guère compatible avec la marche d'une bonne administration; l'empereur en jugera. Veut-il que je montre à l'Europe que je ne rougis pas d'attacher ma couronne à la sienne par un lien vassalitique ou par un tribut? Je suis prêt à y souscrire pourvu que l'on conserve à cette bonne nation, que je chéris, non pas son indépendance, chimère depuis longtemps abandonnée, mais son administration séparée. Je ferai tout, je consentirai à tout pour remettre mon peuple et moi dans les bonnes grâces de l'empereur.»

«Telle a été, Monseigneur, la substance, et autant que ma mémoire est fidèle, les expressions du discours du roi. Une extrême agitation se lisait sur la figure de Sa Majesté, dans ses gestes et sur toute sa personne. J'écoutai le roi dans le plus profond silence, et quand Sa Majesté eut cessé de parler, je lui dis que j'aurais l'honneur de transmettre à Votre Excellence, avec exactitude et dès ce matin, tout ce que Sa Majesté m'avait fait l'honneur de me dire, que je prierais Votre Excellence de prendre à cet égard les ordres de l'empereur et de me les faire connaître, et que j'aurais tout l'empressement possible à lui faire part de la réponse que je recevrais.

«Je croyais mon audience finie et pensais à me retirer; mais le roi voulut avoir mon opinion et mes conseils. Je répondis qu'il n'était pas dans ma position de pouvoir lui offrir rien de semblable et lui répétai que j'étais sans instructions. «Eh bien, me dit le roi, je ne parle plus au chargé d'affaires, et je cause avec M. Serrurier confidentiellement. Que pensez-vous et que croyez-vous que je doive faire?» Pressé dans mon dernier retranchement, il fallut bien répondre. Je dis au roi que, puisqu'il lui fallait mon opinion personnelle dégagée de tout caractère officiel, je ne me refusais pas à la lui donner, puisque aussi bien ce que je lui dirais, n'étant pas avoué de mon gouvernement ni inspiré par lui, n'avait dès lors aucune importance politique.

«Je rappelai donc au roi que j'étais déjà en Hollande à l'époque où Sa Majesté fut appelée à y régner, et que j'avais été témoin des fausses routes dans lesquelles Sa Majesté avait été jetée dès les premiers jours de son règne; que, dans mon opinion, Sa Majesté aurait dû asseoir son trône sur le parti français et ensuite admettre à résipiscence et à pardon tous les gens d'honneur du parti opposé, mais avec un sage tempérament, de manière à fondre tous les partis dans celui qui l'avait demandé à l'empereur et lui était dévoué par système et par besoin; qu'au lieu de cela, Sa Majesté avait accueilli, caressé le parti opposé aux sentiments secrets de son cour, aux intérêts de la France et conséquemment aux siens, puisque son premier besoin est d'être bien avec elle; que de là était né un système d'opposition à l'empereur, que chaque jour avait développé davantage, et qu'il avait fait perdre à la Hollande toute la grâce et tout le prix de ses efforts que l'on n'avait plus, dès lors, dû attribuer qu'à sa position obligée; que c'était à ce malheureux système d'opposition, longtemps sourde et depuis à peu près ouverte, qu'il fallait attribuer le mécontentement de l'empereur, la perte de ses bonnes grâces et d'une protection sans laquelle il n'existe pas de Hollande; que de là étaient sorties toutes les mesures de défiance et de précaution que Sa Majesté avait cru devoir à la sûreté de son empire, et peut-être cette aliénation des sentiments de Sa Majesté impériale pour un frère que ce titre avait élevé si haut et qu'une reconnaissance éternelle devait lui attacher; que jamais dans son esprit (puisque S. M. exigeait que je lui exprimasse franchement mes opinions) les titres de frère de l'empereur et de connétable de France n'auraient dû être séparés de celui de roi de Hollande, et que c'était dans leur accord qu'il aurait dû chercher le bonheur de ses sujets. Je lui rappelai toutes les fausses mesures sur lesquelles l'ambassade avait eu sans cesse à réclamer, l'affaire des Américains, si dommageable à ceux-là mêmes qui l'avaient inspirée, la mauvaise impulsion donnée à l'esprit public, et tant d'autres fautes enfin accumulées sans mesure. Je dis encore à Sa Majesté que ce dernier traité, sur lequel elle prétendait s'appuyer, ne s'exécutait pas dans ses stipulations les plus intéressantes pour la France, la remise des cargaisons américaines et l'armement des forces maritimes du royaume. Puis, venant à l'état présent des affaires, je dis au roi que mon opinion personnelle était qu'il ne restait plus à Sa Majesté, dans la position où elle s'était placée, que de s'adresser directement à l'empereur et de se jeter dans ses bras, et de remettre à sa grande âme ses destinées et celles de son peuple. Le roi m'interrompit ici pour me protester que c'était son vœu le plus ardent, mais qu'il n'avait plus la confiance d'écrire à Sa Majesté impériale, de qui ses lettres n'étaient plus reçues, et qu'il me demandait de faire parvenir à Votre Excellence, et par elle à l'empereur, cette expression de ses sentiments et de ses vœux.

«Le roi m'ayant parlé avec exaspération des douaniers qu'on lui envoyait chaque jour, sans qu'il en fût prévenu, et de tous les désordres qu'il prétendait être commis par eux, je demandai à Sa Majesté si elle faisait entrer en comparaison ces dommages particuliers et accidentels avec l'effroyable terreur que jetait dans le public le bruit qui s'y répandait que des ordres de s'opposer aux mouvements des troupes françaises fussent donnés sur toute la ligne et avec les suites qu'ils pourraient entraîner. Le roi nia qu'il eût donné l'ordre de tirer sur les Français dont il n'oublierait jamais, me dit-il, qu'il était le connétable; mais il insista cependant sur ce point qu'il ne pourrait permettre que des troupes françaises entrassent dans sa capitale. Il ne pouvait pas sans doute l'empêcher, mais il regarderait, par ce seul fait, le gouvernement comme dissous. Sa Majesté demandait que l'empereur daignât, du moins, comme déjà elle me l'avait demandé, lui faire connaître ses intentions avant de les faire exécuter.

«Enfin, le roi me dit qu'il sentait qu'il avait peu à vivre, mais qu'il désirait assurer l'existence de ses enfants; que, déjà, ils avaient perdu de bien beaux droits en France, et que, du moins, il souhaitait leur laisser un héritage quelconque qui leur rappelât la sollicitude de leur père pour eux.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 8 juin 1810.

«Prévenu hier par le chambellan de service que le roi me recevrait ce matin, à 9 heures, je me suis empressé de me rendre aux ordres de Sa Majesté. Le roi m'a d'abord répété tout ce qu'il m'avait fait l'honneur de me dire, quatre jours avant, sur la position de son pays, sur ses sentiments personnels pour l'empereur, et sur le désir qu'il avait de mettre sa personne, ses enfants et son pays entre les mains de son auguste frère. Le fond des choses était à peu près le même; mais la manière était beaucoup meilleure; toute trace de dépit et de rigueur avait disparu; l'âme du roi, frappée des calamités qu'entraînerait un système d'opposition ouverte, ébranlée par les représentations que ses ministres et ses principaux sujets lui ont faites, et revenue à ses sentiments naturels pour l'empereur et pour la France, ne semblait occupée que du besoin de se livrer à ce retour des premières affections des hommes si fortes sur les cours bien nés. Le ton du roi, je le répète, disait plus encore que ses paroles, et je dois déclarer avec la même franchise que j'ai mise dans mes accusations, qu'il est impossible de montrer une résolution plus absolue aux volontés de l'empereur que Sa Majesté n'en a fait éclater devant moi dans cette circonstance.

«Ma position était extrêmement difficile. Je savais bien ce dont il était désirable, que le roi me chargeât pour Votre Excellence, pour éviter des malheurs; mais je ne pouvais rien provoquer, n'ayant ni pouvoirs ni instructions de l'empereur. Heureusement, le roi, me parlant des bruits que l'on avait répandus sur un prétendu projet de défense, fut naturellement amené à se prononcer à cet égard; quant à ses déterminations, Sa Majesté me dit donc: «Il m'est à peu près évident que la réunion sera le résultat de tout ceci. Il n'est ni dans mes devoirs, ni dans mes intérêts, ni dans ma position, assurément, de m'y prêter, et l'on ne peut me blâmer de désirer tout autre arrangement; mais voici, Monsieur, ma résolution que je vous communique officiellement pour le cas possible, et que la correspondance du duc de Reggio me fait prévoir. Si des patrouilles se présentent à mes lignes, on leur dira de s'éloigner, puisque le traité ne porte pas qu'il n'y aura jamais de garnison française dans ma capitale. Si un corps de troupes se présente hostilement, et sans que j'aie rien reçu de l'empereur mon frère, on fermera les portes et les barrières; mais on ne tirera pas et on se laissera forcer. Je ne puis faire qu'une résistance passive et protester contre ce qui aurait lieu en pareil cas sans un arrangement convenu avec mon frère.» Je tenais beaucoup, Monseigneur, à avoir cette déclaration du roi, que je ne pouvais demander, mais que je désirais vivement avoir à transmettre à Votre Excellence.

«Le roi revint à me dire que l'empereur ne voulant plus recevoir ses lettres, il n'osait plus s'adresser directement à Sa Majesté impériale; mais que la connaissance qu'il avait du caractère de Votre Excellence le portait à mettre toute sa confiance en elle; qu'il me priait, en conséquence, de lui expédier un courrier porteur de ses déterminations dans ces circonstances. «Je suis, m'a dit le roi, attaché à la Hollande comme on peut l'être à sa famille, et plus ses malheurs sont grands, plus je crois me devoir tout entier à elle. Elle n'a que moi pour intercesseur auprès de l'empereur. Je ne déserterai point un pareil devoir. Je désire donc rester au milieu de ce peuple; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je suis prêt à souscrire à toute espèce d'arrangement qui me rattacherait plus fortement à l'empereur. Je livre les côtes du royaume à la garde de l'armée française et à ses douanes, non que ce système ne me paraisse insoutenable à la longue et qu'un tribut ne me parût préférable, mais parce que mon frère le veut ainsi. Je ne demande qu'à vivre tranquille dans ma capitale, à conserver à mon peuple ce qui lui reste d'existence et à transmettre à mes enfants l'héritage qu'ils doivent aux bienfaits de l'empereur. On ne peut pas en conscience me demander la réunion. Tout ce que je puis est de n'y apporter qu'une résistance morale, et je le promets.»

«J'ai encore, Monseigneur, une bien faible connaissance des hommes et il ne m'appartient pas de prétendre lire dans le cœur des rois; mais ce que je puis assurer, c'est que si jamais la vérité a un caractère auquel il soit possible de la distinguer, j'ai cru la reconnaître aux paroles, au ton et à toute l'expression de la personne de Sa Majesté au moment où elle me parlait ainsi.

«Le roi se mit ensuite à parcourir les différends, griefs ou malentendus qui existaient entre nous. Il me dit, sur l'affaire des gens de M. le comte de La Rochefoucauld, qu'il avait donné les ordres les plus sévères, mais que le cocher avait toujours refusé de comparaître et qu'enfin il était parti pour Paris avec les voitures de son maître; que cependant il était impossible de commencer une affaire de ce genre sans la présence de la partie principale et lésée; qu'il désirait qu'on renvoyât cet homme et qu'aussitôt son retour cette procédure serait entamée avec éclat et de façon à satisfaire l'empereur.

«On accusait, m'a-t-il dit encore, le contre-amiral Lemmers d'avoir laissé prendre les quatre corsaires français; mais ils l'ont été en rade ouverte et par négligence, et quand l'escadre s'est avancée au secours il n'était plus temps. M. Gohier m'a confirmé le fait de la négligence des corsaires.

«Quant aux douanes, Sa Majesté désirait que leurs excès fussent réprimés et qu'elles fussent placées dans les ports et embouchures des rivières, mais non pas dans l'intérieur où, selon Sa Majesté, elles ne causent du mal à personne du pays. Elle ne demandait pas mieux que d'admettre à Amsterdam une espèce d'inspecteur du blocus qui connaîtrait tout ce qui entre et sort des ports et à la disposition de qui le roi remettrait ses propres douaniers.

«Le roi me parlant de la patrouille française arrêtée à Harlem a prétendu n'avoir fait que ce qu'un général d'une division militaire fait à l'égard des troupes de sa nation qui, n'étant pas munies d'ordres à sa connaissance, se présenteraient devant une de ses places. Sa Majesté a saisi cette occasion pour me manifester toute l'horreur que lui inspirait la pensée qu'on pût se croire autorisé de ses ordres pour tirer sur un des Français. Sa Majesté s'exprima à cet égard très convenablement et comme on pouvait s'attendre du connétable de France.

«Je me suis, Monseigneur, dans ce second entretien comme dans le premier, borné à écouter ce que Sa Majesté m'a dit sans y prendre une part que mon manque d'instructions m'interdisait. Je me permis seulement d'engager le roi à envoyer lui-même un agent muni de ses pleins pouvoirs à Paris; mais Sa Majesté prétendit préférer que je me chargeasse de ses intérêts auprès de Votre Excellence, et, d'après ses instances plusieurs fois répétées, j'ai promis au roi que j'allais expédier à Votre Excellence M. de Caraman. Ce sera donc lui, Monseigneur, qui aura l'honneur de vous porter cette dépêche et que je prie Votre Excellence de vouloir charger de la réponse qu'elle sera autorisée à y faire. J'ai promis au roi que M. de Caraman serait parti dans quatre heures. L'impatience de Sa Majesté est extrême et elle m'a répété plusieurs fois qu'elle ne pouvait pas exister dans l'insoutenable pensée de la disgrâce de l'empereur et dans la position où son pays et elle-même se trouvaient placés.

«J'écris par M. de Caraman un mot au duc de Reggio pour l'informer de ce que je juge nécessaire qu'il sache de ce nouvel état de choses et j'attends, Monseigneur, les ordres de l'empereur et vos instructions.

«P.-S. J'ai rempli, Monseigneur, dans cette dépêche, le devoir d'un historien fidèle. Je suis garant que tout ce qu'elle renferme a été dit; mais Votre Excellence concevra que ma garantie ne peut aller plus loin. L'opinion continue de se prononcer et d'appeler à haute voix sur ce peuple les regards et la protection de l'empereur.

«Je ne serais pas étonné que M. Walkenaër, homme d'une grande capacité, chargé de l'emprunt de Prusse et qui a joué dans le temps un grand rôle en Espagne que votre ministère a cru devoir faire cesser, fût envoyé demain à Paris, chargé d'une mission du roi auprès de Votre Excellence.»

Clarke à l'empereur.

Paris, 8 juin 1810.

«Votre Majesté trouvera ci-joint sous le no 1 une lettre du maréchal duc de Reggio, du 1er juin, où il rend compte que les lignes qui environnent Amsterdam sont pourvues de grosse artillerie avec les munitions et les canonniers nécessaires tandis que les côtes ne sont point armées sous prétexte que toute l'artillerie est au pouvoir des Français. Il paraît qu'on n'a pas abandonné les anciens projets de défense et que si nos troupes voulaient entrer à Amsterdam il pourrait y avoir quelque soulèvement. Le duc de Reggio annonce aussi l'arrestation faite sur la côte de deux individus venant d'Angleterre dont il m'a envoyé l'interrogatoire; je l'ai fait passer au ministre de la police générale.

«Sous le no 2 est une seconde lettre du duc de Reggio, du 2 juin, dans laquelle il donne des détails sur l'émeute qui a eu lieu à Rotterdam le 23 mai. Il paraît qu'elle a été préméditée et qu'elle pourrait facilement se renouveler si quelque circonstance y donnait lieu. Votre Majesté remarquera ce que mande le duc de Reggio au sujet de la gendarmerie et le grand besoin qu'il en aurait. Il sollicite fortement à cette occasion l'avancement du capitaine de gendarmerie Linas qui est auprès de lui.

«Enfin, sous le no 3, Votre Majesté trouvera un rapport et résumé général de la reconnaissance militaire des côtes du département d'Amsterland et de partie de celles de Zélande, faite par le capitaine Daupias, adjoint à l'état-major général, avec une analyse des observations qu'il a faites sur ces pays-là. Cette pièce mérite attention par l'importance des objets qu'elle traite et je supplie Votre Majesté de vouloir bien en prendre lecture d'autant plus qu'elle est peu susceptible d'analyse.»

Cadore à Serrurier.

Paris, 9 juin 1810.

«Monsieur, Sa Majesté me charge de vous faire savoir qu'elle ne songe point à faire occuper Amsterdam[158] par ses troupes et que ce n'est pas son intention, qu'il ne faut donc pas le faire ni même le laisser craindre aux Hollandais. Mais en même temps elle nous charge de déclarer que si l'on faisait en Hollande les moindres préparatifs guerriers, ces préparatifs ne pourraient être regardés que comme une insulte à la France, que vous avez pour ce cas l'ordre éventuel de demander vos passeports et de quitter la Hollande, et que toute attitude hostile attentatoire à la France sera considérée par Sa Majesté comme une déclaration de guerre.

«Sa Majesté vous prescrit encore d'insister sur la réparation due pour l'outrage fait à son ambassadeur, de dire qu'une satisfaction incomplète ne peut lui suffire, qu'il la lui faut entière et que sans cela le roi doit renoncer pour toujours à sa protection et à son amitié.»

Cadore à Serrurier.

Paris, 9 juin 1810.

«Monsieur, Sa Majesté m'ordonne de vous faire connaître que vous pouvez aller chez S. M. le roi de Hollande ou chez ses ministres toutes les fois que vous y êtes appelé pour affaires. Mais vous devez vous abstenir de toute audience diplomatique, prétendant les jours d'audience, une indisposition et vous abstenant effectivement de sortir de chez vous de tout le jour.»

Cadore à Serrurier.

Paris, 9 juin 1810.

«Monsieur, Sa Majesté est persuadée que vous ne rendez compte à personne de ce qui se passe en Hollande et que vous n'en écrivez qu'à moi seul. Vous savez trop bien que vous permettre à ce sujet la moindre correspondance avec tout autre serait une faute capitale. Mais sans croire que vous puissiez vous écarter de l'une des règles les plus essentielles que vous ayez à suivre dans la carrière où sa confiance vous a placé, elle veut que je vous fasse connaître qu'elle met le plus grand prix à ce que cette règle soit religieusement observée.»

Note pour le maréchal Oudinot.

12 juin.

«Il semble qu'on ait déjà cherché à répandre des bruits à Amsterdam qui puissent déplaire au bas peuple de cette ville et le préparer à un soulèvement; cette partie de la population, composée de matelots, de porte-faix, etc., etc., est déjà indisposée et serait furieuse si l'on parvenait à les tromper assez pour les décider à se soulever. Les autres habitants d'Amsterdam, qui ont des propriétés, voient avec chagrin et effroi les dispositions du roi qui paraissent être d'opposer de la résistance à l'occupation de cette ville par les troupes françaises. Le roi, qui d'abord avait intéressé par ce qu'on appelait ses malheurs, éloigne de sa personne celles qui semblaient lui être les plus dévouées par ses caprices continuels et la folie de sa conduite. Une grande quantité de personnes sont prêtes à se dévouer à l'empereur et à s'opposer à des démarches qui n'ont jamais eu leur approbation, mais elles voudraient être avouées et n'avoir pas à redouter un retour de faveur du roi près l'empereur qui pût les perdre pour toujours. Une grande partie des ministres seraient de ce parti. Les généraux Bruneau et Travers, le premier grand écuyer, le deuxième colonel général des gardes, ne peuvent oublier qu'ils sont Français et que leur premier devoir est envers leur patrie. Tous deux d'ailleurs sont mécontents; il y a trois jours que le général Travers offrit sa démission au roi parce qu'il en avait été publiquement maltraité à la manœuvre.

«Un homme intéressant par son nom et son caractère, sensible à la malheureuse position de son pays, offre, toujours sous condition d'être avoué, de se mettre à la tête des gens honnêtes et de cœur et de contenir la populace dans un cas pressant; c'est M. de Hogendorp. L'amiral de Winter, français de cœur, estimé et chéri de tous les marins, les empêcherait de se livrer aux excès qu'on en pourrait redouter, et les ramènerait à des sentiments honnêtes. Son caractère trop connu paraît l'avoir fait éloigner avant-hier d'Amsterdam. Il existe fort peu d'enthousiasme pour le roi. Le peuple ne le salue point et semble n'éprouver aucune satisfaction à le voir. Il paraît certain qu'il y a trois jours des ordres furent donnés pour s'opposer militairement à l'entrée de troupes françaises sur le territoire d'Amsterdam. On désire que les douaniers ne viennent dans cette ville que lorsque nous l'occuperons; on craint que leur arrivée ne donne occasion, saisie avec empressement, d'animer le peuple.

«Les bâtiments américains doivent être escortés jusqu'à leur remise.

«La garde du roi, toute à Amsterdam, est de 3,000 hommes.»

Le roi Louis à Cadore.

Amsterdam, 14 juin 1810.

«Monsieur le duc, l'empereur ne veut point que je corresponde avec lui. Je n'ai plus d'ambassadeur à Paris; il faut donc que je m'adresse directement à vous lorsqu'il y a des affaires aussi importantes qu'en ce moment. Je ne vous parlerai point de la situation du pays, vous la connaissez sans doute assez. J'espérais que l'exécution serait adoucie et, loin de là, elle s'est aggravée et s'aggrave tous les jours davantage. Je ne puis me dissimuler actuellement que le traité n'empêche point que l'existence de la Hollande ne soit fortement menacée. L'empereur s'en prend à moi de toutes les disputes et rixes qui arrivent; le nombre des troupes dans le royaume augmente sans cesse; il faut pourvoir à leurs besoins dans un moment où les habitants n'ont presque aucun moyen de pourvoir à leur existence. J'ignore complètement les intentions de l'empereur. Dans cette position je dois me résigner et chercher seulement à éviter de nombreux malheurs dans ce pays. Veuillez me dire, Monsieur le duc, s'il est un moyen de finir complètement et à jamais tous les démêlés et tracasseries; s'il existe quelque chose que je puisse faire pour cela, il n'y a rien que je ne fasse, si j'ai la certitude que tous ces démêlés seront finis à jamais et que le pays en tirera quelque avantage.

«Le porteur est reconnu pour être ami et aimé des membres de la légation française à Amsterdam; je l'ai choisi pour cette raison pour vous porter cette lettre et vous demander s'il n'y aurait pas quelque moyen de finir à jamais tous les démêlés et les contrariétés qui semblent s'augmenter même depuis le traité.

«Veuillez, Monsieur le duc, prendre intérêt à ma position, à celle de mon fils et surtout à celle du pays, et croire que si vous pouvez me faire connaître ce qui peut la rendre supportable ou la terminer entièrement, ce sera le plus grand service que vous puissiez me rendre. Dites-moi des choses précises à faire, et non, je vous prie, des choses générales comme on l'a fait toujours. Croyez que tous les différents naissent de la difficulté de ma position, et que mon frère reconnaîtra, trop tard peut-être, combien on est injuste envers ce pays. Je le répète, Monsieur le duc, je suis prêt à tous les sacrifices que l'empereur désire, s'ils peuvent être utiles à ce pays et éviter les maux qui le menacent encore.»

Avis du ministère de la justice et de la police.

Amsterdam, 17 juin 1810.

«Comme tous les efforts mis en œuvre pour découvrir celui ou ceux qui se sont rendus coupables d'une grave insulte faite, d'après la communication officielle de la légation française, à un des domestiques en livrée de Son Excellence l'ambassadeur, dans les environs de l'église neuve, le 13 mai de cette année, vers les deux heures après-midi, ont été jusqu'ici entièrement infructueux, et qu'il est hors de doute que toutes insultes commises envers des personnes appartenant à des missions étrangères sont d'autant plus coupables que, non seulement elles peuvent compromettre comme toutes les autres le repos public de l'endroit où elles se commettent, mais qu'elles pourraient être aussi considérées comme (lésives) pour la puissance à la légation de laquelle ces personnes appartiennent, et avoir encore par là les suites les plus désagréables;

«À ces causes, le ministre de la justice et de la police, à ce spécialement autorisé par le roi, offre une récompense de mille ducatons à celui qui fera connaître l'auteur ou les auteurs du fait susdit, de manière qu'ils soient remis entre les mains de la justice et convaincus du délit, le nom du délateur pouvant rester secret, au cas que celui-ci le désire.

«Le ministre susdit fait connaître en sus, par ordre exprès du roi, le grand mécontentement et indignation de Sa Majesté de ce qui a eu lieu, sentiments d'autant plus profonds, qu'elle attache un plus grand prix à l'amitié et à la bienveillance de son auguste frère, et par conséquent à prévenir tout ce qui pourrait être désagréable à Sa Majesté impériale et royale. Le ministre saisit en même temps cette occasion pour avertir et exhorter un chacun de s'abstenir particulièrement de faire, soit par des paroles soit par des voies de fait, la moindre chose qui pourrait être lésive à quelque personne ou personnes appartenant à des missions étrangères, sous peine d'être puni, selon l'exigence du cas d'après toute la sévérité des lois.»

Le ministre de la justice et de la police,
Van Hugenpoth.

Cadore à Serrurier.

Paris, 18 juin 1810.

«Monsieur, S. M. impériale et royale a eu sous les yeux les dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser du 5 au 10 de ce mois, et par lesquelles vous rendez principalement compte des entretiens que le roi a eus avec vous, des explications dans lesquelles il est entré, des sentiments qu'il a manifestés et des questions qu'il vous a faites.

«Sa Majesté me charge de vous faire connaître que vous devez vous borner à déclarer qu'une satisfaction suffisante, c'est-à-dire complète et telle que Sa Majesté l'a demandée pour l'outrage fait à son ambassadeur, doit nécessairement précéder toute discussion d'affaires entre les deux gouvernements; c'est aussi la réponse que je ferai à M. le chargé d'affaires de Hollande.»

Clarke à Oudinot.

Paris, 23 juin.

«Monsieur le maréchal, en conformité des ordres de l'empereur, j'ai l'honneur de prévenir Votre Excellence que l'intention de Sa Majesté est que vous fassiez sans perte de temps vos dispositions pour former un camp à Utrecht, et que vous vous teniez prêt à marcher, avec le 1er régiment de chasseurs et les deux autres régiments de cavalerie à vos ordres (16e de chasseurs et 8e de hussards) le 56e, le 93e, le 24e léger et le 18e de ligne et avec 12 pièces de canons, sur Amsterdam, que l'empereur trouve nécessaire d'occuper. Vous voudrez bien me faire connaître, par le retour de l'officier chargé de la présente, quand vous serez prêt pour cette expédition, S. M. se proposant de vous envoyer des ordres sur la conduite que vous devez tenir.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 23 juin 1810.

«Votre Excellence pourra voir, par l'office ci-joint de M. Roëll dont je lui remets copie, l'inquiétude que donne au gouvernement hollandais l'arrivée de nouveau corps français dans le royaume. J'ai répondu à ce ministre que j'allais transmettre à Votre Excellence les observations qu'il m'adressait à cet égard et que je m'empresserais de lui faire connaître la réponse que je recevrais.

«M. Roëll est venu me faire ses adieux. Il m'a dit sur la situation de son pays et les déterminations du roi des choses fort touchantes que je ne répartirai point à Votre Excellence, parce que je suppose qu'elle les aura entendues de sa propre bouche au moment où cette dépêche lui parviendra, le projet de M. Roëll étant de traverser Paris pour se rendre aux eaux et de faire une visite à son passage à Votre Excellence. M. Roëll n'est pas sans doute chaudement dans le système français et il a des torts en arrière; mais je lui dois cette justice que, depuis un mois, et particulièrement dans les affaires de l'insulte faite à l'ambassadeur et des cargaisons américaines, il a montré beaucoup de rondeur et les obstacles qui les ont retardées ne sont pas venus de lui. Les affections ne seront pas, de longtemps peut-être, françaises en Hollande, mais la conviction et la raison nous ramènent tous les jours quelques esprits.

«Le portefeuille des affaires étrangères, dans l'absence de M. Roëll, est confié à M. Van der Heim, ministre de la marine et des colonies, déjà connu de Votre Excellence par la correspondance de M. le comte de La Rochefoucauld. C'est un homme d'une grande expérience, de beaucoup de droiture et d'honnêteté, mais chez qui les inclinations, les vues et les idées sont bien anciennement anglaises, et par là difficiles à déraciner. Son département a été jusqu'à ce moment le plus mauvais de tous par l'esprit qui y règne. Votre Excellence va pouvoir bientôt juger de ce que pourra sur son esprit l'empire des circonstances. J'ai eu hier ma première conversation avec M. Van der Heim. M'abandonnant à peu près le passé, il s'est arrêté à l'état présent des affaires et m'a fait sa profession de foi. Il ne conçoit plus qu'un système et qu'une voie de salut pour la Hollande, c'est de s'abandonner sans réserve à l'empereur. M. Van der Heim prétend que le roi lui paraît entièrement arrêté dans cette résolution, et si je dois l'en croire, la conviction du ministère à cet égard est tellement unanime, que l'on ne doit plus craindre la déviation de ce nouveau système. Le temps apprendra quelle confiance on peut placer dans ces protestations.

«Dans une dernière conférence avec M. Roëll, je lui avais dit qu'il m'était revenu que l'on continuait à Haarlem de visiter les barques pour s'assurer s'il ne s'y trouvait pas de Français. Je lui avais fait sentir tout ce que ces précautions ont de ridicule et d'injurieux pour Sa Majesté l'empereur, qui, s'il eût été dans ses desseins d'occuper Amsterdam, y aurait fait entrer ses troupes, non pas furtivement et dans des barques, mais en plein jour et par les portes, et combien ces mesures étaient peu d'accord avec ce que l'on m'avait chargé de transmettre. J'avais ajouté à M. Roëll que, s'il devait me revenir plusieurs faits de ce genre, je serais obligé d'y voir cette intention d'insulte et cette attitude hostile prévues par mes instructions. Le roi, m'a dit M. Van der Heim, informé de mes plaintes, a sévèrement réprimandé les ordonnateurs des visites et expressément défendu qu'elles eussent lieu à l'avenir. Je m'assurerai si les intentions du roi sont remplies.

«M. Van der Heim m'a aussi parlé de son département et des efforts qu'il faisait pour armer ses trois escadres, dont deux étaient à peu près disponibles. Il me cita particulièrement celle de M. l'amiral de Winter, à Helvoët, composée du Royal hollandais et du Chatam. Je lui demandai s'il regardait comme en effet disponibles deux vaisseaux à trois ponts qui n'avaient pas 200 hommes d'équipage, quand il en faudrait plus de 600 pour les faire manœuvrer. Je venais d'apprendre ce fait d'un officier attaché à l'état-major de l'amiral. Le ministre parut frappé de l'exactitude de mes renseignements et se rejeta sur le manque d'argent et la difficulté des enrôlements, à quoi j'eus encore bien des observations à lui faire, et il ajouta enfin, qu'au besoin on n'y mettrait des soldats.

«M. Van der Heim me témoigna qu'il croyait au roi le désir de m'entretenir sur les affaires, et m'assura que je serais reçu par Sa Majesté, toutes les fois que je le souhaiterais, à Haarlem comme à Amsterdam. Je me montrai extrêmement sensible à cette honorable facilité qui m'était donnée. Je répétai à M. Van der Heim ce que j'avais dit à M. Roëll de mon empressement à me rendre aux ordres du roi, toutes les fois que Sa Majesté me ferait l'honneur de m'appeler, mais je lui fis sentir qu'il y aurait de l'inconvenance à ce que j'allasse déranger le roi pour les moindres affaires, et, j'ajoutai que, pour l'instant, je n'avais de mon côté, rien d'assez intéressant à communiquer à Sa Majesté pour m'autoriser à profiter du privilège qu'elle daignait m'accorder. Je me flatte que Votre Excellence approuvera ma réserve.

«Je reçois du département des affaires étrangères des plaintes continuelles contre les douanes françaises. J'ai déjà répondu, et je vais insister sur ce point, que les douanes n'étant point, comme les Consulats, placées sous ma surveillance, mais bien sous celle de M. le Maréchal, duc de Reggio, c'est multiplier très inutilement les écritures que de m'adresser des réclamations que je ne peux que transmettre sans prendre aucune part aux décisions qu'elles provoquent. Mais je dirai en même temps au ministère des affaires étrangères, que dans les cas où l'on ne pourrait pas s'entendre entre Utrecht et Amsterdam, et où l'on voudrait s'adresser officiellement à Sa Majesté impériale et royale, je serai prêt à transmettre ce qui me serait écrit par le gouvernement hollandais.

«J'ai reçu hier une lettre de M. Roëll par laquelle il m'annonce l'envoi d'un mandat de 2,000 florins, pour mon droit aux indemnités des ministres étrangers dans cette cour, en vertu de l'article 5 du règlement sur cet objet. Cette indemnité remplace les franchises dont les ambassadeurs jouissent dans les autres cours, mais qui sont incompatibles avec le système financier de ce pays. Le règlement fixe cette indemnité à une somme une fois payée de 4,000 florins pour les ambassadeurs, 2,000 pour les ministres et 1,000 pour les chargés d'affaires. On s'était donc trompé en doublant cette somme pour moi, et plus encore en oubliant que je l'ai déjà reçue, il y a deux ans, à l'époque du premier intérim qui suivit le règlement. Je viens donc de renvoyer au ministre son mandat, en me bornant à lui rappeler les dispositions de ce même règlement dont on s'autorise pour me l'offrir. J'ignore s'il y a eu, dans cette libérale négligence de la caisse des affaires étrangères, des intentions dont je pourrais me blesser; mais dans tous les cas, j'ai trouvé plus de dignité à ne pas en montrer le soupçon.»

Clarke à Oudinot.

Paris, 25 juin.

«M. le Maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre Excellence, par ma lettre du 23 courant, les intentions de l'empereur, relativement aux forces que vous devez réunir à Utrecht et je vous ai prévenu que Sa Majesté se proposait de vous envoyer des ordres sur la conduite que vous auriez à tenir; je viens aujourd'hui vous les transmettre.

«Aussitôt que vous aurez réuni à Utrecht assez de troupes pour marcher sur Amsterdam, vous voudrez bien écrire au chargé d'affaires de Sa Majesté l'empereur, que les troupes françaises ayant été insultées, et les portes d'Harlem leur ayant été fermées, vous demandez réparation de cette offense.

«Que les Aigles françaises peuvent aller dans tous les pays amis et alliés;

«Que, depuis 15 ans, les troupes françaises ont constamment pu parcourir toutes les parties de la Hollande;

«Que le traité ne fait exception d'aucun point; que c'est donc un outrage gratuit que les Hollandais ont fait aux troupes françaises;

«Que l'empereur y a été très sensible et a ordonné que de nouvelles forces entrassent en Hollande.

«Vous ferez observer en outre que vos instructions ne vous prescrivaient point d'occuper Amsterdam, où vous n'aviez rien à faire, mais, que le défi porté aux troupes françaises, en leur fermant les portes, les intrigues anglaises, tendant à armer les Hollandais contre les Français, ont provoqué l'ordre que vous avez reçu de vous présenter devant les portes d'Amsterdam; que c'est aux Hollandais à voir s'ils veulent nous traiter en amis et alliés, ou en ennemis; s'ils veulent se livrer aux conseillers perfides qui s'agitent autour du roi pour perdre leur pays.

«L'empereur veut que vous vous arrangiez de manière à être devant Amsterdam deux jours après l'envoi de votre lettre au chargé d'affaires de France.

«Sa Majesté me charge encore de vous dire, qu'il n'y a qu'un moyen pour la ville d'Amsterdam de prévenir tout embarras; c'est de recevoir les troupes françaises en triomphe et de leur donner une fête qui fasse disparaître toutes les acrimonies; l'empereur ne voulant souffrir dans aucun pays, qu'on ait l'air de repousser et d'insulter les troupes françaises.

«Vous voudrez bien me faire connaître, en réponse, les dispositions que vous aurez prises pour l'exécution des ordres de Sa Majesté.»

Cadore à Serrurier.

Paris, 25 juin 1810.

«Monsieur, ainsi que j'eus l'honneur de vous l'écrire le 9 de ce mois, Sa Majesté n'avait point l'intention de faire occuper Amsterdam et n'y avait pas même songé. Mais, une mesure qu'elle avait jugée inutile, si le gouvernement de Hollande n'eût pas montré un dessein formel de s'y opposer et n'eût pas fait dans cette vue des préparatifs, a été rendue nécessaire par ces préparatifs mêmes[159]. Comme chef de la ligue continentale, Sa Majesté doit constater et maintenir son droit de porter des forces partout où le bien de la cause commune l'exige. Elle avait d'ailleurs à venger, outre l'offense faite dans Amsterdam à son ambassadeur et qui n'a point été réparée, l'outrage que l'on a fait à Haarlem aux Aigles Impériales, en leur refusant le passage et en menaçant de tirer sur elles. L'ordre a été en conséquence donné à M. le Maréchal, duc de Reggio, de se porter sur Amsterdam et d'occuper cette ville. En l'annonçant au ministre du roi, vous vous attacherez bien moins à combattre ou à prévenir des idées de résistance, car je ne puis supposer que l'on en ait aucune de cette espèce, qu'à faire sentir que le gouvernement de Hollande peut profiter de cette circonstance pour réparer ses torts et recouvrer les bonnes grâces de Sa Majesté impériale et royale. Si les troupes françaises arrivent à Amsterdam, y sont reçues en triomphe, si la ville donne un grand repas aux soldats, si le roi et la cour donnent l'exemple des prévenances et des égards envers la France, nul doute que la meilleure intelligence ne règne aussitôt entre les deux nations, et que l'empereur n'oublie volontiers des torts ainsi réparés. Mais, c'est là le seul moyen de les lui faire oublier, et vous aurez soin de l'insinuer aux ministres du roi.

«Après que l'expédition de M. le Maréchal, duc de Reggio, sera consommée, vous demanderez que tous les canons soit transportés sur les côtes et qu'on cesse de s'occuper des lignes.

«Tels sont, Monsieur, les ordres que Sa Majesté me charge de vous transmettre.»

Au roi de Hollande.

«D'autres troupes entrent par Nimègue. L'empereur qui, par ménagement pour Votre Majesté, n'avait pas voulu occuper Amsterdam, s'est maintenant décidé à y faire entrer ses troupes. Il a regardé comme un défi le projet de défendre cette ville et les lignes qu'on a fortifiées autour de son enceinte. Rien ne l'indigne comme ce projet; en vain on essaye actuellement de le désavouer. L'empereur en trouve la preuve dans ce que Votre Majesté a dit au chargé d'affaires de France, qu'elle ferait fermer les portes d'Amsterdam, afin que les Français ne puissent y entrer que par force, quoiqu'on ne pût leur opposer que cette résistance passive, qui servirait au moins à constater la violence dont ils useraient; et ici, que Votre Majesté me pardonne encore de lui dire des choses si pénibles. L'empereur se récrie sur cette conduite inconvenable, «dit-il, de la part de mon frère, d'un prince français, de celui qui devrait regarder comme son premier titre de français, que j'ai élevé, que j'ai fait roi. Insulter mes Aigles! fermer les barrières devant elles! Dans toute l'Europe continentale, depuis le golfe de Finlande jusqu'au Tage, depuis la Vistule jusqu'à la Sarre, l'Aigle Impériale est accueillie et honorée, et une telle injure lui serait faite par la Hollande, conquise par les armes françaises, et dont l'indépendance est un bienfait de la France!

«Si cette menace, ajoutait l'empereur, avait été faite par l'Autriche ou la Russie, la guerre en aurait été la suite. Si c'était le roi de Prusse, ou de Bavière, ou de Wurtemberg, qui se fût porté à cette indignité, la perte de son trône en aurait été le résultat. C'est pour la repousser que j'occupe Amsterdam. Je n'ai aucun intérêt à augmenter le nombre de mes troupes dans la Hollande, pays malsain, mais il faut punir la folie de ceux qui ont poussé la témérité jusqu'à calculer le petit nombre de troupes que j'avais dans ce pays.»

«Sire, je vous exprime d'une manière vive mais vraie l'indignation de l'empereur. Je crois qu'il est encore au pouvoir de Votre Majesté de l'apaiser. Que les troupes françaises soient reçues en triomphe à Amsterdam; que Votre Majesté soit la première à donner l'exemple d'un accueil honorable et amical; que cet exemple soit suivi; que les Hollandais traitent les soldats français comme des frères; ils trouveront en eux des amis.

«Les insultes faites à Rotterdam à des officiers français n'ont pas moins irrité l'empereur. Il a donné des ordres sévères à l'égard de cette ville qu'il sait être habitée par des partisans des Anglais. Le premier écart qu'ils se permettraient serait puni avec rigueur.

«Tels sont, Sire, les motifs de courroux de l'empereur. Il ne s'apaisera, et Sa Majesté ne recevra quelque ouverture de la Hollande, que lorsque les fortifications élevées autour d'Amsterdam auront été détruites, les canons transportés sur les côtes, les coupables de l'insulte faite à la livrée de l'empereur punis de mort, le ministre de la police renvoyé, l'ancien bourgmestre rappelé. Tel est, Sire, le résumé de ce que m'a dit l'empereur. J'exprime de nouveau à Votre Majesté l'extrême regret que j'éprouve à lui communiquer ces douloureux détails.

«Je dois actuellement lui parler de la mission de M. Valkenaer.

«Il m'a dit que Votre Majesté offrait de prêter à l'empereur foi et hommage, comme à son souverain. Sire, cette forme n'est plus de nos jours, et quant à la dépendance qu'elle exprime, l'empereur, qui la regarde comme déjà existante de droit et de fait, ne pourrait y voir une concession. L'empereur, souverain du grand empire, chef de la ligue continentale, et devenu par la force de ses armes et de son génie l'arbitre de l'Europe, peut se regarder comme le suzerain de plusieurs princes, mais il a surtout cette opinion à l'égard du roi de Hollande, conquête de la France, et il croit devoir exercer des droits bien plus étendus sur ce pays, que sa position entre la France et l'Angleterre rend si intéressant pour lui. L'empereur a même vu dans cette offre la suite de ces fausses idées par lesquelles il prétend qu'on séduit et qu'on entraîne Votre Majesté, et qui tendent toutes à isoler la Hollande de la France et à lui attribuer une indépendance incompatible avec ses devoirs et sa position.

«M. Valkenaer m'a aussi parlé du tribut auquel se soumettait Votre Majesté. Sans doute, M. Valkenaer s'est trompé d'époque; il s'est cru encore au temps du Directoire. L'empereur, fort d'un revenu de 800 millions et d'une réserve de 600 millions, n'a besoin ni d'argent, ni de crédit, ni de papier. Ce n'est point de l'argent qu'il demande à la Hollande, ce sont des vaisseaux et des soldats, conformément au traité. On m'a dit que Votre. Majesté réclamait à ce prix le commandement des troupes. Que Votre Majesté me pardonne si, connaissant le profond mécontentement de l'empereur, je n'ai pas osé placer cette demande sous ses yeux. L'empereur se plaint de ce qu'aucune condition du traité n'est remplie. Lorsque je lui ai rendu compte des progrès de vos armements, que me faisait connaître votre chargé d'affaires, il m'objecta qu'il n'y avait pas un équipage formé. Lorsque je lui ai soumis la liste des bâtiments américains dont les cargaisons devaient être mises à sa disposition, il a observé que ces cargaisons n'étaient pas complètes, que la plus grande partie en avait été détournée, qu'on avait grossi la liste des prises faites par nos corsaires, comme si la Hollande voulait s'acquitter à leurs dépens. L'empereur exige que tout soit rendu. L'empereur reproche au gouvernement hollandais d'avoir donné des licences et autorisé par là un commerce interlope blâmable en lui-même et contraire au traité. Tels sont les motifs des nouvelles dispositions de l'empereur et de l'entrée en Hollande d'une plus grande masse de troupes françaises. L'empereur dit qu'il n'a pas voulu laisser égorger les 6,000 Français qu'il y avait placés. Il dit encore que dans cette occasion il a dû faire taire la voix de la nature et tous les sentiments de son cœur pour n'écouter que les intérêts de son peuple en maintenant tous les droits de son trône.

«Sire, je viens de remplir une tâche pénible, la justice de Votre Majesté me répond qu'elle ne méconnaîtra pas ce qu'il m'en a coûté. J'aurais trahi sa confiance et celle de l'empereur si j'avais tenu un autre langage; mais il m'est consolant de pouvoir ajouter qu'en donnant à l'empereur la satisfaction qu'il désire, en éloignant les conseils auxquels il aime encore à attribuer les erreurs et les torts dont il se plaint, en soumettant à son influence l'administration de la Hollande, enfin en gouvernant d'après ses principes et ses vœux, et en restant fermement attachée à son système, Votre Majesté peut encore reconquérir la bienveillance de son auguste frère et régner heureux et tranquille en faisant le bonheur de son peuple, regardé alors comme l'ami et l'allié de la nation française dont il partagerait les destinées.»

Oudinot à Clarke.

Utrecht, 26 juin 1810.

«Monseigneur, si, comme S. M. l'empereur paraît l'avoir décidé, je suis destiné à entrer à Amsterdam, je vous conjure de me mettre à mon aise pour ma conduite envers le roi de Hollande.

«Jusqu'alors j'ai, sans m'écarter de mes devoirs et de ma fidélité, su respecter le sang, et je continuerai dans ces principes, à moins que je n'aie un ordre contraire de la part de mon souverain: enfin, désignez-moi dans cette circonstance, si l'empereur lui-même ne me dicte pas ma règle de conduite.

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 26 juin 1810.

«Le roi est toujours à Haarlem, attendant le retour de mon courrier et le résultat du double voyage de M. Valkenaer et de M. Roëll. On dit que Sa Majesté viendra demain à Amsterdam. J'apprends que l'on se flatte ici d'une prochaine dislocation des troupes destinées pour la Hollande. Je désire sans doute, Monseigneur, que S. M. Impériale juge pouvoir accorder les vœux de ce pays avec les grands intérêts de son empire, mais ce que j'ai pu acquérir de connaissance des hommes et des choses, en Hollande, me fait souhaiter que la distribution des troupes françaises dans ce royaume, et surtout dans le rayon de sa frontière, n'éprouve pas de changement, jusqu'au moment où les déterminations de Sa Majesté auront été arrêtées par elle, mises à exécution, et les garanties données, s'il y a lieu, car l'esprit du gouvernement est encore, malgré ses protestations, bien loin de ce que l'on doit désirer.

«Le roi vient de faire de grandes réformes et qui sont, suivant le vieux système, tombées presque en entier sur les Français à son service. On les renvoie avec toutes sortes de dégoûts. Je maintiendrai en leur faveur l'article du décret par lequel S. M. l'empereur, en autorisant ses sujets à rester au service de cette couronne, stipule qu'ils ne pourront être renvoyés sans pension ou retraite.

«Le gouvernement est fort occupé de la formation de son budget. Ses embarras sont excessifs. Le roi a diminué assez considérablement sa maison, mais cette économie est peu sensible parmi les besoins extrêmes du moment. L'état des finances du royaume est déplorable au delà de ce qui peut se concevoir. La ressource ruineuse des arriérés et des anticipations est épuisée, et l'on ne trouverait pas dix millions à emprunter. Qu'est-ce, en effet, qu'un État qui n'a pas de revenu et qui n'a point de crédit pour s'en procurer un artificiel? ou qui l'a perdu, ce qui est pis encore. Je dis qui n'a point de revenu, puisqu'il est absorbé en entier par l'intérêt de sa dette. Je me réserve, Monseigneur, de développer mes opinions à cet égard à Votre Excellence, lors du rapport que j'aurai l'honneur de lui faire dans quelques jours sur le budget qui aura été arrêté.

«On ne parle plus de la défense. Cependant les lignes restent toujours gardées comme on pourrait faire en présence de l'ennemi. Je souhaiterais des ordres à cet égard.

«On annonce un cercle pour demain. J'aurai soin d'être indisposé.

«P.-S.—M. de Caraman arrive. Il m'a redit, Monseigneur, les instructions verbales dont Votre Excellence l'a chargé pour moi. Votre Excellence peut être assurée que je les suivrai à la lettre. J'attends demain des visites d'affaires. J'aurai l'honneur d'écrire à Votre Excellence.»

M. Van-der-Heim à Serrurier.

Amsterdam, 28 juin 1810.

«Sa Majesté me charge, Monsieur, de vous faire connaître que, d'après la conversation qu'elle a eue avec vous, elle a ordonné à son ministre de la police et justice de vous donner connaissance de l'état de la procédure contre le malheureux qui, excité par l'appât de gagner la prime promise pour la découverte de l'individu qui a insulté le cocher de M. l'ambassadeur, s'est dénoncé être le coupable, afin que vous puissiez être assuré de l'activité avec laquelle elle se poursuit et laquelle sera encore accélérée aussitôt le retour dudit cocher.

«Sa Majesté a dû même forcer l'ancien bourgmestre à rentrer dans la place qu'il n'avait quittée que sur ses instances réitérées. Elle désire vivement que vous fassiez parvenir le plus promptement possible à Sa Majesté impériale et royale la nouvelle assurance que, se reposant entièrement sur l'équité de Sa Majesté impériale et royale, le roi n'a été et n'est occupé qu'à chercher tous les moyens possibles d'exécuter le traité et même de faire de plus tout ce qui est en son pouvoir, qui soit agréable à l'empereur.

«C'est dans cette intention que, malgré les difficultés des finances, il a conservé toutes les troupes sous les ordres du duc de Reggio et complété les 12,000 hommes. Les marchandises américaines sont à la disposition des douaniers français.

«On a mis toute l'activité possible à l'armement de l'escadre, de sorte qu'à la fin de juillet six vaisseaux de ligne seront en rade; les trois autres ne pourront l'être qu'au mois d'octobre; tous les autres bâtiments sont prêts.

«Le roi vous prie d'engager Mgr le duc de Cadore à faire valoir les bonnes intentions et les efforts du roi et de le bien assurer que son unique but est et sera à jamais d'obtenir l'amitié de Sa Majesté impériale et royale.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 29 juin 1810.

«On s'était trompé en m'annonçant qu'il y aurait aujourd'hui grand cercle à la cour. Sa Majesté recevra, à la vérité, mais un petit nombre de nationaux et point d'étrangers.

«J'avais depuis longtemps le désir d'aller rendre ma visite de voisinage à M. le maréchal duc de Reggio. J'ai réalisé hier matin ce projet. Après avoir déjeuné avec M. le maréchal et passé quelques moments encore avec Son Excellence, je suis monté en voiture et suis revenu dîner à Amsterdam.

«Le soir, il y eut cercle chez le grand-chambellan. J'y rencontrai M. Van-der-Heim qui, apprenant que M. Caraman était arrivé la veille, vint me demander s'il m'avait rapporté une réponse de l'empereur aux ouvertures que le roi m'avait chargé de transmettre à Sa Majesté impériale et royale. Je dis à M. Van-der-Heim que M. de Caraman ne m'avait rien rapporté, que seulement j'étais instruit que Sa Majesté impériale et royale gardait un sentiment profond de l'insulte faite à son ambassadeur et du retard apporté à la satisfaction que j'avais été chargé de demander, comme aussi de l'accueil hostile fait à la patrouille française devant Haarlem, et que Sa Majesté attendait la satisfaction qui lui était due pour ces graves outrages. M. Van-der-Heim me mit alors en avant la proclamation publiée au sujet de l'insulte faite aux gens de M. de La Rochefoucauld et de l'intention où l'on était de suivre cette affaire aussitôt l'arrivée du cocher. Je répondis que la proclamation était à la vérité une mesure convenable mais tardive et surtout insuffisante, que les demandes que j'avais formées de la remise des coupables et de la réintégration de l'ancien bourgmestre n'avaient pas eu d'effet jusqu'ici, et que Sa Majesté impériale et royale n'était satisfaite sur aucun point; comme il m'alléguait que l'on avait abandonné ici toute espèce d'attitude hostile, je lui demandai comment je devais donc considérer ce cercle tracé en avant de l'armée française, ces redoutes, ces canons et tout cet appareil qui semble annoncer qu'on est en présence d'ennemis. Je lui demandai si on ferait autre chose en Hollande dans le cas d'une descente des Anglais. M. Van-der-Heim me répéta ses protestations de l'intention où est le gouvernement de s'en remettre entièrement à la générosité de l'empereur et de renoncer à toute attitude qui pourrait offenser Sa Majesté impériale et royale. Je répondis que dans ces sortes de choses les paroles ne suffisaient pas et que les faits continuaient d'être contre le gouvernement.

«M. Van-der-Heim me parla sur un ton très amer de la conduite de nos corsaires qui, selon lui, ne respectaient rien, et me dit que si cela devait continuer, il serait impossible d'empêcher les paysans de jeter ces gens à la mer. Je répondis avec hauteur que le jour où un pareil attentat serait commis serait un jour bien funeste pour la Hollande et surtout pour les hommes qui, loin de chercher à adoucir les aigreurs, se seraient montrés zélés à les développer; que pour moi j'étais tranquille sur le sort des Français en Hollande; que Sa Majesté impériale et royale trouverait le moyen de faire respecter ses sujets ou de les venger, s'ils étaient insultés, et, pour montrer que je ne souffrirais pas que l'on me parlât, en Hollande, sur ce ton de menaces, je quittai brusquement M. Van-der-Heim et allai m'asseoir à la partie qui m'était destinée. M. Van-der-Heim a de la raideur, mais j'espère lui prouver que j'en sais trouver aussi, quand les formes de la politesse et de la modération ne suffisent pas.

«Plusieurs personnes, parmi lesquelles des ministres étrangers, sont venues hier à moi pour me demander s'il était vrai que Sa Majesté l'empereur et roi demandât à la Hollande un emprunt de cinquante millions. Je vis l'intention et me hâtai de répondre que ce fait n'était pas à ma connaissance et que j'avais toute raison de ne pas y croire, que je savais parfaitement que ce que mon souverain avait toujours demandé à la Hollande n'avait pas été de l'argent, dont Sa Majesté impériale et royale n'avait assurément pas besoin, mais une conduite et un système franchement français, et que jamais jusqu'ici un vœu aussi raisonnable n'avait pu être rempli.

«M. Van-der-Heim vient de répondre à la lettre par laquelle je lui avais renvoyé son mandat. Il prétend qu'il ne me l'a envoyé que parce que la chambre des comptes avait jugé que cette somme m'était due, comme étant de nouveau chargé d'affaires. Telle n'est point certainement l'intention du règlement. Cependant, il est possible qu'il n'y ait pas eu en ceci d'arrière-pensée. Mais en tout état de choses, je ne regrette point le refus que j'en ai fait.

«On me demande à l'instant chez le roi. Demain matin j'aurai l'honneur de rendre compte à Votre Excellence de cette nouvelle audience.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 29 juin 1810.

«Je me suis rendu hier à quatre heures chez le roi, d'après l'invitation que j'en avais reçue du chambellan de service. Sa Majesté m'a témoigné la douleur qu'elle avait ressentie d'apprendre que M. de Caraman n'eût point apporté de réponse aux ouvertures qu'elle m'avait chargé de transmettre de sa part à Votre Excellence. Le roi me dit que s'étant jeté dans les bras de l'empereur et lui ayant remis son sort, celui de ses enfants et de son pays, il avait attendu avec confiance les résultats de sa démarche, et qu'elle était profondément affligée qu'elle n'ait rien obtenu sur le cœur de son auguste frère. Je répondis au roi qu'en effet je n'avais point reçu de réponse à la lettre dont j'avais chargé M. de Caraman. Je répétai à Sa Majesté ce que j'avais dit à son ministre, que seulement il était à ma connaissance que S. M. l'empereur était toujours profondément blessé de l'outrage fait à son ambassadeur, outrage qui n'était point encore réparé, et de l'insulte plus récente faite à ses aigles en avant de Haarlem; que les protestations étaient nécessairement insuffisantes dans des choses qui touchaient d'aussi près à l'honneur des gouvernements et que des faits seuls et des réparations éclatantes pouvaient satisfaire des souverains. Le roi me demanda quelle était donc cette satisfaction éclatante que désirait l'empereur, ajoutant qu'il la donnerait, quelle qu'elle pût être, étant déterminé à faire tout pour apaiser son auguste frère. Je répondis à Sa Majesté qu'elle trouverait ce moyen de satisfaire S. M. impériale dans les deux demandes que j'avais eu précédemment l'honneur de lui faire, savoir: la réintégration de M. Van-der-Poll et la remise des coupables, dans l'affaire des gens de l'ambassadeur, entre les mains des autorités françaises. Ici, le roi montra une profonde répugnance à la réinstallation de M. Van-der-Poll, que Sa Majesté prétendit avoir demandé sa démission et s'être refusé à rentrer dans sa place. Elle me déclara que toute autre satisfaction lui serait moins pénible et serait, dans son opinion, moins avilissante pour son autorité. Sa Majesté ajouta cependant de suite que si l'empereur l'exigeait, elle forcerait ce magistrat à reprendre sa place.

«Le roi vint ensuite à l'affaire de l'ambassadeur. Sa Majesté m'annonça que la procédure était entamée, que déjà un homme était venu se déclarer le coupable, que c'était un malheureux dont la famille était ruinée et que l'on supposait avoir fait cette démarche pour avoir les mille ducatons promis; que, cependant, on allait l'examiner, et qu'il serait confronté de suite avec le cocher de l'ambassadeur aussitôt son arrivée; mais que la présence de cet homme était indispensable pour les confrontations. Sa Majesté me pria de l'envoyer au grand bailli aussitôt son retour.

«Le roi me montra aussi le dessein de renvoyer à Paris M. l'amiral Verhuell, comme simple particulier, pour porter aux pieds du trône impérial l'expression de ses sentiments et de ses vœux.

«Le roi m'ayant parlé de ses lignes, je lui représentai combien cette attitude était injurieuse pour les armes impériales et le scandale qu'elle présentait à l'Europe. Sa Majesté me représenta qu'elle avait renvoyé tous les canonniers qui les occupaient aux batteries des côtes et qu'elles avaient entièrement perdu de vue ce qu'on avait pu y voir de menaçant. Elle ajouta qu'elle n'avait jamais eu la pensée d'arrêter les mouvements des troupes françaises, mais que le dernier traité, ne portant pas qu'elles occuperaient Amsterdam, elle se croyait obligée à ne point y donner son consentement. Que, du reste, l'empereur était assurément bien le maître d'en user comme Sa Majesté le jugerait convenable. Je répliquai au roi qu'il était à ma connaissance que Sa Majesté impériale n'avait aucunement pensé à mettre garnison dans Amsterdam à l'époque où l'on prit occasion de cette supposition pour prendre l'attitude hostile où l'on se trouvait placé vis-à-vis d'elle.

«À la suite de cette explication, je quittai le roi, qui me renouvela la demande instante de transmettre tout de suite à Votre Excellence le résultat de cette audience et de la prier d'être encore une fois, auprès de Sa Majesté impériale, l'interprète de ses déterminations dans ces circonstances. Sa Majesté désire que Votre Excellence veuille répéter à S. M. l'empereur qu'elle est prête à souscrire à tous les engagements qu'elle voudra lui prescrire pour rentrer dans ses bonnes grâces.

«Je me sers, Monseigneur, autant que je le puis, comme Votre Excellence peut le concevoir, des expressions mêmes du roi, sans vouloir y ajouter ou y retrancher, pareilles communications ne pouvant être rendues avec trop de fidélité. Je ne cacherai point à Votre Excellence que ces audiences du roi me gênent extrêmement et que j'aurais souhaité que mon ordre d'être indisposé se fût étendu jusqu'aux jours où je suis demandé chez Sa Majesté, je sens que je serais fort à l'aise et traiterais facilement avec un prince de naissance et de toutes les plus puissantes maisons de l'univers; mais ce titre si grand, si imposant pour un Français, de frère de l'empereur, se présente toujours à ma pensée au moment où je discute avec le roi de Hollande. Il détermine ces ménagements et ces égards sur lesquels je sais bien que Votre Excellence ne se trompe pas, mais que S. M. impériale pourrait attribuer à de la faiblesse, et si je n'avais pas déjà le bonheur de pouvoir montrer à mon souverain que je ne connais pas ce sentiment quand il y va de son service.

«Le roi me fait annoncer à l'instant que, par suite de notre conversation, Sa Majesté vient d'obliger l'ancien bourgmestre à rentrer dans ses fonctions.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 30 juin 1810, 7 heures du matin.

«La journée d'hier s'est passée sans communication du gouvernement. M. Van-der-Heim est parti de grand matin pour Haarlem où j'ai su que tous les ministres avaient été convoqués en grand conseil. Dans la journée, il m'est venu de la Bourse beaucoup de gens alarmés que j'ai rassurés en leur disant qu'à la vérité il se préparait des événements intéressants pour leur ville, mais que l'on devait tout attendre de la clémence de S. M. l'empereur, si l'on se conduisait dans ces circonstances d'une manière convenable envers la France. Je suis persuadé que le commerce se montrera bien et que le maréchal en sera content.

«À quatre heures m'est arrivé un aide de camp de M. le maréchal duc de Reggio qui m'apportait la demande que fait le maréchal d'une satisfaction éclatante pour l'insulte faite devant Haarlem à ses aigles, et m'annonçait son arrivée devant les portes d'Amsterdam pour le 4. J'ai envoyé aussitôt chez M. Van-der-Heim, qui n'était pas encore de retour. Craignant qu'on ne voulût gagner du temps et m'échapper, j'écrivis à huit heures à M. Van-der-Heim que je devais absolument le voir le soir même ou aujourd'hui de très bonne heure, et que l'importance des communications que j'avais à lui faire était telle que, s'il devait être retenu à Haarlem, j'irais l'y trouver. Je reçus à minuit une réponse. Il m'annonçait son retour et m'offrait de me recevoir le lendemain à neuf heures; j'acceptai. Je ne réexpédierai l'aide de camp du maréchal qu'après avoir vu M. Van-der-Heim et être convenu de tout avec lui.

«L'inquiétude pour les fonds a dû s'augmenter parmi ces circonstances, surtout dans l'ignorance où l'on était des déterminations de la cour, et je n'y vois pas un très grand mal. Ils sont tombés à 18, mais en général l'esprit est bon, et tout le monde désire voir la fin de toutes ces mésintelligences. On demande et l'on souhaite universellement que les Français soient bien reçus, et chacun s'y prêtera.

«J'ai vu hier chez moi le brave de Winter. Il allait partir pour les eaux, mais sur le bruit de ce qui se préparait, il s'est décidé à rester. Ce n'est pas un homme à éloigner dans un moment de crise. Je l'ai engagé à se rendre à Haarlem et à aller y donner de bons conseils. Il sort à l'instant de chez moi et sera chez le roi dans deux heures. J'ai été on ne peut plus content de sa conversation, et son noble caractère ne se dément pas. Voilà les loyales et dignes inspirations auxquelles je voudrais voir l'esprit du roi livré. Je ne rencontre pas depuis hier un honnête homme, un homme d'autorité et de lumières, que je ne l'envoie à Haarlem combattre les mauvais conseils qui pourraient être donnés au roi.

«L'amiral souhaite que Sa Majesté l'envoie à Utrecht pour arranger toutes choses avec le maréchal duc de Reggio, et je le désire avec lui, car alors je suis bien sûr que les choses se feraient convenablement. Je témoignerai tout à l'heure à M. Van-der-Heim que ce choix me serait agréable, et je ne doute pas qu'il ne le fût à Utrecht.

«J'ai fait prévenir tous les Français militaires et civils, autorisés ou non autorisés, de se bien conduire, et j'ai toute raison de compter sur eux.

«Je vais suspendre ma dépêche jusqu'au moment de ma conférence avec M. Van-der-Heim.»

À onze heures.

«Je sors, Monseigneur, de chez le ministre des affaires étrangères. Je lui ai fait les communications dont M. le maréchal duc de Reggio m'a chargé pour lui. M. Van-der-Heim m'a répondu que l'occupation d'Amsterdam répondait à toutes les satisfactions que je pouvais exiger. J'ai demandé au ministre quelles étaient les intentions du roi pour la réception des troupes. Il m'a annoncé qu'elles étaient toujours telles qu'il avait été autorisé à me les annoncer; que le roi recevrait les troupes françaises en connétable. Je dis à M. Van-der-Heim que je désirais savoir en détail ce que Sa Majesté comptait faire dans cette circonstance, et je le priai de me le faire connaître. Il m'annonça alors que le roi avait chargé M. le ministre de la guerre, homme parfaitement bien intentionné, de régler avec M. le maréchal duc de Reggio tout ce qui concerne l'entrée des troupes et leur réception. J'applaudis à cette décision, mais n'en insistai pas moins pour avoir ce soir communication des déterminations du roi dans cette circonstance si décisive. J'excitai le zèle de M. Van-der-Heim, en lui disant que j'attendais beaucoup pour le roi et pour le pays de ses conseils; qu'il dépendait de lui que j'eusse un bon rapport à faire à S. M. impériale et les moyens de rendre la nation et le gouvernement intéressants à l'empereur. M. Van-der-Heim m'a promis de me rapporter ce soir une réponse positive.

«J'ai dit à ce ministre que j'apprenais que les canonniers étaient encore aux pièces hier, malgré l'annonce que le roi m'avait faite de l'ordre donné de les envoyer sur les côtes. M. Van-der-Heim me répliqua qu'à la vérité Sa Majesté avait donné cet ordre, mais que le ministre de la guerre lui avait observé que l'on ne pouvait renvoyer les canonniers sans emmener le matériel et qu'il craignait que ce mouvement ne donnât de l'ombrage au maréchal et n'inquiétât le peuple; qu'on les avait laissés pour cette raison, mais que toutes les sentinelles avaient été retirées, et l'ordre donné de laisser tout passer; qu'hier une patrouille française avait librement traversé les lignes.

«J'ai dit à M. Van-der-Heim que si l'on jugeait ne pas devoir déplacer les pièces d'artillerie, je croyais qu'il convenait au moins de rappeler les canonniers en arrière et de laisser provisoirement la garde des pièces au peu d'hommes d'infanterie que l'on jugerait nécessaires pour cela. Il m'a promis d'en faire la proposition au roi.

«Demain matin j'espère pouvoir annoncer à Votre Excellence que tout est arrangé selon les vœux du maréchal et à mon contentement.»

Cadore au roi Louis.

2 juillet 1810.

«Sire,

«M. Vekenaer m'a remis la lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'adresser. Il a aussi laissé entre mes mains celle qui était destinée à S. M. l'empereur. Je la lui ai présentée. L'empereur m'a dit qu'il ne pouvait en prendre connaissance que lorsque les outrages dont il se plaint auraient été entièrement réparés. Cela me donne, Sire, une tâche pénible à remplir. Je dois, pour répondre à la lettre de Votre Majesté et à la confiance dont elle m'honore, lui faire connaître les sujets de plaintes de l'empereur son frère. Je ne puis mieux le faire qu'en empruntant ses propres expressions. Votre Majesté voudra bien se souvenir que dans ce que j'aurai l'honneur de lui dire, c'est l'empereur bien plus que moi qui lui parle.

«L'empereur est profondément mécontent; il se regarde comme outragé et ne veut entendre à aucun arrangement avec la Hollande et même à aucun pourparler avant d'avoir eu satisfaction:

«1o Sur l'offense faite par la populace d'Amsterdam à la livrée de son ambassadeur, sans qu'aucune punition ait été infligée. L'empereur regarde même comme aggravant l'insulte cette proclamation tardive qui annonçait à toute l'Europe l'impunité dont avait été accompagnée cette insulte publiquement faite à un souverain. Elle ne peut être lavée que par le sang.

«2o Sur le traitement fait à son chargé d'affaires la première fois qu'il a paru en cette qualité à l'audience de Votre Majesté, et sur le silence injurieux gardé envers lui, et cela en présence des ministres de Russie, d'Autriche et de toute l'Europe que l'on rendait témoin de l'humiliation du représentant de l'empereur; aussi, et je dois le faire connaître à Votre Majesté, le chargé d'affaires a reçu la défense de paraître désormais à l'audience de Votre Majesté.

«3o Le refus fait à une patrouille française de la laisser entrer dans la ville de Haarlem. Du moment où l'empereur en a été instruit, il a ordonné au général Molitor de se rendre avec sa division de Hambourg en Hollande.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 2 juillet 1810.

«L'amiral de Winter est descendu hier chez moi deux heures après l'expédition de ma dépêche. Il arrivait d'Haarlem. Il avait trouvé le roi en conseil délibérant sur les circonstances. L'âme du roi paraissait livrée à la plus profonde amertume, et l'amiral entra dans sa douleur pour l'adoucir et donner plus d'autorité aux conseils qu'il venait offrir. Il dit donc au roi qu'il croyait que l'on devait attribuer le malheur des circonstances au mauvais système où le gouvernement s'était jeté dès l'origine, et qu'il s'en était toujours franchement exprimé, mais qu'il ne s'agissait plus du passé, dont on n'était plus le maître, mais de l'avenir qui nous appartenait encore; qu'en fidèle sujet il venait offrir au roi sa personne, sa vie et ses loyales opinions; que, soit que le gouvernement eût des torts envers l'empereur ou qu'il se crût calomnié auprès de Sa Majesté, ce moment pouvait redresser toutes les opinions et prouver que le roi était toujours ce qu'il devait être pour son auguste frère et pour la France, que le roi devait recevoir les troupes françaises en connétable, les fêter, les accueillir à la tête de son peuple, de ses troupes et de toutes les autorités, et que ce jour du 4, qui paraissait à quelques-uns si calamiteux, pouvait de cette façon devenir un jour de réconciliation entre les deux souverains et fixer sur la nation hollandaise les regards bienveillants de l'empereur. L'amiral fut soutenu, à ce qu'il m'a dit, avec beaucoup de force, par le général Dumonceau, que le maréchal duc de Reggio venait d'envoyer au roi et dont, depuis quelque temps, l'ambassade n'avait pas eu à se louer. Il paraît qu'il s'est bien montré dans ce moment. Les ministres de la guerre et de la marine, quoiqu'avec moins d'énergie, exprimèrent des opinions raisonnables, et il n'y eut pas un conseil décidément mauvais.

«Le roi déclara à ses ministres et à ses grands officiers ce que déjà il m'avait fait annoncer par le ministre de la marine, qu'il en userait dans cette journée en prince français et en connétable, mais quand on lui demanda le détail de ses intentions, il dit qu'il prescrirait de faire les choses pour le mieux et de façon à donner à l'empereur l'opinion qu'il désirait que Sa Majesté prît de son peuple; et comme on lui demandait encore quelles dispositions il prescrirait pour son palais et pour sa personne, il montra la résolution inébranlable de rester dans son pavillon de Haarlem jusqu'au retour du courrier qu'il venait d'expédier à l'empereur. L'amiral fit les plus grands efforts pour ébranler cette résolution' dont il prévoyait tout le mauvais effet. Le roi lui dit que la fatalité l'entraînait, que rien ne pouvait désormais lui regagner le cœur de son frère, qu'il était décidé à céder à la destinée et qu'il resterait à son pavillon de Haarlem jusqu'au retour de son courrier. L'amiral m'ajouta que Sa Majesté s'était exprimée confidentiellement sur les déterminations graves que ce courrier avait dû porter au pied du trône impérial. Il fut impossible d'amener le roi à se trouver à Amsterdam le jour de l'entrée des troupes. Du reste, il fut décidé par le roi que le général Bruno prendrait le commandement des gardes et recevrait le maréchal à leur tête; que toutes les autorités seraient présentes, que le bourgmestre, M. Van-der-Poll, qui venait enfin de consentir à reprendre son poste, ferait toutes les dispositions pour que la ville eût dans cette grande circonstance l'attitude qu'elle devait avoir, et qu'enfin une fête serait donnée aux soldats par la garde et par les citoyens. L'amiral se proposait en me quittant de se répandre dans la ville où il est fort connu et d'inspirer aux citoyens de toutes les classes les sentiments que l'on devait avoir et montrer dans cette occasion si intéressante. Cet avis de l'amiral me fut fort utile et le soir, aussitôt que j'eus appris le retour de M. Van-der-Heim, je me hâtai de me rendre chez lui. Je lui dis qu'il m'était revenu que le projet du roi était de rester le 4 à son pavillon de Haarlem, et que je ne pouvais croire à une détermination qui ôterait à la fête projetée toute la grâce qu'il était si désirable pour tout le monde de lui donner. M. Van-der-Heim me répondit que personne autour du roi n'en avait pensé ainsi et que dans l'état de brisement où était son âme on n'avait pas cru devoir lui demander encore ce sacrifice qui ne semblait pas nécessaire pour le bon accueil des troupes; que sûrement le roi s'y serait déterminé s'il l'eût cru aussi convenable que je le pensais. Il m'objecta d'ailleurs que le roi, frère de l'empereur et connétable de France, ne pouvait habiter une ville où il ne commanderait pas, qu'il y aurait à tout moment conflit d'autorité, et que Sa Majesté, qui ne serait pas maîtresse de la ville, ne pourrait répondre des mouvements que la malveillance pourrait chercher à y faire naître. Je répondis à M. Van-der-Heim que, comme déjà je le lui avais dit, l'affaire du commandement et du mot d'ordre était une affaire que je croyais facile à régler entre le roi et le maréchal, et qu'assurément le roi pouvait, de la part du maréchal, compter sur les respects et les égards qu'il était à tant de titres en droit d'en attendre; qu'à la rigueur, si cet objet présentait des difficultés que je ne prévoyais pas, le roi serait toujours le maître, après avoir reçu le maréchal et les troupes dont il est le connétable, de retourner à son pavillon pour y suivre ses desseins et attendre le retour de son courrier. Je priai M. Van-der-Heim de retourner cette nuit même à Haarlem ou d'y envoyer quelqu'un de ses collègues pour représenter toutes ces choses au roi, représentations qui, à la vérité, venaient de moi, puisque ce cas n'avait pas été prévu par mes instructions, mais qui m'étaient inspirées par le désir de voir les choses s'arranger au contentement général et de la manière qui pourrait rapprocher davantage Sa Majesté du cœur de son auguste frère. M. Van-der-Heim m'a promis d'envoyer un courrier cette nuit. J'aurai la réponse dans la journée. Je vais expédier M. de Caraman à Utrecht pour informer M. le maréchal. Voici donc, Monseigneur, en résumé l'état des choses:

«Il n'y aura point de résistance.

«Les troupes seront reçues en triomphe par la garde, ayant le général Bruno (Français) à sa tête, et par la bourgeoisie ayant à la sienne son ancien bourgmestre.

«Toutes les autorités seront présentes et en grand gala. Une fête sera donnée aux troupes par la ville.

«Je tâcherai d'obtenir plus, et surtout la présence du roi. Votre Excellence peut être assurée que j'en sens l'extrême inconvenance et que je ferai tout ce qui pourra dépendre de moi pour y déterminer Sa Majesté.

«J'ai, Monseigneur, des excuses à faire à Votre Excellence pour l'extrême désordre de mes dépêches, depuis ces quinze derniers jours plus particulièrement, mais je suis obligé d'écrire beaucoup et en courant, de sortir et de recevoir beaucoup de monde, et c'est à peine si j'ai le temps de mettre quelque ordre dans mes idées. J'ai besoin de toute votre indulgence et j'ose la réclamer.

«P.-S.—J'apprends à l'instant un fait que l'amiral de Winter n'a pas voulu me dire, c'est que la cour a d'abord fort mal accueilli la chaleur de ses conseils et l'a même assez maltraité, mais que ce brave homme n'en a pas moins soutenu son noble rôle et ses efforts pour sauver son pays et son roi du danger des premiers mouvements et des résolutions irréfléchies. J'ai aussi beaucoup à me louer de M. de Lagendorp, ancien ministre de la guerre.

«Je n'ai pas encore de certitude sur ce que feront les fonctionnaires publics, mais je crois à ce que j'ai annoncé. Je verrai ce soir le bourgmestre. Je joins ici la pièce oubliée de l'avant-dernier numéro.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 3 juillet 1810.

«M. Van-der-Heim, ministre de la marine et des colonies, chargé du portefeuille des affaires étrangères, sort à l'instant de chez moi. Il était en grand costume et couvert de tous ses ordres. Ce ministre est venu m'annoncer que le roi avait abdiqué en faveur de son fils aîné, et que l'acte de son abdication avait été adressé par Sa Majesté au Corps législatif; que par cet acte la reine était nommée régente, qu'un conseil provisoire de régence était nommé, qu'il était composé en grande partie du ministère et des grands officiers; que deux personnes de marque avaient été dépêchées en courrier, le premier pour porter cette communication à Sa Majesté l'empereur, et le second à la reine.

«M. Van-der-Heim m'assura que tout ce qui approche la personne du roi avait tout tenté pour le détourner de cette détermination et pour l'engager à paraître demain à Amsterdam et à remettre son projet à un moment plus convenable; mais le roi était demeuré inébranlable.

«M. Van-der-Heim m'annonça encore que le roi était parti cette nuit sans prendre congé de personne, qu'on croyait qu'il avait traversé Amsterdam et qu'il était allé se jeter aux pieds de l'empereur. Ce ministre finit en me disant qu'il était chargé par la régence provisoire de me faire part de ce grand événement et de me déclarer officiellement que le gouvernement et la nation se remettaient entièrement et avec un abandon absolu à Sa Majesté l'empereur et roi des destinées de la patrie.

«J'ai répondu au ministre que je ne pouvais admettre la communication qu'il voulait me faire sur une détermination qui, par sa nature, était aussi grave et aurait exigé, à mes yeux, le concours et l'assentiment de Sa Majesté l'empereur et roi, comme chef de la famille impériale. M. Van-der-Heim me quitta en protestant du profond respect et du dévouement de tous les membres du conseil pour Sa Majesté impériale et royale, comme de leur intention de se conformer à tout ce qu'elle jugerait propre à assurer la tranquillité et le bien-être du pays.

«J'apprends à l'instant qu'une triple proclamation vient d'avoir lieu. La première est l'acte même d'abdication. On m'assure qu'elle est conçue dans des termes tout à fait inconvenants; mais je ne puis rien affirmer jusqu'à ce que j'aie la traduction. Je ne pourrai peut-être pas me la procurer avant le départ de monsieur de Caraman que je vais expédier à Votre Excellence en courrier; mais je viens de l'engager à sortir une seconde fois pour la relire et en prendre des notes qu'il portera à Votre Excellence; demain je lui en enverrai le texte. La seconde renferme les adieux du Roi à son peuple et l'invite à bien recevoir les Français. La troisième est du conseil de Régence provisoire et prévient de son installation.

«Depuis cet état de choses, Monseigneur, je ne me considère plus comme accrédité auprès du gouvernement hollandais, et j'interromps, dès ce moment, toutes mes communications avec lui.

«J'informe par monsieur de Caraman le maréchal duc de Reggio de tout ceci, et le préviens d'être prêt à tout événement, à arriver ici avec sa cavalerie, si les circonstances exigeaient qu'il brusquât son entrée. J'apprends que le peuple se précipite en foule pour lire la triple proclamation. Je vais faire venir le bourgmestre, l'inviter à veiller sur la ville et le rendre responsable des désordres qui pourraient arriver cette nuit si la malveillance pouvait chercher à tirer parti de cet état de choses.

«Demain l'autorité militaire commencera; je recevrai monsieur le maréchal et vais attendre en particulier les ordres de l'empereur.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 4 juillet 1810.

«L'armée impériale a fait aujourd'hui à trois heures son entrée triomphale à Amsterdam, ayant son maréchal à sa tête. Les choses se sont passées très convenablement. Le maréchal fait partir ce soir un de ses aides-de-camp porteur de cette bonne nouvelle pour le ministre de la guerre, et j'en profite pour informer également Votre Excellence. Demain j'aurai l'honneur de lui donner des détails.

«J'ai reçu ce matin de M. Van-der-Heim la communication dont copie ci-jointe. Je n'ai pas cru pouvoir en accuser réception, non plus y répondre. Je joins également ici le numéro du courant qui renferme les différentes proclamations du gouvernement. Je n'ai point le temps de les faire traduire, mais je suppose qu'on le pourra faire dans les bureaux de Votre Excellence, et au besoin M. de Caraman en pourrait donner la traduction.

«La cour, la ville, le gouvernement, la nation entière, tout est aux pieds de Sa Majesté l'empereur et roi, et implore sa clémence et sa protection; j'attends les ordres de Sa Majesté impériale et les directions de Votre Excellence.»

Le duc de Reggio au duc de Feltre.

Amsterdam, 5 juillet 1810 (au soir).

«Monseigneur, le roi étant parti sans dire à personne où il allait, il circule dans le public de cette capitale les bruits les plus étranges sur le lieu qu'il doit avoir choisi pour sa retraite. Les agioteurs et les malveillants ont voulu accréditer l'absurde nouvelle que Sa Majesté était passée en Angleterre, et les moins déraisonnables en Amérique; mais je suis, de concert avec le ministre de la police, occupé à détruire cette calomnie et même à la recherche de ceux qui ont répandu de tels bruits.

«Je viens d'écrire au ministre de la police que je désirerais absolument savoir où le roi s'était retiré, avoir des détails sur la santé de Sa Majesté, enfin des renseignements détaillés sur tout ce qui s'est passé dans cette singulière circonstance.»

Serrurier à Cadore.

Amsterdam, 6 juillet 1810.

«Sa Majesté impériale et royale a dû recevoir par M. le maréchal duc de Reggio le détail de son entrée à Amsterdam, des honneurs civils et militaires qui lui ont été rendus, des discours qui lui ont été adressés et des dispositions généralement bonnes qui lui ont été montrées. Cette circonstance vient à l'appui de ce que j'ai souvent eu l'occasion de dire à Votre Excellence, que la nation est bien disposée et facile à conduire, et que la direction seule des affaires a été très mauvaise. La ville n'a jamais été plus tranquille. À la première stupeur succède l'espoir que Sa Majesté impériale et royale n'abandonnera plus une si bonne nation à elle-même et qu'elle daignera la placer désormais sous sa protection et sa direction la plus immédiate que possible. C'est le cri général de toutes les classes et surtout du commerce. Si l'on rencontre encore une crainte, c'est de ne pas obtenir à cet égard des déterminations tout à fait définitives.

«Le maréchal m'avait fait prévenir par son chef d'état-major de l'heure où il se présenterait devant les portes. Je suis allé une demi-lieue au-devant de Son Excellence, que je n'ai pas tardé à apercevoir à la tête de son état-major et de sa cavalerie. Je suis alors descendu de voiture, le maréchal a mis pied à terre et nous sommes entrés dans une cabane de pêcheurs, au pied de la digue, où nous nous sommes entretenus assez longuement sur l'état où j'avais laissé la ville et celui où probablement le maréchal allait la trouver, sur l'abdication et le départ du roi et l'impression que cet événement avait produit, et enfin sur l'ensemble des affaires. L'armée avait suspendu sa marche. Après avoir tout concerté pour le mieux, le maréchal est remonté à cheval, je suis remonté en voiture, et les troupes françaises ont fait leur entrée comme le portait le programme. Le maréchal s'est montré particulièrement satisfait de la conduite du lieutenant général Bruno et du bourgmestre.

«L'avant-veille de son départ j'avais été averti que Sa Majesté avait fait des questions sur ses voitures et que le grand écuyer lui avait répondu dans une bonne intention qu'aucune n'était en état. Je prévins le jour même le maréchal de cette circonstance par M. de Caraman, quoique je susse que cet avis ne pouvait rien empêcher, mais c'était tout ce que je pouvais. Le roi fit acheter une voiture qu'il alla joindre vers une heure du matin à pied avec le général Travers. La princesse Dolgorouki, qui habite une maison près du château, ayant remarqué différents transports de portefeuilles, eut l'éveil et vit le roi au moment où il traversait un petit fossé pour aller gagner sa voiture. Personne ne sait positivement quelle route a suivie Sa Majesté. On assure l'avoir vue au Gueldre, du côté d'Arnheim; d'autres personnes parlent d'embarquement et d'Amérique.

«Avant-hier une députation de la régence est allée complimenter le jeune prince. Mme de Boubers, sa gouvernante, dit à Son Altesse royale qu'elle devait saluer, mais ne faire aucune réponse, et défendit aux officiers attachés à sa personne de l'appeler autrement que Monseigneur et Votre Altesse royale, jusqu'au moment où elle aurait reçu des ordres de l'empereur.

«Je prévoyais depuis quelques jours que quelque grande faute allait être faite, et c'est pour la détourner qu'outre ce que je pouvais faire de démarches officielles, j'avais envoyé à Harlem l'amiral de Winter et quelques autres braves gens pour combattre les mauvaises résolutions et donner de bons conseils. J'avais fait plus; j'avais dit à M. Van-der-Heim, pour l'ébranler et après avoir épuisé tous les moyens de persuasion, qu'il ne fallait pas qu'il se fît illusion et que si des déterminations contraires à la gloire du roi pouvaient prévaloir, jamais Sa Majesté l'Empereur ne pourrait croire qu'elles eussent eu leur source dans le cœur de son frère et du connétable de France, et que Sa Majesté en attribuerait très naturellement le blâme à ses mauvais conseillers. M. Van-der-Heim me répondit qu'il voyait où allait ce langage, qu'il avait tout tenté pour amener le Roi à recevoir le maréchal et à faire les choses comme il convenait, mais que cela fait, il obéissait à son souverain en honnête homme et sans examiner s'il y avait du danger attaché à l'exercice de ses devoirs. C'est, je crois, le 30 juin ou le 1er juillet que M. Van-der-Heim me répondit ainsi, et le Roi partit dans la nuit du 2 au 3 juillet.

«Le secret de sa proclamation a été gardé par les ministres, et je n'en ai pu avoir connaissance que lorsque déjà elle était affichée à tous les coins de rue.

«La lettre du Roi au Corps législatif est de sept pages et renferme, dit-on, des choses très fortes. Ses membres se sont engagés par serment à n'en donner aucune communication. On me l'a promise pour ce soir ou demain matin: je l'enverrai tout de suite à Votre Excellence.

«Je vais dîner aujourd'hui avec le maréchal chez les magistrats de la ville. J'ai déclaré que j'y paraîtrais comme Français et comme particulier, mais sans caractère diplomatique.

«Quelqu'un qui arrive à l'instant de Harlem m'assure que le Roi a nommé un conseil d'administration avec pouvoir illimité pour vendre et aliéner le mobilier de la couronne à Utrecht, Soesdyck, Harlem-le-Loo, etc. Sa Majesté a rendu aussi un décret pour liquider les deux millions qu'elle a empruntés sur ses domaines de l'Ost-Frise. Le décret doit être communiqué demain et daté du 30 juin. Je vais en prévenir M. le maréchal duc de Reggio pour que l'on fasse suspendre jusqu'au retour des courriers.

«P.-S.—Je joins ici le numéro du courant qui renferme le détail de l'entrée de nos troupes et de l'accueil qui leur a été fait. On me fait craindre de ne pouvoir me procurer la copie promise de la lettre du Roi. J'ai promis au maréchal de lui en donner un double si je l'obtiens. On y remarque, m'assure-t-on, cette phrase: Je vais mener le reste de mes jours une vie errante et fugitive. On croit que Sa Majesté s'est dirigée du côté de Farmurigue. Il y a sur cette côte beaucoup de navires américains.»

Dès que l'empereur connut l'abdication et le départ de son frère, il ordonna au duc de Cadore de lui préparer un projet de note à adresser au ministre des affaires étrangères de Hollande, le baron de Roëll.

Le duc de Cadore envoya le 5 juillet à Napoléon le projet ci-dessous:

«Dans ma note du... j'ai eu l'honneur de vous exposer quelle avait été la conduite de la Hollande et combien elle avait nui à la cause commune en se livrant à un commerce interlope contraire à ses engagements avec la France, contraire au système que les ordres du conseil d'Angleterre de novembre 1807 avaient forcé l'empereur d'adopter, et je montrais à Votre Excellence comment cette suite d'erreurs où la Hollande a été précipitée par l'Angleterre nécessitait sa réunion à l'empire.

«Cependant l'empereur, quoique bien convaincu que tel était l'unique remède aux maux dont il se plaignait, a cédé aux vœux de son auguste frère en concluant avec lui le traité du 16 mars qui conservait l'indépendance de la Hollande et ne lui occasionnait que les sacrifices indispensables pour le maintien du système et l'intérêt de la cause continentale. Ce traité aurait pu atteindre son but si ses clauses avaient été fidèlement observées. Mais aucune condition n'a été remplie, excepté celles auxquelles le gouvernement hollandais ne pouvait s'opposer, comme la cession de quelques provinces qu'occupaient déjà les troupes françaises. De faibles efforts ont été faits pour armer l'escadre promise et elle n'a pas encore d'équipage: les cargaisons américaines n'ont été livrées qu'à moitié et l'on a donné à leur place les prises des corsaires français. Le commerce interlope a continué; des licences ont été données pour le favoriser. Le gouvernement a montré le même esprit de haine et d'opposition à la France. Il a cherché à rendre cette disposition populaire; la populace de quelques villes a insulté les soldats français, celle d'Amsterdam a insulté l'empereur, dans sa livrée portée par le cocher de son ambassadeur, et cet attentat commis en plein jour est resté impuni. Le chargé d'affaires de France a été l'objet d'une modification offensante pour le souverain qu'il représentait. L'aigle impériale, qui dans toute l'Europe est reçue en triomphe, a été repoussée d'Harlem, insulte qu'aucun souverain de la terre n'aurait pu faire impunément. Si ces griefs multipliés ont justement indigné l'empereur, il a encore été plus touché de la déplorable situation où se trouve la Hollande. Les douaniers français y sont établis et les douanes françaises sont fermées au commerce hollandais. Les uns éloignent toutes les importations du dehors; celles-ci repoussent toute exportation de la Hollande. La misère la plus profonde doit être le résultat de cet état de choses, et cet état ne peut être changé. Pour l'intérêt de la Hollande, on ne peut sacrifier la cause du continent. La révocation des ordres du conseil d'Angleterre aurait pu seule rendre l'indépendance de la Hollande compatible avec l'intérêt de la France et de l'Europe.

«L'empereur, lorsque cet intérêt est si violemment blessé, lorsque les peuples de Hollande éprouvent par leur isolement nécessaire une si grande misère, ne peut donc tarder de prendre un parti. On satisfait à toutes les convenances, remédie à tous les maux, celui de la réunion de la Hollande à l'empire français. Une absolue nécessité en impose l'obligation. Je dois donc faire connaître à Votre Excellence que Sa Majesté s'est décidée à rappeler auprès d'elle son auguste frère à qui les circonstances ont ôté la possibilité de remplir l'objet pour lequel l'empereur l'avait élevé sur le trône de Hollande et qui était si bien dans son cœur, celui de faire le bonheur de la nation hollandaise, en servant les intérêts de la France.»

Cette note résume tous les prétextes saisis par l'empereur pour expliquer l'annexion de la Hollande. Une des dernières phrases explique pourquoi Napoléon fit tant d'efforts pour obtenir de son frère qu'il revînt près de lui en France.

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 7 juillet 1810.

«Monseigneur, le général Piré que j'ai envoyé ce matin à Harlem pour présenter mes hommages au prince royal et me rapporter des nouvelles de sa santé me rend compte que Son Altesse impériale jouit d'une très bonne santé. Elle a beaucoup pleuré en apprenant le départ du Roi, mais elle est tranquille maintenant et ne fait plus de question.

«On paraît croire à Harlem que le Roi a pris la route de Brême et que son intention est de s'embarquer pour l'Amérique avec un passeport anglais que Sa Majesté s'est procuré en envoyant il y a quelque temps un officier à Londres.

«Le général Travers accompagne Sa Majesté ainsi que le contre-amiral Bloys avec un seul valet de chambre. On assure que le Roi a trompé ces deux officiers, qu'ils ne savaient rien de ses projets avant son départ.

«Le Roi a emporté avec lui tout l'argent qu'il a trouvé dans les caisses des différents services; on évalue la somme, tant en or qu'en bijoux, à 600,000 florins, dont 250,000 florins en lettres de changes[160].

«Sa Majesté voyage dans une mauvaise voiture de poste du pays.

«Elle doit avoir fait, la veille de son départ, de fausses confidences à presque tous les officiers de sa maison pour les tromper sur les motifs de son absence, particulièrement à son grand maréchal à qui elle a prescrit quelques dispositions pour sa réception au palais de Loo, en lui faisant donner sa parole d'honneur de n'en rien dire à personne.

«On a reçu au palais de Loo un billet du général Travers qui annonçait que Sa Majesté faisait un petit voyage et qu'elle arriverait incessamment, et qu'on ne fût point inquiet. Ce billet était sans date et sans désignation du lieu où il avait été écrit.

«Le grand maréchal du palais et le grand écuyer assurent que les ministres doivent avoir été prévenus la veille du départ du Roi, attendu qu'un officier appelé Goty ou des Goty a remis dans la nuit du 2 au 3 au ministre de la guerre et dans le conseil des ministres qui était assemblé un mot du Roi ainsi conçu: «Je pars, et au moment où vous lisez ce billet je traverse Amsterdam.» Sa Majesté n'est point entrée en ville comme elle l'écrivait, mais l'a seulement tournée.

«Le Roi a été reconnu par un Juif à Naarden au moment où le général Travers menaçait un postillon de le tuer s'il ne voulait doubler.

«Il paraît que le Roi craignait d'être reconnu en relayant.

«Un courrier venu d'Aix-la-Chapelle doit avoir été chargé par Son Altesse impériale Madame Mère de dire au Roi: «Dites à mon fils que je ne lui écris pas parce que j'ai peur que vous ne soyez arrêté en route, mais que tout est prêt ici pour le recevoir et que j'espère l'embrasser bientôt.»

«Le Roi a donné ordre de vendre les propriétés qui lui appartiennent et même quelques propriétés de la couronne pour payer ses dettes. L'intendant de la couronne a déjà commencé ses opérations à cet égard en vertu d'un décret antidaté.

«Votre Excellence trouvera ci-joint copie de la lettre écrite par le Roi au Corps législatif avant son départ.

«P.-S.—À l'instant où je fermais ma lettre, je reçois celle incluse de Mme de Boubers. Je vous prie d'assurer Sa Majesté de tout mon zèle et de mes précautions en pareille circonstance. Je vais même monter en voiture pour Harlem d'où j'aurai l'honneur de ramener le Roi pour peu que cela me semble nécessaire. Quant à ses besoins, j'y aurai pourvu de la manière qu'on doit attendre de mon dévouement. Ci-joint une autre lettre du ministre de la police du royaume de Hollande; c'est un Orangiste dont j'ai peine à obtenir les renseignements qui me sont nécessaires.»

Mme de Boubers à Oudinot.

Harlem, 6 juillet 1810.

«Monseigneur, la situation dans laquelle je me trouve est très embarrassante. J'attends avec la plus grande impatience les ordres de Sa Majesté l'Empereur, auquel je vous prie de vouloir faire connaître la position du prince.

«Le palais de Harlem, dans lequel il demeure, doit être vendu, ainsi que toutes les maisons que le Roi son père avait. Tous les mobiliers d'Amsterdam, de Loo, d'Utrecht, etc., dans peu de jours; le prince peut être sans asile; je ne pense pas que l'empereur souffre cela, il est très nécessaire que Sa Majesté en soit informé le plus tôt possible.

«On me laisse avec le prince, sans le moindre argent pour lui, n'ayant pas de quoi envoyer un courrier si la nécessité l'exigeait. On dit les coffres vides, le Roi ayant emporté tout ce qu'il a pu. Personne n'est payé ici depuis trois mois, et je ne serai pas étonnée que d'un moment à l'autre on refuse de fournir la maison du prince.

«Dans le cas où Sa Majesté l'Empereur ordonnerait que le prince revînt en France, il me serait de toute impossibilité de faire le voyage. Je vous prie, Monseigneur, de vouloir m'indiquer le moyen de me procurer les fonds qui me seront nécessaires ou de demander à Sa Majesté l'Empereur ses ordres à ce sujet.

«Je n'ai pu entrer dans ces détails avec M. Pirée[161] que vous avez envoyé au prince. Il était entouré de plusieurs personnes de la cour; ne pouvant lui parler en particulier, j'ai pris le parti de vous écrire pour vous informer de la situation du prince.

«Quant aux précautions pour sa sûreté, le général de Bruno, mon beau-frère, a pris toutes celles qu'il jugeait convenables; mais dans ce moment c'est une grande responsabilité dont je sens toute l'importance.»

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 7 juillet 1810.

«Monseigneur, j'ai déjà eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence des différentes versions qui circulaient ici sur la retraite du Roi. Celle qui s'accrédite le plus en ce moment est que Sa Majesté se rend en Amérique; je n'ai point encore de certitude à ce sujet, mais je fais faire toutes les diligences nécessaires pour être bientôt à même de pouvoir faire connaître à Votre Excellence le lieu où Sa Majesté s'est retirée.

«Je viens d'avoir des nouvelles du Prince Royal; Son Altesse se porte très bien; j'aurai l'honneur d'adresser tous les jours à Votre Excellence le bulletin de sa santé.

«L'esprit public de la ville d'Amsterdam est bon et la meilleure harmonie continue à régner entre les troupes françaises et les habitants.»

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 7 juillet.

«Monseigneur, au reçu de la lettre par laquelle Votre Excellence me fait connaître l'intention de l'Empereur pour le désarmement des lignes d'Amsterdam, j'ai de suite donné l'ordre au commandant de l'artillerie de faire les dispositions nécessaires pour enlever les pièces qui s'y trouvent et les conduire à Anvers.

«D'après un état d'armement que je me suis procuré de ces lignes, il se trouvait au 6 de ce mois 215 pièces de différents calibres en batteries, tant en bronze qu'en fonte. Des officiers sont occupés en ce moment à en faire le relevé, que j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Excellence aussitôt qu'il me sera parvenu.

«J'ai également donné l'ordre de faire démolir tous les ouvrages qui ont été élevés contre nous.»

Oudinot à Clurke.

7 juillet.

«Monseigneur, par le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Excellence pour lui annoncer mon arrivée à Amsterdam, je l'ai prévenu que j'avais accepté un dîner qui m'était offert par les magistrats de cette ville. Ce dîner a eu lieu hier; je me suis rendu avec tous les généraux, les colonels et officiers supérieurs des corps et d'état-major. Les ministres, le corps diplomatique et les chefs des diverses autorités civiles et militaires y avaient été invités. Le bourgmestre Van-der-Poll qui le présidait en a fait les honneurs aux Français avec les égards qu'il se plaît à leur marquer dans toutes les circonstances. Il a été porté un toast à Leurs Majestés Impériales et Royales qui a été accueilli avec enthousiasme ainsi que celui de l'armée française. J'ai cru devoir en porter un à la prospérité de la ville d'Amsterdam.

«Cette réunion où une apparente cordialité a régné ne peut qu'ajouter à la bonne opinion que j'ai déjà des magistrats qui administrent cette ville seulement.»

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 7 juillet 1810.

«Monseigneur, Votre Excellence a dû voir par toutes les lettres que j'ai eu l'honneur de lui écrire depuis mon entrée à Amsterdam, que je n'ai qu'à me louer, jusqu'à présent, des magistrats de cette ville et du bon esprit qui anime ses habitants. J'ai donc cru convenable d'adopter envers eux un système de conciliation que je crois dans le sens des volontés de l'Empereur; si cependant il en était autrement, je prie Votre Excellence de me tracer la règle de conduite que je dois suivre pour remplir les intentions de Sa Majesté.»

Le 9 juillet, un décret impérial en douze articles ordonne la réunion de la Hollande à la France et nomme le duc de Plaisance lieutenant général de ce pays. Une circulaire dans ce sens est envoyée aux divers représentants à Paris des puissances étrangères pour leur expliquer les motifs qui ont nécessité l'annexion. Le surlendemain, 11 juillet, M. de Hauterive reçoit l'ordre de partir pour Amsterdam afin d'y prendre les papiers des relations extérieures, les archives, et de les rapporter à Paris.

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 9 juillet 1810.

«Monseigneur, n'ayant pu jusqu'à présent avoir aucune communication officielle avec le gouvernement provisoire institué par le Roi et que je n'ai pas cru devoir reconnaître avant d'avoir reçu les ordres de l'Empereur, j'ai pensé que l'état de crise dans lequel cet état de choses pouvait jeter la capitale exigeait que je prisse la haute main sur tous les militaires de ce pays et qu'aucun mouvement de troupes hollandaises ne pût avoir lieu sans mon consentement; j'ai écrit dans ce sens au ministre de la guerre et au gouvernement d'Amsterdam pour leur faire connaître mes intentions à cet égard, de manière que je devienne responsable moi-même des événements qui arriveraient en attendant la décision ultérieure de l'Empereur, que j'attends ainsi que le pays avec une grande impatience. Du reste tout est calme et les fonds gagnent tous les jours.»

Oudinot à Clurke.

10 juillet 1810.

«Monseigneur, la Hollande est toujours dans le calme dont j'ai eu l'honneur d'entretenir Votre Excellence dans mes précédents rapports. Ce pays attend avec une grande impatience la décision de son sort. La majeure partie des habitants croit à la réunion et à voir consolider la dette au taux où elle est baissée. Les autres demandent le maintien du gouvernement royal et la confirmation d'une régence, mais non de celle qui existe; car les personnages qui la composent sont pour la plupart accusés d'avoir contribué à la situation actuelle des choses.

«J'ai eu l'honneur d'aller hier saluer le Prince Royal; je l'ai laissé bien portant. J'ai consenti à ne point faire transporter Son Altesse royale à Amsterdam, tant à cause des justes observations que m'a faites Mme de Roubers sur la santé de Son Altesse royale que sur ce que je me suis assuré qu'elle est convenablement à Harlem et en sûreté. J'ai de Son Altesse royale une garde d'honneur française qui a son poste au palais et un de mes aides de camp qui fait le service de concert avec les officiers de la maison. Enfin cela se passe avec les mesures qu'il fallait apporter en pareille circonstance.

«Les fonds n'ont pas varié depuis avant-hier, quoiqu'on ait fait courir plusieurs bruits plus ridicules les uns que les autres.

«Par ma dernière dépêche, j'ai mandé à Votre Excellence que je mettais un régiment à Harlem, celui qui y était destiné viendra occuper les trois villes les plus près d'Amsterdam, afin d'y être en masse et comme réserve pour cette ville qui, quoique tranquille, a besoin de savoir que nous sommes là.

«Quand Sa Majesté l'Empereur voudra connaître les principaux contrebandiers de ce pays, il me sera facile de les signaler, car outre les renseignements que je m'étais déjà procurés tant sur leur nom que sur la nature et la valeur approximative des affaires qu'ils ont faites, c'est à qui des bons négociants viendra les dénoncer. Je crois alors qu'une bonne contribution particulière frappée sur eux ne serait pas une injustice.

«Je pense que Votre Excellence n'aura pas manqué de faire connaître à l'Empereur que l'abdication, les proclamations placardées et le départ du Roi ont eu lieu avant mon entrée à Amsterdam, et que Sa Majesté me rend assez de justice pour penser que si je fusse arrivé à temps j'aurais intervenu et peut-être empêché l'exécution de cet événement extraordinaire.»

Clurke à Oudinot.

10 juillet 1810.

«Monsieur le Maréchal, j'ai déjà eu l'honneur d'informer Votre Excellence par une dépêche que je lui ai adressée aujourd'hui par courrier extraordinaire que, d'après un décret impérial rendu à Rambouillet le 9 juillet, la Hollande se trouve dès ce moment réunie à la France.

«Je joins ici, Monsieur le Maréchal, ampliation de ce décret impérial, afin de mettre Votre Excellence à portée de connaître les dispositions que Sa Majesté impériale et royale a déterminées provisoirement relativement à l'administration de cette portion de l'empire.

«Votre Excellence verra par l'article 5 que l'Empereur a nommé M. le duc de Plaisance, architrésorier de l'empire, son lieutenant général, et que Son Altesse impériale doit se rendre en cette qualité à Amsterdam. Vous voudrez bien, en conséquence, Monsieur le Maréchal, prendre les ordres de Son Altesse seigneuriale le prince architrésorier, en sa qualité de lieutenant général de l'Empereur, pour tout ce qui aura rapport au service de Sa Majesté dans l'étendue de votre commandement.»

Zapffel, chef de bataillon, aide de camp de Clurke.

Amsterdam, 11 juillet 1810.

«Monseigneur, j'ai remis hier à dix heures du soir au maréchal duc de Reggio les dépêches que Votre Excellence m'avait données pour lui. Je profite du départ d'un aide de camp du maréchal pour vous donner le peu de renseignements que j'ai pu me procurer jusqu'à présent. Tout est tranquille en Hollande et principalement à Amsterdam. Le Prince Royal est à Harlem avec une garde d'honneur composée d'une compagnie d'élite du 16e de chasseurs, sous le commandement d'un aide de camp du maréchal qui ne perd pas de vue Son Altesse royale.

«Le lieu de la retraite du Roi est encore inconnu. Les uns disent qu'il est parti pour l'Amérique et qu'il s'est embarqué à Bremen-Lech, les autres assurent qu'il est en Westphalie. Le ministre de la police dit que Sa Majesté a été vue le 6 à Hanovre. Le bruit court aussi que le Roi doit avoir une entrevue avec Madame Mère. Il a emporté tout l'argent qui se trouvait dans les caisses publiques et pour une très forte somme de lettres de change. Le ministre de Krayendorf a disparu; on dit qu'il s'est embarqué pour l'Angleterre. M. le Maréchal s'occupe de le trouver. Il paraît que l'opinion générale de Hollande n'est pas contraire à la réunion.

«Ce qui leur déplaît, c'est l'incertitude où ils sont sur leur sort futur. Ils paraissent aussi craindre le système de la conscription; ils demandent également si l'Angleterre continuera à leur payer les intérêts des fonds qu'ils y ont placés et les intérêts se montent, dit-on, à 40 millions de florins par an.

«Je n'ai pas encore vu M. Serrurier. L'aide de camp du maréchal part à l'instant et je n'ai que le temps de vous renouveler l'assurance de mon respectueux et bien sincère attachement.»

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 11 juillet 1810.

«Monseigneur, la surveillance sur la côte a été observée avec autant de scrupule que Sa Majesté peut l'avoir désiré, et qui que ce soit n'est allé en mer, à ma connaissance, depuis le départ du Roi, à moins que ce ne soit l'ex-ministre de la guerre, Krayenhof, que je cherche partout et que je ne puis découvrir, mais sur lequel je n'ai d'autres indices, sinon qu'il serait depuis plusieurs semaines sur les côtes pour y travailler à sa carte qu'on sait qu'il levait au nom du Roi. Je n'ai tant cherché ce fonctionnaire que parce qu'il passe pour un homme perfide et ennemi de la France, qu'enfin j'ai toujours supposé que l'Empereur le poursuivrait un jour pour sa conduite pendant son ministère; au reste, s'il est encore en Hollande, je ne puis manquer de le découvrir, car j'y ai des intelligences partout.

«Ainsi que j'ai eu l'honneur de le mander à Votre Excellence par mes dépêches successives, le Prince Royal est en sûreté et se porte bien; Son Altesse royale est traitée en prince de sa maison et à la disposition exclusive de l'Empereur.

«Je n'ai pas manqué de rassurer le pays par tous les moyens qui sont en moi et qui peuvent l'amener à voir la réunion d'un œil tranquille. J'ai constamment parlé dans ce sens, par conséquent dans celui que vous m'ordonnez au nom de l'Empereur, j'ose même assurer que ces précautions ont eu leur utilité et que si ce n'est chez les personnages en places, qui ont peur de les perdre, on trouvera des applaudissements.

«Sa Majesté sait sûrement qu'il n'a pas dépendu de moi d'empêcher que les proclamations du Roi, qui exprimaient si singulièrement ses dernières volontés, ne fussent rendues publiques, puisque c'est le 3 qu'il les a fait lui-même placarder dans Amsterdam et mettre dans les journaux, tandis que je ne suis entré que le 4, mais aussitôt entré, je me suis occupé à faire arracher ce qui ne l'était pas encore.

«Les derniers renseignements que j'ai obtenus sur la marche du Roi, c'est qu'il aurait traversé le 6 la ville de Hanovre, ce qui me fait espérer qu'il se retire à Cassel où certains personnages d'ici assurent qu'il était attendu.

«L'embargo existe en Hollande depuis que j'y commande, je pense que celui que vous m'ordonnez ne s'étend pas aux pêcheurs qui, au reste, sont surveillés, mais qu'on ne pourrait, ce me semble, empêcher de faire ce métier, sans un grand préjudice, à cette classe nombreuse qui n'existe que par ce moyen, cependant je désire à cet égard une explication de Votre Excellence. On est occupé du désarmement et de l'importation des pièces; le pays n'a point donné des signes de mécontentement à cet égard, seulement le ministre de la guerre a réclamé, et je n'ai, bien entendu, tenu aucun compte de sa protestation, qu'il ne faisait, au reste, que parce qu'il pense, que la mesure est de mon invention.

«Les fonds ont haussé d'une manière sensible à la bourse d'hier.»

Oudinot à Clurke.

Amsterdam, 12 juillet.

«Monseigneur, je n'ai reçu qu'aujourd'hui, à midi seulement, la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser pour m'annoncer que Sa Majesté l'Empereur avait nommé Son Altesse seigneuriale le prince architrésorier son lieutenant général en Hollande, et que l'intention de l'Empereur était que le prince trouvât partout sur son passage des escortes de cavalerie, depuis Nimègue jusqu'à Amsterdam. À la réception de la lettre de Votre Excellence, je me suis empressé de donner des ordres pour l'exécution des dispositions qu'elle m'a transmises. Comme je n'ai pas de cavalerie au-delà d'Utrecht, je crains fort que les détachements que j'ai fait commander ne puissent arriver à temps pour escorter Son Altesse à son départ de Nimègue; cependant j'ai ordonné que la troupe mît la plus grande diligence dans sa marche, afin de se conformer aux désirs de Sa Majesté.

«Votre Excellence peut être persuadée que tout sera disposé au delà d'Utrecht pour rendre au prince les honneurs dus à son rang.»

Serrurier à Cadore.

12 juillet 1810.

«Si l'on en doit croire les entours du Roi, personne autre que les compagnons de sa fuite n'a été dans la confidence de Sa Majesté, et tout le monde prétend y avoir été trompé. Beaucoup de MM. les gens de la cour qui caressaient lâchement les faibles et les erreurs du Roi l'accusent aujourd'hui avec la même lâcheté, et c'est à qui renchérira de détails et de chefs d'accusation: ces messieurs sont fidèles à leur caractère.

«Il est certain que le Roi avait fait de fausses confidences à ses officiers, telles que son projet d'aller au Lao, où il avait fait tout disposer pour le recevoir, et à Aix-la-Chapelle où il s'était fait annoncer et qu'il a exécuté son dessein avec une profondeur de secret dont on n'eût pas cru Sa Majesté capable. On assure que deux ou trois de ses ministres au plus ont été dans la confidence; cela me paraît difficile. Mais au moins aucun fonctionnaire, douteux pour la cour et surtout du parti français, n'a été admis au secret. J'aurais pu être informé par eux seuls, car pour les moyens d'argent, cet agent excellent pour arracher les secrets de bureau n'aurait pu prendre sur des hommes de parti et sur des ministres, sans doute égarés au moins, mais honnêtes gens hors de là et supérieurs à de pareilles séductions. Puis la cour était à Harlem, et l'on avait su, par autorité ou par peur, éloigner encore une fois de moi tout ce qui aurait pu m'instruire. Cet extravagant projet d'abdication sans le concours de Sa Majesté impériale et royale et le scandale de la proclamation n'avaient dû ni pu entrer dans la pensée de personne, et avec tous j'y ai été pris au dépourvu. J'ose penser que de beaucoup plus habiles ministres l'auraient été également, et je crois avoir fait dans cette circonstance tout ce qui était humainement possible pour détourner le Roi de mauvaises résolutions et pour lui faire inspirer celles que je croyais conformes à sa gloire et à son intérêt. J'ai eu le bonheur d'obtenir du reste tout ce que j'avais été chargé de demander, mais l'esprit du Roi était hors de ma portée et de mon pouvoir.

«Quand j'ai été instruit, il était trop tard pour rien empêcher. Le mal était fait. J'aurais inutilement montré du ressentiment et mes cris d'effroi, et j'aurais compromis mon autorité sans rien arrêter. J'ai préféré en laisser l'odieux à la cour, la responsabilité aux ministres et me borner à déclarer froidement que mes fonctions avaient cessé jusqu'au retour de mon courrier.

«Le résultat de tant de fautes est que le mot de réunion s'articule enfin tout haut à Amsterdam. C'est par le commerce que ce vœu commence à se prononcer. Longtemps comprimée par le respect qu'inspirait une autorité émanée du trône impérial, l'autorité affranchie par le départ du Roi commence à s'énoncer avec force et liberté, et, pour peu qu'elle reçoive d'encouragement, elle deviendra un cri général. Ce n'est pas qu'il n'y ait en Hollande un sentiment profond de la patrie et un regret amer de ne pouvoir plus former une nation, mais les gens raisonnables se demandent où est cette patrie? et ils ne la trouvent ni dans cette marine hollandaise, jadis si puissante, aujourd'hui nulle, ni dans l'armée réduite à 10,000 hommes et bientôt sans recrutement, ni dans ses institutions dégénérées, ni dans ses mœurs si différentes de celles des premiers confédérés d'Utrecht, ni surtout dans aucune des circonstances intérieures et extérieures de cet État, et qui lui ont valu, dans le passé, une épisode brillante, mais passagère, de prospérité. C'est l'intérêt qui forme les sociétés politiques, et c'est lui qui les dissout; et c'est parce que les Hollandais ne trouvent plus dans leur parti social la sûreté, la protection et les grands avantages qu'il leur garantissait autrefois qu'ils sont amenés à en désirer la dissolution et à souhaiter d'entrer dans cette grande famille qui présente aujourd'hui, par-dessus toutes les autres, cet attrait et cette garantie à ses voisins. Beaucoup de négociants sont venus me parler dans cet esprit. J'ai applaudi à leur zèle et au sentiment juste qu'ils me montraient de l'état réel de leur patrie. Je leur ai répondu que j'ignorais l'accueil qu'un pareil vœu recevrait de mon souverain, mais que j'étais assuré que, quelque décision qui lui fût à cet égard inspirée par l'intérêt de son empire, Sa Majesté impériale n'apprendrait jamais sans satisfaction le nom des étrangers qui plaçaient leurs espérances dans sa protection. J'attendrai pour répondre plus positivement les instructions de Votre Excellence, et sur toutes choses j'aurai l'honneur de me concerter avec M. le maréchal duc de Reggio.

«Je viens de dire, Monseigneur, que l'intérêt bien entendu était le principe qui déterminait le sentiment d'une nation sur son institution, et j'ai expliqué par là comment c'est aujourd'hui le commerce qui exprime le premier ce vœu de réunion. Je n'ai pas pour cela prétendu dire qu'il n'y eût pas de nobles exceptions à cette loi de l'intérêt, et je n'en avais pas besoin, puisque les exceptions n'ont jamais détruit un principe. Oui, sans doute, il est partout des âmes privilégiées parmi les hommes qui, indépendamment de tout calcul, tiennent à leur patrie par un aveugle, mais noble instinct, et la Hollande, malgré son esprit mercantile, renferme encore de nobles citoyens. Mon avis est qu'il faut les admirer et les acquérir, mais qu'ils ne changent rien aux calculs généraux que l'on doit faire sur une nation.

«Le nivellement des lignes et l'évacuation du matériel de l'artillerie sur Anvers ne rencontrent aucune difficulté. Le ministre de la guerre a d'abord fait quelques représentations, mais le maréchal n'a pas tardé à lui faire expédier les ordres nécessaires à cette opération. Tout le monde voit avec plaisir la destruction de ces lignes, source de tant de chagrins et de fautes. Elles furent commencées en 1787, à l'occasion des Prussiens qu'elles n'arrêtèrent pas, et il a fallu la démence de don Quichotte Krayenhoff pour imaginer qu'elles dussent arrêter les aigles impériales. Amsterdam ne demande qu'à rester la première banque de l'Europe et à se livrer tout entière, à l'ombre d'une grande puissance, à son industrie et à son commerce.

«Les ministres s'abstiennent de tout acte de régence, et le maréchal les tient en respect.

«P.-S.—Le ministère de la police se prétend instruit que le Roi a passé à Hanovre le 6. Depuis là, la trace de Sa Majesté est incertaine. Quelques-uns prétendent qu'il se rend par Lumbourg à Altona où les embarquements pour l'Amérique sont faciles. Peut-être en saurai-je plus demain.»

Serrurier à Cadore.

13 juillet 1810.

«J'ai reçu hier à midi le courrier que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'expédier de Rambouillet le 9 de ce mois. J'ai fait part aussitôt à M. le maréchal duc de Reggio des grandes dispositions que votre dépêche renferme.

«De concert nous avons vu les principaux fonctionnaires et nous sommes satisfaits de la disposition d'esprit dans laquelle le décret de réunion a été reçu. Déjà comme Votre Excellence le verra par mon numéro d'hier, le vœu commençait à s'exprimer hautement pour la réunion, et la nouvelle en a été fort bien accueillie. La réunion est aujourd'hui considérée par les esprits froids comme le port de salut de la Hollande, et si l'on a un regret, c'est qu'elle n'ait pas eu lieu quelques années plus tôt, mais alors les événements n'étaient pas encore mûrs.

«Je me suis présenté hier soir chez M. Van-der-Heim; j'y retournerai ce matin pour concerter tout ce qui a rapport à l'arrivée de monseigneur l'architrésorier. Le maréchal a donné des ordres pour la réception de Son Altesse, et nous irons dans sa voiture à une demi-lieue au-devant d'Elle.

«Le bourgmestre continue de se conduire fort bien. Il a mieux reçu que je ne m'y attendais la nouvelle de la réunion. Je savais qu'il craignait d'en être considéré par ses compatriotes comme l'instrument. Le maréchal a été également fort content de lui à cette occasion. M. Van-der-Poll fait toutes ses dispositions pour bien recevoir le prince. Son exemple a de l'autorité dans Amsterdam et entraînera toute la magistrature. Je croirais d'un bon effet que Sa Majesté impériale et royale jugeât devoir faire quelque chose pour ce magistrat.

«Le commerce est satisfait. L'article 2, qui déclare Amsterdam la troisième ville de l'empire, flatte l'orgueil national et adoucit le chagrin de cesser de former une nation. La mesure de 50 % sur les denrées coloniales en les laissant aux propriétaires a beaucoup tranquillisé le commerce et contente tout le monde. Elle donnera beaucoup au fisc et personne ne s'en plaindra.

«L'article de la rédaction blesse cruellement les propriétaires de rentes, mais cette mesure était devenue inévitable. On en gémit plus qu'on ne s'en plaint, et la certitude de payements réguliers aidera à adoucir cette plaie. Il faut s'attendre qu'elle produira un vide sensible dans les contributions à venir, mais l'intention de l'Empereur étant de les réduire, cet inconvénient sera moins sensible.

«Les Hollandais sont également très frappés de la magnifique représentation que Sa Majesté impériale leur accorde dans les trois grands corps de l'État; ils ne s'attendaient pas à plus de moitié. Cette disposition fait plus de bien encore qu'on n'en avoue. Elle ouvre la porte à bien des ambitions et à bien des espérances qui n'osent pas encore éclater parmi les regrets de la patrie, mais qui germent déjà profondément.

«En général, tout le monde s'accorde à admirer les sages dispositions de ce décret de la réunion si promptement conçu et arrêté.

«Votre Excellence peut compter sur mon empressement à aider Son Altesse l'architrésorier de l'empire de ce que je puis avoir acquis de connaissance du pays et des personnes.

«Je rendrai un compte journalier à Votre Excellence, comme elle le demande. Je suis fort aise d'apprendre qu'une estafette va être établie de Paris à Amsterdam. Elle portera à Votre Excellence un bulletin de tous les jours. Jusque-là, il n'a pas dépendu de moi que mes dépêches parvinssent rapidement à Votre Excellence, je ne pouvais que les envoyer au quartier général et les recommander fortement.

«Le cœur de l'amiral de Winter saigne. Ce brave homme regrette que les fautes de son gouvernement aient amené la réunion de son pays, et il croyait encore à la possibilité de lui conserver une administration séparée et de la rattacher inséparablement à la France. Du reste, c'est un intrépide soldat, un Français de système déjà depuis quinze ans, admirateur enthousiaste de l'Empereur, et qui sera consolé quand il verra son pays heureux sous les lois d'un si grand prince. C'est un de ces hommes dont je parlais hier à Votre Excellence. Le maréchal le juge comme moi.

«Je ne réexpédierai mon courrier que ce soir à Votre Excellence. Je désire pouvoir lui faire connaître les dispositions que le ministère m'aura montrées, mais je ne doute pas que tant de clémence ne les touche profondément.

«J'interromps ma dépêche.

«M. Van-der-Heim sort de chez moi. Il était fort ému; il m'a dit qu'il n'attendait que sévérité de la part de Sa Majesté impériale, et que le ministère n'en éprouvait, au contraire, dans ces circonstances si pénibles pour tous, que des marques de grandeur et de générosité. Il n'avait pas d'expression pour me rendre combien il était frappé et touché de la grandeur d'un pareil traitement. Tous ses collègues partageaient ses sentiments et sa reconnaissance. Ils feront tout, m'a dit M. Van-der-Heim, pour justifier l'estime que Sa Majesté impériale daigne leur montrer. Tout le monde interroge M. Janssens et sort charmé de ses réponses.

«Le palais est préparé pour recevoir le prince architrésorier, et M. Van-der-Heim m'a dit que le conseil avait décidé de faire rendre à Son Altesse seigneuriale les plus grands honneurs qui soient à accorder.

«Un courrier du prince, descendu chez le maréchal, lui annonce sa prochaine arrivée. Je dîne chez M. le duc, et, aussitôt que nous serons avertis de l'approche de Son Altesse seigneuriale, nous monterons en voiture pour aller au-devant d'elle.

«M. Van-der-Heim m'a dit qu'il avait eu ici des nouvelles de Hanovre du Roi; que sa santé était à cette époque bonne; qu'on le supposait dans le voisinage; que le Roi témoignait le désir d'apprendre si les Français avaient été bien reçus et si ses ordres à cet égard avaient été remplis; qu'il ne croyait pas, lui ministre, à un embarquement, et que Sa Majesté avait, lors de l'abdication, montré à la vérité le désir d'être en Amérique, mais une juste répugnance à courir la chance d'être amené en Angleterre. M. Van-der-Heim ajouta avec sensibilité que le dernier vœu, mais bien ardent de ses anciens sujets, était que Sa Majesté impériale pût lui pardonner et le rapprocher d'elle. Il persista dans l'opinion que le Roi n'était point embarqué; mais je ne pus en obtenir l'aveu qu'il connût le lieu de sa retraite.

«Je verrai ce soir et demain beaucoup de fonctionnaires, de militaires et de négociants, et je remplirai les intentions de Sa Majesté impériale et royale. La garde est enchantée.

«P.-S.—On a répandu ici le bruit que Sa Majesté l'Empereur, indigné des faux rapports qui lui avaient été faits par M. de Larochefoucauld sur la Hollande, l'avait fait arrêter et conduire au Temple. Je ne rends compte à Votre Excellence de ce bruit ridicule que parce qu'il a occupé hier et avant-hier tout Amsterdam.»

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