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Les Rois Frères de Napoléon Ier: Documents inédits relatifs au premier Empire

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Jérôme à Napoléon.

Cassel, 3 février 1809.

Sire, j'envoie auprès de Votre Majesté le général Morio, mon premier aide de camp; il a été un de mes ministres, il était présent à tous mes conseils d'administration, et connaît très bien la situation de mon royaume. Votre Majesté pourra avoir de lui tous les renseignements qu'elle désirera prendre sur l'état du trésor, comme sur les autres parties d'administration.

Je ne puis prendre de biais avec Votre Majesté ni la tromper en aucune manière dans une circonstance aussi majeure, mais il est certain que le royaume de Westphalie ne peut résister plus de 6 mois au mauvais état des finances.

Quant à moi, Sire, je me trouverai toujours bien partout où je serai placé par Votre Majesté, si je conserve toute son amitié.

L'empereur était peu porté à aimer et à estimer les officiers qui quittaient son service pour celui de ses frères; il répondit à Jérôme, le 11 février 1809:

Je suis étonné que vous m'envoyiez le général Morio, qui est une espèce de fou. Vous trouverez bon que je ne le voie pas. Quant à la situation de votre trésor et de votre administration, cela ne me regarde pas. Je sais que l'un et l'autre vont fort mal. C'est une suite des mesures que vous avez prises et du luxe qui règne chez vous. Tous vos actes portent l'empreinte de la légèreté. Pourquoi donner des baronnies à des hommes qui n'ont rien fait? Pourquoi étaler un luxe si peu en harmonie avec le pays et qui serait seul une calamité pour la Westphalie par le discrédit qu'il jette dans l'administration? Tenez vos engagements avec moi, et songez qu'on n'en a jamais pris qu'on ne les ait remplis. Ne doutez jamais du reste de tout l'intérêt que je vous porte.

Reinhard à Champagny.

Cassel, 18 février 1809.

Dans une dépêche précédente[110] j'ai rendu compte des recettes et des dépenses présumées de la liste civile. Quant aux finances de l'État, on m'assure que le déficit de l'année passée est de douze millions et qu'une crise est inévitable, peut-être dans six mois. Il est certain que les Juifs ont prêté de l'argent. On parle de trois millions. Pour remplir le déficit, on s'occupe surtout à pousser l'exploitation du sel aussi loin qu'elle peut aller. On compte sur un grand débit en Hollande. Avant la dernière levée, le Roi entretenait huit mille hommes de troupes. On parle d'une forte réduction dans sa garde. Si la guerre a lieu, on ne doute pas que le désir du Roi d'être appelé à l'armée ne soit rempli. L'on s'en promet des moyens de faire de grandes économies pendant son absence.

Sa Majesté Impériale a voulu que je lui rendisse compte de la conduite des ministres. Le premier en ligne est M. Siméon: il réunit à l'amour du travail et à la probité des connaissances, des talents et de l'amabilité. Il est peut-être le seul qui avant de fléchir devant la volonté suprême ose se permettre quelquefois des représentations, qui ne sont pas toujours bien accueillies. En public, il a constamment été traité avec une grande distinction, et l'on croit que la faveur lui est revenue. Son département marche. Le général Eblé[111] est infatigable au travail. Il se trouve, dit-il, au milieu d'un chaos à débrouiller, de fripons à déjouer; entravé par une triple administration, celle de l'armée, de la garde et des troupes françaises, il ne sort presque point, mais tout son extérieur montre une santé fortement dérangée; s'il continue ainsi, le travail le tuera dans un an.

Le comte de Furtenstein a grandi depuis que je l'ai vu à Dresde. Il est de tous les ministres le plus constamment près de la personne du Roi. Son ministère lui laisse encore quelques loisirs pour les plaisirs. Il a les formes aimables et il se met peu à peu au niveau de sa position. On s'aperçoit de temps en temps, même dans des occurrences de routine, que le chef et les employés ont besoin d'expérience. On rend justice à la droiture de son caractère. Les soins à prendre pour sa famille font partie de ses occupations. Ce qui le justifie, c'est que les sœurs sont aimables, les beaux-frères des hommes de mérite.

M. Bulow était employé dans l'administration prussienne à Magdebourg. Sa probité est intacte, mais on le dit peu capable de sortir de la route ordinaire. Il serait peut-être à sa place si les affaires étaient à la leur. Mais il les y fera venir difficilement. On l'accuse de ne point aimer les Français; est-ce par aversion ou seulement parce qu'il est ministre des finances?

M. de Volfradt[112] est un homme de bien et de mérite, un peu doucereux et probablement sans énergie comme son ancien maître. L'organisation de son ministère l'occupe tout entier. Il est encore à l'épreuve et c'est ce que le Roi lui-même, dit-on, lui a déclaré.

Parmi les prétendants à la place de ministre, on nomme toujours M. Pothau[113] pour l'intérieur, M. Bercagny pour les finances ou la justice. On prétend que M. de Truchsess visait à celui des relations extérieures.

Parmi les membres du corps diplomatique, le ministre de Bavière a une réputation de malignité et d'orgueil; celui de Hollande, de petites finaceries et d'économie batave; celui de Saxe, bon, souple, né courtisan, tremble d'avoir des affaires; celui de Wurtemberg, poli et réservé, laisse dans le doute si sa nullité est de nature ou de calcul; celui de Darmstadt, avec de la mesure, a une tournure de franchise et de loyauté militaire; le chargé d'affaires de Prusse, avec ses profondes révérences et son très modeste extérieur, est vrai représentant d'un roi de Prusse: d'ailleurs il est instruit, honnête homme, on se loue ici de sa conduite.

M. Bercagny, sans avoir le titre de ministre d'état, l'est peut-être plus que les autres: les talents, les connaissances administratives, la finesse, l'activité ne lui manquent point; on craint seulement que cette dernière qualité ne l'entraîne à faire naître des affaires pour rendre sa place plus importante. On attribue au Roi un penchant naturel pour faire, sous tous les rapports, l'essai et l'usage de son pouvoir; et le mérite de M. Bercagny sera d'autant plus grand, s'il reste fidèle à l'institution de la police qui est de prévenir les occasions de punir. Tous les Westphaliens ne sont pas contents, tous ne sont pas fidèles, mais ils ne conspirent point. Ce sont plutôt des indices que des faits qui donnent lieu à ces remarques; mais on craint dans une matière aussi grave des événements possibles qui pourraient changer la marche sage et mesurée du gouvernement, ou le développement d'un système qui pourrait le dénaturer.

On parle ici d'un parti allemand et d'un parti français; parmi les Allemands il existe un parti de l'ex-électeur et un parti du roi; mais si dans le parti du roi on distingue un parti allemand et un parti français, on commet une erreur qui pourrait conduire à des conséquences fâcheuses. Le vrai parti français sera celui qui, comptant sur l'inébranlable solidité du nouvel ordre de choses, se reposera sur le temps pour acquérir de la fortune et des distinctions et ne voudra pas recueillir dans une première année ce qui doit être le fruit d'une longue carrière de travail et de fidélité.

Champagny à Reinhard.

Paris, le 23 février 1809.

Monsieur, S. M. l'Empereur et Roi a eu sous les yeux vos dépêches des 3, 5 et 9 février, nos 13, 14 et 15, et les deux bulletins y joints, et m'a donné un ordre qu'il m'est agréable de remplir, celui de vous témoigner sa satisfaction pour ces dépêches et de vous mander qu'il les a lues avec intérêt.

Bien que les dépenses du roi n'aient pas été aussi grandes que vous l'avez dû croire, ignorant que le Roi ne touchait point son traitement de prince français, comme elles ont de beaucoup dépassé sa liste civile, l'Empereur lui a écrit pour lui en témoigner son mécontentement; mais le Roi s'en excuse en niant la vérité du reproche. Sa Majesté sent combien il est nécessaire d'inspirer à ce prince un esprit d'économie et elle vous charge de profiter des occasions que le Roi, s'entretenant avec vous, vous fournira pour le faire, avec l'à-propos et la mesure qui vous sont propres.

Du reste, S. M. croit utile que vous sachiez que ce que le Roi vous a dit d'une question que l'Empereur lui aurait faite à votre sujet et de sa réponse n'est qu'une forme plus aimable donnée par ce prince à un compliment auquel vous ne sauriez mieux répondre qu'en redoublant d'attention et de vigilance.

Quant aux doutes que ma lettre du 25 janvier vous avait laissés, Sa Majesté me charge de vous faire connaître que les Français employés dans le palais au service du Roi et naturalisés Westphaliens, tels que M. le comte de Fürstenstein et autres qui peuvent être dans le même cas, n'étant plus Français sont libres d'accepter les décorations qui leur sont données. Tous les autres n'en peuvent accepter sans l'autorisation de Sa Majesté I. et R.

Sa Majesté vous recommande de voir souvent M. Siméon et le général Eblé pour connaître leur opinion et leur position et la lui faire connaître.

Des symptômes assez sérieux commençaient à faire prévoir une prise d'armes de l'Autriche et il était à craindre que des troubles ne vinssent à éclater en Westphalie. Jérôme, prévenu par divers rapports et par quelques correspondances, en écrivit à l'empereur. On trouvera aussi plus loin, à la date du 24 février, une lettre de Reinhard à ce sujet, adressée à M. de Champagny.

Jérôme à Napoléon.

Cassel, 23 février 1809.

Sire, j'envoie à Votre Majesté, par courrier extraordinaire, deux dépêches chiffrées que j'ai reçues hier, non pas d'un agent secondaire, mais d'un homme jouissant d'une grande fortune en ce pays qui m'est entièrement dévoué et qui a des relations intimes avec les personnes les plus distinguées de Vienne.

Bien que je pense que Votre Majesté soit déjà instruite d'une partie des détails contenus dans ces dépêches, j'ai cru ne pas devoir les lui laisser ignorer et j'y joins un état des forces de l'Autriche.

Les régiments westphaliens, dont j'ai annoncé le départ à Votre Majesté, sont arrivés à Mayence. Il y a eu quelques déserteurs parce qu'on leur a fait croire sur la route qu'ils allaient être désarmés à Mayence et envoyés dans les Îles. Je vais les remplacer sur le champ et porter cette division à 8000 hommes[114].

J'ai donné le commandement de cette division au général Morio que je veux mettre à même de prouver à Votre Majesté ses véritables sentiments.

Sous ses ordres seront les généraux de brigade Weber et Boerner et le chef d'état-major Hersberg.

Je viens d'ajouter une seconde compagnie d'artillerie.

Jérôme à Napoléon.

Cassel, 19 mars 1809.

Sire, quoique bien persuadé que Votre Majesté soit instruite de tous les projets de l'ennemi, je ne crois pas devoir me taire sur le rapport qui vient de m'être fait par des officiers de ma maison, ayant, pour leurs affaires personnelles, des relations étroites en Hanovre.

D'après ce rapport «il paraît que les Anglais ont formé le projet de débarquer 30 à 40 mille hommes sur les côtes de Hanovre pour attaquer ce pays et pénétrer en Hollande.»

J'annonce avec satisfaction à Votre Majesté que la levée de la conscription se fait avec le plus grand zèle dans la majeure partie de la Westphalie et principalement dans les départements de l'Elbe et de l'Ocker dont l'esprit est excellent.

Quant au pays de l'ancienne Hesse, il est décidément mauvais et je désirerais bien que Votre Majesté m'autorisât à répartir dans cette partie de mon royaume un des régiments français qui sont à Magdebourg, afin de dissiper les esprits remuants et de contenir les malveillants.

Si Votre Majesté consent à cette demande, j'enverrai en remplacement à Magdebourg un régiment westphalien de même force.

Je prie Votre Majesté de me répondre sur cet objet.

Reinhard à Champagny.

Cassel, le 24 février 1809.

M. le comte de Furstenstein m'a fait part des nouvelles qu'il a reçues de Vienne et qui ont déterminé le Roi à envoyer hier un courrier à Sa Majesté l'Empereur. Il m'a parlé aussi d'une lettre de M. Hesstinger à Darmstadt, qui, ayant à écrire à M. Pothau, l'informe en confidence du mécontentement général qui, d'après les renseignements parvenus à M. Hesstinger et qu'il dit avoir fait connaître à Votre Excellence, régnerait en Westphalie et qui selon lui pourrait amener une explosion générale. M. de Furstenstein m'a dit qu'il n'attachait pas une grande importance à cet avertissement; que la police était parfaitement faite en Westphalie; que le peuple était bon; que les nobles étaient fidèles; que le Roi était aimé et qu'il était d'ailleurs exactement informé de tout ce qui se passait dans son royaume. Quoique je partage à plusieurs égards cette opinion de M. de Furstenstein, je me réserve cependant, Monseigneur, de revenir sur cet objet sous le double rapport des faits et des réflexions qui s'y rapportent.

On voit que M. Reinhard, moins optimiste que M. de Furstenstein, était aussi plus clairvoyant. On touchait aux aventures de Schill, du duc de Brunswick et à la guerre avec l'Autriche.

Reinhard à Champagny.

Cassel, ce 28 février 1809.

J'ai annoncé à Votre Excellence que j'aurais quelques détails à ajouter au compte que j'ai rendu dans ma lettre no 17 de l'audience particulière que j'ai eue de Sa Majesté westphalienne. M. le comte de Furstenstein était venu me dire que je n'aurais qu'à m'adresser au chambellan de service et que le Roi me recevrait immédiatement. Je suppose, ajouta-t-il, que vous avez quelque chose de particulier à dire à Sa Majesté. «Non, dis-je, il ne s'agit que de communiquer les vues de l'Empereur concernant l'organisation du contingent westphalien: je suis un ignorant qui ira prendre une leçon chez un maître consommé dans l'art militaire.» Sur cela M. de Furstenstein m'apprit que le Roi avait mal dormi.—C'est qu'on veille un peu tard (il y avait eu deux nuits de bal pour l'anniversaire de la Reine).—Oui, dit M. de Furstenstein, le Roi travaille souvent fort avant dans la nuit.

Lorsque j'arrivai, M. le comte de Furstenstein était avec le Roi. Je fus introduit dès qu'il fut sorti. Ce n'est, dit le Roi, qu'une circulaire, qu'une note diplomatique. Quand je l'eus informé que le même courrier m'avait apporté l'ordre de proposer aux princes de Waldeck et de la Lippe quelques changements relatifs à l'organisation de leur contingent, le Roi me cita l'exemple de quelques soldats westphaliens enrôlés dans le pays de Schauenbourg. «J'ai fait dire au prince, ajouta-t-il, que s'il ne les rendait pas, j'enverrais des gendarmes pour les faire chercher et que je pourrais bien le faire venir lui-même. (Le prince vint en effet à Cassel pour s'excuser.) Ces petits princes m'ont proposé de m'envoyer des ministres, je n'en ai pas voulu.»

Par une transition un peu brusque le Roi me parla ensuite des comptes de M. Jollivet, où se trouve porté jusqu'à l'herbe qui croît sur la place Frédéric et sous les croisées du château sur les bords de la Fulde.

Il paraît que cet article et plusieurs autres que Sa Majesté me cita avec une irascibilité qui m'a paru légitime, s'étaient trouvés compris dans la moitié des domaines réservée à Sa Majesté l'Empereur et qu'ils avaient été évalués à une certaine somme dont M. Jollivet, par une raison de devoir aussi très légitime, demandait le remboursement. «J'aurais pu envoyer ces beaux comptes à l'Empereur; mais je n'ai pas voulu faire tort à M. Jollivet dans l'esprit de mon frère: Cependant, je sais que M. Jollivet est mon espion. À quoi bon écrire à Paris que j'ai donné un diamant, que j'ai couché avec une belle? Un ministre ne doit point s'occuper de ces bagatelles; il doit mander que le Roi se porte bien, que la Westphalie marche dans le système de la France, et voilà tout. Que résulte-t-il de cet espionnage? Cela peut donner un instant d'humeur; des frères peuvent se brouiller un instant et peut-être cela m'est-il déjà arrivé; mais ils se réconcilient. J'aime et je respecte l'Empereur comme mon père; l'Empereur dans un moment de vivacité peut me faire quelques reproches, mais ensuite on s'explique et l'on sait mauvais gré à celui qui a été la cause de la brouillerie.—Votre Majesté, dis-je, a daigné me dire qu'elle était contente de moi; j'ose me flatter qu'elle l'est encore et je la supplie surtout de croire que ma conduite tendra constamment à entretenir les sentiments d'amour qui lient les deux augustes frères.—Oui, dit le Roi, et puis revenant aux comptes de M. Jollivet, et puis l'apostrophant et évitant avec une adresse admirable de me donner le droit de m'expliquer ce vous qui semblait cependant me regarder aussi: si vous mandez jusqu'à ce qui se passe dans ma cuisine, je vous traiterai comme le ministre de Bavière, comme le ministre de Wurtemberg, et non comme ministre de famille; je ne vous admettrai chez moi que dans les occasions de cérémonie (le Roi, me demandai-je, aurait-il lu mon dernier bulletin? Il était parti par cette voie peu sûre d'Hanovre); d'ailleurs M. Jollivet n'a jamais été accrédité près de moi; je pourrais le regarder comme étranger; je pourrais même, s'il voulait me tracasser, le prier de partir; cependant c'est un honnête homme, c'est un brave homme, mais il se noie dans les détails. Si vous étiez chez le roi de Bavière, chez le roi de Wurtemberg (toujours M. Jollivet ou moi?) alors, à la bonne heure, il faudrait tout observer, tout écrire; mais tout ce que mon frère voudra savoir je le lui écrirai moi-même, et pour être bien avec l'Empereur il faudra être bien avec moi.» Je saisis ces dernières paroles: «Sire, Votre Majesté me fait la leçon; elle prêche un converti, et je la prie d'être convaincue que ce que je désire ardemment, c'est d'obtenir et de mériter sa confiance.» Cette conversation, Monseigneur, qui dura près d'une demi-heure et dans laquelle je me sais gré de m'être restreint à ce peu de mots que l'abondance et peut-être une intention préméditée du Roi me permirent de placer, m'a paru devoir être rapportée parce qu'elle peint et le caractère du Roi et ma situation. J'ai eu pendant un instant le projet de dire à M. de Furtenstein qu'il n'avait qu'à consulter Wicquefort ou Burlamaqui, pour se convaincre que l'idée que le Roi se faisait des devoirs d'un ministre était un peu trop étroite, mais j'ai réfléchi que la sagacité de Sa Majesté s'était prémunie contre toute objection. C'est parce qu'il est frère de l'Empereur que le Roi trouve qu'il est inutile qu'on écrive ce que sa confiance le porterait au besoin à écrire lui-même. C'est parce qu'il est frère de l'Empereur que Sa Majesté impériale veut être informée de tout; et dans cette différence d'opinion mon devoir est tracé, il consiste à obéir à mon souverain.

Cependant, depuis cette audience, j'ai pris occasion de demander à plusieurs personnes qui m'ont parlé de l'état des finances, et même à M. Bercagny, si personne n'avait proposé au Roi de mettre la véritable situation de ses affaires sous les yeux de Sa Majesté impériale? Qu'il me semblait que c'était là le seul moyen de sortir d'embarras et d'éviter de grands inconvénients; enfin qu'instruire l'Empereur était rendre le plus grand service au Roi. M. Bercagny m'a répondu qu'il croyait qu'un enchaînement malheureux de circonstances avait empêché que cela ne se fût jamais fait d'une manière détaillée et lumineuse; que M. Beugnot, l'homme le plus propre à faire un pareil exposé, s'en étant chargé et étant tombé malade, avait trouvé Sa Majesté impériale partie pour Bayonne; que depuis le Roi n'avait envoyé à Paris que des aides-de-camp et qu'en général il était difficile de trouver ici un homme capable de répondre, sous ce rapport, à l'attente de l'Empereur.

Le lendemain de mon audience, M. de Bulow, ministre des finances, me dit: Votre visite d'hier va nous coûter encore quelques millions.—Je répondis qu'il n'y avait dans les intentions de Sa Majesté impériale rien qui dût amener ce résultat.—Mais le Roi l'a dit.—Au contraire, dans ce que le Roi a dit vous pourriez y trouver une épargne; car si le contingent doit toujours être de 25,000 hommes et qu'il soit question de former deux divisions westphaliennes; le Roi se proposant de demander, dans la même proportion, une diminution des troupes françaises à votre solde, y gagnerait tout ce que, selon lui, un pareil nombre de troupes westphaliennes coûte de moins.

C'est depuis quelques jours, Monseigneur, que les doléances sur l'état des finances westphaliennes me parviennent de toutes parts. Tous les ministres et un grand nombre de conseillers d'État m'en ont parlé, à l'exception de M. de Furstenstein qui s'en tient à la politique et qui, du reste, voit tout en couleur de rose. C'est que peu à peu les états de recette et de dépense de l'année passée se complètent, que le bilan se fait et que l'abîme est devant les yeux. Il peut s'être glissé dans les renseignements que j'ai déjà transmis à Votre Excellence, des inexactitudes de détail; mais les résultats sont certains. Pour l'année courante, le ministre des finances espère 38 millions; il en promet 36. Sur cette somme, il faudra pour les troupes westphaliennes 13 à 14 millions que le ministre de la guerre espère de réduire à onze ou à douze; pour les troupes françaises huit millions. Or les autres dépenses sont évaluées par le budget:

Dette publique, intérêts, 3,700,000 fr. 4,500,000 fr.
Amortisation, 800,000  
Liste civile, 5,000,000  
Conseil d'État, 322,000  
Ministère de la justice et de l'intérieur, 5,000,000  
des finances, du commerce et du trésor, 8,463,000  
du secrétaire d'État et des rel. ext., 1,090,000  
de la guerre, 20,000,000  
  —————  
  Total, 44,375,000 fr.

On porte à un million la dette flottante de la liste civile. Si celle-ci doit encore puiser dans le trésor public, voilà le tonneau des Danaïdes; et comment dès cette seconde année les économies du Roi peuvent-elles faire rentrer la dépense dans les limites qui ont été si fortement excédées?

Les sujets de la Westphalie payent 19 à 20 francs par tête. De tout temps cette proportion était en Allemagne; en temps de guerre, sans commerce et sans la possibilité d'établir un système productif et bien combiné d'impositions indirectes, elle pourra difficilement se maintenir, au moins il sera impossible de la dépasser. Et que pourra-t-on attendre de la ressource des emprunts?

Dans ma dépêche no 16 j'ai informé Votre Excellence qu'on comptait beaucoup sur le débit des sels westphaliens en Hollande. Depuis quelques jours MM. Vanhal et Grellet, négociants d'Amsterdam, sont arrivés ici. Il s'agit, autant que je puis en juger dans ce moment, d'une espèce de traité de commerce, en vertu duquel ces maisons feraient des avances en argent qui leur seraient remboursées par des sels, des cuivres, des fers et d'autres minéraux qu'ils auraient la faculté d'extraire de la Westphalie. L'avance dont on parle est de 6 millions. Le ministre de Hollande a présenté ces négociants à M. le comte de Furstenstein; hier ils ont eu avec le ministre des finances une conférence où leurs propositions ont été acceptées; aujourd'hui le tout sera soumis à l'approbation de Sa Majesté. Ils se sont présentés chez moi pour me demander des lettres de recommandation pour les agents français à Brême par où l'exportation doit se faire en suivant le Weser. Je leur ai promis ces lettres; mais je les ai prévenus que mon devoir serait de rendre compte de cette transaction à mon gouvernement. Ils m'ont dit que M. de Furstenstein se proposait de m'en parler.

M. le baron de Linden, ministre plénipotentiaire de Westphalie près le prince-primat, vient d'être nommé ministre plénipotentiaire à Berlin. M. Siméon fils, qui depuis trois mois y était arrivé comme chargé d'affaires, a été nommé ministre plénipotentiaire à Darmstadt et chargé d'affaires à Francfort. Le Roi a fait cette distinction parce qu'il est survenu que le prince-primat n'avait point encore accrédité de ministre auprès de la cour de Westphalie. M. de Norvins, secrétaire général du ministère de la guerre, a été nommé chargé d'affaires près la cour de Bade. On dit que M. d'Esterno par ordre du Roi a dû retourner à Vienne. Lorsque M. de Furstenstein me parla du retard de l'arrivée du comte de Grüne, je lui demandai si ce retard avait influé sur la permission donnée à M. d'Esterno de s'absenter de son poste? Il me répondit que non. M. de Linden, de son côté, est sur le point de quitter Vienne. Ses dernières lettres annoncent que les troupes autrichiennes se mettent en mouvement, que la guerre est résolue à Vienne, que l'archiduc Charles commandera en Allemagne une armée qu'on dit être de 120,000 hommes et qui pourra être de 130,000; que l'archiduc Jean commandera 100,000 hommes du côté de l'Italie; l'archiduc Ferdinand l'armée de Bohême.—C'est ainsi que la destinée poursuit sa marche et que les décrets de la providence s'exécutent, lorsque l'heure de la chute des empires a sonné!

La guerre avec l'Autriche devenant de jour en jour plus probable, l'empereur voulut avoir des notions certaines sur le contingent westphalien, et fit envoyer l'ordre au baron Reinhard de lui faire connaître exactement l'état des troupes de Jérôme. Vers le commencement de mars, le ministre adressa, sur ce sujet, à M. de Champagny, une très longue lettre que nous allons analyser.

M. Reinhard s'étant adressé, pour avoir des renseignements exacts, à M. de Norvins, alors secrétaire-général au département de la guerre, et le général Eblé, ministre, ayant refusé de communiquer les états de situation, M. de Norvins avait tiré de sa mémoire les chiffres et les notions d'où il résultait: que l'armée westphalienne était forte de 12 à 13 mille hommes dont 500 officiers, présents sous les drapeaux, que sur ce nombre 7000 étaient en marche et en Espagne, et 2500 à Cassel; que le matériel d'artillerie, fort pauvre, consistait en dix-huit bouches à feu données par l'empereur; que le général Morio venait d'acheter vingt-deux caissons et leurs attelages, que les généraux étaient pour la plupart vieux, usés, incapables, etc. La lettre de Reinhard se terminait ainsi:

Le général Eblé, Monseigneur, est venu m'entretenir de ses chagrins et de ses sollicitudes. Il craint, malgré toute la persévérance de son travail, de n'être pas en état de mettre de l'ordre dans l'administration et dans l'organisation de l'armée westphalienne et de remplir l'attente de S. M. I. Le Roi, dit-il, n'est pas toujours disposé à s'occuper des détails. Beaucoup d'heures se perdent à attendre dans l'antichambre. On est distrait et l'on ne donne pas assez d'attention à ce qui n'amuse pas assez. Souvent même une chose a été convenue et le lendemain c'est à recommencer, parce que M. le comte de Bernterode (Du Coudras) peut-être s'y est opposé. Au conseil d'État (et ceci ce n'est pas le général Eblé qui me l'a dit) le ministre de la guerre, qui n'est pas orateur, fait sa proposition. Un orateur, par exemple le général Morio, parle contre avec éloquence. Le général Eblé hausse les épaules et se tait. Souvent l'éloquence l'emporte. Souvent aussi le roi dit: Morio, vous n'y êtes pas!—Mais voici ce que le général Eblé m'a raconté, et ce qui lui a fait de la peine.

Au dernier conseil, le comte de Hardenberg, grand-veneur, dit, au sujet d'une certaine affaire: Je m'arrangerai là-dessus avec le ministre de la guerre—Ce n'est pas cela, dit le roi en plein conseil, vous êtes grand-officier et c'est au ministre de la guerre à s'arranger avec vous. Il semble que si cette maxime est bonne, il faudrait au moins pour la proclamer attendre que le temps et l'usage l'eussent consacrée?

M. d'Albignac, grand-écuyer, en déplorant comme le général Eblé les désordres des finances, l'impossibilité de continuer les dépenses de la cour sur le pied où elles sont, est réduit à la nécessité de se renfermer dans un respectueux silence après s'être fait dire souvent: «Ce ne sont point là vos fonctions.» Il m'a exprimé le désir ardent de voir le Roi appelé à l'armée. Il ne voit que ce seul moyen d'espérance et presque de salut. Au retour d'Erfurt, m'a-t-il dit, le Roi était un tout autre homme. Ses conversations avec l'Empereur l'avaient changé, mais huit jours après, les femmes, la Reine, les intrigants l'avaient de nouveau circonvenu.—Et comment fait, lui demandai-je, le trésorier-général M. Du Chambon qui paraît être un très honnête homme?—Il se désole et puis il s'étourdit, dit-il.

Il est de mon devoir, Monseigneur, non d'accuser M. de Bulow, ministre des finances, mais de dire que beaucoup de personnes l'accusent. Aux yeux de M. Jollivet, c'est un ennemi des Français, qui n'est jamais de bonne foi. Aux yeux de M. d'Albignac, c'est un Prussien qui nous trahit et qui dans cette vue augmente le désordre et favorise les dépenses. Aux yeux du Roi lui-même, m'a-t-on dit, c'est un homme qui ment avec un sang-froid imperturbable.

Le général Eblé aussi m'a dit que sa conduite commençait à lui inspirer des doutes; qu'ils étaient convenus de faire en commun au Roi des représentations sur l'état des finances et sur l'impossibilité de faire ou de continuer certaines dépenses; mais qu'au moment décisif M. de Bulow avait fléchi et qu'il avait fini par dire qu'il y avait moyen de trouver de l'argent. M. de Bulow est celui des ministres que je connais le moins, et qui, quoique je ne laisse pas de causer souvent avec lui, se tient assez en réserve avec moi.

Reinhard à Champagny.

Cassel, 10 mars 1809.

J'étais déjà informé que le Roi ne touchait point son traitement de prince français; mais je n'ai point rectifié cette erreur, parce qu'elle se rectifiait d'elle-même: quant à la dépense de la liste civile que j'ai portée à 13 millions en treize mois, je l'ai évaluée ainsi sur l'autorité de deux ministres d'État. D'autres renseignements, comme j'ai eu l'honneur de l'écrire à Votre Excellence, la restreignaient à dix ou douze millions. J'ai ensuite, dans une autre dépêche, porté le déficit du trésor public pendant l'année passée à douze millions. Le déficit est entre le trésor public et la liste civile, et celui du trésor public, proprement dit, n'est que de six millions.

Que le Roi soit parvenu à porter la recette de sa liste civile, au moins pour l'année passée, à sept millions et demi, jusqu'à huit millions, c'est ce qui m'a été assuré de trop de côtés, pour que je puisse légitimement en douter. On m'a cité comme non compris dans l'arriéré des six millions du trésor public:

1o Obligations souscrites par le Roi et remises à la caisse d'amortissement de Paris, 1,500,000 fr.
2o Restitutions et charges concernant les domaines réservés à Sa Majesté l'Empereur, 1,500,000  
3o Emprunts du Roi, 2,000,000  
4o Dette flottante de la liste civile d'après l'autorité d'un ministre d'État (le général Eblé) (un million); d'après d'autres renseignements, 500,000  
  ————  
  5,500,000  
En y ajoutant la liste civile et supplément, 7,500,000  
  ————  
  Le total sera de 13,000,000 fr.

D'après le même calcul le total du déficit du trésor public et de la liste civile sera de 11,500,000 fr. à 12 millions.

Il se peut que dans cette évaluation même il y ait encore quelque double emploi, et que, par exemple, une partie de l'emprunt ait été employée à éteindre des obligations, et je suis d'autant plus porté à croire que ma première évaluation a été exagérée, que le Roi, ayant la réputation d'être vrai, aurait certainement dédaigné de nier ce qui aurait été d'une parfaite exactitude.

J'étais, je l'avouerai, un peu effrayé, lorsqu'après avoir évalué, en vertu d'informations qui dataient de la fin de décembre et du commencement de janvier, à deux millions seulement l'excédant des dépenses de la liste civile, j'appris de plusieurs côtés qu'elles avaient monté en totalité à une somme de 13 millions. Mon devoir me pressa d'en informer Sa Majesté, et en ce moment-ci je préfère de répondre promptement à la lettre de Votre Excellence déjà trop retardée, par des éclaircissements encore incomplets, plutôt que d'attendre ceux que des recherches ultérieures pourraient me fournir, et que je me réserve de transmettre. L'administration directe des finances de la Westphalie est entre les mains des Allemands qui, par plus d'un motif que je dois ou respecter ou excuser, se tiennent vis-à-vis de moi dans une réserve qui ne m'a pas encore permis de chercher à puiser abondamment dans les sources d'informations dont ils sont dépositaires, et je ne dois pas brusquer une confiance qui ne m'est pas refusée, mais qui n'ose pas passer les bornes du devoir ou de la circonspection. D'un autre côté, tant que je conserverai l'espérance d'obtenir mes renseignements de la persuasion qui devrait être celle de tout Westphalien, que c'est l'identité d'intérêt, que c'est l'amitié pour le souverain et pour le pays qu'il gouverne, qui les réclament pour en faire le meilleur usage, je répugnerai à employer des moyens dont le moindre inconvénient est d'offrir peu de garantie pour l'exactitude.

Je n'ose pas non plus me flatter, Monseigneur, que le Roi me fournisse des occasions fréquentes de lui donner des conseils d'économie; à l'exception d'une seule occasion dont je me suis emparé, je n'ai encore eu l'honneur de voir Sa Majesté que dans les cercles de cour, et Votre Excellence aura pu se convaincre par la conversation dont je lui ai rendu compte et dont sa dépêche vient de me donner la clef, que dans l'opinion de Sa Majesté, des communications de cette nature avec le ministre de France sembleraient déroger à une intimité à laquelle le Roi attache un prix si légitime. Peut-être votre correspondance ultérieure, Monseigneur, m'ouvrira-t-elle quelques facilités à cet égard, peut-être pourrai-je saisir quelque circonstance où faisant connaître au Roi les sentiments de mon âme, je le disposerai à m'accorder une confiance que je m'étais préparé d'avance à ne point espérer après un séjour de deux ou trois mois seulement. Quelque délicate que puisse être ma mission, je n'y vois point de devoirs incompatibles, mais seulement des devoirs de première et de seconde ligne: ils sont tous dans ce que Sa Majesté, avec une bonté qui m'a pénétré d'admiration, a daigné me faire répondre au sujet du compliment que m'a fait Sa Majesté westphalienne.

L'économie personnelle du roi, insuffisante sans doute pour remédier à la pénurie des finances de l'État, aurait cependant sur leur amélioration une influence incalculable, et cette vérité est tellement sentie, qu'il y a peu de jours, un des plus estimables conseillers d'État m'a dit que si, en doublant la liste civile, on pouvait établir la certitude d'un ordre parfait et invariable, et celle d'intéresser le roi aux finances de l'État autant qu'aux siennes propres, on ferait le marché le plus avantageux pour la Westphalie.

Les discussions relatives à la négociation de l'emprunt ou du traité hollandais ne sont pas encore terminées. Avant-hier, en allant chez M. le comte de Furstenstein, je rencontrai l'un des négociants qui avait rendez-vous chez ce ministre pour la même heure: il me dit que la négociation avait rencontré quelques difficultés, qu'elle faisait jaser, qu'on prétendait que les intérêts monteraient à onze ou douze pour cent (d'autres disent treize), tandis qu'ils ne seraient que de six. Les deux manières de compter au reste peuvent se concilier. L'emprunt, m'a-t-on dit, doit se faire réellement à 6 pour cent d'intérêts; mais les prêteurs auront en même temps, pour le compte du gouvernement, la régie de l'extraction et de la vente des sels et métaux dont ils seront nantis, et sous ce rapport, il leur sera alloué des provisions et des frais. Quoi qu'il en soit, Monseigneur, le besoin d'argent pour le trésor de Westphalie est impérieux et urgent. Les difficultés qui se sont élevées semblent prouver qu'on ne veut pas y procéder légèrement. Le crédit de la Westphalie, le commerce de Hollande y sont intéressés; les deux rois en désirent le succès; quant à moi j'attends toujours qu'on m'en parle. L'emprunt sera de six millions de francs.

Bulletin.

Cassel, 10 mars 1809.

Depuis les fêtes de l'anniversaire de la reine, il n'y a point eu de cercle à la cour. Au second bal, Sa Majesté en valsant avec le roi se trouva mal. Elle eut une suffocation qui cependant passa heureusement et ne laissa point de suite. Dans la semaine passée, la reine pendant quelques jours se tint enfermée dans ses appartements. Le roi a souffert et souffre encore d'un rhumatisme auquel il était déjà sujet l'année passée: un peu de fièvre s'y joint vers la nuit. Il y a eu quelques concerts dans l'intérieur.

M. le comte de Bernterode (général du Coudras) donna quelques jours un bal pour la fête de Mme la comtesse: on tira un feu d'artifice dans la cour; la maison étant située au milieu de la ville, le roi, pour maintenir les règlements de police, condamna M. de Bernterode à une amende de 25 frédérics, et M. Bercagny fut condamné à la même amende pour avoir été témoin de l'infraction, et ne s'y être pas opposé. Mme de Bernterode ce jour-là reçut de la Reine un beau présent consistant en colliers et en pendants d'oreille de perles et d'améthystes.

Le Moniteur westphalien d'hier annonce que M. le comte de Truchsess étant obligé de résider sur ses terres, près de Kœnigsberg, Sa Majesté avait accepté la démission qu'il avait donnée de sa place de grand-chambellan. Il y avait encore des personnes qui croyaient aux revenants. Toutes les personnes de la cour se louent de l'affabilité de la reine, depuis que Mme de Truchsess est partie. On s'étonne comment avec tant d'esprit cette dame a pu trouver le secret de ne point laisser un seul ami.

M. le comte et Mme la comtesse de Boehlen, tous deux attachés à la cour, vont la quitter pour résider dans leurs terres. M. de Boehlen avait la direction de la garde-robe que le valet de chambre, Louis, chassé il y a quelque temps, avait exploitée à son profit. M. de Boehlen était absent depuis deux mois.

Hier, dit-on, les officiers de la garde ont été convoqués pour être avertis de se tenir prêts à entrer en campagne. On en infère que le roi lui-même se dispose à partir pour l'armée.

Un événement extraordinaire arriva dernièrement à Brunswick. Le valet de chambre du général de Helleringen, commandant du département de l'Ocker, entre en plein jour dans l'appartement de son maître assis devant une table de manière à lui tourner le dos; il s'en approche, passe une corde autour du cou du général et cherche à l'étrangler. Le général se lève, lutte avec l'assassin et se débarrasse de la corde. Celui-ci sort, rentre et tire à bout portant un coup de pistolet dont le général est blessé. Dans l'intervalle on accourt et l'assassin est saisi. Il est en prison et l'on ne conçoit pas encore la cause de cet attentat.

M. le baron de Keudelstein (La Flèche) est en ce moment à Brunswick pour se concerter avec les autorités de cette ville, sur les réparations à faire au château que le roi a promis d'habiter pendant quatre mois de l'année.

Sous le rapport de l'industrie, comme sous plusieurs autres, la ville de Cassel est bien en arrière de celle de Brunswick. On cite des habitants de la première des traits de paresse qui sont incroyables. Les artisans refusent d'augmenter le nombre de leurs ouvriers, du moment où ils ont assez d'ouvrage pour gagner leur subsistance journalière. Il s'agissait de faire faire des galons, il y en avait de différentes largeurs. Ceux à qui on proposa la fourniture la refusèrent en entier, uniquement par la raison que des galons de petite largeur leur donnaient trop de peine, quoique du reste ils eussent les métiers et les instruments nécessaires pour les faire.

La reine a fait l'acquisition d'une petite maison de campagne sur le chemin de Napoléonshœhe où elle se propose d'établir une vacherie suisse.

Le second jour de la fête il y eut à Napoléonshœhe un petit opéra intitulé le Retour d'Aline, où joua M. le comte de Furstenstein. Le feu d'artifice fut contrarié par la neige et par quelques accidents.

Reinhard à Champagny.

Cassel, 16 mars 1809.

Impatient d'éclaircir la question si embrouillée de l'état des finances westphaliennes, je me suis prévalu du nouveau titre que les intentions de Sa Majesté l'empereur me donnaient auprès de M. Siméon. Je lui ai fait part des informations que j'avais recueillies à ce sujet, et je lui ai demandé les siennes. Voici la réponse de M. Siméon: il y a eu pour l'année passée excédant et déficit à la fois. Le budget, rédigé encore sous M. Beugnot, avait évalué les recettes à 23 millions. Les dépenses des ministères avaient été réglées en conséquence: elles devaient être, par exemple, de 5 millions pour le ministère de l'intérieur et de la justice. Mais M. Bulow trouva que l'évaluation avait été trop forte et qu'il fallait la réduire à 18 millions. Chaque ministère subit en conséquence une réduction proportionnelle. Celui de l'intérieur et de la justice ne devait recevoir que 3 millions ½; cependant comme au bout de l'année les recettes se trouvèrent avoir monté à 22 millions, il y eut un excédant de 4 millions. Mais l'administration peu économique du général Morio et l'excédant des dépenses que causait l'entretien des troupes françaises, avaient produit dans le département de la guerre un déficit qui absorba non seulement l'excédant de 4 millions, mais bien au-delà. La liquidation des dépenses de ce département n'étant pas encore achevée, on ne peut connaître le montant précis du déficit.

Ayant dit à M. Siméon que la source des renseignements qui portaient le déficit des finances de l'État à 6 ou même à 12 millions remontait au conseiller Malchus, directeur de la caisse d'amortissement, il m'a répondu que M. Malchus était l'ennemi déclaré de M. de Bulow, et qu'on avait tort d'ajouter une foi entière à ce qu'il disait au désavantage de son antagoniste.

Quant à M. de Bulow lui-même, M. Siméon m'en a dit beaucoup de bien, il a ajouté que quand il y aurait des reproches à lui faire, il serait absolument impossible de le remplacer dans le moment actuel; mais il m'a confirmé ce qui m'avait déjà été rapporté des préventions qui ont été inspirées au roi contre la véracité et même contre la probité de ce ministre.

M. Lefebvre[115] et moi ayant cherché des occasions d'entretenir M. de Bulow directement de la situation des finances, ce ministre s'est fortement récrié contre l'imputation d'un déficit de l'année passée. Il a assuré que tout ce qui concernait cet exercice était parfaitement en règle et assuré; mais il a confirmé en même temps tout ce que j'ai déjà écrit sur le déficit de l'année courante. Il a ajouté que quant aux dépenses de la liste civile, c'était autre chose, et que cela ne le regardait ni pour le passé, ni pour l'avenir. Cependant il a soutenu que le roi n'avait rien pris sur les budgets des dépenses de l'État. Enfin il m'a remis la note ci-jointe sur les finances de 1808. Elle est, dit-il, le résumé du tableau qui sous peu sera mis sous les yeux du public.

Votre Excellence a maintenant sous les yeux un tableau officiel et ostensible qui ne coïncide nullement avec les autres renseignements, au moins jusqu'à ce qu'on puisse juger de quoi s'est composée la recette. Je crois, Monseigneur, devoir terminer là mes informations préliminaires, et ne reprendre cette matière que lorsque le temps et les circonstances m'auront permis d'y apporter un plus grand jour. Ma position ne me permet pas d'établir en ce moment une espèce de confrontation qui d'ailleurs ne pourrait donner que des résultats incomplets. Votre Excellence me permettra seulement de lui soumettre les observations suivantes.

M. de Bulow m'a dit lui-même qu'une rentrée de 12 millions sur l'emprunt forcé de 20 millions s'était trouvée assurée au premier janvier, et qu'il comptait sur la totalité des 20 millions. Tous les autres témoignages ne portent la recette qu'on peut espérer de l'emprunt forcé qu'à 8 ou 9, tout au plus à 10 millions: ainsi dans cette circonstance, au moins, il paraît hors de doute ou que M. de Bulow se serait trop flatté, ou qu'il n'aurait pas dit la vérité. M. Siméon, qui d'ailleurs ne paraît s'être occupé des finances que par aperçu, croit à la probabilité d'un déficit de 5 à 6 millions pour l'année passée; M. Jollivet en assure l'existence et le porte à 6.

Si la recette de 29,700,000 fr. se compose effectivement de revenus réels et imputables à l'année 1808, il est à présumer que la crainte du déficit de l'avenir, causé par les dépenses du département de la guerre, aura fait exagérer le mauvais état des finances, même pour le passé, surtout aux yeux des Allemands; que cette clameur générale qui s'est élevée, se sera égarée dans son objet, et qu'elle aura été en partie artificielle pour décréditer M. de Bulow.

Quant aux paiements arriérés qui existent réellement dans plusieurs parties et qui, par exemple, dans quelques branches de l'instruction publique, comprennent jusqu'à huit mois, outre que cet arriéré peut avoir des causes locales, M. de Bulow m'a dit qu'il en existait sans doute, puisque les rentrées, quoique assurées, n'étaient pas encore toutes réalisées, mais que positivement ces rentrées feraient face à tout.

J'ai fait observer à ce ministre que puisque les revenus de l'année avaient si heureusement excédé l'estimation, c'était preuve que la Westphalie avait de grandes ressources, et qu'on pouvait espérer que, son système financier étant actuellement organisé, elle supporterait même une forte augmentation de dépenses.

M. de Bulow m'a répondu que la constitution avait fait tarir plusieurs sources de revenu; qu'on ne pouvait pas compter dès les premiers moments sur un succès complet des opérations nouvelles; que les provinces les plus riches étaient surchargées de frais d'entretien des gens de guerre, qu'elles s'en ressentaient déjà au point de faire craindre qu'elles ne pourraient bientôt plus payer leurs impositions; et tout-à-coup il s'est rejeté sur le chapitre des dépenses que causaient les troupes françaises. On dit, a-t-il ajouté, que je suis l'ennemi des Français: mais je suis ministre des finances, je dois défendre les intérêts qui me sont confiés, et lorsque je vois, d'un côté, les soldats français logés et nourris chez les habitants, les transports faits par réquisition; lorsque d'un autre je vois accourir ici tant de Français qui cherchent à faire une fortune rapide et accaparer toutes les places et tous les profits, m'est-il permis de rester indifférent?

Il me reste à dire, Monseigneur, que lorsque j'ai évalué les dépenses de l'année courante à 45 ou 46 millions, les nouveaux régiments qui se lèvent, et les dépenses qu'exige la mise en activité du contingent entier, n'y étaient pas compris, et que le tableau de la totalité des dépenses qui a été mis sous les yeux du roi monte à 52 millions. Vous voyez toujours, Monseigneur, cette alternative: ou bien il n'y a point eu d'arriéré pour l'année passée, mais le déficit de l'année courante sera d'autant plus fort; ou bien il y a eu du déficit l'année passée, et celui de l'année courante sera d'autant moindre; et l'intérêt de ce pays-ci c'est de soutenir que les dépenses de l'armée et de la guerre sont les seules causes de désordre. Quant aux dépenses de la liste civile, rien n'a contredit jusqu'à présent les renseignements que j'ai transmis.

Dans cette situation des choses, l'opération qui se fait avec la Hollande pourrait être un véritable bienfait. Hier l'approbation de Sa Majesté hollandaise est arrivée, et le traité ne tardera pas à être conclu. Il est vrai que les conditions seront un peu onéreuses. Les voici: intérêts 6 pour cent et en outre un et demi pour cent en loterie; commission 2 pour cent; frais de l'opération, au moins 5 pour cent; les frais, disent les prêteurs, seront de première mise: ils n'auront pas besoin d'être renouvelés, quand l'opération durerait pendant vingt ans. L'emprunt actuel sera de 3 millions de florins en actions de 1000 florins pour lesquelles on s'inscrira à la bourse d'Amsterdam. Les Hollandais recevront les denrées au lieu du dépôt; ils se chargeront de leurs transports aux frais de la Westphalie. Sa Majesté le roi de Hollande en permettra l'importation et le débit.

D'un autre côté, on a calculé que le prix des sels en Hollande était en ce moment quadruple de celui qu'ils ont aux lieux de dépôt en Westphalie, et comme ils font l'objet principal de l'opération entière, on a trouvé que six mille lafts suffiraient à peu près pour couvrir l'emprunt.

M. le comte de Furtenstein, comme je le prévoyais, ne m'a parlé de rien. Cependant les négociants hollandais étant revenus pour me demander des lettres de recommandation pour les agents français à Bremen, j'ai d'autant moins hésité à leur confirmer ma promesse, que Votre Excellence étant instruite depuis 15 jours de cette opération, se trouvera en mesure de faire parvenir ses ordres soit à moi, soit à M. Legau.

Les négociants hollandais m'ont dit que le succès de cette opération avait éprouvé ici beaucoup de difficultés. On prétend que la jalousie contre M. de Bulow en a été la cause; que les préventions du roi contre ce ministre viennent de M. de Furstenstein et de M. Bercagny, et que le projet de placer des Français à la tête des finances et de l'intérieur existe toujours. Sa Majesté I. et R. m'a recommandé de lui faire connaître l'opinion et la situation de M. Siméon et de M. le général Eblé. J'ai déjà en partie satisfait à cet ordre, voici ce qu'il me reste à ajouter.

La situation de M. Siméon s'est beaucoup améliorée: il a regagné du crédit et de l'influence. Son fils, que le roi n'avait pas trop bien traité, a obtenu un poste plus avantageux. Il paraît certain qu'on avait proposé au roi un projet d'après lequel le directeur de la haute police aurait été une espèce de premier ministre, et que le roi l'a rejeté. L'opinion de M. Siméon sur le roi est celle de tous ceux qui ont l'honneur de l'approcher. Il rend une justice entière à son cœur et à son esprit: il admire la droiture et la noblesse de l'un, la sagacité et la pénétration de l'autre; il ne dissimule point quelques défauts de caractère ou d'inexpérience. Le roi lui paraît trop impérieux sans être toujours ferme. Les idées qu'il se fait des droits et des devoirs de la royauté lui paraissent encore ou incomplets ou erronés; il craint qu'entouré par trop de médiocrités dans son intérieur, le roi ne se laisse trop aller à des ministres, et qu'il ne lui soit difficile d'acquérir ce coup d'œil de monarque qui embrasse l'ensemble, et qui sait mettre toutes les choses à leur véritable place. Quant aux finances, M. Siméon pense aussi que la Westphalie ne pourra pas supporter à la longue les charges qui pèsent sur elle en ce moment-ci; sur les dépenses de la liste civile, il s'en rapporte à la voix publique.

Le général Eblé se plaint de ce que le roi, dans son cabinet, ne donne pas toujours aux détails des affaires la même attention qu'il leur donnerait au conseil d'État. Il trouve de la difficulté à concilier toujours ses devoirs comme ministre de la guerre en Westphalie et comme général français dans des questions concernant les frais d'entretien, ou la conduite des troupes auxiliaires. Il m'a avoué que cette considération avait influé aussi sur la demande qu'il avait faite à M. le comte de Hunebourg d'être employé activement en cas de guerre. Il m'a chargé surtout de faire connaître à Sa Majesté I. et R. sa fidélité de tous les temps et son entier dévouement. Il évalue les dépenses accessoires à faire pour mettre le contingent sur le pied ordonné par Sa Majesté à 3 millions sur lesquels M. de Bulow lui a accordé un acompte de 500,000 fr.

P.-S.—Le roi, il y a quelques jours, demanda au général Eblé un état de situation de ses troupes. Le général le lui porta. Il n'est pas exact, dit le roi.—Mais, Sire, il est conforme aux états qui se trouvent dans mes bureaux.—Enfin le roi insista, et le ministre fut obligé d'y faire différents changements dont le résultat était une différence de 7 à 800 hommes au plus.

Bulletin.

Cassel, 17 mars 1809.

Le roi est sorti hier pendant quelques minutes en voiture. Le temps était pluvieux; il devait aller le soir au spectacle en grande loge. Mais un accès de fièvre assez forte l'a pris. On croit que c'est une suite des douleurs de ses rhumatismes.

S. M. depuis quelque temps n'avait pas l'air d'une parfaite santé.

Le Roi, à cause de son indisposition, n'avait pas non plus reçu la cour dimanche dernier. Le même jour, il fit publier dans le palais un ordre par lequel les entrées journalières auprès de Leurs Majestés furent restreintes aux grands officiers et aux personnes de service du jour. Depuis cet ordre, on a vu paraître pour la première fois en fracs, dans les soirées de la ville, les personnes attachées au palais et M. le comte de Furstenstein. On assure que Mme de X... jouit en ce moment de la confiance du roi. Elle attend son mari qui sera, dit-on, nommé aide de camp de S. M.

Depuis quelque temps, Mme de X... paraît rarement dans les sociétés ou les quitte à neuf heures. On prétend qu'elle ne s'est point encore rendue. Si elle se fait désirer longtemps, et si la passion du roi est assez forte pour ne point chercher à se distraire ailleurs, elle aura bien mérité de ce jeune prince.

M. de Marinville, secrétaire intime du roi, qu'on dit être employé aussi pour une certaine partie des plaisirs de S. M., est devenu gardien de la cassette du roi, à la place de M. Duchambon, dont les représentations quelquefois un peu importunes avaient déplu. Cependant M. Duchambon reste trésorier général de la couronne. M. le comte de Lerchenfeld, ministre de Bavière, a fait, il y a quelques jours, pour la troisième fois depuis deux mois, une course qui paraît encore devoir aboutir à Francfort. L'objet de la première était un rendez-vous, moitié d'amour, moitié de politique, avec Mme la princesse de la Tour et Taxis. Il en revint malade. Dans la seconde il avait vu le prince-primat. Il en revint rempli de fausses nouvelles qu'il débita avec beaucoup d'assurance, même à M. le comte de Furstenstein, et qui se trouvèrent démenties trois jours après. On ne sait pas encore ce qu'il rapportera de la troisième. Cependant, comme le gouvernement westphalien ne s'est point formalisé de ces voyages hors du pays où il est accrédité, il y a lieu de croire qu'ils ont été autorisés, et que le roi est au moins en partie dans le secret de ces absences.

La foire de Cassel a commencé lundi dernier: elle durera quinze jours. Elle est fréquentée par un assez grand nombre de marchands.

Reinhard à Champagny.

Cassel, 21 mars 1809.

M. Bercagny m'a parlé longtemps contre M. de Bulow et ne m'a pas caché qu'il avait accusé ce ministre auprès du roi lui-même. Voici les principaux, ou plutôt les seuls griefs que M. Bercagny ait articulés. M. Beugnot était dans l'usage de laisser dans les caisses départementales tous les fonds nécessaires aux dépenses locales. Il entretenait souvent S. M. de la pénurie du trésor et de la nécessité de ménager les ressources de la Westphalie. M. de Bulow n'eut rien de plus pressé que de se faire valoir par l'abondance avec laquelle il savait faire affluer l'argent au trésor; il y fit venir celui réservé par M. Beugnot; il en fit l'étalage aux yeux de S. M. En attendant, un grand nombre d'employés dans les départements ne furent pas payés. Les juges de paix, les officiers de police furent laissés dans la misère. Les plaintes arrivèrent aussi de tous côtés; il fallut à grands frais renvoyer l'argent. M. de Bulow a accumulé aussi les recettes communales avec celles du trésor public. Enfin M. de Bulow est un charlatan, un intrigant du grand genre. Le roi s'est moins contenu dans ses dépenses, parce qu'on lui a persuadé que cela était moins nécessaire. M. Bercagny craint que M. de Bulow ne parvienne à se faire renvoyer par une boutade; qu'alors il ne soit regretté et il ne dissimule point que ce n'est que son grand cordon de la légion d'honneur qui le protège. «Mais, dis-je à M. Bercagny, M. de Bulow a obtenu un excédant dans les recettes de l'an passé?»—«Excédant, dit M. Bercagny en haussant les épaules...», mais il n'entra dans aucun détail. Quoi qu'il en soit, Monseigneur, M. Bulow peut avoir été faible; il peut avoir osé se permettre ce qu'un conseiller d'État français pourrait prendre sur lui; il peut avoir succombé à l'envie de plaire et de faire autrement que son prédécesseur; aujourd'hui du moins son langage a changé, et il dit hautement que si les dépenses continuent sur le pied actuel, il ne reste qu'à mettre la clef sous la porte.

L'affaire de l'emprunt hollandais n'est point encore terminée. On parle sourdement d'un projet de banque territoriale ou plutôt d'une banque à billets hypothéqués sur des immeubles. Je persiste à penser que, même aux conditions onéreuses que j'ai fait connaître, l'opération de l'emprunt est bonne pourvu qu'on n'en abuse pas. Elle serait détestable si, pour obtenir beaucoup d'argent à la fois, elle dépouillait le royaume de ses produits bruts, si l'on encombrait les marchandises de la Hollande et si l'on anticipait ainsi peut-être sur les revenus de plusieurs années.

Je suis convaincu, Monseigneur, que vous rendrez justice à la sollicitude avec laquelle je m'appesantis sur l'état des finances. C'est le côté faible du pays, et j'ose ajouter du roi. Le pays peut être sauvé d'embarras imminents; il en est temps encore; le roi peut être sauvé d'une situation pénible, d'un découragement qui déjà le gagne et du regret de céder à la nécessité tandis qu'on est digne d'acquérir la gloire d'une résolution libre et généreuse.

Votre Excellence peut prévoir aussi deux événements dont l'un ou l'autre, ou tous les deux peut-être, peuvent arriver dans l'espace d'un mois: le départ du Roi pour l'armée et un changement important dans les projets. Dans les deux cas, je croirai devoir me prévaloir de l'autorisation qui m'a été donnée de vous en informer, Monseigneur, par un courrier extraordinaire.

Reinhard à Champagny.

Cassel, 29 mars 1809.

J'ai reçu la dépêche par laquelle Votre Excellence me charge de donner communication à la cour de Cassel de la disposition que Sa Majesté impériale a faite du grand duché de Berg, en faveur du fils aîné de S. M. le roi de Hollande. Je me suis acquitté de cet ordre, et j'ai adressé une copie de l'acte à M. le comte de Furstenstein.

J'ai demandé au général Eblé dans quelle intention le roi avait ordonné, dans l'état de situation de ses troupes, que le prince-connétable lui avait demandé, les changements dont j'ai parlé dans le post-scriptum de mon no 24. Ce ministre m'a dit que ce n'était point dans la vue de porter un plus grand nombre d'hommes effectifs que celui qui existait réellement, mais dans celle de montrer que son armée entière était, jusqu'aux moindres détails, organisée sur le modèle français, et en état de marcher.

Les monnaies, Monseigneur, m'amènent naturellement aux finances, mais ce sera, je l'espère, pour en sortir au moins pour quelque temps. J'ai trouvé l'occasion de prendre connaissance d'une pièce authentique et officielle qui ne laisse aucun doute sur le déficit des finances de l'État. C'est un rapport fait par une commission spéciale du conseil d'État sur les dépenses de l'armée et sur les moyens de les réduire à une proportion convenable avec les revenus. Dans ce rapport, les dépenses de l'armée pour l'année courante sont évaluées comme suit:

Troupes westphaliennes, 14,250,000 fr.
Troupes françaises, 7,990,000  
Arriéré du départ de la guerre pour l'année passée, 6,000,000  
  —————  
  28,240,000  
En y ajoutant les autres dépenses de l'État, telles que je les ai déjà fait connaître dans mon no 19, 24,375,000  
  —————  
La dépense totale sera de 52,615,000 fr.

Dans les dépenses de la guerre ainsi énoncées, se trouvent comprises celles de la conscription nouvelle et de la levée des deux nouveaux régiments.

À l'égard de l'arriéré de 6,000,000 le rapport s'exprime ainsi: «Quand il serait vrai qu'une partie de ce déficit sera couverte par un excédant dans les recettes, etc.». Mais d'un autre côté le général Eblé estime que l'arriéré ira à 7 millions et au-delà.

En évaluant en conséquence l'arriéré de l'État entre 5 et 6 millions, et l'arriéré de la liste civile, tel que je l'ai énoncé dans mon no 22, entre 4 et 6 millions, l'arriéré total de l'année passée sera toujours entre 10 et 12 millions, et rien ne m'autorise, jusqu'à présent, à me départir de cette estimation. Or, Monseigneur, les recettes présumées de l'année devant monter au plus à 38,500,000, l'arriéré de l'État pour l'année sera de 14,000,000.

Je reviens au rapport qui a été soumis à Sa Majesté, mais sur lequel il n'a été et dans les circonstances actuelles il n'a pu être pris aucune détermination. Ce rapport met en principe que, dans la proportion des recettes de l'État, les dépenses de la guerre ne peuvent excéder 13 millions. Il prouve par des faits que, dans le système allemand, l'entretien de 25,000 hommes ne coûterait que 10 à 11; et que dans le système prussien il ne coûterait que 8 millions. Il recherche les causes qui augmentent les dépenses pour l'armée westphalienne, et il indique les moyens de les réduire. Les causes d'augmentation, il les trouve principalement en ce qu'une armée de 25,000 hommes pour l'entretien et l'administration a été organisée entièrement sur le pied de l'armée française, qui est de 600,000 hommes; en ce que la garde par son nombre, par ses dépenses et par son administration séparée, est hors de proportion avec le reste de l'armée et avec les moyens du royaume (la garde est de 2473 hommes, elle coûte, selon le rapport, 1,800,000 fr.; les frais de première mise des deux nouveaux régiments en coûtent autant); en ce que toutes les fournitures se font par entreprise et rien par économie; en ce que le matériel et le personnel de l'armée n'étant point séparés, il n'existe aucun contrôle pour les dépenses, et que les facultés du ministre de la guerre le plus probe, le plus actif, ne sauraient suffire à une pareille surveillance, etc., etc. Les moyens de réduction seraient de rendre le soldat allemand à ses anciens usages pour le pain, pour l'habillement, pour les masses, de rétablir surtout l'usage des retenues, ce qui produirait l'épargne de plus d'un tiers sur la solde.

Le général Eblé pense que la dernière conscription de 7000 hommes suffira à peine pour remplir tous les cadres, le vide qu'a laissé la désertion, et les nouveaux corps accessoires devenus nécessaires pour organiser les deux divisions conformément aux vues de Sa Majesté I. et R. Sa modestie est telle, que malgré son travail infatigable, quoiqu'il ne se permette presque pas un seul moment de distraction, il craint que ses moyens ne soient au-dessous de sa place; qu'on ne lui fasse ce reproche, et que tandis que ses camarades vont recueillir de la gloire sous les yeux de l'empereur, il n'ait à lutter infructueusement dans une situation difficile et peut-être ingrate. Ce qui l'afflige surtout, c'est qu'il croit remarquer que le roi n'a pas assez confiance en lui. Je l'ai rassuré sur tous les points: je lui ai fait sentir qu'au moins le roi ne lui refuserait pas la confiance de l'estime. Je l'ai consolé par mon propre exemple, et en effet, Monseigneur, c'est la même nuance de caractère de Sa Majesté qui, pour le général Eblé et pour moi, produit les mêmes effets. Elle ne nous empêchera pas de sentir, d'aimer et d'admirer ses excellentes qualités, et pour ce qui me concerne personnellement, s'il est certain que plus de confiance de la part de Sa Majesté me rendrait plus heureux, je dois dire en même temps que la manière dont la plupart des personnes qui approchent du jeune monarque se conduisent à mon égard ne me laisse rien à désirer.

L'affaire de l'emprunt hollandais est terminée. Les deux négociants sont partis sans me demander de lettres pour M. Lagau. Ils doivent revenir. Ils devaient fournir sur-le-champ 2 millions d'argent comptant; ils sont allés chercher un troisième.

M. de Moronville, ministre de Darmstadt près cette cour, est parti ce matin en congé. Il sera chargé de conduire à l'armée l'un des fils du grand-duc. Son départ laisse des regrets à ceux qui l'ont connu.

La police a recueilli plusieurs indices de menées secrètes qui ont lieu en ce moment, dans une partie de la Westphalie, sous les auspices de l'ancien électeur. Il y a des émissaires, des affiches, des promesses pour les militaires qui voudraient quitter le service de la Westphalie. L'effet de ces manœuvres est suffisamment neutralisé par la marche imposante des troupes françaises qui successivement traversent ce pays. Le 25e régiment d'infanterie et deux régiments de cuirassiers ont passé par Cassel.

On était à la veille de la singulière aventure du major prussien Schill et des soulèvements de quelques parties du nouveau royaume. La police avait vent de quelques trames en cours de préparation, mais ne tenait nullement le fil de la machination.

Bulletin.

Cassel, 29 mars 1809.

Le Moniteur westphalien fait mention aujourd'hui d'une excursion que le roi fit dernièrement pour Münden où Sa Majesté alla voir un yacht que le roi de Hollande lui avait envoyé. La modestie du roi n'a pas permis qu'on y parlât des bienfaits qu'il a répandus sur sa route. Il s'est entretenu familièrement avec des habitants de la ville et de la campagne qui étaient accourus pour le voir. Il a fait manœuvrer un bataillon westphalien qui se trouvait là; et comme c'était un jour de dimanche, il lui a fait distribuer 25 frédérics qui ont été reçus aux cris de: Vive le Roi! Il rencontra, au retour, des conscrits cheminant gaiement et criant: Vivat der König! d'aussi loin qu'ils purent l'apercevoir, il les encouragea et leur fit également donner une petite gratification.

D'un autre côté, M. le colonel Bongars[116] épargna dernièrement au roi quelques frédérics, sous prétexte d'avoir mal entendu. Le roi, un soir, voulant aller à l'Orangerie avec la reine, et ne trouvant aucune de ses voitures prêtes, commanda qu'on fît avancer le premier cocher qu'on trouverait: il ordonna ensuite au colonel Bongars de donner à cet homme 25 frédérics; M. Bongars en donna 5.

La santé de Sa Majesté paraît assez bien rétablie: la reine à son tour a été incommodée pendant quelques jours.

Il y a eu concert et cercle jeudi passé à la cour, pour la première fois depuis un mois.

M. de Lerchenfeld, ministre de Bavière, est désolé de l'habitude que le roi a prise depuis quelques semaines de donner à souper aux personnes attachées au palais, les jours d'assemblée chez ce ministre. Il parle de faire un quatrième voyage de plus longue durée que les autres, et dans lequel il emmènerait sa femme. On prétend que le souper auquel celle-ci avait été invitée par la reine, sans son mari, et où elle manqua seule de toutes les femmes des autres ministres, a donné lieu à ces soupers qui désolent M. de Lerchenfeld.

M. le comte de Furstenstein vient de se fiancer avec la fille aînée de M. le comte de Hardenberg, conseiller d'État et grand-veneur. Ce mariage paraît bien assorti et d'une bonne politique. Il attachera au roi une famille considérée, mais dont la fortune a beaucoup souffert, et qui n'avait pas la réputation d'aimer beaucoup les Français.

Le général Eblé aussi attend Mlle Freteau pour l'épouser: elle appartient à une famille infiniment respectable de l'ancienne robe de Paris, mais elle n'a, dit-on, que 18 ans, et le général Eblé en a plus de cinquante. Et son ministère?

Bulletin.

Cassel, 15 avril 1809.

Le Moniteur westphalien d'hier donne des nouvelles du voyage de LL. MM.; on dit aujourd'hui que leur retour n'aura lieu que le 23.

Avant-hier a passé un courrier extraordinaire venant du quartier-général de M. le duc d'Auerstaedt et portant des dépêches pour le roi. Le département des relations extérieures ayant reçu hier de Stuttgard, par estafette, la nouvelle qu'un corps considérable a passé l'Inn près de Braunau, je présume que les dépêches de ce courrier auront donné à Sa Majesté connaissance de cet événement important. Voilà donc la guerre commencée! Si la justice de notre cause et le nom de Napoléon doivent déjà faire pressentir, même à nos ennemis, que les arrêts de la destinée seront accomplis; si déjà la grande catastrophe qui se prépare n'appartient plus au domaine de l'incertitude, qui ne peut plus tomber que sur les événements qui l'amèneront, c'est cependant avec un frémissement involontaire qu'on entend retentir au loin ce premier coup de canon; nouveau signal de la fureur aveugle, de la mort et de la chute d'un empire!

Un courrier westphalien, renvoyé de Vienne par M. d'Esterno, a porté la nouvelle de l'entrée dans cette capitale du ministre anglais et la proclamation de l'archiduc Charles, aussi remplie d'illusions que d'impostures. M. d'Esterno explique ce qui y est dit des troupes étrangères qui, dans une union intime, vont combattre à côté des armées autrichiennes, par un débarquement que les Anglais vont faire à Trieste.

Il n'est pas douteux, Monseigneur, que parmi ces frères allemands qui, encore en rangs paisibles, attendent leur délivrance, l'Autriche ne compte surtout un grand nombre de Westphaliens. Des faits dont j'ai déjà rendu compte, des renseignements venant de Vienne, et de nouvelles correspondances interceptées, en offrent la preuve. Du reste, les événements qui pourraient faire quitter à ces rangs leur attitude paisible ne sont guère dans l'ordre des probabilités, et les derniers placards d'insurrection dont j'ai rendu compte à Votre Excellence, sont, ainsi que ceux qui les avaient précédés, restés sans effet.

À la suite de l'attentat de Stendal, plusieurs habitants de cette ville ont été arrêtés. J'apprends qu'un d'eux s'est tué dans sa prison; mais ce qui donne une nouvelle importance à cette affaire, ce sont les révélations faites par un homme, porteur de correspondances suspectes, revenant de Berlin, et arrêté à Magdebourg. C'est un paysan des environs de Bielefeld qui avait entrepris le second voyage, sur l'instigation de quelques anciens baillis de son canton. Il fut adressé deux fois au major Blücher et au major Schill, tous deux au service actuel de Prusse. Ce fut le major Schill, le même qui avait acquis quelque célébrité dans la dernière guerre, qui le fit loger et nourrir gratis, et habiller à neuf. Dans sa seconde course, dès qu'il fut entré sur le territoire prussien, et qu'il se fut annoncé comme porteur d'un message pour le major Schill, il fut escorté de poste en poste par des hussards du corps de cet officier, excepté la dernière station qui précède Berlin. Il portait des billets du major Schill adressés à quatre baillis, billets insignifiants en apparence, mais qui expriment l'espérance de se revoir bientôt. En même temps, le major, qui se croit sans doute un héros, envoye son portrait aux quatre baillis. Le major Blücher avait remis au messager une espèce de lettre circulaire où il exhorte au courage et à la persévérance.

Un fait, Monseigneur, qui avait déjà frappé mon attention, lorsque je l'ai lu dans les papiers allemands et que j'ai relu hier dans la feuille du Publiciste d'avril, me paraît avoir un rapport assez marqué avec l'événement de Stendal et avec la déposition de ce paysan. Le voici: «Berlin, 27 mars. Le 16, les hussards de Schill sont partis inopinément de cette capitale pour aller prendre des cantonnements dans les environs, du côté de Lichtenberg. On croit que ce corps est chargé d'observer les traîneurs des troupes qui traversent actuellement la moyenne Marche et d'empêcher qu'elles ne s'écartent de la route militaire pour se répandre dans les campagnes et y commettre des excès[117]

J'ai fait part de cette circonstance à M. Siméon qui était venu m'informer de l'arrestation faite à Magdebourg. Elle lui a paru d'autant plus remarquable que le prisonnier avait aussi déposé qu'il avait rencontré, en revenant de Berlin, ces hussards qui s'étaient soigneusement informés du nombre de troupes qui pouvaient être à Magdebourg.

Le préfet du département de l'Elbe avait adressé son rapport au ministre de l'intérieur qui l'a reçu cacheté du sceau du cabinet du roi. Il est en conséquence probable que Sa Majesté aura déjà pris connaissance des faits, et l'on attribue à cette circonstance l'ordre qu'a reçu avant-hier M. Bercagny de se rendre à Brunswick. Le ministre de la justice, de son côté, y a adressé son rapport, et il a déjà donné des ordres pour l'arrestation provisoire des quatre baillis et de quelques autres personnes compromises. On se demande, Monseigneur: serait-il possible que le gouvernement prussien eût connaissance de ces manœuvres et y connivât, ou bien est-ce l'or anglais qui, à l'insu de ce gouvernement, entraîne à une conduite aussi criminelle des hommes inconsidérés et présomptueux? Si cette dernière hypothèse est fondée, elle prouve dans quel état déplorable de déconsidération et d'impuissance doit être tombé un gouvernement dont les chefs de la force armée osent se permettre des actes qui peuvent compromettre jusqu'à l'existence de leur patrie.

Ce qui indispose particulièrement en ce moment-ci un grand nombre d'habitants de la Westphalie, c'est la contribution personnelle portée à 4,400,000 francs, et destinée à entrer dans la caisse d'amortissement. On la perçoit actuellement pour l'année passée; dans un mois elle devait être perçue pour l'année courante; c'est du moins ce qu'on m'a assuré. Cet impôt, qui est une espèce de capitation, est reconnu par l'administration même comme ayant été assis sur des bases entièrement fautives, et les inconvénients qu'a fait découvrir sa perception, sont si graves, que, malgré le besoin extrême qu'on a d'accélérer les rentrées, on est obligé de s'occuper des moyens d'y remédier en changeant le principe de l'imposition. Dans le même temps, un décret royal a accumulé le paiement de deux douzièmes de la contribution foncière, en ordonnant qu'à l'avenir les douzièmes seraient payés d'avance.

Des réclamations lamentables ont été adressées ici de Marbourg depuis qu'on y a appris que l'université était menacée de sa dissolution. Les autres universités se montrent plus résignées à leur sort, parce qu'il était plus prévu. On espère que Sa Majesté se laissera fléchir, et que la suppression de Marbourg n'aura pas lieu, du moins en ce moment-ci.

Le ministre des finances attend d'un jour à l'autre le retour d'un des négociants hollandais avec lesquels il a négocié l'emprunt de 6 millions. Il craint que la déclaration de guerre ne nuise à cette opération, et même il vient de me dire qu'il n'y compte plus. Il se plaint aussi des effets momentanés d'une opération financière du gouvernement français qui, dit-il, a soutiré, dans l'espace de dix jours, à la Westphalie seule, plus de 6 millions, et qui entrave singulièrement la perception des impôts. Cet embarras est passager, mais il survient dans un moment où déjà l'on n'est pas trop à son aise.

Depuis le départ de M. le comte de Furstenstein, le secrétaire-général des relations extérieures, autorisé par ce ministre, me communique assez exactement les nouvelles qui arrivent à son département; et j'en sais d'autant plus de gré à M. de Furstenstein que l'époque est plus importante. C'est dans ces communications que j'ai trouvé aussi la solution de ce qui avait été une énigme pour moi, c'est-à-dire la cause de cette froideur dont j'ai dit un mot à Votre Excellence dans mes nos 29 et 30. Sous la même date que celle de votre lettre à laquelle était jointe la copie de la lettre de Sa Majesté à l'empereur d'Autriche, M. de Wintzingerode avait rendu compte de plusieurs communications confidentielles que Votre Excellence lui avait permis de prendre; et quoique le texte même de la lettre de l'empereur soit assurément une chose plus précieuse que l'extrait un peu informe qu'en avait fait M. de Wintzingerode, je ne sais quelle jalousie avait fait croire qu'il était de la dignité du roi de recevoir de pareilles communications plutôt par le ministre de Westphalie que par le ministre de France. Je sais que M. de Furstenstein s'est expliqué dans ce sens. Comme à son retour j'aurai des remercîments à faire à ce ministre, je saisirai l'occasion pour faire un premier essai, en abordant cette matière délicate.

Reinhard à Champagny.

Cassel, 20 avril 1809.

J'ai reçu la lettre de Votre Excellence du 10 avril, par laquelle elle me charge de faire souvenir Sa Majesté westphalienne et M. le prince de Waldeck des arrangements au moyen desquels il leur sera facile de couvrir les avances que le trésor public a faites pour leurs contingents; je me suis empressé d'exécuter vos ordres.

M. le comte de Furstenstein est revenu de Brunswick hier. Le roi, qui n'est point allé à Magdebourg, est attendu aujourd'hui. Le courrier qui lui a été expédié de Strasbourg, par Sa Majesté l'empereur, a passé par Cassel le 17 au soir. Il s'est rencontré avec le courrier de l'armée venant de Donawert et chargé par Sa Majesté d'un paquet de monseigneur le prince de Neufchatel. On croit que ce papier renferme les instructions concernant le commandement qui a été confié à Sa Majesté et dont on dit qu'elle est extrêmement satisfaite, après l'extension qui paraît y avoir été donnée.

Des lettres récentes de Hollande annoncent que l'emprunt sera rempli. Seulement sa concurrence avec quelques opérations financières qui en ce moment ont lieu en Hollande même, retardera un peu l'entière exécution de celle qui concerne la Westphalie; cette nouvelle est très heureuse, car la pénurie du trésor public à Cassel se fait de plus en plus péniblement sentir.

P. S.—LL. MM. sont revenues aujourd'hui à midi: elles ont fait leur entrée au bruit du canon. On fixe au 25 le nouveau départ du roi, en conséquence des instructions plus récentes venues de Strasbourg.

Vers le mois de mars 1809, lorsque la guerre avec l'Autriche parut imminente, une rumeur sourde se répandit au centre de l'Allemagne, dans la Hesse électorale, dans le duché de Brunswick, dans la Vieille-Marche et dans la plupart des départements du royaume de Westphalie. Le gouvernement français avait su, dès le mois d'août 1808, par la lettre interceptée de Stein au prince de Wittgenstein, qu'il existait un vaste réseau d'associations politiques occultes, n'attendant qu'une occasion, un signal, pour faire éclater un soulèvement contre nous. Les mesures prises par Napoléon pour l'abolition des sociétés secrètes n'eurent qu'un résultat, celui de les rendre plus prudentes, plus dissimulées et, partant, plus dangereuses.

La Prusse était le foyer principal de ces sociétés et cela se comprend; l'Empereur n'avait-il pas réduit ce royaume à sa plus simple expression? n'avait-il pas ruiné ses finances? anéanti ses armées? ne soulevait-il pas chaque jour des difficultés nouvelles pour retarder l'évacuation de ses places fortes et pour maintenir ses armées françaises dans les provinces laissées par le traité de Tilsitt au roi Frédéric-Guillaume III?

Voici quel était au commencement d'avril l'état des troupes françaises et de la confédération ainsi que de leurs emplacements. En Westphalie, huit à neuf mille hommes de l'armée de Jérôme; à Magdebourg, un régiment français et un westphalien; dans les villes fortes de Stettin, de Glogau, de Custrin, dix mille soldats français vivant chez l'habitant; la division hollandaise Gratien, à Lunebourg, au nord-est du Hanovre; à Stralsund dans la Poméranie suédoise, deux bataillons du duc de Mecklembourg-Schwerin et un de Mecklembourg-Strelitz (treize cents hommes).

Lorsque Napoléon partit pour se mettre à la tête de la Grande Armée, il prescrivit la formation d'un 10e corps pour être placé sous les ordres de son frère Jérôme, et composé des troupes westphaliennes en Allemagne, de la division Gratien, des troupes saxonnes du colonel Thielmann. Ce 10e corps avait mission de couvrir la Westphalie, la Saxe, et la partie orientale de l'Allemagne. Il pouvait être renforcé par l'armée de réserve du vieux duc de Valmy (quartier général à Dessau), chargée d'empêcher les Autrichiens de prendre à revers les corps de Napoléon opérant sur le Danube.

Le 3 avril 1809, dans la nuit, une centaine de militaires allemands ayant pour chef un M. de Katt, ancien capitaine aux hussards de Schill, venant de Spandau, ville prussienne, pénétrèrent dans la petite place de Stendal, se formèrent en bataille sur le marché, prirent les chevaux et les armes des gendarmes westphaliens, et pillèrent les caisses. Le 4, à huit heures du matin, ils se dirigèrent sur Bourgstadt, cherchant, mais inutilement, à entraîner les paysans, dont un très petit nombre les suivit.

Cette singulière et intempestive levée de boucliers était la conséquence d'un plan d'insurrection générale suscitée par les sociétés secrètes, insurrection à la tête de laquelle se trouvaient le major Schill, le duc de Brunswick-Oels, le capitaine de Katt. Ce dernier, n'ayant pas eu la patience d'attendre le signal du soulèvement, brusqua la prise d'armes, espérant entraîner le gouvernement prussien à déclarer la guerre à la France, pendant que Napoléon était encore en Espagne et allait se trouver aux prises avec l'Autriche. L'échauffourée ridicule de Katt fut désavouée par le gouvernement prussien, et n'eut d'autre suite que de compromettre le major Schill et de hâter son mouvement, ainsi que nous le verrons plus loin.

Pendant que Napoléon, traversant l'Espagne et la France en toute hâte, courait se mettre à la tête de sa grande armée, en Allemagne, le roi Jérôme quittait Cassel le 9 avril avec la reine pour visiter les deux départements de l'Ocker et de l'Elbe, et les villes de Brunswick et de Magdebourg. Reinhard rendit compte de ce voyage par une lettre en date du 15 avril:

Leurs Majestés sont arrivées dimanche dernier au soir à Weende, domaine royal près de Gœttingen. Elles y ont passé la nuit. Le lendemain elles ont couché à Seesen dans la maison de M. Jacobsohn, président du Consistoire juif. M. Jacobsohn est un négociant très estimable et très estimé; il a formé à Seesen, à ses frais, pour les jeunes gens de sa nation, un établissement d'instruction qui se distingue par la nouveauté de l'objet et par les bons principes qui le dirigent.

On dit que la Reine en arrivant à Brunswick s'est trouvée incommodée. On n'apprend pas encore que le Roi soit parti pour Magdebourg. Immédiatement après leur arrivée à Brunswick, LL. MM. ont envoyé ici des ordres pour faire venir des lits et plusieurs valets de chambre et de pied. Mme la baronne de Keudelstein et Mme d'Otterstedt qui, il y a un mois, croyait déjà être parvenue au terme de sa grossesse, ont accompagné la Reine. Les personnes principales qui sont avec le Roi sont: M. le comte de Furstenstein, M. Cousin de Marinville, M. le baron de Keudelstein, M. Bongars. M. le comte de Willingerode, grand-maréchal du Palais, revenu le 10 de Marseille et de Paris, est aussi allé rejoindre Sa Majesté.

À peine de retour dans sa capitale, Jérôme fut informé par son ministre de la police de la fermentation que l'on remarquait dans les différentes provinces de son royaume. Inquiet pour la reine, sentant qu'il serait beaucoup plus fort pour résister à l'orage, lorsque sa femme serait à l'abri de tout danger, ayant bientôt d'ailleurs à se mettre à la tête du 10e corps, il crut devoir se séparer momentanément de la princesse qu'il envoya rejoindre l'impératrice Joséphine de qui elle était tendrement aimée.

Catherine arrivée à Francfort écrivit de cette ville, le 26 avril 1809, à Napoléon:

Sire, le Roi rend compte à Votre Majesté des motifs qui le portent à veiller à ma sûreté en m'envoyant auprès de S. M. l'Impératrice; l'insurrection qui s'augmente de moment en moment et qui est générale dans tout le Royaume, la nécessité où le Roi se trouve de ne point diviser le peu de forces qu'il a pour veiller à ma sûreté m'ont engagée à consentir à me séparer de lui dans un moment aussi critique; si ce n'était pour lui laisser la liberté nécessaire de veiller à sa propre sûreté et à celle de ses États, je n'aurais pu m'y décider et j'aurais pour moi la confiance dans les succès de Votre Majesté, mais c'est un sacrifice nécessaire à la sûreté et à la tranquillité du Roi.

À peine la reine avait-elle quitté Cassel qu'une conspiration à la tête de laquelle était un des colonels de la propre garde de Jérôme fut découverte par le plus grand des hasards. M. de Dœrnberg, le principal conjuré qui trahissait son souverain, quoiqu'il fût comblé de ses bienfaits, devait pénétrer la nuit dans le palais du Roi, l'enlever, ce qui eût été très facile, et le livrer aux Anglais.

M. Reinhard rendit compte des événements de Cassel à l'Empereur par une notification en date du 26 avril envoyée par le comte de Fürstenstein, et par une lettre du 29 au duc de Cadore. Voici ces deux documents:

Bercagny à Reinhard.

26 avril 1809.

Le samedi, 22 avril, le gouvernement fut averti que plusieurs rassemblements de paysans se formaient sur les hauteurs de Napoléonshœhe, ainsi qu'à Homberg, et dans divers autres villages environnant Cassel. Le Roi envoya de suite quelques détachements de sa garde pour dissiper ces attroupements et faire rentrer les paysans dans le devoir, mais ceux-ci excités par quelques malveillants, parmi lesquels on distinguait le sieur Dœrnberg, colonel des chasseurs de la garde, qui s'était mis à leur tête, et quelques autres personnes moins marquantes, refusèrent obstinément d'obéir. On fut obligé de les y contraindre par la force; plusieurs des insurgés furent tués, et un grand nombre amenés prisonniers à Cassel. Le lundi 24, tout était entièrement disparu.

Il paraît que cette insurrection, préparée depuis longtemps par des agents secrets de l'électeur, devait être générale; mais les mesures promptes et vigoureuses prises par le gouvernement l'ont arrêtée dans sa naissance. Les insurgés avaient peu de fusils, et n'étaient armés, pour la plupart, que d'instruments aratoires. On les avait entraînés par l'espoir du pillage et la menace d'incendier leurs maisons s'ils refusaient de marcher. On s'était efforcé de leur persuader que tout était disposé en Westphalie pour une révolution, et qu'ils allaient être appuyés par des armées prêtes à entrer dans le royaume; mais bientôt, revenus de leur égarement, ils se sont empressés de rentrer dans leurs foyers et de reprendre leurs travaux. Les rapports qui arrivent aujourd'hui des divers points où l'insurrection avait éclaté annoncent que la tranquillité est rétablie partout. Quelques-uns des principaux moteurs sont arrêtés; et il paraît que S. M. aura la consolation de n'avoir qu'un petit nombre de coupables à punir.

Les habitants de Cassel, loin de prendre aucune part à ces désordres, ont saisi cette circonstance pour donner des preuves particulières de leur dévouement à leur souverain; et toutes les classes de citoyens ont sollicité la faveur de servir Sa Majesté, et d'être employés à maintenir la tranquillité dans la ville, et à la défendre si elle était attaquée.

Le soussigné, en adressant, d'après l'ordre du Roi, la présente communication à Son Excellence M. Reinhard, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de France, saisit cette occasion pour lui renouveler les assurances de sa haute considération.

Reinhard à Cadore.

Cassel, 29 avril 1809.

Ce fut une estafette, envoyée par le roi de Wurtemberg à la reine déjà partie, qui apporta le bulletin de la bataille du 21 (Landshut); une autre estafette envoyée par le roi de Wurtemberg à son ministre près cette cour, porta le bulletin de la bataille du 22 (Eckmuhl), et un courrier de retour, du ministre de Bavière, apporta celui du 23, écrit sur le champ de bataille de Ratisbonne. Il serait impossible de peindre l'impression produite par des événements qui semblent éclipser jusqu'aux miracles d'Austerlitz et d'Iéna, et déjà j'apprends que ceux qui espéraient différemment disaient aujourd'hui: Dieu le veut.

Ni les nouvelles, Monseigneur, ni les troupes qui étaient déjà en nombre suffisant, n'ont été nécessaires pour dissiper les attroupements du 22 et du 23; mais ce sont nos victoires seules qui détruiront jusqu'à la pensée d'une révolte dans les esprits les plus mal intentionnés. C'est le feu du ciel qui est tombé ainsi sur tous les projets déloyaux et insensés.

Un régiment hollandais venant d'Altona, et l'avant-garde de deux mille hommes venant de Mayence avec six canons, sont entrés hier à Cassel.

J'ai annoncé à Votre Excellence l'arrestation de deux anciens serviteurs de l'Électeur dont les noms avaient été mis, par les meneurs des rebelles, au bas d'une proclamation. Ce sont MM. de Lenness et de Schmeerfeld, homme d'un âge déjà avancé. Il ne s'est point trouvé de preuves contre eux; mais comme anciennement suspects ils ont été conduits à Mayence où ils seront détenus en prison. Plusieurs officiers des cuirassiers ont été arrêtés ou destitués. C'est le seul régiment qui se soit mal conduit, et dans lequel il y ait eu des défections. Plusieurs autres arrestations ont eu lieu, celle d'un curé par exemple qui avait béni des drapeaux, celle de la femme d'un officier qui avait envoyé à son mari par la poste une écharpe pour le garantir en cas de danger. D'autres ont déjà été relâchés. Une centaine de paysans a péri. Cent cinquante environ ont été entassés dans les prisons de Cassel. Le comte et la comtesse de Bœhlen de la Poméranie ci-devant suédoise, l'un chambellan, l'autre dame de la reine, ont reçu l'ordre de quitter Cassel dans les vingt-quatre heures et de rendre leurs décorations. Ce qu'on sait du motif, c'est que le Roi a reproché à M. de Bœhlen de s'être promené au parc à huit heures du soir avec un inconnu, et d'avoir dit en le quittant: Je désire que ce plan réussisse.

La dame à l'écharpe de garantie demeurait à Homberg, petite ville où il y a un chapitre protestant de dames nobles. L'abbesse était sœur de l'ex-ministre Stein. La sœur d'un ex-ministre de l'Électeur en était aussi. Cette petite ville était le foyer de l'insurrection. Les chanoinesses ont été arrêtées et conduites à Cassel.

M. le comte de Furstenstein m'a adressé par ordre du Roi une note concernant cette insurrection. J'ai l'honneur, Monseigneur, de vous en transmettre ma copie, ainsi que celle de ma réponse.

Je n'ai rien à ajouter pour le moment aux causes qui ont amené cet événement, et dont ma correspondance a rendu compte à Votre Excellence. Mais il faut sans doute vous entretenir des fortes et pénibles impressions qu'ils ont produites et des conséquences qui peuvent en résulter. Qu'un attentat qui paraît avoir eu pour objet la personne sacrée du Roi ait profondément affecté l'âme généreuse et confiante de ce jeune monarque; que les Français qui l'entourent après avoir craint pour lui et pour eux-mêmes, indignés, exaltés, se fassent un mérite exclusif de leur fidélité; que les défiances, les soupçons s'étendent au delà des bornes légitimes; que beaucoup d'Allemands consternés ne se croient pas assez protégés par le sentiment de leur innocence; que liés avec des coupables par des relations de famille ou de société, ils craignent de paraître coupables eux-mêmes; qu'il en résulte un état d'anxiété, voilà ce qui n'est que trop naturel.

Mais quelles sont les maximes qu'adoptera désormais le gouvernement? Sera-ce la sévérité ou la clémence que la politique conseillera de faire prévaloir? Des passions subalternes et quelques intérêts particuliers ne s'empareront-ils pas de la circonstance pour amener des changements, soit dans les personnes, soit dans le mode de l'administration?

M. Bercagny, dont la place en ce moment acquiert une grande importance, m'a parlé à ce sujet dans un sens qui me paraît extrêmement sage. Il m'a dit qu'il avait calmé lui-même des mouvements trop fougueux de quelques Français, et qu'il sentait toute l'importance qu'il y avait à ce qu'il ne s'établît point de scission ni de distinction entre les sujets ou les serviteurs de Sa Majesté sous le rapport de la nation à laquelle ils appartiennent.

J'en étais là, Monseigneur, lorsqu'il m'a été annoncé de la part de Sa Majesté qu'Elle me recevrait en audience particulière pour lui remettre la lettre par laquelle Sa Majesté l'empereur des Français, roi d'Italie, lui annonce l'heureux accouchement de S. A. I. madame la vice-reine d'Italie, lettre que j'avais reçue avant-hier. Je reviens de cette audience. Le Roi m'a témoigné son étonnement de ce que le courrier qu'il avait envoyé au quartier-général impérial n'était pas encore revenu. Il m'a ensuite parlé des événements du jour; et je lui ai dit que toute la conduite qu'il a tenue dans ces circonstances pénibles, que surtout tous les actes qui portent l'empreinte de l'impulsion de son propre esprit et de son caractère, ont dû lui attirer l'amour et l'admiration, et c'est très certainement l'effet qu'ils ont produit sur moi. En effet sa résolution de monter à cheval et de se montrer du côté même où l'on avait vu paraître les rebelles au moment où dans leurs rassemblements on le disait déjà prisonnier; celle de ne point quitter sa résidence au moment terrible où rien ne semblait encore garantir la fidélité de ses gardes; son allocution aux officiers; les deux proclamations qu'il a dictées; les mots qu'il a dits et dont j'ai cité quelques-uns; tout cela est vraiment royal. Il est certain, m'a dit Sa Majesté, que sans la découverte de M. de Malmsbourg, je me trouvais surpris. Les rebelles devaient arriver dans la nuit, les conjurés entraient dans mon appartement sans obstacle et sans défiance; et croiriez-vous qu'il y avait une foule de gens qui savaient le complot, et qui ne se croyaient pas obligés de le révéler. Cependant, a ajouté Sa Majesté, l'Allemand par son caractère n'est pas traître.—C'est une manière de voir fausse et criminelle, ai-je répondu, par laquelle ceux dont parle Votre Majesté se sont fait illusion à eux-mêmes, et cependant oserais-je dire à Votre Majesté, à présent que le danger est passé, que les espérances coupables ne renaîtront plus, que le sentiment même qu'on peut supposer en avoir été la cause, une certaine ténacité d'attachement, tournera au profit de votre règne, et que plus le temps et les événements s'éloigneront du passé, plus la fidélité à Votre Personne et à Votre Dynastie deviendra inébranlable et assurée.

On ne peut, Monseigneur, arrêter sa pensée sans frémir sur les malheurs qui seraient tombés sur ceux-là même qui, dans leur aveuglement, désiraient peut-être le succès de l'insurrection. Aujourd'hui en punissant les perfides d'action et les traîtres, il sera facile d'être généreux envers les coupables d'intention ou d'égarement. J'apprends que l'intention de Sa Majesté est de publier une amnistie générale pour tous les paysans. Les autres seront mis en jugement, et même à l'égard de ceux-ci, il paraît que l'intention du Roi est de faire prévaloir la clémence.

Sa Majesté a fait la réponse la plus terrible et la plus sublime aux manifestes d'insurrection de l'Autriche, en se servant du courage et du dévouement de ces mêmes Allemands, qu'on voulait séduire, pour écraser les armées autrichiennes. Il y aura solidarité de destinée, et ce sera une glorieuse récompense de la fidélité des uns, lorsqu'elle obtiendra le pardon ou repentir des autres. J'ose avouer à Votre Excellence que lorsque j'ai vu le Roi déjà porté à pressentir que tel serait le système qu'adopterait son auguste frère, je me suis abandonné moi-même à ces beaux pressentiments.

Sa Majesté m'a fait l'honneur de me parler de son voyage prochain à Hambourg. Je désirerais beaucoup, Monseigneur, de recevoir vos ordres pour savoir si de préférence je dois suivre le Roi ou rester à Cassel. Jusqu'à présent rien n'annonce que l'intention de Sa Majesté soit de se faire accompagner par les membres du corps diplomatique, et s'il m'est permis d'opter, je ne quitterai point cette résidence. Mais il peut arriver des cas où des instructions éventuelles seraient pour moi d'un grand prix pour diriger ma conduite.

Ainsi, le mois d'avril 1809 avait vu se produire, en Westphalie: la ridicule équipée du capitaine de Katt à Stendal, et la conspiration plus sérieuse du colonel de Dœrnberg. Le 28, commença la singulière course du major de Schill, et bientôt après l'entreprise désespérée du duc de Brunswick-Oels. Les affaires de Schill et du duc de Brunswick sont rapportées longuement et très exactement dans le quatrième volume des Mémoires du roi Jérôme. Nous n'en ferons pas l'historique, nous nous bornerons à donner quelques lettres et bulletins qui y ont trait:

Bulletin.

Cassel, 3 mai 1809.

Le mariage du comte de Furstenstein avec Mlle de Hardenberg a été célébré dimanche dernier au palais. La société a été peu nombreuse, la corbeille riche et magnifique. Il y a eu souper et bal. Le lit nuptial a été dressé dans une pièce attenante à la salle du conseil.—M. de Gilsa, ancien grand-écuyer de l'électeur, père de treize enfants vivants, et n'ayant d'autre moyen d'existence que les appointements des places que son épouse et lui remplissent à la cour, a profité de cette circonstance pour demander au Roi la grâce de son gendre, le sieur de Buttlar, compris dans l'art. 1er du décret du 29. S. M. la lui a promis.—La sœur de Mme de Stein soutient son rôle d'héroïne. Elle ne sort point; elle provoque son supplice. Elle est du reste vieille, laide, contrefaite. Une sœur de Mme de Gilsa, dignitaire du même chapitre, a refusé la permission que le Roi avait donnée à son frère de la prendre chez lui.—Le Roi a fait plusieurs nominations d'officiers pour remplacer ceux qui ont été destitués ou arrêtés.—On a trouvé parmi les papiers Dœrnberg un paquet cacheté et portant l'inscription: à ouvrir après ma mort. On dit que ce paquet ne renferme que des lettres d'amour, dont quelques-unes de Mme de P. Cet homme, peu de jours avant sa défection, avait fait venir sa femme et ses trois enfants qui résident à Brunswick et qui se trouvent aujourd'hui dans la misère. Quatre mille francs que le roi lui avait donnés se sont trouvés intacts dans son secrétaire. Il paraît que ce n'est pas sans combats intérieurs qu'il s'est chargé du rôle de traître; il y a dans sa conduite présomptive délire et inconséquence.—Pendant la crise, la ville de Cassel paraissait plus calme qu'à l'ordinaire. Le peuple semblait apathique, mais il montrait une grande incrédulité sur nos victoires.—Quelques mauvais sujets avaient excité des mouvements dans une commune du département du Harz. Ils furent arrêtés, et le préfet manda au ministre de l'intérieur qu'il avait pris les mesures les plus efficaces pour empêcher que la contagion ne gagnât le département de la Werra. C'était dans ce dernier département qu'était le foyer de l'insurrection.—Le baron de Wendt, aumônier du Roi, envoyé dans les communes catholiques de la Hesse, qui en effet n'ont pas remué, dit à son retour qu'il les avait exhortés à ne point se mêler de ces affaires, à labourer leurs champs et à laisser faire les autres. Il n'y entendait pas malice.

MM. de Malsbourg et de Coninx, conseillers d'État, allant l'un et l'autre dans ses terres, l'un vers Paderborn pour calmer les esprits, furent arrêtés tous les deux et coururent quelques dangers. Le second fut sauvé par une ancienne femme de chambre de sa femme, qu'il rencontra voyageant en compagnie avec un étudiant. Elle lui fit prendre le rôle et le costume de son amant, et ce fut sous son escorte qu'il revint à Cassel.

Bulletin.

15 mai 1809.

Un membre du Conseil d'État disait dernièrement qu'il fallait chasser tous les Allemands de la Wesphalie.—Un chef du département des relations extérieures a proposé gravement au ministre de Saxe de troquer le royaume de Wesphalie.—M. de Wolfradt, ministre de l'intérieur, ayant obtenu par le canal de M. Bercagny un emploi pour un Allemand qu'il lui avait recommandé, lui exprima sa reconnaissance avec un tel élan de sensibilité qu'il alla jusqu'à lui baiser la main. Je suis d'autant plus touché de cette faveur, ajoute M. de Wolfradt, que c'est la première que vous ayez accordée à un Allemand. M. Bercagny, furieux, lui répondit: Monsieur, si tout autre qu'un ministre d'État m'avait fait un pareil compliment, je l'aurais jeté hors de la porte.—La commission spéciale a condamné à mort un maréchal-des-logis des cuirassiers convaincu d'avoir assisté à l'enlèvement d'une caisse par les paysans révoltés. Elle a condamné à la même peine un jeune homme de vingt-un ans, officier du même régiment. Il a été exécuté avant-hier. Il avait demandé de commander lui-même l'exercice pour son exécution. On eut le tort de le lui permettre; il mourut avec beaucoup de courage.—La gendarmerie avait ramassé quatre-vingt-treize conscrits qui avaient déserté après la publication du premier décret prononçant la peine de mort contre ce crime; à cause des circonstances actuelles, ils furent tous condamnés. Assemblés sur le lieu de l'exécution, on leur déclara que deux seulement seraient fusillés, et que le sort en déciderait. Cette clémence, tempérée par une sévérité nécessaire, a produit un très bon effet. Malheureusement, le sort se montra injuste, là où le Roi s'était montré si bon, il tomba au sort les deux plus doux, peut-être les plus innocents de la troupe.—M. de Buttlar, gendre de M. de Gilsa, a obtenu sa grâce. Il n'a perdu que son emploi, et a été conduit en France. Il sera détenu pendant deux ans.—Le Roi fait souvent passer la revue des troupes. Il se promène beaucoup à cheval et quelquefois à pied dans le beau parc de Cassel qui a été interdit au public pendant certaines heures de la journée et de la soirée.—On avait fait espérer à un des régiments de cuirassiers français qui traversaient la Wesphalie que le Roi le passerait en revue. Le régiment attendit pendant deux heures à la pluie à la porte de Cassel, et la revue n'eut pas lieu. Quelqu'un en parla à Sa Majesté:—J'étais, dit le Roi, embarrassé de décider à qui j'accorderais la droite. Si c'était aux cuirassiers, j'affligerais ma garde, et elle n'avait encore rien fait pour la mériter.

Nous allons faire connaître de quelles forces disposait le roi Jérôme à cette époque critique:

Du 10e corps dont il avait le commandement et qui était composé: 1o de trois mille cinq cents hommes en garnison sur l'Oder ou dans la Poméranie; de quatre cents hommes (général Liebert) à Stettin; de onze cents hommes (général Coudras) à Stralsund; de deux mille hommes à Custrin; de la division westphalienne d'Albignac à la poursuite de Schill; de la division hollandaise Gratien également en marche sur Stralsund, et recevant des ordres tantôt de son souverain, tantôt de Jérôme; de la division westphalienne de la garde (deux mille cinq cents combattants), commandée par les généraux du Coudras comte de Bernterode, Bongars pour les gardes du corps, colonel comte de Langenswartz pour les grenadiers à pied, major Fulgraff pour les chasseurs à pied, colonel Wolff pour les chevau-légers, prince de Philipsthal pour les chasseurs carabiniers, envoyés à Halberstadt. Quartier général à Cassel, chef d'état-major général le général Rebwell. La division westphalienne de la ligne avait ses trois régiments d'infanterie à Magdebourg, 1er, 5e, 6e; le régiment de cuirassiers à Halberstadt. La division Gratien forte de deux brigades, d'un régiment de cuirassiers et de trois compagnies d'artillerie, était à Stralsund où elle détruisit les bandes de Schill. Enfin à Cassel et à Magdebourg se trouvaient encore, sous le colonel Chabert, des détachements français et du régiment Grand-Duché de Berg envoyé de Mayence lors des troubles, environ trois mille hommes.

Tout cela composait bien un corps d'environ seize mille combattants, mais la garnison de Magdebourg en immobilisait cinq mille, mais l'empereur redemandait dans toutes ses lettres le renvoi du régiment Grand-Duché de Berg, mais la division hollandaise ne devait pas tarder à recevoir de son roi l'ordre de rentrer en Hollande à cause du débarquement des Anglais aux bouches de l'Escaut, en sorte que, par le fait, Jérôme ne pouvait mettre en ligne plus de huit à neuf mille hommes, en y comprenant deux mille Saxons à Dresde sous les ordres du colonel Thielmann.

Il y avait bien aussi à Dessau, sous le nom de Corps d'observation de l'Elbe, deux divisions aux ordres du duc de Valmy, mais ce dernier avait défense de disposer d'un homme sans l'ordre formel de l'empereur, à moins que ce ne fût pour la défense de Mayence.

Cependant le duc de Brunswick-Oels, secondé par l'Autriche, était parvenu à lever à ses frais, en Bohême, une légion qui, revêtant l'uniforme noir, prit le nom de: Armée de la Vengeance, et le duc dépossédé de Hesse leva également une autre légion de sept à huit cents hommes portant l'uniforme vert.

Vers le milieu de mai 1809, ces deux légions, soutenues par quelques troupes autrichiennes, s'établirent vers Neustadt, Gabel et Rümburg sur la frontière de Bohême, menaçant la Saxe. À cette nouvelle, notre allié, le roi de Saxe, se retira à Leipzig, au nord-ouest de ses États, vers la Westphalie, demandant à Jérôme de marcher à son secours, affirmant que la Prusse avait déclaré la guerre, que l'avant-garde de Guillaume marchait sous les ordres de Blücher. Napoléon, recevant cette nouvelle de son frère Jérôme, répondit que les Prussiens n'étaient pour rien dans cette levée de boucliers, que le 10e corps suffisait pour tenir tête à l'ennemi du côté de Dresde, ville qu'il fallait occuper et garder. Il défendit au duc de Valmy de déplacer ses divisions.

Sur les ordres de Jérôme, le colonel Thielmann, avec ses deux mille Saxons, se porta de Dresde sur la frontière de la Lusace, livra quelques combats au duc de Brunswick dans les montagnes, le chassa de Zittau et de Rümburg. Mais voyant l'ennemi manœuvrer pour gagner les défilés de Leitmeritz et de Tœplitz et se porter sur Dresde par la route de Dippoldiswalde, il se hâta de se replier sur la capitale du royaume pour la défendre. En effet, un corps autrichien de six mille hommes, commandé par le général Am-Ende, s'était rendu à Leitmeritz pour appuyer le duc. Le 10 juin, les Autrichiens et les bandes de Brunswick, ayant opéré leur jonction, marchèrent sur Dresde. Le 11, ils y entrèrent. Thielmann, se voyant trop inférieur en force pour lutter dans la ville, préféra tenir la campagne. Il avait pris la résolution de se replier sur le 10e corps, lorsque dans la nuit du 11 au 12 juin il crut pouvoir essayer de surprendre les bivouacs du duc. Après un combat des plus vifs, la cavalerie autrichienne de Am-Ende força les Saxons à se replier sur Leipzig par Wilsdruf. Thielmann ne fut pas d'abord poursuivi, le général autrichien ayant voulu recevoir du gouvernement de la Bohême l'autorisation de se porter sur Leipzig. Le 19, cette autorisation étant arrivée permit aux deux alliés de suivre Thielmann qu'ils rencontrèrent près de la ville. La lutte ne fut pas longue, le colonel saxon avait trop peu de monde, il passa l'Elster et se replia par Lutzen sur la Saale. Le 22, il fut joint à Weissenfels par les troupes du roi Jérôme. Ce dernier, ayant à Cassel le régiment grand duc de Berg et sa garde (trois mille hommes), expédia l'ordre à Albignac et à Gratien, l'un à Domitz, l'autre à Stralsund, de le venir joindre à marches forcées à Sondershausen, en descendant l'un par Magdebourg, l'autre par Brunswick. Lui-même avait l'intention de se porter sur Sondershausen avec sa garde, et de là sur Dresde. Mais les opérations contre Schill n'ayant pas permis à ses deux généraux de se mettre en marche pour la Westphalie avant les premiers jours de juin, le Roi modifia ses projets primitifs. Cependant, en apprenant le 15 juin l'entrée à Dresde des Autrichiens, il fit partir le 16 ses troupes, et le 18 il se mit lui-même en marche après de nouveaux ordres envoyés à Albignac et à Gratien.

L'empereur ne plaisantait pas pour ce qui avait trait aux affaires de la guerre. Il écrivait à Eugène, le vice-roi d'Italie: «Mon fils, la guerre est une chose sérieuse»; à Joseph, à Naples: «Les états de situation de mes troupes sont les romans que je lis avec le plus de plaisir». Aussi les négligences de Jérôme à cet égard lui étaient-elles très sensibles. Le 16 juin 1809, il manda au prince de Neufchatel:

Mon cousin, écrivez au roi de Westphalie, commandant le 10e corps d'armée, que je n'ai aucune situation, que je ne reçois aucun rapport, que j'ignore où sont mes troupes, que depuis dix-sept jours que l'affaire de Schill s'est passée, je n'en ai pas encore reçu de rapport officiel; que si, comme commandant du 10e corps, il ne correspond pas fréquemment avec vous et ne vous rend pas compte de tout ce qui intéresse ce corps d'armée, je me verrai obligé d'y nommer un autre commandant.

Jérôme crut de sa dignité de mener avec lui à l'armée, non seulement un grand nombre d'équipages, de gens de cour, chambellans et autres, mais même les ministres plénipotentiaires étrangers accrédités auprès de sa personne. Averti de cette circonstance par les lettres de Reinhard, Napoléon, qui aimait à voir faire la guerre sérieusement, comme il la faisait lui-même, trouva fort mauvaise cette manière d'agir de son frère.

Cependant le 21 juin, les divisions Albignac et Gratien après des marches rapides se joignirent aux autres troupes de Jérôme qui se trouva ainsi à la tête d'une douzaine de mille hommes. Le 22, Albignac rallia les Saxons sur la Saale à Weissenfels, et les opérations commencèrent.

Nous donnerons plus loin quelques lettres de M. Reinhard relatives à cette campagne de Saxe pendant laquelle il ne quitta pas le quartier général du Roi, campagne qui mécontenta fort l'empereur; mais avant, analysons rapidement les événements militaires.

Le 24 juin, Jérôme, ayant rallié les troupes du 10e corps et étant arrivé de sa personne à Querfurt, passa la Saale et poussa l'ennemi sur Leipzig qu'il évacua le lendemain. Le Roi entra le 26 à Leipzig, pendant que le général d'Albignac continuait à pousser les Autrichiens sur Dresde. Un petit engagement eut lieu à Waldheim, et pendant la nuit le duc de Brunswick se séparant de Kienmayer avec ses bandes fila sur Chemnitz au sud-est pour gagner Bayreuth et la Westphalie, tandis que les landwehr de Kienmayer se ralliaient sur Dresde, et que lui-même avec ses troupes régulières prenait la route de Bayreuth. Le 29, tout le 10e corps étant concentré à Waldheim, Jérôme marcha sur Dresde. Le 30, le colonel Thielmann commanda l'avant-garde du 10e corps, et le général d'Albignac pénétra à Dresde où le Roi fit son entrée le 1er juillet.

À Dresde, Jérôme apprit que ses États paraissaient peu tranquilles, qu'une expédition anglaise semblait menacer les côtes de la Hollande, et que le duc de Brunswick se dirigeait sur la Westphalie. Ces nouvelles le déterminèrent à abandonner Dresde où l'empereur voulait qu'il se maintînt. Le 4, il quitta cette ville, faisant engager fortement le roi de Saxe à rentrer dans sa capitale.

Reinhard écrivit à Champagny, de Mersebourg et de Leipzig le 26 juin, et de Dresde le 1er juillet, les deux lettres suivantes:

Reinhard à Champagny.

Mersebourg, 26 juin 1809.

Le Roi est arrivé à Querfurt avant-hier matin à onze heures (24 juin); hier, à dix heures du matin, il est arrivé à Mersebourg.

La division du général Gratien, le régiment de Berg et une grande partie de la garde marchent avec Sa Majesté. La totalité de ces troupes est entre 6 et 7,000 hommes; celles du général d'Albignac, en y comprenant les Saxons, montent au même nombre dans lequel il y a 1,300 chevaux. L'artillerie des deux corps est de 52 pièces; celle des Hollandais surtout est très belle et parfaitement tenue. Le corps hollandais et environ 800 Français, répartis entre les deux divisions, sont ce que nous avons de mieux en officiers et en soldats. D'après des renseignements qu'on a lieu de croire exacts, les forces du duc d'Oels montent en tout à 9,080 hommes. Sa bande noire, qui s'appelle la Légion de la Vengeance, est une mauvaise troupe; quelques escadrons d'Uhlans, du régiment de Blankenstein, méritent un peu plus de considération. Le 23, le duc d'Oels fit un mouvement en avant, et les troupes saxonnes furent obligées de reculer jusqu'à Weissenfels. Ce mouvement avait pour objet de masquer la retraite. En effet, dès le 24, l'ennemi évacua Leipsig où nos troupes sont entrées hier au soir à deux heures. Ce matin toutes nos troupes se sont portées en avant: le Roi partira à onze heures.

On a intercepté une lettre où l'archiduc Charles reproche au duc d'Oels les excès commis en Saxe par sa troupe, qui doit, dit-il, être entièrement soumise aux lois de la discipline autrichienne, aussi longtemps qu'elle aura besoin d'être soutenue par les Autrichiens. Déjà le duc d'Oels était subordonné au général autrichien Am-Ende, et c'est à celui-ci qu'il adressa la députation de Dresde qui était venue à sa rencontre.

Le général Gratien a présenté hier au Roi les principaux officiers de sa division; Sa Majesté s'est entretenue pendant longtemps avec eux. Il règne une grande activité au quartier-général. Le général d'Albignac a été fidèle à l'ordre de ne rien hazarder. Depuis que les ennemis se retirent, quelques personnes pensent qu'il aurait pu se porter sur leur derrière: il valait encore mieux ne commettre aucune imprudence.

La ville de Cassel est tranquille. Cependant, le général Eblé a pris occasion d'un mouvement qui a eu lieu à Carlshaven contre des gendarmes, pour écrire en deux mots au Roi: que jamais la Westphalie n'a été aussi près d'une insurrection générale. Une preuve des manœuvres clandestines qui continuent à y avoir lieu, c'est qu'on a arrêté dernièrement une voiture chargée d'armes et de poudre à canon au moment de son passage par Homberg. Dans une lettre interceptée de l'électeur de Hesse, il est dit qu'on ne fera rien de bon aussi longtemps que cet entêté de roi de Prusse ne se déclarera point. Il est certain que les matières combustibles sont entassées partout; mais toutes les étincelles ne seront point propres à y mettre le feu.

Leipzig, le 26 au soir.

Le Roi est entré à Leipzig à deux heures du soir, à cheval et à la tête de ses troupes. Il ne reste plus de doute sur la retraite des ennemis et sur la difficulté qu'il y aura à les atteindre. Sa Majesté partira demain: le corps diplomatique ne le suivra pas immédiatement.

Ce soir le Roi m'a fait entrer dans son cabinet: il m'a répété que depuis Sundershausen il n'avait pas eu le temps d'écrire à S. M. l'Empereur. Comme il a paru attacher quelque intérêt à ce que j'écrivisse, j'expédierai cette lettre par estafette jusqu'à Stuttgard.

Dresde, ce 1er juillet 1809.

Le Roi partit de Leipzig le 28 à onze heures du matin: la division hollandaise l'avait précédé la veille. Sa Majesté passa la nuit à Grimma. Le lendemain 29, le quartier-général devait être transporté à Waldheim, petite ville située dans un défilé. Le Roi était en arrière, et nos voitures l'avaient cette fois précédé, lorsqu'à une demi-lieue de Waldheim nous rencontrâmes le général d'Albignac qui ordonna aux bagages de rebrousser chemin. Les ennemis ayant fait un mouvement sur leur gauche s'étaient portés sur Chemnitz. Le quartier-général fut établi à Hartha, village en arrière de Waldheim. Hier à deux heures de l'après-midi, le Roi est arrivé à Nossen d'où il est parti ce matin à cinq heures. À dix heures, Sa Majesté a fait son entrée à Dresde à la tête de ses gardes et des cuirassiers saxons, au bruit des canons du rempart et des cloches de la ville. Elle s'est logée au palais de Brühl.

Les ennemis avaient quitté Dresde avant-hier. Le général Kienmayer, arrivé depuis quelques jours, avait établi un camp. Ce camp a été levé hier et il n'est pas douteux que dès demain les ennemis seront rentrés dans les frontières de la Bohême. Nos hussards leur ont déjà enlevé quelques chariots. À la tête de la colonne qui s'est montrée à Chemnitz et qui avant-hier encore poussait des patrouilles d'uhlans jusqu'à Penig, où est le duc d'Œls. Il a peu de troupes réglées avec lui: sa bande noire qui s'est très mal comportée partout, et ce qui est à la solde de l'électeur de Hesse, paraît en composer la partie principale. Cependant, la retraite vers la Bohême de ce corps qui avant-hier encore se trouvait en quelque sorte sur nos derrières, ne paraît pas bien constatée. Du reste, il est peu probable qu'il risquera de prolonger son incursion. Quand le duc d'Œls qui n'est point, comme on l'avait dit, entièrement subordonné au général autrichien, mais qui est considéré comme une espèce d'allié, voudrait, en profitant de l'absence du roi, se jeter dans la Westphalie, ce serait probablement parce que ses alliés voudraient en être quittes; il serait abandonné par les troupes autrichiennes et il ne lui resterait qu'une bande moins dangereuse que celle de Schill. Ce nouveau libérateur de l'Allemagne, ivre de tabac et de bière et de quelques vivat de la populace de Leipzig, voulait enrôler sous ses drapeaux tous les étudiants de cette université. On lui a ri au nez. Par représailles il a levé une contribution de 6,000 thalers à Leipzig et de 5,000 à Dresde. Les Autrichiens se sont partout conduits avec beaucoup de ménagements. Leur retraite au reste, et même quelques bruits que nous avons trouvés ici circulant, semblent prouver qu'il s'est déjà passé quelque événement important sur le Danube, et c'est vers ce côté-là que nous ne cessons de tourner nos regards.

Il y a eu le 28 un petit engagement entre les troupes du général d'Albignac et celles du duc d'Œls, en avant de Waldheim. Il paraît que c'était une affaire de reconnaissance et que le tout s'est réduit à quelques blessés de part et d'autre. Le général d'Albignac a repris le commandement de la cavalerie et c'est le colonel Thielmann, qui déjà avait remplacé le général Dyherrn dans le commandement des troupes saxonnes, qui commande aujourd'hui l'avant-garde. Le prince de Hesse a été commandant de la ville de Dresde. Sous les Autrichiens c'était le prince de Lobkowiz, commandant les milices de Bohême.

Je vous ai déjà parlé, Monseigneur, d'un mouvement qui avait éclaté à Carlshaven: il a été dissipé par quelques gendarmes. Celui qui a eu lieu à Marbourg a été plus sérieux: quatre ou cinq cents paysans sont entrés dans la ville, mais ils en ont été promptement chassés par la garde départementale. Cet événement a donné lieu à l'arrestation d'un inconnu qui se nommait Ermerich, qui résidait à Marbourg depuis trois mois, et qu'on dit avoir été colonel en Angleterre. M. Lefebvre m'a envoyé et j'ai l'honneur de vous transmettre la copie d'une lettre qu'on a trouvée dans ses papiers. C'est un homme de soixante-quatre ans: il nie encore tout.

Ces mouvements, Monseigneur, ont été sans doute la cause d'une certaine inquiétude que vous aurez pu remarquer dans la dernière conversation du roi dont j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence. Du reste, quelque vastes que puissent être les vues des meneurs, il est certain que les paysans n'ont pu être séduits que par des causes locales; c'est la contribution personnelle qui a occasionné le petit désordre de Carlshaven; ce sont les droits de consommation qui ont conduit les paysans à Marbourg et l'on me mande que ce sont eux-mêmes qui ont arrêté et livré l'inconnu dont je vous ai parlé. Ce qui doit rassurer entièrement, c'est que 1,500 hommes de l'armée de réserve se sont rendus à Marbourg du moment où une lettre du préfet de la Werra avait donné à Hanau connaissance de ce mouvement.

Le roi avait expédié de Leipzig un de ses officiers d'ordonnance au roi de Saxe pour l'inviter à revenir dans ses États. Cet officier est revenu avant-hier. Je ne connais point directement le résultat de sa mission; mais le ministre de Saxe croit savoir que l'intention de sa Majesté n'est point de revenir aussi promptement que nous l'espérions. Le roi lui a encore hier écrit par un autre officier.

J'apprends qu'on suppose réellement au duc d'Œls le projet de se porter en Westphalie. Le général Bongars a été détaché de Nossen avec deux régiments de cuirassiers et un bataillon français pour se mettre à sa poursuite.

Le roi m'a dit que l'empereur présumait qu'il aurait pris position à Erfurt. Il m'a dit que dans quinze jours il comptait être à Hambourg. Au quartier-général et même dans les propos du comte de Furstenstein, il n'est question que d'aller en Bohême. À Cassel, on attend Sa Majesté dans cinq ou six jours en vertu de la promesse que Sa Majesté a donnée. Le roi a dit lui-même que depuis son absence, tout est en stagnation et en désordre.

Le roi a voulu que les ministres étrangers l'accompagnassent, d'après le principe qu'il nous a exprimé hier qu'ils n'étaient attachés qu'à sa personne. Il n'en est pas moins vrai que de temps en temps nous nous sentons ici un peu déplacés et nous le serions bien davantage s'il s'agissait d'entrer en Bohème. Quant à moi je n'ai d'autre volonté que de connaître mon devoir et vos ordres. Jusque-là mon devoir est certainement de ne point m'éloigner du frère de l'empereur; et s'il s'agissait réellement de s'avancer en Bohême, le mot que le roi lui-même m'a dit sur la position à prendre à Erfurt suffirait peut-être pour me faire écouter. Un jour, nous avions été abandonnés au milieu des bagages. Nous fîmes au comte de Furstenstein des représentations concernant notre considération et notre sûreté: elles ont été écoutées et nos trois voitures suivront désormais immédiatement celle du roi.

Cependant l'expédition d'Am-Ende et du duc de Brunswick se rattachait à une autre opération sur la Bavière et sur la Bohême. Le général autrichien Radiwowitz avec 10,000 hommes, occupant Bayreuth le 10 juillet, coupa la route de Ratisbonne au Danube, tandis qu'Am-Ende entrait à Dresde.

L'empereur, à cette nouvelle, envoya le duc de Valmy à Strasbourg, et le remplaça à la tête de son corps d'armée, qui devint réserve de l'armée d Allemagne, par Junot, qu'il destina à opérer de conserve avec le roi Jérôme.

Le duc d'Abrantès eut ordre de rétablir la route de Ratisbonne, puis de pénétrer en Bohême avec son corps et le 10e. Arrivé le 27 juin à la tête de ses troupes, il porta la division Rivaud sur Nuremberg, dont elle chassa les Autrichiens et les força à se replier vers la Bohême par Bayreuth et Hof.

Le même jour, 27 juin, Kienmayer avait pris le commandement des deux corps autrichiens, Am-Ende et Radiwowitz, et les avait portés sur Hof et sur Bayreuth.

Pendant ce temps, Junot poussa l'ennemi vers le nord par Nuremberg, Jérôme le poussa vers le sud sur la même route, mais bientôt le duc d'Abrantès se trouvant seul en présence des 25,000 hommes de Kienmayer fut obligé de se replier sur Amberg. Le 10 juillet, Jérôme, auquel Junot a donné pour lieu de réunion Hof afin d'agir de concert, ne trouve plus les troupes du duc d'Abrantès, et seul à son tour, devant les forces imposantes de l'adversaire, il opère sa retraite par Schleiz sur Leipzig pour couvrir son royaume.

Jérôme était resté trop ou trop peu de temps à Dresde. En se mettant immédiatement à la poursuite des Autrichiens d'Am-Ende, ne les quittant pas, opérant sur le sud et Junot sur le nord, ils prenaient peut-être l'ennemi entre deux feux. En se maintenant à Dresde, il obéissait aux ordres de l'empereur, qui attachait avec raison à la conservation de cette capitale une grande importance.

Nous allons continuer à donner quelques lettres écrites par Reinhard pendant les premiers jours de cette campagne.

Freyberg, ce 4 juillet 1809.

Le roi est parti de Dresde ce matin à huit heures: il est arrivé ici à deux. Le colonel Thielmann s'est porté en avant de Pirna, le général Bongars doit se trouver en avant de notre côté, puisque le roi a appris hier que le duc d'Œls se retirait en grande hâte vers la Bohême. À notre arrivée à Freyberg on disait qu'il n'était qu'à cinq lieues de distance de Marienberg. On assurait à Dresde qu'il avait reçu trois courriers qui le rappelaient en Bohême. L'intention du roi ce matin était de passer ici la journée de demain.

Le chef de l'état-major m'avait déjà dit qu'avant d'entrer dans ce pays ennemi, le roi attendrait les ordres de Sa Majesté Impériale. M. le comte de Furstenstein m'ayant dit ensuite que nous allions à Freyberg et de là probablement à Altenbourg, je lui ai témoigné mon extrême satisfaction de ce que cette marche coïncidait si bien avec les vues de l'empereur que je ne connaissais au reste que par le roi lui-même; que sans nous éloigner de l'ennemi nous nous approchions ainsi de la contrée où nous pourrions donner la main au corps du duc d'Abrantès, et même des frontières westphaliennes. M. de Furstenstein m'a répondu que Sa Majesté l'empereur ne paraissait pas supposer que le roi pût disposer d'une aussi grande force; qu'au reste Sa Majesté n'entrerait point en Bohême avant d'avoir connu les intentions de son auguste frère. J'ai saisi cette occasion pour assurer M. de Furstenstein que mon inclination autant que mon devoir me prescrivait de suivre le roi partout où il irait.

À Dresde, le roi est allé à l'opéra le jour de son arrivée: le lendemain on a chanté un Te Deum dans toutes les églises. Pendant ce temps il y a eu cercle à l'hôtel de Brühl et Sa Majesté s'est fait présenter les officiers civils et militaires du roi de Saxe. Hier elle a passé en revue les troupes qui se trouvaient à Dresde. Le ministre de Saxe en Westphalie a négocié pour le compte du roi un emprunt de 80,000 francs destinés à là solde des troupes. Il s'est rendu utile pendant la marche par les moyens d'informations qu'il a procurés.

Je n'ai point encore entretenu Votre Excellence des inquiétudes du ministre de Hollande qui en effet ne paraissent point être sans fondement. De tous les ministres qui accompagnent le roi, M. de Huygens seul n'a point encore eu l'honneur de dîner avec Sa Majesté; mais ce qui l'a surtout affligé c'est qu'un certain article du journal de l'empire, où la Hollande est représentée comme la source de tous les bruits faux et malveillants contre la France, a été réimprimé par ordre du roi dans la gazette de Leipzig[118]. Le lendemain M. de Huygens prit occasion de l'autorisation qu'il avait reçue de suivre Sa Majesté pour se plaindre de la publication de cet article qui ferait une peine extrême à son maître. Quoi qu'il en soit, d'après les informations que j'ai pu obtenir, ce qui en ce moment s'est interposé entre les deux frères, c'est un peu d'humeur qui se dissipera, et il n'est guère probable que les choses iront jusqu'au rappel de M. de Huygens, comme celui-ci paraît le craindre. Quant au rappel de M. Munchhausen, il est certain que le roi de Hollande l'avait demandé: il l'a dit lui-même à ce ministre qu'il a toujours bien traité et qu'il traite bien même, à son départ. Ce ne fut qu'à la dernière audience qu'il lui demanda s'il ne devinait point le motif qui lui avait attiré ce que Sa Majesté avait cru devoir faire? M. de Munchhausen ayant répondu que cela lui était impossible, le roi ne s'en est point expliqué davantage.

Le Conseil privé de Dresde avait envoyé un M. de Manteufel pour recommander le sort de la Saxe à l'empereur d'Autriche. Cette démarche, qui pouvait être excusable de la part d'un conseil municipal, ne l'est point de la part d'un conseil de ministres d'État. Aussi, à l'audience de dimanche, le roi en a-t-il hautement exprimé sa surprise et son indignation. Il a dit que si cela était arrivé dans un autre pays que la Saxe dont le souverain était connu par sa loyauté et son attachement à la cause commune, les suites pourraient en être très graves; mais que sûrement le roi de Saxe serait celui qui se montrerait le plus péniblement affecté de cette mission déplacée. À côté de l'ordre du jour de Sa Majesté westphalienne que j'ai transmis à Votre Excellence avec ma dernière expédition, était affichée partout une proclamation de Sa Majesté saxonne dont j'ai l'honneur de joindre ici la traduction quoique je doive supposer que M. de Bourgoing vous l'aura déjà envoyée[119]. Le roi a été plus content de sa réception à Dresde que de celle qu'on lui avait faite à Leipzig: cette dernière ville en sa qualité de ville de commerce a son esprit d'égoïsme, sa manufacture de fausses nouvelles, sa populace oisive et souffrante. À Dresde, d'ailleurs, la proclamation du roi de Westphalie avait déjà produit un bon effet. Depuis que la Prusse n'est plus comptée au nombre des puissances, les Saxons, peu flattés dans tous les temps de partager leur souverain avec les Polonais, affectent par une sorte d'opposition de se montrer attachés à l'Autriche; mais le génie de cette nation polie, spirituelle et énervée, diffère essentiellement de celui des Autrichiens; aussi n'ai-je nullement partagé l'inquiétude du roi sur la fidélité des troupes saxonnes. Un homme de lettres, Adam Muller, un des coryphées de cette école moderne qui fait dépendre le salut de l'Europe du rétablissement du catholicisme, connu d'ailleurs à Dresde et en Allemagne par un cours de lectures publiques où l'on trouve de l'esprit de néologisme et des paradoxes, avait servi de secrétaire au prince de Lobkowiz. Il a reçu l'ordre de quitter la Saxe et s'est rendu à Berlin.

M. le colonel Clary, chargé par le roi d'Espagne de porter à S. M. westphalienne l'ordre de la Toison d'or, a obtenu la permission d'accompagner, de suivre le roi dans cette campagne: il a suivi le quartier-général depuis Sondershausen. Le roi, de son côté, vient d'instituer une décoration de médailles d'or et d'argent pour récompenser, parmi les sous-officiers et les soldats de son armée, le mérite et les services militaires. Une pension de 100 fr. est attachée à la médaille d'or et une de 50 fr. à la médaille d'argent. Je n'ai pu prendre copie du décret d'institution qui aura déjà paru, vu qu'il paraîtra dans le Moniteur westphalien.

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