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Les Rois Frères de Napoléon Ier: Documents inédits relatifs au premier Empire

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«Le royaume de Westphalie ne peut se soutenir si, avec le Hanovre, Fulde, Hanau et tous les petits princes enclavés dans son territoire, l'empereur ne lui donne point un débouché quelconque pour son commerce;

«Si l'empereur ne fait point la remise de la contribution arriérée, que les faibles revenus de l'État empêchent d'acquitter, ainsi que celle des domaines dont l'empereur n'a point encore disposé et qui se montaient, à mon départ de Cassel, à 400,000 francs.»

La cession du Hanovre par la France fut décidée en principe, et Jérôme dut croire que cette augmentation de territoire, de population, de revenus, viendrait en dédommagement des exigences de son frère. Le comte de Fürstenstein qui, sur de nouvelles instances du roi, venait d'être nommé par l'empereur grand'croix de la Légion d'honneur, fut chargé de traiter de la remise avec le duc de Cadore, mais lorsqu'on arriva à la cession, on fut bien obligé de reconnaître que les avantages de cette cession n'en compensaient pas les inconvénients. L'empereur, en annexant à la Westphalie la province du Hanovre, se réservait d'en distraire des territoires ayant quinze mille habitants, et un revenu de quatre millions cinq cent soixante mille francs, exempts de tous impôts pendant dix années. Les agents stipulèrent en outre: que les six dotations instituées dans le royaume de Jérôme, en vertu du traité de Berlin, du 22 avril 1808, et toujours contestées par le jeune roi, seraient remises aux donataires ainsi que le montant des revenus s'élevant à près de trois cent mille francs; les dettes du pays de Hanovre seraient à la charge de la Westphalie; l'arriéré de la contribution de guerre due à la France serait arrêté à seize millions et acquitté par le versement à la caisse du domaine extraordinaire de cent soixante bons de cent mille francs avec intérêt à cinq pour cent et payables par dixième d'année en année; le contingent militaire du royaume serait porté à vingt-six mille hommes, dont quatre mille de cavalerie et deux mille d'artillerie; jusqu'à la fin de la guerre maritime, la Westphalie s'engagerait à entretenir six mille hommes de troupes françaises, en outre des douze mille cinq cents qui lui étaient imposés par le traité de Berlin. Pour que le mot entretenir ne pût donner lieu à de fausses interprétations, le duc de Cadore en envoyant ses instructions au baron Reinhard, chargé de la remise du Hanovre, lui manda: «L'expression entretenir dont le traité s'est servi, en parlant des dix-huit mille cinq cents hommes de troupes françaises, étant peut-être trop générale et par cette raison point assez précise, ce qui pourrait donner lieu à des difficultés, le procès-verbal devra en fixer le sens et dire: qu'entretenir, c'est solder, nourrir, habiller ces troupes et pourvoir à tous leurs besoins quelconques, comme le trésor public de France solde, nourrit, entretient les troupes des armées qui restent en Allemagne.»

Reinhard se conforma à cet ordre du ministre, mais cela ne parut pas suffisant à l'empereur qui refusa de sanctionner le traité parce qu'il n'y était pas spécifié que les troupes françaises entretenues par la Westphalie auraient les prestations du pied de guerre. Toutefois cette difficulté fut promptement aplanie.

Sans doute par cette annexion les États de Jérôme acquéraient un territoire assez considérable, une population de près de trois cent mille âmes, une zone maritime importante entre les embouchures de l'Elbe et du Weser. La Westphalie prenait rang en tête des États de la Confédération, mais l'obligation d'entretenir dix-huit mille hommes au lieu de douze, la dette hanovrienne considérable, laissée à la charge de la Westphalie, annulaient et au-delà les avantages. On reconnut bientôt que le nouveau territoire coûterait dix millions de plus qu'il ne rapporterait. Ainsi donc, loin d'alléger les charges pécuniaires des États de son frère, l'empereur augmentait ses embarras. Le traité fut cependant signé le 14 janvier par le comte de Fürstenstein et le duc de Cadore.

Le 20 décembre, Reinhard, resté à Cassel pendant le voyage du roi, adressa à Champagny la lettre ci-dessous:

«Un courrier du roi, expédié le 14 décembre 1809, a confirmé la nouvelle du départ prochain de Sa Majesté, et les ordres concernant sa réception dans ses États et dans sa capitale. Le roi se propose d'arriver à Marbourg le 24, où tous les ministres d'État seront obligés de se rendre (Marbourg est éloigné de Cassel de neuf bons milles d'Allemagne). Le lendemain, Sa Majesté déjeunera à Wabern, village à trois milles de Cassel, où se trouve un château royal. Le 26, il y aura audience du corps diplomatique. Un appartement dans le palais se prépare pour la réception du grand maréchal nommé en remplacement du comte Willingerode. La curiosité cherche en vain à deviner le nom de ce nouveau dignitaire. Le général Launay, gendre de M. Siméon, les barons Dumas et Damas entreront au service militaire de Sa Majesté. Le général Morio est déjà arrivé, revenant d'Espagne, et rétabli de sa maladie. Le conseil d'État s'assemble fréquemment pour préparer les projets de loi qui seront présentés aux États. Puisqu'on croit savoir aujourd'hui que là reine restera à Paris, on présume qu'après quelque séjour à Cassel le roi y retournera aussi, et qu'il accompagnera Sa Majesté impériale dans son voyage en Espagne.

«Le roi trouvera ses sujets impatients de son heureux retour et pleins d'espérances dans les résultats de son absence, qu'ils pourront appeler heureuse aussi, puisque Sa Majesté reviendrait avec de nouveaux moyens de prospérité pour ses États, avec de nouvelles idées de bienfaisance et de gloire, puisées dans cette source intarissable d'où nous voyons émaner toutes les conceptions créatrices, tous les actes conservateurs qui appartiennent au siècle de Napoléon.

«Déjà quelques passages des lettres écrites par le roi ont fait présager combien la Westphalie aura à se féliciter de son voyage, et déjà ces présages se trouvent en partie confirmés par le discours adressé au Corps législatif de France par M. le ministre de l'intérieur.

«J'essaierais en vain, Monseigneur, de vous peindre l'impression que propagent au loin ces paroles d'immense valeur prononcées par la bouche impériale, ces discours qui en sont les commentaires et qui déroulent le passé et l'avenir; mais qu'il me soit permis de saisir un mot qui appartient à la sphère où Sa Majesté impériale a bien voulu essayer l'emploi de mes faibles moyens. Il est dit que les villes Anséatiques conserveront leur indépendance, et qu'elles serviront en quelque sorte de moyens de représailles envers l'Angleterre. Cette idée, j'ose le dire, était constamment devant notre esprit. De là la distinction que nous proposions de faire entre le temps de paix et le temps de guerre, de là cette proposition de laisser dans leurs rapports à venir une certaine latitude, un certain vague qui permettrait de les modifier selon les circonstances; mais l'impression lumineuse nous manquait: elle a été trouvée et le problème est résolu.»

Nous continuerons à faire connaître les lettres les plus importantes de Reinhard et ses bulletins, comme offrant le résumé le plus curieux et le plus impartial de l'histoire de la Westphalie et de son jeune souverain.

Le 17 janvier 1810, il écrit de Cassel à Cadore:

M. de Marinville est arrivé samedi dernier. Il a annoncé que le retour de M. le comte de Furstenstein ne pourrait guère avoir lieu que vers la fin de cette semaine. Il en est résulté que le jour de l'ouverture des États, dont les membres sont réunis ici depuis le 1er janvier, n'a pu être encore déterminé. En attendant, le Conseil d'État, dont les séances ont été fréquentes pendant quelque temps, et les départements ministériels, ont préparé leur travail, le compte du ministre des finances s'imprime, et ceux qui en ont déjà connaissance en disent beaucoup de bien.

Ces premiers jours qui se sont écoulés depuis le retour de LL. MM. ont été ceux d'une satisfaction réciproque, et en même temps ceux d'une attente générale des éclaircissements qu'on recevra sur les destinées de la Westphalie, soit par ce qui aura été conclu à Paris, soit par ce qui sera annoncé et proposé à l'assemblée des États. Je partage cette attente, Monseigneur, et jusqu'à ce qu'elle soit remplie je me vois restreint à vous faire le simple récit des événements du jour.

Le roi a accordé le titre de comte à MM. de Bulow et de Wolfradt, ministres d'État; à M. de Lepel, son premier écuyer d'honneur, le même qui l'avait accompagné à Paris, et à M. de Pappenheim, son premier chambellan. MM. de Leist, conseiller d'État et directeur de l'instruction publique, de Coninx, conseiller d'État et directeur des domaines, et Marinville, secrétaire intime du cabinet, ont obtenu le titre de baron.

Le roi s'est chargé de transmettre à Sa Majesté impériale la lettre par laquelle M. le général Eblé lui demande son agrément pour donner sa démission de la place de ministre de la guerre. Il paraît que M. le général d'Albignac, grand écuyer, sera chargé, par intérim, du portefeuille.

Le général de Bernterode, malade depuis longtemps, et dont la maladie avait empiré dans ces derniers temps, a été forcé de demander un congé de quelques mois pour se rendre en France, et pour tâcher de rétablir sa santé. C'est M. le général de Launay, gendre de M. Siméon, qui le remplace par intérim dans ses fonctions.

C'est aussi par intérim que M. le général Morio est chargé des fonctions de grand maréchal. Il occupe un appartement dans le palais.

Reinhard à Cadore.

Cassel, le 24 janvier 1810.

M. le comte de Furstenstein est arrivé samedi dernier. Il a paru le lendemain au bal masqué de la cour. C'est là, et hier, chez le ministre de Russie, que j'ai eu l'honneur de le rencontrer. Chez moi il a fait sa visite par cartes, et je ne l'ai point trouvé lorsque je suis allé la lui rendre en personne. Il en résulte que je ne sais pas un mot de ce que M. de Furstenstein a pu porter de Paris. Il est vrai que les lieux où nous nous sommes rencontrés, n'étaient guère favorables à une conversation d'affaires, mais ce ministre, très poli d'ailleurs et très aimable avec moi, ne paraissait avoir nulle envie d'entretenir une pareille conversation.

Il est possible que le roi ait ordonné de garder le secret des arrangements convenus jusqu'au jour de l'ouverture des États. Ce jour, avant le retour de M. de. Furstenstein, avait été fixé au 28, dimanche prochain, et les membres des États l'attendent avec impatience. Sur cent membres, soixante-seize seront présents à la session. Treize étaient morts dans l'intervalle; les autres sont absents par congé ou pour cause de maladie. Les membres des comités ont déjà été élus, et depuis huit jours ils sont entrés en communication avec les ministres pour préparer le travail.

M. Pichon[126] est arrivé quelques jours avant M. de Furstenstein. M. de Norvins[127] aussi est revenu.

Pour ne rien laisser en arrière sur cet objet, je dirai que dans la conversation que Sa Majesté eut avec moi au mois de mars dernier, et dont je rendis compte à Votre Excellence, le roi, parmi ses autres griefs contre M. le comte Jollivet, me cita celui d'avoir refusé de dîner à la table de son grand maréchal, et d'avoir dit qu'il n'était point fait pour cela. Le roi m'assura que ce refus avait été porté à la connaissance de Votre Excellence, et que vous l'aviez désapprouvé; qu'ensuite M. Jollivet avait sollicité comme une grâce d'être admis à la table du grand maréchal.

Reinhard à Cadore.

Cassel, 30 janvier 1810.

L'ouverture des États du royaume a eu lieu avant-hier. La cérémonie a été belle et imposante. Le roi a prononcé le discours du trône lentement, avec précision et noblesse. Les auditeurs n'en ont pas perdu une seule parole.

Le discours dont j'ai l'honneur de vous adresser un exemplaire est, comme me l'assure M. le comte de Furstenstein, entièrement l'ouvrage du roi, à quelques changements près relatifs seulement au style et au poli des phrases. Il est certain du moins que ni M. Siméon, ni aucun autre ministre, ne l'a rédigé, et ceux qui en attribuent la rédaction à M. de Bruyère assurent que le paragraphe où le roi parle de la distinction qu'on voudrait faire entre sa personne et entre la France lui appartient exclusivement.

La manière dont le roi parle de ses relations avec son auguste frère agrandit le roi lui-même et montre sous le jour le plus vrai et le plus beau les intérêts de sa personne et ceux de sa politique. J'ajouterai qu'on m'a assuré que ce que Sa Majesté professe ici solennellement devant tout son peuple est une maxime que, depuis son retour de Paris, on lui a entendu répéter souvent dans ses conversations et pendant le travail de son cabinet.

M. le comte de Furstenstein m'a dit que conformément aux intentions de Sa Majesté Impériale la réunion du pays de Hanovre à la Westphalie ne serait point encore annoncée au public. Il m'a dit aussi que la dette contractée pour l'entretien des troupes westphaliennes en Espagne était comprise dans les arrangements conclus à Paris. Néanmoins je n'ai pas manqué de lui adresser copie de la lettre par laquelle Votre Excellence m'informe que cette dette monte aujourd'hui à la somme de 581,043 fr. 66 c.

Reinhard à Cadore.

Cassel, 2 février 1810.

Le discours du roi a déjoué l'attente générale, en ce qu'il n'a point annoncé littéralement les arrangements conclus à Paris. Comme on était généralement persuadé que le retard de l'ouverture des États était causé par le retard du retour du ministre des relations extérieures, on en a inféré que le roi lui-même avait espéré de pouvoir faire connaître à cette époque des détails qui intéressent tout le royaume; et comme on croit être certain de la réunion du pays de Hanovre à la Westphalie, on se persuadera que ce silence provisoire pourrait avoir rapport avec des négociations entamées avec l'Angleterre.

Le roi est revenu de ce voyage avec une certaine fraîcheur de bonté et de contentement. Son temps est partagé, comme par le passé, entre le travail et les plaisirs. Dernièrement, il fut question, au Conseil d'État, des embarras que causait le système adopté pour les corvées. Le roi déclara qu'il en apercevait bien les véritables causes; que c'était l'intérêt des propriétaires qui était parvenu à laisser incomplètes et à rendre vagues les dispositions de la loi; que de là naissait une multitude de procès et que le but qu'on s'était proposé était manqué. Il ajouta que le devoir d'un roi était de considérer les masses et non les individus et qu'il veillerait à ce qu'à l'avenir ses intentions fussent mieux remplies. Le roi avait raison.

Les spectacles, les promenades à Napoléons-Hœhe et à Schönfeld, petite campagne achetée il y a quelque temps du banquier Jordis; les bals, les bals masqués surtout, auxquels le roi et la reine prennent également plaisir, remplissent les soirées de Leurs Majestés. La reine a eu, dit-on, récemment un double chagrin: elle désirait qu'on payât ses dettes, ce qui n'a point été accordé. Elle voulait, le jour de l'ouverture des États, paraître sur le trône avec le roi, qui lui fit l'observation que dans une cérémonie de cette nature cela ne serait pas conforme à l'usage. Elle fut placée sur un fauteuil en face du trône. Dans ses apparitions publiques, un certain embarras, que les uns prennent pour de l'orgueil et que ceux qui connaissent mieux Sa Majesté n'attribuent qu'à la timidité, n'a point encore quitté la reine. Dans les petites réunions, elle se montre charmante, pleine d'esprit et d'amabilité.

Le roi montre une grande satisfaction de la réunion du pays de Hanovre. Quelques-uns de ses conseillers pensent que les avantages et les charges de cet agrandissement se compenseront peut-être pendant longtemps encore; ils craignent la masse des dettes dont le pays est accablé, la misère dont les sources pourront être taries difficilement pendant la durée de la guerre, la diminution des revenus par la séparation des domaines, peut-être aussi la nécessité de partager les emplois avec les survenants hanovriens. Quelques-uns ont pensé que pendant un certain temps il faudrait donner au Hanovre une administration séparée.

Il parait être question de le séparer en quatre départements; d'autres prétendent qu'il serait avantageux de ne le diviser qu'en deux. Quoi qu'il en soit, une accession de territoire qui étendra le royaume de Westphalie jusqu'à la mer, entre deux rivières navigables, une population de 600,000 âmes de plus, une jeunesse propre au service militaire et laissée en réserve depuis plusieurs années: voilà certainement des avantages suffisants pour faire considérer désormais la Westphalie comme une puissance.

M. le général Éblé a remis hier au général d'Albignac sa signature du ministère. Le roi lui avait exprimé le désir de le conserver jusqu'à ce que toutes les dispositions concernant les troupes françaises dont l'arrivée est attendue fussent prises. Il a cédé à la représentation que lui fit le général Éblé qu'il vaudrait peut-être mieux les accoutumer d'emblée à la signature du chef qui doit le remplacer. Cependant le général d'Albignac ne paraît pas être destiné à le remplacer définitivement, et les amis même de ce dernier qui lui ont conseillé d'accepter le portefeuille par intérim comme une distinction honorable, pensent que ses forces et son caractère naturellement fougueux pourraient ne pas suffire à soutenir longtemps un pareil fardeau. Aussi le décret royal dit-il seulement que le général d'Albignac aura la signature en l'absence du ministre, dont la démission définitive reste subordonnée à l'agrément de Sa Majesté Impériale qu'il se propose d'aller solliciter en personne. Il n'y a qu'une voix sur le compte du général Éblé et sur la perte peut-être irréparable que ferait en le perdant la Westphalie. Cette opinion, le roi la lui a exprimée lui-même, et ce ministre m'a témoigné encore hier combien il en était touché, mais il en revient toujours à son refrain qu'il ne lui est pas possible de servir deux maîtres.

Depuis le retour du roi, on croit remarquer dans M. Siméon un chagrin mal caché qu'on attribue généralement à ce qu'il avait véritablement espéré de recevoir dans cette circonstance quelque témoignage de la bienveillance de Sa Majesté Impériale. J'ignore s'il s'en est ouvert à quelqu'un. Pour moi déjà, depuis quelque temps, il a fallu me résigner à le trouver plus réservé, et j'ai pensé que ce pouvait être en partie parce que depuis la restriction des fonctions de M. Bercagny il se regardait un peu comme ministre de la police. Depuis que son fils et son gendre se trouvent placés au service de Westphalie, il doit se regarder comme y étant attaché lui-même par des liens plus étroits, et quelques personnes pensent qu'il pourrait finir par s'y attacher tout à fait. Le roi continue à le traiter avec une grande distinction, sans peut-être avoir pour lui une très haute estime. Son caractère flexible, que d'autres appellent faible, une urbanité qui ne dépare point, mais qui fait trop ressortir ses cheveux gris, la diminution d'un ascendant qui plie sous la dépendance toujours croissante de sa situation peuvent en être la cause. Cependant, M. Siméon, qui de tous les Français est certainement celui qui a le mieux réussi en Westphalie, m'a toujours paru et me paraît encore, à cause de ses défauts mêmes, le plus propre à réussir. Sans connaître un mot de la langue, sans avoir rapproché en aucune manière ses idées et ses habitudes du génie allemand, le calme et l'équité de son caractère, sa manière de penser libérale, l'ensemble de ses lumières et de ses connaissances ont suffi pour lui donner, presque par instinct, ce discernement de ce qui convient ou ne convient pas dans les circonstances actuelles, ce tact du milieu à garder entre deux extrêmes, cette propension à maintenir l'équilibre parmi les passions, les opinions et les intérêts opposés qui le font chérir et respecter par tous, et surtout par les Allemands.

M. le comte de Bulow n'a point encore cessé d'être l'objet des soupçons et de la haine de la plupart des Français employés en Westphalie. M. de Bercagny, quoique simple préfet de police de Cassel, continue à travailler directement et fréquemment avec le roi. Depuis que dans les départements les commissaires de police ont été subordonnés aux préfets, la marche des affaires s'est évidemment simplifiée et est devenue plus aisée. On n'entend parler ni de désordres, ni de mauvaises dispositions. Il n'en paraît être resté quelques traces que dans ce malheureux département de la Werra. M. Delius, préfet d'Osnabruck, dont l'innocence a été pleinement reconnue, a été renvoyé à son poste.

M. le comte Jollivet annonce son départ pour le 1er avril. Depuis quelque temps, il se montre peu, et l'on se montre peu chez lui. Les dispositions du roi à son égard ne paraissent pas avoir changé. À la première audience, après le retour du roi, après que Sa Majesté m'eut dit un mot sur mon voyage de Hambourg, elle se tourna vers M. Jollivet: «Et vous, Monsieur, dit-elle, pendant ce temps-là, vous n'avez pas bougé!» On prétend, au reste, que l'affaire de l'huissier surpris en fouillant les papiers du roi a été éclaircie, et que ce n'est plus M. Jollivet qui est soupçonné, mais M. Bercagny. Il m'a toujours paru qu'il ne pouvait pas y avoir la moindre raison de soupçonner M. Jollivet[128]

Bulletin.

12 février 1810.

Depuis le retour du roi, il y a eu deux bals parés et deux bals masqués à la cour, et un bal masqué chez M. le comte de Furstenstein. Celui d'hier, qui s'est donné au palais, a été extrêmement brillant. On avait répandu à tort qu'on n'y serait point admis en domino; mais ce bruit s'étant accrédité, on a vu paraître d'autant plus de masques de caractère. La cour a paru d'abord en jeu de piquet, mascarade plus savante que spirituelle; mais bientôt de ce pêle-mêle fantasque sortit une belle ordonnance de rivières et de villes dansantes. Le roi de Trèfle se changea en rivière du Weser, et les villes d'Hameln et de Hanovre vinrent fraterniser avec celles de Brunswick et de Magdebourg. Une élite de dames de la cour, changeant de masque une troisième fois, reparurent en Égyptiennes pour former un quadrille avec le roi. Dans la foule, des chevaliers teutoniques étaient en templiers, Mme Dumas en jardinière, M. Hugot en paysan, M. de Bercagny en innocent; les membres des États en dominos modestes formaient une espèce de parterre. Le jour de l'ouverture des États et de la représentation de Revanche(?), le roi se retira du bal vers minuit et alla passer la nuit à Schœnfeld[129]. On n'a pas remarqué qu'une dame de la cour se fût absentée. Hier matin, le roi a paru au cercle de la cour dans le costume de l'ordre de la couronne de Westphalie. C'est un habit français de couleur grise qui fait ressortir la couleur du ruban de l'ordre, avec des brandebourgs et des broderies en argent. Les décorations ne sont toujours pas encore arrivées de Paris. Un chapitre de l'ordre est annoncé pour le 15. Au bal masqué que donna M. de Furstenstein, M. Mollerus, chargé d'affaires de Hollande, affecta de se faire passer pour le roi, et il y réussit assez. M. de Norvins, tout fier d'être pris sous le bras par Sa Majesté, se croyait déjà sûr pour le lendemain d'une place de ministre plénipotentiaire. On dit que le roi a trouvé la conduite de M. Mollerus impertinente. Pour M. de Norvins, il n'est pas même sur la liste des chevaliers de l'ordre.....

Le ministre de Russie avec sa famille est parti aujourd'hui pour Weimar où l'on célébrera dans quelques jours la naissance de la Grande-Duchesse. Son absence sera de quinze jours. Le public de Cassel, toujours bénévole, répandait, dès avant son départ, qu'il partait en vertu d'une déclaration de guerre entre la France et la Russie. M. de Rechberg, chargé d'affaires de Bavière à Berlin, nommé ministre plénipotentiaire en Westphalie, est attendu ici d'un jour à l'autre.

Le prince Repnin donnait chez lui des assemblées deux fois par semaine. Elles languissaient d'autant plus, que presque jamais on n'y voyait paraître les dames de la cour. À cet égard, le prince Repnin paraît avoir hérité du guignon de M. Lerchenfeld, et Sa Majesté se plaît quelquefois à faire éprouver de pareilles contrariétés. Dernièrement, ce fut le tour du ministre de France, qui avait invité les ministres et plusieurs membres des États à un dîner donné à l'occasion du retour du comte de Furstenstein. À cinq heures, M. de Furstenstein et M. Siméon envoyèrent dire que le roi les avait nommés pour aller dîner avec lui à Schœnfeld.

Depuis le commencement de cette année s'est établi à Cassel un casino où l'on se réunit pour la lecture de feuilles politiques et littéraires de France et d'Allemagne. Toute la ville de Cassel y a pris part. C'est le premier établissement de ce genre formé dans cette capitale qui, sous le rapport de la civilisation littéraire, si l'on peut s'exprimer ainsi, ne paraît pas appartenir au nord de l'Allemagne.

Bulletin.

23 février.

Le bal masqué chez M. Siméon a surpassé les autres en élégance. La cour y a paru en double mascarade, d'abord en Mariage de Figaro, et après le souper en Caravane du Caire. Le roi, en costume de Figaro, a dansé, au son des castagnettes, une danse espagnole avec Mme de Boucheporn[130] et distribuait des fleurs. Le général Hammerstein et la comtesse de Bochholz (ornée des diamants de la reine) représentaient le comte et la comtesse Almaviva. Mme Delaunay[131] a reçu du roi, dans cette occasion, un beau collier de diamants: elle est heureuse de sa grossesse et de l'arrivée de son mari.

Dimanche prochain, nouveau bal masqué chez M. le comte de Bochholz. Les membres des États, gravement assis, en dominos, ont l'air de dresser actes de toutes ces merveilles pour en faire le récit après le retour dans leurs foyers. (Prælia conjugibus loquenda.)

Dans le premier bal paré de la cour, qui eut lieu après le retour du roi, on avait envoyé des billets d'invitation à quelques dames de la ville, de réputation un peu équivoque. Le roi s'étant fait présenter la liste ne voulut point qu'elles fussent admises. Il resta inexorable, et les chambellans furent obligés d'avertir les dames en question qu'il y avait une méprise dans l'envoi des billets. Mme Delaunay, dans ses invitations, a été moins scrupuleuse.

Un des frères de M. de Furstenstein, arrivé d'Amérique dans l'été dernier, est reparti pour Amsterdam où il doit se rembarquer. Un autre frère, qui est chambellan du roi, l'a accompagné. On suppose que ce voyage de M. Lecamus concerne les anciennes relations du roi avec Mlle Paterson[132].

On parle d'un prochain voyage du roi pour Paris à l'occasion du mariage de Sa Majesté l'Empereur. On prétend même que le jour en est fixé au 18 mars.

Bulletin.

9 mars 1810.

Le mercredi des Cendres a commencé par un déjeuner splendide à la cour, lequel a terminé à six heures du matin le bal masqué qui a fait la clôture du carnaval. En remontant, il faudrait rendre compte d'un bal masqué chez M. de Pappenheim, qui n'a pas eu lieu, parce que la reine était incommodée; d'un bal masqué et paré chez M. le général d'Albignac; d'un bal chez le ministre de Russie; d'un bal masqué chez M. le comte de Bochholz. Il faudrait faire l'éloge d'un quadrille chinois, d'un ballet des quatre parties du monde; d'un superbe ballet, les Noces de Gamache, dans lesquels le roi et la reine ont figuré. Il faudrait montrer la reine en vieille juive, en sauvage américaine, en paysanne de la Forêt-Noire; le roi changeant de dominos et de masques en véritable caméléon; les plus belles dames de la cour déguisant leurs attraits sous l'accoutrement de vieilles laides. Il faudrait faire mention de l'appétit merveilleux des masques du Mardi-Gras et de la fureur avec laquelle ils ont dévasté les buffets royaux; et en se réjouissant avec les marchands qui ont vendu jusqu'à leurs fonds de boutique, il faudrait gémir en même temps avec ceux qui, faisant leurs comptes en Carême, s'aperçoivent avec effroi de ce que leur a coûté le carnaval.

Reinhard à Cadore.

Cassel, 12 mars 1810.

La députation hanovrienne ne sera présentée que demain. Tous ceux qui la composent, et qu'on dit être au nombre de soixante, ne sont pas encore arrivés. En conséquence, le roi ne partira qu'après-demain.

Aujourd'hui s'est faite par M. de Leist, et au nom du roi, la clôture de la session des États. Le Code de procédure a été la dernière loi qui leur a été proposée.

Le cortège qui, cette fois, suivra Leurs Majestés à Paris est très nombreux et très brillant. La reine n'avait emmené que Mmes de Bochholz et de Lœwenstein; hier sont parties Mmes de Keudelstein, Morio et de Pappenheim; aujourd'hui Mme de Boucheporn. M. de Marinville et le comte de Meerveldt ont déjà précédé le roi.

Hier a eu lieu la distribution de l'ordre de Westphalie. Tout s'est passé conformément au programme imprimé dans le Moniteur Westphalien. Le roi a prononcé un petit discours plein de convenance et de dignité. Celui de M. le comte de Furstenstein sera probablement imprimé, et j'aurai l'honneur, Monseigneur, de vous l'envoyer. Plus de cent chevaliers ont reçu la croix et prêté le serment à genoux devant l'Évangile qui, à la vérité, n'était qu'un missel catholique. C'était peut-être une supercherie de la part de Mgr l'évêque de Wend, mais les protestants (et le plus grand nombre des chevaliers était de cette confession) ne s'en sont pas formalisés.

Dans une autre lettre au même personnage, du 28 avril, Reinhard parle des abus commis par des officiers de la cour:

Il existe ici, outre le beau parc de Napoléons-Hœhe, un parc plus près de la ville qui, de tout temps, a été ouvert au public. Que la reine ait fait entourer de barrières une partie de celui de Napoléons-Hœhe et qu'elle l'ait réservé pour ses promenades particulières, rien de plus naturel, et personne n'y a trouvé à redire. Mais le parc, qui est au bas de la ville, est devenu presque tout à fait inaccessible au public. Depuis quelque temps, les voitures en sont totalement exclues; en été, il n'est ouvert que pendant les heures les plus chaudes de la journée, et même alors tous les sentiers en sont interdits. C'est que M. le grand veneur veut protéger les couvées de perdrix.

Un lièvre ne peut-il plus arriver au marché que muni d'un certificat d'origine? C'est que M. le grand veneur veut procurer au roi quelques écus de revenu sur les produits de la chasse.

À quatre lieues de Cassel sont les bains d'Hof-Geismar, appartenant au roi, assez fréquentés autrefois, et qui les jours de dimanche et de fête servaient de lieu d'amusement à toute la population à la ronde. Il y avait deux chambres de bain à bassins: c'étaient les deux plus agréables; mais l'une d'elles a été couverte de planches parce que M. l'intendant de la maison voulait y placer l'argenterie dont il n'y existe pas encore une seule pièce. Un restaurateur à privilège exclusif est allé s'y établir l'année dernière: il a rançonné cruellement tous les étrangers. Après avoir fait déserter tout le monde, il a fini par faire banqueroute. Son successeur, déjà banqueroutier, rançonnera, fera déserter et finira de même. C'est que M. l'intendant de la maison veut avoir la gloire d'en tirer un gros bail, sans compter peut-être le pot de vin. Une troupe française et une troupe allemande jouaient alternativement dans la même salle. La troupe allemande ne laissait pas de faire des recettes, lorsque la troupe française allait jouer à Napoléons-Hœhe. La troupe allemande a été renvoyée. Il n'y a plus de bonne musique, mais il y a un mauvais ballet. Le parterre est désert et le public est mécontent, mais toutes ces loges ont été prises par abonnement, parce que le roi l'a désiré. On dit que le roi y dépense 400,000 francs et qu'ils ne couvrent pas les frais. Mais M. de Bruyère, directeur du spectacle, avait trouvé que les Allemands, mauvais observateurs des règles de l'unité, changeaient trop souvent de décorations.

La raideur des habitants de Cassel, leur peu d'empressement à construire des maisons et leur avidité à hausser le prix des loyers avaient déplu au roi. Pour les en punir, sur le conseil de M. le général d'Albignac, on y a mis en garnison deux régiments, outre la garde, qui est déjà assez nombreuse. Il en résulte que les habitants sont écrasés et que les loyers ont renchéri. Cependant on a exempté d'imposition et de logement de gens de guerre les maisons nouvelles qui seraient bâties, et il est question de renvoyer les régiments.

Les foires sont un élément assez important du commerce d'Allemagne. Les époques où elles ont lieu dans les différentes villes sont combinées. De Brunswick, les marchands vont à Cassel, de Cassel à Francfort, de Francfort à Leipzig. Malgré l'absence de la cour, la dernière foire de Cassel a été assez fréquentée et les marchands n'ont pas été mécontents de leurs ventes. Mais ces marchands, malgré le débit qu'ils ont trouvé, jurent de n'y point revenir. C'est que tous leurs profits sont absorbés par les impôts, mis d'abord pour le roi, ensuite pour la ville, enfin et surtout pour M. de Bercagny.

M. de Bercagny ne néglige aucun petit profit. Tous les joueurs de vielle, les aveugles, joueurs de violon sont obligés de lui payer quatre sols par jour, et la musique des rues ne désempare pas. Les meneurs d'ours et de singes sont de plus assujettis au droit de patentes. Il y a eu dernièrement au conseil d'État une grave discussion de plusieurs heures sur tous ces objets d'industrie.

Un misérable pamphlet sur le duc d'Œls, écrit en style de gargotte, est colporté par une vieille femme à Brunswick. Le général Bongars en fait une conspiration: il en importune le roi jusque dans Paris et provoque toute sa sévérité. Il arrache à la faiblesse de M. Siméon un projet de décret sur les cartes de sûreté.

Il s'agit de donner de la considération aux gendarmes. Un gendarme abuse de son pouvoir à Gœttingue: on lui sacrifie l'Université, et quatre cents étudiants étrangers la quittent. Cependant, il y a peu de jours, un gendarme passa la mesure à Marbourg. Il perce de son sabre un conscrit qui fumait et qui n'avait pas obéi assez vite au commandement d'ôter sa pipe. Il paraît qu'on a l'intention de faire fusiller le meurtrier, mais il y a conflit de juridiction, et l'on ne sait pas encore qui l'emportera de M. Siméon ou de M. le général d'Albignac. On m'a dit que M. Siméon avait adressé dernièrement au roi un rapport très véhément contre MM. d'Albignac et Bongars. C'est peut-être un malheur que M. Siméon ait perdu beaucoup de sa considération. Il paraît que son influence se trouvera à peu près circonscrite dans les fonctions de son ministère.

Le roi a écarté M. de Marinville de son cabinet. On dit qu'il a trouvé des infidélités à lui reprocher. M. de Norvins a demandé et obtenu son congé. C'est un homme d'esprit et de talent, mais d'une vanité et d'une prétention excessives. On assure que dans cette occasion le roi a énoncé une maxime qui me paraîtrait très dangereuse. Il ne veut, dit-on, avancer que des Français qui, ne tenant plus à la France par aucun lien, lui soient entièrement attachés et ne puissent attendre leur fortune que de sa protection. Ce serait vouloir n'attirer en Westphalie que des aventuriers, et nous n'en manquerons point; c'est la maxime contraire qu'il serait à désirer que le roi suivit.

Ceux qui sont revenus de Paris, et quelques autres dont on annonce le retour prochain, ne paraissent pas avoir été satisfaits de leur voyage. On cite quelques mots de Sa Majesté Impériale sur le luxe des habits, sur la rapidité des avancements. Ces mots ont retenti à Cassel. Qui les aurait dits ici aurait été accusé de mécontentement ou d'envie. Cependant, tous les Allemands aiment M. Siméon, tous les Allemands regrettent amèrement la perte du général Éblé. Qu'ils voient à côté du roi des Français dignes de l'estime et de la confiance, et capables de quelque indulgence pour les habitudes nationales, et ils les porteront aux nues.

Je n'ai point encore parlé à Votre Excellence de M. Pichon. Il s'occupe beaucoup de l'étude des finances du pays: il énonce quelquefois au conseil d'État des idées saines et qui porteront fruit. Mais il ne doit pas trop se presser; il a le désir du bien, mais il est jeune, il est vif, quelquefois tranchant, et il manque encore d'expérience.

On voit par le tableau tracé dans cette lettre que l'Empereur était parfaitement au courant de ce qui se passait en Westphalie à tous les points de vue. Le bulletin suivant du 19 mai 1810 est relatif aux intrigues du trop célèbre marquis de Maubreuil avec la baronne de Keudelstein.

Avant-hier, la poste de Cassel a distribué des lettres qu'on dit au nombre de seize, timbrées de Paris et renfermant une Épître à Blanche. Parmi les personnes qui ont reçu cet envoi se trouvent le préfet de la police, Mme la comtesse de Furstenstein, le ministre de France et son secrétaire de légation, Mme la comtesse de Schœnbourg, amie de Blanche, enfin Blanche elle-même et son mari, M. Laflèche, baron de Keudelstein, qui, heureusement, se trouvait en voyage.

Il est inutile de caractériser cette production qui se trouve jointe à ce bulletin. Elle est calomnieuse en toute hypothèse et elle ne peut inspirer que de l'indignation.

Quant à l'auteur de ces envois, les soupçons ne peuvent se porter que sur un M. de Maubreuil, amant de Blanche ou de Jenny, sa belle-sœur, ou de toutes les deux. On prétend que l'auteur des envois ne peut être celui des vers, puisque M. de Maubreuil n'en fait point. On soupçonne un M. de Boynest, aide des cérémonies renvoyé par le roi; mais on dit que s'il fait des vers il en fait de plus mauvais que ceux de l'épître. On se souvient que M. de Norvins en fait d'assez bons; mais on le croit trop homme de bien pour prostituer son talent dans une pareille circonstance. «L'indigne amant de ta sœur,» c'est M. de Courbon. Pendant le carnaval passé, dans un des bals de la cour, lorsque tout le monde se fut à peu près déjà retiré, M. de Maubreuil, qui était alors officier aux gardes, fit une scène publique à M. de Courbon, en lui reprochant sa liaison avec Mme Jenny Laflèche. Son emportement ayant passé toutes les bornes de la décence, le colonel Laville, chargé de la police du palais, le mit aux arrêts; le duel qui devait s'ensuivre fut empêché par ordre supérieur, et M. de Maubreuil reçut pour voyager un congé indéfini, équivalant à une démission. On prétend que ce M. de Maubreuil qui, d'ailleurs, ne manque pas de courage, est un terrible amant, et qu'il avait pour coutume de s'introduire le sabre en main chez quiconque osait adresser la parole aux dames qui étaient ou qu'il lui prenait fantaisie de déclarer ses maîtresses.

Le prince Repnin avait fait venir de Iéna le docteur Starke, pour accoucher sa femme. En arrivant, il trouva d'abord à accoucher Mlle Delaitre, actrice du théâtre westphalien. Il se trouva ensuite pressé de partir pour accoucher Mlle Jægermann, actrice du théâtre de Weimar. On prétend que les deux petits princes des deux actrices sont d'une plus noble extraction que le petit prince russe.

Mme Blanche ne sort point depuis qu'elle est revenue de Paris. Elle avait annoncé qu'elle resterait chez elle pendant deux mois. Et c'était avant la lettre!

Dans une autre lettre au duc de Cadore, du 26 mai, Reinhard revient sur la pénurie des finances westphaliennes. «La dette publique de la Westphalie, écrit-il, sans y comprendre celle du Hanovre, monte, telle qu'elle est à peu près constatée, à 93 millions; celle du Hanovre, les répétitions à faire au nom de S. M. l'Empereur, la feront monter à 180 au moins; et, le Hanovre compris, les revenus du royaume de Westphalie ne pourront jamais être portés beaucoup au delà de 40 millions.» Et il ajoute:

Sans parler de ce que, dans les circonstances actuelles, tant de sources de profits et de revenus sont obstruées, l'État, toujours pressé par des besoins impérieux, ne peut rien faire pour soulager ceux qu'il voit dans la détresse; il est même obligé de revenir sur des soulagements qu'il avait annoncés, et toute sa ressource est dans les efforts qu'il fait pour répartir également le fardeau. C'est ainsi qu'après avoir reconnu qu'il valait infiniment mieux payer par abonnement les frais de table des officiers; après avoir assigné 1,200 francs par mois au général de division, 700 au général de brigade, 60 au capitaine et 50 au lieutenant, on a réparti sur la totalité du département de l'Elbe des dépenses qui, pour la seule ville de Magdebourg où trois cents maisons restent désertes, montent par mois à 22,000 francs. On sera obligé d'employer le même expédient à Brunswick, où le préfet a déclaré que les frais de logement et d'entretien des gens de guerre amèneraient l'impossibilité absolue de payer les impôts ordinaires. C'est ainsi qu'après un décret royal qui proclame une amnistie pour les conscrits réfractaires dont le nombre avait été très grand pendant les troubles de l'année passée, le général d'Albignac, annonçant aujourd'hui que cette amnistie s'applique aux peines et ne s'étend pas aux amendes, exige de ceux mêmes qui sont rentrés sous les drapeaux ces amendes qui, pour les seuls districts de la Fulde et de Paderborn, montent à la somme de 323,000 francs. Encore ces amendes sont-elles exigées d'après l'ancien tarif qui en fixait le minimum à 250 francs, tandis que le nouveau tarif l'a fixé à 100, après qu'on eût reconnu l'impossibilité de faire payer une plus forte somme à des paysans pauvres et ruinés.

Reinhard termine cette lettre en rappelant les éloges que certaines feuilles publiques «et surtout les gazettes littéraires de Gœttingue et de Halle très répandues en Allemagne» donnaient au roi pour tout le bien qu'il avait fait à ces universités:

Leist me disait dernièrement: «C'est par l'université de Gœttingue et par l'éclat qu'ils lui ont donné, que Georges II et son ministre, M. de Münchhausen, ont acquis l'estime dont ils jouissaient auprès de leurs contemporains et qui a été transmise à la postérité.» Pour ce qui concerne M. de Münchhausen, l'établissement de l'université de Gœttingue faisait l'occupation de sa vie entière; pour Georges II, les contemporains et la postérité l'ont sans doute jugé d'après d'autres données encore; mais il n'en est pas moins vrai que ce que le Roi a fait pour Gœttingue remplit une des pages les plus honorables et les plus ineffaçables de son histoire.

Une lettre au duc de Cadore du 4 juin donne des détails sur la répugnance des Hanovriens à fournir des soldats au roi de Westphalie. Reinhard pense qu'il «faudra user de quelques précautions pour amener à se soumettre une population qui s'obstine à ne point renoncer à l'espérance de rentrer sous la domination anglaise.» Il annonce, d'après le no 66 du Moniteur Westphalien, une nouvelle vente de 6 couvents dont la valeur était estimée à 2,200,000 francs. «Après les couvents viendra le tour des chapitres; en attendant, ce sont les capitaux qui s'en vont, et la caisse des économats restera bientôt à sec.»

Le 12 juin, il revient sur cette grave question des finances westphaliennes:

Un décret royal daté de Rouen[133] met à la disposition du ministre des finances une somme de 250,000 fr. à prendre sur le produit de la vente prochaine des couvents et à négocier en attendant à un demi pour cent par mois et à un pour cent de commission pour servir à l'indemnité des donataires impériaux dépossédés auxquels s'applique l'article 5 du traité du 14 janvier. L'emploi de cette somme ne peut avoir pour objet que de leur payer les revenus arriérés; et cette disposition ne saurait être regardée comme un arrangement définitif. Du reste, M. de Bulow exprime dans ses dernières lettres son regret extrême d'avoir échoué dans l'ensemble de son projet concernant l'acquisition des domaines impériaux. Mais il lui reste toujours la ressource d'allécher les grands donataires par sa fidélité à s'acquitter de ses engagements envers ceux de 4,000 fr. et au-dessous; et, sous ce rapport, le refus de céder à la Westphalie la totalité des domaines me paraît être un bienfait pour les possesseurs des petites donations.

Le lendemain, il revenait sur le même sujet:

Je viens de recevoir la visite de M. Malchus et je lui fais une amende honorable. Nous avons causé longtemps ensemble et j'en ai été fort content.

Il m'a d'abord donné des éclaircissements satisfaisants sur tous les objets de réclamation relatifs à son administration. Le solde de ce qui nous revenait sur les postes et sur les douanes a été entièrement réglé et acquitté, sans même que l'administration française ait eu besoin de faire usage de la lettre que je lui avais écrite. Il m'a expliqué ce qui pouvait avoir donné lieu aux prétentions des fermiers dont parlait votre lettre du 8 mai. Pour les charges extraordinaires de guerre les fermiers avaient été imposés à un tiers et les propriétaires à deux tiers. Après la prise de possession du Hanovre le gouvernement westphalien déchargea les domaines et laissa à la charge des fermiers le tiers, comme un impôt personnel qui ne peut ni ne doit être à celle des donataires. Quant aux fonds destinés à l'entretien des troupes françaises, cet objet aussi, d'après l'attestation même de M. le général Brugères, paraît, pour le moment, entièrement en règle.

M. Malchus m'a entretenu de l'état du pays et de l'esprit de ses habitants. Il croit entrevoir encore des ressources qui ne permettent pas de désespérer de son rétablissement. L'esprit de la noblesse et des classes qui tenaient immédiatement à elle par un intérêt commun lui paraît incorrigible; en effet ce sont des souverains détrônés.

De deux projets de division territoriale que M. Malchus avait envoyés au Roi, S. M. a approuvé celui que M. Malchus préférait lui-même, et il croit que cette approbation a été donnée sous les auspices de S. M. Imp. On a essayé de lever par enrôlement volontaire les deux régiments de cavalerie que M. le général Hammerstein est chargé d'organiser dans le Hanovre; mais on doute que ce mode réussisse; et il faudra plus tard avoir recours à la conscription.

La lettre suivante, du 9 juillet, est relative à l'abdication du roi Louis de Hollande:

La nouvelle de l'abdication de Sa Majesté le Roi de Hollande m'a été donnée par le ministre de Russie dont le collègue à Amsterdam avait chargé d'une lettre pour le Prince Repnin le courrier qu'il expédiait pour Saint-Pétersbourg. La veille, M. de Bercagny était venu m'en parler comme d'un bruit qui se répandait, et plutôt pour sonder la légation française, si elle en était déjà instruite, que pour lui communiquer franchement les circonstances de cet événement qui était déjà parvenu à sa connaissance.

En effet, M. de Gilsa, ministre de Westphalie en Hollande, avait envoyé M. de Trott, son secrétaire de légation, chargé de ses dépêches et porteur des proclamations qui ont été publiées dans cette circonstance. M. Hugot l'avait sur-le-champ envoyé au-devant du Roi; mais M. de Trott lui avait raconté le fait. J'ai été, je l'avoue, peiné de cette réserve mal entendue qui m'exposait à apprendre un événement de cette nature par le canal du ministre de Russie qui, au reste, lui-même ne paraît l'avoir appris que par quelques lignes écrites à la hâte et ne renfermant aucun détail.

Il paraît que Sa Majesté Westphalienne avait fait préparer, il y a déjà quelque temps, un appartement aux bains de Neudorf, pour le Roi de Hollande. Quoiqu'on soit convaincu ici que le projet de se rendre aux bains de Neudorf n'avait rien de commun avec la résolution que Sa Majesté Hollandaise a prise depuis, on croit cependant à la possibilité de son exécution. On parle d'une visite que Madame mère se propose de faire à son fils à Cassel. Les gens sensés voient avec douleur que des conseils maladroits ou perfides aient empêché le Roi de Hollande de concilier avec Sa Majesté Impériale le désir qu'il avait de faire le bien de son royaume; ils regardent comme un grande erreur de l'esprit la prétention de vouloir s'isoler dans une lutte générale; ils pensent que dans un vaste plan de campagne, chacun doit garder le poste qui lui est assigné; que s'écarter des idées directrices, c'est compromettre le succès de l'ensemble; et que le pouvoir qui méconnaîtrait sa source serait un effet qui ne voudrait pas dépendre de sa cause. M, de Trott inculpe les conseils de MM. Mollerus et Huygens. Ce dernier est un esprit étroit qui, se noyant dans de petits détails, est peu capable de s'élever à des idées générales. J'avoue que je le croyais peu susceptible de prédilection pour un système quelconque, et encore moins la présomption téméraire d'influer sur une détermination importante.

La lettre suivante, du 13 juillet, se rapporte au même objet:

Je venais d'achever ma dépêche que je me proposais de faire partir aujourd'hui par le courrier ordinaire, lorsque le Roi m'a envoyé M. le baron de Boucheporn, maréchal de sa cour, pour m'inviter à me rendre au nouveau bâtiment des écuries où je rencontrai Sa Majesté qui désirait de me parler. M. de Boucheporn revenait d'Amsterdam par Deventer et Osnabruck; il venait de descendre de voiture et de rendre compte au Roi de son voyage.

Sa Majesté, m'ayant aperçu, me fit l'honneur de m'appeler, et me permettant de l'accompagner dans sa promenade, me dit qu'Elle avait envoyé M. de Boucheporn d'Aix-la-Chapelle à Amsterdam, pour porter au Roi, son frère, une lettre contenant une commission que Sa Majesté l'Empereur lui avait donnée, et dont il était inutile de me parler, puisqu'Elle avait déjà envoyé la copie de cette lettre à Sa Majesté Impériale; que M. de Boucheporn avait trouvé le Roi parti, et qu'il était parti lui-même d'Amsterdam après le retour de M. le colonel Richerg que le Roi son frère avait envoyé à l'Empereur pour lui donner connaissance de son abdication; qu'en route il avait eu des nouvelles du voyage du Roi à Deventer et à Osnabruck, d'où il s'était rendu directement à Cassel, et que tous les renseignements qu'il avait recueillis semblaient indiquer que le Roi de Hollande s'était embarqué.

M. de Boucheporn a raconté à Sa Majesté les détails suivants: le Roi avait fait jusqu'à onze heures du soir une partie de jeu avec quelques dames, parmi lesquelles était madame de Huygens: en se levant il leur avait dit adieu avec une expression qui ne les a frappées qu'après l'événement. Après avoir embrassé son fils, il monta dans une voiture de place, pour se rendre à Amsterdam. Arrivé à son palais, il fit le triage de ses papiers; il en brûla beaucoup, il en emporta d'autres; il emporta aussi ses ordres, excepté celui de France, et il écrivit sa démission de la dignité de connétable. Personne (c'est du moins ce dont M. de Huygens a chargé M. de Boucheporn d'assurer Sa Majesté) n'avait été mis dans le secret. Le Roi doute même si M. Mollerus, qui est ici, a pu être instruit de quelque chose par son père.

À Osnabruck, la trace du voyage ultérieur semble se perdre. Le Roi a envoyé un courrier à Neudorf pour s'assurer positivement si son frère est arrivé; mais il lui paraît impossible que, si cela était, on eût ignoré à Cassel un fait qui ne pouvait plus être caché depuis que l'officier qui courait après avait publié que le comte de Saint-Leu, c'était le Roi de Hollande.

Sa Majesté ne m'a point dit sur quels renseignements se fonde la crainte où elle paraît être que son frère ne se soit embarqué. Lorsque M. Boucheporn passa par Osnabruck, on devait y savoir déjà, par le retour des postillons, si la direction que la voiture a prise la rapprochait ou l'éloignait des bords de la mer. Je dois ajouter que le Roi m'a nommé Batavia et qu'il a paru se rappeler que les pensées de son frère se portaient quelquefois vers cette colonie éloignée.

Voilà, Monseigneur, les notions que Sa Majesté m'a commandé de transmettre à Votre Excellence. Elle se propose d'adresser, demain ou après-demain, un courrier à Sa Majesté Imp. Ce courrier suivra de près le mien, et portera la confirmation entière de ce qui ne paraît déjà guère douteux, que Sa Majesté Hollandaise ne s'est point rendue à Neudorf.

En apprenant le départ du roi de Hollande et en recevant copie de la lettre que son frère Jérôme lui avait adressée, Napoléon écrivit à ce dernier le 13 juillet, de Rambouillet, la lettre suivante, omise aux Mémoires de Jérôme et à la Correspondance de l'Empereur:

Mon frère, j'ai reçu votre courrier. Je vous remercie des communications que vous me faites. Votre lettre au Roi de Hollande est fort, bien, et vous avez bien exprimé ma pensée. Je ne crains qu'une chose pour le Roi; c'est que tout cela ne le fasse passer pour fou, et il y a dans sa conduite une teinte de folie. Si vous apprenez où il s'est retiré, vous lui rendrez service de l'engager à revenir à Paris et à se retirer à Saint-Leu, en cessant de se rendre la risée de l'Europe. Entremettez-vous pour cela. On me fait entrevoir d'Amsterdam que le Roi pourrait se rendre en Amérique, et qu'il s'est procuré à cet effet un passeport par un officier qu'il aurait envoyé à Londres. S'il vous est possible de vous opposer à ce projet insensé, même par la force, faites-le. J'ai envoyé Lauriston prendre le grand duc de Berg à Amsterdam pour le ramener à Paris.

P. S. La famille avait besoin de beaucoup de sagesse et de bonne conduite. Tout cela ne donnera pas d'elle une bonne opinion en Europe. Heureusement que j'ai tout lieu de penser que l'Impératrice est grosse.

N'osant pas recevoir dans ses États le Roi Louis, sans en avoir reçu l'autorisation de Napoléon, Jérôme écrivit à ce dernier de Napoléonshœhe, le 28 juillet 1810:

Sire, j'ai reçu hier soir les premières nouvelles du roi de Hollande contenues dans deux lettres, l'une du 16 et l'autre du 21 juillet.

Dans la première, il me dit que non seulement son intention n'a pas été en abdiquant de se soustraire à l'autorité de Votre Majesté, mais au contraire qu'il désire savoir si vous lui permettez d'aller vivre en particulier à Saint-Leu. Je prie Votre Majesté de me faire connaître ses intentions afin que je puisse lui répondre à ce sujet.

Dans la seconde, il m'exprime le désir de vendre pour cinq cent mille francs de diamants qu'il possède, ce qui prouve qu'il est loin d'avoir emporté beaucoup d'argent. Comme il m'est impossible de disposer d'une pareille somme, je ne pourrai que lui répondre négativement.

Dans le cas où Votre Majesté trouverait convenable qu'il retournât à Saint-Leu, après la saison des eaux, approuvera-t-elle que je l'engagea passer par Cassel?

Je compte partir dans trois jours avec la reine pour Hanovre où j'espère recevoir la réponse de Votre Majesté.

Jérôme partit le 31 juillet de Cassel pour se rendre à Hanovre et visiter les nouvelles provinces annexées à son royaume. D'après une lettre de Reinhard, du 3 août, il paraît y avoir reçu un bon accueil. Il célébra la fête de l'empereur à Hanovre même, et le lendemain le roi écrivait à son frère:

Sire, je suis arrivé avant-hier à Hanovre de mon retour des côtes; le pays que j'ai parcouru est susceptible de grands accroissements sous le rapport du commerce; un canal pour joindre l'Elbe et le Weser pourra être commencé et fini dans trois années. La position de mes États me rend entièrement maître du commerce de ces deux fleuves, et l'Oste et la Gueste peuvent, avec quelques travaux, recevoir et abriter même pendant l'hiver des bâtiments de cinq cents tonneaux et des frégates. La position de Cuxhaven permet d'en faire un port très essentiel, surtout pendant l'hiver; il peut avec quelques dépenses offrir un refuge à une frégate, mais j'observe à Votre Majesté qu'il faut une année de travail.

J'ai passé en revue à Wenden les 2e et 9e de cuirassiers, à Lunebourg le 3e et à Hanovre le 12e. Il est impossible, Sire, de trouver une division mieux tenue pour les hommes ainsi que pour les chevaux. J'ai été reçu par ces braves gens avec enthousiasme. Je les ai fait manœuvrer.

J'ai également passé la revue d'une de mes brigades d'infanterie; elle était forte de 4,500 hommes. Ils se conduisent très bien et sont tous fiers de se trouver les compagnons des Français, avec lesquels ils vivent en frères. Le service, d'après le rapport du général Morand, se fait avec exactitude et aucun homme ne déserte.

Je ne puis assez supplier Votre Majesté de diminuer les troupes françaises. Je sais bien, Sire, qu'il est de toute justice que ces troupes soient dans mes États puisque c'est la teneur du traité, aussi ce n'est que comme une faveur que je fais cette demande à Votre Majesté, et surtout d'après l'état d'épuisement où je vois le pays.

Je prie Votre Majesté d'agréer avec bonté l'expression de mon tendre et inviolable attachement.

Les trois lettres suivantes, des 24, 28 et 30 septembre, mentionnent la démission du général d'Albignac, ministre de la guerre, qui venait, quelques mois auparavant, de remplacer le général Eblé. Cette démission, offerte avec l'espoir qu'elle serait refusée, fut acceptée sur-le-champ, et le général Salha nommé à la place d'Albignac. Reinhard trace le portrait suivant du nouveau ministre:

Cassel, le 30 septembre 1810.

Il me paraît certain que parmi les Français qui sont à son service en Westphalie, le Roi n'aurait pas pu faire un meilleur choix que celui de M. le général Salha. C'est un homme d'un jugement mûr et solide, d'un caractère ferme, et qui se distinguait à la cour par la dignité de sa conduite. Il y paraissait plus estimé qu'aimé, quoiqu'il porte dans sa physionomie et dans ses yeux quelque chose qui invite à l'attachement. Pour ce qui concerne ses talents administratifs, il faut l'attendre à l'épreuve. Il y a peu de temps qu'ayant fait l'acquisition de la terre de Hœne, le Roi lui accorda des lettres patentes de comte.

Le nouveau ministre de la guerre allait, comme tous ses prédécesseurs, se trouver en face d'une situation financière fort compromise. Le même jour, 2 octobre, Champagny écrivait à ce propos à Reinhard deux lettres fort pressantes; il réclamait surtout impérieusement le paiement de l'arriéré de solde dû aux troupes françaises que la Westphalie devait entretenir. Reinhard s'empressa d'aller trouver les ministres, et, dans une dépêche du 8 octobre, il rend compte au duc de Cadore de son entrevue avec eux:

Je leur ai dit que toute réponse autre que celle qui énoncerait les mesures prises pour acquitter sur-le-champ les sommes qui restent dues serait un non. Ils m'ont assuré que sur le budget de 747,000 francs par mois, pour l'entretien des troupes françaises, 600,000 francs avaient constamment été payés: qu'ainsi l'arriéré pour six mois n'allait pas à un million. Cependant il résulte du tableau ci-joint des dépenses faites pour le ministère de la guerre sous l'administration du général d'Albignac que pendant ces six mois, sur 5,231,044 francs qui auraient dû être payés, il n'a été payé que 3,617,409 francs. Ce qui laisserait un déficit de 1,613,687 francs.

Votre Excellence me rend la justice de croire que je n'ai rien négligé pour obtenir que cet objet fût mis entièrement en règle. Aussi en sentais-je toute l'importance. La réception de vos lettres, aussi pressantes que multipliées, a été suivie immédiatement de la transmission par écrit de vos réclamations au ministre des relations extérieures, et quelquefois en même temps au ministre de la guerre directement. En outre j'ai saisi toutes les autres occasions qui se présentaient pour entretenir de vive voix et ces deux ministres et celui des finances. M. le général d'Albignac me disait encore en partant que c'était sur ce budget de 747,000 francs, si le ministre des finances l'avait payé en entier, qu'il avait espéré de faire des économies pour payer 100,000 fr. d'à-compte pour la solde arriérée des troupes westphaliennes en Espagne; comment se ferait-il donc, s'il était vrai qu'on eût payé sur ce budget 600,000 francs par mois, que la solde des troupes françaises en Westphalie soit arriérée de près de quatre mois? Mais la preuve qu'on n'a payé qu'environ 517,000 francs par mois est dans le tableau des dépenses du général d'Albignac.

À dix heures du soir, M. le comte de Bulow s'était fait annoncer chez ma femme, sans doute pour être présent lorsque la réponse du gouvernement westphalien me serait apportée. Je l'ai reçue. J'ai conduit M. de Bulow dans mon cabinet, et je l'ai lue devant et avec lui. M. de Bulow m'a dit qu'il ne doutait pas que Sa Majesté Impériale y verrait la bonne volonté du Roi; que faire quelque chose au-delà était absolument impossible; que ce qu'on promettait de faire était d'une difficulté extrême; mais qu'il en avait calculé la possibilité et qu'il en répondait. J'ai dit à M. de Bulow que j'allais la transmettre telle que je la recevais, et qu'il dépendait de Sa Majesté Imp. de décider si elle renfermait un oui ou un non.

«Mais comment, a dit M. de Bulow, nous payons et nous payons tout, et Sa Majesté Impériale ne nous demande que cela.»—«Elle vous demande de payer sur-le-champ le mois tout en entier, tous les mois suivants en entier.»—«Mais payer sur-le-champ l'arriéré serait impossible, sans faire manquer les services suivants et encourir de nouveau le mécontentement de l'Empereur.»—«Puisqu'il ne s'agit que d'un million, pourquoi ne l'empruntez-vous pas, et même provisoirement sur les budgets des ministères?»—«Nous ne pouvons pas emprunter, personne ne veut nous prêter; et emprunter sur les budgets des ministres ce serait désorganiser tous les services.»—«Sa Majesté l'Empereur vous a fait déclarer, dès le mois d'avril, que le trésor public de France ne ferait aucune avance pour cette dépense. En laissant en arrière un million ce serait donc le trésor public de France qui serait obligé de faire l'avance. Croyez-vous que Sa Majesté Impériale reviendra sur une détermination qu'Elle a prise?»—«Le trésor de France n'aura besoin de faire aucune avance. Les troupes ont reçu la moitié de leur solde échue. Elles vont recevoir la solde entière des mois suivants: elles sont logées, nourries, habillées; un arriéré de la solde de six mois et plus est presque d'usage, même en France. Je vous proteste que les troupes sont et seront contentes.»—«Enfin, M. le comte, c'est à Sa Majesté Impériale à prononcer. Mais en toute hypothèse, gare l'inexactitude à remplir les engagements solennels que vous contractez pour l'avenir!»

Je n'ai rien à ajouter, Monseigneur, pour l'engagement de payer cette dette, sans objection, sans réserve, le oui est positif; mais c'est un million qui reste en arrière.

Cependant un autre désastre menaçait le royaume de Westphalie. L'empereur ayant échoué dans toutes ses intentions de paix avec l'Angleterre revint résolu de ne s'en rapporter qu'à sa puissance pour la stricte observation du blocus continental, cette mesure pouvant, d'après lui, amener la Grande-Bretagne à merci. Il décida donc qu'il annexerait à la France non seulement la Hollande, mais aussi les embouchures des principales rivières du Nord, la majeure partie du Hanovre et un peu de la Westphalie, en donnant à son frère de ridicules compensations territoriales.

Le duc de Cadore lui remit le 11 octobre 1810 une note qui se trouve in extenso à la page 491 du 4e volume des Mémoires de Jérôme; et quelques jours plus tard, le 25 octobre 1810, après avoir reçu les ordres de l'empereur, il fit tenir au ministre du roi de Westphalie à Paris la note suivante dont il envoya le même jour une copie à Reinhard avec la courte lettre qui la précède:

J'adresse aujourd'hui à M. le comte de Wintzingerode, par ordre exprès de Sa Majesté, la lettre dont je joins ici copie.

Vous direz à M. le comte de Furstenstein qu'il recevra par le Ministre du Roi à Paris la réponse à la note qu'il vous avait remise. Vous ne lui cacherez point que vous en avez connaissance; et si elle ne lui était pas encore parvenue, vous lui feriez lire la lettre que j'ai l'honneur de vous adresser et qui est cette réponse.

Vous répéterez à M. le comte de Furstenstein ce que j'ai écrit à M. de Wintzingerode, que le Roi peut toujours continuer d'administrer le Hanovre; mais que l'Empereur ne se tient plus pour engagé[134].

Note à M. le Comte de Wintzingerode, ministre de Sa Majesté le roi de Westphalie. Cette note a été soumise à l'approbation de l'empereur; la dernière phrase soulignée est de la main de Sa Majesté.

Je me suis empressé de porter à la connaissance de Sa Majesté l'Empereur et Roi la note en date du 6 de ce mois par laquelle Votre Excellence demande au nom de sa cour que l'acte dressé le 11 mars pour la remise du Hanovre soit approuvé et confirmé par Sa Majesté Impériale et Royale.

Deux articles de cet acte, l'un relatif à l'entretien des troupes françaises en Westphalie, l'autre concernant les domaines réservés dans le Hanovre et les revenus de ces domaines, ayant été rédigés de manière à paraître susceptibles d'une interprétation abusive et totalement contraire à l'esprit du traité de Paris, Sa Majesté voulut être rassurée par des déclarations positives et précises faites au nom du Roi, déclarations que je fus chargé de demander et qui furent aussi demandées par le ministre de Sa Majesté à Cassel.

Sur le premier objet, la déclaration du gouvernement westphalien ne laissa rien à désirer.

Mais relativement aux domaines, au lieu de déclarer «que leurs revenus devant, pendant l'espace de dix années, à compter du jour de la remise du Hanovre, rester identiquement les mêmes, aucune loi générale ou particulière du royaume de Westphalie, aucun acte du gouvernement westphalien dont l'effet serait de changer la nature des dotations ou d'en diminuer et réduire les revenus, ne pourraient leur être, et ne leur seraient, dans aucun cas, et sous aucun prétexte, appliqués avant l'expiration de ces dix ans,» le ministère westphalien ne s'est exprimé que d'une manière indirecte, en termes vagues et plus propres à confirmer qu'à détruire les craintes que l'article de l'acte de remise avait inspirées; et toutes les instances du ministre de France à Cassel n'ont pu en obtenir une déclaration plus franche et plus conforme à la juste attente de Sa Majesté l'Empereur et Roi.

Pendant que le gouvernement westphalien semblait ainsi vouloir se ménager les moyens d'éluder un de ses principaux engagements, un autre plus essentiel encore n'était pas exécuté.

La solde et les masses des troupes françaises en Westphalie n'étaient pas acquittées. Des réclamations multipliées et presque journalières lui ont été adressées et l'ont été sans fruit. Loin de satisfaire à un engagement qu'il devait regarder comme doublement sacré, il n'en promet pas même l'accomplissement. Il n'annonce que l'impuissance absolue où il dit être de le remplir.

Par l'effet de ces deux circonstances, Sa Majesté l'Empereur et Roi, loin de pouvoir approuver et confirmer l'acte de remise du Hanovre, se voit à regret dans la nécessité, non de reprendre et de retirer au Roi l'administration du Hanovre, mais de regarder le traité si avantageux pour la Westphalie, par lequel il lui avait donné ce pays, comme rompu par le fait de la Westphalie elle-même; et en conséquence se croit en droit de disposer à l'avenir du Hanovre comme le voudrait la politique de la France.

En lisant cette note comminatoire, le roi Jérôme comprit les intentions de son frère. Toutefois, il donna des ordres à ses ministres, surtout au comte de Fürstenstein, pour que l'on rassurât Reinhard. Ce dernier écrivit le 1er novembre au duc de Cadore:

Sur l'article de l'identité des revenus des domaines hanovriens pendant dix ans, M. de Furstenstein a protesté que jamais l'intention du gouvernement westphalien n'avait été de tergiverser ou d'éluder; et que la preuve qu'on avait attaché aux termes de sa note du 29 juillet le même sens que je leur avais supposé dans ma note du même jour, était qu'on n'avait pas contredit la mienne. Il a ajouté que sans doute la lettre de Votre Excellence au comte de Wintzingerode affligerait beaucoup le Roi; mais Sa Majesté Impériale le trouverait toujours soumis à ses volontés.

Dans la même conférence, j'ai fait connaître à M. de Furstenstein les intentions de Sa Majesté l'Empereur concernant le titre de colonel-général de la garde westphalienne. Ce ministre m'a répondu qu'en effet il se rappelait que déjà, il y a quatorze ou quinze mois, le Roi en avait eu des indications et qu'il était convaincu que Sa Majesté se conformerait entièrement à cet égard à la manière de voir de Sa Majesté Impériale.

M. de Furstenstein m'a cité aussi quelques traits d'une conversation que vous eûtes, Monseigneur, avec M. le Comte de Wintzingerode et où vous parliez de différentes dépenses du Roi qui paraissent avoir été remarquées comme inutiles ou excessives par Sa Majesté l'Empereur. On a reproché au Roi, m'a dit ce ministre, d'avoir fait restaurer son palais et de vouloir bâtir une ville. Il s'agit d'une rue nouvelle de vingt maisons dont la liste civile ferait les avances.—Les dépenses, quelles qu'elles soient, a continué M. de Furstenstein, concernent uniquement la liste civile, et sont par conséquent étrangères aux engagements contractés par le trésor public du royaume. Cela est vrai, Monseigneur, cependant la remarque faite par Sa Majesté Impériale ne porte point à faux, puisqu'un peu plus d'économie dans les dépenses de la liste civile, soit celles que Votre Excellence a citées, soit d'autres, aurait dispensé de la nécessité de songer à aliéner une somme de 2,500,000 francs de capitaux, pour payer des dettes urgentes.

J'ai revu hier au soir M. le comte de Furstenstein. Il m'a dit que le Roi avait reçu ma communication avec une résignation entière; et que Sa Majesté répondait directement à Sa Majesté Impériale[135]; qu'à cet effet il expédierait aujourd'hui un courrier dont il m'a invité à profiter.

Cependant malgré la détresse des finances, malgré les charges nouvelles que les envahissements de l'empire français allaient faire peser sur le nouveau royaume, on songeait à y faire de grosses dépenses militaires: le roi, frappé des travaux défensifs accomplis à Anvers, voulait mettre Cassel, sa capitale, à l'abri d'un coup de main en l'entourant de murailles et de larges fossés, qui serviraient en même temps comme de réservoir pour recevoir le trop plein des eaux de la Fulda. Il avait commencé à grands frais la formation d'un camp de troupes westphaliennes. Ce dernier projet surtout irrita l'empereur, et l'on dut se hâter d'annoncer au Moniteur Westphalien que le camp était dissous. En annonçant ce résultat au ministre (13 octobre), Reinhard revenait sur l'entretien des troupes françaises en Westphalie stipulé par le traité du 14 janvier, mais que le gouvernement du roi Jérôme se déclarait incapable d'assurer pour l'année 1811.

Il est à remarquer que l'engagement contracté par ce traité comprend tout le temps qui s'écoulera jusqu'à la paix maritime, et qu'ainsi c'est mal à propos qu'on affecte de mettre en question si l'intention de Sa Majesté Impériale sera de faire séjourner ses troupes en Westphalie au-delà de l'année courante: quoi qu'il en soit, le Conseil des Ministres avait proposé une rédaction qui déclarait d'une manière bien plus positive encore cette impossibilité vraie ou prétendue; mais le Roi s'y est opposé. Ce qui, m'a dit M. de Furstenstein, augmentera encore les embarras, c'est qu'en Hanovre on pouvait entretenir les troupes françaises du produit d'une contribution de guerre que le Roi a laissée subsister pour l'année courante, mais qu'il faudra nécessairement faire cesser pour l'année prochaine. Aussi ceux des ministres qui, dans le temps, avaient conseillé au Roi de ne point accepter le pays d'Hanovre aux conditions proposées, prétendent aujourd'hui que tous les embarras de la Westphalie viennent de cette réunion, et M. de Furstenstein m'a dit lui-même que, quelqu'avantageuse qu'il la crût sous le rapport de la politique, il commençait cependant à se repentir du traité du 14 janvier.

Je reprends ma conversation avec M. de Bulow: «Tant que je serai ministre du Roi, mon devoir sera de faire marcher l'administration qui m'est confiée, et de conserver au trésor les moyens de payer les dépenses sans lesquelles il n'y aurait plus de gouvernement.» Ceci me conduisit à lui demander si toutes les dépenses étaient nécessaires et légitimes? M. de Bulow protesta que dans toutes il mettrait la plus stricte économie; que pour celles du Roi il avait sa liste civile qui sans doute n'était pas dans une proportion exacte avec les revenus du royaume et qui l'engageait à entretenir sa cour avec un éclat peu nécessaire en Allemagne; que le luxe auquel on s'était habitué avait encore l'inconvénient de faire sortir beaucoup d'argent du royaume; qu'en dernière analyse, ce n'était pas le Roi qui en profitait, mais l'intendant de la liste civile, marchand failli avec tous les fripons dont il était entouré; que sans la démarcation tracée entre les revenus du Souverain et ceux de l'État, il était sûr que Sa Majesté se serait contentée de moins et serait également heureuse. Je lui demandai si au moins la liste civile n'empiétait pas sur les revenus de l'État? Je lui rappelai la responsabilité dont je l'avais entretenu dans une autre occasion, et je le priai de me dire s'il était vrai que tous les fonds des relations extérieures se versaient dans la caisse du trésor de la couronne et que M. de Furstenstein les tirait par une ordonnance en bloc. M. de Bulow me dit que pour lui les ordonnances de M. de Furstenstein le mettaient en règle et qu'il me priait d'en parler à ce dernier; enfin qu'il était ministre du Roi et qu'il ne pouvait pas se croire soumis à une double responsabilité. Le lendemain, M. Siméon, envoyé sans doute par M. de Bulow, revint sur cet objet et m'assura que la seule dépense où la liste civile avait empiété sur le trésor public était que le Roi avait fait indemniser les propriétaires des cinq domaines dont M. de La Flèche s'était emparé, sur le produit d'une vente de couvents, et que par un arrangement qui datait encore du temps de M. Beugnot, beaucoup trop magnifique dans ses arrangements financiers, il avait été convenu que le produit des économats au-delà de la somme de 500,000 francs, qui serait versée à la caisse d'amortissement, tournerait au profit du Roi.

Par un mouvement spontané, M. de Bulow me dit encore que, si le Roi voulait l'écouter, il se ferait des idées différentes sur la nature de sa royauté, et qu'il ne se croirait pas dans la même position que par exemple un Roi de Danemark. Je lui répondis qu'il me semblait cependant, et que plusieurs circonstances prouvaient qu'à cet égard les idées du Roi s'étaient beaucoup rectifiées. «Oui, dit-il, aussi sa position est-elle devenue plus difficile, et quoiqu'assurément je n'aie pas la mission de vous dire cela, savons-nous ce que nous allons devenir?»

Dans toute cette conversation, Monseigneur, M. de Bulow m'a montré beaucoup d'adresse, beaucoup d'incohérence, l'envie de résister, le désir de plaire; enfin comme son caractère, elle n'a pas été d'un seul jet. Il m'avait parlé de la pesanteur du fardeau qu'il avait à supporter. «Oui, lui dis-je, j'admire et j'aime la facilité avec laquelle vous le supportez. Sans compliment, je ne connais personne qui soit capable d'en faire autant. Vous marchez à travers les difficultés en vous jouant; mais, au nom de Dieu, ne vous jouez pas à l'Empereur.» Ce mot, Monseigneur, l'affligea et il me répondit ce que le respect le mieux senti dut lui inspirer.

M. de Bulow réunit à un vrai talent un travail infatigable et l'adresse d'un homme du monde à beaucoup de désintéressement personnel. Il veut faire sa place de la manière dont il l'a conçue. Il se persuade qu'il la quittera sans regret, lorsqu'il ne la croira plus tenable. Il n'est pas homme à grandes conceptions, soit que les difficultés du moment l'absorbent, soit qu'il pense que l'heure n'en est pas encore venue. L'espèce d'empire qu'en dépit de tant d'ennemis acharnés il exerce sur le Roi, me paraît reposer sur des motifs honorables à tous les deux. M. de Bulow connaît les Allemands et les Français: il tient des uns et des autres. Nous pourrions facilement trouver un ministre plus traitable; mais en trouverions-nous un aussi facilement qui nous ménageât, pendant aussi longtemps, autant de moyens?

Quant aux recettes, M. Pichon pense qu'il ne serait pas absolument difficile de les augmenter de quatre ou cinq millions. Il prétend, par exemple, que les droits de consommation rendent huit millions au lieu de sept, et qu'on pourrait aisément trouver deux millions de plus sur le prix du sel vendu dans l'intérieur et surtout dans l'étranger. Il dit que le ministre des finances convient de la possibilité d'augmenter les recettes; mais qu'il ne veut y venir qu'à la dernière extrémité.

On a renoncé définitivement au projet de rendre plus productive la contribution personnelle qui ne rendra que 2,500,000 francs. Mais comme, d'après les nouveaux calculs de M. Malsbourg, la caisse d'amortissement aura besoin de 6,500,000 francs, on se propose de trouver quatre millions par une espèce d'imposition de guerre; et c'est ce qui occupe en ce moment la section des finances.

Sur cette double question financière et militaire, Champagny répondait le 12 novembre à Reinhard:

J'ai reçu et mis sous les yeux de l'Empereur les deux dernières dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser.

Sa Majesté Impériale s'est arrêtée principalement au compte que vous rendez de vos conversations avec les ministres des finances et de la guerre, avec le ministre secrétaire d'État sur la composition de l'armée westphalienne. Sa Majesté n'a pu s'empêcher de remarquer que tandis que le Roi et les ministres renouvelaient leurs protestations, les choses n'en restaient pas moins toujours dans le même état. Souvent l'Empereur a répété au Roi son frère qu'il ne devait point avoir de régiments de cuirassiers, parce que cette arme est trop dispendieuse, que les chevaux du pays n'y sont pas propres; et que d'ailleurs des régiments de cavalerie légère et de lanciers, plus faciles à lever et d'un entretien moins dispendieux, conviendraient beaucoup mieux au système militaire de l'Empire ainsi qu'aux intérêts du trésor westphalien. Cependant le Roi ne paraît point avoir suivi ce conseil: il multiplie inutilement les cadres et les armes, et se voit entraîné par là à de nouvelles dépenses.

Lorsque Sa Majesté Impériale a envoyé 18,000 Français en Westphalie, son but a été en partie de dispenser le Roi d'entretenir un trop grand nombre de troupes et tant d'officiers sur la fidélité desquels on ne peut point compter. Les troupes westphaliennes sont en effet les moins sûres de la confédération; et on les a vues se battre contre nous avec ardeur, par l'effet d'une haine ancienne qu'ils ont contractée en servant dans les rangs anglais. Sa Majesté Impériale ne veut plus en envoyer en Catalogne: ce serait recruter les bandes ennemies. Les Rois de Bavière et de Saxe, le Grand-Duc de Hesse-Darmstadt, dont les États sont anciennement constitués, peuvent avec plus de raison compter sur la fidélité des leurs; cependant ils ne s'amusent point à créer de nouveaux corps, et ne cherchent au contraire qu'à faire reposer tranquillement leurs troupes.

En définitif l'intention de Sa Majesté Impériale est que le Roi renonce à ses régiments de cuirassiers et qu'il n'augmente point des troupes qu'il ne peut nourrir et sur lesquelles il ne peut se fier.

Au reste Sa Majesté Impériale ne prend à cela qu'un intérêt d'affection pour le Roi et de sollicitude pour un État qu'Elle a fondé. Ce qui lui importe, et ce qu'Elle veut, c'est que l'on tienne les engagements pris avec Elle et que la solde de ses troupes soit payée, tant pour le présent que pour l'arriéré.

Sa Majesté Impériale a vu avec déplaisir que le gouvernement westphalien cherchât à s'attribuer une espèce de droit d'inspection sur les troupes françaises stationnées en Westphalie, en demandant à nos généraux des états de situation des corps sous leurs ordres. Sa Majesté Impériale a blâmé ceux de ses généraux qui se sont prêtés au vœu du gouvernement westphalien. Aucune autorité étrangère ne peut exercer d'inspection sur les troupes françaises.

La Westphalie s'est engagée à entretenir jusqu'à la fin de la guerre maritime un corps de dix-huit mille cinq cents Français; et pour remplir cet engagement, elle n'a pas besoin de connaître la position exacte de ces troupes. Il suffit que le nombre fixé ne soit point excédé, ce qu'on reconnaîtra toujours facilement par les états de récapitulation que fournira l'état-major général.

Poussé dans ses derniers retranchements, à bout de patience, aussi bien que ses frères Joseph et Louis, en présence du système de l'Empereur, le roi Jérôme écrivit la lettre suivante, digne, vraie et respectueuse, à laquelle il ne reçut aucune réponse, comme pour celle du 30 octobre:

Sire, mon désir le plus prononcé est de tenir tous les engagements que j'ai pris envers Votre Majesté, et tous mes efforts ne tendront jamais qu'à ce but, mais je la prie de me permettre quelques observations qui me sont dictées par la situation affligeante où je me trouve et qu'il ne peut être dans les desseins de Votre Majesté de prolonger.

Votre Majesté n'a point ratifié l'acte de cession du Hanovre et cependant, tandis que je suis privé des diverses branches des revenus publics de cette province, je me vois chargé des frais de son administration et de l'entretien de 6,000 cavaliers français qui, au terme des traités, doivent être soldés et nourris par elle. Il est impossible que Votre Majesté ait voulu m'imposer les charges sans me donner les moyens d'y subvenir. Ce poids entier retombe maintenant sur mes anciennes provinces et elles sont hors d'état de le porter. Je prie Votre Majesté de prendre en sérieuse considération la situation de la Westphalie et de me faire connaître positivement ses intentions. Si elle daigne se faire remettre sous les yeux ma lettre du 31 octobre dernier, elle y verra relativement au Hanovre l'exposé sincère de mes sentiments; s'il convient aux desseins politiques de Votre Majesté de m'ôter ce qu'elle m'a donné, je suis prêt à satisfaire à tous ses désirs, à me contenter de toutes ses volontés, à m'imposer moi-même et de bon cœur, comme un gage de ma reconnaissance envers elle, tous les sacrifices qui pourraient lui être utiles ou seulement agréables, c'est là ce que je répéterai à Votre Majesté dans tous les instants de ma vie, mais si elle me laisse dans le rang où elle m'a fait monter, qu'elle ne me prive pas des moyens de m'y maintenir avec honneur et sûreté, qu'elle me permette de faire parvenir jusqu'à elle les souffrances de mes peuples, et qu'elle me laisse l'espérance de les voir soulager à mes sollicitations.

Oui, Sire, je le répète, les douanes, les forêts, les postes, toutes les principales branches des revenus publics du Hanovre sont entre les mains des agents de Votre Majesté, et tandis que cette province m'est étrangère puisque le traité par lequel elle m'est cédée n'est point ratifié, je me vois contraint d'en salarier les administrations et d'y entretenir les troupes qui ne doivent être qu'à sa charge.

J'ose penser qu'il suffit de ce simple exposé des faits pour que Votre Majesté prenne à cet égard une détermination que je sollicite avec ardeur, et cet objet étant pour moi et pour mon pays de la plus haute importance, j'expédie cette lettre à Votre Majesté par un courrier extraordinaire.

Les observations présentées à l'empereur et au duc de Cadore étaient si vraies, les réclamations du gouvernement westphalien si justes que le ministre des relations extérieures de France crut devoir mettre sous les yeux de Napoléon un long mémoire daté du 24 décembre 1810 et duquel il ressort: Que le sénatus-consulte qui avait réuni à l'empire la plus grande partie du département du Wéser enlevait à la Westphalie 23 mille sujets et 5 millions 460 mille francs de revenus; que les parties du Hanovre destinées à être données en compensation à la Westphalie suffiraient pour le nombre de sujets et pour les revenus, si les contributions pouvaient être maintenues, mais que le gouvernement westphalien tenait pour impossible le maintien de la contribution de guerre; que les domaines encore disponibles n'existaient pas, qu'il n'y avait donc d'autre moyen d'indemniser le roi que de diminuer les troupes françaises entretenues par la Westphalie et de faire remise au pays des revenus et des contributions arriérés. Le mémoire du duc de Cadore demandait que la France prît à sa charge la dette du Hanovre, et la Westphalie celle de la province du Wéser, que le contingent westphalien fût fixé à 20 mille hommes.

Ces conclusions ne furent pas adoptées par l'empereur. Le roi très abattu des dernières mesures prises par son frère, envoya à Paris M. de Bulow pour y remplacer le baron de Mulcher et discuter ses intérêts.

L'année 1811 commença à Cassel sous de tristes auspices pour le jeune roi et ses malheureux États. Jamais la fable du loup et de l'agneau n'avait reçu une application plus vraie. Après avoir fait valoir des prétextes de toute nature, Napoléon auprès duquel la raison politique l'emportait sur toute considération, décidé à ne pas laisser le Hanovre à son frère, lui fit savoir, par son agent, qu'il enlevait cette province à la Westphalie, ainsi qu'une partie du département du Wéser, pour les réunir à la France, attendu que les conditions du traité n'ayant pas été exécutées par le Roi, il considérait ce traité comme rompu de fait. L'empereur daignait promettre des compensations qui furent illusoires comme d'habitude. Un décret en date du 22 janvier ordonna la prise de possession immédiate du territoire annexé, et le versement dans la caisse de l'empire français de tous les revenus de ces territoires depuis le 1er janvier. En vertu de l'article 3, une partie du duché de Lunebourg était cédée au Roi, mais avec cette restriction que les revenus, les domaines affectés à des dotations étaient exceptés de la cession. D'après ce devis, le Hanovre semblait n'avoir jamais fait partie du royaume de Westphalie. On cédait, en compensation du département du Weser, une partie d'une province déjà annexée depuis un an aux États de Jérôme. Ce dernier ne voulut pas d'abord accepter cette compensation fictive et chargea à part le comte de Bulow, son ministre des finances, de négocier et d'obtenir des dédommagements réels.

Pendant que M. de Bulow essayait d'entrer en arrangement avec le gouvernement français, Reinhard, toujours à Cassel et à l'affût de toutes les nouvelles, de tous les événements importants ou non, qui se passaient dans ce malheureux pays, continuait à rendre compte directement à l'Empereur ou à son ministre, le duc de Cadore.

Voici quelques-unes des dépêches et des bulletins de l'ambassadeur français à Cassel.

Reinhard à Champagny.

29 janvier 1811.

Le cérémonial du dernier bal a fait une trop grande sensation et dans le corps diplomatique, et dans la ville, pour que je puisse me dispenser de demander à ce sujet les ordres de Votre Excellence. Déjà au bal précédent le premier chambellan avait exigé que les dames se tinssent debout, tandis que M. de Furstenstein leur disait de s'asseoir. Cette fois, le Roi lui-même, qui plus que jamais s'occupe d'étiquette, a coupé le nœud. M. de Furstenstein devait annoncer cette décision aux femmes des ministres; et le hasard voulut que ma femme fût seule présente. Il ne le fit cependant pas, disant que ce n'était pas l'usage de la cour de France. Quant au privilège d'être seul assis que le Roi a accordé à ce ministre, Sa Majesté le fonde sur ce qu'ayant le collier de l'ordre, M. de Furstenstein est son cousin et doit être assimilé aux grands dignitaires. C'est une manière d'éluder la difficulté, et M. de Furstenstein sans porter le titre de prince en aura tous les privilèges. J'ignore encore si le ministre saxon, qui n'existe qu'à la cour et pour la cour et dont la femme courant après toutes les fêtes et après toutes les faveurs s'est trouvée absente, avait été prévenu de tout ce qui arriverait. Il m'avait demandé en entrant ce que j'avais résolu de faire pour le souper et j'avais répondu que nous serions debout et les femmes assises. La femme du ministre de Prusse était malade. Votre Excellence voit au reste que, même dans ces occasions-là, le Roi a soin de distinguer le ministre de France. Pour cette fois, je m'abstiendrai entièrement d'énoncer dans la société mon opinion sur ce qui s'est passé, précisément parce que j'attends les instructions de Votre Excellence.

Je n'avais appris toutes ces circonstances que vers la fin du souper. M. Jacoulé a fait une terrible grimace en voyant assis M. le comte de Furstenstein, qui d'ailleurs avait l'air plutôt confus que glorieux de la distinction qui lui était accordée.

Lorsque l'Empereur eut pris connaissance de la dépêche de Reinhard et de la nouvelle mesure d'étiquette introduite à la cour de son frère pour M. Lecamus devenu comte de Furstenstein, il fut choqué de cette innovation et écrivit le 20 février au duc de Cadore la lettre ci-dessous, omise à la Correspondance de Napoléon Ier:

Monsieur le duc de Cadore, je vous renvoie trois portefeuilles de votre correspondance. Qu'est-ce que cette prérogative de M. de Furstenstein de s'asseoir aux cercles de la cour de Cassel devant le corps diplomatique et les grands de l'État? Demandez des renseignements plus détaillés que cela. Il n'y a pas d'objections à ce que le Roi exige que les femmes se tiennent debout quand il danse. En général, un Roi ne doit pas danser, si ce n'est en très petit comité. Cependant, cet usage ne choque aucune convenance. Mais vous devez charger mon ministre de s'opposer formellement à ce que le comte de Furstenstein soit appelé cousin et s'assoie devant le corps diplomatique et les grands de l'État. Cette prérogative ne peut appartenir à qui que ce soit en Westphalie, parce qu'elle est contraire à toute idée reçue, et que je ne veux pas qu'elle existe. Personne en France ne s'asseoit à la cour parmi les princes du sang. Les maréchaux ne s'asseyent pas. Quant aux grands dignitaires, cela tient au décorum de l'Empire, et quels sont les grands dignitaires? Lorsque le Roi d'Espagne, le Roi de Naples, le Vice-Roi d'Italie, qui sont revêtus de grandes dignités, s'asseyent, il est juste que les premiers grands du plus grand Empire du monde qui leur sont assimilés s'asseyent; mais il est absurde de donner ce privilège dans une petite monarchie. Cela est contre l'opinion de toute l'Europe, et il y a dans cette conduite un peu de folie. Il faut donc que mon ministre fasse connaître au ministre des Relations extérieures de Westphalie que mon intention n'est pas de souffrir ces aberrations du Roi, et que j'exige qu'il ne soit donné aucune suite à cette innovation. Parlez de ceci à M. de Wintzingerode et à M. de Bulow. Faites-leur connaître que le Roi ferait bien mieux de modeler son étiquette sur celle de la Cour de Saxe que de faire à sa tête et de se faire tourner en ridicule. Parlez sérieusement à M. de Wintzingerode là-dessus; il devrait donner des conseils à sa cour sur ce, etc., etc.

L'empereur, non content de sa dépêche au duc de Cadore, écrivit lui-même à son frère le même jour 10 février. Le roi Jérôme répondit le 17 du même mois une lettre respectueuse, dans laquelle il ne laisse pas de faire ressortir les injustices dont on s'est rendu coupable à son égard. Cette lettre, que voici, ne se trouve pas aux Mémoires de Jérôme:

Sire, je reçois la lettre que Votre Majesté a bien voulu m'écrire, en date du 10 février; tout ce qu'elle contient est vrai, seulement j'aurais désiré qu'on ne laissât pas ignorer à Votre Majesté que le soir où le comte de Furstenstein a été assis, je n'y étais pas, que c'était dans un salon particulier et que c'était une erreur du préfet qui n'avait pas senti que les ministres étrangers pouvant entrer, ce n'était plus un salon particulier; cela ne s'est jamais fait et ne se fera plus. Quant au titre de cousin, comme ayant le grand collier de l'ordre, je ne le donne qu'en écrivant une lettre de chancellerie de l'ordre, pour rassembler le chapitre ou faire une promotion, mais jamais je n'ai eu assez peu de sens ni d'esprit pour ne pas sentir que si j'eusse pu faire comme on l'a dit à Votre Majesté, j'aurais mérité les petites maisons.

Je le répète, Sire, je ne fais jamais un pas sans avoir Votre Majesté en vue, sans désirer de lui plaire, et surtout sans ambitionner qu'elle puisse dire: jamais mon frère Jérôme ne m'a donné de chagrin. C'est bien le fond de ma pensée, Sire, et si je me trompe, un conseil paternel de Votre Majesté est plus que suffisant, non seulement pour me faire changer, mais pour me convaincre que j'avais tort. Pourquoi donc Votre Majesté est-elle si avare de ses conseils? et pourquoi suis-je le seul qui lui inspire assez peu d'intérêt pour qu'elle ne veuille pas m'écrire ce qui peut lui déplaire? Dans les circonstances critiques où je me trouve, Votre Majesté n'a pas même daigné me dire: faites ce que je désire, cela me sera agréable; c'est par le moniteur que j'apprends que je perds le quart de mes États et le tiers de mes revenus, et le débouché de mes rivières, sans qu'un seul mot de Votre Majesté vienne me rassurer et me dire: c'est telle ou telle conduite que vous devez tenir; avouez, Sire, que Votre Majesté est bien sévère pour moi qui n'ai jamais désiré et ne désirerai jamais que de contribuer à votre contentement.

Je finis, Sire, car je me vois, par l'abandon de Votre Majesté, entouré d'écueils sur lesquels je ne pourrai manquer de me perdre, si elle persiste dans cette indifférence pour moi. Que Votre Majesté se mette un instant à ma place, souverain d'un pays ruiné, accablé sous le faix des charges extraordinaires, auquel on dit: je vous prends le quart de vos États, de vos revenus, et cependant je ne vous ôte aucune charge, ni vous donne aucun dédommagement, que feriez-vous, Sire? ce que je fais, vous laisseriez prendre, vous ne vous opposeriez à rien; au contraire, mais en conscience vous ne feriez pas comme le roi de Hollande, qui a dit à ses sujets: je cède une partie de mes États, parce que l'on me les demande.

Je vous prie, Sire, au nom de votre ancienne amitié pour moi, de me diriger et ne pas m'abandonner, car vous seriez fâché un jour d'avoir perdu un être qui vous aime plus que sa vie.

À peine cette lettre était-elle partie que le jeune roi, avide d'étiquette et toujours prêt à singer le gouvernement impérial, donnait encore prise aux critiques fort justes et aux boutades souvent un peu sévères de Napoléon qui, tout en ayant pour lui une affection réelle, le traitait en fort petit personnage. Le 49 février, Jérôme avait mis à l'ordre de son armée le règlement suivant:

1o Trois de nos aides de camp seront désignés chaque trimestre pour faire le service auprès de Notre Personne; 2o le ministre de la guerre fera mettre leur nom à l'ordre du jour de l'armée; 3o lorsqu'un de nos aides de camp de service arrivera, soit dans une division, soit dans une place forte ou à l'armée, l'ordre qu'il transmettra de notre part, par écrit ou verbalement, sera obligatoire. Cependant, les gouverneurs, les généraux et les commandants de place pourront, dans les circonstances qu'ils jugeront importantes, exiger que l'aide de camp leur transmette par écrit l'ordre qu'il aura été chargé de leur signifier, et il ne pourra alors s'y refuser; 4o l'aide de camp de service en mission, recevra, soit à l'armée, soit dans les divisions ou les places fortes, les honneurs que l'on rend au plus haut grade militaire.

Puis, croyant être très agréable à son frère, il adressait (5 mars) une proclamation maladroite aux populations que lui enlevait le décret du 22 janvier 1811:

Habitants du territoire westphalien, réunis à l'empire français!

Les circonstances politiques m'ayant déterminé à vous céder à Sa Majesté l'empereur des Français, je vous dégage du serment de fidélité que vous m'avez prêté. Si quelquefois vos cœurs ont su apprécier les efforts constants que j'ai faits pour votre bonheur, je désire en recueillir la plus douce récompense en vous voyant porter à Sa Majesté l'empereur et à la France le même amour, le même dévouement et la même fidélité dont vous m'avez si souvent donné des preuves, et particulièrement dans les circonstances critiques des dernières années.

Mes vœux les plus ardents sont et seront toujours de vous voir jouir, sous votre nouveau maître, d'un bonheur aussi parfait que le mérite votre caractère brave et loyal.

L'empereur trouva fort mauvaise la mesure prise pour les aides de camp et critiqua beaucoup de passages de la proclamation, ainsi qu'on le verra dans les lettres suivantes:

Champagny à Reinhard.

Paris, le 19 mars 1811.

Sa Majesté m'ordonne de vous communiquer quelques réflexions qu'elle a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. Elle a relevé certaines expressions de la proclamation du roi aux habitants de la partie de la Westphalie cédée à l'empire. Ces mots: je vous cède lui ont paru inconvenants. On ne cède pas des hommes comme on cède un troupeau de moutons, ou du moins on ne le leur dit pas. Cette autre phrase: ayez pour l'empereur l'amour que vous avez pour moi, semble présomptueuse. Ces pays ont-ils été assez longtemps sous la domination westphalienne pour lui être bien profondément attachés? Je ne parle pas du rapprochement entre l'empereur et le roi dont Sa Majesté a lieu de se formaliser.

Mais ce qui a paru plus étrange à l'empereur, c'est un ordre du roi de Westphalie que Sa Majesté a vu dans une gazette et par lequel ce prince exprime sa volonté que ses aides de camp auxquels il donne des missions commandent partout où il n'est pas, et de préférence à toute autorité existante. Sa Majesté voit dans cette disposition le bouleversement de tout ordre public. Des aides de camp qui sont plus que des ministres et qui exercent, partout où le Roi n'est pas, une autorité sans limites! Jamais l'empereur n'a remis entre les mains de personne un pouvoir aussi discrétionnaire. Sa Majesté a beaucoup employé ses aides de camp qui, formés par elle, étaient dignes de toute confiance; mais elle ne leur donnait que des missions d'informations dans lesquelles ils n'avaient aucune autorité à exercer.

Faites ces réflexions, Monsieur, aux ministres du Roi, mais avec réserve et ménagement. L'empereur les accuse de ces erreurs que l'inexpérience du Roi peut, quels que soient son esprit, son tact et ses lumières, lui faire quelquefois commettre et qui devraient être évitées par des ministres qui joignent à l'habitude des affaires la connaissance de la manière dont on doit les traiter. L'empereur est persuadé qu'une représentation juste sera toujours écoutée par son auguste frère dont il connaît et le bon esprit et le désir de faire tout bien.

Reinhard répondit à Champagny, le 24 mars 1811:

Votre Excellence m'a communiqué quelques réflexions que Sa Majesté impériale a faites sur plusieurs actes du gouvernement westphalien. Sa Majesté a trouvé inconvenantes certaines expressions de la proclamation du Roi aux habitants de la partie de la Westphalie cédée à l'empire. Cette proclamation, Monseigneur, m'a toujours pesé sur le cœur; elle a été rédigée dans le cabinet de Sa Majesté. Les ministres n'ont pu obtenir que le changement de quelques phrases; et encore n'ont-elles pas été changées au gré de leurs désirs. L'intention du Roi était bonne; il voulait montrer en même temps et sa déférence pour son auguste frère, et l'accord parfait avec lequel tout s'était passé. Mais l'amour-propre s'en est mêlé et dès lors on n'a pas voulu toucher à la part qu'il s'était faite. Quant à moi, ne voulant pas analyser les expressions qui m'avaient frappé, j'avais prié M. le comte de Furstenstein d'engager le Roi à ne point faire de proclamation. Quelques jours après, Sa Majesté me demanda si je l'avais lue; je répondis que oui et que même M. le comte de Furstenstein me l'avait montrée avant l'impression. Sur le reste, je gardai le silence, et il me parut que le Roi comprenait ce que ce silence voulait dire.

Quant aux pouvoirs extraordinaires donnés aux aides de camp de Sa Majesté, on m'avait assuré que cette mesure avait été discutée et arrêtée au conseil d'État, et que plusieurs personnes s'en étaient affligées. Mais, je ne crois point qu'elle ait été publiée dans aucun papier westphalien; et la gazette dans laquelle Sa Majesté impériale l'a lue m'est restée inconnue. Je viens d'en parler à M. le comte de Furstenstein qui m'a dit que c'était un ordre du jour qu'il me communiquerait.

Je me suis, en effet, déjà acquitté auprès de ce ministre de la commission dont Votre Excellence m'a chargé pour les ministres du Roi, et je crois l'avoir fait entièrement dans l'esprit de vos instructions. Déjà hier, j'avais dit au Roi que dans les dépêches que le courrier m'avait portées, j'avais trouvé des expressions pleines d'amitié et d'estime pour Sa Majesté. Le Roi me répondit que j'étais moi-même témoin de tout ce qu'il faisait, et qu'il me rendrait juge de ses intentions et de ses sentiments. C'est par la même route que je suis entré en matière avec M. le comte de Furstenstein. «Mais, ai-je ajouté, plus Sa Majesté impériale rend justice au caractère et au bon esprit de son auguste frère, et plus elle est naturellement disposée à imputer à ses ministres ce que peut-être elle ne trouve pas digne de son approbation dans les actes de ce gouvernement, et je suis convaincu, Monsieur le Comte, qu'elle a entièrement raison.» M. de Furstenstein m'a répondu par son refrain ordinaire que je ne connaissais pas assez le caractère du Roi, qui ne se laissait pas conseiller.—«Je juge, lui ai-je dit, du caractère du Roi, par la manière dont il s'est constamment montré à mes yeux. Toutes les fois que j'ai eu l'honneur de m'entretenir avec lui, je lui ai trouvé de la mesure, de la justesse, de la prudence, enfin beaucoup de pouvoir sur lui-même. Il se peut, à la vérité, que le maintien qu'il prend vis-à-vis du ministre de France ne soit pas exactement le même que celui qu'il a vis-à-vis de ses serviteurs qui lui sont directement subordonnés; mais avec un cœur et un esprit comme le sien, il y a constamment de la ressource. On peut laisser passer un premier mouvement, et je suis persuadé qu'avec un peu d'insistance et de courage, la vérité et la raison finiront toujours par être écoutées.» Après avoir parlé ainsi en thèse générale, M. de Furstenstein m'a demandé si quelque acte particulier du gouvernement avait donné lieu à ces réflexions. Je lui ai cité ceux dont il s'agit. M. de Furstenstein m'a beaucoup remercié. Il m'a dit sous combien de rapports il était intéressé à ce que le Roi méritât l'approbation constante de Sa Majesté impériale, et avec un certain élan il a ajouté qu'il se promettait bien de ne point laisser échapper cette occasion pour faire sentir à Sa Majesté que les ministres n'avaient pas si grand tort d'oser quelquefois lui faire des représentations. Au sujet de la proclamation, il m'a assuré que le Roi s'y était déterminé d'après une lettre de M. de Malchus qui lui avait écrit: que M. le général Compans le désirait, et qu'en s'y refusant, le Roi aurait craint d'être accusé de susceptibilité. Il m'a demandé si Sa Majesté impériale en témoignait un fort mécontentement; je lui ai répondu qu'au contraire elle avait à cœur sur cet objet de ne point blesser la sensibilité du Roi, et qu'en m'autorisant à en dire quelques mots à ses ministres, elle me recommandait de le faire avec beaucoup de réserve et de ménagement.

Votre Excellence se rappellera peut-être qu'en lui rendant compte, au mois d'août 1809, de la situation des choses d'alors, je terminai ainsi une de mes dépêches: «Tout ce que je me permettrai d'ajouter, c'est que je suis convaincu de la nécessité de venir au secours des intentions et des mesures du Roi, et qu'aucun des sujets de Sa Majesté impériale qui sont ici (j'y comprenais alors M. Siméon et M. le général Eblé) ne pourrait remplir dans toute son étendue et sous tous les rapports de convenance une aussi haute mission.»

La sagesse de Sa Majesté impériale a certainement mieux senti que moi tous les inconvénients que devait avoir une mesure pareille à celle que je voulais indiquer. Aujourd'hui, elle aurait encore celui d'être tardive dans un sens et prématurée dans un autre. Mais j'ai la persuasion qu'elle est devenue moins nécessaire. En comparant le Roi tel qu'il était il y a deux ans, avec ce qu'il est aujourd'hui, je suis convaincu qu'il a gagné, si j'ose m'exprimer ainsi, surtout en docilité. Mais ses ministres craignent tous un premier mouvement et quelque résolution subite, difficile à rétracter, d'un souverain dont ils dépendent. Il a trop su les habituer à céder à sa volonté fortement prononcée. Il leur manque d'oser revenir à la charge. Pour leur donner un courage qu'ils n'ont point, je ne connais qu'un seul moyen: c'est d'être assurés à tout événement de la protection de Sa Majesté impériale. Cette assurance de protection resterait un secret entre le ministre de France et celui des ministres du Roi auquel elle daignerait accorder une aussi haute preuve de confiance; un seul suffirait.

Mais lequel? M. le comte de Hœne, très honnête homme, n'est qu'un troisième commis. Il prend à la lettre toutes les paroles du Roi. Il n'entend pas ce qu'on voudrait lui faire comprendre. De tous les ministres, il est celui qui se tient le plus en garde contre la légation française. M. le comte de Wolfradt, très honnête homme aussi, est trop timide et trop peu adroit; il ne sait pas assez la langue française. M. le comte de Furstenstein est l'homme du Roi; pour lui, il suffit du ressort de la responsabilité. M. le comte de Bulow a trop une marche et une manière à lui; mais on peut compter sur lui dans des circonstances déterminées. M. Siméon est un peu sec quelquefois, et toutes les affaires ne sauraient être de son ressort; mais il apportera à toutes de la maturité et de l'expérience, et c'est précisément ce dont il s'agit ici. Sa qualité de Français, son âge, son bon sens et la modération de son esprit peuvent le faire croire capable de prendre de l'ascendant sur le Roi, sans perdre sa confiance et sans en abuser; et comme le Roi n'aime point à consulter, il y aurait deux maximes de gouvernement à établir. L'une, que l'exécution de toute mesure quelconque partît de celui des ministres qu'elle concerne, et l'autre, que lorsque des actes quelconques émanent directement du cabinet, les ministres eussent le temps de faire des représentations lorsqu'ils le jugeraient nécessaire.

Sans nous arrêter sur une lettre du 24 mars où Reinhard raconte divers incidents survenus à la cour de Cassel, nous extrayons d'une lettre adressée par le même à Champagny (23 mars) une conversation que Reinhard eut avec le roi. Le ministre des finances de Westphalie, M. de Bulow, avait été envoyé à Paris pour tâcher d'obtenir des adoucissements à la triste condition faite par l'empereur au malheureux royaume. Après un préambule que nous omettons, Reinhard s'exprime ainsi:

Le comte de Furstenstein, ai-je dit, m'a laissé dans le doute si M. de Bulow doit terminer et revenir, ou signer et revenir. Il n'y a rien à signer, a dit le Roi. Lorsque toutes les conditions sont dictées par une seule des parties et qu'elles sont avantageuses à une seule, ce n'est pas un traité. Que l'empereur ordonne: tout ce qu'il ordonnera sera fidèlement exécuté; mais qu'il ne demande pas que je me déshonore.—«Cependant, Sire, l'empereur offre des avantages à Votre Majesté: d'abord ses domaines en Westphalie non encore donnés; ensuite l'arriéré des revenus du Hanovre.»—«Oui, dit le Roi, les domaines non donnés et non destinés, ce qui les réduit à un revenu de 2 ou 300,000 fr. tout au plus, tandis que je perds 12 millions et 600,000 âmes. Les revenus arriérés du Hanovre sont peu de chose: deux ou trois millions tout au plus, peut-être rien.»—«Encore, Sire, sont-ce là des avantages que Votre Majesté n'obtiendra qu'en signant, et qui constituent la réciprocité.» Alors le Roi s'est récrié sur ce qui s'est passé à la suite du traité concernant le Hanovre, et je l'ai interrompu en disant que c'était toujours avec peine que je rappelais à Sa Majesté que sa manière de voir et celle de Sa Majesté impériale sur la cession du Hanovre étaient différentes.»—«Mais tout cela n'était qu'un prétexte, m'a dit le Roi, parlons franchement: rien ne sortira de ce cabinet.»—«Parlons franchement, Sire, supposons que ce ne soit qu'un prétexte; mais Votre Majesté connaît le motif. L'empereur a changé d'intention, parce que les circonstances lui en ont fait la loi; il en a changé quant au Hanovre et quant aux villes anséatiques. La politique de l'empereur ne reste pas stationnaire; Votre Majesté marche à côté de lui: voudrait-elle rester en arrière?»—«Eh bien, que l'empereur me dise son motif et qu'il ne fasse pas valoir seulement le prétexte.»—«Et quand ce prétexte, Sire, serait un caprice, pourquoi n'aimeriez-vous pas à y déférer?»—«Oui, si c'était de frère à frère, alors l'empereur sait bien que tout est à sa disposition, tout mon royaume, ma vie même; mais tout cela se traite diplomatiquement et je ne puis céder. Je viens d'écrire à Bulow mon dernier mot: les domaines de l'empereur non donnés; et quant aux 12,500 hommes de troupes françaises, que la Westphalie se charge de leur nourriture et la France de leur solde et de leur entretien, afin que je puisse montrer un avantage à mon peuple.»—«Je suis fâché, Sire, que ce soit votre dernier mot, car le duc de Cadore m'a écrit que l'empereur a dit aussi le sien. Du reste, Sire, officiellement je n'ai rien à dire, ce n'est que par forme de bon office et dans les intérêts même de Votre Majesté; et comme M. de Furstenstein m'a dit que M. de Bulow serait ici dans deux ou trois jours, au fond toutes mes réflexions sont tardives et inutiles.»—«Furstenstein vous a dit que Bulow revenait? Bah, Furstenstein ne sait rien, c'est moi seul qui conduis toute la négociation, qui écris toutes les lettres de mon cabinet.» Ainsi, Monseigneur, je dois croire que M. de Bulow est encore à Paris, et Votre Excellence jugera si, à lui ou à son maître, on pourra faire passer le Rubicon. Si c'est à lui, sans le consentement du Roi, il est perdu.

Je dois vous dire, Monseigneur, le secret de la pensée et de la conduite du Roi. Il m'a dit à moi-même que Sa Majesté impériale avait accusé le roi Louis, son frère, de lâcheté pour avoir cédé par un traité une partie de son royaume. Aussi répondit-il aux instances de tous ses ministres:—«Vous ne savez ce que vous dites, je ne signerai pas, l'empereur me mésestimerait.»

La conversation épuisée sur ce point, Reinhard aborda ensuite un sujet plus délicat. Le roi s'était fait livrer des lettres où le secrétaire général du département des finances, nommé Provençal, appelait M. de Bulow «le messie, le sauveur de la Westphalie». Ce Provençal et un autre commis de M. de Bulow avaient été aussitôt destitués «comme Prussiens». Reinhard estimait «que ces lettres étaient bien sottes, mais que le roi venait de trahir le secret de l'ouverture des lettres». C'est sur ce point qu'il amena l'entretien:

Après cet objet terminé, il y a eu quelques moments de silence, et j'attendais le Roi; craignant d'être congédié, j'ai rompu le silence, d'autant plus qu'avec beaucoup de bonté, le Roi m'avait invité à lui parler à cœur ouvert.—«Dans une si belle circonstance, Votre Majesté aura quelque grâce à faire d'hier matin.» Le Roi m'a fait répéter ma phrase:—«Ah! vous parlez de ces lettres! Ce sont des bêtises, vous sentez bien que ce n'était qu'un prétexte, et je n'ai fait qu'exécuter un dessein que j'avais depuis trois mois. J'avais aussi peu envie de me mettre en colère que vous en avez à présent. Ce Provençal et ce Sigismond sont des Prussiens. Depuis six mois, j'avais donné une décision qui renvoyait les Prussiens de mon service: «Je ne veux avoir à mon service que des Westphaliens et des Français.»—«Des Prussiens, Sire, que M. de Bulow a pris à Magdebourg.»—«Non, qu'il a fait venir de Berlin.» Cela est vrai, quant à Sigismond, homme d'un grand talent, mais d'une mauvaise réputation. M. Provençal, dont M. de Bulow ne se servait que pour la rédaction, est un ancien ministre protestant. M. de Bulow l'en raillait quelquefois, et de là ces expressions en style de bible qui avaient tant déplu au Roi. M. de Furstenstein a donné cette explication au roi, moi-même je l'ai confirmée; aussi ces lettres ne sont-elles plus qu'un prétexte.—«Ce Sigismond est un espion; il a écrit à Berlin des lettres que Linden m'a renvoyées et pour lesquelles je pourrais le faire pendre. Mais cela irait plus haut, et je ne veux pas en faire une affaire. Imaginez-vous qu'il rendait compte de chaque conscrit, du mouvement de chaque compagnie, enfin de tout ce qui se fait chez moi.»—«Ce n'étaient donc pas des lettres particulières?»—«Oui, particulières; mais vous sentez qu'elles allaient à une autre adresse. Quant à l'autre, je savais que Bulow avait une correspondance secrète, qu'il ne se servait ni de ma poste ni de mes courriers; qu'on lui envoyait son valet de chambre qui remettait les lettres à la poste de Giessen. J'ai voulu savoir ce que c'était; il y a eu 39 numéros, je les ai tous lus. J'envoyais dans le pays du grand-duc de Hesse des gendarmes déguisés; je faisais prendre et copier les lettres, et puis on leur donnait cours. On y parlait de tout ce que je faisais, vrai ou faux, n'importe. Je ne pouvais pas (je vous en demande pardon), pis... sans que Bulow n'en fût informé.» Ceci, Monseigneur, est la seconde version: hier le Roi disait que c'était la direction générale des postes à Paris qui lui avait envoyé ces lettres, parce qu'elle en avait été indignée. Le fait est que M. de Bercagny tient ses décacheteurs de lettres à sept lieues d'ici; que d'autres ont été ouvertes à Giessen, et que la lettre à Messie avait été remise au secrétaire du cabinet du Roi, il y a deux jours.

«On parle d'intrigues, a dit le Roi, j'en ris. Si je laissais faire, les Français écraseraient les Allemands, et les Allemands chasseraient les Français.»—«Cela est vrai, Sire, Votre Majesté tient assez l'équilibre; mais elle est placée trop haut pour ne pas voir autrement ce qui se passe au-dessus d'elle que ceux qui sont placés à distance. Ceux-ci, voyant certains hommes approcher souvent et journellement de votre personne, leur attribuent une influence qu'ils n'ont pas.»—«Ah, Bercagny! Il est officier de la maison... Bercagny! je n'ai aucune confiance en lui. Vous savez ce que j'en pense, c'est un bavard; il couche toutes les nuits avec des filles. Il va jouer au reversi avec mes chambellans, pour faire dire qu'il va au palais, et va chez Brugnière pour faire croire qu'il entre dans mon cabinet. Il fait comme le duc de Richelieu qui faisait arrêter sa voiture à la porte des honnêtes femmes, pour qu'on dit qu'il couchait avec elles.—Sire, c'est au moins celui qui remue le plus.—Jamais je n'ai rien pu savoir de lui sur la police.—Je suis enchanté que Votre Majesté confirme mon opinion; il m'a paru que, dans certaines crises, sa police n'était pas merveilleuse.—Aussi, ce n'est pas par lui que j'ai eu ces lettres.»

La conversation est ensuite tombée sur M. de Bulow. Le Roi m'a dit que les Français ne lui en voulaient pas, puisqu'aucun d'eux ne désirerait, ni n'était capable d'avoir sa place.—«Il y en a quelques-uns cependant, et à vous dire vrai, Sire, depuis deux ans que je suis ici, j'ai vu M. de Bulow l'objet d'un acharnement perpétuel.»—«Ce sont plutôt les Allemands. Du reste, c'est un homme à grands moyens.»—«Sire, M. de Bulow a une certaine légèreté dont j'ai été quelquefois dans le cas de me plaindre moi-même; il sent sa supériorité dont il abuse peut-être quelquefois. Du reste, il est homme d'honneur et fidèle serviteur.»—«Le croyez-vous?»—«Oui, Sire.»—«Croyez que pour changer de serviteurs, il faut que je me retourne plus d'une fois sur mon oreiller. D'ailleurs, c'est un homme difficile à remplacer.»—«Oui, Sire, il fait aller sa machine, et ce n'est pas une chose aisée en Westphalie. (J'aurais voulu, Monseigneur, rengainer ce mot qui, je m'en apercevais, ne faisait pas une bonne impression.) Votre Majesté ne peut s'occuper de tous les détails.»—«Il le faut pourtant, car je veux voir clair.» Le Roi l'a ensuite accusé de n'avoir pas fait à Paris aussi bien qu'il aurait pu faire.—«Cependant, Sire, tout son intérêt y était.»—«D'ailleurs, il y avait un ennemi, si je l'avais su, je ne l'aurais pas envoyé.»

Dans cette conversation, le Roi a passé en revue tous ses serviteurs à peu près, Français et Allemands, et sur presque tous, il disait à peu près ce que j'en pense. «M. Pichon, avocat et écolier, croit qu'il sera ministre des finances; ce serait une plaisanterie. M. Pothau, c'est un pauvre homme; il m'a dit lui-même que s'il était placé au Trésor, il serait un homme perdu et que même il ne voulait rien pour les postes, que sa véritable place était au tribunal d'appel. Le général Morio! J'en ai été mécontent comme ministre de la guerre, peu content comme général en Espagne, pas trop content comme capitaine de la garde, mais il est excellent grand écuyer; il a diminué le nombre de mes chevaux, en me donnant deux attelages de plus, et il a déjà fait une économie de 200,000 francs. La Flèche: il me fait perdre 150,000 fr. dont il a dépassé son budget, sans rime ni raison; je l'épargne parce qu'il m'est personnellement attaché, mais je ne puis payer cette dette qui me ruine, ou du moins ne puis la payer qu'en deux ou trois ans. Furstenstein ne prend jamais l'initiative; il m'est personnellement dévoué, l'empereur lui-même l'a distingué en l'admettant à sa table; c'est un homme modeste qui ne demande qu'à être auprès de ma personne, qui se contenterait de tout, et qui est si peu remuant qu'il ne fait même pas tout ce qu'il devrait faire dans sa place.»

P. S.—J'adresse à Votre Excellence la décision du Roi concernant ses aides de camp en mission, telle que M. de Furstenstein me l'a transmise. Il n'y est pas question d'autorités civiles; il faut qu'il y ait là-dessous quelque malentendu que je ne puis encore expliquer.

Le duc de Cadore mit en note au bas de cette lettre de Reinhard, de sa main:

(Note du Ministre.) L'empereur veut qu'on fasse connaître à M. Reinhard que l'ordre du jour du Roi du 19 janvier 1811 est absurde dans tous les points et contraire à tous les usages, ainsi qu'à toutes les règles observées dans tous les pays. L'empereur n'est pas content de cette conversation de M. Reinhard.

Une lettre de Champagny, adressée de Paris le 3 avril, accentua encore davantage ce sentiment de désapprobation. Après avoir essayé de se justifier, Reinhard continue de tenir le ministère au courant de tout ce qui se passait en Westphalie. Il lui écrivit le 11 avril:

J'ai fait hier à M. le comte de Furstenstein la question confidentielle que j'avais annoncée à Votre Excellence dans mon numéro 220. Ce ministre m'a répondu que Sa Majesté impériale avait été prévenue par le Roi de la démission donnée à M. de Bulow immédiatement après l'événement par un courrier parti le même jour (par conséquent le 9); que depuis un certain temps déjà, le Roi n'avait plus en lui la même confiance, et qu'avant tout il voulait voir clair dans ses finances, ce qu'il n'avait jamais pu obtenir. J'ai dit que sans doute le Roi était le maître de donner ou de retirer sa confiance; qu'au reste M. de Bulow, ayant l'honneur d'être décoré du grand cordon de la Légion, appartenait sous ce rapport un peu à Sa Majesté l'empereur et méritait quelques égards. Cela m'a conduit à dire un mot du traitement qu'on fait éprouver à ses employés. La réponse a été la même que le Roi avait fait donner à M. de Bulow par M. Siméon. Je ne vous parlerai plus de ces détails, Monseigneur. Quand une fois on est engagé à marcher à petits pas dans ce petit labyrinthe, on n'en sort plus, à moins de faire un pas d'homme pour le franchir.

J'avais cru devoir différer ma visite chez M. de Bulow jusqu'après ma conversation avec M. de Furstenstein. J'y suis allé. Cet ex-ministre m'a dit qu'il attachait beaucoup de prix à ma visite, parce qu'il avait désiré de m'entretenir de sa conduite depuis son retour, afin de ne point paraître sous un faux jour aux yeux de mon gouvernement. Il m'a fait un récit abrégé de sa longue conversation avec le Roi, du langage dont il s'est servi pour lui démontrer la nécessité de signer la convention, du tableau qu'il a fait à Sa Majesté des règles de conduite, des moyens de garantie et des ressources pour l'avenir; enfin de ce que le salut du Roi et du royaume était dans un plan d'économie sévère et dans une soumission entière à Sa Majesté l'empereur; des explications, des épanchements et des assurances qu'il a obtenus de la bouche du Roi, et des illusions sur le retour entier de sa confiance qu'il se faisait en sortant de cette conversation au moment où l'on arrêtait ses employés. «Au Conseil des ministres, a-t-il ajouté, j'ai exposé les désavantages et les avantages de deux projets de convention que j'ai rapportés de Paris, les instructions du Roi et les volontés de Sa Majesté impériale. Le Roi ne semblait écouter que moi. Lorsqu'il a été question de signer, j'ai prié d'en être dispensé. Je craignais d'être renvoyé à Paris et de rester une seconde fois en butte à mes ennemis. J'ai proposé M. de Wintzingerode; il a été arrêté que je signerais ici et que je ne retournerais pas à Paris.»

Quand nous en étions là, M. Siméon est arrivé. M. de Bulow s'est plaint alors avec amertume de la nuée d'espions de police qui entouraient sa maison, qui, montre et tablettes en main, notaient ouvertement tous ceux qui entraient et qui sortaient, enfin qui avaient l'air de le garder comme un criminel. Il a dit que M. Siméon étant ministre de la police, lui, devenu particulier, ne pouvait regarder ces indignités que comme autorisées par M. Siméon. Nous lui avons conseillé d'ignorer ces incidents, dont sûrement le Roi n'était pas instruit. Aussi je les ignore, a-t-il dit, et ce n'est que mon estime pour vous qui m'a engagé à en parler. M. Siméon lui a promis de reparler au Roi de ce qui concernait ses employés.

J'ai fait part à M. de Bulow, devant M. Siméon, de la question que j'avais faite à son sujet à M. de Furstenstein. M. de Bulow m'a interrompu. «Quoique je me tienne infiniment honoré, m'a-t-il dit, par la décoration que Sa Majesté l'empereur a daigné m'accorder, je ne crois cependant appartenir qu'au Roi seul.»—«Par cette décoration donnée par Sa Majesté l'empereur, ai-je répondu, vous appartenez un peu à son intérêt, et s'il eût été possible qu'une des inculpations qu'on vous a faites fût fondée, Sa Majesté impériale n'aurait pu y rester indifférente. Quant à moi qui ai l'honneur de porter la même décoration dans un grade inférieur, je vous dois une considération qui s'accorde parfaitement avec l'estime que m'inspire votre mérite, et voilà le motif de la visite que j'ai cru devoir vous faire publiquement, et comme particulier, et comme ministre de France.»

Quand M. Siméon fut parti, j'ai demandé à M. de Bulow comment le Roi avait pu être induit à croire à la rétrocession de la ville de Lunebourg? J'ai en effet, a-t-il dit, à me justifier à cet égard auprès de vous, et il m'a expliqué la chose comme il m'a assuré l'avoir expliquée à Votre Excellence. Il m'a parlé ensuite du prix infini qu'il attachait à pouvoir se dire dans sa retraite que mon gouvernement lui rendait justice, et que les efforts qu'on ferait peut-être pour le dénigrer à ses yeux ne produiraient aucun effet. Enfin il m'a protesté combien il se sentait heureux d'être soulagé du fardeau qui l'avait accablé et que dans aucune hypothèse il ne désirerait reprendre.

J'ai trouvé, Monseigneur, M. de Bulow dans un état d'exaltation qui lui donnait de la fierté et presque de la raideur; mais, au degré près, je l'ai trouvé le même qu'il s'est toujours montré. Ce qui est certain à mes yeux, c'est que M. de Bulow est un homme qui a profondément la conscience de la pureté de ses intentions et de sa conduite.

M. de Bulow avait été disgracié pour avoir consenti à signer à Paris les conventions qui démembraient le royaume de Westphalie; le bruit courut même un moment qu'il avait été arrêté par ordre du roi. Il n'en était rien. Reinhard s'y opposa d'ailleurs de toute son autorité. Plusieurs de ses lettres du mois d'avril sont tout entières consacrées à ces incidents. Celle du 13 se termine ainsi:

Je ne crois pas, Monseigneur, que les événements et mes idées sur l'avenir aient acquis assez de maturité pour que dès aujourd'hui je puisse mettre sous vos yeux le tableau de la situation nouvelle des choses. Je me bornerai en conséquence à compléter mon récit de ce qui s'est passé et à vous peindre l'attitude actuelle des personnes influentes.

M. de Bulow a dit au Roi, dans sa conversation, que pour être roi de ses sujets, il devait se considérer uniquement comme vice-roi de l'empereur; que quelque désavantageuse que fût la convention à signer, elle renfermait une garantie précieuse de la convention du royaume; que le royaume avait en lui-même les moyens financiers nécessaires pour se maintenir, mais que ces moyens ne pouvaient être réalisés que par une économie et un ordre sévères; que les deux conventions contenaient la volonté immédiate de Sa Majesté impériale; que si les conditions en étaient peu avantageuses, elles l'étaient plus que celles que plusieurs autres États avaient obtenues; que quand Sa Majesté impériale aurait voulu favoriser le Roi davantage, elle n'aurait pas pu le faire dans le moment actuel; que les espérances pour l'avenir restaient entières, etc.

Celui des griefs du Roi que M. de Bulow m'a cité consistait en ce qu'il se faisait trop aimer et qu'il se faisait un parti. Il a été question de lettres interceptées. M. de Bulow a justifié celles dont il avait connaissance; son désir jusqu'au dernier moment était de mettre sous les yeux du Roi la liasse de celles qu'il avait reçues et surtout toutes les lettres numérotées de M. Provençal.

Dans la courte conversation qu'il a eue avec moi, avant sa catastrophe, il ne m'a point montré l'espérance décidée de parvenir à effacer toutes les préventions du Roi; mais aux personnes avec lesquelles il vivait dans une grande intimité, il a dit qu'il croyait être sûr d'en venir à bout. Après la conversation même, il en est sorti rayonnant.

Le Roi, dans cette conversation, avait-il déjà le projet déterminé de renvoyer le lendemain M. de Bulow? Forcé par l'avis unanime de son Conseil à signer la convention, a-t-il voulu marquer son mécontentement en disgraciant le négociateur? Je ne crois ni l'un ni l'autre. C'est par un retour sur la conversation qui venait d'avoir lieu, que les vérités fortes qu'il avait entendues lui auront fait une impression douloureuse, de même que quelquefois on ne sent pas une blessure au moment où le coup a été porté. Ceux dont l'intérêt était de forger le fer pendant qu'il était chaud l'auront ensuite entraîné d'un mouvement accéléré.

Il me paraît certain que les lettres interceptées ont été le levier le plus puissant dont s'est servi M. de Bercagny pour n'y voir qu'un moyen d'information. Le Roi a manqué d'impassibilité; il a reproché publiquement jusqu'à des lettres d'amour à un jeune officier. Cependant, dans tout ce qui a transpiré, on ne cite absolument rien qui ait pu réellement blesser la dignité du Roi ou qui prouve que des secrets de son palais aient été trahis.

Le Roi n'a cru et n'a voulu agir que par lui-même. Il a blâmé quelques maladresses de M. de Bercagny; mais pour ne point le faire soupçonner de partialité, il lui avait adjoint MM. de Bongars et de Gilsa. Il a voulu que l'ensemble des mesures fût regardé comme étant émané de sa volonté suprême.

M. Siméon s'est conduit avec fermeté et sagesse. Il a fait au roi des représentations et ne s'est arrêté qu'à la limite où il aurait cru ou manquer de soumission, ou risquer de se perdre lui-même. Il a dit hautement sa pensée et ses sentiments à ses collègues et surtout à M. de Furstenstein. Il n'a point abandonné M. de Bulow. C'est dans le rapport, à la suite duquel le sieur Hortsmann a été relâché, qu'il a fait voir au Roi le néant de tous les fantômes dont on l'avait entouré et dont celui du cocher déguisé n'est qu'un faible échantillon. Le Roi a chargé M. de Furstenstein de dire à M. Siméon, s'il croyait devoir lui donner des conseils, qu'il ne lui en demandait pas.—N'importe, les conseils ont produit leur effet.

M. de Furstenstein était prévenu de tout ce qui devait arriver, mais il n'a point voulu s'en mêler. Il a dit qu'il se trouvait bien comme il était, et qu'il n'avait rien contre M. de Bulow; il a détourné le Roi de faire mettre les scellés sur ses papiers. Vis-à-vis de moi, il a pris le langage d'un homme qui défend les mesures de son maître.

Il n'en est pas de même de M. Hugot, son secrétaire général. Les passions grossières de cet homme qui n'est ni aimé, ni estimé, le poussent à l'excès de l'absurdité. Il a quelque talent pour la rédaction et la mémoire des lois françaises et westphaliennes; il est nécessaire à M. de Furstenstein, mais l'aversion du Roi contre lui, la tournure de son esprit et de sa personne lui interdisent à jamais l'espoir de sortir de son rang subalterne. Sa méchanceté est gratuite; elle est l'effet du caractère haineux et vindicatif d'un prêtre.

M. de Wolfradt a vu ces événements avec douleur; il est resté passif. Le public s'obstine à croire que son tour viendra bientôt. M. le comte de Hœne est nul. M. Morio se cache. M. Pichon, pendant la crise, a évité toutes les sociétés, et surtout la mienne. M. de Malmsbourg ayant laissé dans la caisse d'amortissement un fond de 3,500,000 francs pour commencer les paiements au premier juillet, le public attend son successeur à l'épreuve.

M. de Bercagny est plus aimable et plus spirituel que jamais; il a donné hier un dîner de vingt couverts. Le nommé Savagner, son secrétaire général, est un scélérat que lui-même avait été obligé de chasser et qu'il a repris après le renvoi de Schalch. Soit pudeur, soit bon esprit, M. de Bercagny pèse au Roi. Il avait eu le projet de le nommer préfet d'Hanovre. M. de Wolfradt effrayé l'en détourna, tandis que M. Siméon ne demandait pas mieux; ou bien y aurait-il de la dissimulation?

M. de Malchus devait son entrée au Conseil d'État à M. de Bulow. Il est revenu de Paris, accusant le ministre d'avoir voulu le perdre. Il ne s'est point montré chez moi depuis le retour de la transaction avec M. le général Compans. Il a vécu depuis quelque temps dans l'intimité de M. de Bercagny. Il a juré à M. de Bulow de n'avoir point contribué à sa chute. Il a affecté de s'opposer à sa nomination définitive, et ce n'est que depuis hier qu'il a accepté le titre d'Excellence.

M. de Malchus passe pour être un bon travailleur, mais se perdant dans les détails et incapable de saisir un ensemble. Le Roi ne l'estime et le public ne l'aime point. On le dit sans âme et ambitieux à l'excès avec un extérieur calme et simple.

L'emprunt forcé devant être employé aux dépenses courantes, on ne prévoit pas d'embarras pendant les six mois prochains. Les obligations westphaliennes sont fortement tombées pendant la semaine dernière. Celles à 4 0/0 sont au-dessous de 40; mais ce n'est qu'un signe de l'impression profonde qu'ont faite les circonstances qui ont accompagné la disgrâce de M. de Bulow.

Cette disgrâce, Monseigneur, fait le triomphe d'un parti: ce parti-là n'est point le parti français auquel, à peu d'exceptions près, appartiennent tous les bons serviteurs du Roi. Par une assez sage distribution des places, le Roi a pourvu à ce que, pour le moment, les vainqueurs ne pussent pas trop abuser de la victoire. Les conséquences se développeront plus tard.

Aussi, tout en présageant que, par les derniers événements, la situation de la Westphalie s'est détériorée, quand ce ne serait que parce que, dans cette disette de talents, il y aura un homme de talent de moins, je regarde les derniers arrangements comme les moins mauvais qu'on ait pu faire dans cette circonstance. Mais il est à désirer que le Roi se défasse de M. de Bercagny.

J'ai de forts indices pour soupçonner que ma dépêche, où je traçais tout le plan qui s'est réalisé depuis, a été livrée par celui de mes valets que j'avais chargé de la porter à Mayence, et qui depuis est devenu l'espion de ma maison. Comme je n'ai rien à cacher, et que le moment actuel ne paraît point propice pour faire un éclat, je le garderai pendant quelques jours encore. Mais si j'obtenais la certitude ou plutôt la preuve de la trahison de la dépêche, suffirait-il de le chasser?

Après les petites intrigues d'intérieur du gouvernement westphalien, revint la grosse question des finances. L'empereur ordonna, à cette époque, au prince d'Eckmülh de réclamer de la Westphalie la réparation des importantes fortifications de Magdebourg et l'approvisionnement de siège de cette place. Or, c'était une dépense de trois millions, et Napoléon avait décidé le 29 janvier que cette dépense serait couverte par le produit des droits imposés aux denrées coloniales. Reinhard fut chargé de réclamer du gouvernement de Jérôme l'exécution de la mesure relative à Magdebourg. Il fit des démarches auprès du comte de Furstenstein et auprès du roi, puis il répondit le 7 mai au duc de Bassano qui avait remplacé le duc de Cadore au ministère des relations extérieures:

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