Les Rois Frères de Napoléon Ier: Documents inédits relatifs au premier Empire
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 17 septembre.
Rien ne finit, et malgré les demandes que j'ai faites au ministre de me donner une réponse, je ne puis en obtenir. Le roi a, dit-on, envoyé un courrier à l'empereur. J'ignore si la lettre de Sa Majesté est relative aux objets dont je suis chargé, car cette démarche du roi ne m'a pas été annoncée officiellement. Je ne puis donc avoir rien de nouveau à transmettre à V. Excellence; il m'est pénible de ne pas pouvoir exécuter les ordres de l'empereur. Il est vrai que dans les circonstances présentes qui servent de prétexte à la mauvaise volonté du gouvernement hollandais, je ne le presse pas autant que je l'eusse fait dans un autre moment. Cependant la Hollande paraît ne plus rien avoir à craindre, et les nombreux changements qui se font dans l'organisation militaire ne tiennent pas à la défense du pays, mais à la volonté du roi. Depuis la descente des Anglais, l'on a formé la garde nationale dans les principales villes du royaume. La levée des deux régiments a été décrétée, mais les moyens de défense sont bien peu de chose et la volonté bien faible. En tout je ne vois pas de possibilité que la Hollande reste comme elle est maintenant. Il n'y a aucun ensemble dans le gouvernement et aucune tenue dans aucun système suivi. Il n'existe donc qu'un amour-propre mal placé qui l'empêche de devenir français.
Dans une des dernières conférences que j'eus avec M. Roëll, lorsque je lui parlais du système du gouvernement hollandais, je lui dis que je voyais d'autant moins d'espoir de le ramener à une marche plus raisonnable, que jusqu'à présent je ne pouvais pas deviner la base du principe qui le faisait agir avec aussi peu de mesure, puisque continuellement il nuisait à ses plus chers intérêts. Pressé de s'expliquer, ce ministre me répondit qu'étant ministre, il ne lui était pas permis de satisfaire à ma demande, mais que le jour où il ne le serait plus il me dirait le mot de l'énigme. Je désirerais donc que M. Roëll quittât le ministère, car il me semble que ce changement procurerait plus de lumières que nous n'en avons obtenu pendant tout le temps de son administration.
M. le comte d'Hunebourg vient d'envoyer au roi le chef de bataillon Leclerc. Il est encore à Harlem et il se chargera de cette dépêche. Je ne doute pas qu'il ne rapporte des assurances faites pour plaire. Mais les faits jusqu'à présent répondent bien faiblement aux paroles.
M. le baron de Gilsa, récemment nommé envoyé extraordinaire de S. M. le roi de Westphalie, a eu l'honneur de remettre au roi ses lettres de créance. C'est un homme entièrement nouveau dans la carrière diplomatique.
Espérons que je serai dans quelque temps assez heureux pour pouvoir adresser à V. Excellence un rapport satisfaisant. Croyez, je vous prie, que je le désire vivement, mais que je doute d'en venir à ce point avant que l'empereur n'ait jeté un regard sur la Hollande, et que S. M. impériale et royale n'ait trouvé un moyen de tarir la source du mal.
Il paraît que Sa Majesté rappelle le maréchal Dumonceau et que le général Brune commandera les troupes hollandaises en Zélande. On assure que le roi ne veut pas que ce maréchal serve sous les ordres du prince de Ponte-Corvo. Il doit y avoir en Zélande environ 10,000 hommes. Dans le reste du royaume il y a peut-être de 3 à 4,000 hommes. Mais depuis que le général Krayenhoff est ministre, Sa Majesté fait de nombreuses promotions. L'état-major de l'armée et le corps d'officiers ne sont pas en proportion des hommes. Je crois que l'on pourrait cependant porter l'armée à 20,000 hommes; mais il serait difficile d'aller plus loin, le recrutement se faisant avec beaucoup de peine.
Le ministre de la marine est dans une position moins bonne, car à l'exception des chaloupes canonnières il n'y a pas d'armement. Les équipages ont été licenciés. Cependant la Hollande pourrait en trois mois armer neuf ou dix vaisseaux de ligne, mais il n'y a pas d'argent. Enfin, soit par une cause, soit par une autre, il en résulte que la Hollande n'a sous les armes qu'environ 14,000 hommes, quelques gardes nationales non exercées, deux vaisseaux de ligne ou trois, en comptant le Chatam, qui est en rivière de Meuse, quelques bricks, goëlettes et des chaloupes canonnières. Il en reste en outre les douaniers et gardes-chasse.
Je reçois à l'instant la lettre que V. Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire d'Altenbourg le 4 de ce mois.
Je vais notifier à M. de l'Angle le décret de S. M. Impériale et royale.
Larochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 28 octobre.
J'arrive de Loo où je devais aller parler au roi, comme j'ai eu l'honneur d'en prévenir V. Excellence. J'ai communiqué à Sa Majesté les intentions formelles de l'empereur. J'ai dit au roi que son auguste frère demandait que la division hollandaise fût portée dans l'île de Sud-Beveland à 16,000 hommes, et que 200 chaloupes canonnières, péniches, etc., fussent dirigées vers le même point pour employer ces forces à agir dans l'île de Walkeren et en chasser les Anglais. Sa Majesté m'a répondu que le corps de troupes hollandaises, maintenant sous les ordres de M. le maréchal Dumonceau, était sur le papier de beaucoup de plus de 16,000 hommes, mais que les maladies régnaient tellement dans l'armée, que presque la moitié des régiments se trouvait dans les hôpitaux; que toutes ses troupes étaient aux ordres de l'empereur, qu'il n'avait par conséquent qu'à indiquer les postes qu'elles devaient occuper: que si dans l'île de Sud-Beveland il ne se trouvait que 3,000 hommes, cela venait uniquement de l'intention du roi de diminuer, par ce moyen, le nombre des maladies, mais que les troupes étaient si près de ce point, qu'en peu de jours elles pouvaient y être portées. Le roi ajoute que les deux seuls régiments qui avaient été distraits de ce corps d'armée avaient été envoyés, l'un en Ost-Frise pour y réprimer la contrebande, et l'autre en Nord-Hollande pour que ce point intéressant ne fût pas entièrement dégarni; qu'ainsi Sa Majesté allait donner ses ordres pour que 10,000 hommes effectifs, commandés par M. le maréchal Dumonceau, se dirigeassent et agissent conformément aux ordres qu'ils recevraient de M. le maréchal duc d'Istrie.
Que, quant aux chaloupes canonnières, etc., ce n'étaient pas autant les bâtiments qui manquaient que les marins qui étaient impossibles à trouver; que le roi ne pouvait donc porter en Zélande que 100 petits bâtiments qui y seraient rendus sous peu de jours, Sa Majesté venant de donner des ordres positifs pour remplir à cet égard les intentions de l'empereur.
Nous en vînmes ensuite à la seconde dépêche de V. Excellence, dont je dis le contenu au roi, en observant à Sa Majesté que j'étais chargé d'insister formellement sur la demande que la question des eaux ne fût plus mise en avant, que tous les navires capturés par des corsaires français fussent jugés par les tribunaux français; que toutes les prises trouvées en contravention aux décrets de l'empereur fussent reconnues bonnes et valables; enfin j'ajoutai que la contrebande était portée à un point qui avait fixé les regards de S. M. impériale et royale, que l'empereur prétendait qu'elle fût réprimée par des moyens efficaces, et qu'il avertissait que si les choses ne changeaient pas, il se verrait forcé non seulement de faire occuper les passes par ses troupes, mais même de faire saisir par elles les denrées coloniales qui, entrées en contrebande, se trouvaient déposées dans les magasins d'Amsterdam.
Je passai ensuite au système général, à la conduite des ministres du roi, à l'inexécution des décrets de Sa Majesté, enfin à la manière extrêmement opposée à la France dont toutes les affaires se traitaient en Hollande; j'observai au roi la nécessité de changer entièrement de marche et de revenir à des principes qui seuls pouvaient sauver la Hollande. Pour donner plus de force à ce que je venais de dire, je crus devoir lire à Sa Majesté une partie de la dépêche de V. Excellence; alors elle sentit que loin d'ajouter aux ordres de l'empereur, je cherchais toujours les moyens de les lui rendre moins sévèrement.
Le roi me répondit que quant à la question du territoire, il serait perdu aux yeux de son peuple s'il l'admettait; que l'empereur n'aurait pas dû lui faire une demande à laquelle il ne pouvait pas accéder, et que celle-ci était de ce nombre. Je répondis au roi que Sa Majesté ne devait pas perdre de vue que les demandes de l'empereur n'étaient que le résultat de tout ce qui avait été fait à l'égard de nos corsaires et de leurs prises; qu'ainsi ce n'était pas seulement comme question de droit qu'il fallait l'envisager, mais encore comme question de fait, et que, sous ce dernier point de vue, Sa Majesté ne pouvait pas se dissimuler, et m'avait avoué elle-même, que l'on avait ici commis de grandes fautes. Le roi ne put nier ce point, mais il revenait toujours sur l'impossibilité d'accéder au désir de l'empereur, sur la manière dont ce serait trahir ses devoirs que d'abandonner une partie des droits de son peuple, enfin sur la décision récente du Conseil d'État.
Quant à la contrebande, Sa Majesté me dit qu'elle espérait beaucoup des nouveaux ordres donnés par elle à ce sujet, et qu'elle prendrait encore de nouvelles mesures si celles-ci n'étaient pas suffisantes; qu'elle exigerait des certificats d'origine pour les denrées coloniales venant d'Ost-Frise, et qu'elle tirerait même une ligne de douanes qui séparerait l'Ost-Frise du reste de la Hollande, si la chose devenait indispensable. Sa Majesté se récria fortement contre l'idée de faire exécuter en Hollande les décrets de l'empereur, contre celle de voir des troupes françaises venir faire la police à Amsterdam, enfin contre la volonté d'influencer et de diriger même la conduite de ses ministres. Elle me dit qu'elle voyait bien que tout ceci lui était personnellement adressé, que ses ministres n'étaient que ses agents et qu'ils ne faisaient que ce qu'elle voulait (je citai à cette occasion quelques exemples du contraire qui embarrassèrent le roi), qu'ainsi c'était l'attaquer directement que de parler d'eux; que si l'empereur voulait réunir la Hollande, il n'avait qu'à le dire sur le champ, parce qu'il voyait parfaitement bien que c'était là le but de toutes les demandes qui lui étaient faites. Enfin, dans la chaleur de la discussion, le mot d'abdication sortit de la bouche du roi. J'observai à Sa Majesté que dans tout ce que j'avais eu l'honneur de lui dire, il n'avait été nullement question de réunion, mais seulement de précaution pour empêcher les abus qui s'étaient trop souvent reproduits. La conférence fut longue, mais à la fin le roi sentant, je crois, la force de mes observations et l'impossibilité de m'éloigner du véritable but de la question, me pria simplement de ne pas exiger une réponse officielle et positive avant qu'il eût écrit à l'empereur. Je crus devoir consentir à la demande de Sa Majesté, et la priai simplement de me remettre sa lettre qui servirait de preuve que j'avais exécuté les ordres qui m'avaient été donnés. J'ai donc l'honneur, Monsieur le comte, de vous expédier en courrier M. Amelin, attaché à mon ambassade, qui rapportera la réponse de l'empereur et les ordres de V. Excellence.
Dans cette conversation, ce que j'ai observé plus particulièrement, et ce que le roi ne m'a pas caché, est sa crainte qu'en Hollande on le croie Français, et qu'on le regarde uniquement comme un agent de l'empereur. J'ai cherché à en venir à persuader à Sa Majesté que c'était sa qualité de frère de l'empereur d'où dépendait le maintien de sa couronne et l'obéissance de ses peuples; que toute sa force ne venait que de son auguste frère; que le bonheur de la Hollande était attaché à la manière dont il était personnellement avec l'empereur, de qui seul elle pouvait attendre son existence; que j'étais si loin d'admettre la crainte d'être accusé de partialité envers la France, que je savais au contraire que la saine partie de ses entours, de ses ministres et de son peuple voyait avec peine tout ce qui se faisait contre les intentions de l'empereur, calculant que la Hollande marchait ainsi à sa ruine; et que Sa Majesté se tromperait fortement si elle voulait juger de l'opinion publique sur celle de quelques personnes placées près d'elle, dont la seule idée et le seul désir étaient de lui plaire, et qui, par cette raison, abondaient dans les assertions qu'elles croyaient lui être agréables. Je finis par dire au roi que je croyais bien connaître la Hollande et l'esprit de ses habitants, et que j'étais certain que les mêmes personnes qui le flattaient aujourd'hui, seraient demain contre lui, si l'empereur n'était pas aussi puissant. Le roi ne me répondit rien, mais son système m'a paru enraciné et difficile à détruire. V. Excellence en sentira facilement toutes les conséquences. Au surplus, je désirerais que cette dernière partie de ma dépêche ne fût pas regardée comme officielle, le roi m'ayant parlé confidentiellement de ses idées et de son système. J'ai l'honneur d'en rendre compte à Votre Excellence, comme le croyant nécessaire au bien de la mission dont je suis chargé.
Au reste, j'ai parlé aux différents ministres, que j'ai trouvés tous au Loo; mais, en abondant dans le système français, ils m'ont fait observer qu'ils ne pouvaient qu'obéir aux ordres et aux décrets du roi, dont ils exécutaient la teneur avec toute l'exactitude possible, et il fut répondu à toutes mes observations et à mes avertissements par des assurances de redoubler de zèle. J'ai parlé fortement et ne leur ai rien caché.
Le ministre de la marine m'a dit que les contrôles de son ministère ne montaient qu'à 5,000 hommes employés à la marine, et qui, par conséquent, ne formaient même pas les équipages de 200 petits bâtiments demandés par l'empereur, dont chacun devait être monté par 28 hommes, car il faut déduire des contrôles les malades, les employés aux chantiers, etc. Maintenant, il n'existe pas, en Hollande, un seul vaisseau de ligne en armement, et les magasins sont dépourvus de fer et de goudron. Votre Excellence a vu, dans une dépêche précédente, l'état du ministère de la guerre. L'intérieur souffre beaucoup, puisque les finances sont au-dessous de zéro. Il est sûr que les lignes de douanes nuisent au commerce et aux ressources du gouvernement, mais je croirais que le rapport des décrets de l'empereur ne doit pas être un encouragement, mais une récompense.
Lorsque je pris congé du roi, Sa Majesté ne me cacha pas sa grande inquiétude et son impatience de recevoir la réponse de l'empereur; elle me pria même de la lui porter au Loo, pour en causer avec elle. J'ai donc l'honneur de vous prier, monsieur le comte, de me réexpédier M. Amelin le plus tôt possible.
J'ai laissé le roi encore un peu faible, mais bien rétabli. La fièvre a quitté Sa Majesté depuis cinq jours.
L'empereur n'accepta pas le compromis offert par l'ambassadeur au sujet de la juridiction des prises, et fit donner l'ordre à Larochefoucauld de revenir à sa première proposition.
La lettre de Cadore en date du 12 octobre se termine ainsi:
Vous déclarerez que la volonté de Sa Majesté est que tout bâtiment qui sera trouvé avoir contrevenu à ses décrets soit déclaré de bonne prise, et que si l'on ne pourvoit pas efficacement, en Hollande, à la répression de la contrebande, non seulement elle fera occuper les passages des troupes, mais encore, elle enverra des colonnes mobiles saisir jusque dans Amsterdam les marchandises anglaises.
Sa Majesté y est, en effet, bien déterminée. Elle est décidée à ne point souffrir que la Hollande trahisse la cause commune. Il serait, m'écrit-elle, préférable de voir la Hollande en alliance ouverte avec l'Angleterre que de la voir favoriser sourdement son commerce et la guerre qu'elle fait contre nous.
Sa Majesté rend toute justice aux intentions du roi son frère. Elle sait que ses intentions sont droites; mais elle reproche à ceux qui devraient les seconder de tout leur pouvoir de n'être occupés qu'à les rendre vaines, de la sorte que si elle devait en juger par la marche du gouvernement, elle en prendrait une idée tout opposée. Les ministres ne lui semblent pas prévoir quel doit être le résultat final de leur conduite. Elle veut que vous les avertissiez et que vous leur fassiez comprendre que ce résultat sera la perte de leur existence.
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 23 novembre.
Hier, il y eut cercle diplomatique au palais. Le roi m'y parla de quelques affaires particulières, et Sa Majesté m'engagea à revenir le soir pour causer avec elle sur des objets plus importants. Elle me prévint en même temps qu'elle venait de recevoir des lettres de M. le duc de Feltre.
En sortant de l'audience, je rencontrai M. le colonel Leclerc, aide-de-camp de M. le ministre de la guerre, et c'est par lui que j'ai l'honneur d'envoyer cette lettre à Votre Excellence.
Je me rendis chez le roi à sept heures, et fus, sur-le-champ, introduit dans le cabinet de Sa Majesté, avec laquelle je restai près de trois heures. Le roi me dit qu'on lui demandait une augmentation de troupes et de bâtiments pour l'expédition de Walcheren, mais qu'il lui était impossible de fournir un contingent plus considérable; que, d'après l'état des situations reçu le matin de Mauchaunu, Dumonceau et Dewinter, les forces de terre sous les ordres du premier étaient de 10,000 hommes, en y comprenant les corps et les renforts qui sont en marche, et que le second mandait avoir sous les yeux 100 chaloupes ou bateaux canonniers, qu'il en attendait encore quelques-uns, indépendamment des 300 petits bâtiments armés dont il est question dans la réponse de M. Roëll. Le roi m'assura qu'il lui était impossible de faire davantage; que, sans de graves inconvénients, il ne pouvait dégarnir la côte, qui était à peine défendue, et que, quant à sa garde, elle était nécessaire à Amsterdam, dont elle composait la garnison; que Sa Majesté se trouvait dans une position bien fâcheuse, sa capitale étant remplie de gens sans emploi et sans pain, l'hiver étant au moment d'augmenter la misère, et le roi obligé de doubler les impôts pour combler le déficit; qu'à ce tableau alarmant, il fallait ajouter que les rentiers n'étaient pas payés, et qu'il n'avait pas le premier sou pour faire face aux dépenses courantes; que je devais donc en sentir que s'il dégarnissait Amsterdam du peu de troupes qui y étaient maintenant, sa personne ne serait pas en sûreté, qu'il existait un grand mécontentement dont il était fort inquiet.
Je répondis au roi que ce n'était pas le moment de revenir sur les causes de son malheur, mais plutôt de chercher les moyens d'y remédier; que l'empereur était mécontent du système général de la Hollande, du peu de ressources qu'elle offrait, et de la mauvaise volonté que l'on mettait à coopérer à l'expédition projetée; que le maréchal Dumonceau, sous prétexte d'être obligé de demander des ordres, ajournait l'exécution de ceux qu'il recevait; qu'il annonçait souvent avoir fait ce que, deux jours après, il écrivait n'avoir pu exécuter, et que Sa Majesté devait sentir combien il était indispensable de donner à ce maréchal des ordres assez illimités pour qu'il fût autorisé à obéir sur-le-champ à M. le maréchal duc d'Istrie. Après une longue discussion, le roi m'assura qu'il allait donner de nouveaux ordres et que j'y pouvais compter.
Nous en vînmes ensuite à une augmentation de troupes, et, tout en entrant dans les inquiétudes du roi, je lui dis cependant qu'il fallait faire quelque chose, et qu'il ne pouvait pas renvoyer l'aide-de-camp du ministre de la guerre avec un refus. Nous entrâmes, à ce sujet, dans des discussions trop longues pour être répétées à Votre Excellence, et, après de grands efforts, je parvins à décider le roi à mettre aux ordres de l'empereur, si Sa Majesté l'exigeait, un bataillon qui gardera la côte. Le roi me dit qu'il ferait remplacer ce bataillon par une partie de sa garde; que, quant au corps d'élite, il ne consentirait jamais à le diviser, et que je devais sentir l'impossibilité que Sa Majesté restât à Amsterdam à la merci de la populace. Enfin, le roi me témoigna le désir de voir l'empereur et l'empressement qu'il aurait eu d'aller à Anvers si Sa Majesté Impériale et Royale y était venue, mais qu'il craignait de se trouver dans la même ville que la reine. Autorisé par cette phrase, je crus pouvoir revenir sur ce sujet, dont j'avais déjà parlé au roi l'année dernière, et je cherchai à le ramener à une conduite plus convenable pour lui et plus avantageuse pour la Hollande; mais je perdis mon temps et mes paroles. Sans répondre aux vérités que je lui disais, Sa Majesté se contenta de me répondre qu'elle irait plutôt au bout du monde que de se rapprocher de la reine, que jamais il ne voulait en entendre parler, qu'il ferait à la Hollande tous les sacrifices excepté celui-là, etc., etc. Enfin, après avoir parlé longtemps sur ce sujet, le roi persista dans son désir de voir l'empereur, désir que Sa Majesté doit exprimer dans la lettre qu'elle écrit à son auguste frère.
Le reste de la conférence fut employé en plaintes de Sa Majesté sur son affreuse position, sur son désir de quitter la Hollande, s'il ne parvenait pas à regagner l'amitié de l'empereur; sur son opinion prononcée qu'il devait être Hollandais, et que, tant qu'il serait roi, il devrait défendre ses sujets; sur l'idée qu'on l'accusait d'être Français, et qu'il devait ne pas le paraître; enfin, sur l'échafaudage d'un système faux et désastreux, mais tellement enraciné dans la tête de Sa Majesté que je crois qu'il n'existe, peut-être, que l'empereur qui puisse l'en faire revenir. À cette malheureuse opinion, j'ai trouvé mêlé un grand attachement à l'empereur; l'intention, si Sa Majesté quittait la Hollande, d'aller trouver son auguste frère, de faire tout ce qu'il voudrait et de demeurer le plus fidèle de ses sujets. J'ai pu facilement pénétrer que le roi exprimait ce qu'il pensait, et que Sa Majesté était vraiment malheureuse. J'ai cherché à détruire le système du roi; je lui ai représenté ses entours comme autant d'intrigants qui avaient surpris sa religion; qui, n'osant pas lui dire d'être anti-Français, avaient su lui persuader qu'il devait être Hollandais, pour parvenir au même but. J'ai répété au roi que, couronné par l'empereur, il devait suivre le système politique et commercial de la France; que, sans les bontés de Sa Majesté Impériale et Royale, la Hollande périssait au milieu de son opulence et de ses richesses; que jamais gouvernement n'avait été dans une position plus alarmante par le tableau même que Sa Majesté venait de me faire, et que, d'après son opinion, l'empereur ne pourrait sauver la Hollande que lorsqu'il serait assuré que ce gouvernement lui serait utile au lieu de contrecarrer continuellement toutes ses dispositions. Le roi m'écouta avec bonté, et j'oserai même dire avec amitié. Il ne nia pas les faits que j'avançais ni les accusations que je portais; mais il en revenait à son premier principe: qu'il serait perdu s'il avait l'air d'être l'agent et l'instrument de l'empereur.
Sa Majesté me témoigna une grande peine de ne pas recevoir de réponse de l'empereur, une grande inquiétude sur sa position et une grande peine de la suite des événements qui se préparaient.
Maintenant, Votre Excellence est bien au fait de la cause de tout ce qui arrive dans ce pays-ci. Depuis longtemps, j'ai eu l'honneur de vous les faire pressentir. Il fallait la position présente et l'aveu du roi pour que j'osasse vous le dire plus clairement. Quant au remède, l'empereur peut seul le trouver, et il ne m'appartient pas d'émettre mon opinion à cet égard. Dans le cas où le roi irait à Paris et où Sa Majesté me demanderait de l'accompagner, je prierais Votre Excellence de me mander ce que je dois faire.
Lorsque la conférence fut terminée, le roi me prévint qu'il avait été informé que l'empereur admettait en France les bâtiments américains chargés de coton; qu'ainsi, il avait annoncé au commerce que, lorsqu'il lui serait prouvé que l'empereur avait donné une telle permission, il en permettrait l'entrée en Hollande, pourvu que les marins prouvassent qu'ils n'ont pas été en Angleterre, et l'origine des cotons. Je prie Votre Excellence de me donner des nouvelles à cet égard.
Le roi m'a demandé plusieurs fois si M. Amelin était de retour, et m'a paru très inquiet de ce retard.
La Rochefoucauld à Cadore.
25 novembre.
Le maréchal Werhuell, arrivé à Amsterdam depuis trois jours, a eu avec le roi une longue conférence, dans laquelle rien n'a été décidé.—Son but était de rendre compte de l'audience particulière que l'empereur lui avait accordée, et d'engager le roi à venir à Paris.—L'ambassadeur l'a mis au courant de la situation des choses.—On prépare les voitures de voyage du roi.—La contrebande diminue un peu, depuis que le roi a défendu que l'on délivrât des passeports d'intérieur pour toutes les marchandises qui viennent d'Ost-Frise; mais les magasins d'Amsterdam sont pleins de denrées coloniales et de marchandises anglaises. La communication avec l'Angleterre est très fréquente, et des passagers viennent habituellement de l'autre côté du Rhin. Les derniers arrivés disent que l'on peut compter sur l'évacuation de l'île de Walcherem, les Anglais n'ayant pas 2,000 hommes en état de se battre.
Le roi se plaint de la conduite des corsaires français, qui ont pris deux bûcherons en dedans des limites.
Je n'ai rien pu répondre à Sa Majesté, mais je n'ai pas blâmé les corsaires, les dernières instructions de Votre Excellence m'enjoignant de ne plus reconnaître de limites en dedans desquelles les corsaires ne devaient pas exercer une police sévère contre les navires chargés de marchandises prohibées.
La Rochefoucauld à Cadore.
27 novembre.
Le roi est revenu hier d'Harlem, a reçu le Corps législatif, a annoncé officiellement son départ pour Paris.
Il a eu une dernière entrevue avec le roi, qui lui a dit qu'il s'était décidé à partir sur ce que le maréchal Werhuell lui avait annoncé le désir que l'empereur avait témoigné de le voir; qu'il n'avait été arrêté dans ce voyage que par la peine de se rendre dans la ville que la reine habitait, et que son intention première était d'aller loger chez Madame-Mère.
J'observai au roi combien cette démarche me paraissait précipitamment adoptée, et je pris la liberté d'en dire les inconvénients à Sa Majesté, qui me parut décidée à aller à Saint-Leu.
Le roi trouve qu'il ne peut revenir sans apporter une preuve éclatante de son rapprochement avec l'empereur.
—Il emmène M. Roëll, qui se dit malade d'avance.
—M. Mollerus, homme d'esprit, très prononcé dans un système opposé à la France, ce qui est connu depuis longtemps. M. Roëll est nommé président du conseil des ministres, et chargé du portefeuille des affaires étrangères.
On est généralement fâché, dans le gouvernement, du départ du roi. On craint que Sa Majesté ne change de marche; mais la généralité des habitants d'Amsterdam espère beaucoup des résultats de ce voyage.
Le roi lui-même est parti tourmenté. La position de Sa Majesté est certainement pénible. La Hollande souffre, et l'esprit public n'est pas aussi bon qu'il pourrait l'être. Je vois cependant de grandes ressources si la cause est complète, mais de nouveaux malheurs si elle n'était pas entière.
Le 5 décembre 1809, le ministre duc de Cadore écrit à La Rochefoucauld en lui envoyant le discours de l'empereur au Corps législatif, annonçant d'autres destinées pour la Hollande.—Il prescrit à l'ambassadeur d'observer l'effet produit sur les diverses classes de la population, et d'en rendre un compte impartial à l'empereur, en indiquant les mesures à prendre pour satisfaire aux vœux légitimes des Hollandais.
—Quels avantages ils désirent voir assurer à leur pays; de quels maux ils souhaitent d'être garantis? Quel est enfin l'arrangement auquel ils sont prêts à souscrire?
Rapport du duc de Cadore à S. M. l'Empereur et Roi.
6 décembre 1809.
Le roi de Hollande a fait appeler ce matin le ministre des relations. Il lui a témoigné sa profonde douleur de la communication que venait de lui faire Sa Majesté l'empereur de ses vues sur la Hollande et de l'ordre déjà donné à 40,000 hommes de troupes françaises d'y entrer pour en opérer la réunion avec le grand empire. Sa Majesté le roi paraissait, en effet, dans un abattement voisin du désespoir. Ce n'était pas son propre sort qu'elle déplorait. Elle avait éprouvé sur le trône tous les soucis et les inquiétudes de la royauté, et le mal non moindre de son isolement loin de son auguste frère, de sa famille, de la France, et dans un pays contraire à sa santé. À la voix de son frère, elle descendrait volontiers du trône, et elle demandait même avec instance que l'empereur y plaçât ou la reine ou toute autre personne investie de sa confiance. Ce n'était donc que pour l'intérêt de la France, pour l'intérêt de l'empereur, que le roi de Hollande réclamait la conservation de l'indépendance nominale qui avait été laissée jusqu'à ce jour à ce pays. Elle est l'objet de tous les vœux des Hollandais; pour la conserver, ils feraient les plus grands sacrifices, et c'est pour elle qu'ils paient, en imposition, les trois quarts de leurs revenus. La réunion, opérée contre leur vœu, excitera un mécontentement général. Sans doute, les Hollandais se soumettront à la force; mais l'action de cette force sera continuellement nécessaire pour les maintenir dans la soumission. Il faudra, désormais, qu'une armée française réside dans le pays. La confiance perdue éloignera les capitaux, anéantira l'esprit d'industrie qui a donné à ce pays une existence presque miraculeuse. Il deviendra à la charge de la France, loin de lui être utile, et l'Angleterre profitera de toutes les pertes que fera la Hollande.
Le roi voudrait, au prix de tout son sang, détourner tant de maux. Il accédera, si l'intention de l'empereur est qu'il règne encore, à un arrangement propre à donner à son auguste frère l'assurance que la Hollande marchera désormais dans le système de la France. Il propose de céder à la France tout ce qui est sur la rive gauche de la Meuse, espérant que l'empereur voudrait le dédommager par quelques concessions en Allemagne, et il indique le grand duché de Berg. Il consentirait à avoir auprès de lui un agent de l'empereur, sans caractère ou revêtu d'un titre propre à déguiser ses véritables fonctions, lequel agent serait chargé de l'avertir des actes de son administration qui pourraient être contraires aux intentions de l'empereur, et il se conformerait aux indications de cet agent. Enfin, il offre d'annuler, dès ce moment, les modifications apportées au tarif de ses douanes, de rapporter ses décrets sur la noblesse; enfin, de révoquer d'autres actes de son administration qui auraient pu blesser l'empereur. Mais il croit ne pouvoir étendre sa condescendance jusqu'à prononcer la banqueroute et l'établissement de la conscription. Il offre de faire faire par la Hollande les recrutements qui pourront lui être demandés.
Ces propositions doivent être faites au ministre des relations par le ministre et l'ambassadeur du roi de Hollande; elles seraient même rédigées par écrit. Les idées énoncées dans ce rapport ne sont qu'un premier jet; il est possible que quelques heures de méditation les étendent ou les modifient.
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 12 décembre.
J'ai eu l'honneur d'expédier hier à Votre Excellence le courrier Lourdet avec la réponse aux demandes qu'elle m'a adressées. Le peu de temps que j'ai eu pour la rédiger ne m'a pas donné la possibilité d'entrer dans le détail des moyens d'exécution qui n'ont pu qu'être indiqués, ni de parler des ressources immenses que présente ce pays; elles sont tellement considérables que, la confiance une fois rétablie, et malgré la dette, il peut encore offrir à la France de grands avantages, et lui fournir même du numéraire si l'empereur le désirait; mais je crois qu'il faut le rassurer, principalement sur son incorporation, car les fonds que l'on réalise iront en Angleterre; le change est déjà monté de 3% et le papier anglais est recherché.
Votre Excellence sait peut-être déjà que quelques feuilles hollandaises ont osé retrancher du discours de l'empereur l'article qui regarde ce pays, et que celles qui ont rendu compte fidèlement de tout le discours sont défendues. Cet ordre a été donné par le ministre de la justice et de la police. M. de Styrum, préfet du département, a ordonné que la Gazette de Harlem laissât l'article en blanc.
L'inquiétude est grande; les fonds de tous les pays baissent. Tous les yeux sont tournés vers moi, et tous les esprits se livrent à des conjectures qui sont loin de les rassurer.
Le 15 décembre 1809, l'amiral Werhuell écrit au duc de Cadore que c'est avec une véritable douleur que le roi a vu l'empereur et son ministre parler au Corps législatif de changements prochains en Hollande. Sa Majesté espère que l'empereur n'a en vue que des changements propres à consolider un trône qui est son ouvrage.—Il aime à croire, d'ailleurs, que l'empereur fera connaître promptement tous les changements projetés.
Le 16 décembre, Larochefoucauld résume en quatre questions et réponses la lettre du ministre en date du 5 décembre:
1o Quels sont les vœux des Hollandais?
Maintenir leur nationalité; éviter les banqueroutes des deux tiers, la conscription et l'occupation française.
2o Quels avantages désirent-ils?
Le duché de Berg en échange de la Zélande et du Brabant.
3o Quels maux veulent-ils éviter?
Tout système qui serait en opposition avec celui de la France.
4o À quel arrangement souscriraient-ils?
À voir différer un tiers et plus de la dette, et à tous ceux qui conviendraient à l'empereur s'ils obtenaient les trois points indiqués plus haut.
Année 1810.
Napoléon à Clarke.
Paris, 5 janvier.
Donnez l'ordre au maréchal Oudinot de se rendre à Anvers, pour prendre le commandement de l'armée du Nord.
Clarke à Oudinot.
Paris, 20 janvier.
Monsieur le maréchal, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 16 courant, et Sa Majesté m'a chargé de vous témoigner qu'elle n'était pas satisfaite d'apprendre que vous eussiez fait revenir sur territoire français les troupes que vous aviez envoyées à Bréda et à Berg-op-Zoom. L'empereur me charge, à cette occasion, de vous réitérer les observations que je vous ai faites, par ma lettre du 11, sur les mesures que vous aviez prises, relativement à ces deux places. Sa Majesté pense que Votre Excellence aurait dû commencer par y faire entrer ses troupes et en prendre possession après; c'était la meilleure manière de parvenir à votre but. Quant aux moyens à employer pour réussir, Votre Excellence doit comprendre que c'est au général en chef, qui est sur les lieux, à faire les dispositions convenables pour bien remplir les vues du gouvernement, et qu'on ne peut lui prescrire des mesures de détail qu'il est dans ses attributions de combiner et de faire exécuter de la manière la plus propre à en assurer le succès.
Relativement aux gardes nationales, je vois, par la lettre de Votre Excellence, qu'elle n'a fait revenir que la division Gouvion, et que deux bataillons ont été placés à Malines et à Bruxelles. L'intention de l'empereur est que Votre Excellence dispose de toutes les gardes nationales de l'armée du Nord, même de celles qui sont à Bruxelles, pour les placer en entier sur le territoire hollandais, où vous devez aussi porter votre quartier général. Vous voudrez donc bien donner vos ordres en conséquence, et vous occuper de remplir avec activité les intentions de l'empereur. Votre Excellence verra, d'ailleurs, que ces dispositions ne changent rien aux mesures prescrites par ma lettre du 18, dont je vous confirme le contenu en son entier, en vous invitant à ne rien négliger pour en assurer l'exécution.
Clarke au Roi de Hollande.
Paris, 20 janvier.
Sire, Sa Majesté l'empereur et roi m'a chargé de faire connaître de nouveau à Votre Majesté la peine que lui a causée la manière dont les choses se sont passées en Hollande, relativement à l'entrée demandée pour ses troupes dans les places de Bréda et de Berg-op-Zoom. Le mauvais effet que produit en Hollande et en France un pareil éclat ne peut échapper à Votre Majesté, et je dois croire qu'elle en souffre autant que l'empereur. Il est malheureusement devenu le résultat inévitable des ordres de Votre Majesté aux commandants de place, et cette mesure ne pouvait produire, dans aucun cas, un bon effet.—La lettre close qui a été présentée à Berg-op-Zoom, au général Maison, contenant un ordre particulier de Votre Majesté de ne remettre la place à qui que ce fût sans un ordre du ministre de la guerre ou du roi lui-même, a dû nécessairement frapper l'empereur, en annonçant que Votre Majesté s'était depuis longtemps décidée à opposer de la résistance à l'exécution des mesures que Sa Majesté Impériale pourrait avoir à prendre au sujet de ces villes. J'espère, toutefois, que Votre Majesté aura pris enfin le parti que la sagesse et la réflexion ont dû lui dicter, en révoquant les ordres qu'elle avait donnés, pour éviter une résistance inutile. Elle sentira que l'empereur ne peut revenir sur des dispositions arrêtées après mûres réflexions, et fondées sur de grandes vues politiques, dont l'accomplissement est nécessaire au repos de l'Europe. Les maux qu'une résistance plus longtemps prononcée causerait à la Hollande elle-même doivent être, aux yeux de Votre Majesté, un motif déterminant pour l'engager à fléchir en cette matière. Le seul parti, aujourd'hui, est de prendre les mesures les plus précises pour éviter les fâcheux résultats que ses premiers ordres ont dû produire, et terminer promptement une lutte aussi inégale qu'elle serait nécessairement désastreuse pour les États de Votre Majesté.
Clarke à Napoléon.
Paris, 25 janvier.
Votre Majesté trouvera ci-joint, en original, la dépêche que je reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, en date du 28. Elle répond à la mienne du 20, qui lui avait transmis les derniers ordres de Votre Majesté. Le maréchal a pris toutes les mesures nécessaires pour les exécuter, et a dû se rendre, le 24, de sa personne à Berg-op-Zoom. Il envoie une copie de l'ordre du roi de Hollande, adressé au gouverneur de Berg-op-Zoom, dont il résulte que l'entrée de nos troupes ne souffrira pas de difficultés, mais que les dispositions ultérieures ordonnées par Votre Majesté pourront éprouver des obstacles. Le duc de Reggio assure, d'ailleurs, qu'il les lèvera tous. Cependant, il attendra de nouveaux ordres pour la prise de possession et le serment à exiger des autorités. Il doit les attendre à Breda, où il se rendra en sortant de Berg-op-Zoom; mais il pense qu'il devrait revenir ensuite à Anvers, dont la position est la plus centrale pour pouvoir diriger les opérations le long de la Meuse. Votre Majesté remarquera, parmi les dispositions prises par le duc de Reggio pour la répartition de ses troupes, qu'il a disposé de la division Lamarque en entier et d'un bataillon de la division Chambarland, quoique ces sept bataillons fussent compris dans le décret du 22, qui ordonne leur licenciement. Je supplie Votre Majesté de vouloir bien me faire connaître ses intentions à cet égard, de même que sur les autres objets de la lettre du maréchal duc de Reggio qui exigent une décision.
Clarke à Napoléon.
27 janvier.
J'ai l'honneur de transmettre à Votre Majesté, en original, la dépêche que je reçois à l'instant du maréchal duc de Reggio, datée de Berg-op-Zoom, le 24 courant, par laquelle il annonce son arrivée dans cette ville de même que l'entrée du général du Roure à Breda. Votre Majesté remarquera que le général hollandais qui commande à Berg-op-Zoom a refusé de laisser prendre possession de la place, en alléguant les ordres du roi. Le duc de Reggio n'en a pas moins fait toutes ses dispositions pour exécuter les premiers ordres de Votre Majesté; mais il en attend encore avant d'effectuer la prise définitive de possession, et, d'ici à l'époque où il pourra les recevoir, il aura réuni les troupes dont il a besoin pour consommer cette entreprise.
Clarke à Oudinot.
28 janvier.
Monsieur le maréchal. Vous trouverez ci-joint une copie du décret de Sa Majesté l'empereur, daté des Tuileries, le 20 janvier, et que Sa Majesté vient de me faire connaître. L'intention de l'empereur est que vous fassiez une proclamation, pour faire connaître que vous prenez possession militaire des pays situés entre la Meuse et l'Escaut; que les troupes hollandaises, de même que les troupes françaises, ne devront obéir qu'à vos ordres, et que telle est la volonté de l'empereur.
Vous devez parler très haut aux militaires hollandais et savoir ce qu'ils prétendent faire. La mise des places en état de siège annulera, par le fait, la possibilité de tout acte inconsidéré de la part des autorités civiles. L'empereur veut que vous vous empariez des magasins à poudre et des munitions de guerre et de bouche. Votre Excellence annoncera l'arrivée prochaine de 60,000 Français et fera former des magasins pour leur subsistance.
Sans rien écrire à ce sujet, Votre Excellence fera entendre que la sûreté des frontières de France obligera peut-être l'empereur à réunir définitivement à la France la partie de la Hollande située entre la Meuse et l'Escaut, et qu'en attendant, il est de l'intérêt des habitants de bien se comporter.
L'empereur permet, monsieur le maréchal, que je vous confie, sous le secret, qu'en réalité, son intention est de faire prendre d'abord possession militaire des pays en question, et d'en faire prendre après possession civile, ce qui, toutefois, ne pourra avoir lieu avant que vous receviez de nouveaux ordres. Sa Majesté a arrêté irrévocablement dans sa pensée la réunion à la France des pays compris entre la Meuse et l'Escaut; mais, en ce moment, elle veut que vous vous borniez à en prendre la possession militaire entière et absolue.
Vous devez avoir l'œil sur les magasins de marchandises anglaises et de denrées coloniales, afin que la saisie puisse s'en effectuer au premier ordre et à la fois; il faudra marcher contre les rassemblements de contrebandiers hollandais et leur donner des coups de fusil, s'il en est besoin.
Le 7 février, une division française du 4e corps de l'armée d'Allemagne doit arriver à Dusseldorf et doit continuer immédiatement sa route pour être sous vos ordres. Vous devez laisser peu de monde à Anvers et sur la rive gauche de l'Escaut, et, dès que les chaloupes et bateaux canonniers français qui sont dans nos canaux pourront servir, vous les ferez venir et vous vous en servirez. Enfin vous ferez, monsieur le maréchal, des règlements sévères pour tous les objets qui en sont susceptibles. Vous ne parlerez jamais de réunion d'une manière absolue, mais seulement de possession militaire. Vous ferez publier et afficher partout le décret ci-joint.
Un de vos premiers soins sera de mettre garnison dans toutes les places où il doit y en avoir. Vous notifierez aux généraux hollandais que leurs troupes font partie de l'armée de l'empereur, et vous donnerez la plus grande attention à les placer dans des endroits où elles ne puissent pas nuire. Vous veillerez surtout à ce qu'elles ne repassent pas en Hollande, et, au moindre soupçon, vous les ferez désarmer. Vous ferez ces notifications aux maréchaux hollandais, que vous appellerez à votre quartier général.
L'intention de l'empereur est que toutes les gardes nationales de l'armée du Nord et les autres troupes qui en dépendent se dirigent sur votre quartier général. L'empereur m'ordonne de vous réitérer l'ordre de tenir toutes vos troupes réunies, en vous conformant, d'ailleurs, à ce qui vous est prescrit par mes dépêches de ce jour.
Le général Vandamme reçoit l'ordre de se rendre sans délai à Berg-op-Zoom, pour servir sous vos ordres dans l'armée du Brabant.
P.-S.—M. le capitaine Markey, mon aide-de-camp, est chargé de remettre mes dépêches à Votre Altesse.
Palais des Tuileries, 20 janvier 1810.
Décret.
Voulant pourvoir à la sûreté des frontières du nord de notre empire, et mettre à l'abri de tout événement nos chantiers et arsenaux d'Anvers;
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
Article 1er.
Il sera formé une armée sous le nom d'Armée de Brabant.
Art. 2.
Tous les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et l'Océan formeront le territoire de la dite armée.
Art. 3.
Toutes les troupes françaises et alliées, de terre et de mer, qui se trouvent dans cet arrondissement, feront partie de l'armée de Brabant.
Art. 4.
Les places de guerre situées entre la Meuse et l'Escaut seront mises en état de siège.
Art. 5.
Les commandants militaires et les autorités françaises et hollandaises se conformeront aux présentes dispositions.
Art. 6.
Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret.
Article 1er.
Toutes les marchandises anglaises existant dans les villes et places situées entre la Meuse et l'Escaut sont confisquées.
Art. 2.
Le produit de la vente de ces marchandises sera employé moitié à réparer les dégâts faits à Flessingue, et moitié à indemniser les habitants des pertes qu'ils ont essuyées par le bombardement.
Art. 3.
Toutes les marchandises coloniales seront mises sous séquestre.
Art. 4.
Nos ministres de la police et des finances sont chargés de l'exécution du présent décret.
Clarke à Napoléon.
29 janvier.
Votre Majesté trouvera ci-joint une lettre du maréchal duc de Reggio, du 26 courant, datée de Berg-op-Zoom, par laquelle il rend compte de l'opposition toujours soutenue du gouvernement hollandais, qui a refusé de laisser prendre connaissance des magasins de la place: le duc de Reggio, après avoir fait sortir les troupes qui appartenaient au corps du maréchal Dumonceau, a dû, dès le lendemain, déposséder le gouverneur et s'emparer des magasins.
En attendant que cette opération fût consommée, le maréchal duc de Reggio a fait faire une reconnaissance de la place qui lui a procuré quelques renseignements. 240 bouches à feu se trouvent dans la place, et, en approvisionnements de siège, de quoi nourrir 2,000 hommes pendant six semaines. Du reste, il n'y a ni manutention, ni hôpitaux, ni casernes, ni fournitures, et le duc de Reggio pense qu'il est instant de régler sans délai tout ce qui tient aux administrations, ainsi que d'assurer tous les services de l'armée qui sera en Hollande.
À cette lettre est joint un croquis de la place de Berg-op-Zoom, avec un précis de ce qu'on a pu voir de cette place, les ingénieurs hollandais ayant refusé toute espèce de renseignements.
Clarke à Napoléon.
31 janvier.
J'ai l'honneur d'adresser à Votre Majesté une lettre du duc de Reggio, datée de Breda, le 28 janvier. Il rend compte qu'à Berg-op-Zoom comme à Breda, la prise de possession des magasins d'artillerie, du génie et des subsistances a eu lieu le 27, comme il l'avait annoncé. Les gouverneurs de ces places ont persisté dans leur opposition jusqu'au dernier moment; ils n'ont cédé qu'à la force. Ils ont ensuite refusé tous deux de remplir aucune fonction et attendent une nouvelle destination de la part de leur souverain.
Le duc de Reggio demande maintenant des instructions positives, relativement aux autorités du pays et aux habitants; le décret que je lui ai envoyé le 28 lèvera les obstacles qu'il craint de rencontrer de leur part.
Le maréchal fait observer que les bataillons de gardes nationales qui font sa principale force sont diminués par la désertion et fort éloignés de l'instruction et de la discipline que la circonstance exigerait. En outre, ils sont presque nus, ce qui contribue à les décourager. Les démarches faites à ce sujet au ministre directeur n'ont pas même obtenu de réponse. Le duc de Reggio insiste avec force sur la nécessité d'apporter un prompt remède à cet état de choses, dont la fâcheuse influence ne saurait échapper à la sagesse de Votre Majesté.
Une autre lettre du même, en date du 26, rend compte de la désertion qui a eu lieu à Namur dans les bataillons de la Meurthe et de la Moselle, dont il a été déjà rendu compte à Votre Majesté. Le maréchal ajoute que le départ pour Lille de la majeure partie des officiers a désorganisé ces bataillons, et qu'on doit peu compter sur eux dans une circonstance difficile.
Clarke à Oudinot.
1er février.
Monsieur le maréchal, j'ai eu l'honneur de faire connaître à Votre Excellence, par une dépêche du 28 janvier, dont le capitaine Markey, mon aide-de-camp, a été porteur, les intentions de l'empereur relativement à la prise de possession des places hollandaises situées entre la Meuse et l'Escaut. Aujourd'hui, je suis chargé par Sa Majesté de vous envoyer l'ordre de prendre possession militaire de toutes les places situées entre le Rhin et l'Escaut. Pour cet effet, il sera nécessaire que Votre Excellence commence par s'assurer des points qui couvrent sa gauche: ce sont les forts de Steenbergen, de Wilehelmstadt, de Klundoert et les villes de Gertruydenberg et Heusden, qu'il faudra faire occuper par des détachements. Bois-le-Duc et le fort de Crèvecœur doivent être pris en même temps, et cette mesure préliminaire étant consommée, l'arrivée prochaine de la division du 4e corps destinée à passer sous vos ordres vous permettra de suivre votre opération par la droite. Cette division, qui sera à Dusseldorf, doit être dirigée de Dusseldorf sur Venloo, d'où elle marchera directement sur Grave et de là sur Nimègue, qui doivent être pareillement occupés, de même que le fort de Schenk. Quand vous aurez, par là, votre droite et votre, gauche assurées, vous pourrez continuer votre marche en avant, pour aller occuper, sur votre gauche, la Zeelande ainsi que les îles de Josée et de Worms, ce qui vous conduira à prendre possession de Zérickée, de la Brille, d'Helvoest-Lyns et de Dordrecht. Vous aurez alors, en avant de votre route, le Bommel-Waard et la place de Garcum à occuper, au moyen de quoi votre grand mouvement se trouvera terminé, et vous aurez votre droite au fort de Schenk près du Rhin et votre gauche à l'île de Gorée. Il sera nécessaire de procéder, dans ces différentes places, de la même manière qu'à Breda et à Berg-op-Zoom, en y nommant un commandant militaire français et en renvoyant les troupes hollandaises qui pourraient s'y trouver en garnison dans des endroits où elles ne puissent pas nuire. Il faudra aussi s'emparer des magasins d'artillerie et des subsistances, et déclarer les places en état de siège pour annuler entièrement l'action des autorités civiles. Toutes ces opérations doivent être consommées successivement, mais avec beaucoup d'ensemble et de célérité pour en faciliter l'exécution, et je prie Votre Excellence de vouloir bien m'informer sans délai des mesures que vous aurez prises pour remplir, à cet égard, les intentions de l'empereur.
Le 2 février 1810, en présence des exigences du duc de Reggio exécutant les ordres de l'empereur, un conseiller d'État du roi Louis, le chevalier Elout, adressa au maréchal la lettre ci-dessous:
Breda, 2 février.
Monsieur le duc, chargé d'une mission auprès de Votre Excellence, j'ai appris avec regret que Votre Excellence se trouvait à Anvers. Privé d'un entretien que j'avais désiré vivement, il est toutefois de mon devoir de faire connaître à Votre Excellence l'objet spécial de la mission qui m'a été confiée, et dont j'ai l'honneur de m'acquitter par celle-ci.
Je n'ai pas besoin d'entrer en beaucoup de détails; mais je dois, cependant, prendre la liberté de rappeler à Votre Excellence que, quoique l'on n'a pas cru pouvoir accorder à sa demande d'être mise en possession d'une partie du territoire hollandais, on n'a pas hésité un moment, lorsque Votre Excellence a témoigné le désir d'y mettre les troupes de Sa Majesté l'empereur et roi en cantonnement, à recevoir ces troupes dans les places fortes de Breda et de Berg-op-Zoom, comme celles d'une puissance amie et alliée, ainsi que le dictaient les ordres du roi, mon maître, qui étaient connus d'avance à Votre Excellence et qui doivent être la seule règle de conduite pour tout fonctionnaire hollandais. Le gouvernement hollandais se reposait ainsi, avec toute la confiance possible, sur les assurances données par Votre Excellence, qu'elle désirait d'être admise sur ce point que les places resteraient sous les ordres de leurs gouverneurs respectifs, et que l'administration civile serait intacte.
Il vous sera donc facile, monsieur le maréchal, de sentir la vive douleur qu'a dû éprouver mon gouvernement lorsqu'il a été informé qu'on avait pris possession de la ville et du territoire de Berg-op-Zoom au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon; qu'il avait été exigé des autorités constitutives de se considérer comme sujets de ce monarque; qu'il avait été interdit d'administrer la justice au nom du roi, leur souverain légitime; qu'on avait enfin donné les ordres les plus précis aux receveurs de ne pas disposer des deniers publics sans un ordre du gouvernement français, douleur qui est accrue par ce qui est arrivé à Bréda.
La gloire de bien servir son maître est si naturelle, et tellement inhérente à tout Français, que je croirais manquer à Votre Excellence d'en presser le devoir; que Votre Excellence juge donc si les sentiments de tout homme d'honneur ne doivent pas s'accorder avec ce devoir même! Qu'ainsi, il lui est impossible de se départir de la fidélité qu'il doit à son souverain, et dont ce souverain peut seul le dégager.
Votre Excellence sent profondément (j'en ai la conviction intime) l'état cruel et pénible où se trouvent les bons et fidèles serviteurs du roi, en se voyant pressés de violer leurs serments et de manquer ainsi à leurs devoirs les plus chers et les plus sacrés et se rendre par là méprisables aux yeux de tout homme de bien, sentiment de mépris que partagerait Votre Excellence elle-même qui est trop pénétrée, sans doute, de la noblesse des sentiments d'amour et de fidélité que je viens de professer pour vouloir attribuer les difficultés qu'elle aurait pu avoir rencontrées de la part de ces individus à d'autre cause qu'à ses sentiments.
«Je crois pouvoir ajouter encore avec confiance, que d'après les intentions manifestées par l'empereur lui-même et les ordres les plus positifs du roi, que Votre Excellence a prouvé, par sa conduite antérieure, connaître à fond que l'entrée des troupes françaises sur le territoire hollandais ne peut être considérée que sous un point de vue militaire, mais jamais comme devant signifier la prise de possession au nom de Sa Majesté l'empereur et roi, et qu'encore pour cette raison aucun habitant ne doit ni ne peut se considérer comme sujet de Sa Majesté l'empereur Napoléon, mais que tous sans exception ne désirent respecter que les ordres qui leur seront donnés de la part de Sa Majesté le roi de Hollande dans les formes usitées et légitimes.
«Je dois insister plus spécialement encore sur ce qui regarde l'administration des finances. Votre Excellence doit sentir le grand embarras et la stagnation funeste que doivent faire naître les ordres donnés à ce sujet, ce dont les suites sont incalculables dans ce royaume.
«J'ose donc prier Votre Excellence qu'elle veuille se rendre aux représentations que j'ai l'honneur de lui faire d'après mes instructions et de donner les ordres pour que les conditions posées en principe par Votre Excellence elle-même soient respectées, et qu'il ne soit rien exigé d'un sujet hollandais qui serait contraire à son devoir, mais qu'il lui soit permis d'attendre sur toutes choses les ordres de son roi, et que Votre Excellence veuille faire révoquer le plus tôt possible les ordres donnés aux receveurs généraux, en un mot que tout ordre qui n'émane pas des principes militaires relativement au cantonnement, soit révoqué et mis hors d'effet.
«Je viens d'exposer l'objet de ma mission, Monsieur le duc, et me fondant sur votre caractère personnel autant que sur la haute qualité dont Votre Excellence est investie, j'ose espérer que le gouvernement hollandais ne se sera pas flatté en vain que Votre Excellence se rendrait à une demande juste dans sa nature, intéressante dans ses conséquences et peu faite sans doute pour inspirer les moindres appréhensions.
«Je prie Votre Excellence de m'en donner l'assurance afin que je puisse communiquer à mon gouvernement un résultat qu'il attend avec confiance et qui sera propre à conserver et à augmenter la bonne harmonie entre les individus des deux nations intimement liées.
«J'ai chargé Monsieur Siberg, auditeur du roi, de remettre cette dépêche à Votre Excellence et de me rapporter la réponse qu'elle voudra me faire parvenir. Agréez, Monsieur le duc, l'assurance de ma haute considération.»
Le Ministre de la guerre de Hollande à Oudinot.
Amsterdam, 3 février.
«Monsieur le duc, les ordres que j'ai reçus du roi mon maître et que M. de Byland, son aide de camp, m'a apportés, ont fait cesser en effet l'obligation pénible où j'étais de lutter contre les mesures de Votre Excellence, et maintenant que je me trouve autorisé à vivre en harmonie avec elle, je n'aurai rien de plus à cœur que de faire de mon côté tout ce qui peut tendre à la maintenir.
«Je sens que les troupes françaises qui vont occuper la partie du royaume située entre la Meuse et l'Escaut auront besoin d'y trouver des moyens de subsistance. Ce service est assuré, pour les troupes hollandaises, par l'entrepreneur général des vivres, qui fournit à tous leurs besoins. J'ai proposé à Sa Majesté de le charger aussi de la nourriture des troupes françaises, et j'attends les ordres qu'elle voudra bien me donner à cet égard. Si, dans l'intervalle, Votre Excellence juge à propos de requérir l'intervention des autorités locales, j'ai l'honneur de la prévenir que cette mesure serait étrangère à mon département et ressortirait entièrement du ministère de l'intérieur.»
De La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 15 février 1810.
«Croyant qu'il peut être agréable à Votre Excellence d'avoir quelques détails sur l'opinion générale et sur la situation des esprits en Hollande, je vais avoir l'honneur de vous faire part de mes observations.
«L'esprit public est généralement bon, c'est-à-dire que la masse de la nation est susceptible de prendre telle direction qu'il plaira à son gouvernement de lui donner. Le Hollandais aime sa patrie et fera de grands sacrifices pour elle. Il prend donc une part très réelle à ce qui intéresse la chose politique et l'honneur national.
«Le grand penchant qui existe pour l'Angleterre ne tient qu'au besoin de commerce et aux ressources avantageuses que l'on retire des relations avec ces insulaires. Mais favorisez le commerce, montrez de l'intérêt pour la Hollande, faites-lui entrevoir une prospérité future et une protection présente, dès lors vous verrez la Hollande devenir Française, car elle ne tient à l'Angleterre ni de cour, ni de goût, mais uniquement d'intérêt, et parce que, n'étant pas heureuse sous la direction française, elle croit que ce qui lui est opposé doit être pour elle un bien. Il existe ici trois opinions plus ou moins opposées les unes aux autres. Celle du commerce et des gens à argent qui n'admettent et qui n'aiment que ce qui leur procure un avantage; celle des propriétaires fonciers, de l'ancienne noblesse et de leurs agents, qui furent attachés à la maison d'Orange, qui en conservent des souvenirs, qui jusqu'à présent penchaient pour l'Angleterre, en éloignant tout ce qui était Français, mais que l'on peut faire revenir à des sentiments plus raisonnables avec de la douceur et avec de la fermeté; enfin, celle des Patriciens et de la masse du public qui suit ordinairement la direction du gouvernement et dont l'on peut facilement disposer en se rendant maître de leurs chefs. Le gouvernement est composé de la seconde classe, d'une partie de la troisième et de quelques individus de la première qui, pour obtenir des avantages personnels, ont quitté la droite ligne du commerce pour devenir courtisans. Cette seconde classe s'était tellement emparée de l'esprit du roi que Sa Majesté croyait en avoir besoin et qu'ils avaient su se rendre indispensables. Ils avaient travaillé l'esprit public, et soit par séduction, soit par peur ou par désir d'obtenir des emplois, soit enfin par des grâces, des décorations, ils étaient parvenus à rendre la Hollande anti-française. Les honnêtes gens souffraient et même quelques voix ont osé se faire entendre, mais elles ont été étouffées, et l'homme qui voulait se prononcer était si maltraité qu'il ôtait à tous les autres le désir et même la pensée de suivre un exemple qui le ruinait lui et les siens. Enfin, l'opinion publique était altérée; on gémissait en secret des fautes du gouvernement, mais il avait soin de rejeter le mal sur l'empereur. Le roi passait pour une victime de son dévouement à sa nouvelle patrie et pour n'être traité froidement par son auguste frère que parce qu'il défendait la Hollande[157]. Enfin, toutes les apparences étaient contre ce pays-ci, et il fallait se donner la peine d'examiner le mal de bien près et avec soin pour découvrir qu'il était uniquement au gouvernement, ou plutôt à quelques personnes qui avaient dû faire prendre la marche qui favorisait leurs intérêts particuliers. Ces vérités sont connues de tout le monde, elles sont même avouées des agents du gouvernement qui ne nient pas le mal, mais qui prétendent n'en être pas la cause et qui la rejettent sur tel ou tel autre individu.
«L'empereur a donc atteint un premier but bien intéressant qui est celui d'avoir ouvert les yeux à tous les partis; et chacun voit à présent que le mal qui les accable vient de la marche vicieuse du gouvernement. On rend toute la justice qui est due aux intentions du roi; mais ceux mêmes qui ont conseillé Sa Majesté sentent la faute qu'ils ont commise ou plutôt ils en craignent les effets. Mais que Votre Excellence me permette de lui observer combien il serait dangereux de se fier trop vite à un pareil repentir. Sûrement, il ne faut punir personne; mais il faut éloigner des gens trop marquants, qui ne peuvent prêcher sans honte un système opposé à celui qu'ils ont professé publiquement. L'éloignement peut n'être que momentané; mais il est indispensable pour asseoir le gouvernement dans de bons principes et pour lui faire prendre une marche dont il ne doit plus s'écarter. C'est un point très intéressant; mais, je le répète, il faut une certitude de stabilité. Sans cela, il n'y a plus de Hollande et je prie Votre Excellence de vouloir bien en être persuadée. Mais ici nous avons atteint ce point si le roi est bien convaincu de l'indispensable nécessité de suivre une marche invariable; si Sa Majesté s'entoure de gens de talent et de conduite, qu'elle daigne accueillir avec sa bonté ordinaire toutes les opinions, mais en laissant le temps à ceux qui ont professé l'ancienne doctrine de se reconnaître et d'ouvrir les yeux. Enfin si, à son retour, le roi se prononce comme celui de Westphalie paraît l'avoir fait; si l'empereur est sûr que Sa Majesté réunira à une pensée ferme un plan de conduite fixe; si enfin le système de la France est suivi, et qu'en Hollande le plus grand malheur et le plus grand désavantage ne soit plus d'être français, alors ce pays peut se rétablir. L'esprit public qui est bon et qui n'a été gâté que par quelques individus se remettra. Le commerce et les capitalistes, voyant qu'ils ne sont plus maltraités, mais que l'on assimile les premiers aux négociants français, tandis que l'on protège les seconds dans leurs rapports avec les cours étrangères, verront leurs intérêts se rapprocher de S. M. impériale et royale et la béniront. La noblesse bien traitée, favorisée de quelques ordres et titres, employée selon les preuves qu'elle donnera de son zèle et de son attachement à la nouvelle direction, se verra forcée, pour obtenir des avantages de la cour, de prêcher la seule doctrine qui y sera admise. Enfin, les Patriciens, amis de leur pays, qui ne désirent que son bien, et qui sont à présent malheureux, se rallieront facilement au gouvernement quand ils verront une certitude de stabilité, et ils attireront après eux la masse du public qui sent son mal et qui a besoin de le voir finir. Mais que Votre Excellence ne se dissimule pas à quel point ce mal est porté. Chacun gémit et se plaint. Le commerce est au moment d'éprouver des pertes considérables. Les propriétaires qui ont tous des rentes sur l'État sont ruinés par la chute des effets publics. La saisie des marchandises a jeté l'alarme dans la seconde et la troisième classe du peuple. Tout ce qui tient à la cour et au gouvernement craint pour son existence personnelle. Enfin, les auteurs du mal s'enveloppent de la misère publique. Ils ne parlent que de la nation en général, que de son affreuse position, et ils se sauvent sous le nom de la Hollande, tandis qu'eux seuls sont auteurs du mal dont tout le monde est puni. Je ne voudrais pas, Monsieur le duc, que Votre Excellence crût qu'il entre aucune personnalité dans ce que j'ai l'honneur de lui mander. Ce ne serait même pas mon opinion de faire une réaction. Je la croirais nuisible, et la Hollande a besoin d'être tenue, mais en même temps d'être menée doucement et sans secousse. Toute inquiétude trop forte lui ôte la confiance et nuit au bien général; mais il faut lui inspirer cette confiance, la bien convaincre que ce qui sera établi durera, que les lois qu'on lui donnera seront stables et que son gouvernement ne variera plus. Enfin, il faut, pour la lui inspirer, commencer par lui en faire sentir la possibilité; et jamais avec les mêmes agents on ne croira à une pareille marche. On regardera toute condescendance comme une feinte, et l'on sera sûr d'être en butte à de nouveaux tiraillements si nuisibles à l'intérêt général. Je le répète donc, la difficulté n'est pas d'obtenir tout ce que l'empereur voudra, et même de voir tout le monde l'adopter avec empressement, mais le but à atteindre est de s'assurer que cela durera et que l'esprit du gouvernement est changé, car sans cela la confiance ne se rétablira pas, et alors les finances, objet si essentiel et question si délicate à traiter, ne pourront être réglées de manière à sauver la Hollande d'une banqueroute complète. Je regarde donc que l'esprit est bon, qu'il est prêt à tout, que le ministère même verra son éloignement sans peine, croyant la chose nécessaire, et que l'empereur gagnera tous les cours et attirera la Hollande à lui, si, en la traitant comme la France, il oblige son gouvernement à devenir et à rester français.
«Quant à l'opinion des individus qui composent le gouvernement, elle est dans ce moment-ci toute française en apparence. Tout le monde avoue qu'il n'y a pas un autre système à suivre. Tout le monde a peur et est devenu souple. On ne prononce plus le nom de l'empereur qu'avec respect, et chacun craint son juge; mais cet esprit du gouvernement est l'effet du moment. C'est le même individu qui tient publiquement un langage raisonnable et qui, comme homme public, professe cette religion, parle tout différemment quand, revenu dans les cercles particuliers, dans sa famille ou chez ses amis, il peut émettre sa véritable opinion. Le ministère est composé de Messieurs Roëll, Mollerus, Van der Heim, Cambier, Hugenpoth, Van Capellen, Krayenkoff et Apellius. Le premier, Votre Excellence le connaît; elle peut le juger; mais cependant je dois lui observer qu'il est haineux et vindicatif, qu'il a toujours tourné en dérision tout ce qui était français, et que, sans avoir une mauvaise opinion prononcée, il est un de ceux qui ont nui à un changement de système. Le second est fin, adroit, instruit. Il a toujours été attaché à l'Angleterre, où ses enfants étaient encore employés il y a peu de temps. Il se met rarement en avant, mais il fait mouvoir d'autres personnes et d'autres ministres, notamment M. Roëll. Sa conversation est à présent dans une bonne direction. Il regrette, je crois, d'avoir peut-être contribué à la perte de son pays. C'est un chef à caresser, à bien traiter, mais à éloigner du timon des affaires, parce que tout le monde le regarde comme une des personnes qui a le plus dirigé le roi en sachant adroitement obtenir la confiance de Sa Majesté et en faire un mauvais usage. M. Van der Heim, officiellement, paraît être Français; mais c'est un homme réservé, ne manquant pas de moyens, n'énonçant jamais une opinion et sachant obtenir par des voies indirectes ce qu'il n'oserait pas demander d'une manière positive. Il fait tout en dessous et l'on ne peut s'y fier. Son ministère est celui où il règne le plus mauvais esprit, et je crois qu'il en est cause. Cependant on pourrait tirer parti de ses talents. Il se rallierait à un gouvernement dont il se verrait forcé de suivre la marche. Monsieur Cambier est un honnête homme, attaché à son pays, loyal dans son système modéré, sur qui l'on pourrait compter s'il avait pris un engagement. Il n'est pas Français de goût, parce qu'il est malheureux de la crise où se trouve sa patrie, et qu'en convenant des torts que l'on a eus, il trouve la punition forte, et, si j'ose le dire, il se plaint qu'une nation tout entière souffre d'une mauvaise direction à laquelle elle ne pouvait rien. Je connais peu M. Cambier, mais je le regarde comme un homme estimable et bon à employer.
«M. Hugenpoth, ministre de la police, est un jeune homme qui était petit avocat à Arnheim, sortant de finir de bonnes études. Il n'est donc rien en politique et étonné d'occuper un poste auquel il aurait pu peut-être convenir plus tard, mais qui dans ce moment-ci est au-dessus de ses moyens. Le ministre de l'intérieur, Van Capellen, était préfet de l'Ost-Frize, et, en cette qualité, a protégé ouvertement la fraude, la contrebande. Les plaintes devinrent si fortes qu'il fut rappelé et nommé successivement aux places de conseiller d'État et de ministre. Il est allié à de bonnes familles. Il a des opinions peu prononcées, mais mauvaises. C'est au reste un jeune homme qui est conduit et qui suit l'impulsion du reste du gouvernement. M. le général Krayenkoff est un topographe instruit et voilà tout. Il paraît certain qu'il a été choisi par le roi, faute d'autres personnes qui professent la même opinion et qui fussent propres à être ministre de la guerre. Enfin M. Appelius, qui était secrétaire du cabinet, est bon financier sans avoir peut-être les qualités nécessaires pour être ministre; c'est un homme à employer; il avait une opinion très prononcée contre la France; mais je dois dire que dans plusieurs circonstances il s'est bien conduit et notamment dans l'affaire de l'emprunt de Prusse.
«Par les détails que je viens d'avoir l'honneur de donner à Votre Excellence, elle voit que le ministère est faible, et que deux ou trois hommes mènent le gouvernement. Quant au conseil d'État, il est composé de gens instruits et propres à remplir les places qu'ils occupent. Ils sont décidés presque généralement à suivre une bonne ligne, et, à quelques individus près, on peut y compter. Le Corps législatif, composé de propriétaires et de nobles, est absolument de l'opinion du gouvernement et du roi dont il attend honneur et faveur. Ainsi, il sera ce que Sa Majesté voudra. Quant à la cour, qui contribue beaucoup à établir l'opinion des sociétés, elle est généralement dans le plus mauvais esprit. C'est des antichambres du roi que partaient les propos les plus ridicules contre la famille de leur souverain. C'était la mode de critiquer l'empereur et son gouvernement, de répandre les plus mauvaises nouvelles et de s'en réjouir, de tourmenter tous les Français sans exception: et encore depuis le départ du roi, le même esprit a régné et il perce dans toutes les occasions, mais cette classe de la société a cru plaire. Elle a tenu cette conduite par ton et d'un seul mot, elle changera si elle est sûre de flatter en prenant un autre système.
«Votre Excellence voit donc que l'on peut réparer facilement tout le mal, que l'on peut faire marcher le gouvernement et rétablir les finances, parce que le Hollandais viendra volontairement au secours de son gouvernement quand il reprendra confiance. Elle voit que l'opposition tient à l'ancienne marche, qu'il n'existe pas de résistance, que l'éloignement que l'on manifeste contre la France tient au malaise où l'on se trouve, enfin que la Hollande est dans la main de l'empereur et que Sa Majesté Impériale et Royale peut en faire ce qu'elle voudra et même s'attirer l'affection d'un peuple qui attend tout de sa justice et de sa bonté.
«Avant-hier, plusieurs courriers de Paris ont ranimé la confiance. On a répandu que le roi s'était promené avec l'empereur, que tout était arrangé, que la Hollande restait indépendante et que le roi arriverait incessamment. Les fonds ont monté en deux heures de 20 à 50 p. 100; hier ils sont retombés presque au point où ils étaient avant cette hausse subite. On est cependant inquiet de ce qui se passe dans le Brabant où l'on se plaint de nos troupes, surtout à Dorp, où l'on accuse le général français d'une sévérité qui indispose, et contre lequel on m'a porté des plaintes dont je n'ai pas voulu me charger. Ce qui console un peu le commerce, c'est la quantité d'argent qui arrive d'Angleterre. C'est, je crois, une des guerres les plus avantageuses que nous puissions faire, et je serais d'avis de fermer les yeux sur l'entrée des bâtiments qui ne rapportent que des guinées de Londres.»
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 28 février 1810.
«Lorsque j'ai eu l'honneur de rendre compte à Votre Excellence, dans mes derniers rapports, que l'on travaillait l'esprit public, que l'on cherchait à gagner les troupes, que l'on discutait dans le conseil des ministres les projets les plus absurdes; quand enfin je me plaignais des membres du gouvernement et surtout du ministre de la guerre, j'avais déjà de forts indices du projet insensé qui avait été arrêté de défendre Amsterdam contre les troupes de l'empereur. Je ne pouvais cependant avancer un fait aussi extravagant avant d'avoir acquis la certitude que ce n'était ni la peur ni l'esprit de parti qui faisaient circuler ces bruits, mais qu'ils étaient réellement fondés. Je cherchai donc à acquérir des preuves, et, occupé depuis trois semaines de cet objet, ce n'est qu'hier que j'ai obtenu le dernier renseignement qui m'était nécessaire. Tous les ministres sont liés par serment de ne rien dire de ce qui se passe dans les conférences. Les ministères sont composés de gens discrets et qui craignent de perdre leur emploi; enfin, je n'ai aucun des moyens d'argent qui m'eussent été si utiles pour lutter contre des gens si mal intentionnés, et je ne pouvais me fier aux propos d'un public qui adopte sans discernement tout ce qui flatte ou tout ce qui est opposé à son désir ou à son intérêt. Je me contentais donc de garder le plus grand secret sur mes premiers renseignements, de rire d'une pareille folie sans avoir l'air de là croire possible, de voir peu les ministres, de ne pas leur parler d'affaires, mais de faire suivre leurs moindres démarches et d'avoir un compte exact des propos qu'ils tenaient. J'appris successivement les discussions qui eurent lieu, les marchés faits par les ministères de la guerre et de la marine, la raison qui avait déterminé l'arrivée des troupes dans la capitale; enfin, je m'assurai que l'on travaillait la nuit aux fortifications des lignes et ouvrages avancés, qu'avant-hier on avait encore fait venir de l'artillerie et des munitions et qu'une grande quantité d'ouvriers avaient été enrôlés. Alors, sûr de mon fait, je fis demander une conférence à M. Mollerus, et, après lui avoir énuméré tous les ordres qui avaient été donnés et lui avoir montré que j'étais au fait de tout, je lui remis la lettre dont j'ai l'honneur d'envoyer copie à Votre Excellence.
«Le ministre fut visiblement déconcerté. Je lui parlai avec force, je lui reprochai une conduite aussi monstrueuse, tant par son inconséquence que par ses résultats; enfin je lui signifiai la responsabilité du conseil des ministres et de tous ses membres, si tous les préparatifs n'étaient pas sur le champ détruits et annulés. Je finis par obliger M. Mollerus à me dire la vérité, et il m'avoua tout ce que j'avançais en me disant qu'il ne pouvait pas me répondre sans avoir assemblé ses collègues et pris leur avis. Son embarras et son inquiétude prouvaient assez combien la position où il se trouvait lui paraissait pénible. Il ne me cacha donc rien; mais, dans ses réponses, il chercha à me faire entendre que le conseil n'agissait que par des ordres supérieurs. Je repoussai une pareille idée et je lui dis même que quand il me montrerait l'ordre du roi, je croirais encore que l'on a surpris et imité la signature de Sa Majesté; que la chose n'était pas possible et que je ne regardais cette défense de leur conduite que comme un moyen de sortir d'embarras. Alors le ministre, voyant que je le prenais sur ce ton, m'assura que ce n'était pas cela qu'il voulait dire et se tira de cette conférence en m'assurant qu'il allait assembler ses collègues et qu'il me donnerait ce matin la réponse à la lettre que je venais de lui remettre. J'aurai donc l'honneur de la joindre à cette dépêche.
«Je viens d'envoyer M. de Caraman porter la lettre ci-jointe à M. le duc de Reggio, et j'expédie à Paris M. Hamelin qui aura l'honneur de vous remettre ce paquet. Je le recommande ainsi que M. de Caraman aux bontés de l'empereur pour les places d'auditeurs que j'ai sollicitées pour eux et auxquelles ils ont quelques droits pour les services qu'ils ont déjà rendus.
«Au reste, la plus grande tranquillité règne ici. On ne se doute pas du projet de défense. Quand j'aurai la réponse des ministres, je ferai circuler adroitement quelques bruits qui paralyseront les projets du ministère. Mais il serait intéressant qu'au moins provisoirement nous eussions un ou deux hommes sûrs qui pussent combattre le mauvais esprit et qui me missent au courant de ce qui se passe. Le Moniteur du 22 a été donné dans toutes les mains. Il a jeté l'alarme, et le premier jour les fonds publics ont baissé, mais 24 heures après on s'est rassuré, et les papiers de l'État que je regarde comme le thermomètre de l'opinion publique sont maintenant plus hauts qu'ils n'étaient avant cette crise.
«Depuis que j'ai commencé cette dépêche, j'ai reçu encore une foule de renseignements. On parle déjà du projet extravagant du ministre de la guerre. J'attends la réponse du Conseil pour arrêter la conduite que j'aurai à tenir. Peut-être si les choses vont trop loin et si les préparatifs ne cessent pas malgré la promesse que l'on doit m'en donner, peut-être, dis-je, sera-t-on obligé d'ôter au général Krayenkoff tout moyen d'exécuter son indigne projet. Il n'est pas douteux que l'on fabrique des cartouches de calibres, que toute la nuit des caissons ont passé dans la ville. Mais les honnêtes gens commencent à prendre une couleur et j'espère arrêter le mal. Votre Excellence peut être bien sûre que je ne me laisserai pas intimider. Rien ne peut me coûter, quand il s'agit de bien remplir le poste qui m'est confié par l'empereur.
«J'attends le bourgmestre et le commandant supérieur de la garde nationale. Je vais les engager à s'assurer de l'esprit public et à maintenir les mauvais sujets. Je voudrais qu'une députation partît pour Paris, chargée de prévenir le roi de l'abus qu'on fait de sa confiance et du crime que l'on commet en se servant de son nom pour agir d'une manière aussi coupable.
«Je viens de voir le bourgmestre d'Amsterdam. Il m'a dit ne rien savoir officiellement du projet de défense; mais il m'a assuré avoir fait de nombreuses réclamations contre la quantité de poudre qui entre dans la ville et contre le nombre de troupes que l'on y réunissait. Il porte la garnison à 3,200 hommes, dont une partie logée chez les bourgeois. Le commandant supérieur de la garde nationale ainsi que le bourgmestre m'ont assuré de leur dévouement à leur pays et se sont engagés à calmer les esprits et à prévenir le mal.
«Voici la réponse du ministère hollandais dont vous trouverez, Monsieur le duc, une copie cotée no 3. Ils déclarent leur projet de défense, mais s'engagent à suspendre tous les travaux. Je surveillerai avec soin la conduite des ministres et j'aurai l'honneur de vous faire connaître la suite de cette affaire. Je vais redoubler d'activité et crois pouvoir vous répondre de rendre inutiles les projets de ces malveillants.»
De la Rochefoucauld au duc de Cadore.
Amsterdam, 1er mars 1810.
«Les travaux paraissent suspendus et les ordres ont été donnés d'arrêter ceux qui allaient commencer; on avait fait abattre la nuit des arbres qui gênaient la défense; les cartouches se fabriquaient dans l'intérieur du palais, et il était temps d'arrêter les excès où l'on paraissait vouloir se porter. Le principal instrument que l'on a employé est le ministre de la guerre qui prétendait se faire un nom en défendant la ville et en prenant l'Angleterre pour retraite. Ses deux collègues les ministres des finances et de la police appuyaient ses opinions exagérées. Il y eut dans le Conseil plusieurs scènes scandaleuses où le général Krayenkoff déclara avoir des ordres supérieurs et ne vouloir rien discuter avec les autres ministres. Il s'absenta même pendant plusieurs jours du Conseil. M. Tovent (dont j'ai oublié de parler à Votre Excellence dans mon numéro 120) soutint fortement son opinion contre celle du ministre de la guerre; il fut appuyé par M. Mollerus. Quant au ministre de la marine, il déclara ne vouloir rien faire sans un ordre écrit de ses collègues. Le ministre de la police proposa de m'inviter à sortir d'Amsterdam, mais cette sotte motion fut étouffée. Enfin, on me fit parvenir des avis qui devaient, d'après ces Messieurs, m'effrayer et me faire partir. On parla dans le public de venir casser mes vitres et mille sottises de ce genre. Je n'y ai pas pris garde; je ne changeai pas de marche ni de conduite, et maintenant ces bruits sont presque apaisés. Je dois dire à Votre Excellence que j'ai été fort content de toutes les personnes que j'ai avec moi. J'ai trouvé du zèle, du dévouement pour le service de l'empereur et de l'attachement pour moi. Je désirerais que Votre Excellence voulût bien saisir une occasion favorable de parler à l'empereur de M. Serrurier qu'une place de maître des requêtes rendrait heureux, si un avancement dans la carrière diplomatique n'était pas possible. Le consul général a mis une activité au-dessus de son âge; enfin tous les Français qui sont ici se sont bien conduits. J'ai trouvé aussi dans les négociants et les capitalistes une masse de bonne volonté à laquelle je ne m'attendais pas. Des personnes du gouvernement que je ne puis nommer en ce moment se sont bien montrées. Enfin j'ai été content de l'ensemble d'Amsterdam et de la Hollande, et j'ai acquis la certitude que le mal ne tient qu'à quelques individus et qu'en établissant ici un gouvernement sage et ferme, l'empereur sera promptement convaincu des ressources que Sa Majesté Impériale et Royale peut tirer de ce pays.»
Clarke au Roi de Hollande.
Paris, 28 avril.
«Sire, S. M. Impériale m'a renvoyé la lettre que Votre Majesté lui a adressée relativement à l'exécution du traité, et m'a chargé d'avoir l'honneur de répondre aux différentes observations qu'elle contient.
«L'empereur m'a fait connaître ses intentions d'une manière qui ne peut laisser aucune incertitude. L'intention de Sa Majesté est que toutes les conditions du traité soient ponctuellement exécutées, et d'après cela, Votre Majesté jugera elle-même que plusieurs de ses demandes ne pourront être admises.—Les embouchures des rivières devant être occupées par les troupes, il en résulte nécessairement qu'elles peuvent être cantonnées dans les villes de l'intérieur, à portée des ports, puisque ceux-ci seraient insuffisants pour loger le nombre de troupes mentionnées et qu'elles deviendraient beaucoup plus à charge au pays et à ces ports même s'il fallait les réunir dans un petit nombre d'endroits. Cette mesure tend donc au soulagement des habitants comme à celui des troupes. Elle ne paraît ne devoir contrarier en rien les vues de Votre Majesté. Quant au nombre de troupes hollandaises à employer à la garde des ports de la Hollande, il est hors de doute que celles qui sont en Espagne ne sauraient y être comprises sans changer tout à fait l'une des stipulations du traité; mais ces troupes n'en serviront pas moins à assurer l'exécution des lois et la police intérieure, but pour lequel elles ont été principalement créées. Les fonctions dont elles sont chargées, en exécution du traité, ne peuvent préjudicier à leur utilité pour l'intérieur du pays.
«Quant à ce qui est relatif au quartier général du corps d'observation de la Hollande, l'empereur permet que la désignation en soit faite d'accord avec Votre Majesté, et, pourvu qu'il soit placé dans un point central, c'est tout ce que le bien du service exige. Ainsi l'on n'insistera nullement pour qu'il soit établi dans l'un des deux lieux de la résidence de Votre Majesté, et le duc de Reggio a reçu à cet égard les instructions nécessaires. Il s'entendra facilement pour cela avec le ministre de la guerre de Votre Majesté.»
Cadore à La Rochefoucauld.
Paris, 7 mai 1810.
«Monsieur l'ambassadeur, j'ai mis sous les yeux de l'empereur la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 avril et dont M. de Caraman était porteur. Sa Majesté, d'autant plus sensible aux désagréments de votre position qu'ils paraissent être une suite de votre zèle même pour son service, a voulu les faire cesser en vous accordant le congé que vous avez vous-même désiré. Vous pouvez donc profiter de ce congé aussitôt que vous aurez fait les arrangements que vos intérêts particuliers peuvent nécessiter; car je dois vous prévenir que l'intention de S. M. est de ne point vous faire retourner en Hollande et de ne point vous y donner de successeur. Mais cela ne doit y être connu qu'après votre retour à Paris. M. Serrurier restera comme chargé d'affaires, et vous voudrez bien le présenter en cette qualité.»
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 16 avril 1810.
«Par la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'écrire le 6 de ce mois, elle m'invite à lui rendre compte de l'effet que le traité du 16 du mois dernier a produit ici. Tout le monde, M. le duc, en a été attéré. Chacun reconnaît l'impossibilité de son exécution et l'on regarde que l'on a voulu terminer la crise pénible où l'on se trouvait sans calculer la suite des événements; enfin, les bons Hollandais sont découragés, les faibles se taisent et les intrigants se soutiennent. On avait répandu très imprudemment que le traité était effectivement fort désavantageux à la Hollande, mais qu'il existait des articles secrets qui atténuaient en grande partie ceux rendus publics et que le roi apportait ces heureux changements ainsi que l'indemnité accordée par l'empereur. Cette espérance trompeuse a contribué puissamment à empêcher tout l'effet que l'on pouvait espérer du retour du roi. Sa Majesté a été reçue sans aucune preuve de satisfaction de la part d'aucune classe des habitants de sa résidence, et le même souverain que l'on aurait regardé, il y a deux mois, comme le sauveur de la patrie, a maintenant perdu cette popularité qui lui serait si nécessaire. La confiance, au lieu de renaître, s'éloigne du gouvernement. Les fonds publics ont baissé de 15 p. 100, et le change sur l'Angleterre a éprouvé une hausse qui effraie les gens sensés. On croit généralement que l'État présent est un provisoire, et, comme j'ai eu souvent l'honneur de l'observer à Votre Excellence, dès que l'on ne voit pas de salut, le découragement augmente le mal et le gouvernement se trouve paralysé. Je crois juger avec la plus grande impartialité; je fais tous mes efforts pour oublier deux ans de désagréments et de dégoûts, mais je ne vois rien de changé. Je n'aperçois point la moindre petite chose qui dénote un retour sincère à une autre marche. Les mêmes hommes entourent le roi, et c'est avec eux et par eux que Sa Majesté emploie tous ses moments et tous ses moyens à chercher le bien de son peuple. Je ne doute pas que l'envie de plaire à l'empereur ne soit sincère; je veux même bien croire que la nécessité est sentie; mais ce n'est pas assez, il faut réorganiser pour rendre cette Hollande utile à la France ou, sans cela, elle est nuisible. Un traité n'est rien s'il n'est pas exécuté, et, pour se mettre dans le cas de remplir ses engagements, il faut que le gouvernement puisse marcher. Peut-être mes moyens sont-ils mauvais; mais je les abandonnerais sans regret si je voyais qu'ils fussent remplacés par d'autres plus efficaces; mais si l'ancienne routine recommence, tout est fini, et ce pays malheureux ne peut plus supporter une nouvelle crise. Je connais trop la Hollande pour n'être pas sûr que les agents qui ont négocié ou signé le traité savaient très bien que leur patrie ne pouvait pas remplir les engagements qu'ils contractaient.»
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 21 avril 1810.
«Votre Excellence aurait de la peine à se faire une idée de la manière dont les opinions changent en Hollande, depuis que l'on voit ce qui se passe; chacun est intimidé du présent et effrayé de l'avenir; et les mêmes hommes qui ne voulaient pas entendre parler de réunion en parlent aujourd'hui comme d'une chose désirable. Je suis étonné moi-même de tout ce que l'on vient de me dire, et, lorsque j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence que le dégoût et le découragement s'empareraient promptement des Hollandais si dans les premiers moments ils n'entrevoyaient pas un but tranquillisant, je n'ai fait que lui prédire une vérité qui se vérifie tous les jours. Les honnêtes gens sans fortune se taisent, font leur devoir sans âme et sans zèle; ceux qui ont une existence indépendante du gouvernement se retirent ou cherchent à obtenir leur démission, et l'on se dit tout bas que cette réunion, si effrayante il y a quatre mois, peut seule sauver les débris de ce pays. J'ai eu l'honneur de vous prévenir, Monsieur le duc, qu'un associé de la maison Hope était parti pour l'Angleterre avec toute sa famille. Hier j'ai signé les passeports de la famille Hope, dont le père est déjà à Londres, et qui, sous prétexte d'aller en Suisse, est assurée vouloir le rejoindre. Enfin, M. Labouchère, troisième associé de cette maison, dont la femme et les enfants sont chez nos ennemis, s'y rendra sûrement incessamment. Beaucoup d'argent passe en Angleterre, l'on cache le reste.»
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 27 avril 1810.
«J'envoie M. de Caraman à Paris. Je le charge de remettre cette dépêche à Votre Excellence et de rester à sa disposition aussi longtemps, Monsieur le duc, que vous le jugerez convenable. J'ai donc l'honneur de prier Votre Excellence de lui donner ses ordres.
«M. de Caraman est chargé de prévenir sa famille que le roi vient de refuser à son frère, capitaine d'artillerie au service de la Hollande (qui se trouve à Paris par congé uniquement pour épouser sa cousine), la permission de conclure ce mariage. Sa Majesté avait cependant eu à Paris la bonté de le permettre, et ce n'était que d'après cette assurance verbale que les choses avaient été aussi loin. Maintenant ce jeune homme se trouve obligé, ou de perdre son emploi, ou de renoncer à une alliance aussi convenable qu'avantageuse. Je ne cacherai pas à Votre Excellence que la peine que j'en éprouve se trouve doublée par la persuasion où je suis que les soins que j'ai toujours pris de M. de Caraman contribuent à lui procurer ce désagrément.
«Ma position empire puisqu'elle se prolonge. Je n'ai pas encore vu le roi ni la reine à qui cependant j'ai eu l'honneur d'écrire et qui sûrement n'a pu me recevoir. Tout le corps diplomatique dit hautement qu'il n'est pas admis chez le roi à cause de moi. Depuis le retour du roi, aucun ministre, sans en excepter M. Roëll, n'est venu chez moi et aucune personne attachée à la cour n'a osé s'y présenter. Chacun assure qu'il serait disgracié s'il me voyait et l'on me fuit pour ne pas en courir le risque. On répand à plaisir que tout le mal de la Hollande vient de moi et l'on cherche à rejeter sur mes rapports la position de ce pays, mais l'on commence à voir trop clair pour que je craigne cette accusation. Je puis même dire que je suis estimé ici et que l'on rend justice à ma modération. Enfin, Monsieur le duc, tout le monde sait que je n'ai pas été reçu chez LL. MM. Je suis l'objet de toutes les conversations et l'on en tire la triste conséquence que l'empereur est mal avec le roi. Je puis cependant affirmer que je n'ai pas eu un tort, que j'ai une patience qui ne tient qu'à mon profond respect pour l'empereur et au sentiment de mon devoir; enfin je n'ai rien fait pour mériter cet étrange traitement; mais que Votre Excellence ne pense pas que je ne puisse supporter ces dégoûts; j'ai un caractère trop prononcé pour rien craindre tant que j'ai les bontés de l'empereur; je suis donc prêt à tout et j'exécuterai dans tous les temps et dans toutes les positions ce que Sa Majesté l'empereur et roi m'ordonnera.
«J'ai reçu ce matin la dépêche chiffrée de Votre Excellence relativement à l'emprunt de Prusse; j'entends parfaitement le point que je ne dois point dépasser, mais je voudrais que Votre Excellence voulût bien me mander si je puis écrire soit au ministre de Prusse, soit à la maison de commerce, que je suis autorisé à déclarer que l'empereur approuvera l'emprunt, etc., etc., et aller jusqu'à dire que Sa Majesté l'empereur et roi, dans aucun cas, ne priverait les bailleurs de fonds de leurs hypothèques. On a ici la plus grande confiance dans l'empereur, et, pour verser des fonds, on n'attend qu'une déclaration de ce genre que je pourrais, je crois, tourner de manière à rassurer sans engager ma cour. Si Votre Excellence veut m'honorer d'une prompte réponse, je terminerai cet objet, car le temps presse et je craindrais que cette affaire ne réussît pas si elle traîne encore quinze jours. La reine a reçu le 24 les différents corps de l'État. Depuis ce temps, Sa Majesté a de la fièvre et n'avait vu presque personne. Au reste, tout se passe au palais de la manière la plus convenable. Ce matin, M. le chevalier de Téran, ministre d'Espagne, a remis au roi ses lettres de créance.
«Le général Desaix est arrivé à la Haye avec une partie de sa division.
«On m'assure que l'amiral de Winter, un des hommes les mieux pensants et que l'on aurait pu employer avec le plus de succès pour l'armement de la marine, va partir pour l'Espagne.
«Le général Vichery, le seul Français qui soit encore à la cour, vient de perdre le gouvernement de la cour.
«Les fonds baissent et sont à 23 ½.»
Werhuell à Cadore.
Paris, 7 mai 1810.
«Votre Excellence sait à combien de plaintes amères la conduite que tiennent les corsaires français dans les ports de la Hollande a donné lieu depuis quelque temps.
«Le roi, mon maître, ne pouvait certainement fournir une preuve plus convaincante de son intérêt qu'en donnant à ces corsaires asile et protection, et en déférant, comme il l'a fait, à la seule décision de son très illustre frère le jugement de toutes les difficultés qui, en cas de doute, naîtraient au sujet de la validité des prises faites par ces corsaires sur les côtes de la Hollande.
«Mais si le roi a donné dans cette occasion une nouvelle preuve de sa déférence pour son très illustre frère, il se tient aussi persuadé que Sa Majesté Impériale et Royale ne permettra pas que ces corsaires outrepassent les bornes du respect qu'ils doivent au souverain chez lequel ils reçoivent asile et protection, en commettant des faits aussi révoltants que ceux que je suis chargé de dénoncer à Votre Excellence.
«J'ai déjà eu l'honneur de vous observer dans une note antérieure que ce n'est point en haute mer que ces corsaires s'emparent des bâtiments qu'ils conduisent dans les ports de la Hollande, mais que c'est à l'entrée des mêmes ports, dans les passes de nos rivières, et quand, pour la plupart du temps, ils ont déjà les pilotes à leur bord. Ils ont aujourd'hui inventé un nouveau moyen de prendre ces navires sans aucun risque; ils établissent les canots de leurs bâtiments le long des côtes pour mettre en mer quand un navire marchand approche de nos ports, dont alors ils s'emparent et le font échouer. Cette manœuvre ne peut manquer d'attirer une plus grande attention de l'ennemi sur nos côtes, et, si cela continue, nos pauvres pêcheurs et les villages qui avoisinent la mer en éprouveront les suites les plus fâcheuses.
«D'autres se placent à l'embouchure de nos rivières comme vaisseaux de garde et se permettent de visiter tous les navires qui entrent. Ce ne sont donc plus des gens qui remplissent le but de la course, mais qui exercent pour ainsi dire une police des côtes et des postes, fonctions qui ne sont dans aucun cas de leur compétence et ne peuvent certainement l'être aujourd'hui où les employés de Sa Majesté Impériale et Royale concourent avec ceux du roi mon maître à surveiller les mesures de blocus et l'exécution des lois prohibitives. Ce qui ajoute à l'inconvenance de la conduite de ces corsaires, ce sont les violences répréhensibles qui, très souvent, accompagnent la visite des bâtiments. C'est ainsi que tout récemment deux de ces corsaires qui s'étaient mis en station tout près de la Brielle, ayant visité un navire qui entrait et n'ayant rien trouvé à son bord qui pût donner lieu à la confiscation, ont extorqué au capitaine tout son numéraire, au point qu'étant venu au bureau de la douane, il ne put acquitter les droits ordinaires d'entrée, quoique très modiques.
«Le roi mon maître croirait faire tort aux principes justes, généreux et bienveillants de son très illustre frère s'il admettait les moindres doutes sur l'attente que S. M. Impériale mettra à réprimer des excès qui ne peuvent jamais avoir son approbation. Je prie Votre Excellence de mettre cet exposé sous les yeux de Sa Majesté et de contribuer par ses bons offices à obtenir qu'il soit prescrit à ces corsaires une manière de se conduire plus analogue à leur mission et plus compatible avec ce qu'ils doivent à un souverain qui leur accorde asile et protection.»
Le Major général au Ministre de la guerre.
Middelburg, 12 mai 1810.
«L'empereur, Monsieur le duc, expédiant un officier en Hollande, m'a ordonné d'adresser moi-même, directement pour plus de célérité, des instructions à M. le maréchal duc de Reggio. Je prie Votre Excellence de prendre connaissance de ces instructions dont je joins ici copie.»
Instructions données à Monsieur le Maréchal duc de Reggio.
Middelburg, 12 mai 1810.
«L'empereur m'ordonne, Monsieur le duc, de vous faire connaître que vous ne devez rendre aucun compte de ses troupes à S. M. le roi de Hollande ni au ministère hollandais; que les corsaires doivent vous faire des rapports de tout ce qui vient à leur connaissance; que les marchandises anglaises doivent être poursuivies et saisies partout, même dans les rades; enfin, que Sa Majesté ne veut souffrir aucun commerce de la Hollande avec l'Angleterre. L'intention de Sa Majesté est que, dans toutes les occasions, vous vous en expliquiez dans ce sens et que vous répétiez dans la conversation que, si la Hollande n'arme pas au plus tôt les neuf vaisseaux qu'elle doit fournir d'après le traité, elle rendra le traité nul.
«L'empereur vous recommande, Monsieur le duc, d'écrire au ministre de la guerre tous les jours sur tout ce qui parviendra à votre connaissance.
«Toute prise qui serait faite par les corsaires ou les douanes de l'empereur ne doit être relâchée que par son ordre et la décision doit en être soumise au jugement de Sa Majesté; l'expérience donne lieu de penser à l'empereur que les bons procédés sont insuffisants envers le gouvernement hollandais et qu'il est indispensable d'avoir recours aux menaces pour le faire marcher.
«Telles sont, Monsieur le maréchal, les instructions que Sa Majesté m'a ordonné de vous adresser directement. J'en donne connaissance à Son Excellence le ministre de la guerre.»
M. de La Rochefoucauld s'était rendu à Anvers lors du passage de l'empereur dans cette ville. Le 12 mai, une dépêche du duc de Bassano lui enjoignit de partir pour Amsterdam et de laisser au gouvernement hollandais une note pour demander: 1o La remise des vingt-un bâtiments américains avec leurs cargaisons, qui en exécution du traité appartenaient à la France; 2o L'armement immédiat des vaisseaux que la Hollande s'était engagée à fournir; 3o La cessation de son commerce avec l'Angleterre; 4o Le paiement capital et intérêts de la dette de la Zélande comme dette hollandaise.
L'ambassadeur français avait ordre en outre de déclarer son départ (en vertu d'un congé) huit jours après son retour, de présenter M. Serrurier comme chargé d'affaires, et de prévenir les consuls que toutes les prises, même celles faites dans les rades, devaient être jugées à Paris.
La tendance du gouvernement de l'empereur ressort assez clairement des dépêches qui précèdent. Il est impossible de ne pas voir que Napoléon est prêt à saisir le premier prétexte, ou même à en faire naître un, pour briser le royaume de Hollande et réunir ce pays à la France.
Serrurier à Roëll.
Amsterdam, 13 mai 1810.
«Une nouvelle insulte plus grave que toutes les précédentes vient d'être faite à la livrée de l'ambassadeur de l'empereur.
«Aujourd'hui, vers deux heures, le cocher de l'ambassadeur, en livrée, revenant d'entendre la messe, traversait la place du Palais; à l'endroit où cette place se resserre entre le palais et l'église, il fut assailli par une foule de gens du peuple qui insultèrent avec de fortes injures sa livrée, qu'ils déclarèrent reconnaître pour celle de l'ambassadeur de France, et voulurent l'en dépouiller avec force. Cette insulte n'avait été provoquée par aucune querelle, et le cocher ne connaissait aucun des assaillants. Au moment où il se défendait de l'attaque de l'un d'eux, il reçut d'un autre un violent coup à la tête, et comme leur nombre grossissait à chaque instant, dans l'impossibilité de se défendre contre tant d'assassins, cet homme courut vers la sentinelle du palais, et lui demanda protection; mais celle-ci, fidèle à sa consigne qui ne lui permettait pas de se mêler de choses étrangères à la garde du château, lui tourna le dos et refusa de l'entendre. Il s'adressa alors au sergent de garde qui, sur le récit qu'il lui fit, se prêta à l'accompagner jusqu'à ce que sa présence eut dissipé l'attroupement.
«Voilà, monsieur, le fait tel qu'il s'est passé, en plein jour, devant le palais, et à la vue de deux cents témoins et de la garde. Je m'abstiens de réflexions; elles sont assurément bien inutiles. Sur un pareil événement, je ne doute pas que Votre Excellence ne partage l'indignation qu'il excitera dans tous les esprits honnêtes. Le droit des gens et les usages reçus dans toutes les cours vous dicteront ce que vous avez à proposer à votre gouvernement dans cette circonstance. Pour moi, je me borne à informer Votre Excellence et à lui demander une satisfaction éclatante et telle qu'elle mette fin pour jamais à de pareilles indignités.
«Je ne ferai partir qu'après-demain la dépêche par laquelle je dois instruire ma cour de ce fait; et j'attacherai, Monsieur, j'aime à vous le déclarer, une satisfaction toute particulière à pouvoir lui dire que la punition n'a été ni moins prompte ni moins éclatante que l'insulte, et que cette affaire est terminée comme il convient à nos deux gouvernements.»
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 15 mai 1810.
«J'ai eu l'honneur d'écrire d'Anvers à Votre Excellence, et de la prévenir que Sa Majesté impériale et royale, après m'avoir permis d'aller lui faire ma cour, m'avait donné ordre de la suivre à Berg-op-Zoom. L'empereur n'ayant pas eu le temps de me parler m'emmena dans la Zélande, d'où je suis revenu avant-hier soir. J'ai rendu compte à Sa Majesté de tout ce qui se passe en Hollande, et je n'ai rien caché à l'empereur sur la position où se trouve ce royaume. J'ai eu la satisfaction de voir Sa Majesté impériale et royale approuver ma conduite, et elle m'a donné les ordres qui ont été communiqués à Votre Excellence par M. le duc de Bassano. J'ai rempli dès hier les intentions de l'empereur, en demandant que la totalité des cargaisons des vingt-un américains fût remise à M. le directeur des douanes impériales nommé pour les recevoir.
«J'ai porté plainte de la lenteur des armements.
«Hier, j'ai reçu une lettre de M. Roëll qui, en m'assurant de l'indignation que le roi a éprouvée en apprenant l'insulte faite à ma livrée, me prévient des ordres sévères donnés par Sa Majesté pour punir les coupables. Je ne donnerai plus de suite à cette affaire qui, bien certainement, en restera là.
«J'ai eu l'honneur de remettre hier au roi la lettre de l'empereur que Votre Excellence m'avait envoyée. Mon audience a été très courte. De là je passai dans les appartements de la reine que je trouvai bien souffrante. Sa Majesté a une fièvre continue qui l'affaiblit de jour en jour. Je l'ai trouvée extrêmement changée, quoiqu'il n'y eût qu'un an que j'ai eu l'honneur de la voir. La reine ne m'a rien dit de particulier, mais il circule dans les entours de la cour des bruits qui feraient croire que Sa Majesté est loin d'être heureuse.
«Malgré les immenses ressources qui existent dans ce pays-ci, l'embarras du gouvernement ne diminue pas. La commission chargée depuis six semaines d'un rapport général sur la position de la Hollande et sur les moyens d'y remédier n'a pas encore terminé ce pénible travail. On s'attend à une réduction de moitié sur la rente. Ce sera, à mon opinion, une mesure indispensable; mais dans l'état de choses, elle n'atteindra pas le grand but que l'on s'en propose. Je persiste à croire que si cette réduction est suffisante sur le papier, elle ne peut sauver la Hollande qu'autant qu'elle serait jointe à un système opposé à celui que l'on suit ici. Au reste le malheur agit en raison inverse du gouvernement, et chacun commence à se convaincre qu'il n'y a de salut que dans l'empereur, et que d'être gouverné par Sa Majesté serait le plus grand bonheur.»
Il est permis de supposer que l'ambassadeur avait deviné l'intention de l'empereur, de réunir la Hollande à la France.
Louis à Napoléon.
Amsterdam, 16 mai.
Sire,
La situation de ce pays s'aggrave de jour en jour; le traité n'est plus suivi. Dans cette position malheureuse, je viens demander à Votre Majesté impériale sa dernière volonté. Ma soumission lors du traité du 16 mars lui a prouvé combien je m'en rapportais entièrement à elle. Actuellement, je la supplie de croire que si je ne demande qu'à voir ce pays hors des tourments et des souffrances de sa position actuelle, c'est par la fin de la défaveur de Votre Majesté impériale, et en connaissant précisément la volonté de Votre Majesté, que j'ai dû et voulu seulement atteindre ce but. Je supplie donc instamment Votre Majesté de me faire savoir ses intentions. Si, au contraire, je le croyais hors d'état de pouvoir supporter les conditions nouvelles qu'on exige de lui, je le dirai franchement à Votre Majesté et me soumettrai sans hésitation à tout ce qu'il plaira à Votre Majesté d'ordonner.
«Je supplie Votre Majesté impériale de recevoir cette lettre; et, puisqu'un accident malheureux est cause du malheur dont je suis menacé de ne plus recevoir de lettres de Votre Majesté, de ne pas m'ôter à moi tout moyen de faire parvenir mes plaintes à Votre Majesté, et à elle-même le seul moyen d'écouter ma justification.»
L'empereur répondit le 20 mai; sa lettre, omise dans la correspondance publiée sous le second empire, est au texte de ce livre.
Le lendemain du jour où l'ambassadeur de France en Hollande écrivait sa lettre du 18 mai à Cadore, ce dernier lui mandait: que l'empereur ayant appris l'insulte faite à sa livrée lui ordonnait de partir immédiatement sans même présenter le chargé d'affaires, lui annonçant que Werhuell recevait l'ordre de quitter Paris, regrettant que ce renvoi tombât sur l'amiral dont l'empereur appréciait les bons services.
Ainsi, il devint de la dernière évidence que l'empereur saisit le premier prétexte pour arriver à ses fins; que ni la soumission de son frère, ni les concessions du gouvernement hollandais n'ont pu détourner, lui faire abandonner ses projets de réunion du pays à la France. Depuis longtemps, Napoléon cherche à son frère Louis une querelle d'Allemand, et il est permis de se demander si Lucien n'a pas été le mieux inspiré des frères Bonaparte, en se faisant une existence en dehors de celle imposée par l'empereur aux membres de sa famille. Il nous paraît très positif que l'insulte faite à la livrée de l'ambassadeur de France par un homme du peuple ne saurait entrer en ligne de compte pour la retraite d'un ambassadeur, surtout lorsque toute satisfaction est offerte.
Berthier à Oudinot.
Lille, 23 mai 1810.
«L'empereur m'ordonne de vous faire connaître, Monsieur le maréchal, qu'il est fort mécontent de la conduite des habitants d'Amsterdam et qu'il se verra forcé, d'ici à fort peu de temps, de faire entrer de nouvelles troupes en Hollande. Sa Majesté vous recommande d'avoir les yeux sur tout ce qui se passe à Amsterdam et dans le pays; son intention est que vous n'ayez aucune relation avec le peuple et que vous ne souffriez pas qu'aucun officier de votre armée en ait.»
La Rochefoucauld à Cadore.
Amsterdam, 25 mai 1810.
«Votre Excellence sera sûrement étonnée que ce soit encore moi qui lui écrive, mais depuis quatre jours j'attends une réponse du ministre pour savoir si le roi me recevra à Harlem, où Sa Majesté est maintenant. J'ai cru que, dans les circonstances présentes, plus peut-être que dans toute autre, je devais ne pas partir sans avoir pris les ordres du roi, qu'une irrégularité de formes aurait un air de légèreté qui ne conviendrait pas; mais si la journée d'aujourd'hui se passe dans le même silence, je préviendrai M. Roëll que devant me trouver à Paris à l'époque où S. M. impériale et royale y arrivera, je me vois forcé de quitter la Hollande sans avoir eu l'honneur de faire ma cour au roi. Il est donc plus que probable que je partirai après-demain. Je verrai en passant M. le duc de Reggio qui est à Utrech.
«D'après un rapport que je reçois de M. Gohier, il paraît qu'un de nos corsaires vient de faire une prise importante, par la nature des papiers trouvés à bord, qui prouvent les intelligences suivies qui existent entre les côtes et les Anglais. Je ne doute pas que ce ne soit à l'insu de la police. Le seul reproche à lui faire est de l'avoir ignoré depuis si longtemps qu'elle en est avertie. M. Serrurier vous rendra compte de la suite de cette affaire.
«P.-S. J'apprends à l'instant qu'il y a eu du bruit à Rotterdam, que nos troupes ont été insultées, mais qu'elles se sont conduites avec la plus grande sagesse. J'envoie à Votre Excellence la proclamation du bourgmestre. Ceci est, comme le reste, l'effet des mauvais propos que l'on souffre, et même que l'on protège. Cet esprit du gouvernement se cache sous des notes et des paroles, mais agit en dessous, car je réponds que le pays n'est pas mauvais, et que, bien dirigé, l'empereur en serait parfaitement content.
«Je suis aussi informé par M. le consul général que cette prise, si intéressante par les renseignements qu'elle donnera, est retenue au Texel, malgré les demandes formelles qui ont été faites. Je vais écrire à M. Roëll pour l'engager à prier le roi d'ordonner que sous aucun prétexte l'on arrête les prises faites par les corsaires français.»
Oudinot à Clarke.
Utrecht, 26 mai 1810.
«Monseigneur, j'ai eu l'honneur d'instruire Votre Excellence de tout ce qui s'est passé en Hollande depuis que j'y suis; mais ma position devient tous les jours plus délicate, tant vis-à-vis du roi que vis-à-vis du pays, si Votre Excellence ne me donne pas très promptement une règle de conduite fixe pour ce qui concerne les marchandises anglaises ou denrées coloniales existant chez le particulier.
«Je ne suis point embarrassé pour celles qui seront arrêtées cherchant à s'introduire dans le pays.
«Plusieurs bâtiments hollandais, chargés de marchandises anglaises ou denrées coloniales, ont été arrêtés par les douaniers français à Harting, en Frise; mais les douanes hollandaises ont de suite réclamé ces marchandises comme ayant été saisies, il y a plusieurs mois, par les douaniers hollandais et qu'on dit appartenir au roi.
«Des négociants d'Amsterdam se présentent journellement à ces magasins pour y acheter ces marchandises, d'après les règlements du royaume.
«Enfin, les marchandises anglaises ou denrées coloniales, vendues précédemment et légalement, circulent dans l'intérieur de la Hollande, et comme rien ne les signale des marchandises achetées par contrebande, il doit en résulter beaucoup d'abus qu'il n'est pas facile de distinguer.
«Les rapports que je reçois journellement me font connaître que la contrebande se faisait dans ce pays avec la plus grande facilité, et je suis même porté à croire (sans cependant l'assurer) que les douaniers hollandais ne sont point étrangers à ce brigandage; aussi j'exerce une grande surveillance sur leur conduite.»
Werhuell à Cadore.
Paris, 27 mai 1810.
«J'ai été profondément affligé de la communication que Votre Excellence a bien voulu me faire par son office du 26 de ce mois. Je ne tâcherai pas d'excuser un fait qui, s'il a eu lieu, mérite la plus sévère punition, et j'ose d'avance assurer Votre Excellence que le roi, mon maître, ne reposera pas jusqu'à ce qu'on ait trouvé les moteurs de cette fâcheuse affaire, pour leur faire éprouver tout ce que la sévérité des lois inflige en pareil cas, afin de montrer à tout l'univers combien Sa Majesté est éloignée de souffrir qu'on fasse les moindres insultes, dans ses États, aux sujets de son auguste frère et surtout aux personnes attachées à son ambassadeur.
«Il me paraît cependant que le récit que l'on a fait à Sa Majesté impériale est considérablement exagéré. Je prie Votre Excellence de permettre que je lui communique les renseignements qui me sont venus de la Hollande, par voie directe, relativement à cette affaire.
«Un des domestiques de S. E. Monsieur l'ambassadeur de France se trouvait devant l'église catholique. Sa grande livrée attira l'attention de quelques jeunes gens de la plus basse classe du peuple qui, peu habitués à une pareille magnificence, en témoignèrent leur étonnement et ajoutèrent peut-être quelques observations de leur genre. Le domestique se crut offensé, leur imposa silence et les menaça même de les frapper; ces menaces furent bientôt suivies de voies de fait auxquelles les autres ripostèrent. La foule s'étant insensiblement augmentée, le domestique crut prudent de se retirer; il s'adressa alors à un factionnaire pour qu'il le conduisît chez lui; mais celui-ci, ne pouvant s'éloigner de son poste, lui indiqua la garde qui était tout près, où il s'est rendu et a trouvé tout le secours qu'il demandait, l'officier commandant lui ayant donné un sous-officier pour l'accompagner à l'hôtel.
«Ces détails présentent l'affaire sous un tout autre jour; j'ai cru devoir le faire connaître à Votre Excellence, et j'espère qu'elle aura bientôt elle-même la conviction que ce fait ne mérite pas l'importance que l'on semble vouloir y attacher.
«Je supplie, en attendant, Votre Excellence d'employer ses bons offices auprès de Sa Majesté impériale pour que cette affaire n'ait pas de suites fâcheuses, et pour que Sa Majesté suspende toute mesure précipitée de vengeance qui ne pourra que jeter les plus vives alarmes en Hollande, et aggraver infiniment la fâcheuse position où se trouve déjà le roi, de voir attirer de nouveau, sur son pays, le mécontentement de son auguste frère pour une affaire qui est si loin d'être approuvée par aucune classe de la nation hollandaise.»
Serrurier à Cadore.
Amsterdam, 28 mai 1810.
«Le courrier que Votre Excellence a dépêché à M. le comte de La Rochefoucauld, le 25 de ce mois, est arrivé ce matin au moment où l'ambassadeur venait de monter en voiture. Après avoir pris lecture de ses dépêches et m'avoir donné ses dernières instructions sur leur contenu, l'ambassadeur, n'y voyant qu'un motif de plus pour accélérer son départ, s'est aussitôt mis en route. Il doit être en ce moment à Utrecht, chez le maréchal duc de Reggio, avec qui il avait à s'aboucher; et, si ses calculs ne sont pas dérangés par des accidents, il se flatte d'avoir l'honneur de saluer Votre Excellence dans la journée du 2 juin.
«En conséquence de vos ordres, Monseigneur, également en date du 25 de ce mois, je me suis rendu chez le ministre des affaires étrangères et lui ai remis la lettre de Votre Excellence, qui m'accrédite auprès du gouvernement hollandais comme chargé d'affaires de S. M. impériale et royale. J'ai dit à M. Roëll que, sur le compte que j'avais eu l'honneur de rendre à Votre Excellence, de l'outrage fait à l'ambassadeur de l'empereur dans la personne d'un de ses gens, et, d'après le retard apporté à la satisfaction demandée par l'ambassade, satisfaction qui n'a été accordée dans aucune circonstance analogue de cet hiver, Sa Majesté, justement irritée, avait ordonné à M. le comte de La Rochefoucauld de quitter sur le champ Amsterdam; que, de plus, elle avait décidé de n'entretenir désormais qu'un chargé d'affaires de France en Hollande, comme de n'admettre qu'un chargé d'affaires d'Hollande en France. Je lui ai également fait connaître que Sa Majesté avait résolu de prendre des mesures pour que les malveillants d'Amsterdam ne pussent pas se flatter de l'offenser impunément; enfin, j'ai demandé que l'ancien bourgmestre fût rétabli dans sa place, et que tous ceux qui ont fait partie du rassemblement qui a insulté les gens de l'ambassadeur fussent remis au pouvoir de Sa Majesté.
«À cet énoncé des instructions de l'empereur, M. Roëll a paru attéré. Il a cherché à disculper son gouvernement, en me rappelant la note qu'il m'avait adressée le 14 à l'ambassade, en réponse à mon office du 13 à ce sujet, note, m'a-t-il dit, où il n'avait pu retracer que bien faiblement la vive indignation que le roi avait ressentie, et où il annonçait que la police allait faire les enquêtes nécessaires. Je répondis au ministre qu'il ne m'appartenait pas d'élever des doutes sur les sentiments du roi dans cette circonstance; que ce n'était pas de cela qu'il s'agissait, mais du fait en lui-même, et que l'expression stérile de l'indignation était insuffisante après tout ce que l'ambassadeur avait éprouvé, dans ce genre, depuis plusieurs mois; que dans les usages de toutes les cours, une injure publique, à laquelle la considération du gouvernement était attachée; que l'honneur français avait toujours été, sur ce point, d'une sensibilité extrême, et que l'on ne pouvait pas se croire autorisé, sans doute, à redouter moins à cet égard du souverain actuel de la France que de ses prédécesseurs; que si la bonne volonté eût été ce qu'il annonçait, le gouvernement aurait autorisé le ministre des affaires étrangères à se rendre chez l'ambassadeur et à lui déclarer qu'il avait ordre de s'entendre avec lui sur le genre de satisfaction qu'il pourrait désirer. Je lui fis observer que, cependant, rien de semblable n'avait été fait, que pas un individu n'était arrêté, pas une enquête ordonnée, et que le gouvernement, qui se plaint toujours d'avoir des ennemis, lui avait donné cette occasion de plus de l'accuser de n'avoir de complaisance que pour les ennemis de l'empereur.
«M. Roëll m'ayant demandé mon sentiment sur ce qu'il y avait à faire dans cette occasion pour apaiser l'empereur, je lui dis qu'il ne me convenait pas de donner des conseils, que ce n'était point là ma mission, que cette affaire avait été trop négligée pour pouvoir être arrangée par la voie des négociations, et qu'il me paraissait qu'elle devait désormais être traitée directement entre le roi et l'empereur; que pour moi, je me bornais à lui transmettre mes ordres. Toute cette discussion fut très vive; contre son ordinaire, M. Roëll était extrêmement ému; je vis même un moment des larmes dans ses yeux. Il me recommanda les intérêts de sa malheureuse patrie, me dit que son système personnel avait toujours été de s'attacher à l'empereur, et de tout placer en lui comme de tout attendre de lui; mais il avoua que cette manière de voir n'était pas générale dans tous les ministères, et en défendant son département, il laissa fort à découvert celui de la police dont la conduite lui parut à lui-même si mauvaise qu'il n'essaya pas même de la défendre.
«M. Roëll me demanda de lui remettre mes demandes par écrit afin qu'il pût les soumettre au roi. Je le fis; je le prévins que je faisais repartir demain, dans la matinée, le courrier de Votre Excellence, et je le priai de me mettre à même de lui transmettre les déterminations où le gouvernement hollandais s'arrêterait dans cette circonstance.
«Je dois à la nation hollandaise de dire que, dans cette occasion, elle a manifesté un sentiment général de révolte contre une pareille infamie et que tous les honnêtes gens d'Amsterdam ont vu cet événement comme on l'a pu voir à Paris. M. Roëll est revenu plusieurs fois sur ce que son caractère personnel et l'esprit de son département ne permettaient pas de douter sur la manière dont il voyait cette affaire; et il me semblait attacher un fort grand prix à ce que Votre Excellence en prit cette opinion.
«Je crois assurément ce ministre incapable d'avoir aucune part à tout ceci; le grand tort de M. Roëll, et peut-être le seul, est d'être faible et de ne savoir pas s'exposer à déplaire et à perdre même sa place pour servir son souverain.
«Il est certain, Monseigneur, que M. de La Rochefoucauld ne vous a rien dit de trop à cet égard, que depuis trois mois plus particulièrement, l'erreur et l'inexactitude semblent présider à toutes les délibérations du gouvernement hollandais; qu'il est sans armée, sans marine, sans argent et sans crédit; qu'aucune stipulation importante du traité ne s'exécute; que la confiance et le respect des peuples s'aliènent tous les jours, et que tous les espoirs se tournent vers l'heureuse France et vers son monarque; que ces provinces si prospères autrefois, et maintenant si déchues, n'attendent désormais que de lui seul leur salut; que le parti français s'accroît de tous les hommes éclairés qui ne voient pas suivant leurs passions, mais suivant leurs intérêts, et que les plus opposés à la France d'inclination y sont revenus par conviction et par système.
«M. Roëll m'écrit à l'instant pour me demander de venir le voir demain, à 11 heures, et pour me prier de ne point faire partir mon courrier avant cette entrevue. Je ne fermerai donc ma dépêche qu'en sortant de chez M. Roëll.
Ce 29 mai, à midi.
«Je quitte M. Roëll. Ce ministre m'a dit qu'il avait fait part au roi de la lettre que Votre Excellence lui avait fait l'honneur de lui adresser, des communications que je lui avais faites et de mes demandes. M. Roëll m'a annoncé que le roi avait appris avec une extrême douleur la manière dont Sa Majesté l'empereur, son auguste frère, avait ressenti l'insulte faite à son ambassadeur; que son intention avait toujours été de faire punir les coupables que toutes les recherches n'avaient pu faire découvrir. L'intention du roi, m'a dit le ministre, est que cette affaire soit entamée dès ce moment devant le tribunal des échevins de cette ville, et poursuivie par le grand bailli comme accusateur public. Demain ou après, le gouvernement publiera une déclaration solennelle de son désir de donner une satisfaction éclatante à l'empereur et de punir exemplairement les coupables. Sa Majesté, a ajouté M. Roëll, ne serait pas même éloignée d'accorder une récompense à celui qui découvrirait les coupables.»
Roëll à Cadore.
Amsterdam, 29 mai 1810.
«Ce n'est qu'avec un sentiment de profonde douleur que le roi, mon maître, a appris les motifs qui ont déterminé Sa Majesté impériale et royale à rappeler auprès d'elle son ambassadeur en Hollande et à déclarer qu'il n'y aurait plus d'ambassadeur de Hollande à Paris, mais que les affaires seraient désormais traitées réciproquement par des chargés d'affaires dans les deux pays.
«Le roi était si éloigné de pouvoir s'imaginer que l'insulte qu'on se plaint avoir été faite à un des domestiques de M. le comte de La Rochefoucauld aurait pu provoquer une pareille mesure, que Sa Majesté s'était au contraire flattée que le gouvernement français aurait vu dans la conduite de celui de Hollande une preuve non équivoque de son désir de donner toute la satisfaction que l'insulte exigeait. Si l'on eût fait envisager ce qui a eu lieu sous son véritable point de vue, je me tiens persuadé que Sa Majesté impériale et royale, tout en insistant sur la recherche et la punition des coupables, n'aurait vu dans le retard qui a eu lieu à cet égard qu'une suite naturelle des circonstances et nullement un manque de zèle à donner la satisfaction demandée, à laquelle au contraire le gouvernement hollandais devait être porté aussi bien par intérêt que par conviction.
«Voici le cas, et que maintenant Votre Excellence juge. Dimanche 13 de ce mois, un des gens de l'ambassadeur passe, ce qui est dit, dans le voisinage du palais. On lui demande s'il appartient à l'ambassade de France, et, sur sa réponse affirmative, on lui applique des coups. Un attroupement se forme aussitôt; la personne en question s'adresse à la sentinelle voisine: celle-ci ne se croyant pas autorisée à se mêler de l'affaire, il rentre dans le corps de garde, demande du secours et l'obtient, de manière que l'attroupement se disperse aussitôt.
«Tel est, Monsieur le Duc, en peu de mots, le récit du fait tel qu'il se trouve dans l'office, qui m'a été adressé le même soir par M. le secrétaire de l'ambassade, en l'absence de l'ambassadeur. Votre Excellence sentira que je n'ai rien de plus empressé que de demander aussitôt des renseignements au ministre de la police qui, n'ayant reçu aucune information sur ce qui venait de se passer, selon l'office de M. Serrurier, prit sans délai toutes les mesures pour avoir des renseignements nécessaires et pour atteindre, d'après cela, ceux qui se seraient trouvés suspects de l'attentat.
«Je fis part de tout ceci à M. Serrurier, le lendemain matin, lorsqu'il me fit l'honneur de passer chez moi, en lui faisant sentir en même temps la difficulté qu'il y aurait à trouver aussitôt qu'il serait à désirer les coupables que la personne insultée elle-même disait ne point connaître. Je lui observai cependant que, par le concours de la légation avec le ministère de la police, je me flattais qu'on finirait par en venir à bout.
«Le même jour, j'adressai à l'ambassadeur l'office suivant que sans doute il aura eu soin de porter à la connaissance de Votre Excellence, et dont le contenu lui aura pu faire voir l'indignation qu'éprouva le roi à la nouvelle de ce qui venait d'arriver et le désir de Sa Majesté de donner aussi promptement que possible la satisfaction demandée, qui était la punition des coupables. Mais pour parvenir à cette punition, il fallait d'abord les atteindre; pour les atteindre, il fallait les connaître, et pour les connaître, il fallait l'assistance de celui qui se disait la personne lésée. À cet effet, le grand bailli de la capitale, dans les attributions de qui seul, et non dans celles du bourgmestre (dont les fonctions sont simplement et purement administratives), est compris tout ce qui regarde le maintien du bon ordre, a fait demander dès les premiers jours, chez lui, la personne en question, afin d'avoir d'elle-même quelques notions précises sur l'endroit et l'heure où le fait devait avoir eu lieu, ainsi que sur les circonstances qui devaient l'avoir accompagné. Ses instances, à cet effet, ayant été vaines, j'ai été prié d'en entretenir l'ambassadeur et de demander à Son Excellence s'il y avait des difficultés, de sa part, à ce que cet homme se rendît chez le grand bailli à l'effet indiqué. Son Excellence m'ayant assuré qu'elle ne s'y opposerait en aucune manière, et connaissance de ceci ayant été donnée de ma part au grand baillif, celui-ci a fait demander depuis, à différentes reprises, que la personne indiquée voulût se rendre auprès de lui, mais jusqu'ici, sans le moindre succès, ayant été répondu de sa part, encore hier matin, qu'il se trouvait trop occupé ce jour-là pour venir, ainsi qu'il constate par le procès-verbal de la personne chargée de lui parler.
«Voilà donc plus de quinze jours d'écoulés que l'ambassadeur de France se plaint d'un attentat commis envers un de ses gens et dont elle demande avec raison une satisfaction éclatante, sans qu'on ait pu parvenir encore à obtenir que cette personne veuille fournir à l'autorité compétente les notions si nécessaires pour réussir dans les perquisitions.
«Que faut-il penser, Monsieur le duc, d'une pareille conduite? Elle a causé au roi un sentiment d'autant plus pénible que le retard de la satisfaction demandée devait naturellement donner lieu à l'opinion qu'on n'attachait point de prix à la découverte du coupable, dont cependant le contraire est prouvé par tout ce qui a déjà été mis en œuvre pour y parvenir.
«Je n'occuperai pas davantage pour le moment l'attention de Votre Excellence sur cette malheureuse affaire. Je me bornerai à l'inviter de mettre ce que j'ai eu l'honneur de lui communiquer sous les yeux de S. M. impériale et royale, dont le roi se flatte que la religion, éclairée par le vrai exposé de ce qui a eu lieu, ne voudra pas faire exécuter une détermination qui ne saurait être attribuée qu'à des informations moins exactes sur l'affaire dont il s'agit et à l'égard de laquelle le roi se flatte que son auguste frère finira par lui rendre la justice que les expressions contenues dans mon office, du 15 de ce mois, à l'ambassadeur de France ne sont point de vaines paroles, mais extrêmement conformes à ses sentiments.
«En conséquence, je prie Votre Excellence de vouloir engager l'empereur et roi à consentir que non seulement la légation française en Hollande soit remplie de nouveau par un ministre de premier rang, mais aussi que l'ambassadeur de Hollande à Paris puisse continuer à y exercer provisoirement ses fonctions actuelles, dans lesquelles il a eu le bonheur de se rendre, en même temps, utile à son souverain et agréable à celui auprès duquel il est accrédité.
«En attendant, je me fais un plaisir d'assurer Votre Excellence que la personne à laquelle Sa Majesté daignera confier les fonctions de chargé d'affaires en Hollande sera toujours agréable au gouvernement hollandais qui ne manquera pas d'ajouter foi et créance entière à tout ce qu'elle sera dans le cas de lui dire de la part de son souverain. Quant à moi, en particulier, Votre Excellence peut se tenir persuadée que M. Serrurier rencontrera dans la question des affaires qui lui seront demandées toutes les prévenances auxquelles a droit de s'attendre l'agent d'une puissance aux intérêts de laquelle ceux de ma patrie sont si intimement liés, et dont la bienveillance est sans doute le plus ferme fondement de notre prospérité.
«Avant de finir cette lettre, je suis chargé de relever un passage qui se trouve dans la note par laquelle Votre Excellence a fait connaître à l'ambassadeur Werhuell les intentions de Sa Majesté impériale, savoir, celui où il est dit que si l'on n'eût pas renvoyé l'ancien bourgmestre, qui était un homme sage, l'affaire en question n'aurait pas eu lieu. Sans doute, Monsieur le duc, le bourgmestre Van-de-Poll est un homme éclairé et sage, dont le roi a toujours su apprécier les mérites, mais ses fonctions, comme je l'ai déjà observé plus haut, n'étant que purement administratives et n'ayant rien de commun avec la police, il est difficile de se persuader que, s'il fût resté en place, il aurait été en état de prévenir des injures quelconques que des malintentionnés se seraient avisés de faire. Et quant à la démission de ce magistrat, qui paraît avoir été représentée à Votre Excellence comme un renvoi, il suffira d'entendre le bourgmestre même pour être convaincu que, bien loin de pouvoir être considérée comme telle, cette démission n'a été que la suite d'instances réitérées de sa part, faites déjà avant le départ du roi pour Paris, mais auxquelles le bourgmestre a renoncé alors sous la condition expresse que Sa Majesté ne se refuserait pas à lui accorder sa démission et son repos aussitôt qu'elle pourrait entrevoir le terme de son absence, de sorte que le roi, en la lui accordant à cette époque, n'a fait que remplir les engagements contractés avant son départ, et je doute si aucun moyen pour engager M. Van-de-Poll à reprendre ses fonctions de bourgmestre serait capable de l'y déterminer.»
Le roi Louis à l'empereur.
Amsterdam, 31 mai 1810.
Sire,
Je supplie Votre Majesté de vouloir ordonner qu'on s'en tienne au traité. Ce pays, exaspéré de toutes les manières, est poussé au désespoir chaque jour davantage. On veut aujourd'hui que je reçoive des douaniers à Diemer, à Ruysdaal et à Menden, au centre du pays, et j'invoque l'assurance, que Votre Majesté m'a réitérée plusieurs fois, qu'elle ne voulait pas dépasser le traité ni entraver le commerce intérieur à ce point. Sous le prétexte d'ordres supérieurs, enfreindre un traité si nouvellement conclu, ce n'est point servir Votre Majesté impériale, quels que soient ses projets; c'est perdre gratuitement un peuple au désespoir. J'ai reçu et ordonné que l'on facilitât toutes les mesures de surveillance des douaniers, au Helder, au Texel, sur toute la côte de Frise, comme à Katuyk, à Schevelingen, l'île de Voorne, la Brille, Helvact, en un mot, toute la côte sans exception; mais les villes intérieures et les canaux ne peuvent y être sujets en aucune manière. Je prie instamment Votre Majesté de contremander des mesures qui sont trop contraires au traité qu'elle a prescrit elle-même, comme à tout motif raisonnable pour pouvoir être exécuté sans les plus fâcheuses conséquences pour ce pays. Votre Majesté n'a pas l'intention que ses agents soient cause des plus grands malheurs, elle ne veut pas qu'un pays qui lui doit l'existence soit perdu à jamais pour s'être sacrifié aux conditions prescrites par le traité. Je supplie donc Votre Majesté impériale d'ordonner qu'on ne cherche pas à dissoudre de force un gouvernement qui est son ouvrage, qu'on ne lui enlève pas tout moyen d'exister au moment où l'on exige qu'il fasse des dépenses énormes et qu'il supporte patiemment un état de guerre qui le ruine; mais, au contraire, Sire, veuillez calmer des esprits vivement agités et leur prouver que le traité que j'ai ratifié pour eux, en me confiant entièrement à la parole et à la volonté de Votre Majesté impériale, ne pouvait tromper leur espoir et leur résignation absolue. Quelle que soit l'indisposition de Votre Majesté contre son frère, je la prie de répondre au roi de Hollande et de considérer que c'est dans la plus grande anxiété que le pays et moi attendons la réponse de Votre Majesté.