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Les rubis du calice

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IX
Abel, le patriarche et l’ange

Dans la prière qui suit immédiatement la Consécration, l’Église se qualifie « le peuple saint se souvenant de la Passion et offrant à Dieu le Pain sacré de la vie éternelle et le Calice du salut perpétuel. »

Peuple saint, parce qu’il a été régénéré par le sacrement de baptême ; peuple saint, parce qu’il est la propriété de Dieu qui se l’est acquis au prix du sacrifice de Jésus ; peuple saint, parce que la grâce se répand sur les fidèles pour que s’y conformant, ils marchent dans sa Lumière, loin des ténèbres du monde. Ainsi, comme le dit saint Paul, ils « renoncent aux désirs du siècle et vivent dans l’attente de l’avènement du Sauveur qui s’est livré lui-même pour nous afin de se faire un peuple pur et zélé pour son service ».

Lorsque je médite cette prière, je sens une fois de plus, d’une façon intense, mon privilège de Racheté par Jésus et je comprends les responsabilités qui en découlent. Me dire l’enfant du peuple saint et me conduire comme ceux qui ne veulent pas être sanctifiés, ce serait comme si j’habillais de soie blanche le corps purulent d’un lépreux.

Ensuite, l’Église fait mémoire du sacrifice d’Abel, du sacrifice d’Abraham et « des offrandes du prêtre suprême Melchisédec », elle établit un rapport entre ces préfigures de la Messe et l’oblation de l’Hostie consacrée. Elle relie l’Ancien Testament à l’Évangile et elle confirme par là notre titre d’héritiers de la Nation élue.

Mentionnant Abel, nous nous souvenons que son sacrifice d’une brebis fut agréable au Seigneur parce qu’il l’offrit d’un cœur droit. Notre Seigneur, dans l’Évangile selon saint Mathieu, le nomme « le juste Abel ». En outre, il a été tué par Caïn comme Jésus le sera par les Juifs. « En Abel, dit saint Ambroise, la Rédemption de l’humanité a été annoncée, comme sa déchéance avait été soulignée par Caïn. En celui-là, il y a le sacrifice du Christ, en celui-ci, la rage fratricide du démon. »

Abraham, il est notre Patriarche, père de tous les croyants, qu’ils appartiennent à l’Ancienne Loi ou qu’ils relèvent de la Bonne Nouvelle. « Il est appelé le Patriarche, c’est-à-dire le premier entre les Pères, explique saint Thomas d’Aquin, non parce qu’il n’a pas eu de père mais parce que la promesse lui a été faite qu’il serait le père des nations. »

Ancêtre de Jésus selon la chair, il eut la gloire d’offrir son fils comme le symbole de l’Hostie que nous offrons. L’holocauste, par soumission héroïque, d’Isaac est donc un emblème de l’Eucharistie. C’est pourquoi il est si souvent reproduit dans les peintures des Catacombes. Et c’est pourquoi saint Paul a dit : « C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac, lorsqu’il fut éprouvé de Dieu, lui qui avait reçu la promesse : C’est en Isaac que sera ta postérité. Il crut que Dieu est puissant jusqu’à ressusciter les morts. Aussi ce fils lui fut-il rendu pour que fussent préfigurées la mort et la résurrection du Sauveur. »

Non seulement l’Église sanctionne à la Messe cette signification mystique du sacrifice d’Abraham, mais encore elle le place à côté de la manne et de l’agneau pascal lorsqu’elle récite la belle prose Lauda Sion :

In figuris præsignatur,
Cum Isaac immolatur :
Agnus Paschæ deputatur :
Datur manna patribus.

Melchisédec est une des figures les plus mystérieuses de la Bible. Il apparaît, au lointain des âges, dans une pénombre solennelle où résonne, en un chant prophétique, l’annonce du Messie. Son nom signifie Roi de Justice et il règne sur Salem, c’est-à-dire sur la Paix. Dans la Genèse, il offre le pain et le vin pour célébrer la victoire d’Abraham sur les infidèles. Étant « roi-prêtre du Dieu très haut », il bénit le patriarche et il en reçoit la dîme.

David, au psaume 109, ayant vision du Sauveur dans la Lumière incréée, le salue par ce cri : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédec ! » Cela veut dire que Jésus inaugure le sacerdoce éternel non d’après la Loi périmée mais par une institution directe semblable à celle que reçut Melchisédec. De même, pour établir la filiation divine de Jésus par l’exemple de Melchisédec, saint Paul rappelle, dans l’Épître aux Hébreux, que ce dernier « est sans père ni mère, sans généalogie, sans commencement de jours ni fin de vie et qu’il préfigure ainsi le Fils de Dieu. »

Melchisédec fut donc plus qu’un homme. La tradition de l’Église le considère comme un ange envoyé par Dieu pour confirmer la vocation d’Abraham et préparer, en quelque sorte, par l’oblation du pain et du vin, le sacrifice de la Messe.

Dans l’une de ses incomparables visions, Catherine Emmerich rapporte que le calice dont Jésus se servit, pour la Cène, provenait de Melchisédec. Je ne puis mieux faire que de la citer :

« Le grand calice de Jésus était déjà chez Abraham. Melchisédec l’apporta du pays de Sémiramis, dans la terre de Chanaan, lorsqu’il commença quelques établissements au lieu où fut plus tard Jérusalem. Il s’en servit lors du sacrifice où il offrit le pain et le vin en présence d’Abraham et il le laissa à ce patriarche. »

En une autre vision, ce qui suit lui fut représenté :

« Le sacrifice de Melchisédec eut lieu dans la vallée de Josaphat, sur une hauteur. Abraham devait savoir d’avance qu’il viendrait sacrifier car il avait élevé un autel et, au-dessus, un berceau de feuillage. Il y avait aussi une espèce de tabernacle où Melchisédec plaça le calice…

« Lorsque le patriarche avait reçu le mystère de la Promesse, il lui avait été révélé que le prêtre du Très-Haut célébrerait devant lui le sacrifice qui devait être institué par le Messie et durer éternellement. C’est pourquoi lorsque Melchisédec fit annoncer son arrivée par deux coureurs dont il se servait souvent, Abraham l’attendit avec une crainte respectueuse…

« Il alla à la rencontre de Melchisédec. Je vis celui-ci entrer dans le berceau de feuillage ; il offrit le pain et le vin, en les élevant dans ses mains ; il les bénit et les distribua. Il y avait dans cette cérémonie quelque chose de la sainte Messe. Abraham reçut un pain plus blanc que les autres et but au calice qui servit, par la suite, à la Cène de Jésus et qui n’avait pas encore de pied. Les plus distingués d’entre les assistants distribuèrent après du pain et du vin au peuple qui entourait l’autel…

« Il n’y eut pas de consécration : les anges ne peuvent pas consacrer. Mais les oblations furent bénies et je les vis rayonner. Tous ceux qui les reçurent furent fortifiés dans leur âme et dans leur corps et élevés vers Dieu. Pour la bénédiction d’Abraham par Melchisédec, je vis que c’était une préfigure de l’ordination des prêtres…

« Melchisédec ne paraissait pas vieux. Il était svelte, haut de taille ; ses gestes avaient une douce majesté. Il portait un long vêtement plus blanc qu’aucun vêtement que j’aie jamais vu ; la tunique blanche d’Abraham semblait grise à côté. Lors du sacrifice il mit une ceinture où étaient brodés quelques caractères et une coiffure blanche assez semblable à une mitre. Sa longue chevelure était d’un blond clair et luisant ; on aurait dit de la soie. Il avait une barbe blanche, courte et pointue. Son visage resplendissait.

« Tout le monde le traitait avec respect. Sa présence répandait partout la vénération et un calme majestueux. Il me fut dit que c’était un ange sacerdotal et un messager de Dieu. Il était envoyé pour établir diverses institutions religieuses.

« Il conduisait des peuples, déplaçait et mêlait les races et fondait aussi des villes. Je l’ai vu en plusieurs pays avant le temps d’Abraham. Ensuite, je ne l’ai plus revu. »


La troisième prière après la consécration s’exprime ainsi :

« Nous vous supplions, Dieu tout-puissant : ordonnez que ces dons soient portés par votre Ange saint sur votre autel sublime, en présence de votre divine majesté, afin que nous tous qui, participant à cet autel, aurons reçu le corps et le sang très saints de votre Fils, nous soyons remplis de toutes les bénédictions célestes et de toutes les grâces. »

C’est ici que se manifeste l’humilité dont nous devons être pénétré lorsque, unis au prêtre, nous offrons à Dieu le corps et le sang de son Fils. Notre vie n’est pas assez innocente, notre cœur n’est pas assez mortifié, notre ferveur n’est pas assez ardente pour que nous osions présenter nous-mêmes les dons consacrés à Celui qui est toute perfection. La vue de l’Hostie immaculée et du calice salutaire, la pensée de l’inexprimable sainteté de l’offrande raniment en nous le sentiment de notre indignité. C’est pour cette raison que la liturgie nous invite à confier à un Ange l’oblation de Jésus et aussi la nôtre. Par là, nous nous conformons à la tradition la plus antique, souvent formulée dans l’Église, que les Anges ont assisté à l’œuvre de notre rédemption du commencement à la fin et qu’ils sont également présents et participants au sacrifice de la Messe.

Saint Jean Chrysostome dit : « En ce moment solennel, les Anges entourent le prêtre, le chœur entier des puissances célestes s’unit à lui ; il environne l’autel pour adorer la Victime qui y repose. » Puis le Saint raconte une vision au cours de laquelle, il vit et où les assistants virent aussi une multitude d’esprits célestes, revêtus de robes blanches, et qui se tenaient, la tête inclinée devant l’Hostie, « comme des guerriers autour de leur roi. »

Mais, parmi cette foule bienheureuse, quel est « l’Ange saint » dont l’Église demande qu’il soit son délégué auprès du Père tout-puissant ?

Certains pensent que ce pourrait être celui qui, au Jardin des Olives, descendit du ciel pour assister Jésus en son agonie et pour étancher la sueur de sang qui ruisselait de son corps jusqu’à terre.

D’autres y voient Saint Michel parce que l’Église, dans l’office de l’Archange, lui applique le texte de l’Apocalypse où il est dit : « Un Ange se tint devant l’autel, il avait un encensoir d’or et beaucoup d’encens lui fut donné afin qu’il plaçât les prières des fidèles sur l’autel d’or qui est devant le trône de Dieu. Et la fumée de l’encens que forment les prières des fidèles monta devant Dieu par la main de l’Ange. »

Quelques-uns croient qu’il s’agit de l’ange protecteur de l’église où l’on célèbre la Messe ou de l’Ange gardien du prêtre et qu’il le soutient, l’éclaire et le dirige, d’une façon toute spéciale, pendant qu’il officie.

Enfin, Nicolas Ghir renforce le mystère lorsqu’il rapporte que « plusieurs voyants eurent une dévotion particulière à cet esprit céleste mentionné au canon de la Messe mais qu’ils ont gardé le secret sur son nom ou sur sa personne. »

D’autre part, voici ce que le mystique ignoré Lapillus m’a confié : — J’ai eu souvent l’intuition vive que cet Ange, c’est Melchisédec. De même que par préfigure, il offrit le pain et le vin au temps d’Abraham, de même il les porte à Dieu, transsubstantiés tous les jours à l’autel…

Quoi qu’il en soit, retenons, une fois de plus, que, par notre présence au Saint-Sacrifice, avec les Apôtres, les Martyrs et les Anges, se manifeste l’étroite solidarité de l’Église militante avec l’Église triomphante. Et l’Église souffrante vient prendre aussi sa place dans l’assemblée des fidèles, afin que la prière des Bienheureux, des combattants pour Dieu sur la terre et des âmes qui expient en Purgatoire soit UNE dans le Père et l’Esprit, comme elle est UNE dans le Fils.

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