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Les rubis du calice

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IV
Un souvenir

Chaque fois que j’entends chanter le Graduel, ma pensée se reporte à un cinquième dimanche après Pâques où j’assistais à la grand’messe dans la cathédrale de Strasbourg.

Le chœur était composé des élèves du Séminaire et des enfants de la maîtrise. A l’écouter, je dus convenir que jamais chant d’église ne m’avait fait éprouver une émotion religieuse d’une intensité aussi salutaire.

Ailleurs, j’avais subi des messes en musique où, parmi les ronflements gras d’orgues sans discrétion, des violoncelles, des bassons, et je ne sais quelles prétentieuses clarinettes luttaient d’acrobatie avec les coups de gosier pointus ou caverneux des chantres pour recouvrir d’intempérantes vocalises, d’arpèges gambadeurs et de fioritures criardes l’austère nudité de la liturgie.

Ici, rien de pareil ; nul instrument profane n’intervenait. Sans gargouillades efféminées, sans vociférations tonitruantes et saugrenues, les voix viriles alternaient avec les voix enfantines pour un plain-chant respectueux qui conservait toute sa valeur de pensive oraison.

Ce fut surtout au Graduel que je me sentis pénétré, soulevé au-dessus de moi-même par la force d’adoration de cette grave harmonie.

Le chœur disait : Alleluia ! Alleluia ! Surrexit Christus et illuxit nobis quos redemit sanguine suo. Alleluia !

Par ce texte, l’Église rappelle que le Christ ressuscité nous prodigue sa lumière au prix du sang qu’il a versé pour notre rachat. Je le sentis en toute sa profonde beauté, pour la première fois. C’est que, chanté lentement presque à mi-voix, avec une ferveur concentrée, mille fois plus persuasive que les cris emphatiques de virtuoses distraits, il donnait même aux Alleluia joyeux un accent de gratitude prosternée et scellait ainsi dans l’âme des fidèles le souvenir du sacrifice permanent de notre Sauveur.

Compris, rendu de la sorte, le Graduel renforce et prolonge l’enseignement de l’Épître. Il nous mène, tout recueillis, à celui que l’Évangile va nous offrir. Par lui, Notre-Seigneur se penche vers notre misère ; il nous affirme sa volonté de nous en tirer pourvu que nous ne nous montrions pas indignes de sa miséricorde. Nous cependant, nous nous élançons vers lui. Nous le remercions, nous le louons, nous lui présentons l’Alleluia comme une corbeille de violettes.

Le Graduel, chanté par la maîtrise de la cathédrale de Strasbourg, c’est un trait d’union entre l’âme et Dieu…

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