Lettres de voyage (1892-1913)
NOS HOMMES D’OUTRE-MER
A tout prendre il n’y a que deux catégories d’humains sur la terre : ceux qui restent chez eux et ceux qui voyagent. Les seconds sont les plus intéressants. Un jour, quelqu’un aura l’idée d’écrire un livre sur cette race, dans un volume intitulé : « Le livre du Club d’Outre-mer », car c’est dans les cercles, d’Aden à Yokohama, qu’on se rend le mieux compte de la vie et de la conversation de ce type migrateur. Il existe un grand air de famille entre les bâtiments et les membres du Club, où règne une hospitalité généreuse et insouciante. C’est toujours la même maison, à la porte ouverte, au plafond haut, au plancher garni de nattes ; la même allée et venue de domestiques noirs ; et la même assemblée d’hommes parlant de chevaux ou d’affaires, dans des costumes qui scandaliseraient fatalement un comité londonien, au milieu de liasses de journaux, vieux de deux à cinq semaines. La vie de ces gens de l’Extérieur comprend beaucoup de soleil et autant d’air qu’il s’en trouve. Au Cap, où les maîtresses de maison hollandaises distillent et vendent le vanderhum, liqueur très forte, et où les ridicules fiacres à deux roues, de fabrication anglaise, montent et descendent en se dandinant au milieu de la poussière jaune de la rue d’Adderley, les membres du Club appartiennent aux grosses maisons d’importation et d’exportation, aux agences maritimes et d’assurances. On y rencontre aussi des inspecteurs de mines, des explorateurs de nouveaux territoires, et de temps en temps un officier des Indes, égaré ici, venu acheter des mules pour le compte du gouvernement, un aide de camp attaché à la Résidence du gouvernement, un petit nombre d’officiers de la garnison, des capitaines de vaisseaux, au teint bronzé, des Messageries Maritimes « Union and Castle » et des marins de l’escadre de Simon’s town. Là, on parle des péchés de Cecil Rhodes, de l’insolence du Natal, on approuve ou blâme le vote unanime des Boërs, et commente les départs de paquebots. L’argot est hollandais et cafre et chacun sait fredonner l’hymne national qui commence par : « Plie bagages et file, Jeannot aux jambes arquées. » Dans le majestueux bâtiment du cercle de Hong-Kong, qui est à l’Extrême-Orient ce que le Club de Bengale est aux Indes, on rencontre à peu près les mêmes personnes, moins les spéculateurs de mines, remplacés par des hommes qui parlent de thé, de soie, de stocks épuisés, et des poneys de Shanghaï. C’est alors que la conversation devient un mélange indescriptible d’anglo-chinois commercial et d’idiomes locaux, agrémenté de portugais corrompu.
A Melbourne, sous une grande véranda donnant sur une pelouse où de gros martins-pêcheurs rient d’un rire affreux, se tiennent les rois du mouton, les principaux commerçants, et les éleveurs de chevaux à leur manière. Les plus âgés rappellent les jours de « l’Eureka Stockade » tandis que les plus jeunes parlent des « guerres de la tonte » dans le Queensland du Nord, et que le voyageur se meut timidement au milieu d’eux, se demandant ce que diable tout ce jargon peut bien vouloir dire.
A Wellington, donnant sur la rade, (tous les clubs intelligents devraient avoir vue sur la mer), une autre catégorie d’hommes, qui cependant rappelle les autres, s’entretient de moutons, de lapins, de tribunaux locaux, et des anciennes hérésies de Sir Julius Vogel, dans une langue qui, dans ses phrases les plus expressives, évoque le langage des Maoris. Partout ailleurs, encore et toujours, parmi ces hommes de l’Extérieur on retrouve le même mélange de tous les métiers, vocations et professions sous le soleil ; le même conflit d’intérêts opposés qui concernent les quatre coins du globe ; la même connaissance intime et parfois effrayante des affaires du voisin et de ses points faibles ; la même hospitalité généreuse et le même intérêt manifesté par les plus jeunes au sujet des jambes des chevaux. Décidément, c’est au Club d’Outre-mer, dans le monde entier, qu’on arrive à connaître un peu la vie de la colonie étrangère. Londres est égoïste ; pour lui, le monde s’arrête au bout des quatre milles qu’on parcourt en fiacre. Il n’existe pas de provincialisme comme celui de Londres. Ce grand bassin, enduit des alluvions et des résidus de la pensée d’un millier d’hommes, croit qu’il est la pleine mer parce que les vagues de tous les océans viennent se briser sur ses bords. Pour ceux qui vivent dans son sein, il est terriblement imposant, mais ils oublient qu’il y a plus d’une façon d’en imposer car, à une distance de 10.000 milles, à l’arrivée du courrier au Club d’Outre-mer, il apparaît étonnamment petit. Les neuf dizièmes de ses nouvelles, si importantes, si capitales là-bas, perdent ici leur signification, et le reste ne compte pas plus qu’un bruissement de fantômes dans un arrière-grenier.
Ici au Club de Yokohama, on reçoit deux courriers et quatre collections de journaux, anglais, français, allemands et américains, pour satisfaire à la variété des membres ; et la véranda, près de la mer, où se trouve le gros télescope, assiste à une perpétuelle fête de Pentecôte. La population du Club change chaque fois qu’un paquebot entre en rade, car les capitaines de vaisseaux y viennent, en se dandinant, accueillis par un « Tiens, bonjour, d’où venez-vous », se mêlent aux groupes, passent leur permission au bar et aux tables de billards, puis repartent en mer. Les navires de guerre peints en blanc fournissent aussi leur contingent de membres et enfin il y a des hommes merveilleux, véritables mines d’aventures fort captivantes, qui s’intéressent aux brigantines faisant la pêche du phoque aux îles Kurile, et qui, Dieu sait pourquoi, s’attirent des ennuis avec les autorités russes. Les consuls et les juges des Tribunaux Consulaires y rencontrent des collègues en congé, venus des ports de la Chine ou peut-être de Manille ; ils discutent avec les résidents permanents, de thé, de soie, de spéculations financières, et de change. D’après eux, les affaires ne vont jamais bien, et tout le monde frise la ruine ; c’est pourquoi, après avoir décidé que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue, ils descendent au jeu de quilles — pour se suicider. Du dehors, quand un vent frais souffle parmi les journaux et qu’on entend un bruit de glace cassée dans une salle à l’intérieur, quand un tiers de l’assemblée parle des prochaines courses, cette vie semble avoir des charmes. « Que faut-il donc de plus à un homme pour être heureux ? » se dit le passant. Un climat parfait, un pays charmant, la société de gens agréables, et le peuple le plus poli qui soit. C’est alors que le résident sourit et invite le passant à prolonger son séjour jusqu’à la fin de juillet et d’août. De plus, il le prie d’entretenir des relations commerciales avec le peuple le plus poli de la terre pendant un certain nombre d’années. Là-dessus, le voyageur est convaincu que le résident est prévenu contre le pays, par le fait même qu’il l’habite et en conclut que le Japon est une contrée parfaite, que gâte seulement la présence de la colonie étrangère. Cependant, si l’on réfléchit un instant, on s’aperçoit que c’est grâce à cette colonie que le voyageur peut aller et venir d’un hôtel à un autre, obtenir son passeport pour voyager à l’intérieur du pays, télégraphier à ses amis inquiets qu’il est arrivé sain et sauf, et généralement se distraire beaucoup plus qu’il n’aurait pu le faire chez lui. On peut pénétrer dans un pays soit par des accords entre gouvernements, soit avec l’aide de chaloupes canonnières, mais ce sont les hommes du Club d’Outre-mer qui en maintiennent l’accès ouvert, et ils en sont récompensés par l’air affable et protecteur ou le mépris à peine dissimulé de ceux qui profitent de leurs efforts. Il est inutile d’expliquer au voyageur attiré par des flatteries et des simagrées dans une demi-douzaine de boutiques, et reconduit, de même, après avoir été poliment volé, que le Japonais est un Oriental et par conséquent est avare de vérité à un degré fort gênant. « C’est sa façon d’être poli, dit le voyageur. Il ne veut pas vous offenser. Aimez-le et traitez-le comme un frère, et il changera. » Mais ce n’est pas facile de traiter sur une base fraternelle une des races les plus renfermées de la terre ; bien plus, une politesse naturelle qui consiste à s’engager par un contrat dûment signé et scellé, pour se dérober, s’esquiver dès qu’il ne rapporte plus assez, est plus qu’embarrassante, je dirais même vexante. Le manque de stabilité ou d’honneur commercial peut venir de quelque infirmité naturelle de leur tempérament d’artiste, ou de l’influence du climat, ou encore de la façon dont le souverain a gouverné cette race depuis des siècles infinis.
Ceux qui connaissent réellement l’Orient, où le vol autorisé, — entendez par là commission prélevée — est à la base de toutes les transactions de la vie, depuis l’achat d’une place de groom jusqu’à celui des postes plus élevés, où la femme marche derrière l’homme dans les rues, où le paysan vous renseigne sur la distance à la ville voisine selon la réponse que vous espérez, savent que tout cela doit être ainsi ; ceux qui l’ignorent en seront convaincus dès qu’ils y auront vécu. Les membres du Club d’Outre-mer hochent collectivement la tête d’un air de doute et de mépris en entendant parler du Japon Nouveau et Régénéré qui a surgi depuis 1870. Ils ricanent, ô honte, quand on leur parle de la Diète Impériale modelée sur le plan allemand, et d’un Code Napoléon à la Japonaise. Ils sont si loin derrière l’Ère Nouvelle qu’ils en viennent à douter qu’un pays oriental mené par l’étiquette la plus rigide et des distinctions sociales presque aussi intransigeantes que celles de caste, puisse être façonné à l’occidentale, au cours de l’existence d’un tout jeune homme. Il faut bien d’ailleurs qu’ils soient prévenus, car ils sont tous les jours et à toute heure en contact avec les Japonais, sauf quand ils peuvent traiter avec les Chinois qu’ils préfèrent. Vit-on jamais un Club plus ignoble ?
En ce moment même, une crise, aussi complètement épanouie qu’un chrysanthème, a pris naissance au sein de la Diète Impériale. Les deux Chambres accusèrent le gouvernement d’intervention inopportune (en japonais : beaucoup de coups de bâton, quelques billets de banque) aux dernières élections. Puis elles votèrent une sorte de blâme au Ministère et refusèrent d’agréer les mesures du gouvernement. Jusqu’ici, le partisan le plus acharné du gouvernement représentatif n’aurait rien pu désirer de mieux ; mais les choses prirent une tournure décidément orientale. Le Ministère refusa de démissionner et le Mikado prorogea la Diète d’une semaine afin de délibérer. Les journaux japonais discutent maintenant l’événement ; certains disent qu’un gouvernement représentatif implique un gouvernement de factions, tandis que d’autres jurent amplement et que le Club d’Outre-mer s’écrie presque à l’unisson : Bagatelles !
La situation ne manque pas de pittoresque et tient tout à la fois du roman et de « l’extravaganza ». Imaginez donc une cour perdue dans les rêves, retranchée derrière une triple rangée de fossés où le lotus fleurit en été ; une cour dont la frange extérieure est incontestablement européenne, mais dont le cœur est le Japon d’antan, où un Roi rêveur est assis au milieu de ses femmes ou autres décors, qu’on amuse de temps en temps par des séances de lanterne magique, et de puces savantes ; un Roi saint dont on invoque la sainteté et qui deux fois l’an donne des garden-parties auxquelles on assiste en haut de forme et en redingote. Autour de cette Cour, hésitant entre les splendeurs d’autrefois et les attractions variées d’un Crystal Palace, placez dans un antagonisme féroce, mais soigneusement voilé, les fragments des castes récemment brisées, leurs excentricités orientales naturelles, dissimulées sous un masque emprunté à l’Occident. Imaginez maintenant une bureaucratie immense et avide, française par son exigence pétulante de la minutie, là où les détails n’importent nullement, orientale dans sa foi en l’étiquette et les formalités, recrutée dans une caste militaire accoutumée depuis des siècles à mépriser également le fermier et le commerçant. Cette caste, supposons-le, est plus ou moins bien dirigée par un syndicat de trois clans qui fournissent leurs propres candidats au ministère, hommes adroits, versatiles, sans scrupules, ne s’embarrassant pas de préjugés occidentaux lorsqu’il faut mener à bien une entreprise. Le saint monarque agit par leur intermédiaire et à leur demande, et ce qu’il fait est merveilleux. Pour critiquer ces actions il existe une presse féroce, qui court le risque d’être suspendue à tout moment, d’une susceptibilité aussi morbide que l’est sa collègue américaine à l’égard des critiques d’autrui, et d’une inexactitude enfantine presque égale ; à la croissance rapide et pour ainsi dire spontanée et digne de pitié pour sa témérité insensée. Les partisans de cette presse dans ses moments de folie, hommes sans lois, ignorants, susceptibles et vains, représentent la classe des étudiants, pour la plupart instruits aux frais du gouvernement, véritable épine au flanc de l’État. Des juges sans expérience manient des lois sans précédents, tandis que l’on fait et abroge de nouveaux décrets avec une légèreté presque inconcevable. De l’agitation des classes et des intérêts qui ne sont pas ceux du vulgaire, émane ce qu’on appelle la politique japonaise qui a les proportions et la perspective d’une peinture japonaise.
La finalité et la stabilité sont absentes de ses conseils. Tel jour, pour des raisons qu’on ne saurait expliquer, elle se déclare en faveur des étrangers au point d’être servile ; le lendemain, pour des motifs non moins obscurs, le pendule oscillera dans le sens contraire et les étudiants dans les rues lanceront de la boue sur eux. Vexatoire, irresponsable, incohérente, et surtout mystérieuse à peu de frais, voilà l’autorité qui s’exerce dans tout le pays où la loi est hébétée par les intrigues et les contre-intrigues, agrémentée de réformes futiles élaborées sur des bases européennes puis abandonnées d’un cœur léger ; criblée, comme l’est un bocage plein d’oiseaux semé de coquillages et de cailloux luisants, de réformes copiées aux quatre coins du monde ; administration d’opérette, au sein de laquelle l’ombre du roi entouré de ses femmes ; des samuraïs ; des docteurs qui ont étudié sous Pasteur ; des officiers de cavalerie de St-Cyr, gantés de peau ; des juges diplômés de l’Université ; des prostituées jouant du violon ; des correspondants de la presse ; des maîtres des anciennes cérémonies du pays ; des membres salariés de la Diète ; des sociétés secrètes qui, à l’instar des Irlandais, font usage du couteau et de la dynamite ; des fils de Daïmios dépossédés, revenus d’Europe et attendant les événements, et des ministres du syndicat qui ont ravi au Japon le repos dont il jouissait il y a vingt ans encore tournoient, s’agitent, se séparent et se retrouvent, dans des rondes effrénées autour du résident étranger. « L’extravaganza » est-elle complète ?
Dans un coin, au fond de la scène, se trouvent les habitants du pays dont une très faible proportion jouit des privilèges du gouvernement représentatif. On se demande s’ils ont appris ou s’ils sont en train d’apprendre ce que cela signifie, et s’ils ont la moindre intention de s’en servir ; on ne saurait dire. En attendant, le gouvernement mène la ronde aussi joyeusement que s’il jouait aux quatre coins, d’autant plus qu’une demi-douzaine d’hommes à peine savent qui le dirige et quelles peuvent bien être ses intentions. Tokio abrite le cercle, au nombre décroissant, d’Européens employés par l’Empereur comme ingénieurs, spécialistes dans la construction de chemins de fer, professeurs de collège, etc. Avant longtemps on les remerciera tous et le pays se lancera seul au milieu des autres nations, sous sa propre responsabilité.
Cinquante ans après, en comptant à partir du jour où l’Américain importun troubla pour la première fois sa paix, le Japon fera l’expérience de sa nouvelle vie et, réorganisé de la tête au pied, jouera du « samisen » (guitare japonaise) dans la marche du progrès moderne. C’est le grand avantage d’être venu au monde dans cette Ère Nouvelle, alors que l’individu et le public en général peuvent obtenir quelque chose en retour de rien : de l’argent sans travailler, de l’instruction sans peine, la religion sans effort de la pensée et un gouvernement libre sans lent et pénible labeur.
Le Club d’Outre-mer, comme on l’a dit, retarde sur l’esprit du siècle, car il lui faut travailler pour obtenir ce qu’il désire, et n’obtient pas toujours ce pour quoi il a peiné. De plus, ses membres ne peuvent pas reprendre le bateau et retourner chez eux quand il leur plaît. Imaginez un instant la satisfaction que fait naître dans l’esprit d’un homme, la contemplation perpétuelle d’une rade aussi remplie de paquebots qu’une station de fiacres à Piccadilly. Il fait chaud, supposons, il n’est pas content de son travail aujourd’hui, ou bien ses enfants n’ont pas très bonne mine. La vue de jolis chalets couverts de tuiles, dans un berceau de roses et de glycines, ne le console pas, et la voix du peuple le plus poli de la terre détonne désagréablement. Il connaît tout le monde au Club, il a complètement épuisé tout sujet intéressant de conversation et donnerait volontiers la moitié — oh ! même cinq ans de son salaire — pour remplir ses poumons d’air vivifiant, humer l’odeur des foins, marcher seulement un demi-mille dans les rues boueuses de Londres, ou entendre tinter dans le brouillard de quatre heures la petite cloche annonçant les brioches chaudes. Puis voici le gros paquebot qui va à travers l’azur obsédant, éclatant de la baie, emmenant un tel ou un tel, tous les deux des amis à lui, et la semaine prochaine tel ou tel autre partira par le courrier français. Il lui semble alors qu’il est le seul à rester, et cependant cela paraît si facile de partir — oui, pour tous sauf pour lui. La fumée du paquebot meurt au bout de l’horizon et il reste, seul, avec le vent chaud et la poussière blanche du Bund. Or, le Japon est un pays agréable, dans lequel on a confiance et où l’on vit trente ans sans interruption. Il y a des ports chinois à une semaine de voile, à l’ouest, où la vie est réellement pénible, et où le spectacle des vaisseaux qui arrivent et repartent sans cesse fait bien, bien mal. Touristes, oh ! vous qui parcourez le monde, soyez indulgents envers les hommes des Clubs d’Outre-mer. Souvenez-vous que, contrairement à vous, ils ne sont point venus ici pour leur santé et que le billet de retour que vous avez au fond de votre valise peut fort bien influencer vos opinions sur le pays qu’ils habitent. Peut-être ne serait-il pas très sage, se basant sur la grande bonté manifestée par les fonctionnaires japonais, d’engager à ce que ces gens, vos compatriotes, soient entièrement abandonnés à un peuple qui commence à se livrer à des expériences sur des codes fraîchement rédigés, à demi-transplantés, où il n’est pas question de Jury, à un système qui n’envisage pas la liberté de la presse, à un absolutisme soupçonneux et sans appel. L’idée pourrait être intéressante mais, bien que commencée en farce, elle finirait sûrement de façon tragique, laissant le peuple le plus poli de la terre incapable de rejouer au gouvernement civilisé avant longtemps. Dans sa concession, où il est une humble importation pas mal rudoyée, le résident étranger ne fait pas de mal. Il ne poursuit pas toujours le Japonais qui lui doit de l’argent. Mais si on lui donnait plus de liberté, s’il pouvait pénétrer jusqu’au cœur du pays, des ennuis ne tarderaient pas à surgir quelque part, et à la longue ce ne serait pas lui le plus malheureux. Avec un peu d’imagination on peut concevoir les possibilités les plus désagréables, depuis un envahissement général du Japon par les Chinois, qui sont de beaucoup l’élément étranger le plus important, jusqu’au bombardement de Tokio par une démocratie joyeuse et possédant une mentalité de parvenu, avide de venger son honneur national et de savoir comment fonctionne sa marine nouvellement construite.
Mais il y a mille et mille arguments qui réfuteraient et confondraient ces pronostics quelque peu lugubres. Les statistiques du Japon, par exemple, sont aussi bien soignées et fignolées que les boiseries de ses maisons et, grâce à elles, on pourrait démontrer n’importe quoi.