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Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

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(10e Prov.)

Et l’on sait pourtant avec quel soin les Provinciales étaient travaillées! Mais nul n’est exempt de faillir, ni Pascal, ni Molière, ni Bossuet.

IL surabondant:

Chacun fait ici-bas la figure qu’il peut,
Ma tante; et bel esprit, il ne l’est pas qui veut!
(Fem. sav. III. 2.)

Cette tournure a une naïveté qui donne du piquant à l’adage. On se tromperait fort de prendre cet il pour une cheville commandée par la mesure.

Son cœur, pour se livrer, à peine devant moi
S’est-il donné le temps d’en recevoir la loi.
(Ibid. IV. 1.)

«La source de tout le mal est que ceux qui n’ont pas craint de tenter au siècle passé la réformation par le schisme, ne trouvant point de plus fort rempart contre leurs nouveautés que la sainte autorité de l’Église, ils ont été obligés de la renverser.»

(Bossuet. Or. fun. de la r. d’A.)

IL, construit avec qui, dans le sens de celui qui:

Il est bien heureux qui peut avoir dix mille écus chez soi!

(L’Av. I. 5.)

Corneille a dit de même:

«Il passe pour tyran quiconque s’y fait maître.»
(Cinna. II. 1.)

Sur quoi voici la remarque de Voltaire: «Cet il était autrefois un tour très-heureux; la tyrannie de l’usage l’a aboli.»

«Qui se contraint au monde, il ne vit qu’en torture.»
(Regnier, sat. XV.)
«Et qui jeune n’a pas grande dévotion,
«Il faut que pour le monde à le feindre il s’exerce.»
(Id. sat. XIII.)

«Ha, ha! il n’a pas paire de chausses qui veult!»

(Gargantua. I. 9.)

Pathelin fait au drapier compliment sur son activité:

LE DRAPIER.
«Que voulez-vous? il faut songer
«Qui veult vivre, et soustenir peine.»
(Pathelin.)

IL N’EST QUE DE (un infinitif), il n’est rien tel que de...:

Ma foi, il n’est que de jouer d’adresse en ce monde.

(1er Interm. du Malade im. sc. 6.)

IL M’ENNUIE. (Voyez ENNUYER) (s’):

IL Y A, CE QU’IL Y A (s.-ent. à faire):

Or sus, mon fils, savez-vous ce qu’il y a? C’est qu’il faut songer, s’il vous plaît, à vous défaire de votre amour.

(L’Av. IV. 3.)

ILLUSTRE; UN ILLUSTRE substantivement:

Madame, voilà un illustre!

(Pourc. I. 3.)

IMBÉCILE, au sens du latin imbecillis:

Est-il rien de plus foible et de plus imbécile!
(Éc. des fem. V. 4.)

Imbécile ne fait qu’exprimer plus fortement, et avec une légère nuance de mépris, l’idée de faiblesse.

«Taisez-vous, nature imbécile

(Pascal. Pensées.)

IMPÉTUOSITÉ DE PRÉVENTION. (Voyez BRUTALITÉ.)

IMPOSER, pour en imposer, mentir.

Tous les grammairiens font une loi d’exprimer en dans ce sens; Molière ne le met jamais:

Jamais l’air d’un visage,
Si ce qu’il dit est vrai, n’imposa davantage.
(L’Ét. III. 2.)
C’est bien assez pour moi qu’il m’ait désabusé
De voir par quels motifs tu m’avois imposé.
(Ibid. III. 4.)
Faites-moi pis encor: tuez-moi si j’impose.
(Dép. am. I. 4.)
Vous verrez si j’impose, et si leur foi donnée
N’avoit pas joint leurs cœurs depuis plus d’une année.
(Éc. des mar. III. 6.)
Je ne sais pas s’il impose;
Mais il parle sur la chose
Comme s’il avoit raison.
(Amph. III. 5.)

Hélas! à vos paroles je puis répondre ici, moi, que vous n’imposez point.

(L’Av. V. 5.)

«On demande s’il ne lui seroit pas plus aisé d’imposer à celle dont il est aimé, qu’à celle qui ne l’aime point.»

(La Bruyère, ch. III.)

Tout le XVIIe siècle a parlé ainsi.

«Quelques écrivains, dit Bouhours, ont voulu établir imposturer. Le public s’est contenté du verbe imposer, qui signifie la même chose: vous imposez; il impose à tout l’univers.» (Rem. nouv.)

La Touche, qui écrivait en 1730, dit pareillement: «Imposer tout seul veut dire mentir

(Art de bien parler françois. II. p. 23.)

La distinction entre imposer et en imposer, dont le premier se prendrait en bonne part, imposer du respect, et l’autre en mauvaise pour tromper, est donc une subtilité chimérique, invention des grammairiens de notre âge. M. N. Landais, par exemple, après avoir cité la phrase de la Bruyère, ajoute: «C’est une faute: il fallait d’en imposer.» M. Boniface s’y accorde. Mais d’où vient à M. Landais et à M. Boniface l’autorité sur Molière et sur la Bruyère?

Les Latins disaient imponere tout seul pour signifier mentir. Imposuit Catoni. (Cicer.) Imposuit mihi caupo. (Martial.) Præfectis Antigoni imposuit. (Corn. Nepos.)—Il a trompé Caton;—le cabaretier m’a dupé;—il donna le change aux lieutenants d’Antigonus.

Quand la pythonisse d’Endor reconnut l’ombre de Samuel, elle s’écria vers Saül: Quare imposuisti mihi? Pourquoi m’avez-vous imposé par votre déguisement?» (Rois, I, cap. 28.)

IMPOSER, verbe actif, comme IMPUTER; IMPOSER UNE TACHE A QUELQU’UN:

On ne peut imposer de tache à cette fille.
(L’Ét. III. 4.)

IMPOSER A QUELQU’UN, dans le même sens:

«Quand Diana rapporte avec éloge les sentiments de Vasquez....... il n’est ni calomniateur ni faussaire, et vous ne vous plaignez point qu’il lui impose; au lieu que quand je représente ces mêmes sentiments de Vasquez, mais sans le traiter de phénix, je suis un imposteur, un faussaire, et un corrupteur de ses maximes.»

(Pascal. 11e Prov.)

Dans l’affaire de Carrouge et Legris, la jeune dame de Carrouge accusait Legris de lui avoir fait violence:

«Jacques Legris s’excusoit trop fort, et disoit que rien n’en estoit, et que la dame lui imposoit induement.»

(Froissart. Chron. III. ch. 49.)

IMPRESSIONS:

La jalousie a des impressions
Dont bien souvent la force nous entraîne.
(Amph. II. 6.)

IMPRIMER; ÊTRE IMPRIMÉ DE QUELQUE CHOSE, en garder une impression profonde, en style néologique, en être impressionné:

Et pourtant Trufaldin
Est si bien imprimé de ce conte badin...
(L’Ét. III. 2.)

La Bruyère, dans son discours de réception à l’Académie, dit: «La mémoire des choses dont nous nous sommes vus le plus fortement imprimés

(Voyez plus bas S’IMPRIMER QUELQUE CHOSE.)

On ne voit pas pourquoi M. Auger blâme cette expression dans la Bruyère et dans Molière. Il prétend que «Imprimé se dit de ce qui a fait l’impression, et non de ce qui l’a reçue.» Qu’est-ce qui autorise cette loi? Qui est-ce qui l’a portée? Où? Ce sont les questions qu’on a toujours à faire aux grammairiens.

Imprimer a fait impression; impression a produit, de notre temps, impressionner, qui ne manquera pas d’engendrer, au premier jour, impressionnement. Pourquoi d’impressionnement ne ferait-on pas impressionnementer, comme d’ornement nous avons vu sortir ornementer? C’est ainsi qu’on enrichit la langue!

IMPRIMER DE L’AMOUR:

Sachez donc que vos vœux sont trahis
Par l’amour qu’une esclave imprime à votre fils.
(L’Ét. I. 9.)

Nous disons encore bien imprimer de la crainte, de la terreur, du respect: pourquoi pas de l’amour? Ce dernier sentiment peut être aussi vif, aussi soudain et aussi profond que les autres. On ne voit pas d’où naîtrait la distinction.

IMPRIMER (S’) QUELQUE CHOSE:

Là, regardez-moi là durant cet entretien,
Et jusqu’au moindre mot imprimez-le-vous bien.
(Éc. des fem. III. 2.)

Si l’on peut dire s’imprimer quelque chose, la conséquence rigoureuse sera qu’on puisse dire être imprimé de quelque chose, contrairement à la remarque de M. Auger, qui blâme cette façon de parler.

INCLINER QUELQU’UN A ou VERS UNE PERSONNE:

Et je sais encor moins comment votre cousine
Peut être la personne son penchant l’incline.
(Mis. IV. 1.)

INCOMMODÉ; peu accommodé des biens de la fortune:

Vous êtes la grande protectrice du mérite incommode; et tout ce qu’il y a de vertueux indigents au monde va débarquer chez vous.

(Am. mag. I. 6.)

«Revenons donc aux personnes incommodees, pour le soulagement desquelles nos pères....... assurent qu’il est permis de dérober.»

(Pascal. 8e Provinciale.)

(Voyez ACCOMMODÉ.)

INCONGRUITÉ DE BONNE CHÈRE:

Vous y trouverez des incongruités de bonne chère et des barbarismes de bon goût.

(B. gent. IV. 1.)

INDÉFENDABLE:

CLIMÈNE (précieuse ridicule).

Cette pièce (l’École des Femmes), à le bien prendre, est tout à fait indéfendable.

(Crit. de l’Éc. des fem. 6.)

Ce mot paraît un barbarisme forgé par la précieuse; Furetière ne le donne pas, non plus que Trévoux. Montaigne a dit: «La faiblesse d’une cause indéfensible

INDICATIF PRÉSENT après que, où nous mettrions le subjonctif:

Vous tournez les choses d’une manière qu’il semble que vous avez raison.

(D. Juan. I. 2.)

Ma foi, monsieur, voilà qui est bien fait! Il semble qu’il est en vie, et qu’il s’en va parler.

(Ibid. V. 5.)

INDIENNE, substantivement; UNE INDIENNE, robe de chambre de toile des Indes:

Je me suis fait faire cette indienne-ci.

(B. gent. I. 1.)

INFINITIF, gouverné par un autre sujet que celui de la phrase:

Il ne vous a pas faite une belle personne,
Afin de mal user des choses qu’il vous donne.
(Éc. des fem. II. 6.)

Il, le ciel, ne vous a pas faite, etc..... afin d’user..... non pas afin qu’il use, mais afin que vous usiez. La familiarité du dialogue semble autoriser cette légère irrégularité, surtout quand l’équivoque n’est pas possible.

Elle (la demande) me touche assez pour m’en charger moi-même.

(B. gent. III. 12.)

Pour que je m’en charge moi-même.

DEUX INFINITIFS de suite:

J’y ai déjà jeté des dispositions à ne pas me souffrir longtemps pousser des soupirs.

(D. Juan. II. 2.)

INFINITIF ACTIF avec le sens passif:

Nous avons en main divers stratagèmes tout prêts à produire dans l’occasion.

(Pourc. I. 3.)

C’est-à-dire, à être produits.

INFLEXIBLE; ÊTRE INFLEXIBLE A QUELQU’UN:

Si tu m’es inflexible,
Je m’en vais me tuer!
(L’Ét. II. 7.)

INGÉRER (S’) DE QUELQUE CHOSE, dans quelque chose:

Et vous êtes un impertinent, de vous ingérer des affaires d’autrui.

(Méd. m. lui. I. 2.)

INSTANCE, pour renchérir sur le mot soin; instance à faire quelque chose:

Et notre plus grand soin, notre première instance
Doit être à le nourrir du suc de la science.
(Fem. sav. II. 7.)

INSTRUIT DANS, instruit de...:

Et ce que le soldat dans son devoir instruit
Montre d’obéissance au chef qui le conduit...
(Éc. des fem. III. 2.)

INTERDIRE (S’), verbe réfléchi:

Achevez de lire;
Votre âme, pour ce mot, ne doit point s’interdire.
(D. Garc. II. 6.)

INTÉRESSER A, ayant pour sujet un nom autre qu’un nom de personne:

Mon devoir m’intéresse,
Mon père, à dégager bientôt votre promesse.
(Sgan. 23.)

Intéresser à est ici comme obliger à, engager à.

S’INTÉRESSER DANS QUELQUE CHOSE:

De vos premiers progrès j’admire la vitesse,
Et dans l’événement mon âme s’intéresse.
(Éc. des fem. III. 4.)

INTERPRÉTER A, c’est-à-dire, au sens de:

Aux faux soupçons la nature est sujette,
Et c’est souvent à mal que le bien s’interprète.
(Tart. V. 3.)
Je dois interpréter à charitable soin
Le désir d’embrasser ma femme?...
(Ibid.)

INTIME (UN), substantivement:

Non, non; c’est mon intime, et sa gloire est la mienne.
(Éc. des fem. V. 7.)

INTRÉPIDITÉ DE BONNE OPINION:

La constante hauteur de sa présomption,
Cette intrépidité de bonne opinion....
(Fem. sav. I. 3.)

INTRIGUET; GENS DE L’INTRIGUET:

Et que toute notre famille
Si proprement s’habille,
Pour être placée au sommet
De la salle où l’on met
Les gens de l’intriguet.
(Ballet des Nations, à la suite du B. gent.)

Les gens de la basse intrigue, les chevaliers d’industrie. Les anciennes éditions ont entriguet. Les mots latins in et inter faisant en français en et entre, la véritable forme du mot serait effectivement entrigue, de intricare; et il paraît qu’on l’a d’abord dit ainsi.

Notre langue est de double formation. Dans les mots formés à une bonne époque, in, inter sont toujours traduits en, entre; dans les mots de création moderne, on a tout simplement transcrit le radical latin.

De la première formation sont: engager, enhardir, engendrer, entreprendre, entretenir, etc., etc.

De la seconde: inventer, introduire, inspirer, imprimer (jadis empreindre), s’ingénier (primitivement engigner), intermède (primitivement entremets), intention, substantif nouveau du vieux verbe entendre, etc., etc.

INVERSION.

Ah! Octave, est-il vrai ce que Silvestre vient de dire à Nérine, que votre père est de retour, et qu’il veut vous marier?

(Scapin. I. 3.)

Pour juger l’excellence et la rapidité de ce tour, il n’y a qu’à rétablir la construction et l’ordre grammatical ordinaires: «Ce que Silvestre vient de dire à Nérine, que votre père est de retour et qu’il veut vous marier, est-il vrai

Il y a longtemps que l’esprit a saisi cette question; aussi quand elle arrive est-elle superflue. L’art de celui qui parle est de ne point se laisser devancer par la pensée de celui qui écoute. De là les constructions renversées, pour être naturelles.

INVERSION DU PRONOM après un subjonctif, en supprimant que:

Ah! tout cela n’est que trop véritable;
Et plût au ciel le fût-il moins!
(Amph. I. 2.)

L’harmonie est bien plus douce par ce tour que par la construction ordinaire:

Et plût au ciel qu’il le fût moins!

INVITÉ DE....

Ils avoient vu une galère turque, où on les avoit invités d’entrer.

(Scapin. III. 3.)

J’AI PEUR, en phrase incidente, pour j’en ai peur, je le crains:

La défense, j’ai peur, sera trop tard venue.
(Mélicerte. I. 5.)

JALOUSIE DE QUELQU’UN au sujet de quelqu’un:

Toute la jalousie que vous pourriez avoir conçue de monsieur votre mari.

(B. gent. V. 7.)

Molière a construit le substantif comme son adjectif: jaloux de, jalousie de.... Ce de est le latin de, touchant, relativement à.

JAMBE; RENDRE LA JAMBE MIEUX FAITE, ironiquement, pour exprimer qu’une chose est sans application utile:

NICOLE. Oui, ma foi, cela vous rendroit la jambe bien mieux faite!

(Bourg. gent. III. 3.)

JE, pronom singulier joint à un verbe au pluriel: je sommes, j’avons, je parlons, etc:

MARTINE.
Ce n’est point à la femme à parler, et je sommes
Pour céder le dessus en toute chose aux hommes.
(Fem. sav. V. 3.)
Mon Dieu, je n’avons point étuguié comme vous!
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.
(Ibid. II. 6.)

Pierrot, Charlotte et Mathurine, dans Don Juan, usent également de cette façon de parler, qui attire à la pauvre Martine cette réprimande de Bélise:

Ton esprit, je l’avoue, est bien matériel!
Je n’est qu’un singulier, avons est un pluriel.
Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire?

Mais il est bon de savoir qu’avant de se trouver dans la bouche des servantes et des paysans, cette façon de parler avait été dans celle des savants et des princes. Henri Estienne en rend témoignage dans ses Dialogues du langage françois italianisé:—«Ce sont les mieux parlants qui prononcent ainsi, «j’allons, je venons, je disnons, je soupons

Cette faute, dont il accuse les courtisans de Henri III, remonte beaucoup plus haut, puisqu’on lit, dans une lettre autographe de François Ier à M. de Montmorency:

«J’avons espérance qu’y fera beau tems, veu ce que disent les estoiles que j’avons eu le loysir de veoir.»

(Lett. de la Reine de Navarre. I. 467.)

Il y a plus, cette locution est consignée dans la grammaire de Palsgrave:

«I finde in comon speche suche maners of speking, je trouve dans le commun langage ces façons de parler...... Cependant que j’irons au marché, pour nous irons;—j’avons bien bu, pour nous avons;—allons m’en, de par le diable! pour allons-nous-en;—j’allons bien, pour nous allons bien

(Of the verbe, folio 125 au verso.)

(Voyez OUS et des Variations du lang. fr., p. 290-293).

JE SOIS, par exclamation; que je sois:

Je sois exterminé si je ne tiens parole!
(Dép. am. IV. 3.)

JETER DES MENACES, DES LARMES:

Cette doña Elvire,....... dont l’âme irritée ne jetoit que menaces et ne respiroit que vengeance...

(D. Juan. IV. 9.)

Je jette des larmes de joie.

(Ibid. V. 1.)

JETER UN OBSTACLE à quelque chose:

Et je ne voudrois point, par des efforts trop vains,
Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins.
(D. Garcie. V. 3.)

JEU; A JEU SUR:

Battre un homme à jeu sûr n’est pas d’une belle âme.
(Amph. I. 2.)

JEU DE MOTS AFFECTÉ:

Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop foible, hélas!
Se rendit à des soins qu’on ne lui rendoit pas.
(Dép. am. II. 1.)

Le Dépit amoureux est le second[60] ouvrage de Molière, qui était encore, en ce temps-là, l’écolier des Italiens et des Espagnols.

JOCRISSE; FAIRE LE JOCRISSE:

MARTINE.
Je ne l’aimerois point s’il faisoit le jocrisse.
(Fem. sav. V. 3.)
Et demeure les bras croisés comme un jocrisse.
(Sgan. 16.)

Le Dictionnaire de Trévoux donne le nom de Jocrisse et le dicton populaire où il s’encadre, mais il ne révèle rien sur l’origine de ce personnage, qui paraît nous être venu d’Italie.

JOINDRE pour rejoindre:

Allons vite joindre notre provincial.

(Pourc. I. 3.)

JOINT, adverbialement:

La mémoire du père à bon droit respectée,
Joint au grand intérêt que je prends à la sœur,
Veut que du moins l’on tâche à lui rendre l’honneur.
(Éc. des Mar. III. 4.)

Ce n’est pas la mémoire unie à l’intérêt; c’est la mémoire du père à bon droit respectée, cela joint à l’intérêt que..... etc. Joint embrasse d’une manière complexe l’idée du vers précédent.

On disait autrefois, joint que, invariable: cela signifie, dit Furetière, ajoutez-y que:

«Joint encore qu’il falloit avoir fini bientôt, et passer rapidement dans un pays!»

(Bossuet. Hist. univ. I. 11e part. § 5.)

Le participe joint a remplacé dans ces locutions le vieil adverbe jouxte, juxta.

JOUER, actif, suivi d’un nom de chose, éluder:

Jusqu’ici vous avez joué mes accusations.

(G. D. III. 8.)

Les Latins aussi ne disaient ludere en ce sens qu’avec un nom de la personne:

«Sat me lusistis; ludite nunc alios.»

Cependant on trouve aussi, dans Pétrone, ludere vestigia, manquer sous le pied.

JOUER AU PLUS SUR:

Pour jouer au plus sûr,
Il faut me l’amener dans un lieu plus obscur.
(Éc. des fem. V. 2.)

JOUER (SE), mis absolument comme jouer:

Que veut dire ceci? Nous, nous jouons, je croi.
(Mélicerte. I. 2.)

JOUR, au figuré, notion, connaissance:

Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu,
Du trait qu’elle a joué quelque jour soit venu.
(Éc. des f. IV. 6.)

JOUR A, facilité à:

Je veux vous faire un peu de jour à la pouvoir entretenir

(Sicilien. 10.)

DONNER UN JOUR, donner une couleur, considérer sous un aspect:

Du semblables erreurs, quelque jour qu’on leur donne,...
(Amph. III. 8.)

JUDAS, adjectivement, pour traître:

COVIELLE. Que cela est Judas!

(B. gent. III. 10.)

JUDICIAIRE, jugement; AVOIR QUELQUE MORCEAU DE JUDICIAIRE:

Vous êtes-vous mis dans la tête que Léonard de Pourceaugnac...... n’ait pas là-dedans quelque morceau de judiciaire pour se conduire?

(Pourc. II. 7.)

J’observe qu’on devrait écrire morseau, car ce mot est un diminutif de mors, un mors de pain, formé du verbe mordre, qui faisait au participe passé mors, d’où morceler (qui serait mieux écrit morseller), et non mordu; comme tordre, tors, et non tordu:

«Adonc repartit l’espousée:
«Je ne vous ai pas mors aussy!»
(Marot.)

JUGEMENT A GAUCHE:

Un envers du bon sens, un jugement à gauche.
(L’Ét. II. 14.)

JURER; JURER DE QUELQUE CHOSE; latinisme, jurare de aliqua re:

Vous avez beau faire la garde: j’en ai juré, elle sera à nous.

(Sicilien. 9.)

JUSTIFIER; JUSTIFIER QUELQUE CHOSE ET SE JUSTIFIER A QUELQU’UN SUR, pour auprès de quelqu’un:

C’est aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduite de ma comédie.

(Préf. de Tartufe.)

Et pour justifier à tout le monde l’innocence de mon ouvrage.

(1er Placet au roi.)

... C’est consoler un philosophe que de lui justifier ses larmes.

(Lettre à Lamothe-Levayer)[61].

Votre père ne prend que trop le soin de vous justifier à tout le monde.

(L’Av. I. 1.)

«C’est ainsi que notre bergère se justifiait à Cérès

(La Fontaine. Psyché. II.)

LA, rapporté à un mot caché dans une ellipse:

Fût-ce mon propre frère, il me la payeroit.
(L’Ét. III. 4.)

La ne se rapporte grammaticalement à rien; le substantif sous-entendu peut être dette. L’usage est de dire aujourd’hui, au masculin ou au neutre: «Il me le payerait; tu me le payeras.»

(Voyez des exemples analogues au mot ÉCHAPPER BELLE (L’).)

LA, construit avec le verbe être, et représentant un substantif:

Je veux être mère parce que je la suis, et ce seroit en vain que je ne la voudrois pas être.

(Am. mag. I. 2.)

La tient la place du mot mère. Madame de Sévigné prétendait mal à propos étendre ce privilége de l’article, et mettre la en remplacement d’un participe: Êtes-vous enrhumée?—Je la suis. L’article, dans ce dernier cas, représente être enrhumé, qui n’a point de genre; par conséquent: je le suis.

LA CONTRE, contre cela:

On ne peut pas aller là contre.

(D. Juan. I. 2.)
Eh bien! oui; vous dit-on quelque chose là contre?
(Fem. sav. II. 6.)

Mon frère, pouvez-vous tenir là contre?

(Mal. im. III. 21.)

LA DONNER SÈCHE A QUELQU’UN:

Et, sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche:
Marquis, allons au cours faire voir ma calèche.
(Fâcheux. I. 1.)

(Voyez ÉCHAPPER (L’) BELLE.)

LAIDIR, devenir laid:

Je crains fort de vous voir comme un géant grandir,
Et tout votre visage affreusement laidir.
(L’Ét. II. 5.)

Nous n’avons plus que le composé enlaidir.

J’observe que cette terminaison ir, aux verbes neutres, marquait une action en progrès, comme en latin escere: grandir; laidir, emmaladir; assagir, rendre sage; affolir, rendre fou (affoler est autre chose; c’est fouler, blesser, etc.). En termes de marine, calmir c’est être en train de se calmer: la mer calmit, commence à calmir.

LAISSER A (le verbe à l’infinitif sans préposition):

Et laisse à mon devoir s’acquitter de ses soins.
(Amph. I. 2.)

NE PAS LAISSER DE (un infinitif):

Ce n’est rien, ne laissons pas d’achever.

(Préc. rid. 15.)

Je lui dis que vous n’y êtes pas, madame, et il ne veut pas laisser d’entrer.

(Crit. de l’Éc. des fem. 4.)

Il y a là vingt gens qui sont fort assurés de n’entrer point, et qui ne laissent pas de se presser.

(Impromptu. 3.)
Cela choque le sens commun,
Mais cela ne laisse pas d’être.
(Amph. II. 1.)

Ne laissons pas d’attendre le vieillard.

(Scapin. I. 5.)

Ils ne laisseroient pas de l’apprendre, s’ils vouloient écouter les personnes.

(Comtesse d’Escarb. 11.)

Parmi nos bons écrivains, je n’en trouve pas qui aient employé cette autre forme de la même locution, ne pas laisser que de.

«Son orgueil (de Nabuchodonosor) ne laissa pas de revivre dans ses successeurs.»

(Bossuet. Hist. Univ. IIIe part. § 4.)

«L’eau ne laissa pas d’agir, et de mettre en évidence les figues toutes crues encore et toutes vermeilles.»

(La Font. Vie d’Ésope.)

«Cela n’importe, dit le père; on ne laisse pas d’obliger toujours les confesseurs à les croire (les pénitents).»

(Pascal. 10e Provinc.)

«Je ne laissai pas de compter avec plaisir l’argent que j’avois dans mes poches, bien que ce fût le salaire de mes assassinats.»

(Le Sage. Gil Blas. II. 6.)

Dans cette façon de parler, laisser représente omettre. On dit omettre de, et non pas omettre que de. Les Italiens disent pareillement: «Egli non lascia di dire il suo parer,» et non pas non lascia che di dire.

Si cette locution nous vient d’eux, il est clair que nous l’avons altérée; s’ils l’ont au contraire prise de nous, c’est la preuve que dans l’origine le que n’y figurait pas.

Thomas Corneille, dans ses notes sur Vaugelas, blâme l’introduction du que parasite dans cette façon de parler; un dictionnaire moderne ne laisse pas de l’autoriser, c’est celui de M. Napoléon Landais.

LANGUE; AVOIR DE LA LANGUE, être bavard:

C’est avoir bien de la langue que de ne pouvoir se taire de ses propres affaires!

(Scap. III. 4.)

LANGUE qui FAIT UN PAS DE CLERC:

Ce mariage est vrai?—Ma langue en cet endroit
A fait un pas de clerc, dont elle s’aperçoit.
(Dépit am. I. 4.)

Il faut observer que cette métaphore bouffonne est placée dans la bouche de Mascarille.

LA PESTE SOIT, telle ou telle chose. (Voyez PESTE.)

LAS! hélas:

Où voulez-vous courir?—Las! que sais-je?
(Tart. V. 1.)

Il faut observer que cet adjectif, depuis longtemps passé à l’état d’interjection, n’était pas primitivement immobile. Une femme s’écriait, hé, lasse! comme en latin me lassam! Dans hélas, l’interjection est , comme dans hémi: «Hémi, où arai-je recours? (R. de Coucy.Hei mihi,—hei lassum.

LATIN pour latiniste:

Vous êtes grand latin et grand docteur juré.
(Dépit am. II. 7.)

On dit de même familièrement un grand grec, pour helléniste.

LÉGER; DE LÉGER, légèrement:

Mon Dieu! l’on ne doit rien croire trop de léger.
(Tart. IV. 6.)

Au XIIe siècle on disait de legerie, c’est-à-dire, avec légèreté. Roland dit à Charlemagne que ses conseillers l’ont conseillé un peu de léger sur le fait des ambassadeurs de Marsile:

«Loerent vous alques de legerie
(Chanson de Roland, st. 14.)

De léger comme de vrai. Les Italiens disent de même di leggiero.

LÉGER D’ÉTUDE:

Et, de nos courtisans les plus légers d’étude,
Elle (la fresque) a pour quelque temps fixé l’inquiétude.
(La Gloire du Val de Grâce.)

LEQUEL:

Molière paraît avoir eu pour ce mot une antipathie si prononcée, il l’emploie si rarement, que j’ai pensé intéressant de recueillir les passages où il se trouve, et ceux ou il est visiblement évité.

Les premiers sont au nombre de huit; les autres sont à peu près innombrables: aussi je me contenterai des principaux de ces derniers.

Ma bague est la marque choisie
Sur laquelle au premier il doit livrer Célie.
(L’Ét. II. 9.)
Il n’a pas aperçu Jeannette, ma fillole,
Laquelle a tout ouï, parole pour parole.
(Ibid. IV. 7.)
Car goûtez bien, de grâce,
Ce raisonnement-ci, lequel est des plus forts.
(Dépit am. IV. 2.)
Le malheureux tison de ta flamme secrète,
Le drôle avec lequel...—Avec lequel? poursui.
(Sgan. 6.)

J’ai appris cette nouvelle d’un paysan qu’ils ont interrogé, et auquel ils vous ont dépeint.

(D. Juan. II. 8.)
En vertu d’un contrat duquel je suis porteur.
(Tart. V. 4.)
Est-ce que.....
Et que du doux accueil duquel je m’acquittai
Votre cœur prétend à ma flamme
Ravir toute l’honnêteté?
(Amph. II. 2.)

Je viens, mon fils, avant que de sortir, vous donner avis d’une chose à laquelle il faut que vous preniez garde.

(Mal. im. II. 10.)

(Voyez LEQUEL évité, et OU.)

NOTA. On lit dans l’École des maris:

Sganarelle (sortant de l’accablement dans lequel il étoit plongé.)

(Éc. des Mar. III. 10.)

Cette indication scénique n’est pas de Molière. On ne la trouve point dans les éditions de 1692 ni de 1710; mais elle se montre dans l’édition de 1774, chez la veuve David. P. Didot (1821) l’a reproduite. C’est style du XVIIIe siècle.

LEQUEL évité:

En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez....
(Dépit am. II. 1.)
Le foudre punisseur
Sous qui doit succomber un lâche ravisseur.
(D. Garcie. I. 2.)

Il eût été facile de mettre,

Sous lequel doit tomber un lâche ravisseur,

si Molière n’avait pris à tâche d’éviter lequel.

Outre que je pourrois désavouer sans blâme
Ces libres vérités sur quoi s’ouvre mon âme.
(Ibid. II. 1.)
Cet hymen redoutable
Pour qui j’aurois souffert une mort véritable.
(Ibid. IV. 4.)

Et ce sont particulièrement ces dernières (qualités) pour qui je suis.

(Ép. dédic. de l’Éc. des fem.)
C’est un supplice, à tous coups,
Sous qui cet amant expire.
(Sicilien. 9.)

Vous avez des traits à qui fort peu d’autres ressemblent.

(Ibid. 12.)

..... De ces galanteries ingénieuses à qui le vulgaire ignorant donne le nom de fourberies.

(Scapin. I. 2.)

L’éducation des enfants est une chose à quoi il faut s’attacher fortement.

(Ibid. II. 1.)

C’est la puissance paternelle, auprès de qui tout le mérite ne sert de rien.

(Scapin. III. 1.)

Voyez aux mots QUI, DE QUI,—QUOI,—,—d’autres exemples, en grand nombre, qui ne permettent pas de douter que Molière n’évitât de propos délibéré l’emploi de lequel. Apparemment il réservait ce mot pour marquer le sens du latin uter, c’est-à-dire, l’alternative.

Au surplus, la même remarque s’applique, plus ou moins absolue, à tous les écrivains du XVIIe siècle en général. C’est du siècle suivant que date le fréquent usage de ces formes, duquel, auquel, par lequel, dans lequel, à la faveur duquel, etc., etc., dont le grand siècle exprimait ordinairement la valeur par ce simple monosyllabe .

Les écrivains de la renaissance avaient fait abus de lequel, mais d’une autre façon, en l’employant à relier les deux parties d’une phrase.

LES UNS DES AUTRES:

Nous devons parler des ouvrages les uns des autres avec beaucoup de circonspection.

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)

Ici l’on voit la première partie de l’expression invariable; c’est la seconde qui subit l’influence de la construction: parler des ouvrages les uns des autres.

Bossuet maintient l’expression entière invariable, comme un seul mot qui ne se modifierait point au milieu:

«Auparavant l’on mettoit la force et la sûreté de l’empire uniquement dans les troupes, que l’on disposoit de manière qu’elles se prêtassent la main les unes les autres

(Bossuet. Hist. un. IIIe p. § 6.)

Et non: les unes aux autres.

LESTE, au figuré; BRAVE ET LESTE:

Ta forte passion est d’être brave et leste.
(Éc. des fem. V. 4.)
Vous souffrez que la vôtre aille leste et pimpante!
(Éc. des mar. I. 1.)

LEVER UN HABIT, c’est-à-dire, de quoi faire un habit:

C’est que l’étoffe me sembla si belle, que j’en ai voulu lever un habit pour moi.—Oui, mais il ne falloit pas le lever avec le mien.

(B. Gent. II. 8.)

LIBERTÉS au pluriel:

Ma sœur, je vous demande un généreux pardon,
Si de mes libertés j’ai taché votre nom.
(Éc. des mar. III. 10.)

LIBERTIN:

C’est être libertin que d’avoir de bons yeux.
(Tart. I. 6.)
Je le soupçonne encor d’être un peu libertin:
Je ne remarque pas qu’il hante les églises.
(Ibid. II. 2.)
Laissez aux libertins ces sottes conséquences.
(Ibid. V. 1.)

Libertin, aujourd’hui restreint à la débauche des femmes, signifiait dans l’origine un esprit fort, un libre penseur, et n’emportait pas nécessairement une idée désavantageuse.

«Ce mot, dit Bouhours, signifie quelquefois une personne qui hait la contrainte, qui suit son inclination, qui vit à sa mode, sans s’écarter néanmoins des règles de l’honnêteté et de la vertu. Ainsi l’on dira d’un homme de bien qui ne sauroit se gêner, et qui est ennemi de tout ce qui s’appelle servitude: Il est libertin. Il n’y a pas au monde un homme plus libertin que lui. Une honnête femme dira même d’elle, jusqu’à s’en faire honneur: Je suis née libertine. Libertin et libertine, en ces endroits, ont un bon sens et une signification délicate.»

(Remarques nouvelles sur la langue françoise, p. 395, édition de 1675.)

LIBERTINAGE, indépendance d’esprit poussée jusqu’à la témérité:

Mon frère, ce discours sent le libertinage.
(Tart. I. 6.)

«Il y en a bien qui croient, mais par superstition; il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage

(Pascal. Pensées. p. 227.)

Ainsi le libertinage était l’excès opposé à la superstition; ce que le néologisme dévot de la Harpe, de Mme de Genlis et autres tels apôtres, appelait, au XIXe siècle, le philosophisme.

(Voyez LIBERTIN.)

LICENCIER (SE) A (un infinitif), se donner licence jusqu’à...:

Quoi! ta bouche se licencie
A te donner encore un nom que je défends?
(Amph. III. 7.)

LIEU comme endroit:

Vous le trouverez maintenant vers ce petit lieu que voilà, qui s’amuse à couper du bois.

(Méd. m. lui. I. 5.)

LOGIS DU ROI, c’est-à-dire, donné par le roi, la prison:

J’ai peur, si le logis du roi fait ma demeure,
De m’y trouver si bien dès le premier quart d’heure,
Que j’aye peine aussi d’en sortir par après.
(L’Ét. III. 5.)

LONGUEUR, pour durée de temps, lenteur, délais:

Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,
Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur.
(Sgan. 1.)
Et la grande longueur de son éloignement
Me le fait soupçonner de quelque changement.
(Ibid. 2.)

Allons donc, messieurs et mesdames, vous moquez-vous avec votre longueur?

(Impromptu. 1.)

LOUP-GAROU, employé comme une sorte d’adjectif invariable:

Il a le repart brusque et l’accueil loup-garou.
(Éc. des mar. I. 6.)

LUI, que nous employons au datif pour le masculin et le féminin, est souvent, dans Molière, remplacé par à lui, à elle, qui permettent de distinguer les genres:

Venez avec moi, je vous ferai parler à elle.

(G. D. II. 6.)

LUI, où Molière met ordinairement soi:

Mais il (l’amour) traîne après lui des troubles effroyables.
(Mélicerte. II. 2.)

Je voudrois bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre et ce ciel que voilà là-haut; et si tout cela s’est bâti de lui-même.

(D. Juan. III. 1.)

Je pense qu’il faut dans ces deux passages après soi et de soi-même, comme on lit dans les passages suivants:

Oui, madame, on s’en charge; et la chose, de soi...
(Tart. IV. 5.)
Le choix du fils d’Oronte est glorieux, de soi.
(Éc. des fem. V. 7.)

La noblesse, de soi, est bonne.

(G. D. I. 1.)

De lui, d’elle feraient ici le même solécisme qu’en latin per illum au lieu de per se. (Voyez SOI.)

LUMIÈRE; PARLER AVEC LUMIÈRE; c’est la même métaphore que parler clairement:

Et j’en veux, dans les fers où je suis prisonnière,
Hasarder un (avis) qui parle avec plus de lumière.
(Éc. des mar. II. 5.)

DONNER DE LA LUMIÈRE DE; manifester:

Un cœur de son penchant donne assez de lumière,
Sans qu’on nous fasse aller jusqu’à rompre en visière.
(Mis. V. 2.)

OUVRIR DES LUMIÈRES:

Ouvre-nous des lumières.
(L’Av. IV. 1.)

Lumières n’est pas ici dans le sens du latin faces, mais dans celui de fenêtres, ou toute ouverture par où la lumière s’introduit et la vue peut saisir une perspective. Ouvrir des lumières signifie donc, en style moderne, ouvrir des jours.

La lumière d’un canon est une ouverture au canon.

La vieille langue disait, par une de ces apocopes si fréquentes chez elle, un lu, pour une lumière, c’est-à-dire, une fenêtre. Le paysan picard dit encore: freme ch’ lu, ferme cette lumière. De lu s’est formé lucarne, qui est un lu carré.

(Voyez au mot CARNE.)

Chez les Latins, lumina, en termes d’architecture, signifie également des fenêtres, des jours.

PETITES LUMIÈRES, au figuré, capacité étroite:

Et comme ses lumières sont fort petites....

(Pourc. III. 1.)

LUMINAIRE (LE) les yeux:

Oui! je devois au dos avoir mon luminaire!
(L’Ét. I. 8.)

L’UN, en parlant de plus de deux:

Je m’offre à vous mener l’un de ces jours à la comédie.

(Préc. rid. 10.)

Ce n’est ici qu’un bal à la hâte; mais l’un de ces jours nous vous en donnerons un dans les formes.

(Ibid.)
Mais par ce cavalier, l’un de ses plus fidèles,
Vous en pourrez sans doute apprendre des nouvelles.
(Don Garcie. V. 5.)

C’est mal à propos que les grammairiens ont voulu défendre d’employer l’un en parlant de plus de deux. Cet usage du mot l’un date de l’origine de la langue:

«E partid son pople en treis, e livrad l’une partie à Joab, e l’altre à Abisaï, e la tierce à Ethaï.»

(Rois. p. 185.)

«Sa femme commença à devenir l’une des plus belles femmes qui feust en France.»

(Marguerite, Heptam. nouv. 15.)
«Voilà l’un des péchés où mon âme est encline.»
(Regnier. Sat. 12.)
«L’un des plaisirs où plus il dépensa
«Fut la louange: Apollon l’encensa.»
(La Font. Belphégor.)

«J’ai vu les lettres que vous débitez contre celles que j’ai écrites à un de mes amis sur le sujet de votre morale, où l’un des principaux points de votre défense est que.....»

(Pascal. 11e Prov.)

L’UNE par ellipse, pour l’une de vous, l’une ou l’autre:

Non, je veux qu’il se donne à l’une pour époux.
(Mélicerte. I. 5.)

L’UN NI L’AUTRE, pour ni l’un ni l’autre:

Vous n’aurez l’un ni l’autre aucun lieu de vous plaindre.
(Mélicerte. II. 6.)
«Mais, aussitôt que l’ouvrage eut paru,
«Plus n’ont voulu l’avoir fait l’un ni l’autre
(Racine. Épigr. sur l’Iphigénie de Leclerc.)

MACHER CE QUE L’ON A SUR LE CŒUR:

Mme PERNELLE.
Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur.
(Tart. I. 1.)

Cette métaphore est empruntée des animaux ruminants: je ne rumine point les griefs dont j’ai à me plaindre.

MA COMMÈRE DOLENTE, expression proverbiale:

Et maintenant je suis ma commère dolente.
(Sgan. 2.)

MAIN; LA MAIN HAUTE. (Voyez HAUT LA MAIN.)

A TOUTES MAINS, toujours prêt à tous les partis:

C’est un épouseur à toutes mains.

(D. Juan. I. 1.)

(Voyez DONNER LES MAINS.)

MAINTENIR QUELQU’UN, absolument, le maintenir en joie et prospérité:

Le bon Dieu vous maintienne!
(Dép. am. III. 4.)

MAL, adverbe joint à un adjectif. (Voyez MAL PROPRE.)

MAL DE MORT, VOULOIR MAL DE MORT A QUELQU’UN:

Je me veux mal de mort d’être de votre race!
(Fem. sav. II. 7.)

MAL D’OPINION, qui gît dans l’opinion:

Un mal d’opinion ne touche que les sots.
(Amph. I. 4.)

MALEPESTE DE....:

Malepeste du sot que je suis aujourd’hui!
(L’Ét. II. 5.)

(Que la) male peste (soit) du sot...

(Voyez PESTE.)

MALFAIT, substantif; UN MALFAIT:

Peux-tu me conseiller un semblable forfait,
D’abandonner Lélie et prendre ce malfait?
(Sgan. 2.)

MALGRÉ QUE J’EN AIE ou QU’ON EN AIT:

—Me voulez-vous toujours appeler de ce nom?
—Ah! malgré que j’en aie, il me vient à la bouche.
(Éc. des fem. I. 1.)

Madame tourne les choses d’une manière si agréable, qu’il faut être de son sentiment malgré qu’on en ait.

(Crit. de L’Éc. des fem. 3.)

Cet exemple n’autorise point l’emploi de malgré que. Malgré que vous disiez... pour quoi que vous disiez, sera toujours un solécisme. Voici la différence: dans malgré qu’on en ait, mal gré ou mauvais gré est le complément naturel et direct d’avoir. C’est une espèce d’accusatif absolu: mauvais gré, tel mauvais gré que vous en ayez.

Mais cette explication n’est plus possible dans malgré que vous disiez, fassiez..., parce que gré ne saurait être ici le complément des verbes faire, dire: on ne dit pas, on ne fait pas un gré. Au contraire, quoi (quid) s’allie très-bien aux verbes faire et dire: quoi que vous fassiez, mot à mot quid quod agas.

La faute est venue de ce qu’on a fait de malgré une sorte d’adverbe, en perdant de vue ses racines. Cela ne fût pas arrivé si l’on avait retenu l’usage d’écrire en deux mots mal gré. Personne ne s’est jamais avisé de dire: En dépit que vous fassiez; parce que dépit est resté visiblement substantif.

(Voyez DÉPIT.)

MALHEURE (A LA):

Et bien à la malheure est-il venu d’Espagne,
Ce courrier que la foudre ou la grêle accompagne!
(L’Ét. II. 13.)

A la male ou mauvaise heure: in malora; andate in malora.

«Va-t-en à la malheure, excrément de la terre!»
(La Fontaine. Le Lion et le Moucheron.)

MALITORNE:

Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plus sot dadais que j’aie jamais vu.

(B. gent. III. 12.)

Malitorne vient sans doute de male tornatus:

«Et male tornatos incudi reddere versus.»
(Hor. de Art. poet.)

MAL PROPRE A...:

Monsieur, je suis mal propre à décider la chose.
(Mis. I. 2.)

Les comédiens, par la crainte d’une équivoque ignoble, substituent je suis peu propre. Le sens n’est pas le même. On employait autrefois mal et peu à cet office avec des nuances différentes. Mal gracieux, mal habile, étaient des expressions moins fortes que peu gracieux, peu habile. Il est regrettable que l’on ait laissé perdre cet emploi de mal. La prononciation a soudé inséparablement l’adverbe à l’adjectif dans maussade (mal sade), c’est-à-dire qui est mal sérieux, d’un sérieux désagréable, déplaisant, et non peu sérieux[62].

Je me sens mal propre à bien exécuter ce que vous souhaitez de moi.

(Am. magn. I. 2.)
«. . . . . . . Le galant aussitôt
«Tire ses grègues, gagne au haut,
«Mal content de son stratagème.»
(La Font. Le Renard et le Coq.)

MALVERSATIONS, dans le sens étendu de désordres de conduite:

GEORGE DANDIN (à sa femme.)

Vous avez ébloui vos parents et plâtré vos malversations.

(G. D. III. 8.)

L’Académie n’attribue à ce mot qu’une application restreinte:—«Faute grave commise par cupidité dans l’exercice d’une charge, d’un emploi, dans l’exécution d’un mandat.»

L’explication de Trévoux s’accorde avec celle de l’Académie; ainsi Molière s’est servi d’un mot impropre, ou plutôt n’y aurait-il pas une intention comique dans cette impropriété même? Le paysan enrichi se sert du terme le plus considérable qu’il connaisse pour accuser sa femme, et c’est un terme de finances.

MANIÈRE; D’UNE MANIÈRE QUE, avec l’ellipse de TELLE:

Vous tournez les choses d’une manière qu’il semble que vous avez raison.

(Don Juan. I. 2.)

DES MANIÈRES (des espèces) DE...:

Vous n’allez entendre chanter que de la prose cadencée, ou des manières de vers libres.

(Mal. im. II. 6.)

MANQUEMENT DE FOI, DE MÉMOIRE, pour manque:

Et qu’on s’aille former un monstre plein d’effroi
De l’affront que nous fait son manquement de foi?
(Éc. des fem. IV. 8.)

Et n’ai-je à craindre que le manquement de mémoire?

(Impromptu. 1.)

MARCHÉ; COURIR SUR LE MARCHÉ DES AUTRES:

MATHURINE.—Ça n’est pas biau de courir su le marché des autres!

(D. Juan. II. 5.)

De mettre l’enchère à ce qu’ils marchandent.

MARCHER SUR QUELQUE CHOSE, métaphoriquement, traiter un sujet avec circonspection:

Mon Dieu, madame, marchons là-dessus, s’il vous plaît, avec beaucoup de retenue.

(Ctesse d’Esc. 1.)

MARQUIS; LE MARQUIS dans un sens général, et pour désigner toute une classe; DONNER DANS LE MARQUIS:

Vous donnez furieusement dans le marquis!
(L’Av. I. 5.)

Vous vous jetez dans les allures des marquis.

Molière a dit de même:

Jamais on ne le voit sortir du grand seigneur.
(Mis. II. 5.)

MASQUE, adjectivement, dans le sens d’hypocrite, dissimulée:

La masque, encore après, lui fait civilité!
(Sgan. 14.)

Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur!

(Mal. im. II. 11.)

MASQUE DE FAVEUR; faveur simulée qui n’a que l’apparence:

D’un masque de faveur vous couvrir mes dédains!
(D. Garc. II. 6.)

MATIÈRE; DES MATIÈRES DE LARMES:

Ah! Myrtil, vous avez du ciel reçu des charmes
Qui nous ont préparé des matières de larmes.
(Mélicerte. II. 6.)

D’ILLUSTRES MATIÈRES A....:

Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville.... pour chercher d’illustres matières à ma capacité.

(Mal. im. III. 14.)

MATRIMONION, mot latin, mariage:

Quelque autre, sous l’espoir du matrimonion,
Aurait ouvert l’oreille à la tentation.
(Dépit am. II. 4.)

Dans l’origine, ces notations om, um, soit en latin, soit en français, soit au commencement ou à la fin des mots, se prononçaient on, et non pas, comme on fait aujourd’hui, ome. Eum se prononçait eon, comme on le voit par l’histoire de ce fanatique du moyen âge qui, entendant chanter à la messe per eum qui venturus est, s’alla persuader qu’il s’agissait de lui, parce qu’il s’appelait Eon[63]. On disait, au XVIIe siècle, de l’opion:

«Lit-on du mal, c’est jubilation;
«Lit-on du bien, des mains tombe le livre,
«Qui vous endort comme bel opion
(Senecé.)

Voltaire a dit encore, au XVIIIe:

«L’opium peut servir un sage:
«Mais, suivant mon opinion,
«Il lui faut, au lieu d’opion,
«Un pistolet et du courage.»

Galbanon, aliboron, rogaton, dicton, toton, sont les mots latins aliorum (barbarement aliborum), galbanum, rogatum, dictum, totum (parce que si le toton s’abat de manière à présenter la face où est inscrite la lettre T, le joueur prend la totalité des enjeux.)

On dit indifféremment factotum et factoton, mais factotum est la prononciation moderne:

«. . . . . Je pense qu’en effet,
«Reprit Nuto, cela peut être cause
«Que le pater avec le factoton
«N’auront de toi ni crainte ni soupçon.»
(La Font. Mazet.)

MAUX; DIRE TOUS LES MAUX DU MONDE:

Qu’ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j’en suis d’accord.

(Impromptu. 3.)

ME, avec un verbe neutre, comme tomber:

A qui la bourse?—Ah dieux, elle m’étoit tombée!
(L’Ét. I. 7.)

Me est ici au datif: à moi. C’est le datif que les Latins employaient pour exprimer soit le profit, soit la perte: Exciderat mihi marsupium.

(Voyez DATIF.)

MÉCHANT, mauvais; en parlant du goût, d’un art:

Mais peut-être, madame, que leur danse sera méchante?—Méchante ou non, il la faut voir.

(Am. magn. I. 6.)

..... Je n’ai pas si méchant goût que vous avez pensé.

(Ibid. II. 1.)

Il ne faut point perdre de vue le sens primitif de meschant, qui n’est point celui de malus, nequam, auquel seul il est aujourd’hui réduit, mais celui de infortuné, qui a contre soi la chance. Ce radical mes agit de même dans mes-prix, mes-dire, mes-offrir, mes-aventure, mes-estime, etc. (en anglais mis: mistake, misfortune, etc.).

Meschant est le participe de meschoir, pour meschéant. Alain Chartier oppose méchant à heureux:

«Adonc y seras-tu plus meschant de ce que tu cuideras y estre plus heureux

(Alain Chartier. Curial. p. 394.)

Greban dit qu’à la mort de Charles VII les bergers désolés se rassemblaient:

«Car par troupeaux s’assemblèrent ez champs,
«Criants: Ha Dieu, que ferons-nous, meschants
(Épitaphe de Charles VII.)

Charles Bouille, de Saint-Quentin (1533): «Meschant: qua voce abutentes Galli, virum interdum inopem, interdum iniquum, dolosum et infelicem effantur.» (De vitiis vulgarium Ling., p. 15.) Mais il n’est pas si exact quand il dérive méchant du grec μηχανή, parce que les artisans voués aux arts mécaniques sont d’ordinaire pauvres, et de pauvres deviennent méchants. C’est de l’étymologie à la façon de Ménage.

Meschance a été la forme primitive de méchanceté.

«Tu es le vray Dieu, qui meschance
«N’aymes point, ni malignité.»
(Marot, Psaume 5.)

Ainsi un méchant goût, une méchante danse, c’est un goût, une danse qui ne réussissent point, qui ont la chance contraire.

«Voilà, dit Xanthus, la pâtisserie la plus méchante que j’aie jamais mangée. Il faut brûler l’ouvrière, car elle ne fera de sa vie rien qui vaille.»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

MÉDIRE SUR QUELQU’UN:

Ceux de qui la conduite offre le plus à rire
Sont toujours sur autrui les premiers à médire.
(Tart. I. 1.)

«On médit de quelqu’un, et non sur quelqu’un. C’est une légère faute, que Molière eût évitée en mettant:

«Des autres sont toujours les premiers à médire.»
(M. Auger.)

Le vers de Molière est le plus naturel du monde: celui qu’on propose pour le remplacer offre une inversion tout à fait forcée, et qui trahirait la gêne du poëte. Pourquoi ne dirait-on pas médire sur comme médire de, puisque, dans cette dernière forme, de est le latin de, qui signifie sur? On dit bien malédiction sur lui!

Molière, en construisant le verbe comme substantif, n’a point ici commis de faute, même légère; et c’en est toujours une d’être guindé, soit en vers, soit en prose.

MÊLER pour se mêler:

Faut-il le demander, et me voit-on mêler de rien dont je ne vienne à bout?

(L’Av. II. 6.)

Molière, par égard pour l’euphonie, a fait servir un seul me pour les deux verbes voir et mêler.

(Sur la suppression du pronom des verbes réfléchis, voyez au mot ARRÊTER.)

MÊME, pour le même:

Si sa bouche dit vrai, nous avons même sort.
(Amph. II. 2.)
Tout autre n’eût pas fait même chose à ma place?
(Dép. am. IV. 2.)

MÊME, précédant son substantif comme en espagnol:

Avoir ainsi traité
Et la même innocence et la même bonté!
(Sgan. 16.)
Seigneur, de vos soupçons l’injuste violence
A la même vertu vient de faire une offense.
(D. Garcie. IV. 10.)
«Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu...?»
(Corn. Le Cid.)

L’italien a la même construction: l’istessa innocenza e l’istessa bonta.

LE MÊME DE, le même que:

Je ne suis plus le même d’hier au soir.

(D. Juan. V. 1.)

Je ne suis plus le don Juan d’hier au soir.

«Le curé donc qui s’estoit logé dans la mesme hostellerie de nos comédiens...»

(Scarron. Rom. com. 1re p. ch. 14.)

De pour que, dans cette locution, est un hispanisme.

(De même pour PAREIL, voyez DE MÊME.)

MÉNAGE; VIVRE DE MÉNAGE:

Qui me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis!—C’est vivre de ménage.

(Méd. m. lui. I. 1.)

La plaisanterie repose sur la double acception du mot de: vivre avec ménage, épargne; et vivre aux dépens, au moyen de son ménage, de son mobilier.

MENER, pour amener:

Je sais ce qui vous mène.
(Éc. des fem. V. 7.)

MENTIR DE QUELQUE CHOSE:

Mais, à n’en point mentir, il seroit des moments
Où je pourrois entrer en d’autres sentiments.
(D. Garcie. I. 5.)
Et, pour n’en point mentir, n’êtes-vous pas méchante
De vous plaire à me dire une chose affligeante?
(Tart. II. 4.)

Selon M. Auger, on ne dit point mentir d’une chose. Pourquoi pas? on dit bien se taire de quelque chose.

(Voyez DE dans tous les sens du latin de.)

MÉPRIS avec un nom de nombre, comme d’une chose qui se compte:

J’ai souffert sous leur joug cent mépris différents.
(Fem. sav. I. 2.)

Sur le radical mes, voyez à MÉCHANT.

MERCI DE MA VIE:

Hé! merci de ma vie, il en iroit bien mieux
Si tout se gouvernoit par ses ordres pieux.
(Tart. I. 1.)

Trévoux dit que c’est une espèce de jurement employé par les femmes du peuple.

Merci signifie grâce, miséricorde. Merci de ma vie est l’opposé de mort de ma vie. C’est l’imprécation heureuse substituée à l’imprécation funeste, comme Dieu me sauve! au lieu de Dieu me damne!

L’espagnol et l’italien ont la même formule.

ME SEMBLE, ce me semble:

Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble,
Ni, qui plus est, écrit l’un à l’autre, me semble.
(Éc. des fem. I. 6.)

MESSIEURS VOS PARENTS, appliqué aux père et mère:

Je vous respecte trop, vous et messieurs vos parents, pour être amoureux de vous.

(G. D. I. 6.)

La bizarrerie de cette expression disparaît, si l’on réfléchit que messieurs signifie exactement mes seigneurs. Vos parents, votre père et votre mère, qui sont mes seigneurs.

MÉTAPHORES vicieuses, incohérentes, hasardées:

Les exemples n’en sont pas rares dans Molière, à cause de la rapidité avec laquelle il était souvent obligé d’écrire.

BOUCHE:

Dans ma bouche, une nuit, cet amant trop aimable
Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable.
(Dép. am. II. 1.)

Ascagne veut dire qu’à la faveur de la nuit, elle se fit passer, auprès de Valère, pour Lucile. Tout le respect dû à Molière ne saurait empêcher qu’on ne rie de cet amant qui croit rencontrer Lucile, la nuit, dans la bouche d’Ascagne. Molière sans doute serait le premier à s’en moquer.

RESSORTS:

Fais-moi dans tes desseins entrer pour quelque chose:
Mais que de leurs ressorts la porte me soit close,
C’est ce qui fait toujours que je suis pris sans verd.
(L’Ét. III. 5.)

On concevrait les ressorts de la porte, mais la porte des ressorts est une image absolument impossible: les ressorts n’ont point de porte.

Ne vous y fiez pas! il aura des ressorts
Pour donner contre vous raison à ses efforts.
(Tart. V. 3.)

On ne donne pas raison avec des ressorts. Molière veut dire: il aura des artifices, des ressources.

POIDS:

Le poids de sa grimace, où brille l’artifice,
Renverse le bon droit et tourne la justice.
(Mis. V. 1.)
Et sur moins que cela le poids d’une cabale
Embarrasse les gens dans un fâcheux dédale.
(Tart. V. 3.)

Le poids d’une cabale paraît une figure plus acceptable que le poids d’une grimace. (Voyez POIDS.)

NŒUDS:

Je voudrois de bon cœur qu’on pût entre vous deux
De quelque ombre de paix raccommoder les nœuds.
(Tart. V. 3.)

Une ombre n’a point de nœuds; ainsi on ne raccommode pas les nœuds d’une ombre.

L’hymen ne peut nous joindre, et j’abhorre des nœuds
Qui deviendroient sans doute un enfer pour tous deux.
(D. Garcie. I. 1.)

Comment des nœuds peuvent-ils devenir un enfer?

AUDIENCE:

Et je vois sa raison
D’une audience avide avaler ce poison.
(D. Garcie. II. 1.)

On ne peut se figurer quelqu’un avalant par l’oreille. Les Latins, plus hardis que nous dans leurs métaphores, disaient bien: densum humeris bibit aure vulgus (Horace.) Cette image en français paraîtrait ridicule, pour être trop violente. Il faut tenir compte de l’usage.

FACE:

Et je me vis contrainte à demeurer d’accord
Que l’air dont vous viviez vous faisoit un peu tort;
Qu’il prenoit dans le monde une méchante face.
(Mis. III. 5.)

La face d’un air?

PRÊTER LES MAINS:

A vous prêter les mains ma tendresse consent.
(Mis. IV. 3.)

On ne conçoit pas bien ce que c’est que les mains d’une tendresse, ni une tendresse qui prête les mains. Mais ici l’excuse de Molière peut être que prêter les mains est une locution reçue pour dire seconder, et qu’ainsi le sens particulier de chaque mot se perd dans le sens général de l’expression.

La même observation se reproduit sur ce vers:

Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains.
(Mis. V. 7.)

Les mains d’un cœur sont encore plus choquantes que les mains d’une tendresse.

BRAS:

Un souris chargé de douceurs
Qui tend les bras à tout le monde.
(Psyché. I. 1.)

DENTS:

Tout cet embarras met mon esprit sur les dents.
(Amph. I. 2.)

Il est superflu de remarquer que les dents d’un esprit, les bras d’un souris, sont des images aussi forcées que les mains d’une tendresse ou d’un cœur.

Les vers suivants présentent une suite d’images tout à fait incohérentes. Il s’agit des ornements gothiques:

Ces monstres odieux des siècles ignorants,
Que de la barbarie ont produits les torrents,
Quand leur cours, inondant presque toute la terre,
Fit à la politesse une mortelle guerre.
(La Gloire du Val de Grâce.)

Comment les torrents de la barbarie peuvent-ils produire des monstres odieux dont le cours inonde la terre? Il faut avouer que La Bruyère n’avait pas tort d’appliquer à ce style le nom de galimathias; mais il avait tort d’appliquer ce jugement au style de Molière en général.

Peut-être faut-il lire, au troisième vers, quand son cours; ce serait alors le cours de la barbarie, et non le cours des monstres. Le passage, après cette correction, n’en serait guère moins mauvais. Il est bien étonnant que Molière, au moment où il venait de donner Tartufe et le Misanthrope, pût écrire des vers comme ceux-là et comme les suivants:

Louis, le grand Louis, dont l’esprit souverain
Ne dit rien au hasard et voit tout d’un œil sain,
A versé de sa bouche, à ses grâces brillantes,
De deux précieux mots les douceurs chatouillantes;
Et l’on sait qu’en deux mots ce roi judicieux
Fait des plus beaux travaux l’éloge glorieux.

Les précieuses et l’abbé Cotin ont dû se croire vengés.

(Voyez d’autres exemples de métaphores vicieuses aux mots AIGREUR, CHAMP, LANGUE, PEINDRE EN ENNEMIS, RESSORTS, ROIDIR, TRACER, TRAITS, VERSER, VISAGE, etc., etc.)

METTRE, absolument, mettre son chapeau, se couvrir:

Mettons donc sans façon.
(Éc. des fem. III. 4.)

Allons, mettez.—Mon Dieu, mettez.—Mettez, vous dis-je, monsieur Jourdain; vous êtes mon ami.

(Bourg. gent. III. 4.)

METTRE DESSUS, même sens:

Mettez donc dessus, s’il vous plaît.

(Mar. for. 2.)

Mettez dessus la tête.

SE METTRE, se vêtir:

Quant à se mettre bien, je crois, sans me flatter,
Qu’on serait mal venu de me le disputer.
(Mis. III. 1.)

Voilà ce que c’est que de se mettre en personne de qualité!

(B. gent. II. 9.)

METTRE A...., appliquer à:

C’est une fille de ma mère nourrice que j’ai mise à la chambre, et elle est toute neuve encore.

(Comtesse d’Esc. 4.)

METTRE A BAS, métaphoriquement, renverser, terrasser:

C’est maintenant que je triomphe, et j’ai de quoi mettre à bas votre orgueil.

(George D. III. 8.)

METTRE A BOUT UNE AME:

Et n’est-ce pas pour mettre à bout une âme?
(Amph. II. 6.)

METTRE A TOUTE OCCASION; mettre une chose à toute occasion, en faire abus, la profaner:

Mais l’amitié demande un peu plus de mystère,
Et c’est assurément en profaner le nom
Que de vouloir le mettre à toute occasion.
(Mis. I. 2.)

METTRE AU CABINET:

Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
(Ibid. I. 2.)

On a beaucoup disputé sur le sens de cette expression. Les uns veulent que ce soit: bon à serrer, loin du jour, dans les tiroirs d’un cabinet (sorte de meuble alors à la mode); les autres prennent le mot dans un sens moins délicat, et qui s’est attaché à ce vers, devenu proverbe. Je crois que Molière a cherché l’équivoque. Et qu’on ne dise pas que la grossièreté du second sens est indigne d’Alceste; Alceste est poussé à bout, et lui, qui ne s’est pas refusé tout à l’heure une mauvaise pointe sur la chute du sonnet, ne paraît pas homme à refuser à sa colère un mot à la fois dur et comique, bien que d’un comique trivial. C’est justement cette trivialité qui fait rire, par le contraste avec le rang et les manières habituelles d’Alceste.

METTRE AUX YEUX, devant les yeux:

Je lui mettois aux yeux comme dans notre temps
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
(Mis. I. 2.)
Me mettre aux yeux que le sort implacable
Auprès d’elles me rend trop peu considérable.
(Mélicerte. II. 1.)
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux.
(Tart. I. 1.)

METTRE BAS, quitter, déposer:

Qui, moi, monsieur?—Oui, vous. Mettons bas toute feinte.
(Éc. des mar. II. 3.)

Allons donc, messieurs, mettez bas toute rancune.

(Am. méd. III. 1.)

METTRE DANS UN DISCOURS, DANS UN PROPOS:

Si, pour les sots discours où l’on peut être mis,
Il falloit renoncer à ses meilleurs amis.
(Tart. I. 1.)
Et pour ne vous point mettre aussi dans le propos.
(Fem. sav. IV. 3.)

METTRE EN ARRIÈRE, déposer, quitter:

De grâce, parle, et mets ces mines en arrière.
(Mélicerte. I. 3.)

METTRE EN COMPROMIS, compromettre:

C’est un brave homme: il sait que les cœurs généreux
Ne mettent point les gens en compromis pour eux.
(Dép. am. V. 7.)

METTRE EN MAIN, confier:

Et l’on m’a mis en main une bague à la mode
Qu’après vous payerez, si cela l’accommode.
(L’Ét. I. 6.)

METTRE EN MAIN QUELQU’UN A UN AUTRE:

Pour moi, je ne ferai que vous la mettre en main.
(Éc. des fem. V. 2.)

Je ne ferai que remettre Agnès entre vos mains.

METTRE PAR ÉCRIT:

Une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer avec vous.

(D. Juan. I. 2.)

Brossette rapporte que Boileau, dans l’épître à son jardinier, avait mis d’abord:

«Mais non; tu te souviens qu’au village on t’a dit
«Que ton maître est gagé pour mettre par écrit
«Les faits d’un roi, etc.»

Il changea le second vers de cette façon:

«Que ton maître est nommé pour coucher par écrit

Apparemment gagé lui parut manquer de dignité, et coucher par écrit lui sembla une expression rustique d’un effet plus piquant que l’expression ordinaire, mettre par écrit.

MEUBLE, comme nous disons mobilier:

Vos livres éternels ne me contentent pas;
Et, hors un gros Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile.
(Fem. sav. II. 7.)

MEUBLÉ de science:

Mais nous voulons montrer. . . . .
Que de science aussi les femmes sont meublées.
(Fem. sav. III. 2.)

MIEUX, le mieux:

Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux.
(Dép. am. II. 2.)
C’est par là que son feu se peut mieux expliquer.
(D. Garcie. I. 1.)

(Voyez PLUS pour le plus.)

DU MIEUX QUE pour le mieux que:

Voilà une personne..... qui aura soin pour moi de vous traiter du mieux qu’il lui sera possible.

(Pourc. I. 10.)

(Voyez DE exprimant la manière, la cause.)

MIGNON DE COUCHETTE:

Le voilà le beau fils, le mignon de couchette!
(Sgan. 6.)

MIJAURÉE. (Voyez PIMPESOUÉE.)

MILLE GENS:

Moi! je serois cocu?—Vous voilà bien malade!
Mille gens le sont bien....
(Éc. des fem. IV. 8.)

(Voyez GENS avec un nom de nombre déterminé.)

MINE; AVOIR DE LA MINE:

J’ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
(L’Ét. I. 6.)

AVOIR LA MINE DE (un infinitif):

J’ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies.

(Scapin. I. 1.)

FAIRE LES MINES DE SONGER A QUELQUE CHOSE:

Pour peu que d’y songer vous nous fassiez les mines.
(Mis. III. 7.)

Faire mine de, c’est faire semblant de. Faire mine de désirer, faire mine de songer à quelque chose.

Faire la mine, c’est bouder.

Faire des mines, c’est minauder.

On dirait donc aujourd’hui, et mieux, je crois: pour peu que vous nous fassiez mine d’y songer.

Il est vraisemblable même que Molière, en altérant l’expression consacrée, a cédé à la contrainte du vers.

MINUTER, projeter tacitement, sournoisement:

Je le remerciois doucement de la tête,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête.
(Fâcheux. I. 1.)

«Minuter secrètement quelque entreprise.»

(Vaugelas.)

Secrètement, dans cet exemple, fait pléonasme:

«Ce marchand minute sa fuite, s’apprête à faire banqueroute. Ce mécontent minute quelque conspiration.»

(Trévoux.)

MIRACLE; JEUNE MIRACLE, une jeune beauté:

Qui, dans nos soins communs pour ce jeune miracle,
Aux feux de son rival portera plus d’obstacle.
(L’Ét. I. 1.)

MITONNER QUELQU’UN:

Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants,
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans....
(Éc. des fem. IV. 1.)

Métaphore du style le plus familier. Une soupe mitonnée est une soupe que l’on a longtemps et avec patience fait bouillir à petit feu. (Racine, mitis?)

MODÉRATIONS, au pluriel:

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