Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle
—ÊTRE EN PAROLE, absolument, converser ensemble:
—AVOIR DE LA PAROLE POUR TOUT LE MONDE, être affable:
Qu’on dise que je suis une bonne princesse, que j’ai de la parole pour tout le monde, de la chaleur pour mes amis.....
PAR OU, pour comment ou de quoi:
PAR SOI, tout seul, per se:
E par soi, é.
C’est-à-dire e tout seul, pris à par soi (et non à part soi), é.
Cette valeur de par est un débris de notre langue primitive. Les Latins disaient per me, per te, dans le sens de moi seul, toi seul:
Et nos pères disaient, à l’imitation des Latins, tout par moi, par lui, par eux, par elles:
Demeura tout seul.
On écrit mal à propos, avec un t, à part, à part soi. Par, ici, vient de per, et non de pars, partis.
Au contraire, il faut mettre un t dans cette autre formule où l’usage moderne l’a supprimé: De part le roi; de part Dieu.
(Voyez DE PAR, à l’article PAR, et des Variations du langage français, p. 407 à 411.)
PARTAGER UN SORT A QUELQU’UN, le lui donner en partage:
Partager est construit ici comme le latin impertire, dispertire et dispertiri.
PARTI; FAIRE PARTI, monter un coup:
PARTICIPE PRÉSENT mis au lieu de si, suivi d’un conditionnel:
Si Trufaldin trouvait son argent.
Si je n’en étais pas aimé.
Pascal se sert aussi de cette espèce de participe absolu:
«Quand on auroit décidé qu’il faut prononcer les syllabes pro chain, qui ne voit que, n’ayant point été expliquées, chacun de vous voudra jouir de la victoire?»
Ces syllabes n’ayant point été expliquées; si elles n’ont pas été expliquées.
—PARTICIPE PRÉSENT qui s’accorde:
On veut que pendant s’accorde, parce qu’il est, dit-on, adjectif verbal: une manche pendante; mais on commande de laisser se perdant invariable, parce qu’il est participe. Cette distinction toute moderne a bien l’air d’une chimère et d’un raffinement sophistique; le XVIIe siècle n’en avait nulle idée, et moins encore les siècles précédents:
1er MÉDECIN. Cette maladie procédante du vice des hypocondres.
Pour remédier à cette pléthore obturante, et à cette cacochymie luxuriante par tout le corps...
Une jeune fille toute fondante en larmes.
Boileau, tout sévère grammairien qu’il était, a dit:
Et Racine:
Et Voltaire:
Ce sont vestiges de l’ancienne langue. Dans l’origine, le participe présent, placé après son substantif, s’y accordait, comme fait encore le participe passé:
«Les femmes et les meschines vindrent encuntre le rei Saul... charolantes, e juantes, e chantantes que Saul out ocis mille David dis mille.»
«Et ele descirad sa gunelle... si s’en alad criante e plurante.»
«Li fiz le rei entrerent, et vindrent devant le rei crianz e pluranz.»
Je trouve, à la vérité, un exemple du participe présent invariable dans le Merlin de Robert de Bouron, écrit au XVe siècle:
«Il voit issir fors bien cent damoiselles et plus, qui viennent carolant et dansant et chantant.»
Peut-être est-ce à cause de l’intermédiaire qui viennent; et puis sur quel manuscrit Du Cange ou ses continuateurs ont-ils pris ce texte?
Ce qui est certain, c’est que Montaigne fait accorder le participe présent, même des auxiliaires être et avoir:
«Aulcuns choisissants plustost de se laisser desfaillir par faim et par jeusne, estants prins... Combien il eust esté aysé de faire son proufit d’ames si neufves, si affamées d’apprentissage, ayants pour la pluspart de si beaux commencements naturels!»
Mais, comme dans le passage de Robert de Bouron, il tient le participe invariable construit avec un autre verbe:
«Ceulx qui, pour le miracle de la lueur d’ung mirouer ou d’un coulteau, alloient eschangeant une grande richesse en or et en perles.»
Cette méthode de l’accord n’était pas sans avantages; par exemple, Montaigne dit des Espagnols qui torturèrent Guatimozin:
«Ils le pendirent depuis, ayant courageusement entreprins de se deslivrer par armes d’une si longue captivité et subjection.»
Ayant, au singulier, fait voir que la phrase se rapporte au cacique, et non à ses bourreaux, qui sont le sujet de la phrase. Si c’étaient les Espagnols qui eussent entrepris, Montaigne eût écrit ayants, avec une s. C’est au reste l’usage latin; voilà pourquoi il a passé dans notre langue: Occiderunt eum luctantem et conantem plurima frustra.
La grammaire de Sylvius, ou Jacques Dubois, rédigée en latin en 1531, ne pose point de règles particulières pour le participe présent; mais, en conjuguant le verbe avoir, elle dit, p. 132:—«habens, habentis; haiant, haiante;» et dans la conjugaison du verbe aimer: «amans, aimant, aimante.»
Jehan Masset, dont l’Acheminement à la langue françoyse est imprimé à la suite du dictionnaire de Nicot (1606), ne dit rien non plus du participe; mais, dans les modèles de conjugaison, il le met aussi variable. Page 15: «habens; masculin ayant, féminin ayante.»
Le langage du palais, qui est un témoin si fidèle, fait le participe présent variable. Regnard, dans le Joueur, a reproduit la formule exacte:
En somme, on trouve que l’invariabilité absolue du participe présent ne s’est guère établie que dans le courant du XVIIIe siècle, et que la distinction entre ce participe et l’adjectif verbal est du XIXe. Jusque-là, on ne savait ce que c’était que l’adjectif verbal.
Ce sont les grammairiens très-modernes qui ont enrichi notre langue de ces distinctions souvent insaisissables, et de ces difficultés de participes parfois insolubles.
—PARTICIPE PRÉSENT rapporté par syllepse à un sujet autre que le sujet de la phrase:
Venant au logis, lorsqu’il viendra au logis, vous lui fermiez, etc...
Et lui jetant: ce second participe se rapporte régulièrement à Agnès, et rend plus sensible l’incorrection du premier.
Aglaure veut dire à sa sœur: Comme nous n’avons ni beauté ni naissance, ils, les princes, nous favorisent...
On peut hardiment proscrire cette tournure, parce qu’elle prête à l’équivoque; il semble ici que ce soient les deux princes qui, sans avoir ni beauté ni naissance, favorisent Aglaure et Cydippe...
PARTICIPE ABSOLU, comme en latin:
La plupart des exemples de l’article précédent, où l’on voit le participe présent employé d’une manière sujette à l’équivoque, peuvent se rapporter au participe absolu, que les Latins mettaient à l’ablatif.
On connoîtra sans doute que, n’étant autre chose qu’un poëme ingénieux,... on ne sauroit la censurer sans injustice.
N’étant autre chose, se rapporte à la comédie dont le nom ne se trouve pas dans cette phrase, mais seulement dans la précédente.
Je l’ai vue..., je voulois, se rapportent à Mascarille, et m’ayant fait connaître, à elle, à Célie, qui n’est désignée qu’après. En sorte que le nominatif est changé, avant que l’auditeur ou le lecteur en puisse être prévenu.
Savez-vous, Valère, que moi, Sganarelle, lui trouvant des appas, sa personne me touche autrement qu’en tuteur?
Ces tournures sont fréquentes dans Molière.
Isabelle n’étant plus occupée, quand Isabelle ne sera plus occupée.
PARTICIPE PASSÉ invariable en genre:
Il ne faut pas douter que ce ne soient là des fautes de français. Si Corneille a fait rimer, dans le Menteur, ceux que le ciel a joint avec point, Corneille a eu tort; et tort qui voudrait s’autoriser là-dessus des exemples de Corneille et de Molière.
PARTICULIER (LE), substantif:
PAR TROP; par donne à trop la force du superlatif:
On trouve dans Térence et dans Priscien, pernimium.
Par, dans la vieille langue, se composait avec les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes, pour leur communiquer la valeur superlative. Pardon (summum donum); paramer (peramare);—parhardi (peraudax);—partrop (pernimium.)
Trop est le substantif trope (troupe), pris adverbialement (turba, truba, trupa); comme mie, pas, point, peu, prou.
(Voyez des Variations du langage français, p. 235.)
PAS, surabondant, pour nier, avec aucun, ni, ne:
Molière a traité aucun absolument comme quelque:
Et véritablement c’est la valeur de aucun, dérivé de aliquis: alque, auque, auque un (aliquis unus.) Ainsi le mot aucun est par lui-même affirmatif.
Est-il possible que ce même Sostrate, qui n’a pas craint ni Brennus, ni tous les Gaulois....
Ne est l’unique négation que possède la langue française.
Pour l’aider en quelque sorte dans son office, on a déterminé un certain nombre de substantifs monosyllabes, exprimant des objets minimes, des quantités réduites, qui servent de terme de comparaison, et, construits avec ne, semblent prendre à son contact la qualité d’adverbes et de négations; mais il ne faut pas s’y tromper. Ces mots sont: pas, point, rien, mie; ce sont de vrais substantifs à l’accusatif, complément d’un verbe qui se place entre ne et son adjoint. Je ne dis rien; il ne vient pas; ne mentez point[66].
Maintenant il faut savoir que l’on ne donne à ne qu’un seul de ces adjoints, de ces adverbes artificiels: ne pas;—ne point;—ne mie;—ne... rien. La faute de Martine, dans les Femmes savantes, est de joindre à la négation deux de ces suppléments:
«Et tous vos biaux dictons ne servent pas de rien.» Le vice d’oraison ne consiste donc pas à joindre pas avec rien, comme le prétend Philaminte, mais à joindre pas et rien avec ne.
Cela est si vrai, que Molière a très-souvent fait cette réunion de ne... pas... rien. Mais alors il y a toujours deux verbes, l’un qui supporte l’action négative de ne pas; l’autre qui commande rien.
Les exemples suivants, qui semblent au premier coup d’œil choquer la règle posée par Molière lui-même, analysés d’après ce principe, n’ont plus rien que de très-régulier. On y trouvera partout deux verbes pour les trois mots ne, pas, rien, que la bonne Martine accumulait tous trois sur l’unique verbe servir.
Ce n’est pas ma coutume que de rien blâmer.
Ce n’est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien prétendre à un cœur qui se seroit donné.
Je ne suis point un homme à rien craindre.
Il ne faut pas qu’il sache rien de tout ceci.
Mon intention n’est pas de vous rien déguiser.
Je ne veux point qu’il me dise rien.
Ne faites point semblant de rien.
Dans ce dernier exemple, rien est visiblement un substantif au génitif, gouverné par un substantif qui le précède, semblant. Ne faites pas semblant de quelque chose, ou qu’il y ait quelque chose.
—PAS, supprimé:
A l’occasion de ce vers, j’observe que du tout, au sens de absolument, complétement, ne sert plus que dans les formules négatives; mais que, dans l’origine, on l’employait également pour affirmer:
—Servite Domino in omni corde vestro. «Nostre Seigneur Deu del tut (du tout) siwez, e de tut vostre quer servez.»
PAS, substantif; PAS A PAS, posément:
—PAS DEVANT (LE), substantif composé, PRENDRE LE PAS DEVANT:
Devant n’est pas ici une préposition qui ferait double emploi avec sur; pas-devant est un mot composé, comme qui dirait le pas antérieur. N’a-t-on pas eu tort de laisser perdre cette expression qui n’a aucun équivalent, et dont l’absence oblige à une périphrase?
(Voyez PERDRE LES PAS DE QUELQU’UN.)
—PASSE; ÊTRE EN PASSE DE:
Nous ne sommes pas encore connues, mais nous sommes en passe de l’être.
Passe s’appelait autrefois, au jeu de mail et de billard, une porte ou arc de fer, par où la boule ou la bille devait passer. Le joueur assez adroit pour s’être placé le plus près de cet arc était en passe, c’est-à-dire, sur le point de passer. De là l’expression figurée en parlant d’un homme en mesure de réussir. C’est l’explication de Trévoux, qui cite à l’appui les vers du Misanthrope.
PASSER; FAIRE PASSER A QUELQU’UN LA PLUME PAR LE BEC, l’attraper, le duper, sans qu’il puisse se plaindre:
Nous verrons cette affaire, pendard, nous verrons cette affaire. Je ne prétends pas qu’on me fasse passer la plume par le bec.
«Pour empêcher les oisons de traverser les haies et d’entrer dans les jardins qu’elles entourent, on passe une plume par les deux ouvertures qui sont à la partie supérieure de leur bec. De là le proverbe passer la plume par le bec; de là vient aussi l’expression proverbiale d’oison bridé.»
Ainsi, passer à quelqu’un la plume par le bec, signifie le traiter comme un oison.
—PASSER, se passer:
—PASSER DE, pour sortir de:
Il y a cent choses comme cela qui passent de la tête.
—PASSER (SE) DE, se contenter de, et non se priver:
Ce que je trouve admirable, c’est qu’un homme qui s’est passé durant sa vie d’une assez simple demeure en veuille avoir une si magnifique pour quand il n’en a plus que faire.
PATINEURS:
CLAUDINE.—Ah! doucement. Je n’aime pas les patineurs.
La racine de ce mot est patte, pour main.
«Patiner, manier malproprement.»
PATROCINER, du latin patrocinari, faire l’avocat:
PAYER; PAYER UN PRIX DE QUELQUE CHOSE:
Non, en conscience, vous en payerez cela.
—PAYER DE, alléguer pour excuse:
«Je le croiray volontiers, pourveu qu’il ne me donne pas en payement une doctrine beaucoup plus difficile et fantastique que n’est la chose mesme.»
—PAYER POUR (un substantif), payer en qualité de. (Voyez GAGER POUR.)
—PAYEROIT, PAYEREZ, de trois syllabes:
Molière, s’il eût été d’usage alors de syncoper les mots, eût mis facilement que vous paîrez après.
PAYSANNE, de trois syllabes:
—de quatre syllabes:
—PAYSAN, de trois syllabes:
—de deux:
PAYSANNERIE comme bourgeoisie:
J’aurois bien mieux fait...... de m’allier en bonne et franche paysannerie.
L’Académie dit qu’il est peu usité.
PECQUES:
A-t-on jamais vu, dis-moi, deux pecques provinciales faire plus les renchéries que celles-là?
Molière avait rapporté cette expression du Midi, où l’on dit d’un fâcheux dont on ne peut se débarrasser, que c’est un morceau de poix: es una pegue.
A moins que pecque ne soit une abréviation de pécore, ce qui conviendrait mieux au sens de ce passage.
Trévoux dit que pecq, en vieux français, signifiait un mauvais cheval. Il aurait bien dû en citer des exemples, s’il en connaissait: pour moi, je ne l’ai jamais vu.
PEINDRE EN ENNEMIS, c’est-à-dire, sous les traits d’ennemis:
Un titre qui peint ne paraît pas une métaphore heureuse.
PEINE; ÊTRE EN PEINE OÙ...:
De savoir où je vous mènerai.
—AVOIR PEINE A, pour avoir de la peine à...:
Comment! il semble que vous ayez peine à me reconnoître!
«J’ai peine à contempler son grand cœur dans ces dernières épreuves.»
Pascal dit pareillement faire peine, pour faire de la peine:
«La seule comparaison que nous faisons de nous au fini fait peine.»
PEINTURE, au lieu de portrait:
Sa peinture ne peut signifier que la peinture dont il est l’auteur, et non la peinture où il a servi de modèle.
(Voyez PORTRAIT, pour peinture, tableau.)
PÈLERIN, CONNAÎTRE LE PÈLERIN:
Si tu connoissois le pèlerin, tu trouverois la chose assez facile pour lui.
PENSER, substantif masculin:
Dans l’origine, tous les infinitifs pouvaient jouer le rôle de substantifs, moyennant l’addition de l’article, comme tout adjectif pouvait faire l’office d’adverbe:
«Tous les marchers, toussers, mouchers, éternuers, sont différents.»
Il est évidemment impossible de substituer ici démarche, toux, éternument; et nous n’avons aucun substantif, même approximatif, pour dire le moucher.
—PENSER (verbe) suivi d’un infinitif, pour être près de:
Nous avons aussi mon neveu le chanoine, qui a pensé mourir de la petite vérole.
PENTE, penchant; AVOIR PENTE A...:
PERDRE FORTUNE:
Perdre toute fortune. Fortune est ici pris au sens le plus large du latin fortuna; il ne s’agit pas seulement des biens de la fortune, mais de tout ce qui constitue ici-bas la félicité. C’est en quoi l’expression perdre fortune diffère de perdre sa fortune.
—PERDRE L’ATTENTE de quelque chose. (Voyez NE PERDRE QUE L’ATTENTE.)
—PERDRE LES PAS DE QUELQU’UN, perdre sa trace:
—PERDRE TEMPS:
M. Auger blâme cette locution comme équivoque: est-ce perdre du temps, ou perdre son temps? La critique est bien vétilleuse, et l’équivoque du sens, argument spécieux auquel on recourt beaucoup trop souvent, n’est presque jamais à craindre.
PÉRICLITER, absolument, courir un danger, risquer:
Mais croyez-vous, maître Simon, qu’il n’y ait rien à péricliter?
Rien à risquer en faisant cette affaire? croyez-vous que je n’expose rien?
PERSONNE, suivi d’un adjectif, d’un pronom ou d’un participe au masculin:
Personne ne t’est venu rendre visite?
La complaisance est trop grande, de souffrir indifféremment toutes sortes de personnes.—Je goûte ceux qui sont raisonnables, et me divertis des extravagants.
Jamais je n’ai vu deux personnes être si contents l’un de l’autre.
Il s’agit d’un amant et de sa fiancée.
Des vers tels que la passion et la nécessité peuvent faire trouver à deux personnes qui disent les choses d’eux-mêmes et parlent sur-le-champ.
—PERSONNE DU MONDE, personne absolument:
Quoi, cousine, personne ne t’est venu rendre visite?—Personne du monde.
On observera que le mot personne est affirmatif de soi; il sert ici à nier, parce que la pensée le rattache à la négation renfermée dans l’ellipse: personne n’est venu me rendre visite.
PERSONNE. Verbe à une autre personne que son sujet:
VALÈRE. Je vous demande si ce n’est pas vous qui se nomme Sganarelle.
SGAN. En ce cas, c’est moi qui se nomme Sganarelle.
Plus loin, Molière a mis, en observant le rapport des personnes:
Ouais! seroit-ce bien moi qui me tromperois?
Racine a dit pareillement:
Les grammairiens, depuis Vaugelas, ont décidé qu’il faut toujours le verbe à la première personne, parce que le pronom y est. La raison paraît douteuse, car il y a aussi un autre verbe qui est placé le premier, et qui est à la troisième personne. Pourquoi l’accord ne se ferait-il pas aussi bien avec ce premier verbe qu’avec le pronom qui le suit?
Celui qui se nomme Sganarelle, c’est moi;—celui qui vous a procuré cette bonne fortune, c’est moi;—celle qui se ferait prier, ce ne serait pas moi:—voilà comme on serait obligé de parler pour satisfaire la logique. Et parce que l’ordre des mots est renversé, le rapport des termes de l’idée change-t-il aussi? Non sans doute. La facilité que laissait l’usage du XVIIe siècle me semble donc, en principe, plus raisonnable que la loi étroite du XIXe. Il est certain d’ailleurs que cette rigueur ne produirait pas toujours un bon effet dans l’application. Par exemple, il n’en coûtait pas davantage, à Racine de mettre:
Mais la pensée ne se présente plus du tout de même. Junie ne veut pas dire: Moi seule je m’intéresse dans ses pleurs; mais: Qui est-ce qui s’intéresse dans ses pleurs?—Moi seule. Dans la première tournure, l’idée qui frappe d’abord, c’est la personne de Junie; dans la seconde, c’est l’isolement et l’abandon de Britannicus. L’une est propre à irriter Néron, l’autre à le désarmer.
Ces délicatesses font le caractère des grands écrivains; et les despotes de la grammaire, avec leur précision géométrique, tendent à les rendre impossibles: ils matérialisent la langue.
PESTE; LA PESTE SOIT, LA PESTE SOIT FAIT; exclamation, suivie du nominatif; LA PESTE DE:
La peste le coquin! La peste le benêt!
Peste soit le coquin, de battre ainsi sa femme!
C’est une inversion: que le coquin soit la peste, c’est-à-dire, soit empesté, devienne la peste elle-même.
Peste du fou fieffé!—Peste de la carogne!
PÉTAUD; la cour du roi Pétaud:
Les commentateurs, avec assez d’apparence, veulent que ce soit la cour du roi Peto, du roi des mendiants, où règnent le désordre et la confusion. Le mot pétaudière confirme l’autre orthographe.
PETITE OIE, terme de toilette:
MASCARILLE. Que vous semble de ma petite oie? la trouvez-vous congruante à l’habit?
«Petite oye est ce qu’on retranche d’une oye quand on l’habille pour la faire rostir, comme les pieds, les bouts d’aile, le cou, le foye, le gesier.» (Trévoux.) C’est ce qu’on appelle aujourd’hui un abatis.
Par une métaphore facile à comprendre, petite oie a désigné les accessoires de la toilette, plumes, rubans, dentelles, dont à cette époque le costume masculin était fort chargé:
La petite oie signifiait aussi, par une métaphore analogue, les plus légères faveurs de l’amour.
PETONS, diminutif de pieds:
Ah! que j’en sais, belle nourrice,.... qui se tiendroient heureux de baiser seulement les petits bouts de vos petons!
(Voyez BOUCHON.)
PEU pour un peu:
La suivante veut dire: Vous aviez besoin de ce peu de jugement que m’a départi le ciel. Mais, à prendre sa phrase dans le sens ordinaire de cette tournure, elle dirait: Vous aviez besoin que j’eusse peu de jugement.
Votre peu de foi vous a perdu.—Vous êtes perdu pour avoir eu trop peu de foi. C’est le sens régulier.
Votre peu de foi vous a sauvé. C’est-à-dire, il vous a suffi d’un peu de foi pour être sauvé. C’est le sens exceptionnel que donne ici Molière à cette façon de parler. L’équivoque, sans compter l’usage, ne permet pas de l’admettre.
Voltaire parle plus correctement que Molière, quand il fait dire à Omar:
—QUELQUE PEU:
PEUR DE, adverbialement, de peur de:
On dit de même, mais légitimement, faute de, crainte de.—Manque de, souvent employé par Pascal, est aujourd’hui hors d’usage. Toutes ces locutions sont autant d’accusatifs ou d’ablatifs absolus. Si l’on admet les unes, il paraît inconséquent de rejeter les autres, d’approuver faute de, et de blâmer peur de. On allègue l’usage; mais, en bonne grammaire, l’usage nouveau ne devrait point établir de prescription définitive, surtout contre la logique appuyant l’ancien usage.
PEUT-ÊTRE... ET QUE:
PHILOSOPHE, adjectif comme philosophique:
«C’étoit la partie la moins philosophe et la moins sérieuse de leur vie.»
«Le plus philosophe étoit de vivre simplement.»
—PHILOSOPHE, substantif féminin:
PHLÉBOTOMISER, archaïsme, pour saigner:
1er MÉDECIN. Je suis d’avis qu’il soit phlébotomisé libéralement.
PIC ou PIQUE, aux cartes:
Molière écrit les deux:
Molière altère ici l’orthographe pour le besoin de la rime. Pic, ainsi figuré, signifie autre chose que pique: c’est un terme du jeu de piquet: pic, repic et capot:
Vous allez faire pic, repic et capot tout ce qu’il y a de galant dans Paris.
PIÈCE; BONNE PIÈCE, ironiquement:
Taisez-vous, bonne pièce!
(Voyez BON.)
—FAIRE UNE PIÈCE, jouer un tour:
Cet homme-là est un fourbe qui m’a mis dans une maison pour se moquer de moi, et me faire une pièce.
C’est une pièce que l’on m’a faite, et je n’ai aucun mal.
Ce sont des pièces qu’on lui fait.
«Ce ne fut pas sans la garder bonne à Ésope, qui tous les jours faisoit de nouvelles pièces à son maître.»
PIED; METTRE SOUS LES PIEDS, pour mépriser, négliger:
—PIED A PIED, pas à pas, petit à petit:
Pied à pied vous gagnez mes résolutions.
PILULE; DORER LA PILULE:
PIMPESOUÉE:
Voilà une belle mijaurée, une pimpesouée bien bâtie, pour vous donner tant d’amour!
«Pimpesouée, femme qui montre des prétentions, avec de petites manières affectées et ridicules. Pimpesouée vient probablement du vieux verbe pimper, qui signifie parer, attifer, dont il nous reste pimpant, et du vieil adjectif souef, souefve, qui voulait dire doux, agréable.
Cette étymologie ne manque pas de vraisemblance; il ne reste plus qu’à trouver quelque part le vieux verbe pimper. J’avoue que, pour moi, je ne l’ai jamais rencontré; mais c’est un mot vraisemblable.
Ménage veut que pimpant soit dit pour pompant. Il est certain qu’on disait, dans le latin du moyen âge, pompare, pour superbire, gloriari:
(Voyez Du Cange au mot POMPARE.)
Sur l’étymologie de mijaurée, je ne trouve rien de satisfaisant.
PIQUÉ, au figuré; AVOIR L’AME PIQUÉE DE QUELQUE CHOSE:
PIS, au neutre, quelque chose de pis:
La prose est pis que les vers.
Il s’agit de savoir, de la prose ou des vers, quel est le plus difficile à retenir par cœur; Molière décide que la prose est, à cet égard, pis que les vers.
Pire que les vers, marquerait la prééminence relative de la prose, ce dont il n’est pas question. Pire s’accorderait avec prose; pis, au neutre, se rapporte, à l’idée de retenir par cœur.
C’est l’observation encore plus instinctive que raisonnée de ces nuances délicates qui fait l’habile écrivain.
PLAIDERIE:
La racine est plaid:
On ne dit plus que plaidoirie.
PLAINTE; MURMURER A PLAINTE COMMUNE, murmurer ensemble, pour le même sujet:
A plainte commune est dit comme à frais communs.
PLAISANT, qui plaît, agréable. Archaïsme:
«Le plaisant dialogue du legislateur de Platon, avecques ses concitoyens, fera honneur à ce passage.»
«Entre les livres simplement plaisants, je treuve des modernes le Decameron de Boccace, etc...»
Livres plaisants, c’est-à-dire qui n’apportent que du plaisir, de l’agrément, qu’on lit uniquement pour s’amuser.
«...... Une perception soudaine et vive qui se fait d’abord en nous, à la présence des objets plaisants et fâcheux.»
On s’est permis, dans l’édition in-12 de 1846, de substituer «objets agréables ou déplaisants.» On ne saurait trop vivement blâmer ces témérités, qui n’iraient pas à moins qu’à transformer tous les dix ans les textes les plus précieux et vénérables.
PLANTUREUX, archaïsme, abondant:
Que les saignées soient fréquentes et plantureuses.
On devrait écrire plentureuses par un e, la racine de ce mot étant, non pas plante, mais plenté, syncopé de plenitatem:
Et non à planter, comme je l’ai vu imprimé. Les ânes mangent de l’avoine, mais ils n’en plantent point; au rebours des hommes.
PLATRER, métaphoriquement, dans le sens où nous disons aujourd’hui replâtrer, dissimuler:
Jusqu’ici vous avez joué mes accusations, ébloui vos parents, et plâtré vos malversations.
Boileau se sert pareillement du substantif plâtre, au figuré:
PLEIN, complet:
C’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme.
«Que l’homme contemple donc la nature dans sa haute et pleine majesté!»
«La promesse que J. C. nous a faite de rendre sa joie pleine en nous.»
(Voyez A PLEIN.)
—PLEIN D’EFFROI, au sens actif, c’est-à-dire qui remplit d’effroi:
PLUS pour le plus, au superlatif:
Qui est plus criminel à votre avis, ou celui qui achète un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n’a que faire?
«Quatre cent mille soldats qu’elle entretenoit étoient ceux de ses citoyens qu’elle (l’Égypte) exerçoit avec plus de soin.»
Cette façon de parler commençait dès lors à vieillir, et l’on ne tarda pas à la proscrire; mais au XVIe siècle, et surtout au moyen âge, on ne s’en faisait aucun scrupule:
«Les gens du monde pour la santé où il avoit plus de fiance (Charles V), c’estoit en bons maistres medecins.»
Je vous recommande la chose que j’aime le plus au monde.
Du lignage des environs le plus à louer.
PLUT A DIEU, suivi de l’infinitif:
Plût à Dieu l’avoir tout à l’heure, devant tout le monde (le fouet), et savoir ce qu’on apprend au collége!
POIDS; LE POIDS D’UNE GRIMACE:
(Voyez TOURNER LA JUSTICE, et MÉTAPHORES VICIEUSES.)
—LE POIDS D’UNE CABALE:
Pascal a dit, le poids de la vérité:
«Il est sans doute que le poids de la vérité les déterminera incontinent à ne plus croire à vos impostures.»
La métaphore d’un poids qui détermine la balance à pencher à droite ou à gauche, est juste; celle d’un poids qui embarrasse dans un dédale, ne l’est pas.
—METTRE DU POIDS A QUELQUE CHOSE, y attacher de l’importance:
POINT, surabondant avec aucun:
On ne doit point songer à garder aucunes mesures.
Aucun étant exactement synonyme de quelque, il n’y a pas ici de faute contre le génie de la langue; mais j’avoue qu’il y en a une contre l’usage, qui est vicieux, de considérer aucun comme renfermant une négation.
(Voyez PAS.)
—POINT D’AFFAIRES, exclamation elliptique dont le sens est sans doute celui-ci: Point d’affaires entre nous! je ne vous écoute pas:
Point d’affaires! je suis inexorable.
De la louange, de l’estime, de la bienveillance en paroles, et de l’amitié, tant qu’il vous plaira; mais de l’argent, point d’affaires.
POMMADER, faire de la pommade:
Que font-elles?—De la pommade pour leurs lèvres.—C’est trop pommadé. Dites-leur qu’elles descendent.
Cet emploi du participe passé, avec trop et assez, est remarquable, encore que très-usuel: c’est assez bu; c’est assez causé; c’est trop pommadé.
PORTE; ENTRER DANS UNE PORTE:
Il est incommode et fâcheux que nous soyons réduits à un seul mot pour exprimer l’ouverture pratiquée dans la muraille et la pièce de menuiserie destinée à la fermer. Les Latins avaient porta et janua, auxquels correspondaient, dans notre vieille langue, porte et huis[68]. Mais depuis qu’on a banni le second, il faut bien que l’autre fasse un double service, et désigne à la fois les deux choses contraires.
—LA PORTE DES RESSORTS. (Voyez RESSORTS à l’article MÉTAPHORES VICIEUSES.)
PORTE-RESPECT:
Je ne sais trop ce qu’entend Lélie par ce terme, si ce n’est un bâton; mais comment la défense d’un bâton est-elle regrettable à qui porte deux pistolets et une épée?
PORTER, pour porter en soi, avec soi:
Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu’il fait: l’Amour.
—PORTER DU CRIME DANS..., en mettre où il n’y en a pas:
Il n’y a chose si innocente où les hommes ne puissent porter du crime.
—PORTER DU SCANDALE, causer, entraîner du scandale:
—PORTER UN AIR:
PORTEUR DE HUCHET:
Le huchet est un petit cor de chasseur ou de postillon, qui sert à hucher (appeler) les chiens.
PORTRAIT, pour peinture, tableau, LE PORTRAIT D’UN COMBAT:
(Voyez PEINTURE pour portrait.)
—PORTRAIT D’UN CŒUR:
POSSIBLE, adverbe, peut-être:
Primitivement tous les adjectifs s’employaient aussi comme adverbes; notre langue en a conservé de nombreux exemples: voir clair; frapper fort; tenir ferme; partir soudain, etc. Il n’y a aucune raison pour que possible soit exclu de ce privilége. La Fontaine l’y maintenait:
«Deux ou trois de ses officiers et autant de femmes se promenoient à cinq cents pas d’elle, et s’entretenoient possible de leur amour.»
«Possible personne qu’elle n’étoit descendue sous cette voûte depuis qu’on l’avoit bâtie.»
—POSSIBLE QUE, peut-être que...:
POSTE:
«Poste aussi, avec une diction possessive (un pronom possessif), signifie façon, manière, volonté, guise, comme: Il est fait à ma poste; il luy a aposté ou baillé des tesmoins faits à sa poste.
«Et quand il n’est joinct à telles particules possessives, il signifie pourpensé, attiltré, comme: cela est faict à poste.»
TOINETTE. J’avois songé en moi-même que ç’auroit été une bonne affaire de pouvoir introduire ici un médecin à notre poste, pour le dégoûter de son monsieur Purgon.
«Que Martial retrousse Venus à sa poste, il n’arrive pas à la faire paroistre si entiere.»
«Un valet qui les escrivit soubs moy pensa faire un grand butin de m’en desrober plusieurs pieces choisies à sa poste.»
A la guise, sur le modèle, dans le goût de l’Arioste.
Les Italiens disent aussi a mia posta, et, sans pronom possessif, alla posta, apposta:
Il a la bouche faite à poste pour le service de la poste.
On pourrait croire que nous leur avons emprunté cette expression; mais elle existait dans notre langue depuis un temps bien reculé, avec des acceptions diverses. Posta, dans les actes du moyen âge, signifie une station, un lieu désigné, un poste, et volonté, gré, convenance.
Dans les ordonnances du roi Jean (1355), on trouve faire fausse poste, pour aposter, qui alors n’était pas encore créé. Il s’agit des revues de troupes, où l’on faisait figurer de faux soldats, des hommes apostés, des soldats postiches:
«Nous avons ordené et ordenons que nul ne face fausse poste, sur peine de perdre chevaux et hernois..... avons ordené et ordenons, pour eschiver les fausses postes.....»
Postiquer, postiqueur, c’était, au sens propre, courir la poste, postillon; au figuré, fourber, intriguer; un intrigant.
Le poste d’un couvent, d’un collége, était le coureur, le messager de la maison.
De cette famille il nous reste la poste; poster, aposter; et postiche.
POSTURE (position), soit en bonne, soit en mauvaise part:
POT; TOURNER AUTOUR DU POT:
A quoi bon tant barguigner, et tant tourner autour du pot?
Cette métaphore est du style de Pourceaugnac et de Petit-Jean:
—POTS CASSÉS; PAYER LES POTS CASSÉS DE QUELQUE CHOSE:
Un cordonnier, en faisant les souliers, ne sauroit gâter un morceau de cuir qu’il n’en paye les pots cassés.
Cette expression proverbiale fait allusion à un jeu usité au moyen âge parmi les enfants. Ce jeu consistait à faire circuler rapidement, de proche en proche, un pot qu’il fallait élever en l’air avant de le transmettre à son voisin. Il se trouvait quelque maladroit qui le laissait tomber, et celui-là payait les pots cassés.
Menot parle de ce jeu:
«Le diable et le monde font comme les enfants qui jouent à la balle ou au pot cassé: ils se le passent de main en main; un des joueurs le lève bien haut et le laisse tomber, et le pot vole en éclats[69].»
POTAGE; POUR TOUT POTAGE, au sens figuré, uniquement:
Vous n’êtes, pour tout potage, qu’un faquin de cuisinier.
La Fontaine s’est servi, dans cette locution, du mot besogne au lieu de potage. Le renard invite à dîner madame la cigogne:
Ailleurs il dit, pour tout mets:
POULE LAITÉE:
Avec leur ton de poule laitée, et leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat!
«On dit, pour se moquer d’un lâche, d’un sot qui se mêle du ménage des femmes; que c’est une poule mouillée, une poule laitée, un tâte-poules.»
POUR, faisant l’office de seulement:
On nous fait voir que Jupiter n’a pas aimé pour une fois.
Pourquoi ces façons de parler sont-elles tout à fait hors d’usage, et cependant maintient-on encore pour dans cette locution: Cela peut passer pour une fois, c’est-à-dire, une fois seulement? Ce sont là des inconséquences que les écrivains devraient tâcher d’empêcher, ou de corriger.
—POUR, au point de, jusqu’à:
—POUR, en qualité de:
Et vous l’avez connu pour gentilhomme.
Cet emploi de pour est encore usuel dans cette phrase, par exemple: Prendre pour domestique. Connaître pour gentilhomme, gager pour précepteur, ne sont guère que des applications du même principe. Ce qui appauvrit les langues, c’est justement de restreindre la valeur générale d’un mot à quelques formules particulières. Molière, non plus que Bossuet, ne se laisse jamais garrotter dans ces entraves, et c’est là peut-être le caractère essentiel de leur langue, et ce qui lui donne tant d’ampleur.
Les Espagnols emploient de même por devant un adjectif. Tirso de Molina intitule une de ses pièces: «El condemnado por desconfiado.» Le damné pour déconfès, pour être mort sans confession, en qualité de déconfès.
—POUR (un infinitif) marquant, non le but, mais la cause, comme parce que:
Parce que je suis en vos mains, et non afin d’être en vos mains.
Je hais ces cœurs pusillanimes, qui, pour trop prévoir les suites des choses, n’osent rien entreprendre.
Parce qu’ils prévoient trop.
Tous les désordres, toutes les guerres n’arrivent que pour n’apprendre pas la musique.
Parce qu’on n’apprend pas, et non, afin de ne pas apprendre.
Parce que nous nous attachons, et non, afin de nous attacher.
On ne s’avise point de défendre la médecine pour avoir été bannie de Rome, ni la philosophie pour avoir été condamnée publiquement dans Athènes.
Parce qu’elle a été bannie, parce qu’elle a été condamnée.
Pascal dit de même:
«La durée de notre vie n’est-elle pas également et infiniment éloignée de l’éternité pour durer dix ans davantage?»
C’est-à-dire: Notre vie, parce qu’elle aura duré dix ans de plus ou de moins, ne sera-t-elle pas toujours aussi éloignée de l’éternité? Ce tour, dans Pascal, me paraît un peu obscur, peut-être à cause de la désuétude.
«Et comment est-il possible, reprit Ésope, que vos juments entendent de si loin nos chevaux hennir, et conçoivent pour les entendre?»
—POUR, uni à l’auxiliaire être. (Voyez ÊTRE POUR.)
—POUR L’AMOUR DE, en mauvaise part:
—POUR CERTAIN:
—POUR CE QUI EST DE CELA, sans relation à rien, et en forme d’exclamation, comme en vérité:
Pour ce qui est de cela, la jalousie est une étrange chose!
POURQUOI..., ET QUE...:
Le second vers répond à cette tournure: et comment se fait-il que... Rien n’est plus naturel que ce changement subit de construction au milieu d’une phrase, comme rien n’est plus fréquent dans le discours familier.
Néanmoins, ce qui peut passer dans la bouche de Georgette n’est-il pas trop abandonné sous la plume de Voltaire commentant Corneille?
—«Pourquoi dit-on prêter l’oreille, ET QUE prêter les yeux n’est pas français?»
POURSUIVRE A, continuer à:
POUR UN PEU, pour un moment:
Souffrez que j’interrompe pour un peu la répétition.
POUR VOIR, adverbialement:
Ayez recours, pour voir, à tous les détours des amants.
POUSSER, absolument, insister:
Pousse, mon cher marquis, pousse.
Poussez, c’est moi qui vous le dis.
—POUSSER LES CHOSES:
N’allez point pousser les choses dans les dernières violences du pouvoir paternel.
Voilà, mon gendre, comme il faut pousser les choses.
«Mais, mon père, qui voudroit pousser cela vous embarrasseroit.»
—POUSSER QUELQU’UN, au sens moral; le pousser à bout:
—POUSSER DES CONCERTS:
Corneille a dit pousser des harmonies:
Et Pascal, pousser des imprécations:
«D’où vient, disent-ils, qu’on pousse tant d’imprécations...»
—POUSSER LA SATIRE:
—POUSSER les tendres sentiments,—l’amusement:
—POUSSER SA CHANCE, SA FORTUNE, SON BIDET:
Elle se rend à sa poursuite: il pousse sa fortune; le voilà surpris avec elle par ses parents.
—POUSSER UNE MATIÈRE, creuser un sujet:
Nous sommes ici sur une matière que je serai bien aise que nous poussions.
POUSSEUSES DE TENDRESSE:
(Voyez POUSSER.)
POUVOIR, verbe; IL NE SE PEUT QUE NE...:
Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise?
Pacuvius et Lucrèce ont dit potestur, au passif. Non potestur quin traduirait exactement il ne se peut que ne.
(Voyez QUE dans cette formule IL N’EST PAS QUE, p. 333.)
—POUVOIR MAIS, sans exprimer en:
Mais conserve dans cette locution le sens du latin magis. Je n’en puis mais, je ne puis davantage de cela, c’est-à-dire, touchant cela, de hoc.
—POUVOIR; substantif. (Voyez FAIRE SON POUVOIR.)
PRATIQUE, manière de se conduire, intrigue, sourdes menées:
PRATIQUER DES AMES, les travailler par des intrigues:
PRÉALABLE; AU PRÉALABLE:
Je ne prétends point qu’il se marie, qu’au préalable il n’ait satisfait à la médecine.
PRÉCIEUSE, substantif. Molière prend toujours ce mot en mauvaise part:
On voit que Molière avait déterminé de ruiner ce titre; mais il n’y va point brusquement; il garde quelque ménagement pour l’opinion publique, au moyen d’une distinction que tantôt il rappelle, tantôt il a soin d’oublier:
Est-ce qu’il y a une personne qui soit plus véritablement ce qu’on appelle précieuse, à prendre le mot dans sa plus mauvaise signification?
Le bel assemblage que ce seroit d’une précieuse et d’un turlupin!
Et cette dernière précieuse se trouve être «la plus grande façonnière du monde,» une femme d’un ridicule accompli dans ses manières comme dans son langage.
Molière avait porté le premier coup aux précieuses en 1659; il revient à la charge quatre ans après: la Critique de l’École des femmes est de 1663.
PRÉCIPITÉ D’UN ESPOIR:
PREMIER; QUI PREMIER, qui le premier:
Latinisme: qui primus.
Premier s’employait aussi adverbialement:
Quand premièrement, pour la première fois.
(Voyez plus bas PREMIER QUE.)
—LE PREMIER, le premier venu:
Il semblerait qu’il s’agit de deux personnages, le premier et le second. La gêne de l’expression est trop visible.
—PREMIER QUE, avant, ou avant que:
Trévoux cite ce dernier exemple et les suivants: «Il étoit au monde premier que vous fussiez né.—Un moine n’oseroit sortir que premier il n’en ait demandé la permission.—En ce sens il vieillit.» (1740.)
Dans l’origine, tous les adjectifs s’employaient adverbialement sans changer de forme: partir soudain; voir clair; tenir ferme; courir vite; parler net, haut, fort. Dans toutes ces locutions et les semblables, l’adjectif joue le rôle de l’adverbe. Ce privilége de l’adjectif subsiste encore en allemand et en anglais.
Premier pour premièrement était donc une locution très-régulière et très-correcte. Quant à l’adjonction du que, premier que, pour premièrement que, elle est justifiée par cette réflexion fort simple, que premier marque une comparaison, est un véritable comparatif; il est donc naturel qu’il en ait la construction et l’attribut.
(Voyez aux mots FERME, FRANC, NET, POSSIBLE.)
PRENDRE, choisir, préférer:
—LE PRENDRE A (un substantif), s’en rapporter à...:
—SE PRENDRE A (un infinitif), s’y prendre pour:
—PRENDRE A TÉMOIN SI...:
Je prends à témoin le prince votre père si ce n’est pas vous que j’ai demandée.
(Afin qu’il dise) si ce n’est pas vous... etc.
—PRENDRE CRÉANCE EN QUELQU’UN:
—PRENDRE DROIT:
Il est très-assuré, sire, qu’il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartufes ont l’avantage; qu’ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais.....
—PRENDRE EN MAIN:
Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main.
—PRENDRE FOI SUR...:
—PRENDRE GARDE A (un infinitif):
C’est donner toute son attention à faire l’action marquée par cet infinitif:
Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il faut, et à faire bien des façons.
Prenez garde de marquerait le contraire, et le soin d’éviter.
Les Latins avaient de même vereor ut et vereor ne.
Pascal dit prendre garde que, comme observer, remarquer que:
«Les valets peuvent faire en conscience de certains messages fâcheux; n’avez-vous pas pris garde que c’étoit seulement en détournant leur intention du mal, etc.....»
—PRENDRE INTÉRÊT EN QUELQU’UN: