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Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

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(Mar. for. 4.)

Prince, comme jusqu’ici nous avons fait paroître une conformité de sentiments, et que le ciel a semblé mettre en nous, etc.

(Pr. d’Él. IV. 1.)

«Comme elle possédoit son affection.... et que son heureuse fécondité redoubloit tous les jours les sacrés liens...»

(Bossuet. Or. fun. d’Henr. d’A.)

«Comme c’est la vocation qui nous inspire la foi, et que c’est la persévérance qui nous transmet à la gloire....»

(Id. Or. fun. de la duch. d’Orl.)

«Comme il fut sorti de Delphes, et que il eut pris le chemin de la Phocide.....»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

COMME pour que; S’ÉTONNER COMME...:

Je m’étonne comme le ciel les a pu souffrir si longtemps.

(D. Juan. V. 1.)

(Voyez ADMIRER COMME.)

TOUT COMME, adverbialement:

C’est justement tout comme:
La femme est en effet le potage de l’homme.
(Éc. des fem. II. 3.)

COMMENCER DE:

Et déjà mon rival commence de paroître.
(D. Garcie. V. 3.)
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et veuille que ce frère, où l’on va m’exposer,
Commence d’être roi par me tyranniser.
(Ibid. V. 5.)
L’amour a commencé d’en déchirer le voile.
(Éc. des fem. III. 4.)

Commencer à paraît avoir été la forme primitive; c’est celle qu’emploie le plus ancien monument connu de notre langue:

«Saul estoit fis d’un an, quand il comencad a regner.»

(Rois. p. 41.)

Mais plus tard, quand le d euphonique fut tombé, par l’influence de la langue écrite sur la langue parlée, le soin de l’euphonie suggéra d’éviter l’hiatus, en construisant aussi avec de tous ces verbes qui se construisaient déjà avec à.

(Voyez DE remplaçant à entre deux verbes.)

COMMENT, comme, à quel point:

Vous ne sauriez croire comment l’erreur s’est répandue, et de quelle façon chacun s’est endiablé à me croire médecin!

(Méd. m. lui. III. 1.)

Comment, c’est-à-dire, à quel point l’erreur s’est répandue. (Voyez COMME.)

COMMERCE, AVOIR COMMERCE CHEZ QUELQU’UN:

.... Cette marquise agréable chez qui j’avois commerce.

(B. Gent. III. 6.)

COMMETTRE A QUELQU’UN, lui confier:

Ce pauvre maître Albert a beaucoup de mérite
D’avoir depuis Bologne accompagné ce fils,
Qu’à sa discrétion vos soins avoient commis.
(L’Ét. IV. 3.)
Allons, sans crainte aucune,
A la foi d’un amant commettre ma fortune.
(Éc. des mar. III. 1.)
«Un voleur se hasarde
«D’enlever le dépôt commis aux soins du garde.»
(La Font. La Matrone d’Éphèse.)

COMMETTRE QUELQU’UN A UN SOIN:

Je vous commets au soin de nettoyer partout.

(L’Av. III. 1.)
Allons commettre un autre au soin que l’on me donne.
(Fem. sav. I. 5.)

Le substantif commis n’est autre chose que le participe passé de ce verbe, et se construit de même avec le datif: un commis aux aides, commis à la douane.

COMMETTRE (SE) DE.... se confier relativement à:

Agnès, dit Horace,

N’a plus voulu songer à retourner chez soi,
Et de tout son destin s’est commise à ma foi.
(Éc. des fem. V. 2.)

De est ici le de latin.

COMPAGNONS, pour confrères:

LE NOTAIRE.
Moi! si j’allois, madame, accorder vos demandes,
Je me ferois siffler de tous mes compagnons.
(Fem. sav. V. 3.)

COMPAS; RÉGLÉ PAR COMPAS:

Si le chef n’est pas bien d’accord avec la tête,
Que tout ne soit pas bien réglé par ses compas.
(Dép. am. IV. 2.)

COMPASSER, verbe actif, mesurer au compas, c’est-à-dire, examiner à la rigueur:

Et quant à moi je trouve, ayant tout compassé,
Qu’il vaut mieux être encor cocu que trépassé.
(Sgan. 11.)

COMPATIR AVEC, être compatible avec:

L’engagement ne compatit point avec mon humeur.

(D. Juan. III. 6.)

COMPÉTITER:

GROS-RENÉ.
On voit une tempête, en forme de bourrasque,
Qui veut compétiter par de certains... propos...
(Dép. am. IV. 2.)

Furetière et Trévoux ne donnent que compétiteur. Il y a grande apparence que compétiter est forgé par Gros-René d’après ce substantif. On dit, en termes de droit, compéter, mais dans une autre acception que compétiter.

COMPLAISANT A....:

.... Vos désirs lui seront complaisants
Jusques à lui laisser et mouches et rubans?
(Éc. des mar. I. 2.)

Mais, au moins, sois complaisante aux civilités qu’on te rend.

(Pr. d’Él. II. 4.)

COMPLEXION; ÊTRE DE COMPLEXION AMOUREUSE...:

Ah, ah! vous êtes donc de complexion amoureuse?

(Pourc. II. 4.)

COMPLIMENT; ÊTRE SANS COMPLIMENT, sans façon:

Non, m’a-t-il répondu, je suis sans compliment,
Et j’y vais pour causer avec toi seulement.
(Fâcheux. I. 1.)

—Devoir à quelqu’un un compliment de quelque chose, c’est-à-dire, la politesse de lui en donner avis:

On vous en devoit bien au moins un compliment.
(Fem. sav. IV. 1.)

COMPOSER (SE) PAR ÉTUDE:

Là, tâchez de vous composer par étude; un peu de hardiesse, et songez à répondre résolument sur tout ce qu’il pourra vous dire.

(Scapin. I. 4.)

CONCERT DE MUSIQUE:

Il faut qu’une personne comme vous... ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.

(B. gent. II. 1.)

M. Auger blâme cette expression, comme redondante. Il est vrai qu’aujourd’hui l’on a restreint le mot concert à signifier concert de musique, mais ce n’est pas l’acception essentielle du mot; la preuve en est qu’on dit également bien un concert de louanges, un concert d’intrigues. Concerter ne s’applique pas exclusivement à la musique, et déconcerter ne s’y applique pas du tout.

Tout le XVIIe siècle a dit concert de musique.

CONCERTÉ, en parlant d’un seul, par exemple, du ciel:

Une aventure, par le ciel concertée, me fit voir la charmante Élise.

(L’Av. V. 5.)

Concertée veut dire simplement ici préparée.

CONCLURE DE, suivi d’un infinitif:

Et nous conclûmes tous d’attacher nos efforts
Sur un cerf que chacun nous disoit cerf dix cors.
(Fâcheux. II. 7.)

(Voyez DE remplaçant à entre deux verbes.)

CONCURRENCE; BONHEUR QUI EST EN CONCURRENCE:

Grâce à Dieu, mon bonheur n’est plus en concurrence.
(Éc. des fem. V. 38.)

En effet, l’amour d’Horace n’a plus à craindre de concurrent, puisque Agnès s’est enfuie du logis d’Arnolphe, pour se mettre sous sa protection.

CONDAMNER D’UN CRIME, c’est-à-dire, pour un crime, à cause d’un crime; latinisme, damnare de...:

Ne me condamnez point d’un deuil hors de saison.
(Sgan. 10.)
Je veux que vous puissiez un peu l’examiner,
Et voir si de mon choix l’on peut me condamner.
(Éc. des fem. I. 1.)
L’erreur trop longtemps dure,
Et c’est trop condamner ma bouche d’imposture.
(Tart. II. 3)
C’est trop me pousser là-dessus,
Et d’infidélité me voir trop condamnée.
(Amph. II. 2.)
Loin de te condamner d’un si perfide trait,
Tu m’en fais éclater la joie en ton visage.
(Ibid. II. 3.)

Pascal a dit de même blâmer de:

«Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix, car vous n’en savez rien.»

(Pensées. p. 262.)

(Voyez DE dans tous les sens du latin de.)

CONDITIONNELS: deux conditionnels, le second commandé par le premier:

Pour moi, j’aurois toutes les hontes du monde, s’il falloit qu’on vînt à me demander si j’aurois vu quelque chose de nouveau que je n’aurois pas vu.

(Préc. rid. 10.)

Nous dirions aujourd’hui, si j’ai vu; mais on suivait alors pour les conditionnels une certaine loi de symétrie qui s’appliquait aussi aux futurs. (Voyez FUTURS.)

S’il falloit qu’il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirois hautement que tu en aurois menti.

(D. Juan. I. 1.)

Je leur disois que si quelqu’un leur venoit dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent pas de lui dire qu’il en auroit menti.

(Ibid. II. 7.)

Je croirois que la conquête d’un tel cœur ne seroit pas une victoire à dédaigner.

(Pr. d’Él. IV. 3.)

Si je n’étois sûre que ma mère étoit honnête femme, je dirois que ce seroit quelque petit frère qu’elle m’auroit donné depuis le trépas de mon père.

(Mal. im. III. 8.)

L’usage actuel mettrait: Je dirais que c’est quelque petit frère qu’elle m’a donné, etc.

La Fortune dit à l’enfant qu’elle trouve endormi sur le rebord d’un puits:

«Sus, badin, levez-vous. Si vous tombiez dedans,
«De douleur, vos parents, comme vous imprudents,
«Croyant en leur esprit que de tout je dispose,
«Diroient, en me blâmant, que j’en serois la cause.»
(Regnier. sat. XIV.)

Cette symétrie, empruntée du latin, était, dans l’ancienne langue, une règle inflexible. Guillemette dit à Patelin, son mari, dans la scène de la folie feinte:

«Par ceste pecheresse lasse,
«Si j’eusse aide, je vous liasse[46]

Si adjutorium haberem, te ligarem.

Et Patelin, moqué par Aignelet:

«Par saint Jaques, se je trouvasse
«Un bon sergent, te feisse prendre.»
(Pathelin.)

Pascal ne manque jamais à cette loi:

«Si vous ne m’aviez dit que c’est le père le Moine qui est l’auteur de cette peinture, j’aurois dit que c’eût été quelque impie qui l’auroit faite, à dessein de tourner les saints en ridicule.»

(9e Provinciale.)

«S’il s’en trouvoit qui crussent que j’aurois blessé la charité que je vous dois en décriant votre morale...»

(11e Prov.)

CONDITIONNEL construit avec un indicatif:

Si je me dispense ici de m’étendre sur les belles et glorieuses vérités qu’on pourroit dire d’elle, c’est par la juste appréhension que ces grandes idées ne fissent éclater encore davantage la bassesse de mon offrande.

(Ép. dédic. de l’École des maris.)

Racine a dit de même, dans Andromaque:

«On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère.»

Sur quoi d’Olivet élève une chicane grammaticale aussi pédante qu’elle est injuste. Rien n’est plus logique, ni plus irréprochable que cette alliance de temps, puisqu’il existe entre les deux l’ellipse bien claire d’une condition:—on craint (si l’on me laissait mon fils) qu’il n’essuyât un jour, etc......—Je me dispense de cet éloge, de peur que (si je l’essayais) le contraste des idées ne fît ressortir la bassesse de mon offrande.

De peur qu’elle revînt, fermons à clef la porte.
(Éc. des mar. III. 2.)

De peur que (si je laissais la porte ouverte) elle ne revînt.

(Voyez Subjonctif.)

CONDUITE, direction:

Et nous verrons ensuite
Si je dois de vos feux reprendre la conduite.
(L’Ét. III. 5.)

CONDUITE, celui qui conduit, comme sentinelle, garde, celui qui fait sentinelle, celui qui garde:

A vous mettre en lieu sûr je m’offre pour conduite.
(Tart. V. 6.)

CONFIRMER QUELQU’UN A (un infinitif), le fortifier dans la résolution de...:

L’air dont je vous ai vu lui jeter cette pierre
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Me confirme encor mieux à ne pas différer
Les noces, où j’ai dit qu’il vous faut préparer.
(Éc. des fem. III. 1.)

CONFORME, absolument, et en sous-entendant le complément:

Son cœur, qui vous estime, est solide et sincère,
Et ce choix plus conforme étoit mieux votre affaire.
(Mis. I. 1.)

Philinte veut dire que le caractère d’Éliante se rapproche du caractère d’Alceste, et qu’ainsi Alceste, choisissant Éliante au lieu de Célimène, eût fait un choix plus conforme à ses goûts et à ses principes.

Cette absence du complément paraît rendre l’expression trop vague, et laisser la pensée incertaine.

CONGÉ, permission:

Et si dans quelque chose ils vous ont outragé,
Je puis vous assurer que c’est sans mon congé.
(L’Ét. I. 3.)

Nous n’oserons plus trouver rien de bon sans le congé de messieurs les experts.

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)
Et je pense, seigneur, entendre ce langage.
Mais sans votre congé, de peur de trop risquer,
Je n’ose m’enhardir jusques à l’expliquer.
(Princ. d’Él. I. 1.)
Je lui donne à présent congé d’être Sosie.
(Amph. III. 10.)

CONGRATULANT, adjectif verbal, comme chatouillant:

Ne vous embarquez nullement
Dans ces douceurs congratulantes.
(Amph. III. 11.)

CONSCIENCE; C’EST UNE CONSCIENCE, c’est-à-dire, un cas de conscience:

C’est une conscience
Que de vous laisser faire une telle alliance.
(Tart. II. 2.)

C’est une conscience de voir une pauvre jeune femme mariée de la façon.

(G. D. III. 12.)

CONSEILLER; (SE) CONSEILLER A QUELQU’UN, prendre le conseil de quelqu’un:

Je me suis même encore aujourd’hui conseillé au ciel pour cela.

(D. Juan. V. 3.)

Mais si je me conseillois à vous pour ce choix?

—Si vous vous conseilliez à moi, je serois fort embarrassé.

(Am. magn. II. 4.)
«Il est droit que je me conseille
(Rutebeuf. Le Testam. de l’asne.)

«Comment Panurge se conseille à Her Trippa.—Comment Panurge se conseille à Pantagruel.»

(Rabelais.)

Sur le fréquent emploi des verbes réfléchis au commencement de la langue, voyez au mot Arrêter.

CONSENTIR, verb. act., CONSENTIR QUELQUE CHOSE:

Mais je mourrai plutôt que de consentir rien.
(D. Garcie. I. 5.)

CONSENTIR QUE, accorder que:

Mais je veux consentir qu’elle soit pour une autre.
(Mis. IV. 3.)

Consentir à ce que rendrait une pensée différente. Alceste ne consent pas à ce que la lettre de Célimène soit pour un autre; il consent, c’est-à-dire, il accorde par hypothèse qu’elle soit pour un autre que lui.

Si consentir que eût été une expression fautive ou seulement insolite, il était facile à Molière de mettre:

Mais je veux accorder qu’elle soit pour un autre.

Pascal, Montaigne et Molière lui-même disent, consentir que pour à ce que:

«Elle (la société de Jésus) consent qu’ils gardent leur opinion, pourvu que la sienne soit libre.»

(Pascal. 1re Prov.)

«Homere a esté contrainct de consentir que Venus feust blecée au combat de Troie.»

(Montaigne. III. 7.)
Je consens qu’une femme ait des clartés de tout.
(Fem. sav. I. 3.)

CONSÉQUENCE; CHOSE DE CONSÉQUENCE:

Je sais bien qu’un bienfait de cette conséquence
Ne sauroit demander trop de reconnoissance.
(Don Garcie. V. 5.)

Que ne me dites-vous que des affaires de la dernière conséquence vous ont obligé à partir sans m’en donner avis?

(D. Juan. I. 3.)

En vérité, monsieur, ce procès m’est d’une conséquence tout à fait grande.

(L’Av. II. 7.)

«Je laisserai beaucoup de petites choses où il fit paroître la vivacité de son esprit.........; elles sont de trop peu de conséquence pour en informer la postérité.»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

«J’ai pensé que le sujet des disputes de Sorbonne étoit........ d’une extrême conséquence pour la religion.»

(Pascal. 1re Prov.)

CONSÉQUENCE (FAIRE OU NE FAIRE POINT DE):

Un homme mort n’est qu’un homme mort, et ne fait point de conséquence.

(Am. méd. II. 3.)

Ne produit pas de suites.

HOMME DE CONSÉQUENCE:

Prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect avec un homme de ma conséquence.

(Méd. m. lui. III. 11.)

CONSIDÉRABLE, digne d’être considéré, en parlant des personnes et des choses:

Comme je sais que vous êtes une personne considérable, je voudrois vous prier.....

(Sicilien. 8.)
Je vous tiens préférable
A tout ce que j’y vois de plus considérable.
(Mis. I. 2.)

Ah! mon père, le bien n’est pas considérable lorsqu’il est question d’épouser une honnête personne.

(L’Av. I. 5.)

Le bien n’est pas à considérer.

La noblesse, de soi, est bonne; c’est une chose considérable assurément.

(George D. I. 1.)

CONSIDÉRABLE A QUELQU’UN:

Mais si jamais mon bien te fut considérable,
Répare mon malheur, et me sois secourable.
(L’Ét. II. 7.)

Monsieur, votre vertu m’est tout à fait considérable.

(Méd. m. l. III. 11.)

«Ces raisons ont..... rendu leur condition (des hommes) si considérable à l’Eglise, qu’elle a toujours puni l’homicide qui les détruit....»

(Pascal. 1re Prov.)

CONSIDÉRATION; A LA CONSIDÉRATION DE, c’est-à-dire, en considération de:

Je vous donne ma parole, don Pèdre, qu’à votre considération, je vais la traiter du mieux qu’il me sera possible.

(Sicilien. 19.)

CONSOLATIF:

Je suis homme consolatif, homme à m’intéresser aux affaires des jeunes gens.

(Scapin. I. 2.)

Pascal a dit consolatif à..... et consolatif pour....:

«Discours bien consolatif à ceux qui ont assez de liberté d’esprit..., etc.»—«Un beau mot de saint Augustin est bien consolatif pour de certaines personnes.»

(Pensées. p. 51, 310 et 359.)

Consolatif paraît formé de consoler, aussi légitimement que récréatif de récréer, portatif de porter, etc.

CONSOMMER, consumer:

Et, quoi que l’on reproche au feu qui vous consomme.
(Dép. am. III. 9.)

SE CONSOMMER DANS QUELQUE CHOSE:

La vertu fait ses soins, et son cœur s’y consomme
Jusques à s’offenser des seuls regards d’un homme.
(Éc. des m. II. 4.)

On dit encore, au participe, il est consommé dans son art; on disait autrefois se consommer dans un art, dans une science, dans la pratique de la vertu, etc., etc.

Puisqu’en raisonnements votre esprit se consomme.
(Éc. des fem. V. 4.)
Dans l’amour du prochain sa vertu se consomme.
(Tart. V. 5.)

C’est-à-dire éclate au plus haut degré.

Qui se donne à la cour se dérobe à son art;
Un esprit partagé rarement s’y consomme,
Et les emplois de feu demandent tout un homme.
(La Gloire du Val de Grâce.)

La confusion entre consommer et consumer a été signalée par Vaugelas comme une faute, à la vérité commune chez de bons écrivains, mais enfin comme une faute.

Ménage, sans en donner une bonne raison, n’a pas voulu se rendre à la décision de Vaugelas; mais l’Académie l’a adoptée, et le sens des racines commanderait en effet la distinction, si consommer venait de summa, et consumer de sumere. Je n’en crois rien: consumere est la seule racine des deux formes. L’usage de prononcer le um latin par on (voyez Matrimonion) a conduit tout d’abord à traduire consumere par consommer.

«Ceste qualité estouffe et consomme les aultres qualités vrayes et essentielles.»

(Montaigne. III. 7.)

Alors la forme consumer n’existait pas; consommer était seul; car il faut toujours se rappeler que notre langue a été soumise à deux systèmes de formation très-différents. Consommer est le mot de première époque, et consumer le mot de seconde époque. L’archaïsme luttait encore du temps de Molière.

CONSTAMMENT, avec constance:

Instruire ainsi les gens
A porter constamment de pareils accidents.
(Fem. sav. V. 1.)

CONSTITUER A, c’est-à-dire, préposer à....:

Je vous constitue pendant le souper au gouvernement des bouteilles.

(L’Av. III. 1.)

CONSTRUCTIONS IRRÉGULIÈRES:

Du meilleur de mon cœur je donnerois sur l’heure
Les vingt plus beaux louis de ce qui me demeure,
Et pouvoir à plaisir sur ce mufle asséner
Le plus grand coup de poing qui se puisse donner!
(Tart. V. 4.)

La passion légitime qui trouble Orgon excuse le dérangement grammatical de sa phrase. On le comprend d’ailleurs très-bien. C’est comme s’il disait: Je voudrois donner... et pouvoir, etc...

C’est bien la moindre chose que je vous doive, après m’avoir sauvé la vie.

(D. Juan. III. 4.)

Après que vous m’avez sauvé la vie;—mais l’autre façon est incomparablement plus rapide.

.... Qui pourra montrer une marque certaine
D’avoir meilleure part au cœur de Célimène,
L’autre ici fera place au vainqueur prétendu,
Et le délivrera d’un rival assidu.
(Mis. III. 1.)

C’est-à-dire: Si l’un de nous peut montrer..., l’autre lui fera place.

Aussi ne trouverois-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche avoit parlé sans feinte;
Et, rejetant mes vœux dès le premier abord,
Mon cœur n’auroit eu droit de s’en plaindre qu’au sort.
(Mis. IV. 3.)

J’oserais blâmer cette construction, à cause de l’ambiguïté. Rejetant mes vœux se rapporte à votre bouche; la construction grammaticale semble le rapporter à mon cœur, qui est le sujet de ce second membre de phrase.

C’est prendre peu de part à mes cuisants soucis,
Que de rire, et me voir en l’état où je suis.
(Dép. am. IV. 1.)

Dans l’ordre naturel, l’action de voir a précédé celle de rire. Virgile a dit pareillement:

Moriamur, in arma ruamus.

Si l’on commençait par mourir, il ne serait plus temps ensuite de se jeter au milieu des ennemis. Les grammairiens, habiles à couvrir de beaux noms les fautes échappées aux grands poëtes, ont trouvé pour celle-là le terme imposant d’hystérologie, c’est-à-dire renversement de l’ordre, qui met devant ce qui devait être derrière. La faute de Virgile, en bonne foi, n’est pas justifiable; celle de Molière le serait peut-être davantage, en ce qu’on peut dire que l’action de rire et celle de voir sont simultanées.

(Voyez PARTICIPE PRÉSENT.)

CONSULTER, absolument et sans régime, comme délibérer:

Le jour s’en va paroître, et je vais consulter
Comment dans ce malheur je dois me comporter.
(Éc. des fem. V. 1.)
Ah! faut-il consulter dans un affront si rude!
(Amph. III. 3.)

Laissez-moi consulter un peu si je le puis faire en conscience.

(Pourc. II. 4.)

CONSULTER, verb. act.: consulter quelque chose: une maladie, un procès, c’est-à-dire, délibérer là-dessus:

Si Lélie a pour lui l’amour et sa puissance,
Andrès pour son partage a la reconnoissance,
Qui ne souffrira point que mes pensers secrets
Consultent jamais rien contre ses intérêts.
(L’Ét. V. 12.)
Il me semble
Que l’on doit commencer par consulter ensemble
Les choses qu’on peut faire en cet événement.
(Tart. V. 1.)

J’ai ici un ancien de mes amis, avec qui je serai bien aise de consulter sa maladie.

(Pourc. I. 9.)

Voici un habile homme, mon confrère, avec lequel je vais consulter la manière dont nous vous traiterons.

(Ibid. I. 11.)

Je vous prie de me mener chez quelque avocat, pour consulter mon affaire.

(Ibid. II. sc. 12.)

CONTE; DONNER D’UN CONTE PAR LE NEZ. Voy. NEZ.

CONTENTÉ DE (ÊTRE), être payé, récompensé de:

Vous serez pleinement contentés de vos soins.
(Éc. des mar. III. 5.)

CONTENTEMENT, construit avec le verbe être:

Elle dit que ce n’est pas contentement pour elle que d’avoir cinquante-six ans.

(L’Av. II. 7.)
«Mais vivre sans plaider, est-ce contentement
(Les Plaid. I. 7.)

Ce n’est pas contentement pour l’injure que j’ai reçue.

(Méd. m. l. I. 4.)

Ce n’est pas satisfaction pour l’injure que j’ai reçue.

CONTESTE:

La maison à présent, comme savez de reste,
Au bon monsieur Tartufe appartient sans conteste.
(Tart. V. 4.)

Conteste est le substantif de contester, dont la forme primitive est contrester (contra stare). Les Italiens disent contrastar, et nous avons formé, à une époque relativement récente, contraste, qui est au fond le même mot que conteste. On a oublié la loi qui changeait l’a des Latins en e français:

«Li marescaus de nostre ost esgarda devant un casal, et pierchut la gent Barile qui venoient huant et glatissant,et menant li grand tempieste, que bien cuidoient contrester à nos fourriers.»

(Villehardhoin, p. 178, éd. de Mr Paris.)

Nicot écrit contr’ester, et cite pour exemple cette phrase:—«Onc n’avoit trouvé homme qui luy peust contr’ester en champ de bataille Guy de Warwich.»

M. B. Lafaye fait cette distinction chimérique:—«Le conteste est une simple difficulté; la contestation en est la manifestation.» (Synon., p. 391). L’un est le mot ancien, et l’autre le moderne: le sens est identique.

CONTRADICTOIRE A:

Ho, ho! qui des deux croire?
Ce discours au premier est fort contradictoire.
(L’Ét. I. 4)

CONTRAIRE PARTI:

... Il se venge hautement en prenant le contraire parti.

(Crit. de L’Éc. des fem. 6.)

Corneille avait dit, dans Cinna:

«Et l’inclination n’a jamais démenti
Le sang qui t’avoit fait du contraire parti
(V. 1.)

La prose de Molière nous montre que la locution était ainsi faite, et non parti contraire.

«Et chacun s’est rangé du contraire parti
(Regnier. sat. 17.)

CONTRARIÉTÉS, taquineries par représailles:

Laissons ces contrariétés,
Et demeurons ce que nous sommes.
(Amph. Prol.)

Il faut noter dans ce mot un exemple de la substitution des liquides l et r. Les racines sont contra et alium; la forme primitive du verbe était contralier.—Dans Partonopeus:

«Ce sont clergastes qui en mesdient (des femmes),
«Qui lor meschines contralient.
«Ils sont vilains, et eles foles.
(V. 5489.)
«Grant pechie fait qui contralie
«Dame qui est d’amors marrie.
(V. 6660.)
«Ahi mon! com ies desdaignouse!
«Ahi! com ies contraliouse!
(V. 5423.)

Nous disons armoire (d’armarium, racine, arma), et nous avons raison; nos aïeux écrivaient almarie, almoire, qu’ils prononçaient par au, aumarie, aumoire. (Voyez les Rois, passim.) C’était l’inverse de la faute que nous commettons en disant contrarier, pour contralier.

CONTREFAISEUR DE GENS:

Point de quartier à ce contrefaiseur de gens.

(Impromptu. 3.)

CONTREFAIT, simulé; UN ZÈLE CONTREFAIT:

.... Attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistiquée.

(1er Placet au Roi.)

CONVULSIONS DE CIVILITÉS:

Et, tandis que tous deux étoient précipités
Dans les convulsions de leurs civilités....
(Fâcheux. I. 1.)

COQUIN ASSURÉ, effronté coquin:

Que me vient donc conter cet assuré coquin?
(Dép. am. III. 8.)

Marot, dans son Épistre au Roi, pour avoir esté desrobé:

«J’avois un jour ung valet de Gascogne,
«Gourmand, yvrogne, et assuré menteur

CORDE: SI LA CORDE NE ROMPT, formule empruntée au métier du danseur de corde:

Nous allons voir beau jeu, si la corde ne rompt.
(L’Ét. III. 10.)

CORRESPONDANCE; DE LA CORRESPONDANCE, du retour:

Quoi! écouter impudemment l’amour d’un damoiseau, et y promettre en même temps de la correspondance!

(G. D. I. 3.)

On dit bien, dans ce sens, correspondre à l’amour de quelqu’un; pourquoi pas correspondance à l’amour?

COTE DE SAINT LOUIS; ÊTRE DE LA CÔTE DE SAINT LOUIS, d’une antique noblesse:

Est-ce que nous sommes, nous autres, de la côte de saint Louis?

(B. gent. III. 12.)

Comme Ève était de la côte d’Adam.

COUCHER DE, mettre au jeu; figurément:

Tu couches d’imposture, et tu m’en as donné.
(L’Ét. I. 10.)

Coucher de signifie être au jeu pour une somme de: «parce qu’en effet on couche, on étend l’argent sur une table, sur une carte..... On le dit figurément des paroles: Ce garçon ne demande pas moins qu’une fille de 100,000 écus; il couche trop gros.—Il ne couche pas moins que de faire employer pour lui toutes les puissances.......»

(Trévoux.)
«Vous couchez d’imposture, et vous osez jurer!»
(Corn. Le Ment.)
«J’aurai mille beaux mots chaque jour à te dire;
«Je coucherai de feux, de sanglots, de martyre
(Id. La suite du Menteur.)

Sur quoi Voltaire remarque qu’on disait, en termes de jeu, couché de 20 pistoles, de 30 pistoles; couché belle.

Les éditions modernes ont tu payes. Ce n’était pas la peine de changer, pour prêter à Molière une faute de versification.

COULEUR, métaphoriquement, faux prétexte, mensonge:

Sous couleur de changer de l’or que l’on doutoit.
(Étourdi. II. 7.)

(Voyez Douter.)

Ils ont l’art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions.

(2me Placet au Roi.)

Molière a dit, par la même métaphore, excuses colorées.

Vous nous payez ici d’excuses colorées.
(Tart. IV. 1.)

«Des peuples surprins soubs couleur d’amitié et de bonne foy.»

(Montaigne. III. 6.)

Cette métaphore est restée en usage parmi le peuple: C’est une couleur; on lui a donné une couleur.

«Au reste, leurs injustices (des Romains) étoient d’autant plus dangereuses, qu’ils savoient mieux les couvrir du prétexte spécieux de l’équité, et qu’ils mettoient sous le joug insensiblement les rois et les nations, sous couleur de les protéger et de les défendre.»

(Bossuet. Hist. univ., IIIe p.)

COULEUR DE FEU, subst. masc.; UN COULEUR DE FEU:

Je vous trouve les lèvres d’un couleur de feu surprenant.

(Impromptu. 3.)

Couleur de feu est ici un terme composé, dans lequel le mot couleur, pas plus que le mot feu, ne fait prédominer son genre. L’ensemble est au neutre, dont, en français, la forme ne se distingue pas de celle du masculin.

COUPER A, couper court à:

Tout cela va le mieux du monde;
Mais enfin coupons aux discours.
(Amph. III. 11.)

COUPER CHEMIN A:

A tous nos démêlés coupons chemin, de grâce.
(Mis. II. 1.)

COURIR A, recourir:

Et je suis en suspens si, pour me l’acquérir,
Aux extrêmes moyens je ne dois point courir.
(L’Ét. III. 2.)

COURAGE, non pas dans le sens restreint de valeur, mais dans le sens large du latin animus, disposition morale qu’une épithète détermine en bien ou en mal:

O la lâche personne!—ô le foible courage!
(Dép. am. IV. 4.)

COURRE; COURRE UN LIÈVRE:

Quand il vous plaira, je vous donnerai le divertissement de courre un lièvre.

(G. D. I. 8.)

C’est la forme primitive dérivée de currere, comme ponre (pondre) de ponere. Il est demeuré comme terme de chasse. Des vocabulaires techniques seraient de précieux répertoires de notre vieille langue.

COURT, pris adverbialement:

Et moi, pour trancher court toute cette dispute....
(Fem. sav. V. 3.)

DEMEURER COURT A QUELQUE CHOSE:

N’as-tu point de honte, toi, de demeurer court à si peu de chose?

(Scapin. I. 2.)

COURT, adjectif; COURT DE, pour à court de....:

Et que tu t’es acquise (la gloire) en tant d’occasions,
A ne t’être jamais vu court d’inventions.
(L’Ét. III. 1.)

Sur l’emploi de à dans ce passage, voyez: A, par le moyen de.

COURT JOINTÉ (court est ici adverbe), terme de manége; cheval court jointé, comme celui du chasseur dans les Fâcheux:

Point d’épaules non plus qu’un lièvre; court jointé.
(Fâcheux. II. 7.)

«Court jointé, c’est le nom qu’on donne au cheval qui a le paturon court, qui a les jambes droites depuis le genou, jusqu’à la couronne.»

(Trévoux.)

COUSU DE PISTOLES:

On viendra me couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles!

(L’Av. I. 5.)

La Fontaine:

«Son voisin, au contraire, étoit tout cousu d’or
(Le Savetier et le Financier.)

COUVRIR, au figuré, excuser, autoriser, dissimuler:

Ciel, faut-il que le rang dont on veut tout couvrir,
De cent sots tous les jours nous oblige à souffrir!
(Fâcheux, I. 6.)

Je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j’ai pour vous, et feindre d’entrer, etc.

(Mal. im. I. 10.)

«Nostre religion est faite pour extirper les vices: elle les couvre, les nourrit, les incite.»

(Montaigne.)

CRACHÉ, TOUT CRACHÉ, c’est-à-dire ressemblant:

Lucas. Le v’là tout craché comme on nous l’a défiguré.

(Méd. m. l. I. 6.)

Cette métaphore, aujourd’hui reléguée parmi le bas peuple, était, au XVIe siècle, du langage ordinaire. Pathelin, qui, comme avocat, s’exprime toujours bien, l’emploie sans difficulté. Il loue le drapier, monsieur Jousseaume, de ressembler à défunt son père:

«Vrayment c’estes vous tout poché.
Car quoy? qui vous auroit craché
Tous deux encontre la paroy
D’une maniere et d’un arroy,
Si seriez vous sans difference.»

Plus loin, faisant à sa femme le récit de cette scène:

«Et puis, fais-je, saincte Marie!
Comment prestoit il doucement
Ses denrées si humblement?
C’estes, fais-je, vous tout craché
(Pathelin.)

Observez que nos pères disaient c’êtes vous, et non c’est vous. Ils gardaient au moins l’accord des personnes, en quoi ils se montrent meilleurs logiciens que leur postérité.

CRAINTE, adverbialement; CRAINTE DE....:

Crainte pourtant de sinistre aventure,
Allons chez nous achever l’entretien.
(Amph. I. 2.)

Pascal emploie de la même façon manque:

«Manque de loisir; manque d’avoir contemplé ces infinis.»

(Pasc. Pensées, p. 367, 120, 124.)

Et l’usage commun a consacré faute de...., c’est-à-dire de ou par crainte, manque, faute.

Le peuple dit peur de.... Le caprice de l’usage n’a point admis cette expression.

CRAYON, un dessin, une esquisse:

Ce n’est ici qu’un simple crayon, un petit impromptu, dont le roi a voulu faire un divertissement.

(Préf. de l’Amour médecin.)

CRÉDIT, PRENDRE CRÉDIT SUR:

Et voir si ce n’est point une vaine chimère
Qui sur ses sens troublés ait su prendre crédit.
(Amph. III. 1.)

CRIER QUELQU’UN, LE GRONDER:

Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries,
Que je gâte en brouillon toutes tes fourberies.
(L’Ét. II. 14)
Pourquoi me criez-vous?—J’ai grand tort, en effet!
(Éc. des fem. V. 4.)

Cet archaïsme rappelle le petit pays où Agnès a été élevée loin de toute pratique, comme dit Arnolphe.

CRIER APRÈS QUELQU’UN:

... de zèles indiscrets qui... crieront en public après eux, qui les accableront d’injures.

(D. Juan. V. 2.)

Ses plus célèbres philosophes (de l’antiquité) ont donné des louanges à la comédie, eux qui.... crioient sans cesse après les vices de leur siècle.

(Préf. de Tartufe.)

CRIER VENGEANCE AU CIEL:

Voilà qui crie vengeance au ciel.

(L’Av. I. 5.)

CRINS-CRINS, de méchants violons, par onomatopée:

Monsieur, ce sont des masques,
Qui portent des crins-crins et des tambours de basques.
(Fâcheux, III. 5.)

CROIRE, actif; CROIRE QUELQUE CHOSE, croire à quelque chose:

Un Turc, un hérétique, qui ne croit ni ciel, ni saint, ni Dieu, ni loup-garou......

(D. Juan. I. 1.)

Mais encore faut-il croire quelque chose dans le monde. Qu’est-ce donc que vous croyez?

(Ibid. II. 1.)

Molière emploie croire quelque chose et croire à quelque chose:

Un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques.

(Mal. im. III. 3.)

CROIRE A QUELQU’UN:

Allez, ne croyez point à monsieur votre père.
(Tart. II. 2.)

A qui croire des deux?

(Am. méd. II. 5.)

Et, au contraire, dans l’Étourdi:

Oh! oh! qui des deux croire?
Ce discours au premier est fort contradictoire.
(L’Ét. I. 4.)

CROIRE DU CRIME A QUELQUE CHOSE:

Un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques, et qui croiroit du crime à les vouloir examiner.

(Mal. im. III. 3.)

Qui croiroit qu’il y a du crime. La forme elliptique de Molière est cent fois préférable.

CUL-DE-COUVENT, comme cul-de-basse-fosse, cul-de-sac, c’est-à-dire sac, fosse, et couvent sans issue par l’extrémité opposée à l’entrée:

Vous rebutez mes vœux et me poussez à bout;
Mais un cul-de-couvent me vengera de tout!
(Éc. des fem. V. 4.)

Voltaire a beaucoup raillé cette expression, cul-de-sac: la métaphore peut manquer de noblesse (quoique, après tout, l’habitude efface le relief de ces locutions), mais elle ne manque pas de justesse, puisque le sac se tient assis sur son fond, et qu’une personne obstinée à traverser une impasse n’en viendrait non plus à bout qu’une obstinée à sortir d’un sac par le fond.

Cul-de-couvent est par analogie. Ce terme énergique est arraché à Arnolphe par la fureur. On voit qu’il est, comme au reste il le dit lui-même, poussé à bout.

CURIOSITÉS au pluriel, dans la même acception qu’au singulier:

Pour les nouveautés
On peut avoir parfois des curiosités.
(Éc. des mar. I. 5.)
La faiblesse humaine est d’avoir
Des curiosités d’apprendre
Ce qu’on ne voudroit pas savoir.
(Amph. II. 3.)

Molière, en ce passage, s’est rencontré avec un poëte du XIIIe siècle, Gibert de Montreuil, qui introduit Gérard de Nevers chantant, dans un couplet:

«Si s’en doit on bien garder
D’enquerre par jalousie
Chou qu’on ne vouroit trouver.»
(La Violette, p. 68.)

D EUPHONIQUE:

Il porte une jaquette à grands basques plissées,
Avec du dor dessus.
(Mis. II. 6.)

Il a du dor à son habit tout depis le haut jusqu’en bas.

(D. Juan. II. 1.)

Dans l’origine du langage, tous les mots étaient armés d’une consonne finale, pour préserver la voyelle précédente du choc et de l’élision contre une voyelle initiale du mot suivant. Quelquefois cette voyelle est demeurée attachée au commencement du mot auquel elle n’appartenait pas. Ainsi le substantif or avait fait le verbe orer, comme argent, argenter; mais, par suite de quelque locution, comme c’est oré, on aura écrit c’est doré, et le mot dorer est resté.

Ma(t) ante (mea amita) est, par la même façon, devenu ma tante. (Voyez au mot D’AUCUNS).

Le d euphonique jouait un grand rôle dans l’ancienne prononciation; on le trouve écrit à chaque page du Livre des Rois, de la Chanson de Roland, des Sermons de saint Bernard, etc.

«Cument Semeï ki maldist nostre seignur le rei escaperad il de mort?»

(Rois, p. 193.)

Nous écrivons aujourd’hui entre deux tirets échappera-t-il; il est certain cependant que ce t final appartient au verbe, dont il caractérise la troisième personne.

«Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents.»

(Mal. imag. II. 7.)

Le d appartient au verbe: il y en ad, comme dans ce vers du Roland:

«En l’oret punt i ad asez reliques.»

«Dans la poignée dorée de Durandal il y a beaucoup de reliques.»

Il serait donc mieux d’imprimer avec dud or..... Il y en ad aucunes.

Mais comme le sens des traditions se perd souvent, on a cru que ce d était l’initiale du second mot, et on l’a si bien cru, que l’usage s’en est établi, et que l’Académie le ratifie en permettant de commencer une phrase par d’aucuns: d’aucuns ont dit, d’aucuns ont pensé..... d’aucuns croiront que j’en suis amoureux..... On voit ici l’origine de cette méprise. C’est justement comme si l’on disait un jour: Mes souliers sont pétroits, sous prétexte qu’on fait sonner le p dans trop étroits.

(Voyez sur le D euphonique: Des Variations du langage français, p. 92 et 339).

D’ABORD QUE:

Je n’en ai point douté d’abord que je l’ai vue.
(Éc. des fem. V. 9.)

DADAIS. Voy. MALITORNE.

DAME! exclamation:

Oh! dame, interrompez-moi donc!...

(D. Juan. III. 1.)

Dame est la traduction primitive de dominum, par syncope domnum, et, par une prononciation altérée, damne, dame, damp. Ce mot s’appliquait au masculin:

«Il est sire et dame du nostre.»
(Barbazan, Fabliaux. III, p. 44.)

Dame Dieu, damp abbé.

«Respond Roland: ne place dame Deu...»
(Ch. de Roland, passim.)

Dam-Martin, damp-Pierre, et autres noms propres, déposent encore du sens et de l’étymologie de dame.

Ainsi, cette exclamation signifie simplement Seigneur!

DANS pour à:

N’allez point pousser les choses dans les dernières violences du pouvoir paternel.

(L’Av. V. 4.)
Ne l’examinons point dans la grande rigueur.
(Mis. I. 1.)

DESCENDRE DANS DES HUMILITÉS:

Non, ne descendez point dans ces humilités.
(Mélicerte. I. 5.)

S’INTÉRESSER DANS QUELQUE CHOSE:

Et dans l’événement mon âme s’intéresse.
(Éc. des fem. III. 4.)

DANS L’ABORD, au commencement, dès l’abord:

Elle m’a dans l’abord servi de bonne sorte.
(Ibid. III. 4.)

DANS LA DOUCEUR, en douceur:

Pour moi, je ne le cèle point, je souhaite fort que les choses aillent dans la douceur.

(D. Juan. V. 3.)

DANS UNE HUMEUR (ÊTRE):

Vous êtes aujourd’hui dans une humeur désobligeante.

(Sicilien. 7.)

ASSASSINER QUELQU’UN DANS SON BIEN, SON HONNEUR:

On m’assassine dans le bien, on m’assassine dans l’honneur.

(L’Av. V. 5.)

COMPRENDRE QUELQU’UN DANS SES CHAGRINS:

Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre.
(Mis. I. 1.)

DATIF, de perte ou de profit:

A qui la bourse?—Ah, dieux, elle m’étoit tombée!

(L’Av. I. 7.)

Exciderat mihi.

Rien ne me peut chasser cette image cruelle.
(Psyché. I. 1.)
Je veux jusqu’au trépas incessamment pleurer
Ce que tout l’univers ne peut me réparer.
(Ibid. II. 1.)

Me chasser, me réparer, pour chasser, réparer à moi, à mon bénéfice, ne sont pas conformes à l’usage et ne paraissent pas désirables, à cause de l’équivoque qui peut en résulter.

Vous ne voulez pas, vous, me la faire sortir?
(Fem. sav. II. 6.)

DEUX PRONOMS AU DATIF placés consécutivement:

Allons, monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui-moi son procès comme larron et comme suborneur.

(L’Av. V. 4.)

DATIF marquant la cause, l’occasion:

Un scrupule me gêne
Aux tendres sentiments que vous me faites voir.
(Amph. I. 3.)

Dans les tendres sentiments, à l’occasion des tendres sentiments.

L’emploi du datif ou de l’ablatif, car c’est tout un, pour exprimer ce qu’on rend aujourd’hui avec la préposition dans, est un latinisme qui remonte à l’origine de la langue. Je me contenterai de deux exemples pris chez Montaigne:

«De toutes les absurdités, la plus absurde aux epicuriens est desadvouer la force et l’effet des sens.»

(Essais. II. ch. 12.)

«C’est à l’adventure quelque sens particulier qui.... advertit les poulets de la qualité hostile qui est au chat contre eux.»

(Ibid. II. ch. 1.)

Absurdum est epicureis;—inest feli. Cette tournure, qui va se perdant chaque jour, était encore en pleine vigueur du temps de Molière. (Voyez AU, AUX, pour dans).

DATIF REDOUBLÉ, ou non redoublé:

Non redoublé:

Il vient avec mon père achever ma ruine,
Et c’est sa fille unique à qui l’on me destine.
(Éc. des fem. V. 6.)

Redoublé:

Que de son cuisinier il s’est fait un mérite,
Et que c’est à sa table à qui l’on rend visite.
(Mis. III.)

(Voyez A, datif redoublé surabondamment.)

DAUBER QUELQU’UN, QUELQUE CHOSE, au figuré:

Je les dauberai tant en toutes rencontres, qu’à la fin ils se rendront sages.

(Crit. de L’Éc. des fem. 6.)

On m’a dit qu’on va le dauber, lui et toutes ses comédies, de la belle manière.

(Impromptu. 3.)
«Daube au coucher du roi
Son camarade absent.»
(La Font. Les Obsèques de la lionne.)

DAUBER SUR QUELQU’UN:

Comme sur les maris accusés de souffrance
Votre langue en tout temps a daubé d’importance.
(Éc. des fem. I. 1.)

D’AUCUNS, D’AUCUNES:

Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents.

(Mal. im. II. 7.)

Cette façon de parler n’est explicable que comme un reste de l’ancien langage français, et par le d euphonique. L’écriture a mal figuré l’expression en attachant le d à aucuns; c’est au verbe qu’il appartient: il y en ad aucunes.

Ensuite de cette méprise, dont l’œil seulement, et non l’oreille, pouvait s’apercevoir, s’est établi l’usage de commencer une phrase par d’aucuns: d’aucuns ont pensé...

(Voyez D euphonique, et DE devant certains.)

DAVANTAGE QUE:

Oui, vous ne pourriez pas lui dire davantage
Que ce que je lui dis pour le faire être sage.
(L’Ét. I. 9.)

Jacqueline. Pour un quarquié de vaigne qu’il avoit davantage que le jeune Robin.

(Méd. m. lui. II. 2.)

Il n’y a rien assurément qui chatouille davantage que les approbations que vous dites.

(B. gent. I. 1.)

Tous les grammairiens condamnent hautement cette façon de parler; et tous nos plus habiles écrivains l’ont employée: Amyot, la Bruyère, Sarrasin, Molière, Bouhours, Bossuet, J. J. Rousseau. (Des variations du langage français, p. 425.)

Le substantif avantage se construit avec sur. Davantage (de ou par avantage) marque une comparaison, et se construit comme plus, avec la marque du comparatif que. L’idée de l’adjectif au comparatif prévaut sur la forme du substantif.

Dire, comme font les grammairiens, que davantage est adverbe, par conséquent incapable d’un régime, c’est ne rien dire; c’est mettre en fait le point en question. Au reste, deux autorités sont en présence, on n’a qu’à choisir.

«La foiblesse de l’homme paroît bien davantage en ceux qui ne la connoissent pas qu’en ceux qui la connoissent.»

(Pascal. Pensées.)

«Il est impossible que cette surprise ne fasse rire, parce que rien n’y porte davantage qu’une disproportion surprenante entre ce qu’on attend et ce qu’on voit.»

(Id. 11e Prov.)

«Je puis dire devant Dieu qu’il n’y a rien que je déteste davantage que de blesser la vérité.»

(Pascal, Ibidem.)

«L’une en prisant davantage le temporel que le spirituel.»

(Id. 12e Prov.)

«Voulez-vous être rare? Rendez service à ceux qui dépendent de vous. Vous le serez davantage par cette conduite que par ne pas vous laisser voir.»

(La Bruyère. Des biens de la fortune.)

«Quel astre brille davantage dans le firmament que le prince de Condé n’a fait en Europe?»

(Bossuet.)

«Une tuile qui tombe d’un toit peut nous blesser davantage, mais ne nous navre pas tant que une pierre lancée à dessein par une main malveillante.»

(J. J. Rousseau. 8e Promenade.)

Mais voici l’oracle qui abat toutes autorités:

«Davantage NE PEUT PAS être suivi d’un complément, comme dans: J’aime davantage la campagne que la ville. Il faut, dans ce cas, employer l’adverbe plus

(M. Boniface.)

Il faut, paraît bien dur en présence de telles autorités!

DE, dans tous les sens du latin de, touchant, par, à cause de, pour:

Ne me condamnez point d’un deuil hors de saison.
(Sgan. 16.)

Noli damnare me de luctu.

Il me faudroit des journées entières pour me bien expliquer à vous de tout ce que je sens.

(G. D. III. 5.)
Mais je hais vos messieurs de leurs honteux délais.
(Amph. III. 8.)

Ce sont particulièrement ces dernières pour qui je suis, et dont je sens fort bien que je ne pourrai me taire quelque jour.

(Ép. dédic. de l’Éc. des fem.)
«Romains, j’aime la gloire, et ne veux point m’en taire
(Voltaire. Rome sauvée.)

Silere de aliqua re.

Molière dit de même;—se découvrir de quelque chose;—désavouer de quelque chose;—éluder de... (Voyez ces mots.)

Hélas! si l’on n’aimoit pas,
Que seroit-ce de la vie?
(Pourc. III. 10.)

Quid esset de vita?

«J’ai veu un gentilhomme de bonne maison aveugle nay, au moins aveugle de tel aage qu’il ne sçait que c’est de veue

(Montaigne. II. ch. 12.)
Mille gens le sont bien[47], sans vous faire bravade,
Qui de mine, de cœur, de biens et de maison,
Ne feroient avec vous nulle comparaison.
(Éc. des fem. IV. 8.)

De n’est pas ici marque du génitif: comparaison de mine, de cœur, etc.; c’est le latin de, comme dans ces formules de moi, de soi, pour quant à moi, quant à soi; et dans celles-ci, de l’Allemagne;—de la prière;—de la grâce;—de l’amitié. Comparaison quant à la mine, au cœur, etc.

Le même emploi de de paraît dans cet autre passage: Agnès, dit Horace,

N’a plus voulu songer à retourner chez soi,
Et de tout son destin s’est commise à ma foi.
(Éc. des fem. IV. 8.)

C’est un pur latinisme:—Confidere alicui de aliqua re.—Et ce latinisme remonte à l’origine de la langue:

«E tut li poples oïd cume li Reis fist sun cumandement de Absalon.»

(Rois, p. 186.)

De remplit encore l’office du de latin dans cette locution de rien; cela ne sert de rien:

.... se dépouiller de l’un et de l’autre (sa fille et sa fortune) entre les mains d’un homme qui ne nous touche de rien.

(Amour méd. I. 5.)

C’est-à-dire en rien; de (nulla) re; de nihilo, nullatenus.

DE exprimant la cause, la manière, et répondant à par, avec, pour:

Mais suis-je pas bien fou, de vouloir raisonner
Où, de droit absolu, j’ai pouvoir d’ordonner?
(Sgan. I.)

Après quelques paroles dont je tâchai d’adoucir la douleur de cette charmante affligée.

(Scapin. I. 2.)
C’est une dame
Qui de quelque espérance avoit flatté mon âme.
(Mis. I. 2.)

Nous faisons maintenant la médecine d’une façon toute nouvelle.

(Méd. m. lui. II. 6.)
Et tâchons d’ébranler, de force ou d’industrie,
Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés.
(Tart. IV. 2.)

On dit tous les jours, par la même tournure, de gré ou de force; c’est-à-dire, par gré ou par force.

Vous les voulez traiter d’un semblable langage?
(Tart. I. 6.)
Et, traitant de mépris les sens et la matière,
A l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière.
(Fem. sav. I. 1.)
Et traitent du même air l’honnête homme et le fat.
(Mis. I. 1.)

Avec mépris, avec le même air, le même langage.

Je ne vois pas d’autre explication possible à cette locution, traiter du haut en bas, qu’en traduisant du par avec: avec le haut en bas, en mettant en bas ce qui est en haut; c’est-à-dire, en renversant, bouleversant cette personne, en lui mettant la tête aux pieds.

Quel sort ont nos yeux en partage,
Et qu’est-ce qu’ils ont fait aux dieux,
De ne jouir d’aucun hommage....
(Psyché. I. 1.)

Pour s’emploie plus communément à cet usage: Qu’ont-ils fait pour ne jouir d’aucun hommage?

DE, entre deux verbes, le second à l’infinitif:

Je croyois tout perdu de crier de la sorte.
(Sgan. 3.)
Et je le donnerois à bien d’autres qu’à moi,
De se voir sans chagrin au point où je me voi.
(Ibid. 16.)
Ah! voilà qui me plaît de parler de la sorte!
(Ibid. 18.)
Ai-je fait quelque mal de coucher avec vous?
(Amph. II. 2.)
Il n’est aucune horreur que mon forfait ne passe
D’avoir offensé vos beaux yeux.
(Ibid. II. 6.)

Dans ce dernier passage, on pourrait peut-être construire de avec forfait: le forfait d’avoir offensé vos beaux yeux.

Ils se mêlent de trop d’affaires,
De prétendre tenir nos chastes feux gênés.
(Amph. II. 3)

Est-ce pour rire, ou si tous deux vous extravaguez, de vouloir que je sois médecin?

(Méd. m. lui. I. 6.)

DE, entre deux substantifs, où il ne marque pas le génitif du second, mais en fait la qualification du premier:

Réglez-vous, regardez l’honnête homme de père
Que vous avez du ciel.
(L’Ét. I. 9.)

D’Olivet essaye d’expliquer le tour par un latinisme, parce que Plaute a dit: Scelus viri, monstrum mulieris.

Vaugelas trouve ce de «bien étrange, mais bien françois.»

«Et puis, à l’aide d’une échelle
«Qu’un maraud de valet lui tint.»
(Vergier. Le Rossignol.)
«Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras.»
(La Font. Fables. VII. 16.)

DE, représentant que le:

C’est un étrange fait du soin que vous prenez
A me venir toujours jeter mon âge au nez.
(Éc. des mar. I. 1.)
Chose étrange d’aimer!
(Éc. des fem. V. 4.)

Chose étrange que le soin... que l’aimer! l’infinitif pris substantivement.

Chose étrange de voir comme avec passion
Un chacun est coiffé de son opinion!
(Éc. des fem. I. 1.)

La construction grammaticale est: la chose d’aimer,... la chose de voir,... le fait du soin... est étrange. Les infinitifs voir, aimer, sont ici de véritables substantifs; et cette façon d’employer de rentre dans l’article précédent, où l’on voit de entre deux substantifs, servant à qualifier le premier par le second.

(Voyez DU.)

DE, remplaçant à entre deux verbes:

La crainte fait en moi l’office du zèle..., et me réduit d’applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste.

(D. J. I. 1.)
Ah! je vous apprendrai de me traiter ainsi!
(Amph. III. 4.)

Molière prend cette tournure pour fuir l’hiatus: me réduit à applaudir.—Je vous apprendrai à... Il dit de même commencer de... obliger de... chercher de. (Voyez ces mots.)

Une galère turque où on les avoit invités d’entrer.

(Scapin. III. 3.)

Cet amas d’actions indignes dont on a peine d’adoucir le mauvais visage.

(D. J. IV. 6.)

Peine à adoucir serait insupportable.

«Il exhorta le poëte de ne plus faire de vers la nuit.»

(Scarron. Rom. com., 1re part., ch. 12.)

Le XVIIe siècle employait sans difficulté de pour à, comme aussi devant pour avant.

Voyez CHERCHER DE,—COMMENCER DE,—CONCLURE DE,—FEINDRE DE et FEINDRE A.

DE, et non des, devant un adjectif que l’on traite aujourd’hui comme incorporé au substantif:

Et dans tous ses propos
On voit qu’il se travaille à dire de bons mots.
(Mis. II. 5.)

On dirait aujourd’hui, sans scrupule, des bons mots.—Bon mot n’étant considéré que pour un substantif, comme jeune homme.

DE, entre deux substantifs, marquant le sens actif du premier sur le second:

Chez les Latins, amor patris signifiait aussi bien la tendresse du père au fils que celle du fils au père; c’était au reste de la phrase à déterminer l’acception active ou passive. Molière a dit de même, la contrainte des parents, pour exprimer, non la contrainte qu’ils subissent, mais celle qu’ils imposent:

Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents.

(Mal. im. II. 7.)

(Voyez aux mots CHOIX, CHOSE, HYMEN.)

DE; supprimé après aimer mieux.... suivi d’un infinitif:

Et j’ai bien mieux aimé me voir aux mains d’un autre,
Que ne pas mériter un cœur comme le vôtre.
(Éc. des mar. III. 10.)
J’aimerois mieux mourir que la voir abusée.
(Éc. des fem. V. 2)

—Après à moins que, suivi d’un infinitif:

Et l’on ne doit jamais souffrir, sans dire un mot,
De semblables affronts, à moins qu’être un vrai sot.
(Sgan. 17.)

—Après avant que, suivi d’un infinitif:

Laisse-m’en rire encore avant que te le dire.
(L’Ét. II. 13.)
Mais avant que passer, Frosine, à ce discours....
(Dép. am. II. 1.)
J’ai voulu qu’il sortît avant que vous parler.
(Fâcheux. III. 3.)
Avant que nous lier, il faut nous mieux connoître.
(Mis. I. 2.)
Pour la forme, il faudra, s’il vous plaît, qu’on m’apporte,
Avant que se coucher, les clefs de votre porte.
(Tart. V. 4.)

—Après plutôt que, suivi d’un infinitif:

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Que son cœur tout à moi d’un tel projet s’offense,
Qu’elle mourroit plutôt qu’en souffrir l’insolence.
(Éc. des mar. II. 13.)

Cela paraît une concession à la mesure, car ailleurs Molière exprime le de:

Sinon faites état de m’arracher le jour,
Plutôt que de m’ôter l’objet de mon amour.
(Éc. des mar. III. 8.)

—Après valoir mieux que, suivi d’un infinitif:

Il vaut mieux, quand on craint ces malheurs éclatants,
En mourir tout d’un coup que traîner si longtemps.
(Mélicerte. II. 5.)

—Après quelque chose:

Je crains fort pour mon fait quelque chose approchant.
(Amph. II. 1.)

—Dans cette locution, rien de tel:

Il n’est rien tel en ce monde que de se contenter.

(D. J. I. 2.)

«Il n’est rien tel que les jésuites.»

(Pascal. 3e Prov.)

—Après vous plaît-il, suivi d’un infinitif:

Vous plaît-il, don Juan, nous éclaircir ces beaux mystères.

(D. J. I. 3.)

DE, surabondant, après valoir mieux:

Il leur vaudroit bien mieux, les pauvres animaux, de travailler beaucoup et de manger de même.

(L’Av. III. 5.)

Il vaut bien mieux pour vous de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien.

(Ibid. III. 8.)

Il me vaudroit bien mieux d’être au diable que d’être à lui.

(D. J. I. 1.)

Après prétendre:

C’est en vain que tu prétendrois de me le déguiser.

(Ibid. V. 3.)

—Surabondant avec dont et en:

Ce n’est pas de ces sortes de respects dont je vous parle.

(G. D. II. 3.)

Ce n’est pas de vous, madame, dont il est amoureux.

(Am. magn. II. 3.)
Mais de vous, cher compère, il en est autrement!
(Éc. des fem. I. 1.)

(Voyez A répété surabondamment.)

—Devant besoin; IL EST DE BESOIN:

MARTINE.
Laissez-moi: j’aurai soin
De vous encourager, s’il en est de besoin.
(Fem. sav. V. 2.)

—Devant certains:

Il y a de certains impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu’ils ne sont pas.

(Méd. m. lui. II. 9.)

—Devant aucuns:

Il y en a d’aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents.

(Mal. im. II. 7.)

(Voyez D euphonique.)

—Devant coutume dans cette locution, avoir de coutume:

... Pour vous ôter l’envie de nous faire courir toutes les nuits, comme vous aviez de coutume.

(Scapin. II. 5.)

—Après à quoi bon, suivi d’un infinitif:

Ah j’enrage!—A quoi bon de te cacher de moi?
(Fâch. III. 4.)

A quoi bon de dissimuler?

(Le Sicilien. 7.)

, particule inséparable en composition:

Et l’on me désosie enfin,
Comme on vous désamphitryonne.
(Amph. III. 8.)

De avait en latin la même valeur, et Lucile, par le même procédé que Molière, avait forgé deargenture, depeculare et depoculare, voler de l’argent, des coupes:

«Depeculassere[48] aliqua, sperans me ac deargentassere.»

(Lucil. ap Non. 2. 218.)

«Me impune irrisum depeculatumque eis.»

(Plaut. Epidic. IV. 1. 18.)

(Voyez DÉSATTRISTER, DÉSENAMOURER, DÉSUISSER.)

DÉ, TENIR LE DÉ, par métaphore empruntée au jeu, où le dé passe de main en main:

A vous le dé, monsieur.
(Mis. V. 4.)

TENIR LE DÉ A (un infinitif):

Car madame à jaser tient le dé tout le jour.
(Tart. I. 1.)

DÉBATTU, pour contesté:

Ce titre par aucun ne leur est débattu.
(Tartufe. I. 6.)

DE BOUT EN BOUT, d’un bout à l’autre, complétement:

Vous saurez tout cela tantôt de bout en bout.
(Mélicerte. II. 7.)

DÉBUTER A QUELQU’UN, avec quelqu’un:

Par où lui débuter?
(Dép. am. III. 4.)

Par où lui débuter, signifie que lui dire d’abord. Lui est donc aussi recevable dans une locution que dans l’autre; il n’y a que la différence de l’usage.

DE CE QUE, dans le sens de parce que:

Ce n’est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que de ce qu’il est fâcheux à un gentilhomme d’être pendu.

(Pourc. III. 2.)

DÉCHANTER; FAIRE DÉCHANTER; métaphoriquement troubler, déranger dans ses entreprises:

Tu vois qu’à chaque instant il te fait déchanter.
(L’Ét. III. 1.)

Il te fait sortir du ton et perdre la mesure.

DÉCHARPIR, séparer des combattants acharnés l’un contre l’autre:

Andrès et Trufaldin, à l’éclat du murmure,
Ainsi que force monde accourus d’aventure,
Ont à les décharpir eu de la peine assez;
Tant leurs esprits étoient par la fureur poussés.
(L’Ét. V. 14.)

Nicot, et Trévoux après lui, donnent le verbe charpir; charpir de la laine, carpere lanam; et par composition, décharpir, charpir entièrement, comme définir, de finir.

Il nous reste encore le substantif charpie.

Décharpir les combattants, est regrettable comme terme expressif; séparer est loin d’atteindre à la même énergie.

DÉCORUM (GARDER LE) DE:

Non, mais il faut sans cesse
Garder le décorum de la divinité.
(Amph. prol.)

DÉCOUCHER (SE), se lever:

MORON.
Car en chasseur fameux j’étois enharnaché,
Et dès le point du jour je m’étois découché.
(Pr. d’Él. I. 2.)

C’est un archaïsme:

«Quand ce vint à l’endemain, toutes les mesnies de l’ostel s’assemblerent, et vinrent au seigneur à l’heure qu’il fut descouché

(Froissart, Chron. III. 22.)

Dans le récit de l’assassinat du connétable de Clisson par Pierre de Craon:

«Duquel coup il (Clisson) versa jus de son cheval, droit à l’encontre de l’huis d’un fournier, qui jà estoit descouché pour ordonner ses besognes et faire son pain et cuire.»

(Id. IV. ch. 28.)

DÉCOUVRIR (SE) DE...:

Souffrez pour vous parler, madame, qu’un amant
Prenne l’occasion de cet heureux instant,
Et se découvre à vous de la sincère flamme....
(Fem. sav. I. 4.)

(Voyez DE dans tous les sens du latin de.)

DÉCOUVRIR QUELQU’UN (un adjectif), démontrer qu’il est ce que marque l’adjectif:

Tous les hommes sont semblables par les paroles; ce n’est que les actions qui les découvrent différents.

(L’Avare, I. 1.)

DE FORCE OU D’INDUSTRIE, par force ou par adresse:

Et tâchons d’ébranler, de force ou d’industrie,
Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés.
(Tart. IV. 2.)

(Voyez DE exprimant la cause, la manière.)

DE LA FAÇON, ainsi, de cette sorte:

Est-ce de la façon que l’on doit me parler?
(Mélicerte. II. 5.)
On se riroit de vous, Alceste, tout de bon,
Si l’on vous entendoit parler de la façon.
(Mis. I. 1.)

DÉCRIS au pluriel:

Oh! que je sais au roi bon gré de ces décris!
(Éc. des mar. II. 9.)

Le décri est une défense faite à cri public. Cri et crier ont fait décri et décrier: c’est revenir sur la permission ou l’ordonnance proclamée par le cri.

De là l’expression figurée, tomber dans le décri.

DEDANS, préposition:

Et je crois que le ciel, dedans un rang si bas,
Cache son origine, et ne l’en tire pas.
(L’Ét. I. 2.)
Il est vrai: c’est tomber d’un mal dedans un pire.
(Ibidem.)
Mon argent bien-aimé, rentrez dedans ma poche.
(L’Ét. II. 6.)
La vieille Égyptienne à l’heure même...—Hé bien?
—Passoit dedans la place, et ne songeoit à rien.
(L’Ét. V. 14.)
Je lis dedans son âme, et vois ce qui le presse.
(Dép. am. III. 5.)
Las! il vit comme un saint, et dedans la maison
Du matin jusqu’au soir il est en oraison.
(Ibid. III. 6.)
Et je tremble à présent dedans la Canicule.
(Sganarelle. 2.)
Puis-je obtenir de vous de savoir l’aventure
Qui fait dedans vos mains trouver cette peinture?
(Ibid. 9.)

Dedans, dessus, dessous, devers, suivis d’un complément, sont aussi vieux que la langue française. Je ne vois pas sur quelle autorité l’on a prétendu, depuis un demi-siècle, les restreindre au rôle d’adverbes. C’est apparemment pour leur inventer une valeur différente de celle de la forme simple dans, sur, sous, vers, dont ils ne sont qu’une variante. Mais après avoir proclamé, d’une manière absolue, qu’il n’y avait dans aucune langue deux mots parfaitement synonymes, il fallait nécessairement reviser la nôtre, constituer à chacun de ses mots un apanage, et le circonscrire, sans égard pour les anciennes limites; autrement cette profonde maxime eût été bien vite renversée.

C’est ce qui fait que Molière, Pascal et Bossuet sont remplis de solécismes posthumes.

«Le sultan dormoit lors, et dedans son domaine
«Chacun dormoit aussi.»
(La Font. Fables. XI. 1.)

«Ceux qui ont la foi vive dedans le cœur voient...»

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