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Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

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(Pascal. Pensées, p. 173.)

Le dictionnaire de Nicot (1606) donne encore pour exemples:

«Il est dedans la maison;—dedans vingt jours;—dedans l’an et jour de la spoliation et du trouble.»

(Voyez DESSUS, DESSOUS, DEVANT, DEVERS.)

DÉDITES, pour dédisez:

Puisque je l’ai promis, ne m’en dédisez pas.
(Tart. III. 4.)

C’est la leçon donnée par l’édition de P. Didot, 1821. L’édition de 1710 et toutes les modernes ont ne m’en dédites pas.

J’ai vérifié sur l’édition originale, imprimée sous les yeux et aux frais de Molière, par Jean Ribou, le 23 juin 1669, il y a bien dédites. «Ne m’en desdites pas.»

Trévoux:

«Nous desdisons, vous desdisez, et, selon quelques-uns, vous desdites

Et il cite, en exemple de cette seconde forme, le vers de Molière.

Je n’hésite pas à penser que Molière a ici péché contre la langue, et même contre le bon usage de son temps. L’Académie a raison, qui prescrit vous dédisez et dédisez-vous, comme vous élisez, cuisez, lisez, vous disez et vous contredisez.

Vous dictes, contraction de dic(i)tis, est une forme isolée, bizarre, dont il serait très-curieux de signaler les premiers exemples, car la forme primitive doit avoir été vous disez; la preuve en demeure dans tous les composés de dire, médire, prédire, maudire, contredire, interdire. Mais cette forme vous dites remonte à une bien haute antiquité: Palsgrave, en 1530, la donne, et ne fait de l’autre aucune mention.

A ce qu’il paraît, Molière s’est laissé entraîner à former le composé comme le simple, et P. Didot à rectifier la faute de Molière. L’un et l’autre a eu tort.

DÉFAIRE (SE), perdre contenance, se démonter:

MORON. Courage, seigneur...., ne vous défaites pas.

(Pr. d’Él. IV. 1.)

Le participe passé est encore en usage: l’air défait, le visage défait.

DÉFENDRE, verbe actif, interdire:

Ah! monsieur, qu’est ceci? je défends la surprise!
(Dép. am. III. 7.)

DÉFÉRER A..., consulter, s’en rapporter à....:

Ce n’est pas à mon cœur qu’il faut que je défère,
Pour entrer sous de tels liens.
(Psyché. I. 3.)

DÉFIGURÉ, porteur d’une laide figure:

Alors qu’une autre vieille assez défigurée
L’ayant de près, au nez, longtemps considérée...
(L’Ét. V. 14.)

DÉFIGURER (patois), peindre la figure:

LUCAS. Le v’là tout craché, comme on nous l’a défiguré.

(Méd. m. l. I. 6.)

Défiguré est une faute de langage comme la peut faire Lucas; il devait dire simplement figuré; c’est comme parle Célimène:

Voici monsieur Dubois plaisamment figuré.
(Mis. IV. 3.)

DÉGOISER, babiller:

Peste! madame la nourrice, comme vous dégoisez!

(Méd. m. lui. II. 2.)

Racines et gosier, comme qui dirait dégosier. S’égosiller est composé d’une manière analogue avec é, répondant au latin ex.

On disait autrefois dégoiser, neutre, et se dégoiser, réfléchi, comme s’égosiller: «Les oiseaux se dégoisent; oiseaux qui se dégoisent. Les oiseaux dégoisent leurs chansonnettes et ramages.»

Nicot, après ces exemples, donne le substantif dégoisement, que nous n’avons plus.

DE LA FAÇON QUE, de la façon dont:

Hélas! de la façon qu’il parle, serait-il bien possible qu’il ne dît pas vrai?

(Mal. im. I. 4.)

Que représente en français les neutres quid, quod, et les cas obliques de qui:—eo modo quo loquitur.

(Voyez QUE répondant à l’ablatif du qui relatif des Latins.)

«De la manière enfin qu’avec toi j’ai vécu,
«Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.»
(Corneille, Cinna. V. 1.)

DÉLIBÉRÉS, substantif; UN DÉLIBÉRÉ, un homme délibéré:

Je sais des officiers de justice altérés,
Qui sont pour de tels coups de vrais délibérés.
(L’Ét. IV. 9.)

DÉLICATESSE D’HONNEUR, susceptibilité de vertu ou de pruderie:

Je ne vois rien de si ridicule que cette délicatesse d’honneur qui prend tout en mauvaise part.

(Crit. de l’Éc. des fem. 3.)

Molière a dit aussi, par une expression analogue, un chagrin délicat.

DÉLIÉ, pour mince, transparent:

Cette coiffe est un peu trop déliée; j’en vais quérir une plus épaisse.

(Pourc. III. 2.)

Pascal l’a employé au figuré:

«Cette erreur est si déliée, que, pour peu qu’on s’en éloigne, on se trouve dans la vérité.»

(3e Prov.)

DEMAIN JOUR, comme demain matin:

Et tu m’avois prié même que mon retour
T’y souffrît en repos jusques à demain jour.
(Éc. des mar. III. 2.)

DE MA PART, pour ma part, quant à moi:

Je saurai, de ma part, expliquer ce silence.
(Mis. V. 2.)

DÉMÊLÉ, substantif; AVOIR DÉMÊLÉ AVEC QUELQU’UN:

Il en a bien usé, et j’ai regret d’avoir démêlé avec lui.

(D. Juan. III. 6.)

DE MÊME, adverbe employé pour pareil, égal:

C’est un transport si grand qu’il n’en est point de même.
(Éc. des mar. III. 2.)
Jamais il ne s’est vu de surprise de même.
(Tart. IV. 5.)

DÉMENTIR, désavouer, DÉMENTIR UN BILLET:

Ce billet démenti pour n’avoir point de seing....
—Pourquoi le démentir, puisqu’il est de ma main?
(Don Garcie. II. 5.)

Mais Molière jugea lui-même cette expression inexacte; et cinq ans plus tard, lorsqu’il transporta dans le Misanthrope une partie de cette scène de Don Garcie, il corrigea ces vers de la manière suivante:

Le désavouerez-vous pour n’avoir point de seing?
—Pourquoi désavouer un billet de ma main?
(Mis. IV. 3.)

DÉMENTIR QUELQU’UN DE:

A quoi bon se montrer, et, comme un étourdi,
Me venir démentir de tout ce que je di?
(L’Ét. I. 5.)

(Voyez MENTIR DE QUELQUE CHOSE.)

SE DÉMENTIR DE:

Tu te démens bientôt de tes bons sentiments.
(Sgan. 23.)

DEMI; SANS (un substantif) NI DEMI:

Cette infâme,
Dont le coupable feu, trop bien vérifié,
Sans respect ni demi nous a cocufié.
(Sgan. 16.)

Sans respect ni demi-respect, sans le moindre respect.

DÉMORDRE DES RÈGLES:

C’est un homme qui.... ne démordroit pas d’un iota des règles des anciens.

(Pourc. I. 7.)

DENIER, pour exprimer l’ensemble d’une somme d’argent:

Quatre ou cinq mille écus est un denier considérable, et qui vaut bien la peine qu’un homme manque à sa parole.

(Pourc. III. 9.)

Est un denier, et non pas sont un denier.

(Voyez cet exemple, discuté au mot CE SONT.)

DENT, AVOIR UNE DENT DE LAIT CONTRE QUELQU’UN:

C’est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui.

(Mal. im. III. 3.)

Une rancune qui date d’aussi loin que possible, du temps où l’on était en nourrice.

EN DÉPIT DE NOS DENTS:

N’avons-nous pas assez des autres accidents
Qui nous viennent frapper, en dépit de nos dents?
(Sgan. 17.)

(Voyez DÉPIT.)

MALGRÉ MES DENTS:

Ils m’ont fait médecin malgré mes dents.

(Méd. m. lui. III. 1.)

Quoi que je fisse pour m’en défendre.

Et, pour la mieux braver, voilà, malgré ses dents,
Martine que j’amène et rétablis céans.
(Fem. sav. V. 2.)

AVOIR LES DENTS LONGUES, avoir faim; on suppose que la faim aiguise les dents:

On a le temps d’avoir les dents longues, lorsqu’on attend pour vivre le trépas de quelqu’un.

(Méd. m. lui. II. 2.)

ÊTRE SUR LES DENTS:

La pauvre Françoise est presque sur les dents, à frotter les planchers que.... etc.

(B. Gent. III. 3.)

DÉPARTIR; SE DÉPARTIR DE (un infinitif):

Tu ne t’es pas départi d’y prétendre?

(L’Av. IV. 5.)

La préposition, ici, figure deux fois: à l’état libre et à l’état composé, comme en latin decedere de; deducere de; detrahere de; decidere de, etc., etc.

(Voyez AMUSER (S’) A.)

DÉPIT, EN DÉPIT QUE J’EN AIE:

Il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j’en aie.

(D. Juan. I. 1.)

Je me sens pour vous de la tendresse, en dépit que j’en aie.

(L’Av. III. 5.)

Je prétends le guérir, en dépit qu’il en ait.

(Pourc. II. 1.)
Il ne fait pas bien sûr, à vous le trancher net,
D’épouser une fille en dépit qu’elle en ait.
(Fem. sav. V. 1.)

Cette locution, en dépit que j’en aie, est l’analogue de cette autre, malgré que j’en aie, qui s’analyse très-facilement.

Il faut partir, mal gré, c’est-à-dire, tel mauvais gré que j’en aie. C’est une sorte d’accusatif absolu.

(Voyez MALGRÉ QUE J’EN AIE.)

Mais dans l’autre expression on rencontre, de plus, la préposition en, dont rien ne justifie la présence. On ne dirait pas: en mal gré que j’en aie. Il semble que l’on aurait dû dire, avec une exacte parité: dépit que j’en aye, sans en. C’est que cet en n’est pas une préposition, mais une partie mal à propos séparée de l’ancien mot endépit: endépit, comme encharge, encommencement, et les verbes engarder, enrouiller, enseller un cheval, s’engeler, s’endemener, etc., qui sont les anciennes formes. La vraie orthographe serait donc endépit qu’on en ait, et la locution redevient parfaitement claire et logique. Ici, comme en une foule de cas, l’oreille entend juste, mais l’œil voit faux, parce que la main s’est trompée.

DÉPOUILLER (SE) ENTRE LES MAINS DE QUELQU’UN:

Amasser du bien avec de grands travaux, élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour se dépouiller de l’un et de l’autre entre les mains d’un homme qui ne nous touche de rien.

(Am. méd. I. 5.)

DEPUIS, suivi d’un infinitif, comme après:

Depuis avoir connu feu monsieur votre père... j’ai voyagé par tout le monde.

(B. Gent. IV. 5.)

DE QUI, pour dont ou duquel:

Au mérite souvent de qui l’éclat vous blesse
Vos chagrins font ouvrir les yeux d’une maîtresse.
(Dép. am. I. 2.)
Depuis huit jours entiers, avec vos longues traites,
Nous sommes à piquer deux chiennes de mazettes,
De qui le train maudit nous a tant secoués,
Que je me sens, pour moi, tous les membres roués.
(Sgan. 7.)
Quoi! me soupçonnez-vous d’avoir une pensée
De qui son âme ait lieu de se croire offensée?
(Ibid. III. 4.)
Il court parmi le monde un livre abominable,
Et de qui la lecture est même condamnable.
(Mis. V. 1.)

Il était bien facile à Molière de mettre duquel; mais il paraît avoir eu, ainsi que tous ses contemporains, une répugnance décidée à se servir de ce mot, si prodigué de nos jours.

De même:

Tous deux m’ont rencontrée, et se sont plaints à moi
D’un trait à qui mon cœur ne sauroit prêter foi.
(Mis. V. 4.)

Il était bien aisé de mettre auquel, si à qui eût été une faute.

(Voyez LEQUEL évité.)

DE QUOI, d’où? comment?

De quoi donc connaissez-vous monsieur?

(Am. méd. II. 2.)

VOILA BIEN DE QUOI!....

Hé bien? qu’est-ce que cela, soixante ans? voilà bien de quoi!...

(L’Av. II. 6.)

Il y a ici réticence d’un verbe, comme s’étonner, se récrier.

DÉRACINER LES CARREAUX:

Nicole.—Et d’un grand maître tireur d’armes, qui vient, avec ses battements de pied, ébranler toute la maison, et nous déraciner tous les carriaux de notre salle.

(B. Gent. III. 3.)

DERNIER, extrême, summus:

Je vous vois accabler un homme de caresses,
Et témoigner pour lui les dernières tendresses.
(Mis. I. 1.)
On dit qu’avec Bélise il est du dernier bien.
(Ibid. II. 5.)

Les dernières violences du pouvoir paternel.

(L’Av. V. 4.)

.... C’est pour une affaire de la dernière conséquence.

(G. D. III. 4.)

C’est la locution favorite des précieuses: du dernier beau, du dernier galant; je vous aurois la dernière obligation; etc.

Mais Molière n’en prétend blâmer que l’abus, car lui-même en fait un usage fréquent, ainsi que Pascal:

«C’est là où vous verrez la dernière bénignité de la conduite de nos pères.»

(Pascal, 9e prov.)

DÉROBER, verbe actif, comme voler; DÉROBER QUELQU’UN:

Pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.

(L’Av. I. 5.)

DÉROBER (SE) D’AUPRÈS DE....:

Il vous dira... que... je me suis dérobée d’auprès de lui.

(G. D. III. 12.)

DÉSATTRISTER:

Donnez-lui le loisir de se désattrister.
(L’Ét. II. 4.)

(Voyez , particule inséparable en composition.)

DÉSAVOUER QUELQU’UN DE:

Et vous avez eu peur de le désavouer
Du trait qu’à ce pauvre homme il a voulu jouer.
(Tart. IV. 3.)

DÈS DEVANT, dès avant:

—Moi je vins hier?—Sans doute; et dès devant l’aurore
Vous vous en êtes retourné.
(Amph. II. 2.)

DÉSENAMOURÉ:

Mais est-ce un coup bien sûr que votre seigneurie
Soit désenamourée, ou si c’est raillerie?
(Dép. am. I. 4.)

L’absence de ce mot ou d’un équivalent est une lacune sensible dans la langue. Nous sommes réduits à une circonlocution, comme: soit revenu de son amour. Enamouré est aussi une perte, mal dissimulée par amoureux.

On remarquera dans ce mot la présence de l’s euphonique, qui sert à lier sans hiatus les racines: dé (s) enamourer, comme dé (s) enfler, dé (s) habiller, dé (s) honorer, etc. Cette particule inséparable en composition n’est autre que le de latin, qui n’a droit par lui-même à aucune consonne finale. Aussi n’en voit-on pas dans détromper, dédire, défaire, démentir, etc., où elle n’était point nécessaire. On écrivait à la vérité desdire, desfaire; mais c’était pour donner à l’e suivi d’une double consonne le son aigu, que nous obtenons aujourd’hui par l’accent.

DÉSESPÉRER, verbe neutre, se désespérer:

GEORGES DANDIN.—Je désespère!

(G. D. III. 12.)

Les Anglais ont gardé cet emploi du même verbe:

«Despair and Die!»

(Shakspeare. Rich. III.)

Palsgrave (1530), dans sa table des verbes, le donne comme verbe neutre et verbe réfléchi. Voici son article:

«I Despayre, I am in wan hope.Je despère (sic) primæ conjugat.—Dispayre nat man: God is there he was wonte to be: ne te despère pas; Dieu est là où il souloyt estre.»

Par où l’on voit que désespérer est une forme moderne et allongée. On fit d’abord de desperare, despérer; puis, par l’insertion de l’s euphonique (voy. DÉSENAMOURER), dé(s)espérer.

La première forme est calquée sur le mot latin;

La seconde est ajustée sur le latin, d’après les habitudes françaises.

DÉSESPÉRÉ CONTRE QUELQU’UN:

J’étois aigri, fâché, désespéré contre elle!
(Éc. des fem. IV. 1.)

DES MIEUX, comme ceux qui (ici le verbe) le mieux:

..... Enfermez-vous des mieux.
(Éc. des fem. V. 4.)

Soyez des mieux enfermés.

Voilà qui va des mieux.
Mais parlons du sujet qui m’amène en ces lieux.
(Fem. sav. II. 1.)

DE SOI, en soi, par soi-même:

Cet accident, de soi, doit être indifférent.
(Éc. des fem. IV. 8.)
Le choix du fils d’Oronte est glorieux, de soi.
(Ibid. V. 7.)

La noblesse, de soi, est bonne.

(G. D. I. 1.)

De, dans cette locution, se rapporte au sens du latin de, c’est-à-dire, par rapport à soi, en ce qui la touche.

Il faut observer que ce mot moi est entré dans la langue pour traduire meus, et qu’à l’origine on ne le rencontre pas comme pronom de la première personne; c’est l’adjectif moi, moie; meus, mea. Par conséquent, de moi correspond exactement à la locution latine de meo, employée par Plaute, Térence et Cicéron, dans un sens à la vérité un peu différent; puisqu’il signifie à mes frais; mais mon observation porte surtout sur la forme matérielle.

Les Latins disaient aussi, de me, de te, pour de meo, de tuo: De te largitor (Ter.): donne de toi. Sois généreux à tes propres dépens.

DÉSOSIER et DÉSAMPHITRYONNER. Voyez , particule inséparable en composition.

DESSALÉE; UNE DESSALÉE, une matoise, une rusée:

Vous faites la sournoise; mais je vous connois il y a longtemps, et vous êtes une dessalée.

(G. D. I. 6.)

DESSOUS, substantivement; AVOIR DU DESSOUS:

Est-il possible que toujours j’aurai du dessous avec elle?

(G. D. II. 13.)

«Nous avons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles, de plus élevés et de plus misérables, pour abaisser notre orgueil et relever notre abjection.»

(Pascal. Pensées. p. 229.)

Il est fâcheux qu’on ait laissé perdre cette expression utile, car on peut avoir du dessous sans avoir complétement le dessous. C’est pour avoir eu trop souvent du dessous dans ses querelles de ménage, que George Dandin finit par avoir le dessous.

DESSOUS, préposition avec un complément:

Je sais qu’il est rangé dessous les lois d’une autre.
(Dép. am. II. 3.)

Voyez DEDANS, DESSUS, DEVANT, DEVERS.

DESSUISSER (SE), quitter le rôle de Suisse:

Si vous êtes d’accord, par un bonheur extrême,
Je me dessuisse donc; et redeviens moi-même,
(L’Ét. V. 7.)

DESSUS, préposition:

Le bonhomme tout vieux chérit fort la lumière,
Et ne veut point de jeu dessus cette matière.
(L’Ét. III. 5.)
Vous étendiez la patte
Plus brusquement qu’un chat dessus une souris.
(Ibid. IV. 5.)
Attaché dessus vous comme un joueur de boule
Après le mouvement de la sienne qui roule.
(L’Ét. IV. 5.)
Je veux, quoi qu’il en soit, le servir malgré lui,
Et dessus son lutin obtenir la victoire.
(Ibid. V. 11.)
Faites parler les droits qu’on a dessus mon cœur.
(Dép. am. I. 2.)
Il pourroit bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos comme il a fait mon front.
(Sgan. 17.)
Dessus ses grands chevaux est monté mon courage.
(Ibid. 21.)
Dessus quel fondement venez-vous donc, mon frère....
(Éc. des mar. III. 9.)
Si j’avois dessus moi ces paroles nouvelles,
Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles.
(Fâch. I. 5.)
Pour moi, venant dessus le lieu,
J’ai trouvé l’action tellement hors d’usage....
(Ibid. II. 7.)

Dessus et dessous étaient originairement prépositions, comme leurs formes plus simples, sur et sous.

«Dessus mes piez charrunt.»

(Rois. p. 209.)

«Abaissez as dessuz mei ces ki esturent (steterunt) encuntre mei.»

(Ibid.)

C’est la subtilité des grammairiens modernes qui a inventé de partager la puissance entre sur, sous, et dessus, dessous, et de réduire les seconds au rôle exclusif d’adverbes.

Malherbe et Racan disaient sans scrupule: dessus mes volontés;—dedans la misère;—ce sera dessous cette égide, et Port-Royal s’y accorde; mais l’oracle Vaugelas n’avait pas encore parlé! Il parle, et Ménage déclare, d’après lui, que ces mots, comme prépositions, «ne sont plus du bel usage.» Toutefois Vaugelas veut bien, par grâce, excepter de sa règle trois façons de parler:

1o «Quand on met de suite les deux contraires. Exemple: Il n’y a pas assez d’or ni dessus ni dessous la terre.

2o «Quand il y a deux prépositions de suite, quoique non contraires:—Elle n’est ni dedans ni dessus le coffre.

3o «Lorsqu’il y a une autre préposition devant:—Par-dessus la tête, par-dessous le bras, par dehors la villeetc.

L’usage, en rejetant les deux premiers articles de cette loi, a confirmé le dernier, qui n’est pas plus justifié que les deux autres. Que de caprice et d’arbitraire dans tout cela! En vérité, quand on examine les actes de ces tyrans de notre langue, on est honteux d’être soumis à leur autorité.

J’oubliais de dire que Vaugelas reçoit comme légitime dans les vers ce qu’il condamne comme solécisme dans la prose.

(Voyez DEDANS, DESSOUS, DEVANT, DEVERS.)

DÉTACHER (SE) CONTRE QUELQU’UN, se déchaîner:

Et son jaloux dépit, qu’avec peine elle cache,
En tous endroits sous main contre moi se détache.
(Mis. III. 3.)

DÉTERMINER A, dans le sens d’ordonner de:

Et cet homme est monsieur, que je vous détermine
A voir comme l’époux que mon choix vous destine.
(Fem. sav. III. 6.)

DÉTOUR, angle formé par une rue ou quelque saillie de maison; COIN D’UN DÉTOUR:

Un de mes gens la garde au coin de ce détour.
(Éc. des fem. V. 2.)

DÉTOURNEMENT DE TÊTE:

Leurs détournements de tête et leurs cachements de visage firent dire cent sottises de leur conduite.

(Crit. de l’Éc. des fem. 3.)

DÉTRUIRE QUELQU’UN, ruiner son crédit:

Quel mal vous ai-je fait, madame, et quelle offense,
Pour armer contre moi toute votre éloquence,
Pour me vouloir détruire, et prendre tant de soin
De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin?
(Fem. sav. IV. 2.)

DEVANT, préposition, pour avant:

Je crie toujours, Voilà qui est beau! devant que les chandelles soient allumées.

(Préc. rid. 10.)
Et, devant qu’il vous pût ôter à mon ardeur,
Mon bras de mille coups lui perceroit le cœur.
(Éc. des mar. III. 3.)
«Celle-ci prévoyoit jusqu’aux moindres orages,
Et devant qu’ils fussent éclos
Les annonçoit aux matelots.»
(La Font. Fables. I. 8.)

Pascal fixe l’âge viril à vingt ans:

«Devant ce temps l’on est enfant.»

(Sur l’amour, p. 396.)

«Mais si les Égyptiens n’ont pas inventé l’agriculture, ni les autres arts que nous voyons devant le déluge...»

(Bossuet. Hist. univ. 3e part.)

«A vous parler franchement, l’intérêt du directeur va presque toujours devant le salut de celui qui est sous la direction.»

(St.-Évremont. Conv. du P. Canaye.)

«Il lui demanda, devant que de l’acheter, à quoi il lui seroit propre.»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

Les grammairiens n’ont pas manqué d’exercer sur avant et devant la sagacité de leur esprit subtil. Ils signalent entre avant et devant une différence essentielle, et dont il importe de se bien pénétrer: c’est que «avant est plus abstrait, et devant plus concret[49].» C’est la raison qui fait que, suivant le même auteur, «on n’emploie plus devant par rapport au temps.» L’argument ne paraît pas concluant.

Un autre assure que «le génie de notre langue établit une différence entre les déterminatifs avant et devant[50].» Ce que je puis à mon tour assurer, c’est que devant se trouve comme synonyme d’avant, dans le berceau de notre langue. La traduction des Rois, faite au XIe siècle, s’en sert sans scrupule:—«E pis que nuls qui devant lui out ested envers N. S. uverad (p. 309),» Asa ouvra envers N. S. pis que nul qui eût été devant lui.

M. Nap. Landais peut-il se flatter de connaître le génie de la langue française mieux que ceux qui l’ont créée; mieux que Bossuet, Pascal, Corneille, Molière, et la Fontaine?

Avant, devant, sont deux formes du même mot inventées pour les besoins de l’euphonie et de la versification, comme dans et dedans, sur et dessus, sous et dessous. La perte de ces doubles formes a été préjudiciable surtout à la poésie, et la suppression de ces petites ressources a contribué, plus qu’on ne pense, à la décadence de l’art.

Comme en certains cas donnés l’on employait indifféremment à et de (voyez DE remplaçant à devant un verbe), de même on substituait l’un à l’autre avant et devant.

Dedans, dessus, dessous, devers, sont dans le même cas. (Voyez ces mots.)

DEVERS, préposition comme vers:

Lucas.—Tourne un peu ton visage devers moi.

(G. D. II. 1.)

C’est un paysan qui parle, à qui Molière prête des locutions surannées.

Devers et envers ont été jadis employés pour vers, comme on en voit un exemple dans une vieille chanson introduite par Beaumarchais dans le Mariage de Figaro:

«Tournez-vous donc envers ici,
«Jean de Lyra, mon bel ami.»

«Enfin la Rancune l’ayant tourné dans sa chaise devers le feu dont l’on avoit chauffé les draps, il ouvrit les yeux.»

(Scarron. Rom. com. Ire p., ch. XI.)

Mais Molière a mis aussi devers dans la bouche des personnages qui s’expriment avec le plus d’élégance et de correction:

ÉRASTE.
Il a poussé sa chance,
Et s’est devers la fin levé longtemps d’avance.
(Fâch. I. 1.)

«C’est ainsi devers Caen que tout Normand raisonne.»

(Boileau.)

«J’ai des cavales en Égypte, qui conçoivent au hennissement des chevaux qui sont devers Babylone

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

Devers et envers sont des formes variées de vers. Vers a été la première forme usitée:

«Si hom peche vers altre, a Deu se purrad acorder; e s’il peche vers Deu, ki purrad pur lui preier?»

(Rois. p. 8.)

«Pur ço que la guerre vers les ennemis Deu mantenist.»

(Ibid. p. 71.)

Beaumanoir n’emploie que vers:

«Li baillis qui est debonaires vers les malfesans... qui vers toz est fel et cruels...»

(T. Ier. p. 18, 19.)

Cependant la version des Rois, qui paraît de la fin du XIe siècle, connaît déjà envers et devers.

«Ore t’aparceif que felenie n’ad en mei ne crimne envers tei

(P. 95.)

«E pis que nuls ki devant lui out ested devers Nostre Seignur uverad.»

(P. 309.)

(Voyez DEDANS, DESSOUS, DEVANT.)

DEVOIR; NE DEVOIR QU’A, avec l’ellipse de rien:

Hors d’ici je ne dois plus qu’à mon honneur.

(D. Juan. III. 5.)

DÉVORER DU CŒUR, figur., recevoir avidement:

Et vous devez du cœur dévorer ces leçons.
(Éc. des fem. III. 2.)

DÉVOTS DE PLACE:

Que ces francs charlatans, que ces dévots de place.
(Tart. I. 6.)

Comme les valets de place, qui se tiennent en vue sur les places publiques.

DE VRAI: véritablement, de vero:

Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être.

(D. Juan. I. 1.)

Nous verrons, de vrai, nous verrons!

(Ibid. V. 3.)

Ma foi, c’est promptement, de vrai, que j’achèverai.

(Am. magn. V. 1.)

Cette locution était jadis très-usitée; les exemples en sont fréquents. On disait aussi au vrai:

«Je ne sais pas au vrai si vous les lui devez;
«Mais, il me les a, lui, mille fois demandés.»
(Regnard. Le Légataire. V. 7.)

DEXTÉRITÉS, au pluriel, adresse:

Oui, vos dextérités veulent me détourner
D’un éclaircissement qui vous doit condamner.
(D. Garcie. IV. 8.)
Je sais les tours rusés et les subtiles trames
Dont pour nous en planter savent user les femmes;
Et comme on est dupé par leurs dextérités,
Contre cet accident j’ai pris mes sûretés.
(Éc. des fem. I. 1.)

D’HOMME D’HONNEUR; ellipse: foi d’homme d’honneur:

D’homme d’honneur, il est ainsi que je le dis.
(Dép. am. III. 8.)

DIABLE; DIABLE EMPORTE SI...:

Diable emporte si je le suis! (médecin.)

(Méd. mal. lui. I. 6.)

Diable emporte si j’entends rien en médecine!

(Ibid. III. 1.)

C’est une sorte d’atténuation du blasphème complet: Que le diable m’emporte si... On en retranche le pronom personnel, pour moins d’horreur.

EN DIABLE; COMME TOUS LES DIABLES:

La justice, en ce pays-ci, est rigoureuse en diable contre cette sorte de crime.

(Pourc. II. 12.)

Elle est sévère comme tous les diables, particulièrement sur ces sortes de crimes.

(Pourc. III. 2.)

(Voyez QUE DIABLE!)

DIANTRE, modification de diable; DIANTRE SOIT:

Diantre soit la coquine!

(B. gent. III. 3.)

DIANTRE, adjectif; comme diable, diablesse:

Qu’on est aisément amadoué par ces diantres d’animaux-là!

(Ibid. III. 10.)

DIANTRE SOIT DE...:

Diantre soit de la folle, avec ses visions!
(Fem. sav. I. 5.)

DIANTRE SOIT FAIT DE...:

Encore! diantre soit fait de vous! Si... je le veux.
(Tart. II. 4.)

DIE, dise:

Veux-tu que je te die? une atteinte secrète
Ne laisse point mon âme en une bonne assiette.
(Dép. am. I. 1.)
Ah! souffrez que je die,
Valère, que le cœur qui vous est engagé.....
(Ibid. V. 9.)

Die n’est pas une forme suggérée par le besoin de la rime; elle est aussi fréquente que dise chez les vieux prosateurs. Malherbe, dans ses lettres, n’en emploie pas d’autre.

Voulez-vous que je vous die?

(Impromptu de Versailles. 3.)

Ainsi cette forme était encore usuelle dans la conversation en 1663.

Cependant, neuf ans après, en 1672, dans les Femmes savantes, Molière tourne en ridicule le quoi qu’on die de Trissotin:

Faites-la sortir, quoi qu’on die,
De votre riche appartement.

Cette forme alors était donc déjà surannée.

«Il faut toujours, en prose, écrire et prononcer dise et jamais die, ni avec quoi que, ni dans aucune autre phrase.» C’est la décision de Trévoux, d’après Th. Corneille.

DIFFAMER:

MORON.
Je vous croyois la bête
Dont à me diffamer j’ai vu la gueule prête.
(Pr. d’Él. I. 2.)

L’emploi de diffamer pour dévorer, déchirer, en parlant d’un sanglier, pourrait sembler une bouffonnerie de ce fou de cour; mais Furetière nous apprend que «diffamer signifie aussi salir, gâter, défigurer. Il a renversé cette sauce sur mon habit: il l’a tout diffamé. Il lui a donné du taillant de son épée, et lui a tout diffamé le visage. En ce sens il est bas.»

Ainsi Moron parle sérieusement et correctement. Diffamer, aujourd’hui, ne se prend plus qu’au sens moral.

On observera que diffamer, au sens moral, n’emporte pas nécessairement l’idée de calomnie, ni même aucune idée de blâme, puisque Boileau a dit, en parlant des précieuses:

«Reste de ces esprits jadis si renommés,
Que d’un coup de son art Molière a diffamés

C’est-à-dire, tout simplement: a perdus de réputation. Fame (fama) a été français dans l’origine:

«E vint la fame a tuz ces de Israel, que desconfiz furent li Philistien.»

(Rois. p. 42)

Héli dit à ses fils:

«Votre fame n’est mie saine.»

(Ibid. p. 8.)

Vous n’avez pas bonne réputation.

DIGNE, en mauvaise part:

Et toutes les hauteurs de sa folle fierté
Sont dignes tout au moins de ma sincérité.
(Fem. sav. I. 3.)

«Mais il (Vasquez) n’est pas digne de ce reproche

(Pascal. 11e Prov.)

DINER: AVOIR DINÉ, métaphoriquement:

Mme Jourdain.—Il me semble que j’ai dîné quand je le vois!

(B. gent. III. 3.)

On dirait, par la même métaphore: Je suis rassasiée de le voir.

DIRE, actif avec un complément direct, désirer; TROUVER QUELQU’UN A DIRE:

Mettez-vous donc bien en tête..... que je vous trouve à dire plus que je ne voudrois dans toutes les parties où l’on m’entraîne.»

(Mis. V. 4.)

Ce verbe dire vient, par une suite de syncopes, non pas de dicere, mais de desiderare, dont on ne retient que les syllabes extrêmes, desiderare, desirare (d’où l’on a fait à la seconde époque désirer), et dere, dont le premier e se change en i, par la règle accoutumée. (V. Des Var. du langage fr., p. 208).

Ce verbe dire était très-usité au XVIe siècle: Montaigne, la reine de Navarre, et les autres, en font constamment usage:

«Que sait-on, si...... plusieurs effects des animaux qui excedent nostre capacité sont produits par la faculté de quelque sens que nous ayons à dire

(Montaigne. II. 12.)

A désirer, à regretter; qui nous manque.

«Si nous avions à dire l’intelligence des sons de l’harmonie et de la voix, cela apporteroit une confusion inimaginable à tout le reste de nostre science.»

(Id. Ibid.)

«Ce desfault (une taille trop petite) n’a pas seulement de la laideur, mais encores de l’incommodité, à ceulx mesmement qui ont des commandements et des charges; car l’auctorité que donne une belle presence et majesté corporelle en est à dire

(Id. II. 17.)

L’autorité, par suite de ce défaut, se fait désirer, ne s’obtient pas.

La reine de Navarre écrit à chaque instant dans ses lettres: Le roi et madame vous trouvent bien à dire; nous vous trouvons bien à dire. C’est dans ce sens que l’employait encore Célimène en 1666.

Ce mot a disparu, peut-être banni pour laisser régner, sans équivoque possible, dire, venu de dicere.

DIRE de quelque chose TOUS LES MAUX DU MONDE:

Tous les autres comédiens..... en ont dit tous les maux du monde.

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)

(Voyez ON DIRAIT DE.)

DIRE pour redire:

Ayant eu la bonté de déclarer qu’elle (Votre Majesté) ne trouvoit rien à dire dans cette comédie, qu’elle me défendoit de produire en public.

(1er Placet au roi.)

DIRE construit avec en et à; EN DIRE A, pour être favorable à:

Si le sort nous en dit, tout sera bien réglé.
(L’Ét. V. 2.)

Si le sort nous est propice, nous seconde.

Cette bizarre expression est évidemment calquée sur cette façon de parler usuelle: Le cœur m’en dit; le cœur vous en dit-il? Molière n’a pu s’en servir que dans un ouvrage de sa jeunesse.

DIRE VÉRITÉ, dire la vérité:

Et s’il avoit mon cœur, à dire vérité....
(Mis. IV. 1.)

DISPENSER (SE) A...., se disposer à:

Et c’est aussi pourquoi ma bouche se dispense
A vous ouvrir mon cœur avec plus d’assurance.
(Dép. am. II. 1.)

Autrefois, dispenser se disait en pharmacie, pour disposer, préparer.

«Plusieurs auteurs ont écrit en détail la préparation des remèdes que les apothicaires doivent dispenser. Dispenser la thériaque, c’est-à-dire, la préparer. Les statuts des espiciers portent que les aspirants à la maistrise dispenseront leur chef-d’œuvre en présence de tous les maistres.»

(Furetière.)

Cette ancienne valeur du mot dispenser est encore attestée par le mot anglais dispensary, pharmacie, dont nous avons refait, à notre tour, dispensaire.

DISPUTER A FAIRE QUELQUE CHOSE:

Je suis un pauvre pâtre; et ce m’est trop de gloire
Que deux nymphes d’un rang le plus haut du pays
Disputent à se faire un époux de mon fils.
(Mélicerte. I. 4.)

DIVERTIR, du latin divertere, détourner, distraire, tourner d’un autre côté:

Après de si beaux coups qu’il a su divertir.
(L’Ét. III. 1.)
Votre feinte douceur forge un amusement,
Pour divertir l’effet de mon ressentiment.
(D. Garcie. IV. 8.)
Bonjour.—Hé quoi, toujours ma flamme divertie!
(Fâcheux. II. 2.)
Viendra-t-il point quelqu’un encor me divertir?
(Ibid. III. 3.)

Et, cherchant à divertir cette tristesse, nous sommes allés nous promener sur le port.

(Scapin. II. 11.)

«C’est un artifice du diable, de divertir ailleurs les armes dont ces gens-là combattoient les hérésies.»

(Pascal. Pensées. p. 237.)

«Si l’homme étoit heureux, il le seroit d’autant plus qu’il seroit moins diverti, comme les saints et Dieu.»

(Id. Ibid. p. 219.)

DONCQUES, archaïsme:

Doncques si le pouvoir de parler m’est ôté,
Pour moi, j’aime autant perdre aussi l’humanité.
(Dép. am. II. 7.)

On écrivit originairement avec une s finale, doncques, avecques, ores, illecques, mesmes.

DONNER; DONNER A PLEINE TÊTE DANS....:

Il ne faut point douter qu’elle ne donne à pleine tête dans cette tromperie.

(Am. magn. IV. 4.)

DONNER AU TRAVERS DE:

Un homme...... qui donne au travers des purgations et des saignées.

(Mal. im. III. 3.)

Donner, dans cette locution, et dans celles qui vont suivre jusqu’à se donner de garde, est pris au sens de tomber ou se lancer avec impétuosité, et il est verbe neutre, ou plutôt réfléchi, mais dépourvu de son pronom. Les Latins disaient de même dare se:—dare se in viam (Cic.); dare se præcipitem: dabit me præcipitem in pistrinum (Plaut.); dare se fugæ (Cic.)

Molière aussi construit donner avec le datif et avec l’accusatif, c’est-à-dire, avec à et dans.

DONNER CHEZ QUELQU’UN:

Nous donnions chez les dames romaines,
Et tout le monde là parloit de nos fredaines.
(Fem. sav. II. 4.)

DONNER DANS:

Vous donnez furieusement dans le marquis!

(L’Av. I. 5.)

..... les riches bijoux, les meubles somptueux où donnent ses pareilles avec tant de chaleur.

(Ibid. II. 6.)

DONNER DANS LA VUE, éblouir:

Ce monsieur le comte qui va chez elle lui donne peut-être dans la vue?

(B. gent. III. 9.)

DONNER A UN BRUIT, c’est-à-dire, croire à ce bruit:

Enfin il est constant que l’on n’a point donné
Au bruit que contre vous sa malice a tourné.
(Mis. V. 1.)

On n’a point donné créance au bruit, etc. Mais, sans recourir à cette ellipse violente, donner au bruit est dit comme donner au piége, c’est-à-dire, dans le piége.

DONNER DE GARDE (SE), prendre ses précautions:

Je venois l’avertir de se donner de garde.
(L’Ét. IV. 1.)

Il y a deux manières d’expliquer cette locution: en y considérant de comme surabondant, ce qui ne me plaît guère; ou bien en expliquant se donner, par se faire, se mettre. Se donner de garde, se faire de garde, se tenir à l’erte, au guet.

On disait aussi, avec un complément indirect, se donner de garde de quelque chose:

MORON.Donnez-vous-en bien de garde, seigneur, si vous voulez m’en croire.

(Pr. d’Él. III. 2.)

Se donner de garde est une ancienne façon de dire s’apercevoir de quelque chose, s’en mettre en garde:

«Et fut tout ce fait si soubdainement, que les gens de la ville ne s’en donnerent de garde

(Froissart.)

DONNER DES REVERS, renverser d’un soufflet, métaphoriquement:

Toutefois n’allez pas, sur cette sûreté,
Donner de vos revers au projet que je tente.
(L’Ét. II. 1.)

EN DONNER A QUELQU’UN, lui en donner à garder, le tromper:

Tu couches d’imposture, et tu m’en as donné.
(L’Ét. I. 10.)

(Voyez COUCHER DE.)

Ah, ah! l’homme de bien, vous m’en vouliez donner!
(Tart. IV. 7.)

Cet en ne se rapporte grammaticalement à rien, comme dans plusieurs expressions analogues: en tenir, en faire, etc.

EN DONNER DU LONG ET DU LARGE:

Donnons-en à ce fourbe et du long et du large.
(L’Ét. IV. 7.)

Donnons-lui-en dans tous les sens, accommodons-le de toutes les façons possibles, de toutes pièces.

DONNER LA BAIE....:

Le sort a bien donné la baie à mon espoir.
(L’Ét. II. 13.)

(Voyez BAIE.)

DONNER LA MAIN ou LES MAINS A..., métaphoriquement, soutenir:

Donne la main à mon dépit, et soutiens ma résolution.....

(B. gent. III. 9.)
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains.
(Mis. V. sc. dernière.)

Un cœur qui donne les mains est une image fausse, et une expression forcée.

La Fontaine a dit absolument donner les mains, dans le sens où le vulgaire dit aujourd’hui mettre les pouces:

«De façon que le philosophe fut obligé de donner les mains

(Vie d’Ésope.)

DONNER UN CRIME, UNE RÉPUTATION:

J’ignore le détail du crime qu’on vous donne.
(Tart. V. 6.)

C’est le latin dare crimen alicui.

Je me souviens toujours du soir qu’elle eut envie de voir Damon, sur la réputation qu’on lui donne, et les choses que le public a vues de lui.

(Critique de l’École des fem. sc. 2.)

On disait de même, au XVIe siècle, donner un bruit à quelqu’un: c’était lui attribuer une réputation. Bonnivet était

«Des dames mieux voulu que ne feut oncques François, tant pour sa beauté, bonne grace et parole, que pour le bruit que chacun luy donnoit d’estre l’un des plus adroits et hardis aux armes qui feust de son temps.»

(La R. de Nav. Heptaméron, nouvelle 14.)

«Elle connoissoit le contraire du faux bruit que l’on donnoit aux François

(Ibid.)

(Voyez BRUIT.)

DONT, au sens de par qui, de qui:

C’est moi, vous dis-je, moi, dont le patron le sait.
(Dép. am. III. 7.)

Cette expression pèche par l’équivoque: il semble que Mascarille veuille dire: ego, CUJUS dominus id rescivit,—et il veut dire: A QUO OU per quem dominus id rescivit.

L’ancienne orthographe eût évité cette confusion (aux yeux du moins), en écrivant: dond le patron le sait.—Unde id rescivit.

DONT, pour de qui, avec un nom de personne:

Messieurs les maréchaux, dont j’ai commandement.
(Mis. II. 7.)
Mon fils, dont votre fille acceptoit l’hyménée.....
(Sgan. 7.)

Et principalement ma mère étant morte, dont on ne peut m’ôter le bien.

(L’Av. II. 1.)

Comme ami de son maître de musique, dont j’ai obtenu le pouvoir de dire qu’il m’envoie à sa place.

(Mal. im. II. 1.)

DONT, par laquelle:

La beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne.

(D. Juan. I. 2.)

La bassesse de ma fortune, dont il plaît au ciel de rabattre l’ambition de mon amour.....

(Am. magn. I. 1.)

DONT A LA MAISON, pour à la maison de qui:

L’objet de votre amour, lui, dont à la maison
Votre imposture enlève un brillant héritage.
(Dép. am. II. 1.)

Molière ne s’est permis qu’une seule fois cette tournure entortillée, et c’est dans son premier ouvrage; car, malgré la chronologie reçue, je tiens le Dépit amoureux aîné de l’Étourdi.

Bossuet fournit un exemple d’une construction aussi bizarre:

«On a peine à placer Osymanduas, dont nous voyons de si magnifiques monuments dans Diodore, et de si belles marques de ses combats.

(Hist. un. IIIe p. § 3.)

Dont nous voyons de si belles marques de ses combats! pour des combats de qui nous voyons de si belles marques. Il n’y a point de doute que ce ne soit là une construction très-vicieuse. Les saints ont eu leurs faiblesses, dit Voltaire; ce n’est point leurs faiblesses qu’il faut imiter.

DONT, au neutre, pour de quoi:

Ah! poltron, dont j’enrage!
Lâche! vrai cœur de poule!
(Sgan. 21.)

Ah! poltron que je suis, de quoi j’enrage; c’est-à-dire, d’être poltron. Unde venit mihi rabies.

DONT relatif, séparé de son sujet:

Comme le mal fut prompt, dont on la vit mourir.
(Dép. am. II. 1.)

(Voyez QUI RELATIF, séparé de son sujet.)

D’ORES-EN-AVANT:

THOMAS DIAFOIRUS. Aussi mon cœur, d’ores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables.

(Mal. im. II. 6.)

Archaïsme, comme ne plus, ne moins. On voit que Thomas Diafoirus est issu de vieille bourgeoisie. On a dit, en ôtant l’s d’ore, dorenavant, et l’on met aujourd’hui un accent sur l’é, dorénavant; en sorte que les racines de ce mot sembleraient être doré et navant. C’est d’ora in avanti, d’ore en avant.

Il est fâcheux que l’Académie consacre l’orthographe et la prononciation vicieuses.

DORMIR SA RÉFECTION, ce qu’il faut pour se refaire.

Le sommeil est nécessaire à l’homme; et lorsqu’on ne dort pas sa réfection, il arrive que.....

(Prol. de la Pr. d’Él., 2.)

DOS; TOMBER SUR LE DOS A QUELQU’UN, en parlant d’un événement fâcheux:

Il faut que tout le mal tombe sur notre dos.
(Sgan. 17.)

DOT, substantif masculin, archaïsme:

L’ordre est que le futur doit doter la future
Du tiers du dot qu’il a.
(Éc. des fem. IV. 2.)

Les éditeurs modernes ont substitué «du tiers de dot.»—Il faudrait au moins du tiers de la dot.

C’est une raillerie que de vouloir me constituer son dot de toutes les dépenses qu’elle ne fera point.

(L’Av. II. 6.)

Montaigne fait toujours dot masculin. Ménage: «Il faut dire la dot et non pas le dot, comme dit M. de Vaugelas dans sa traduction de Quinte-Curce, et M. d’Ablancourt dans tous ses livres. Nicot dit le dost, qui est encore plus mauvais que le dot

(Obs. sur la lang. fr. p. 126.)

L’Avare est de 1668, et Ménage écrivait ses observations en 1672, un an avant la mort de Molière. C’est donc vers cette seconde date que le genre du mot dot a été fixé au féminin.

M. Auger cite ce vers du Riche vilain:

«Un grand dot est suivi d’une grande arrogance.»

Le moyen âge disait dos fém., et dotum, neutre.

(Voyez Du Cange, au mot dotum.)

DOUBLE, substantif, pièce de monnaie:

Vous ne les auriez pas, s’il s’en falloit un double.

(Méd. m. lui. I. 6.)

Il n’y a point de monsieur maître Jacques pour un double!

(L’Av. III. 6.)

C’est-à-dire qu’il se tient plus cher, à plus haut prix. Le double était une petite monnaie de billon. Il n’y en a point pour un double, espèce d’adage pour exprimer un refus formel, une dénégation.

DOUBLE FILS DE PUTAIN:

Double fils de putain, de trop d’orgueil enflé.
(Amph. III. 7.)

Put, pute, du latin putidus, par apocope, ancien adjectif qui signifiait à peu près vilain, vilaine. Il est encore d’usage dans les Vosges et la Franche-Comté. Un vieux noël en patois lorrain, sur l’Épiphanie, dit, en parlant du roi d’Éthiopie:

«Qui ot ce put chabrouillé?»

Qui est ce vilain barbouillé?

La terminaison ain s’ajoutait volontiers, dans les premiers temps de la langue, aux noms de femme ou de femelle. Ève, Èvain; Berte, Bertain. Dans le roman de Renard, la poule s’appelle Pinte et Pintain. M. Ampère pense que c’est un vestige d’anciennes déclinaisons, et la marque du cas oblique; je suis plus porté à y voir simplement une forme de diminutif.

DOUCEUR DE CŒUR, tendresse, amour:

Il se rend complaisant à tout ce qu’elle dit,
Et pourroit bien avoir douceur de cœur pour elle.
(Tart. III. 1.)

DOUTER, verbe actif, DOUTER QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, le redouter, le tenir suspect:

Sous couleur de changer de l’or que l’on doutoit.
(L’Ét. II. 7.)

De l’or que l’on craignait qui ne fût faux.

Douter, se disait jadis en la forme simple; redouter marquait la répétition, l’augmentation de la crainte. Nicot dit: «Doubter, hesitare, dubitare, vereri, timere

«Il n’y a homme tant hardi qui ne doubte trop d’en aller cueillir.»

(Amadis. livre II.)
CLOVIS à saint Remi.
«Sire arcevesque, nous lavez
«Corps et ame dedans ces fons,
«Pour nous garder d’aller à fons
«D’enfer, qui tant fait à doubter
(Mystère de Ste Clotilde.)

Froissart ne connaît que le verbe douter ou se douter, pour signifier redouter:

«Le clerc se doubta du chevalier, car Il estoit crueux.... il vint en presence du sire de Corasse, et luy dit:.... Je ne suis pas si fort en ce pays comme vous estes; mais sachez que, au plustost que je pourrai, je vous envoierai tel champion que vous doubterez plus que vous ne faictes moi. Le sire de Corasse..... luy dict: Va à Dieu, va; fais ce que tu peux: je te doubte autant mort que vif.».

(Froissart. Chron. III. ch. 22.)

Se douter avait le même sens. Pathelin confie à sa femme son plan pour duper le drapier: Bon, dit Guillemette:

«Mais se vous renchéez arrière,
«Que justice vous en repreigne,
«Je me doute qu’il ne vous preigne
«Pis la moitié qu’à l’autre fois.»
(Pathelin.)

«Mais si vous ne réussissez pas, et que la justice s’en mêle, j’ai peur qu’il ne vous en arrive la moitié pis que la dernière fois.»

DOUZE, dans une espèce de rébus ou de calembour trivial:

JACQUELINE. Je vous dis et vous douze (10 et 12) que tous ces médecins n’y feront rian que de l’iau claire.

(Méd. m. lui. II. 2.)

DRAPS BLANCS; METTRE QUELQU’UN DANS DE BEAUX DRAPS BLANCS, par ironie:

Ah! coquines, vous nous mettez dans de beaux draps blancs!

(Préc. rid. 18.)

DRESSER; DRESSER UN ARTIFICE:

Et s’il faut par hasard qu’un ami vous trahisse,
Que pour avoir vos biens on dresse un artifice?
(Mis. I. 1.)

Mais pour lequel des deux princes au moins dressez-vous tout cet artifice?

(Am. magn. IV. 4.)

DRESSER SA PROMENADE VERS...., la diriger:

Dressons notre promenade, ma fille, vers cette belle grotte où j’ai promis d’aller.

(Ibid. III. 1.)

«Elle dressa donc ses pas vers le lieu où elle avoit vu cette fumée.»

(La Font. Psyché. II.)

DU, pour que le:

C’est un étrange fait du soin que vous prenez
A me venir toujours jeter mon âge au nez.
(Éc. des mar. I. 1.)

«C’est dommage du gentilhomme, quand il est ainsi mort.»

(Froissart. Chron. II. ch. 30.)
«Voyez que c’est du monde et des choses humaines!»
(Regnier, le mauvais Giste.)

(Voyez DE remplaçant que le.)

DULCIFIÉ, au sens métaphorique:

GROS-RENÉ.
.... Voilà tout mon courroux
Déjà dulcifié; qu’en dis-tu, romprons-nous?
(Dép. am. IV. 4.)

DULCIFIANT, adjectif:

SGANARELLE. Quelque petit clystère dulcifiant.

(Méd. m. lui. II. 7.)

DU MATIN, dès le matin:

Mais demain, du matin, il vous faut être habile
A vider de céans jusqu’au moindre ustensile.
(Tart. V. 4.)

DU GRAND MATIN, dès le grand matin:

Aujourd’hui il est trop tard; mais demain, du grand matin, je l’enverrai querir.

(Mal. im. I. 10.)

DU MIEUX QUE:

Allez; si elle meurt, ne manquez pas de la faire enterrer du mieux que vous pourrez.

(Méd. m. lui. III. 2.)

(Voyez DE exprimant la cause, la manière.)

DU MOINS, pour au moins:

Je vais gager qu’en perruques et rubans il y a du moins vingt pistoles.

(L’Av. I. 5.)

C’est pour éviter l’hiatus a au.

DUPE A (un infinitif):

Et moi, la bonne dupe à trop croire un vaurien....
(L’Ét. II. 5.)

Et moi, qui en croyant un tel vaurien suis une trop bonne dupe.

(Voyez A (un infinitif), capable de, de nature à.)

DURANT QUE:

Je vous dirai..... que, durant qu’il dormoit, je me suis dérobée d’auprès de lui....

(G. D. III. 12.)

C’est le participe ablatif absolu des Latins: durante quod, comme pendant que, pendente quod.

DURER CONTRE QUELQU’UN, DURER A QUELQUE CHOSE:

CLAUDINE. Il a tant bu, que je ne pense pas qu’on puisse durer contre lui.

(G. D. III. 12.)

Il faut observer que ce durer est devenu du style de servante, mais que cette servante parle comme Tite-Live: «Nec poterat durari extra tecta.» On ne pouvait durer hors des maisons; et comme Plaute: «Nequeo durare in ædibus.» Je ne puis durer chez nous.

«....... durate, atque exspectate cicadas.»
(Juven. IX. 69.)

Au surplus, Molière a relevé cette expression, en la mettant dans la bouche de l’aimable et spirituelle Élise:

Pensez-vous que je puisse durer à ses turlupinades perpétuelles?

(Crit. de l’Éc. des fem. 1.)

DU TOUT:

..... Mon fils, je ne puis du tout croire
Qu’il ait voulu commettre une action si noire.
(Tart. V. 3.)

Je relève ces vers, uniquement pour avoir occasion d’observer que du tout ne s’emploie plus aujourd’hui qu’en des formules négatives, mais qu’il entrait aussi originairement dans des phrases affirmatives. Par exemple:

«Nostre Seignur Deu del tut siwez et de tut vostre quer servez.»

(Rois. p. 41.)

Suivez du tout, c’est-à-dire, absolument, sans restriction, Notre Seigneur Dieu.—Nous sommes appauvris de la moitié de cette locution.

«Pensez, amis, que je faz moult
«Quant je me mets en vous du tout
«Et de ma mort et de ma vie.»
(Partonopeus. v. 7730.)

Quand je me confie entièrement en vous, quand je vous livre ma mort et ma vie.

E muet étouffé pour la mesure:

Les flots contre les flots font un remue-ménage.
(Dép. am. IV. 2.)

L’édition de P. Didot écrit remû-ménage; l’édition faite sous les yeux de Molière, remue-ménage.

Je pousse, et je me trouve en un fort à l’écart,
A la queue de nos chiens, moi seul avec Drécart.
(Fâcheux. II. 7.)

La locution étant ainsi faite, il n’y avait pas moyen de l’employer autrement en vers.

Au reste, il est bon d’observer que dans l’ancienne versification l’e muet ne comptait pas plus à l’hémistiche qu’il ne fait aujourd’hui à la fin d’un vers. Et tout atteste que nos pères avaient l’oreille aussi délicate que nous, pour le moins. Il se passe quelque chose d’analogue en musique. C’est l’altération de la septième dans la gamme mineure; on n’en avait pas l’idée jadis, et nous ne saurions nous en passer. Ce sont des effets de l’éducation, qu’on prend pour des lois naturelles:

Tant de nos premiers ans l’habitude a de force!

E muet de la seconde ou de la troisième personne, comptant pour une syllabe:

Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure.
(L’Ét. I. 6.)
Ah! n’aie pas pour moi si grande indifférence!
(Ibid. II. 7.)
Ils ne vous ôtent rien, en m’ôtant à vos yeux,
Dont ils n’aient pris soin de réparer la perte.
(Psyché. II. 1.)

Mais Psyché est écrite avec une précipitation extrême. Molière, depuis ses premiers ouvrages, ne se permettait plus cette négligence.

ÉBAUBI:

Je suis tout ébaubie, et je tombe des nues!
(Tart. V. 5.)

Trévoux dit que c’est une forme populaire et corrompue du mot ébahi. Il se trompe. La forme première est abaubi, et nos pères distinguaient bien esbahi et abaubi:

«Lors le voit morne et abaubit
(Rom. de Coucy. v. 185.)
«Li chastelains fut esbahis
(Ibid. v. 223.)

La châtelaine de Fayel, voyant dans sa chambre son époux et son amant, demeure stupéfaite:

«Quant ele andeus leans les vist,
«Le cuer a tristre et abaubit.
«Dont dist come esbahie fame:
«Sire diex! quel gent sont cecy?»
(Ibid. v. 4546.)

Esbahi est celui qui reste la bouche béante, comme s’il bâillait. La racine est hiare.

Abaubi a pour racine balbus, dont on fit baube. Louis le Bègue était Loys li Baube:

«Looys, le fil Challe le Chauf, qui Loys li Baubes fut apelez.»

(Chron. de St.-Denys, ad ann. 877.)

Et Philippe de Mouskes:

«Loeys ki Baubes ot nom.»

Louis, surnommé le Bègue.

En composant cet adjectif avec a, qui marquait une action en progrès, on fit abaubir, comme alentir, apetisser, agrandir, et, par la corruption de l’âge, ébaubi.

Un homme ébahi est muet de surprise; l’ébaubi est celui que la surprise fait bégayer, balbutier.

Trévoux dérive esbahir de l’hébreu schebasch, et ébaubi, d’ébahir.

Le verbe était bauboier ou baubier, qui s’écrivait balbier. Il y a dans Partonopeus un exemple naïf d’une femme ébaubie, ou abaubie: c’est quand la fée Mélior, en s’éveillant, ne trouve plus Partonopeus à ses côtés; elle veut l’appeler par son nom:

«Nel puet nomer, et neporquant
«Balbié l’a en souglotant:
«Parto, Parto, a dit souvent,
«Puis dit nopeu, moult feblement;
«Et quant a Partonopeu dit
«Pasmee ciet desor son lit.»
(Partonopeus. v. 7245.)

(Voyez Du Cange aux mots Balbire et Balbuzare.)

Balbier (baubier), est la forme primitive, tirée de balbus.

Balbutier est de seconde formation, calqué sur balbutire.

ÉBULLITIONS DE CERVEAU:

Je suis pour le bon sens, et ne saurois souffrir les ébullitions de cerveau de nos marquis de Mascarille.

(Crit. de l’Éc. des fem. 6.)

ÉCHAPPER (L’) BELLE:

Je viens de l’échapper bien belle, je vous jure!
(Éc. des fem. IV. 6.)

Le substantif de l’ellipse paraît être occasion, comme dans vous nous la donnez belle! On comprend que, dans ces formules, l’absence du mot précis a permis à l’usage d’étendre un peu le sens et les applications.

Nous l’avons en dormant, madame, échappé belle!
(Fem. sav. IV. 3.)

L’usage a consacré cette forme avec cette orthographe, parce qu’elle date d’une époque où l’on n’était pas bien rigoureux sur l’accord des participes, et que d’ailleurs l’ellipse du substantif féminin dissimule un peu la faute. Il est certain que, à la rigueur, il faudrait échappée belle. Cependant, en prose même, personne n’a jamais écrit le participe au féminin:

«Ma foi, mon ami, je l’ai échappé belle depuis que je ne t’ai vu!»

(Lesage, Gil Blas.)

L’italien possède beaucoup de locutions faites, où l’adjectif est ainsi au féminin par rapport à un substantif sous-entendu:—come la passate?questa non l’intendo;—ei me l’ha fatta;—questa non mi calza, etc., etc., où l’on peut supposer dans l’ellipse les mots vita, cosa, burla, scarpa.

ÉCHELLE; TIRER L’ÉCHELLE APRÈS QUELQU’UN:

Lucas. Oh, morguenne! il faut tirer l’échelle après ceti-là.

(Méd. m. lui. II. 1.)

Cette figure s’entend assez: quand on tire l’échelle, c’est qu’on n’a plus à laisser monter personne, étant satisfait de ce qui est monté.

ÉCHINE; AJUSTER L’ÉCHINE, bâtonner:

Ah! vous y retournez!
Je vous ajusterai l’échine.
(Amph. III. 7.)

ÉCLAIRÉ EN HONNÊTES GENS:

L’âge le rendra plus éclairé en honnêtes gens.

(Crit. de l’Éc. des f. 5.)

C’est-à-dire, lui apprendra à les mieux reconnaître.

ÉCLAIRER QUELQU’UN, l’espionner, éclairer ses démarches:

Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire!
(L’Ét. I. 4.)
Dites-lui qu’il s’avance,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et qu’il ne se verra d’aucuns yeux éclairé.
(D. Garcie. IV. 3.)
J’ai voulu vous parler en secret d’une affaire,
Et suis bien aise ici qu’aucun ne nous éclaire.
(Tart. III. 3.)

Il nous reste en ce sens le substantif éclaireur; aller en éclaireur.

On disait éclairer à quelqu’un, pour signifier lui éclairer son chemin. Nicot fait soigneusement la distinction entre éclairer quelqu’un et à quelqu’un; il explique le second: «Prælucere alicui; lucem facere alicui; lustrare lampade.» Ainsi quand on lit dans Don Juan, act. IV, scène 3,—Allons, monsieur Dimanche, je vais vous éclairer,—il faut entendre ce vous au datif, pour à vous, et non pas à l’accusatif, comme aujourd’hui nous disons, Éclairez monsieur. C’est une politesse très-impolie: monsieur n’a pas besoin qu’on l’éclaire, mais qu’on lui éclaire sa route.

Ce vice du langage moderne paraît né de l’équivoque des formes vous, moi, me, qui servent aussi pour à vous, à moi.

ÉCLATS DE RISÉE, éclats de rire:

A tous les éclats de risée, il haussoit les épaules, et regardoit le parterre en pitié.

(Crit. de l’Éc. des fem. 6.)

«Ces paroles à quoi Gélaste ne s’attendoit point, et qui firent faire un petit éclat de risée, l’interdirent un peu.»

(La Fontaine. Psyché. I.)

ÉCOT; PARLER A SON ÉCOT:

Mais quoi...?—Taisez-vous, vous; parlez à votre écot.
Je vous défends tout net d’oser dire un seul mot.
(Tart. IV. 3.)

C’est-à-dire parlez à votre tour, en proportion de votre droit et de votre dû, comme chacun mange à son écot.

ÉCOUTER UN CHOIX, y entendre, l’examiner:

Le choix est glorieux, et vaut bien qu’on l’écoute.
(Tart. II. 4.)

ÉCU; LE RESTE DE NOTRE ÉCU:

Mme JOURDAIN (apercevant Dorimène et Dorante). Ah, ah! voici justement le reste de notre écu! Je ne vois que chagrins de tous côtés.

(B. gent. V. 1.)

Expression figurée, prise du change des monnaies. Voici le reste de notre écu! c’est-à-dire, voici qui complète notre infortune.

EFFICACE, substantif féminin:

On n’ignore pas qu’une louange, en grec, est d’une merveilleuse efficace à la tête d’un livre.

(Préf. des Précieuses ridicules.)

Il est trop heureux d’être fou, pour éprouver l’efficace et la douceur des remèdes que vous avez si judicieusement ordonnés.

(Pourc. I. 11.)

L’efficace, pour l’efficacité, commençait déjà, en 1669, à devenir un terme suranné; mais il a d’autant meilleure grâce dans la bouche d’un personnage grave et doctoral.

Il faut observer qu’il y a dix ans entre les Précieuses ridicules et Monsieur de Pourceaugnac (1659-1669.)

EFFRÉNÉ: PROPOS EFFRÉNÉS:

Comment! il vient d’avoir l’audace
De me fermer la porte au nez,
Et de joindre encor la menace
A mille propos effrénés!
(Amph. III. 4.)

Puisqu’on dit bien une langue sans frein, pourquoi ne dirait-on pas aussi des propos effrénés? La métaphore est la même. Mais on ne saurait approuver des traits effrontés (Tartufe, II. 2); des épigrammes, des coups de langue, peuvent s’appeler des traits, parce que l’effet de l’un comme de l’autre est de blesser, de piquer; mais des traits n’ont pas de front. Il y a incohérence, incompatibilité d’images. C’est Dorine qui est effrontée.

EFFROI, au sens actif. Voyez PLEIN D’EFFROI.

ÉGARER (SE) DE QUELQU’UN:

Je m’étois par hasard égaré d’un frère et de tous ceux de notre suite.

(D. Juan. III. 4.)

Les Italiens disent de même smarrito della via.

J’observe que l’on disait aussi égarer quelqu’un, au même sens que s’égarer de quelqu’un:

«Considerant les mouvements du chien........ à la queste de son maistre qu’il a esgaré

(Montaigne, II. 13.)

C’est-à-dire dont il s’est égaré.

Nicot ne donne que la forme s’égarer d’avec: «L’enfant s’est esgaré d’avec son père

Ménage dérive égarer de je ne sais quel varare, qu’il traduit par traverser. Égarer, garer, garder, garir (auj. guérir), guérite, garantir, tous ces mots descendent de l’allemand, bewahren (en anglais beware), en passant par la basse latinité, d’où le w se changeait, pour le français, en gu ou g dur. Werdung, guerdon;—Wantus, guant (gant);—Wardia, garde;—Wadium, gage;—Wallia, Gaule;—Warenna (ubi animalia custodiuntur), garenne; etc., etc.

Guérite ou garite signifiait une route à l’écart, un sentier détourné, par où l’on cherchait un refuge devant l’ennemi, sich bewahren, à se garer ou à se garir. De là cette vieille expression, enfiler la guérite, c’est-à-dire, fuir, chercher un asile dans la fuite. De même s’égarer, c’est se jeter dans ce petit chemin perdu, hors de la vue et de la poursuite.

On voit d’un même coup d’œil comment se rattachent à cette famille l’exclamation gare! qui n’est que l’impératif du verbe se garer: se garer des chevaux, des voitures; et le substantif féminin gare; une gare pour les bateaux, la gare d’un chemin de fer. L’enchaînement des idées est donc celui-ci: protection, fuite, écart, égarement.

ÉGAYER SA DEXTÉRITÉ, la faire jouer, en faire parade:

Mais la princesse a voulu égayer sa dextérité, et de son dard, qu’elle lui a lancé un peu mal à propos.... etc.

(Am. magn. V. 1.)

ÉLEVER SES PAROLES, élever la voix:

Plus haut que les acteurs élevant ses paroles.
(Fâcheux. I. 1.)

ÉLISION.

Oui, ne faisant pas élision:

Et son cœur est épris des grâces d’Henriette.
—Quoi! de ma fille?
Oui, Clitandre en est charmé.
(Fem. sav. II. 3.)

L’hiatus n’est pas en cet endroit plus choquant que dans cet autre, où la règle du moins n’a pas à se plaindre:

Ces gens vous aiment?—Oui, de toute leur puissance.
(Ibid. II. 3.)

Le repos fortement marqué fait disparaître l’hiatus. Quand ce repos est moindre, Molière ne manque pas d’élider:

Notre sœur est folle, oui!—Cela croît tous les jours.
(Fem. sav. II. 4.)

Sans élision:

Moi, ma mère?—Oui, vous. Faites la sotte un peu!
(Ibid. III. 6.)

Ouais:

Hé non! mon père.—Ouais! qu’est-ce donc que ceci?

(Ibid. V. 2.)

L’hiatus dans ces passages est moins sensible à l’oreille que dans une foule d’autres, où il est plus réel, quoique dissimulé à l’œil par l’orthographe. Ainsi:

Aucun, hors moi, dans la maison
N’a droit de commander.—Oui, vous avez raison.
(Ibid. V. 2.)

Cela est très-légitime; mais on interdirait: il m’a commandé, oui....., qui est pour l’oreille absolument la même chose. Un des pires inconvénients de la versification moderne, c’est que les règles en ont été faites pour le plaisir des yeux, sans égard de celui de l’oreille. C’était précisément le contraire dans l’ancienne poésie française. Aussi les vers modernes, avec leur apparence de politesse et de rigidité, sont-ils remplis d’hiatus et de fautes contre la mesure. C’est ce que j’ai essayé de développer dans mon essai sur les variations du langage français, p. 177.

ELLÉBORE, raison, bon sens:

Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore;
Et vous aviez besoin de mon peu d’ellébore.
(Sgan. 22.)

Sur cette expression mon peu d’ellébore, voyez PEU pour un peu.

ELLIPSE:

D’UN VERBE DÉJA EXPRIMÉ, et qui, répété, serait aux mêmes temps, nombre et personne que devant:

Hé bien! vous le pouvez, et prendre votre temps.
(Fâcheux. III. 2.)

Et vous pouvez prendre votre temps.

Oui, toute mon amie, elle est, et je la nomme,
Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme.
(Mis. III. 7.)

Toute mon amie qu’elle est, elle est, etc....

Puisse-t-il te confondre, et celui qui t’envoie!
(Tart. V. 4.)

Et confondre celui, etc. Confondre toi et celui...

D’UN VERBE DÉJA EXPRIMÉ, qui, répété, serait à une autre personne, à un autre nombre ou à un autre temps:

Vous vous moquez de moi, Léandre, ou lui de vous.
(L’Ét. III. 4.)

Ou lui se moque de vous.

Ah! vous ne pouvez pas trop tôt me l’accorder (le pardon),
Ni moi sur cette peur trop tôt le demander.
(Dép. am. IV. 3.)

Ni moi je ne peux.....

Il parle d’Isabelle, et vous de Léonor.
(Éc. des mar. III. 10.)

Et vous parlez de Léonor.

Je ne veux point ici faire le capitan,
Mais on m’a vu soldat avant que courtisan.
(Fâcheux. I. 10.)

Avant que de me voir courtisan.

Vous attendez un frère, et Léon son vrai maître.
(D. Garcie. V. 5.)

Vous attendez un frère, et le royaume de Léon attend son vrai maître.

Je suis le misérable, et toi le fortuné.
(Mis. III. 1.)

Tu es le fortuné.

Puisque vous n’êtes pas en des liens si doux
Pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous...
(Ibid. V. 7.)

Comme je trouve tout en vous.

Et comme ses lumières sont fort petites, et son sens le plus borné du monde.....

(Pourc. III. 1.)

Et que son sens est le plus borné du monde.

Ces sortes d’ellipses sont très-favorables à la rapidité du langage, mais la grammaire les repousse. Bossuet en use fréquemment:

«Au point du jour, lorsque l’esprit est le plus net et les pensées le plus pures, ils lisoient, etc.»

(Hist. un. IIIe p. § III.)

Et que les pensées sont le plus pures.

«Le roi de Babylone fut tué, et les Assyriens mis en déroute

(Ibid. § IV.)

Et les Assyriens furent mis en déroute.

«M. Arnauld mériteroit l’approbation de la Sorbonne, et moi, la censure de l’Académie.»

(Pascal, 3e Prov.)

Et moi je mériterais.

D’UN VERBE NON EXPRIMÉ, mais que la pensée supplée facilement:

. . . . . . . . . . . . . . . Ton maître t’a chargé
De me saluer?—Oui.—Je lui suis obligé:
Va, que je lui souhaite une joie infinie.
(Dép. am. III. 2.)

Va, dis-lui que, etc.

Non, mon père m’en parle, et qu’il est revenu,
Comme s’il devoit m’être entièrement connu.
(Éc. des fem. I. 6.)

Et me dit qu’il est revenu.

«Ils ont demandé avec instance que s’il y avoit quelque docteur qui les y eût vues (les cinq propositions), il voulût les montrer: que c’étoit une chose si facile, qu’elle ne pouvoit être refusée.»

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