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Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

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Quoi! sur un beau semblant de ferveur si touchante...
(Tart. V. 1.)

Mauvaise leçon. L’édition originale de 1669 porte: sous un beau semblant. (voy. la Préface.)

SURPRENDRE AU DÉPOURVU:

Mais je vous avouerai que cette gayeté
Surprend au dépourvu toute ma fermeté.
(D. Garcie. V. 6.)

SURSÉANCE; FAIRE SURSÉANCE A... surseoir:

Et jusques à demain je ferai surséance
A l’exécution, monsieur, de l’ordonnance.
(Tart. V. 4.)

SUS; SUS DONC:

Oui? Sus donc, préparez vos jambes à bien faire.
(L’Ét. II. 14.)

Sus n’est autre chose que sur. La consonne finale étant inarticulée dans l’origine, il arrivait souvent que l’écriture notât une consonne pour une autre. Courir sus à quelqu’un, c’est courir sur quelqu’un; mais sur, dans la première de ces locutions, est aujourd’hui employé comme adverbe; il est préposition dans la seconde. Sus, sus, c’est-à-dire, Allons, debout!

Mais pourquoi n’a-t-on pas dit courir sus à quelqu’un? l’euphonie y trouvait aussi bien son compte. Voyez, à l’article CHAISE, ce qui est dit du zézayement parisien.

Nicot: «Sus ou SUR, super

Le langage de la jurisprudence a conservé susanner, qui est une autre prononciation de suranner, réduit lui-même aujourd’hui à son participe passé.

«Une prise de corps ne se susanne jamais.»

(De Laurière.)

C’est-à-dire, ne perd pas sa vertu, faute d’avoir été exécutée dans l’année; ne se suranne pas, non antiquatur.

Vous observerez que les Latins employaient déjà sus pour super en composition. Suspendere est pour superpendere.

SUSPENS SI (ÊTRE EN)...: (Voyez SI répondant au latin an, utrùm.)

SYLLEPSE qui suppose un nominatif non exprimé:

Cet arrêt suprême,
Qui décide du sort de mon amour extrême,
Doit m’être assez touchant pour ne pas s’offenser
Que mon cœur par deux fois le fasse répéter.
(Éc. des mar. II. 14.)

Pour ne pas s’offenser, c’est-à-dire pour qu’ON ne s’offense pas. Le sujet de la phrase est l’arrêt; ce n’est point l’arrêt qui s’offensera, c’est Sganarelle.

Il semble que, quand le sens est aussi évident, on peut dans un dialogue familier, et pour l’amour de la concision, tolérer ces inexactitudes, et laisser dormir la rigueur de certaines lois grammaticales.

D. PÈDRE. Et, cette nuit encore, on est venu chanter sous nos fenêtres.

ISIDORE. Il est vrai. La musique en étoit admirable!

(Sicilien. 7.)

En se rapporte à l’idée de concert, sérénade, éveillée par la phrase précédente, où pourtant ce mot ne se trouve pas, ni aucun semblable.

Ah! les menuets sont ma danse, et je veux que vous me le voyiez danser.

(B. gent. II. 1.)

Que vous me voyiez danser le menuet.

Racine a dit, par un tour semblable:

«Entre le pauvre et vous vous prendrez Dieu pour juge;
«Vous souvenant, mon fils, que, caché sons ce lin,
«Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.»
(Athalie. IV. 4.)

(Voyez, p. 147, EN par syllepse.)

SYMÉTRIE DES TEMPS. (Voyez aux mots CONDITIONNELS, SUBJONCTIF, et FUTURS.)

T EUPHONIQUE:

Voilà-t-il pas monsieur qui ricane déjà?
(Tart. I. 1.)

Nos anciens eussent écrit voilat il pas, ou bien voila il pas, laissant à l’usage le soin d’indiquer la consonne euphonique.

La seconde manière était celle du XVIe siècle; mais Théodore de Bèze nous avertit de prononcer un t intercalaire:—«Cette lettre offre une particularité curieuse, c’est qu’on la prononce là où elle n’est pas écrite. Vous voyez écrit parle il, et vous prononcez, en intercalant le t, parle til. On écrira va il, ira il, parlera il, et l’on prononcera va til, ira til, parlera til

(De fr. ling. rect. pron. p. 36.)
Ainsi, n’ayant au cœur nul dessein pour Clitandre,
Que vous importe-t-il qu’on y puisse prétendre?
(Fem. sav. I. 1.)
Va, va-t’en faire amende honorable au Parnasse.
(Ibid. III. 5.)

TABLER, tenir table:

Et, pleins de joie, allez tabler jusqu’à demain.
(Amph. III. 6.)

TACHER A (un infinitif), tâcher de:

La mémoire du père, à bon droit respectée,
Joint au grand intérêt que je prends à la sœur,
Veut que du moins l’on tâche à lui rendre l’honneur.
(Éc. des mar. III. 4.)
Tâchons à modérer notre ressentiment.
(Éc. des fem. II. 2.)
Que votre esprit un peu tâche à se rappeler.
(Mis. IV. 2.)
Il suffit qu’il se rende plus sage,
Et tâche à mériter la grâce où je m’engage.
(Tart. III. 4.)
Je vois qu’envers mon frère on tâche à me noircir.
(Ibid. III. 7.)

TAIRE (SE) DE QUELQUE CHOSE:

C’est bien la moindre chose que je vous doive..., que de me taire devant vous d’une personne que vous connoissez.

(D. Juan. III. 4.)

C’est avoir bien de la langue, que de ne pouvoir se taire de ses propres affaires.

(Scapin. III. 4.)
«Je m’en tais, et ne veux leur causer nul ennui.»
(La Font. Le Geai paré des plumes du Paon.)

«Dame, si vous faictes nulle mention de celle avenue, vous serez deshonorée. Taisez-vous-en, et je m’en tairai aussi pour vostre honneur.»

(Froissart. Chron. III. ch. 49.)

(Voyez DE répondant au latin de, touchant; et MENTIR.)

TANT devant un adjectif, pour si, tellement:

Voilà une malade qui n’est pas tant dégoûtante.

(Méd. m. lui. II. 6.)

Elle n’est point tant sotte, ma foi, et je la trouve assez passable.

(Scapin. I. 3.)

TANT DE (un substantif), QUE DE (un infinitif):

Qui donc est le coquin qui prend tant de licence
Que de chanter et m’étourdir ainsi?
(Amph. I. 2.)

TARARE!

GEORGE DANDIN. Je te donnerai....

LUBIN. Tarare!...

(G. D. II. 7.)

L’emploi de ce mot paraît remonter très-haut dans les origines de notre langue. Tarare serait une tradition de taratara, parole dépourvue de sens, espèce d’onomatopée pour exprimer le son émis d’une bouche qui ne peut articuler. «La peste lui avait ôté la parole; au lieu de parler il sifflait, et, voulant crier, ne faisait entendre que taratara» (ou tarare).

(Vie de St. Augustin. Du Cange, in Taratara.)

TARTUFIER:

Non, vous serez, ma foi, tartufiée.
(Tart. II. 3.)

Ce verbe, de la création de Molière, n’a point passé dans la langue commune, comme tartufe et tartuferie.

Molière a composé de même désosier et désamphitryonner.

TATÉ, tâtonné, cherché; DES TRAITS NON TATÉS:

Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide,
Et dont, comme un éclair, la justesse rapide
Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés,
De ses expressions les touchantes beautés.
(La Gloire du Val-de-Grâce.)

EN TATER, mis absolument, avec un sens elliptique, mais sans relation grammaticale:

Voilà ce que c’est d’avoir causé. Vous n’en tâterez plus, et je vous laisse sur la bonne bouche.

(G. D. II. 7.)

TAXER DE (un infinitif), comme accuser de:

Je m’offre à vous y servir, puisqu’il m’en a déjà taxée.

(G. D. I. 7.)

TEMPÉRAMENT, dans le sens du latin temperare, modérer, ménager, régler:

Vous ne gardez en rien les doux tempéraments.
(Tart. V. 1.)

Dans la vieille langue, on disait tremper une harpe; c’était, avec l’r transposée, temprer, tempérer cette harpe, l’accorder, temperare. Dans Ovide: «Temperare citharam nervis.» On accorde les pianos par tempérament, c’est-à-dire, en tempérant les quintes, qui, dans les instruments à clavier, ne peuvent s’accorder avec une rigueur mathématique, puisque le bémol s’y confond avec le dièze.

Tempérament, dans le vers de Molière, exprime la même idée.

TEMPLE.

On n’osait pas, au XVIIe siècle, faire prononcer sur le théâtre le mot église: c’eût été regardé comme une profanation. On se servait du mot païen:

Et vous promets ma foi ...—Quoi?—Que vous n’êtes pas
Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place.
(Dép. am. I. 2.)
«Soit; mais il est saison que nous allions au temple
(Corneille. Le Menteur.)

TEMPS; LE BON TEMPS; ironiquement, l’âge d’or:

Pour une jeune déesse,
Vous êtes bien du bon temps!
(Amph. prol.)

Dit Mercure à la Nuit.

UN TEMPS, adverbe; quelque temps:

Je souffrirai un temps, mais j’en viendrai à bout.

(B. gent. III. 10.)

TENDRE, verbe neutre; TENDRE A, tendere ad, se diriger vers...:

Où tend Mascarille à cette heure?
(Dép. am. I. 4.)

Molière emploie ici au sens propre une expression qui se dit tous les jours au sens figuré: Où tend cette conduite? où tend ce discours? Si on le dit bien au figuré, à plus forte raison est-il permis de le dire au propre, puisque l’image suppose toujours la réalité, et le sens étendu le sens restreint.

TENDRE, adjectif; substantivement, LE TENDRE DE L’AME:

C’est me faire une plaie au plus tendre de l’âme.
(L’Ét. III. 4.)

TENDRE A (un substantif):

Vous pensiez bien trouver quelque jeune coquette
Friande de l’intrigue, et tendre à la fleurette.
(Éc. des mar. II. 9.)
Vous êtes donc bien tendre à la tentation?
(Tart. III. 2.)

TENIR; EN TENIR, être pris, être attrapé:

Quoi, peste? le baiser!
Ah! j’en tiens!
(Sgan. 6.)
Il en tient, le bonhomme, avec tout son phébus,
Et je n’en voudrois pas tenir cent bons écus.
(Éc. des mar. III. 2.)

Il en tient signifie il est attrapé. Je ne voudrais pas en tenir cent écus, c’est-à-dire, je ne voudrais pas, au lieu de cette aventure, tenir cent écus; je ne la donnerais pas pour cent écus. En joue ici le même rôle que dans cette locution: Combien en voulez-vous?—Je n’en voudrais pas tenir ou recevoir cent écus. Dans l’une et l’autre formule, en marque l’échange.

Sganarelle, plus loin, exprime la même idée en d’autres termes:

Allez, mon frère aîné, cela vous sied fort bien!
Et je ne voudrois pas, pour vingt bonnes pistoles,
Que vous n’eussiez ce fruit de vos maximes folles.
(Éc. des mar. III. 6.)

SGANARELLE. Je ne voudrois pas en tenir dix pistoles! Hé bien, monsieur?

(D. Juan. III. 6.)

Hé bien, monsieur, votre incrédulité est-elle assez confondue? Je ne voudrais pas, pour dix pistoles, que la statue n’eût baissé la tête.

TENIR, retenir:

Je ne sais qui me tient, infâme,
Que je ne t’arrache les yeux!
(Amph. II. 3.)

TENIR, verbe actif, estimer, juger:

On la tenoit morte il y avoit déjà six heures.

(Méd. m. lui. I. 5.)

On la tenait pour morte.

Fort bien.—Et je vous tiens mon véritable père.
(Éc. des fem. V. 6.)
Je le tiendrois fort misérable,
S’il ne quittoit jamais sa mine redoutable.
(Amph. prol.)

Je n’ignore pas qu’à cause de votre noblesse vous me tenez fort au-dessous de vous.

(G. D. II. 3.)

«Je tiens impossible de connoître les parties sans connoître le tout.»

(Pascal. Pensées. p. 300.)

«On a véritablement recueilli les vies de ces deux grands hommes (Homère et Ésope), mais la plupart des savants les tiennent toutes deux fabuleuses

(La Font. Vie d’Ésope.)

TENIR A (un substantif), même sens:

Il n’y a personne sans doute qui ne tint à beaucoup de gloire de toucher à un tel ouvrage.

(Sicilien. 12.)

«Le magistrat, tenant à mépris et irrévérence cette réponse, le fit mener en prison.»

(La Font. Vie d’Ésope.)

Molière a dit, par la même tournure, être à mépris:

Et toi, pour te montrer que tu m’es à mépris,
Voilà ton demi-cent d’épingles de Paris.
(Dép. am. IV. 4.)

TENIR (SE) A QUELQUE CHOSE, pour s’en tenir:

Je puis fermer les yeux sur vos flammes secrètes,
Tant que vous vous tiendrez aux muets interprètes.
(Fem. sav. I. 4.)

TENIR AU CUL ET AUX CHAUSSES, c’est empoigner solidement; métaphore triviale que Molière met dans la bouche de maître Jacques:

On n’est pas plus ravi que de vous tenir au cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre lésine.

(L’Av. III. 5.)

TENIR DES CHARGES, les occuper:

Je suis né de parents sans doute qui ont tenu des charges honorables.

(B. gent. III. 12.)

TENIR DES PAROLES, comme tenir un discours, un propos:

Je vous trouve fort bon de tenir ces paroles!
(Fâcheux. I. 8.)

Qui ose tenir ces paroles? Je crois connoître cette voix.

(D. Juan. V. 5.)

TENIR LA CAMPAGNE:

Nous nous voyons obligés, mon frère et moi, à tenir la campagne pour une de ces fâcheuses affaires qui..., etc.

(D. Juan. III. 4.)
«Lui (Napoléon), bravant tous les dangers,
«Semblait tenir seul la campagne
(Béranger.)

TENIR SA FOI, comme on dit tenir sa parole:

Valère a votre foi: la tiendrez-vous, ou non?
(Tart. I. 6.)

TENIR SON QUANT-A-MOI:

Elle m’a répondu, tenant son quant-à-moi:
Va, va, je fais état de lui comme de toi.
(Dép. am. IV. 2.)

«Quand nous avons quelque différend, ma sœur et moi, si je fais la froide et l’indifférente, elle me recherche; si elle se tient sur son quant-à-moi, je vas au-devant.»

(La Fontaine. Psyché. II.)

«Dans les phrases à la troisième personne, comme celle-ci, on dit aussi, et avec plus de raison peut-être, quant-à-soi: il a tenu son quant-à-soi

M. Auger.

Du moment que ce groupe de mots ne forme plus qu’un substantif composé, les éléments doivent en être fixes et invariables. Il semble qu’on doit adopter quant-à-moi, comme ont fait Molière et la Fontaine; car on ne pourrait pas dire: je garde mon quant-à-soi, tandis qu’on dira bien: il garde son quant-à-moi.

A propos de cette locution quant à moi, signifiant quant à ce qui me regarde, Ménage déclare qu’elle n’est plus du bel usage. «M. de Vaugelas, dit-il, permet quant à nous, quant à vous, et condamne seulement quant à moi. Je suis plus sévère: toutes ces façons de parler ont vieilli, et ne sont plus du bel usage.»

Rien n’est plus propre que cette observation de Ménage à faire voir combien, dans les études grammaticales de ce temps-là, le caprice tenait lieu de raison. En effet, quelle raison pouvait avoir Vaugelas de permettre quant à nous et d’interdire quant à moi? Où prenait-il le prétexte de cette distinction? Il fallait qu’il fût bien sûr de l’autorité de son nom pour oser rendre de semblables arrêts! Au reste, la docilité du public se chargeait de justifier la tyrannie de Vaugelas. Ménage du moins était plus conséquent, qui supprimait tout.

TENIR UN EMPIRE, le posséder, en être investi:

Cet empire que tient la raison sur nos sens
Ne ferme point notre âme aux douceurs des encens.
(Fem. sav. III. 5.)

TERMES; EN ÊTRE AUX TERMES DE:

La chose en est aux termes de n’en plus faire de secret.

(D. Juan. III. 4.)

TIRÉ, forcé:

Et toutes vos raisons, monsieur, sont trop tirées.
(Tart. IV. 1.)

Par abréviation, pour tiré par les cheveux.

«Il y a (dans l’Ancien Testament) des figures qui ont pu tromper les Juifs, et qui semblent un peu tirées par les cheveux

(Pascal. Pensées. p. 177.)

Port-Royal, par révérence du beau langage, a substitué: peu naturelles.

TIRER, attirer:

Sa grâce et sa vertu sont de douces amorces
Qui pour tirer les cœurs ont d’incroyables forces.
(L’Ét. III. 2.)

TIRER, prendre son chemin; métaphore prise du cheval, qui tire à droite ou à gauche:

Tirez de cette part; et vous, tirez de l’autre.
(Tart. II. 4.)

TIRER SA POUDRE AUX MOINEAUX, perdre sa peine:

Croyez-moi, c’est tirer votre poudre aux moineaux.
(Éc. des mar. II. 9.)

TIRER SES CHAUSSES, s’enfuir:

Donnez-moi vitement quelques coups de bâton,
Et me laissez tirer mes chausses sans murmure.
(Dép. am. I. 4.)
MORON.
Il m’a fallu tirer mes chausses au plus vite.
(Pr. d’Él. V. 1.)

La Fontaine dit, d’une manière moins triviale, tirer ses grègues:

«Le galant aussitôt
«Tire ses grègues, gagne au haut,
«Mal content de son stratagème.»
(Le Coq et le Renard.)

Les grègues étaient une espèce particulière de chausses à la mode grecque. Le moyen âge écrivait et prononçait segretaire; nous prononçons segond tout en écrivant second, par égard pour l’étymologie secundus; nous écrivons et prononçons cigogne, qui vient de ciconia; et nous articulons aussi durement que possible le féminin de grec, grecque. Ce sont les effets du temps et du progrès.

TIRER UNE AFFAIRE DE LA BOUCHE DE QUELQU’UN:

Je pense qu’il vaut mieux que de sa propre bouche
Je tire avec douceur l’affaire qui me touche.
(Éc. des fem. II. 2.)

Je tire le détail de l’affaire. La pensée va toujours à l’économie des paroles, surtout la pensée d’un homme agité par la passion, comme est Arnolphe.

TOMBER DANS L’EXEMPLE, en venir aux exemples:

Et, pour tomber dans l’exemple, il y avoit l’autre jour des femmes....

(Critique de l’Éc. des fem. 3.)

TOMBER DANS UNE MALADIE:

Monsieur, j’ai une fille qui est tombée dans une étrange maladie.

(Méd. m. lui. II. 3.)

TON, métaphoriquement, joint à frapper, pris au propre:

Il frappe un ton plus fort!
(Amph. I. 2.)

Comme on dirait: il chante un ton plus haut.

TORRENT EFFRÉNÉ:

C’est battre l’eau, de prétendre arrêter
Ce torrent effréné, qui de tes artifices
Renverse en un moment les plus beaux édifices.
(L’Ét. III. 1.)

Peut-on dire un torrent effréné? Le frein se met à la bouche; un torrent peut-il recevoir un frein? Racine a bien dit:

«Celui qui met un frein à la fureur des flots...;»

mais il y a le mot fureur qui sauve l’excès de la métaphore en la préparant, puisque la fureur est le propre des êtres animés.

TOUCHANT A..., important pour...:

Et cet arrêt suprême,
Qui décide du sort de mon amour extrême,
Doit m’être assez touchant pour ne pas s’offenser
Que mon cœur par deux fois le fasse répéter.
(Éc. des mar. II. 14.)

TOUCHER, métaphoriquement, parlant des ouvrages d’esprit:

La tragédie sans doute est quelque chose de beau quand elle est bien touchée.

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)

TOUCHER DE RIEN (NE):

Se dépouiller..... entre les mains d’un homme qui ne nous touche de rien.

(Am. méd. I. 5.)

TOUR DE BABYLONE. (Voyez BABYLONE.)

TOURNER, pour se tourner:

Aussi mon cœur d’ores en avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables.

(Mal. im. II. 6.)

TOURNER LA JUSTICE:

Le poids de sa grimace, où brille l’artifice,
Renverse le bon droit et tourne la justice.
(Mis. V. 1.)

«L’expression tourne la justice n’est pas juste. On tourne la roue de fortune, on tourne une chose, un esprit même, à un sens; mais tourner la justice ne peut signifier séduire, corrompre la justice

(Voltaire.)

Cette remarque paraît sévère. Pourquoi ne dirait-on pas tourner pour retourner, détourner? Tourner le visage, tourner la tête, tourner le dos, c’est retourner ou détourner le dos, la tête, le visage. De même tourner la justice, c’est la détourner de son cours naturel.

TOURNER UNE AME:

Ainsi que je voudrai, je tournerai cette âme.
(Éc. des fem. III. 3.)

TOUT, invariable devant un adjectif:

Mais enfin je connus, ô beauté tout aimable,
Que cette passion peut n’être point coupable.
(Tart. III. 3.)
Et, traitant de mépris les sens et la matière,
A l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière.
(Fem. sav. I. 1.)

«Je crains que cette censure... ne donne, à ceux qui en sauront l’histoire, une impression tout opposée à la conclusion.»

(Pascal. 1re Prov.)

Tout signifie ici tout à fait. Il est donc adverbe. Molière cependant l’a fait quelquefois adjectif, s’ajustant en cela aux inconséquences de l’usage.

On remarquera que, dans tous ces exemples, l’adjectif uni à tout commence par une voyelle, en sorte que si l’on écrivait toute, il y aurait élision. Il a dépendu de l’imprimeur de supprimer l’e de toute, et ces textes ne sont pas des preuves irrécusables pour l’invariabilité; au lieu que pour le cas contraire ils ne peuvent avoir été falsifiés.

(Voyez TOUT, variable.)

TOUT, variable devant un adjectif:

La fourbe a de l’esprit, la sotte est toute bonne.
(Mis. III. 5.)
Oui, toute mon amie, elle est, et je la nomme,
Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme.
(Ibid. III. 7.)

«Ils y en ont trouvé de toutes contraires

(Pascal. 1re Prov.)

Des propositions tout à fait contraires aux cinq attribuées à Jansénius.

«La Grèce, toute polie et toute sage qu’elle étoit...»

(Bossuet. Hist. univ.)

Il est manifeste que dans ces exemples tout représente tout à fait; il devrait donc être invariable comme l’adverbe dont il tient la place. Cependant il ne l’est pas, soit à cause de l’euphonie à qui tout cède, soit par un autre motif, ou peut-être par une pure inconséquence. Quoi qu’il en soit, les grammairiens, bien empêchés par l’usage, ont posé à cet égard une plaisante règle: Tout, disent-ils, mis pour tout à fait, est adverbe devant les adjectifs féminins commençant par une voyelle, et, au contraire, il devient adjectif devant les adjectifs commençant par une consonne.

C’est-à-dire, pour parler vrai, que dans le premier cas on profite de l’élision pour escamoter sur le papier l’e final de toute, par exemple, tout aimable, tout entière, tout opposée. Cela passe, parce que l’oreille n’a rien à y réclamer; mais réellement il y a toujours accord.

TOUT, invariable devant un nom de ville:

C’est moi qui suit Sosie, et tout Thèbes l’avoue.
(Amph. I. 2.)

Vous parlez devant un homme à qui tout Naples est connu.

(L’Av. V. 5.)
«Tout Smyrne ne parloit que d’elle.»
(La Bruyère.)

Les Italiens observent la même règle: tutto Napoli, tutto Siviglia:

«Tutto Siviglia
«Conosce Bartolo.»
(Le Nozze di Figaro.)

TOUT, TOUTE, adjectif, avec le sens de l’adverbe latin totidem:

Ce sont toutes façons dont je n’ai pas besoin.
(Tart. I. 1.)
Ces visites, ces bals, ces conversations,
Sont du malin esprit toutes inventions.
(Ibid.)

TOUTE-BONTÉ, comme toute-puissance:

Que le ciel à jamais, par sa toute-bonté,
Et de l’âme et du corps vous donne la santé!
(Tart. III. 3.)

TOUT CE QUE... SONT:

On m’a montré la pièce; et comme tout ce qu’il y a d’agréable sont effectivement des idées qui ont été prises de Molière.....

(Impromptu. 3.)

(Voyez CE QUE... SONT.)

TOUT DE BON, pour tout de bon, sérieusement:

Mais j’aime tout de bon l’adorable Henriette.
(Fem. sav. V. 1.)

«Je ne le disois pas tout de bon, repartit le père; mais parlons plus sérieusement.»

(Pascal. 8e Prov.)

«Tout de bon, mes pères, il seroit aisé de vous tourner là-dessus en ridicule.»

(Id. 12e Prov.)

TOUT DOUX, adverbe, comme tout doucement:

Je crains fort pour mon fait quelque chose approchant,
Et je m’en veux tout doux éclaircir avec elle.
(Amph. II. 3.)

TOUT D’UN TEMPS, en même temps:

Bonsoir; car tout d’un temps je vais me renfermer.
(Éc. des mar. III. 2.)

TOUT MAINTENANT, subitement, à l’instant même:

Il m’est dans la pensée
Venu tout maintenant une affaire pressée.
(Éc. des fem. III. 4.)

TOUT VIEUX, sans ajouter qu’il est:

Le bonhomme, tout vieux, chérit fort la lumière.
(L’Ét. III. 5.)

De même, dans le Misanthrope:

Oui, toute mon amie, elle est, et je la nomme,
Indigne d’asservir le cœur d’un galant homme.
(Mis. III. 7.)

Sur ce passage, voici la remarque de Voltaire:

«Il faut dire toute mon amie qu’elle est, et non pas toute mon amie elle est

«Et je la nomme; cet et est de trop. Je la nomme est vicieux; le terme propre est je la déclare; on ne peut nommer qu’un nom: je le nomme grand, vertueux, barbare; je le déclare indigne de mon amitié.»

(Mélanges. T. III. p. 228.)

Il est manifeste que Voltaire n’a pas saisi le sens de ce passage. Il a supposé une inversion très-dure, et compris: Elle est toute, c’est-à-dire, tout à fait, mon amie, et je la nomme indigne d’asservir, etc.; tandis que le sens véritable est celui-ci: Toute mon amie qu’elle est, elle est (et je ne crains pas de la nommer, et je le dis tout haut), elle est indigne, etc.

Il est probable que Voltaire avait sous les yeux un texte mal ponctué:

Oui, toute mon amie elle est; et je la nomme
Indigne d’asservir, etc....[78].

C’est ce qui a causé son erreur, qu’un peu de réflexion eût promptement dissipée. Il est bien fâcheux que Voltaire eût si peu de patience, et qu’il ait mis tant de précipitation à condamner des hommes comme Corneille et Molière. On l’accuse de perfidie calculée envers le premier; je suis persuadé qu’il n’est coupable que de légèreté et d’impétuosité dans sa critique: mais c’est déjà beaucoup trop quand on est Voltaire, et qu’on juge Corneille devant l’Europe attentive.

TRACER L’IMAGE DES CHANSONS, danser aux chansons:

Et tracez sur les herbettes
L’image de vos chansons.
(Am. magn. 3e intermède.)

Métaphore outrée. On sait comment la parodie de Benserade en faisait ressortir le ridicule:

«Et tracez sur les herbettes
L’image de vos chaussons

(Voyez MÉTAPHORES VICIEUSES.)

TRADUIRE EN RIDICULE (SE):

J’enrage de voir de ces gens qui se traduisent en ridicule malgré leur qualité.

(Crit. de l’Éc. des fem. 6.)

TRAHIR SON AME:

Non pas dans le sens où l’on dit trahir sa pensée, c’est-à-dire la révéler involontairement; mais, au contraire, dans le sens de la contraindre, la contenir, lorsqu’elle voudrait s’échapper; véritable trahison contre la nature et la vérité:

Morbleu! c’est une chose indigne, lâche, infâme,
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme!
Et si, par un malheur, j’en avais fait autant,
Je m’irois de regret pendre tout à l’instant.
(Mis. I. 1.)

TRAINER, entraîner:

Don Juan, l’endurcissement au péché traîne une mort funeste!

(D. Juan. V. 6.)

TRAIT, atteinte; DONNER LE PREMIER TRAIT, figurément:

Je m’en vais là-dedans donner le premier trait.
(L’Ét. IV. 1.)

C’est-à-dire, entamer l’affaire.

TRAIT, épigramme, parole mordante. Orgon dit à Dorine:

Te tairas-tu, serpent, dont les traits effrontés...
(Tart. II. 2.)

Premièrement, un serpent ne lance point de traits; ensuite des traits n’ont point de front, par conséquent ne peuvent être effrontés. C’est Dorine qui est un serpent et une effrontée, et dont les mots sont autant de traits. Ces trois expressions, qui sont justes prises séparément, fondues en une seule métaphore sont fausses, à cause de l’incohérence des images, qui devraient former un ensemble.

JOUER UN TRAIT:

Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu
Du trait qu’elle a joué quelque jour soit venu.
(Éc. des fem. IV. 6.)
Et vous avez eu peur de le désavouer
Du trait qu’à ce pauvre homme il a voulu jouer.
(Tart. IV. 3.)

TRAIT D’AVENTURE:

Ah! fortune, ce trait d’aventure propice
Répare tous les maux que m’a faits ton caprice.
(Éc. des fem. V. 2.)

«Molière dit souvent jouer un trait et faire un tour. L’usage actuel est inverse; on dit communément faire un trait et jouer un tour

(M. Auger.)

TRAITS, traits de plume, l’écriture:

Jetez ici les yeux et connoissez vos traits:
Ce billet découvert suffit pour vous confondre.
(Mis. IV. 3.)

Et reconnaissez votre écriture.

TRAITER, mis absolument comme agir, se conduire:

On détruiroit par là, traitant de bonne foi,
Ce grand aveuglement où chacun est de soi.
(Mis. III. 5.)

Bossuet dit fréquemment traiter avec quelqu’un, pour avoir des relations avec quelqu’un:

«Sous un visage riant........... elle cachoit un sérieux dont ceux qui traitoient avec elle étoient surpris.»

(Or. f. de la duch. d’Orl.)

«Quand quelqu’un traitoit avec elle, il sembloit qu’elle eût oublié son rang.....»

(Ibid.)

TRAITER DE MÉPRIS, D’ÉGALITÉ, avec mépris, avec égalité:

Et, traitant de mépris les sens et la matière,
A l’esprit, comme nous, donnez-vous tout entière.
(Fem. sav. I. 1.)

Ils sont insupportables avec les impertinentes égalités dont ils traitent les gens.

(Comtesse d’Esc. 11.)

Cette façon de parler me paraît de celles qu’il n’est pas bon de prendre à Molière.

(Voyez DE exprimant la cause, la manière.)

TRAITER DU HAUT EN BAS:

Ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses,
Qui, pour un petit tort qu’elles ne nous font pas,
Prennent droit de traiter les gens du haut en bas.
(Éc. des fem. IV. 8.)

(Voyez DE exprimant la manière, la cause.)

TRAITER LES CHOSES DANS LA DOUCEUR:

Mais nous sommes personnes à traiter les choses dans la douceur.

(Mar. forc. 16.)

TRANCHER AVEC QUELQU’UN, en finir tout net avec lui:

Car, tranchant avec moi par ces termes exprès.....
(Éc. des fem. III. 4.)

TRANCHER SON DISCOURS D’UN APOPHTHEGME:

PANCRACE. Tranchez-moi votre discours d’un apophthegme à la laconienne.

(Mar. for. 6.)

Soyez bref, supprimez les longs discours au moyen d’un apophthegme laconique.

TRAVAILLÉ DE:

De quel démon est donc leur âme travaillée?
(Dép. am. I. 6.)
«Êtes-vous travaillé de la lycanthropie
(Regnier.)

TRAVAUX D’UN VOYAGE, pour les fatigues:

Ce sensible outrage,
Se mêlant aux travaux d’un assez long voyage...
(Sgan. 10.)

TREDAME! par apocope, Notre-Dame!

Tredame, monsieur, est-ce que madame Jourdain est décrépite?...

(B. gent. III. 5.)

TREUVE, archaïsme, pour trouve:

Mais, encore une fois, la joie où je vous treuve
M’expose à la rigueur d’une trop rude épreuve.
(D. Garcie. V. 6.)
Non, l’ardeur que je sens pour cette jeune veuve
Ne ferme point mon âme aux défauts qu’on lui treuve.
(Mis. I. 1.)

Il était de règle, dans l’origine de la langue, que tout verbe ayant à l’infinitif la diphthongue ou, la changeait en eu à l’indicatif.—Mouvoir, mourir, pouvoir, couvrir, secourir, se douloir, etc., faisaient à l’indicatif je meus, je meurs, je peux, je cueuvre, je sequeurs, je me deuls, etc.

Je n’ai jamais vu, dans les monuments primitifs de notre langue, d’exemple de l’infinitif treuver; c’est toujours trover, trouver. (Voy. des Var. du lang. fr., p. 179.)

Au XVIe siècle, que déjà les traditions originelles commençaient à se perdre, on rencontre quelquefois treuver. Olivier de Serres, par exemple, n’emploie pas d’autre forme; mais elle est évidemment déduite, par erreur, de celle du présent. C’est ainsi que, de la forme contractée ci-gît, certains lexicographes modernes ont conclu l’infinitif GIR, au lieu de GÉSIR.

(Voyez le Dict. de M. N. Landais.)

TRIBOUILLER, patois, agiter, secouer violemment:

LUBIN.—Je me sens tout tribouiller le cœur quand je te regarde.

(G. D. II. 1.)

Racines, brouiller et tri, pour tres, communiquant la force du superlatif au verbe ou au nom avec lequel il se compose.

Tribouiller, tribouilleur, ont été jadis des mots d’un français très-correct:

«Tapez, trompez, tourmentez, trondelez,
«Brisez, riflez, tempestez, triboulez
(Cités dans Borel.)

TRIBUTS, tribut d’hommages:

Le plus parfait objet dont je serois charmé
N’auroit pas mes tributs, n’en étant point aimé.
(Dép. am. I. 3.)

TRIOMPHER DE QUELQUE CHOSE, à l’occasion de quelque chose:

Jamais on ne m’a vu triompher de ces bruits.
(Éc. des fem. I. 1.)
«Et, d’autre part aussi, sa charmante moitié
«Triomphoit d’être inconsolable
(La Fontaine. Joconde.)

(Voyez DE exprimant la manière, la cause.)

Vous ne triompherez pas, comme vous le pensez, de votre infidélité.

(B. gent. III. 10.)

C’est-à-dire, votre indifférence ne vous procurera pas le triomphe que vous espérez. Mais cette phrase, dans les usages de la langue moderne, signifierait: vous ne surmonterez pas votre infidélité, vous ne pourrez la vaincre, en triompher.

Probablement l’équivoque de cette locution est ce qui a déterminé à l’abandonner.

On disait aussi triompher sur, c’est-à-dire au sujet de:

«Ils triomphoient encor sur cette maladie
(La Font. Les Médecins.)

«Mais, poursuivit-il, notre père Antoine Sirmond, qui triomphe sur cette matière...»

(Pascal. 10e Prov.)

TRIQUETRAC, onomatopée; UN TRIQUETRAC DE PIEDS:

Puis, outre tout cela, vous faisiez sous la table
Un bruit, un triquetrac de pieds insupportable.
(L’Ét. IV. 5.)

Le nom du jeu de trictrac n’a pas d’autre origine.

TROP DE (LE), substantivement:

Il s’en est peu fallu que durant mon absence
On ne m’ait attrapé par son trop d’innocence.
(Éc. des fem. III. 3.)
«Dorante, arrêtons-nous; le trop de promenade
«Me mettroit hors d’haleine et me feroit malade.»
(Corn. Le Menteur. II. 5.)

Ce n’est que restituer à trop sa qualité originelle: turba, truba, ou trupa; troupe ou trop; puis on l’a employé adverbialement comme mie, pas, point, goutte, etc.

TROUBLÉ D’ESPRIT, expression moins forte que aliéné:

C’est moi, monsieur, qui vous ai envoyé parler les jours passés pour un parent un peu troublé d’esprit...

(Pourc. I. 9.)

TROUSSER BAGAGE:

Prenez visée ailleurs, et troussez-moi bagage.
(Éc. des mar. II. 9.)

Trousser, dans sa primitive acception, signifie charger.

«D’or e d’argent quatre cens muls trussez
(Roland. st. 9.)

Quatre cents mulets troussés d’or et d’argent.

«De sul le fer fust un mulet trusset
(Ibid. st. 227.)

Du seul fer de cette lance on eût troussé un mulet.

Trousser en malle, c’est charger à la façon d’une malle, en guise de malle.

Trousser bagage, c’est charger son bagage pour déménager, décamper.

Bagage est la réunion, l’ensemble des bagues. Bagues sont les meubles, vêtements, ustensiles, etc.

Baga, dans le latin du moyen âge, un coffre, un sac. Les Anglais appellent encore bag-pipe (tuyau à sac), une musette, à cause de son sac plein de vent. On disait baguer et débaguer, pour garnir et dévaliser. (Voyez Du Cange, au mot Baga.)

TROUVER QUELQU’UN A DIRE. (Voyez DIRE.)

TURQUERIE:

Il est turc là-dessus, mais d’une turquerie à désespérer tout le monde.

(L’Av. II. 5.)

UN CHACUN, archaïsme, chacun:

Un chacun est chaussé de son opinion.
(Éc. des fem. I. 1.)

D. LOUIS. Leur gloire est un flambeau qui éclaire, aux yeux d’un chacun, la honte de vos actions.

(D. Juan. IV. 6.)

Voilà par sa mort un chacun satisfait.

(Ibid. V. 7.)
Hautement d’un chacun elles blâment la vie.
(Tart. I. 1.)

UN PETIT, pour un peu, archaïsme:

Qu’avez-vous? Vous grondez, ce me semble, un petit?
(Éc. des fem. II. 6.)
J’ai, devant notre porte,
En moi-même voulu répéter un petit,
Sur quel ton et de quelle sorte
Je ferois du combat un glorieux récit.
(Amph. II. 1.)

Peu, qu’on dérive habituellement de parum, me semble n’être que la première syllabe de petit, comme mi de milieu, prou de profit, etc., etc. Un petit ne serait alors que l’expression complète, au lieu de l’expression abrégée.

UN PEU construit avec BEAUCOUP, BIEN, DOUCEMENT:

Mais, mon oncle, il me semble que vous vous jouez un peu beaucoup de mon père?

(Mal. im. III. 22.)
Je trouve un peu bien prompt le dessein où vous êtes.
(Mis. V. 1.)
La déclaration est tout à fait galante;
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
(Tart. III. 3.)

Voilà une petite menotte qui est un peu bien rude.

(G. D. III. 3.)

Cela m’est sorti un peu bien vite de la bouche.

(D. Juan. I. 1.)
Hé! là, là, madame la Nuit,
Un peu doucement, je vous prie.
(Amph. prol.)

«Depuis qu’elles (les femmes) sont du tout rendues à la mercy de nostre foy et constance, elles sont un peu bien hazardées

(Montaigne. III. 5.)

UN PEU PLUS FORT QUE JEU:

Je crains que le pendard, dans ses vœux téméraires,
Un peu plus fort que jeu n’ait poussé les affaires.
(Éc. des fem. II. 6.)

Un peu plus fort que les règles du jeu ne le permettaient.

UN TEMPS. (Voyez TEMPS.)

UN, UNE, supprimé:

O ciel! c’est miniature;
Et voilà d’un bel homme une vive peinture!
(Sgan. 6.)
Tu vois si c’est mensonge, et j’en suis fort ravie.
(Ibid. 22.)

UN, répété surabondamment:

Une action d’un homme à fort petit cerveau.
(Dép. am. V. 1.)
Et l’on sait ce que c’est qu’un courroux d’un amant.
(Mis. IV. 2.)
Ceux qui me connoîtront n’auront pas la pensée
Que ce soit un effet d’une âme intéressée.
(Tart. IV. 1.)

Plus, une peau d’un lézard de trois pieds et demi, remplie de foin.

(L’Av. II. 1.)

On dirait aujourd’hui une action d’homme;—un courroux d’amant;—l’effet d’une âme:—une peau de lézard.

UN, surabondant devant le plus:

Que deux nymphes, d’un rang le plus haut du pays,
Disputent à se faire un époux de mon fils.
(Mélicerte. I. 4.)

Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec de l’argent! C’est une chose la plus aisée du monde!

(L’Av. III. 5.)

Je suis dans une confusion la plus grande du monde, de voir une personne de votre qualité..., etc.

(B. gent. III. 6.)

«Une si illustre princesse ne paroîtra dans ce discours que comme un exemple le plus grand qu’on se puisse proposer.»

(Bossuet. Or. fun. de la duch. d’Or.)

VACHE; LA VACHE EST A NOUS, sorte d’adage:

S’il ne tient qu’à battre, la vache est à nous.

(Méd. m. lui. I. 5.)

VACHE A LAIT, figurément:

Cet homme-là fait de vous une vache à lait.

(B. gent. III. 4.)

VAILLANTISES:

Que je vais m’en donner, et me mettre en bon train
De raconter nos vaillantises!
(Amph. III. 6.)

VALOIR QUE, suivi d’un verbe au subjonctif:

Et vous ne valez pas que l’on vous considère.
(Mis. IV. 3.)
Le choix est glorieux, et vaut bien qu’on l’écoute.
(Tart. II. 4.)
Je veux bien que de moi l’on fasse plus de cas.
(Fem. sav. V. 4.)

VASTE DISGRACE:

Par où pourrois-je, hélas! dans ma vaste disgrâce,
Vers vous de quelque plainte autoriser l’audace?
(D. Garcie. V. 3.)

VENEZ-Y-VOIR, substantivement; UN VENEZ-Y-VOIR:

D’un panache de cerf sur le front me pourvoir,
Hélas, voilà vraiment un beau venez-y-voir!
(Sgan. 6.)

VENIR, impersonnel; IL VIENT FAUTE DE:

S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.

(Mal. im. I. 9.)

VENTRE; AVOIR DANS LE VENTRE..., en parlant du temps qui reste à vivre:

C’est un homme qui mourra avant qu’il soit peu, et qui n’a tout au plus que six mois dans le ventre.

(Mar. for. 12.)

VENUE, substantif; UNE VENUE DE COUPS DE BATON:

Tu vas courir risque de t’attirer une venue de coups de bâton.

(Scapin. III. 1.)

«On dit proverbialement qu’un homme en a eu d’une venue, pour dire qu’il a fait quelque perte, qu’il a été obligé de faire quelque dépense.»

(Trévoux.)

Venue, dans la phrase de Molière, est au sens de récolte, bonne récolte, parce que le grain de l’année est bien venu. Nicot, au mot venir, donne pour exemples: «Grande venue de brebis et abondante, bonus proventus

Venue pour bonne venue, ample venue, comme heur, succès, fortune, pour bon heur, bon succès, bonne fortune.

Une volée de coups de bâton; métaphore prise des oiseaux qui voyagent par troupe: une volée de perdreaux, une volée de pigeons, etc. Trévoux cite cet exemple: «Il vint une volée de cailles dans le désert, qui réjouit fort les Israélites, dégoûtés de la manne.»

VÊPRE; LE BON VÊPRE, archaïsme, le bon soir:

M. BOBINET.—Je donne le bon vêpre à toute l’honorable compagnie.

(Comtesse d’Esc. 17.)

Vespre, contracté de vesp(e)ra, le soir. On disait aussi la vesprée.

«Venir sur le vespre;—préparez pour le vespre

(Nicot.)

VERBE RÉFLÉCHI perd son pronom étant précédé d’un autre verbe:

Faites-la ressouvenir qu’il faut se rendre de bonne heure dans le bois de Diane.

(Am. magn. I. 2.)

Qu’on me laisse ici promener toute seule.

(Ibid. I. 6.)

(Voyez ARRÊTER, et PRONOM RÉFLÉCHI.)

VÉRITABLE; véridique, sincère:

Nous en tenons tous deux, si l’autre est véritable.
(Dépit. am. I. 5.)
J’ai monté pour vous dire, et d’un cœur véritable,
Que j’ai conçu pour vous une estime incroyable.
(Mis. I. 2.)

C’est l’ancienne valeur du mot.

«Longarine n’a point accoutumé de celer la vérité, soit contre homme ou contre femme.—Puisque vous m’estimez si véritable, dit Longarine.....»

(La R. de Nav. Heptaméron, nouvelle 14.)

«Mais, mon père, si le diable ne répond pas la vérité, car il n’est guère plus véritable que l’astrologie, il faudra donc que le devin restitue, par la même raison?»

(Pascal. 8e Prov.)

«Si elles (les précieuses) sont coquettes, je n’en dirai rien; car je fais profession d’être un auteur fort véritable, et point médisant.»

(Mlle de Montpensier, Portrait des Précieuses.)

VÉRITÉ; DIRE VÉRITÉ:

Si je vous faisois voir qu’on vous dit vérité?
(Tart. IV. 3.)

VERS, pour envers:

J’ai tardé trop longtemps
A m’acquitter vers toi d’une telle promesse.
(Dép. am. I. 2.)
Ah! madame, excusez un amant misérable,
Qu’un sort prodigieux a fait vers vous coupable.
(D. Garcie. II. 6.)
Par où pourrois-je, hélas! dans ma vaste disgrâce,
Vers vous de quelque plainte autoriser l’audace?
(Ibid. V. 3.)
. . . . . Ah! gardez de me faire un outrage,
Et de vous hasarder à dire que vers moi
Un cœur dont j’ai fait cas ait pu manquer de foi.
(Ibid. V. 5.)
Votre flamme vers moi ne vous rend pas coupable.
(Ibid.)
Si ce parfait amour que vous prouvez si bien
Se fait vers votre objet un grand crime de rien.
(Fâcheux. I. 1.)
Et pouvez-vous le voir sans demeurer confuse
Du crime dont vers moi son style vous accuse?
(Mis. IV. 3.)
Ce monarque, en un mot, a vers vous détesté
Sa lâche ingratitude et sa déloyauté.
(Tart. V. 7.)
Oui, c’est lui qui sans doute est criminel vers vous.
(Amph. II. 6.)

Je trouve une espèce d’injustice bien grande à me montrer ingrate vers l’un ou vers l’autre.

(Am. magn. III. 1.)

On pourrait supposer, à ne considérer que quelques exemples, que Molière a fait céder l’exactitude de l’expression à la mesure. Il n’en est rien, puisqu’il emploie vers dans la prose, où rien ne le contraignait, et dans des vers, où l’élision lui permettait l’une ou l’autre forme à son choix.

Vers est la plus ancienne. Envers et devers sont venus ensuite. Le livre des Rois emploie constamment vers:

«Si hom peche vers altre, a Deu se purrad acorder, e s’il peche vers Deu, ki purrad pur lui preier?»

(Rois. p. 8.)

«Pur co que la guerre vers les enemis Deu maintenist[79]

(Ibid. p. 71.)

Beaumanoir ne connaît que la forme vers:

«Li baillis qui est deboneres vers les malfesans.»

(Cout. de Beauv. I. p. 18.)

«Li baillis qui vers tos est fel et cruels.»

(Ibid. I. 19.)

Racine a dit encore:

«Et m’acquitter vers vous de mes respects profonds.»
(Bajazet. III. 2.)
«La libéralité vers le pays natal.»
(Corneille. Cinna. II. 1.)

VERS A LA LOUANGE DE QUELQU’UN, ironiquement, et par antiphrase:

Nous avons entendu votre galant entretien, et les beaux vers à ma louange que vous avez dits l’un et l’autre!

(G. D. III. 8.)

VERS BLANCS:

Tous les commentateurs ont remarqué, l’un après l’autre, que le début du Sicilien est en vers blancs d’inégale mesure:

Il fait noir comme dans un four;
Le ciel s’est habillé ce soir en Scaramouche,
Et je ne vois pas une étoile
Qui montre le bout de son nez.
Triste condition que celle d’un esclave... etc.

Ils auraient pu ajouter que la remarque s’applique à toute la pièce, et à beaucoup d’autres de Molière. En effet, la prose de Molière est souvent remplie de vers non rimés, au point qu’il est difficile de ne pas reconnaître là un parti pris, ou une nature pourvue d’un instinct du rhythme vraiment extraordinaire.

Et ce qui semble confirmer le premier soupçon, c’est la différence qui se montre d’une pièce à une autre. Par exemple, le Festin de Pierre, qui est de la plus belle prose de Molière, et qui par l’élévation des pensées, en plusieurs parties, semblait appeler la versification, le Festin de Pierre n’en présente que des traces fort rares, qui ne valent pas qu’on en tienne compte.

Il en est de même de la Critique de l’École des femmes: on sent que Molière s’y est surveillé. Au contraire, L’Avare est presque tout en vers libres, comme Amphitryon. L’auteur n’a pas eu le temps d’y attacher les rimes, mais la mesure y est déjà[80].

Il n’y a qu’à ouvrir au hasard:

VALÈRE.
Vous voyez comme je m’y prends,
Et les adroites complaisances
Qu’il m’a fallu mettre en usage
Pour m’introduire à son service;
Sous quel masque de sympathie
Et de rapports de sentiments
Je me déguise pour lui plaire,
Et quel personnage je joue
Tous les jours avec lui,
Afin d’acquérir sa tendresse.
J’y fais des progrès admirables! etc.
(I. 1.)

Transportons-nous ailleurs:

CLÉANTE.
Il est vrai que mon père, madame,
Ne peut pas faire un plus beau choix,
Et que ce m’est une sensible joie
Que l’honneur de vous voir;
Mais, avec tout cela,
Je ne vous assurerai point
Que je me réjouis
Du dessein où vous pourriez être
De devenir ma belle-mère;
Le compliment, je vous l’avoue,
Est trop difficile pour moi;
Et c’est un titre, s’il vous plaît,
Que je ne vous souhaite point.
Ce discours paroîtra brutal
Aux yeux de quelques-uns;
Mais je suis assuré
Que vous serez personne
A le prendre comme il faudra;
Que c’est un mariage,
(Madame),
Où vous vous imaginez bien
Que je dois avoir
De la répugnance;
Que vous n’ignorez pas, sachant ce que je suis,
Comme il choque mes intérêts,
Et que vous voulez bien enfin que je vous dise.... etc.
(III. 11.)

C’est à peine si, de loin en loin, un mot vient déranger le rhythme.

MARIANNE.
Mais que voulez-vous que je fasse?
Quand je pourrois passer sur quantité d’égards
Où notre sexe est obligé,
J’ai de la considération
Pour ma mère.
Elle m’a toujours élevée
Avec une tendresse extrême,
Et je ne saurois me résoudre
A lui donner du déplaisir.
Faites, agissez auprès d’elle;
Employez tous vos soins à gagner son esprit;
Vous pouvez faire et dire
Tout ce que vous voudrez.
Faites, agissez auprès d’elle;
Je veux bien consentir
A lui faire un aveu moi-même
De tout ce que je sens pour vous.
(IV. 1.)

Est-il possible, est-il vraisemblable que le hasard produise de pareils résultats? Qui pourra le croire, s’il manque de goût, ne manquera pas de foi.

Je me borne à ces trois échantillons. La lecture de la pièce entière, à ce point de vue, convaincra, je pense, les plus incrédules.

Les farces de Molière, comme Pourceaugnac, les Fourberies de Scapin, la Comtesse d’Escarbagnas, même le Bourgeois gentilhomme, semblent écrites dans un autre système, et, comme destinées à rester en prose, ne renferment presque point de vers. Mais il s’en rencontre beaucoup dans George Dandin; ce qui porterait à croire que, dans la pensée de Molière, la forme sous laquelle cette pièce est parvenue n’était point sa forme définitive.

GEORGE DANDIN.
Ah! qu’une femme demoiselle
Est une étrange affaire!
Et que mon mariage
Est une leçon bien parlante
A tous les paysans qui veulent s’élever
Au-dessus de leur condition,
Et s’allier, comme j’ai fait,
A la maison d’un gentilhomme!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et j’aurois bien mieux fait,
Tout riche que je suis,
De m’allier en bonne et franche paysannerie[81],
Que de prendre une femme
Qui se tient au-dessus de moi,
S’offense de porter mon nom,
Et pense qu’avec tout mon bien
Je n’ai pas assez acheté
La qualité de son mari.
George Dandin, George Dandin,
Vous avez fait une sottise..., etc.
(I. 1.)

La leçon donnée dans George Dandin valait la peine d’être présentée en vers, autant que celle qui résulte de l’École des femmes et de l’École des maris. Celle-ci eût été l’École des bourgeois.

Si c’étoit une paysanne,
Vous auriez maintenant toutes vos coudées franches
A vous en faire la justice
A bons coups de bâton.
Mais vous avez voulu tâter de la noblesse,
Et il vous ennuyoit d’être maître chez vous.
Ah! j’enrage de tout mon cœur!
Et je me donnerois volontiers des soufflets!
(G. D. I. 3.)

Dirigé dans ce sens, un examen attentif et délicat du style de Molière conduirait peut-être à des inductions intéressantes sur la manière de travailler de ce grand génie, et sur les intentions que la mort ne lui a point permis de réaliser.

Vaugelas le premier s’est avisé de signaler, comme un grand défaut, les vers que le hasard seul, et non l’intention de l’écrivain, a répandus dans la prose. La pratique de presque tous nos grands auteurs condamne l’opinion de Vaugelas. Les orateurs grecs et les Latins rencontraient souvent des ïambes tout faits sans les chercher. Il y a des alexandrins dans la prose de Cicéron, dans Tacite et dans Tite-Live. Il s’est glissé des vers dans la traduction des Psaumes de David et jusque dans les formules du droit romain[82]. Et Ménage remarque assez plaisamment que Vaugelas s’est pris lui-même dans sa propre sentence, en écrivant, du mot sériosité:

Ne nous hâtons pas de le dire,
Et moins encore de l’écrire:
Laissons faire les plus hardis,
Qui nous frayeront le chemin.

Il est certain que l’affectation d’écrire en vers blancs, telle qu’on la voit dans les Incas, par exemple, serait une chose insupportable. En cela, comme en tout, c’est le goût qui décide et marque la limite.

VERSER LA RÉCOMPENSE D’UNE ACTION:

Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense,
D’une bonne action verser la récompense.
(Tart. V. 7.)

Un cœur qui verse la récompense d’une bonne action ne paraît pas d’un style digne de Molière.

(Voyez l’examen de tout ce passage à l’article IL, p. 210.)

VERSER L’HONNEUR D’UN EMPLOI:

Madame, vous avez cent personnes dans votre cour sur qui vous pourriez mieux verser l’honneur d’un tel emploi.

(Am. magn. I. 2.)

L’usage qui permet de déverser l’outrage, l’ignominie sur quelqu’un; de verser sur lui des faveurs, ne permet pas de verser un honneur ni des honneurs.

VERTU, efficacité:

Le théâtre a une grande vertu pour la correction.

(Préf. de Tartufe.)

VERTU, dans le sens plus large du virtù italien: le mérite, la bravoure:

Plus l’obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire;
Et les difficultés dont on est combattu
Sont les dames d’atour qui parent la vertu.
(L’Ét. V. 11.)

VÊTIR UNE FIGURE:

Adieu; je vais là-bas dans ma commission
Dépouiller promptement la forme de Mercure,
Pour y vêtir la figure
Du valet d’Amphitryon.
(Amph. prol.)

VIDER, verbe neutre, dans le sens de sortir; VIDER D’UN LIEU:

M. LOYAL.
Monsieur, sans passion,
Ce n’est rien seulement qu’une sommation,
Un ordre de vider d’ici vous et les vôtres.
(Tart. V. 4.)
«Vuyde dehors, fol insensé;
Car il est temps que tu t’en partes.»
(Le Nouveau Pathelin.)

Montaigne l’emploie activement, dans la réponse des sauvages américains aux Espagnols:

«Ainsi, qu’ils se despeschassent promptement de vuider leur terre

(Essais. III. 6.)

VIDER, v. actif, figurément, au sens de purgare:

Adieu; videz sans moi tout ce que vous aurez.
(Fâcheux. III. 4.)

Videz tous vos différends.

On disait vider un procès, vider une cause, vider toutes les difficultés, vider ses intérêts.

Laissez-moi, madame, je vous prie,
Vider mes intérêts moi-même là-dessus.
(Mis. V. 6.)

VIN A FAIRE FÊTE, digne d’être bu dans une fête:

Était-ce un vin à faire fête?
(Amph. III. 2.)

VISAGE, au figuré, en parlant des actions:

Cet amas d’actions indignes, dont on a peine, devant le monde, d’adoucir le mauvais visage.

(D. Juan. IV. 6.)

Le visage d’une action est une métaphore qui ne saurait être admise aujourd’hui, mais qui paraît l’avoir été autrefois; car Montaigne a dit le visage d’une entreprise. C’est en parlant du dessein qu’il a formé d’écrire ses Essais:

«Si l’estrangeté ne me saulve et la nouvelleté, qui ont accoustumé de donner prix aux choses, je ne sors jamais à mon honneur de cette sotte entreprinse; mais elle est si fantastique, et a un visage si esloingné de l’usage commun, que cela luy pourra donner passage.»

(Essais. II. 8.)

Cela montre qu’il faut être très-circonspect à condamner Molière, lors même qu’il paraît le plus clairement avoir tort. Ce tort, tout réel, peut n’être pas le sien, mais celui de ses contemporains, ou de ses prédécesseurs les plus dignes de servir de modèles.

VISÉE; METTRE SA VISÉE A...:

Votre visée au moins n’est pas mise à Clitandre?
(Fem. sav. I. 1.)
J’ai grand regret, monsieur, de voir qu’à vos visées
Les choses ne soient pas tout à fait disposées.
(Ibid. IV. 6.)

(Voyez PRENDRE VISÉE.)

VISIÈRE; ROMPRE EN VISIÈRE:

Je n’y puis plus tenir, j’enrage; et mon dessein
Est de rompre en visière à tout le genre humain.
(Mis. I. 1.)
Qu’un cœur de son penchant donne assez de lumière,
Sans qu’on nous fasse aller jusqu’à rompre en visière.
(Ibid. V. 2.)

VISIONS, idées folles, rêves:

Et dans vos visions savez-vous, s’il vous plaît,
Que j’ai pour Henriette un autre époux tout prêt?
(Fem. sav. IV. 2.)

VISIONS CORNUES:

Peut-être sans raison
Me suis-je en tête mis ces visions cornues.
(Sgan. 13.)
«Égaré dans les nues,
«Me lasser à chercher des visions cornues
(Boileau.)

Des visions effrayantes ou simplement chimériques; mais, dans la bouche du pauvre Sganarelle, l’expression de visions cornues a une double portée.

VISIONS DE NOBLESSE:

Ce nous est une douce rente que ce monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mette en tête.

(B. gent. I. 1.)

VOICI VENIR:

Mais les voici venir.
(L’Ét. V. 14.)
Voici venir Ascagne.
(Dép. am. V. 8.)

Voici est pour vois ici: vois ici venir Ascagne. On disait au pluriel veez-ci, voyez ici. L’union intime des deux racines a depuis fait perdre de vue le sens de la première; voici n’est plus qu’un adverbe invariable. Messieurs, voici le roi, si l’on se reporte au sens exact de ces mots, est absurde: il faudrait dire, Messieurs, vez-ci le roi: (voyez-le ici.)

Vécy est resté, chez les paysans et dans quelques provinces, comme une forme corrompue de voici, et aussi invariable.

VOILA QUE C’EST, pour ce que c’est:

Voilà, voilà que c’est de ne pas voir Jeannette.
(L’Ét. IV. 8.)

VOILA, NE VOILA PAS, pour ne voilà-t-il pas:

Eh bien! ne voilà pas de vos emportements!
(Tart. V. 1.)

Voilà pas le coup de langue!

(B. gent. III. 12.)

(Voyez IL supprimé après VOILA.)

VOIR A (un infinitif):

Parlons à votre femme, et voyons à la rendre
Favorable....
(Fem. sav. II. 4.)

VOIR DE (un infinitif), elliptiquement, voir, chercher le moyen de...:

Parlons à cœur ouvert, et voyons d’arrêter...
(Mis. II. 1.)

VOIR PARLER:

Vous à qui j’ai tant vu parler de son mérite.
(Ibid. V. 2.)

VOUDRIEZ, dissyllabe:

Monsieur votre père
Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,
Comme vous voudriez bien, manier ses ducats.
(L’Ét. I. 2.)
Vous me voudriez encor payer pour précepteur.
(Ibid. I. 9.)
Vous êtes généreux, vous ne le voudriez pas.
(Ibid. V. 9.)

(Voyez SANGLIER.)

VOUDRIEZ, en trois syllabes:

Hé quoi! vous voudriez, Valère, injustement....
(Dép. am. II. 2.)

VOULOIR (SE) MAL, ou MAL DE MORT DE QUELQUE CHOSE:

Laissez, je me veux mal de mon trop de foiblesse.
(Amph. II. 6.)
Je me veux mal de mort d’être de votre race.
(Fem. sav. II. 7.)

VOUS, indéfini et général comme soi, en relation avec ON:

Ah! que pour ses enfants un père a de foiblesse!
Peut-on rien refuser à leurs mots de tendresse?
Et ne se sent-on pas certains mouvements doux,
Quand on vient à songer que cela sort de vous?
(Mélicerte. II. 5.)

(Voyez NOUS.)

VOYENT, dissyllabe:

Et voyent mettre à fin la contrainte où vous êtes.
(Dép. am. III. 7.)

(Voyez PAYENT, PAYSAN, SANGLIER, VOUDRIEZ, etc.)

VRAI; DE VRAI, véritablement, comme de léger, légèrement:

Le ciel défend, de vrai, certains contentements.
(Tart. IV. 5.)

VUE DE PAYS (A):

Non pas; mais, à vue de pays, je connois à peu près le train des choses.

(D. Juan. I. 1.)

Au premier coup d’œil jeté sur l’ensemble des choses.

VUES DE LA LUMIÈRE, l’aspect, le jour, en parlant d’une peinture:

Voici le lieu le plus avantageux, et qui reçoit le mieux les vues favorables de la lumière que nous cherchons.

(Sicilien. 12.)

Y.

L’emploi de y, dans Molière, est fort étendu. C’est le terme corrélatif de à, lui, leur, qu’il s’agisse de choses ou de personnes.

Y représente également dans et avec.

Y se construit encore avec un verbe, et souvent représente elliptiquement l’idée exprimée par une phrase.

(Voyez .)

Y en relation avec un nom de personne ou de chose, pour à, lui, leur:

Quoi! Lucile n’est pas sous des liens secrets
A mon maître?—Non, traître, et n’y sera jamais.
(Dép. am. III. 8.)

A Lucile.

Ils comptent les défauts pour des perfections,
Et savent y donner de favorables noms.
(Mis. II. 5.)

Aux défauts.

Ils ne manquent jamais de saisir promptement
L’apparente lueur du moindre attachement,
D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie,
Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie.
(Tart. I. 1.)

Aux lueurs d’attachement.

Je ne distingue rien en celui qui m’offense;
Tout y devient l’objet de mon courroux.
(Amph. II. 6.)

Tout en lui devient, etc:

Quoi! écouter impudemment l’amour d’un damoiseau, et y promettre de la correspondance!

(G. D. I. 3.)

A l’amour du damoiseau. Nous dirions aujourd’hui: et lui promettre.

C’est la belle Julie, la véritable cause de mon retardement; et si je voulois y donner une excuse galante.....

(Comtesse d’Esc. 1.)
Oui, oui, je te renvoie à l’auteur des Satires.
—Je t’y renvoie aussi.
(Fem. sav. III. 5.)

Y représentant avec:

Je romps avecque vous, et j’y romps pour jamais.
(Dép. am. IV. 3.)
Vivez, vivez contente, et bravez ma mémoire
Avec le digne époux qui vous comble de gloire.
—Oui, traître, j’y veux vivre.
(Sgan. 20.)

Y répondant à en, dans, à:

Et, pour se bien conduire en ces difficultés,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités.
(Éc. des fem. IV. 8.)

Je veux vous y servir, et vous épargner des soins inutiles.

(D. Juan. III. 4.)

Il faut toujours garder de grandes formalités, quoi qu’il puisse arriver.—Pour moi, j’y suis sévère en diable.

(Am. méd. II. 3.)

A garder de grandes formalités.

Comment, mon gendre, vous en êtes encore là-dessus?—Oui, j’y suis, et jamais je n’eus tant sujet d’y être.

(G. D. II. 9.)

Y corrélatif d’un verbe:

Je me vois, ma cousine, ici persécutée
Par des gens dont l’humeur y paroît concertée.
(Mis. V. 3.)

Concertée à me persécuter.

Y, à cela, sur ce point:

CLITANDRE. Promettez-moi donc que je pourrai vous parler cette nuit.

ANGÉLIQUE. J’y ferai mes efforts.

(G. D. II. 10.)

Je ferai mes efforts à ce que vous puissiez me parler cette nuit.

Vous me haïssez donc?—J’y fais tout mon effort.
(Amph. II. 6.)

A vous haïr.

Vous devez éclaircir toute cette aventure.
—Allons, vous y pourrez seconder mon effort.
(Ibid. III. 4.)

A éclaircir cette aventure.

Y rapporté au sens de toute une phrase:

HENRIETTE.
Je me trouve fort bien, ma mère, d’être bête;
Et j’aime mieux n’avoir que de communs propos,
Que de me tourmenter à dire de beaux mots.
PHILAMINTE.
Oui; mais j’y suis blessée, et ce n’est pas mon compte.
(Fem. sav. III. 6.)

Je suis blessée à ce que vous soyez dans cette opinion.

Y redondant avec :

C’est une chose il y va de l’intérêt du prochain.

(Pourc. II. 4.)

Molière n’a pas cru qu’on pût altérer cette forme, il y va, et mettre il va.

—Avec en:

Nous vous y surprenons, en faute contre nous!
(Sgan. 6.)

Y avec contredire:

Accablez-moi de noms encor plus détestés,
Je n’y contredis point; je les ai mérités.
(Tart. III. 6.)

—Avec marchander:

Si j’étois en sa place, je n’y marchanderois point.

(G. D. I. 7.)

—Avec s’en aller:

Laissez-moi faire, je m’y en vais moi-même.

(D. Juan. IV. 11.)

(Voyez , dont toutes les constructions correspondent dans Molière à celle de Y.)

Y A, pour il y a:

Et quels avantages, madame, puisque madame y a?

(G. D. I. 4.)

QU’IL Y A, surabondant:

Et pensez-vous qu’on soit capable d’aimer de certains maris qu’il y a?

(G. D. III. 5.)

De certains maris comme il en existe au monde.

Cette locution était jadis du commun usage:

«Ainsy beaucoup de femmes qu’il y a se desbattent avec leurs maris quand ils leur veulent oster l’affeterie, la braveté, et la despense.»

(La Boétie, Trad. de Plutarque, p. 281.)

YEUX; METTRE AUX YEUX, mettre devant les yeux, représenter, remontrer:

Mais votre conscience et le soin de votre âme
Vous devroient mettre aux yeux que ma femme est ma femme.
(Sgan. 21.)

(Voyez METTRE AUX YEUX, p. 246.)

DE NOUVEAUX YEUX, de nouveaux regards:

Et mon esprit, jetant de nouveaux yeux sur elle....
(Pr. d’Él. I. 1.)

YEUX DE L’AME, figurément:

Il m’est venu des scrupules, madame; et j’ai ouvert les yeux de l’âme sur ce que je faisois.

(D. Juan. I. 3.)
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