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Lexique comparé de la langue de Molière et des écrivains du XVIIe siècle

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(Ibid. V. 6.)

PRENDRE LA VENGEANCE DE:

Pour m’ouvrir une voie à prendre la vengeance
De son hypocrisie et de son insolence.
(Ibid. III. 4.)

—absolument pour épouser la querelle:

Loin d’être les premiers à prendre ma vengeance,
Eux-mêmes font obstacle à mon ressentiment.
(Amph. III. 5.)
Et vous devez, en raisonnable époux,
Être pour moi contre elle, et prendre mon courroux.
(Fem. sav. II. 6.)

PRENDRE LE FRAIS, choisir l’heure du frais:

Pour arriver ici, mon père a pris le frais.
(Éc. des fem. V. 6.)

PRENDRE LE PIED DE (un infinitif):

De peur que, sur votre foiblesse, il ne prenne le pied de vous mener comme un enfant.

(Scapin. I. 3.)

PRENDRE LOI DE QUELQU’UN:

Il seroit beau vraiment qu’on le vît aujourd’hui
Prendre loi de qui doit la recevoir de lui!
(Éc. des fem. V. 7.)

PRENDRE PAR LES ENTRAILLES, au figuré, parlant de l’effet des ouvrages de l’esprit:

Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par les entrailles, et ne cherchons point des raisonnements pour nous empêcher d’avoir du plaisir.

(Crit. de l’Éc. des fem. 7.)

PRENDRE PEINE A (un infinitif):

Tant pis encore de prendre peine à dire des sottises.

(Ibid. 1.)

PRENDRE PLAISIR DE (un infinitif):

Car le ciel a trop pris plaisir de m’affliger.
(Dép. am. II. 4.)

Je prends plaisir d’être seule.

(Crit. de l’Éc. des fem. 1.)

Je pense qu’il ne prend pas plaisir de nous voir.

(D. Juan. III. 6.)

PRENDRE SOIN A (un infinitif):

C’est un étrange fait du soin que vous prenez,
A me venir toujours jeter mon âge au nez.
(Éc. des mar. I. 1.)

PRENDRE VISÉE QUELQUE PART, diriger là son attention et ses efforts:

Elle est sage, elle m’aime, et votre amour l’outrage.
Prenez visée ailleurs, et troussez-moi bagage.
(Ibid. II. 9.)

SE PRENDRE A QUELQUE CHOSE, c’est-à-dire, s’y prendre pour la faire:

Elle se prend d’un air le plus charmant du monde aux choses qu’elle fait.

(L’Av. I. 2.)

SE PRENDRE A QUELQU’UN DE, s’en prendre à lui, l’en accuser:

C’est ainsi qu’aux flatteurs on doit partout se prendre
Des vices où l’on voit les humains se répandre.
(Mis. II. 5.)

PRÉPOSITION supprimée, où l’usage moderne est de la répéter, soit devant un nom, soit devant un infinitif:

. . . . . . . . . . . . On sait bien que Célie
A causé des désirs à Léandre et Lélie.
(L’Ét. V. 13.)

Nous dirions: à Léandre et à Lélie.

Il n’y a dans Molière qu’un second exemple pareil à celui-ci, c’est-à-dire, où la préposition soit supprimée devant un substantif:

La peste soit de l’homme et sa chienne de face!
(Éc. des fem. IV. 2.)

Et de sa chienne de face.

Pour de l’esprit, j’en ai sans doute, et du bon goût
A juger sans étude et raisonner de tout;
A faire aux nouveautés, dont je suis idolâtre,
Figure de savant sur les bancs d’un théâtre;
Y décider en chef, et faire du fracas
A tous les beaux endroits qui méritent des ah!
(Mis. III. 1.)

A y décider.

C’est aux gens mal tournés, aux mérites vulgaires,
A brûler constamment pour des beautés sévères;
A languir à leurs pieds et souffrir leurs rigueurs;
A chercher le secours des soupirs et des pleurs,
Et tâcher, par des soins d’une très-longue suite,
D’obtenir ce qu’on nie à leur peu de mérite.
(Ibid.)

Et à souffrir, et à tâcher.

On n’a point à louer les vers de messieurs tels,
A donner de l’encens à madame une telle,
Et de nos francs marquis essuyer la cervelle.
(Ibid. III. 7.)

A essuyer la cervelle de nos marquis.

Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens,
Et sans aucun respect faire cocus les gens!
(Sgan. 8.)

A faire cocus les gens.

Comme si j’étois femme à violer la foi que j’ai donnée à un mari, et m’éloigner jamais de la vertu que mes parents m’ont enseignée!

(G. D. II. 10.)
Le remède plus prompt où j’ai su recourir,
C’est de pousser ma pointe et dire en diligence
A notre vieux patron toute la manigance.
(Dép. am. III. 1.)
Trouves-tu beau, dis-moi, de diffamer ma fille,
Et faire un tel scandale à toute une famille?
(Ibid. III. 8.)
Loin d’assurer une âme, et lui fournir des armes....
(Ibid. IV. 2.)
Peux-tu me conseiller un semblable forfait,
D’abandonner Lélie et prendre ce malfait?
(Sgan. 2.)
Et les plus prompts moyens de gagner leur faveur,
C’est de flatter toujours le foible de leur cœur,
D’applaudir en aveugle à ce qu’ils veulent faire,
Et n’appuyer jamais ce qui peut leur déplaire.
(D. Garcie. II. 1.)
Et voulez-vous, charmé de ses rares mérites,
M’obliger à l’aimer, et souffrir ses visites?
(Éc. des mar. II. 14.)
En quelle impatience
Suis-je de voir mon frère et lui conter sa chance!
(Ibid. III. 2.)
Mais je ne suis pas homme à gober le morceau,
Et laisser le champ libre aux yeux d’un damoiseau.
(Éc. des fem. II. 1.)
Il ne veut obtenir
Que le bien de vous voir et vous entretenir.
(Ibid. II. 6.)

Employons ce temps à répéter notre affaire, et voir la manière dont il faut jouer les choses.

(Impromptu. 1.)
C’est de ne plus souffrir qu’Alceste vous prétende;
De le sacrifier, madame, à mon amour;
Et de chez vous enfin le bannir sans retour.
(Mis. V. 2.)
Je vous promets ici d’éviter sa présence,
De faire place au choix où vous vous résoudrez,
Et ne souffrir ses vœux que quand vous le voudrez.
(Mélicerte. II. 4.)
Mais mon secours pourra lui donner les moyens
De sortir d’embarras et rentrer dans ses biens.
(Tart. II. 2.)
Pour m’ouvrir une voie à prendre la vengeance
De son hypocrisie et de son insolence,
A détromper un père, et lui mettre en plein jour
L’âme d’un scélérat qui vous parle d’amour.
(Ibid. III. 4.)
Ce seroit mériter qu’il me la vînt ravir (l’occasion),
Que de l’avoir en main, et ne m’en pas servir.
(Ibid.)
Un ordre de vider d’ici, vous et les vôtres,
Mettre vos meubles hors, et faire place à d’autres.
(Ibid. V. 4.)

On sait qu’une épître dédicatoire dit tout ce qu’il lui plaît, et qu’un auteur est en pouvoir d’aller saisir les personnes les plus augustes, et de parer de leurs grands noms les premiers feuillets de son livre; qu’il a la liberté de s’y donner autant qu’il veut l’honneur de leur estime, et se faire des protecteurs qui n’ont jamais songé à l’être.

(Ép. déd. d’Amphitryon.)

Cette tournure est ici d’autant plus remarquable, que l’épître est écrite avec un soin particulier, comme adressée au prince de Condé, aussi fin connaisseur dans les choses d’esprit que grand capitaine.

Qui donc est ce coquin qui prend tant de licence
Que de chanter et m’étourdir ainsi?
(Amph. I. 2.)

Il me prend des tentations d’accommoder son visage à la compote, et le mettre en état de ne plaire de sa vie aux diseurs de fleurettes.

(G. D. II. 4.)
J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes
Elle accommode mal les noms avec les verbes,
Et redise cent fois un bas ou méchant mot,
Que de brûler ma viande, ou saler trop mon pot.
(Fem. sav. II. 7.)
Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes,
De cette indigne classe où nous rangent les hommes,
De borner nos talents à des futilités,
Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.
(Ibid. III. 2.)
Appelez-vous, monsieur, être à vos vœux contraire,
Que de leur arracher ce qu’ils ont de vulgaire,
Et vouloir les réduire à cette pureté.....
(Ibid. IV. 2.)

La multiplicité de ces exemples, tant en vers qu’en prose, fait assez voir que Molière, en supprimant en poésie la préposition une fois exprimée, ne cédait pas à la contrainte de la mesure; il suit la coutume de tous les écrivains du XVIIe siècle. Je n’en apporterai qu’un exemple; il est de la Fontaine, et curieux à cause de la longueur de la période, et du nombre de verbes devant lesquels il faut suppléer le de mis au commencement.

«Ésope, pour toute punition, lui recommanda d’honorer les dieux et son prince; se rendre terrible à ses ennemis, facile et commode aux autres; bien traiter sa femme, sans pourtant lui confier son secret; parler peu, et chasser de chez soi les babillards; ne se point laisser abattre au malheur; avoir soin du lendemain....... surtout n’être point envieux du bonheur ni de la vertu d’autrui.......»

(La Fontaine. Vie d’Ésope.)

PRESCRIT, fixé, déterminé d’avance, et non pas ordonné:

Pensez-vous qu’à choisir de deux choses prescrites,
Je n’aimasse pas mieux être ce que vous dites.....
(Éc. des fem. IV. 8.)

C’est le sens du latin præscriptus, écrit d’avance.

PRÉSENT DU SUBJONCTIF, en relation avec l’imparfait:

Seroit-ce quelque chose où je vous puisse aider?
(Méd. m. l. I. 5.)

Ici l’imparfait serait-ce est une forme convenue pour représenter le présent est-ce: Est-ce quelque chose où je vous puisse aider? Ainsi, la correspondance des temps n’est réellement pas troublée.

PRESSER QUELQU’UN D’UNE COURTOISIE:

Toute la courtoisie enfin dont je vous presse.
(Éc. des fem. IV. 4.)

PRÊT A, près de, sur le point de:

Je vous vois prêt, monsieur, à tomber en foiblesse.
(Sgan. 11.)
Si c’est vous offenser,
Mon offense envers vous n’est pas prête à cesser.
(Fem. sav. V. 1.)

PRÊT DE, disposé à, sur le point de:

Ajoute que ma mort
Est prête d’expier l’erreur de ce transport.
(Dép. am. I. 2.)

Molière, en ce sens, a dit deux fois prêt à:

Le voilà prêt à faire en tout vos volontés.
(Ibid. III. 8.)
Et que me sert d’aimer comme je fais, hélas!
Si vous êtes si prête à ne le croire pas?
(Mélicerte. II. 3.)

Mais son habitude est prêt de:

Que si cette feinte, madame, a quelque chose qui vous offense, je suis tout prêt de mourir pour vous en venger.

(Pr. d’Él. V. 2.)
Vous n’avez qu’à parler, je suis prêt d’obéir.
(Mélicerte. II. 5.)

Et il n’y a pas quatre mois encore, qu’étant toute prête d’être mariée, elle rompit tout net le mariage....

(L’Av. II. 7.)

Je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que ce soit.

(Ibid. V. 5.)

Est-il l’heure de revenir chez soi quand le jour est prêt de paroître?

(G. D. III. 11.)

Quelques éditions modernes ont imprimé ici près de; cette correction, ou plutôt cette infidélité, est impossible dans les exemples qui précèdent.

Tous les grands écrivains du XVIIe siècle ont employé prêt de pour disposé à:

«Qu’on rappelle mon fils, qu’il vienne se défendre;
«Qu’il vienne me parler, je suis prêt de l’entendre
(Racine. Phèdre. V. 5.)

Le bon usage donnait même la préférence à prêt de: «Lorsque prêt signifie sur le point, prêt de est beaucoup meilleur.»

(Bouhours, Rem. nouv.)

«Elle estoit preste d’accoucher

(Scarron. Rom. com. I. 13.)

«Je le vis tout prest d’abandonner son bucéphale, pour marcher à pied à la teste des fantassins.»

(St.-Évremond. Conv. du P. Canaye. éd. de Barbin, 1697.)
LA SERRE.
«Es-tu si prêt d’écrire?
CASSAIGNE.
Es-tu las d’imprimer?»
(Boileau.)
«Dites un mot, seigneur, soldats et matelots
«Seront prêts avec vous de traverser les flots.»
(Crébillon. Electre.)

«Ce peuple, qui tant de fois a répandu son sang pour la patrie, est encore prêt de suivre les consuls.»

(Vertoy.)

«Ils coururent chez un de ses oncles où il s’étoit retiré, et d’où il étoit prêt de sortir pour aller se battre.»

(Fléchier. Les Grands Jours, p. 194.)

«Elle (Psyché) étoit honteuse de son peu d’amour, toute prête de réparer cette faute si son mari le souhaitoit, et quand même il ne le souhaiteroit pas.»

(La Font. Psyché. l. 1.)

C’est paratus de au lieu de paratus ad. La première forme était celle qu’avait choisie le moyen âge:

«S’il y est, il sera tout prest
«De vous payer à la raison.»
(Le Nouv. Pathelin.)
«Ouy, mon amy, je suis prest
«De vous despescher vistement.»
(Ibid.)
«Je suis tout prest de recevoir
(Ibid.)

Les grammairiens modernes reconnaissent l’emploi de prêt de dans tous les écrivains du XVIIe siècle, et, en le tolérant comme un archaïsme, ils s’avisent d’une distinction subtile autant qu’elle est chimérique: Prêt de, disent-ils, s’employait pour disposé à, mais non jamais pour signifier sur le point de, car il fallait toujours alors mettre l’adverbe près de.

On voit par les exemples de Molière la vanité de cette règle. Ma mort est prête d’expier ce transport;—étant toute prête d’être mariée....;—le jour est prêt de paroître; ne sont pas des phrases où l’on puisse substituer disposé à.

La distinction rigoureuse et constante entre l’adverbe près (presso) et l’adjectif prêt (paratus) paraît être venue tard: c’est un des résultats heureux, je crois, de l’analyse moderne. Auparavant on ne distinguait pas entre deux mots que l’oreille identifie; et quant aux compléments à ou de, comme ils s’employaient sans cesse et correctement l’un pour l’autre, ils ne pouvaient qu’entretenir la confusion, loin de l’empêcher.

PRÊTE-JEAN:

C’est ainsi que Molière écrit, et non prêtre Jean, personnage qui est appelé, dans les chroniques latines, presbyter Joannes, et pretiosus Joannes. J. Scaliger était pour le dernier.

Ce qui s’agite dans les conseils du prête-Jean ou du Grand Mogol.

(Comtesse d’Escarb. 1.)

«On appela d’abord prêtre Jean un prince tartare qui combattit Gengis. Des religieux envoyés auprès de lui prétendirent qu’ils l’avaient converti, l’avaient nommé Jean au baptême, et même lui avaient conféré le sacerdoce: de là cette qualification de prêtre Jean, qui est devenue depuis, on ne sait pourquoi, celle d’un prince nègre, moitié chrétien schismatique et moitié juif. C’est de ce dernier qu’il est question ici.»

(M. Auger.)

Voici à présent l’explication de Trévoux:

«Prestre Jean. On appelle ainsi l’empereur des Abyssins, parce que autrefois les princes de ce pays étoient réellement prestres, et que le mot Jean, en leur langue, veut dire Roi.

«..... Le nom de prestre Jean est tout à fait inconnu en Éthiopie; et cette erreur vient de ce que ceux d’une province où ce prince réside souvent, quand ils lui veulent demander quelque chose, crient Jean coi, c’est-à-dire, mon roi

C’est le cas de s’écrier aussi, avec le bonhomme Trufaldin:

Oh! oh! qui des deux croire?
Ce discours au premier est fort contradictoire.

Ceux qui voudront en lire davantage sur le prêtre ou prête Jean, peuvent consulter Du Cange au mot Presbyter Joannes.

PRÉTENDRE QUELQU’UN, QUELQUE CHOSE:

C’est inutilement qu’il prétend done Elvire.
(D. Garcie. I. 1.)
Donnez-en à mon cœur les preuves qu’il prétend.
(Ibid. I. 5.)
Quoi! si vous l’épousez, elle pourra prétendre
Les mêmes libertés que fille on lui voit prendre?
(Éc. des mar. I. 2.)
Et par de prompts transports donne un signe éclatant
De l’estime qu’il fait de celle qu’il prétend.
(Fâcheux. II. 4.)
Et la preuve après tout que je vous en demande,
C’est de ne plus souffrir qu’Alceste vous prétende.
(Mis. V. 2.)
Ces deux nymphes, Myrtil, à la fois te prétendent.
(Mélicerte. I. 5.)

Toutes vos poursuites auprès d’une personne que je prétends pour moi.

(L’Av. IV. 3.)

Molière a dit aussi PRÉTENDRE A QUELQU’UN:

Il ne prétend à vous qu’en tout bien et en tout honneur.

(Scapin. III. 1.)

Et PRÉTENDRE SUR QUELQUE CHOSE:

Moi, madame? Et sur quoi pourrois-je en rien prétendre?
(Mis. III. 7.)

A CE QUE JE PRÉTENDS, j’espère:

Et vous n’y montez pas[72], à ce que je prétends,
Pour être libertine et prendre du bon temps.
(Éc. des fem. III. 2.)

PRÊTER LA MAIN A...:

Cela est fort vilain à vous, pour un grand seigneur, de prêter la main, comme vous faites, aux sottises de mon mari.

(B. gent. IV. 2.)

(Voyez au mot DONNER, DONNER LA MAIN ou LES MAINS.)

PRÊTER LE COLLET, soutenir une lutte:

Je vous prêterai le collet en tout genre d’érudition.
(Am. méd. II. 4.)

PRÉTEXTE A (un infinitif):

Henriette, entre nous, est un amusement,
Un voile ingénieux, un prétexte, mon frère,
A couvrir d’autres feux dont je sais le mystère.
(Fem. sav. II. 3.)

PRIER D’UNE FÊTE, y inviter:

Pressez vite le jour de la cérémonie;
J’y prends part, et déjà moi-même je m’en prie.
(Éc. des f. V. 8.)

PRINCIPAUTÉ; SA PRINCIPAUTÉ, comme sa majesté, son altesse, ou bien sa qualité de prince:

MORON. Je l’ai trouvé un peu impertinent, n’en déplaise à sa principauté.

(Princ. d’Él. III. 3.)

PRISES; EN ÊTRE AUX PRISES, être près d’en venir aux prises:

Souvent nous en étions aux prises;
Et vous ne croiriez point de combien de sottises....
(Fem. sav. IV. 2.)

PRODUIRE A QUELQU’UN, lui montrer, lui présenter:

Quoi! deux Amphitryons ici nous sont produits!
(Amph. III. 5.)
Voici l’homme qui meurt du désir de vous voir.
En vous le produisant, je ne crains point le blâme
D’avoir admis chez vous un profane, madame.
(Fem. sav. III. 5.)

SE PRODUIRE, se montrer:

Ah, ah! cette impudente ose encor se produire?
(Ibid. V. 3.)

PROMENER, verbe neutre, sans le pronom réfléchi:

Qu’on me laisse ici promener toute seule.

(Am. magn. I. 6.)

Sur la suppression du pronom, voyez ARRÊTER.

PROMENER QUELQU’UN SUR.... au figuré:

Ma jalousie à tout propos
Me promène sur ma disgrâce.
(Amph. III. 1.)

Ramène ma pensée sur ma disgrâce.

PROMETTRE, assurer:

Je vous promets que je ne saurois les donner à moins.

(Méd. m. l. I. 6.)

PRONOM DE LA PREMIÈRE PERSONNE, construit avec un verbe à la troisième:

Et que me diriez-vous, monsieur, si c’étoit moi
Qui vous eût procuré cette bonne fortune?
(Dép. am. III. 7.)

Cette tournure ne choque pas, parce que eût figure avec c’était, et non pas avec moi. Au reste, Molière a donné cela au besoin de la mesure, car, deux vers plus loin, il rentre dans la forme ordinaire:

C’est moi, vous dis-je, moi, dont le patron le sait,
Et qui vous ai produit ce favorable effet.
(Ibid. III. 7.)

Molière a employé encore ailleurs cette discordance de personnes:

Ce ne seroit pas moi qui se feroit prier.
(Sgan. 2.)

En ce cas, c’est moi qui se nomme Sganarelle.

(Méd. m. lui. I. 6.)
Nous chercherons partout à trouver à redire,
Et ne verrons que nous qui sachent bien écrire.
(Fem. sav. III. 2.)

Molière mettait ici le verbe en accord avec le pronom relatif, qui désigne en effet la 3e personne. L’usage prescrit absolument aujourd’hui le verbe à la 1re personne, qui sachions. Au surplus, comme la mesure eût été la même, on est induit à penser que du temps de Molière la règle n’était pas encore fixée sur ce point.

PRONOM RÉFLÉCHI, supprimé:

Les mauvais traitements qu’il me faut endurer
Pour jamais de la cour me feroient retirer.
(Fâcheux. III. 2.)

Je ne feindrai point de vous dire que le hasard nous a fait connoître il y a six jours.

(Mal. im. I. 5.)

Molière a voulu fuir le mauvais effet de la répétition nous a fait nous connoître; me feroient me retirer. Il pouvait dire, nous a fait connoître l’un à l’autre; mais il a pensé que la rapidité de l’expression ne faisait ici rien perdre à la clarté, et pour un dialogue était assez correcte.

J’observe que les bons écrivains du XVIIe siècle n’expriment jamais qu’une fois le pronom personnel, quand la tournure de la phrase et l’emploi d’un verbe réfléchi sembleraient, comme ici, exiger qu’il fût exprimé deux fois.

PRONOM RELATIF, séparé de son substantif:

Et j’ai des gens en main que j’emploierai pour vous.
(Mis. III. 5.)
Tandis que Célimène en ses liens s’amuse,
De qui l’humeur coquette et l’esprit médisant
Semblent donner si fort dans les mœurs d’à présent.
(Ibid. I. 1.)

Ce tour est si fréquent dans Molière et dans tous les écrivains du XVIIe siècle, qu’il a paru superflu d’en rassembler ici d’autres exemples.

PROPOS; METTRE DANS LE PROPOS:

Et, pour ne vous point mettre aussi dans le propos...
(Fem. sav. IV. 3.)

PROPRE, au sens d’élégant, paré:

DORANTE. Comment, monsieur Jourdain, vous voilà le plus propre du monde!

(B. gent. III. 4.)

PROU, adverbe, beaucoup; archaïsme:

J’ai prou de ma frayeur en cette conjecture.
(L’Ét. II. 5.)

Prou, par apocope de proufit (profit). En italien, pro n’est que substantif: Buon pro vi faccia.—Bon prou vous fasse.

La Civilité puérile et honnête apprenait aux enfants à dire à leurs père et mère, après les grâces, prouface, c’est-à-dire, bon prou vous fasse; que ce repas vous profite.

En français, prou fait aussi l’office d’adverbe, comme ces autres substantifs monosyllabes, pas, point, mie, trop, rien.

(Voyez PAS; RIEN.)

«L’un jura foi de roi, l’autre foi de hibou,
«Qu’ils ne se goberoient leurs petits peu ni prou
(La Font. L’Aigle et le Hibou.)

PRUNES; POUR DES PRUNES, pour rien:

CLIMÈNE. Ce le, où elle s’arrête, n’est pas mis pour des prunes.

(Crit. de l’Éc. des fem. 3.)

Molière prête à Climène cette trivialité, pour faire un contraste plaisant avec le superbe néologisme de cette précieuse, et l’importance qu’elle attache à ce le.

La même intention paraît dans Sganarelle, qui, interrogé au plus fort de son chagrin, répond:

Si je suis affligé, ce n’est pas pour des prunes.
(Sgan. 16.)
ARNOLPHE.
Diantre, ce ne sont pas des prunes que cela!
(Éc. des fem. III. 4.)

PUBLIER POUR (un adjectif), faire passer publiquement pour...:

Et que direz-vous de la marquise Araminte, qui la publie partout pour épouvantable? (la comédie de l’École des femmes).

(Crit. de l’Éc. des fem. 6.)

PUER SON ANCIENNETÉ:

... Ah! sollicitude à mon oreille est rude;
Il put étrangement son ancienneté.
(Fem. sav. II. 7.)

Ce présent se dérive de la forme puir, qui est la primitive; puer est moderne. «C’est puir que sentir bon.» (Montaigne.)

«Puer ou PUÏR, verbe neutre. L’Académie ne parle que de puer, et point du tout de puir. Danet en parle comme l’Académie; mais Richelet, aussi bien que Furetière, les admet tous deux, en disant que ce sont deux verbes défectueux; que puïr ne se dit point à l’infinitif, mais seulement puer, et qu’ils empruntent l’un de l’autre quelques temps. Quoi qu’il en soit, on ne conjugue point je pue, ni je puïs, comme il semble qu’on devroit conjuguer; mais je pus, tu pus, il put.» (Trévoux.)

L’exemple tiré de Montaigne, auquel on en pourrait ajouter mille autres, prouve l’erreur de Richelet et de Furetière quant à l’infinitif puïr: ils ont pris pour défectueux deux verbes très-complets chacun de sa part, mais différents d’âge. Les dernières lignes de Trévoux prouvent qu’en 1740 la forme moderne n’avait pas encore supplanté l’ancienne complétement, et que puïr subsistait toujours dans le présent de l’indicatif. A plus forte raison, en 1672 Molière ne pouvait-il écrire, comme le mettent certaines éditions: «Il pue étrangement.....» (Voyez SENTIR.)

PUNISSEUR; FOUDRE PUNISSEUR:

Il ne veut le montrer qu’en tête d’une armée,
Et tout prêt à lancer le foudre punisseur.
(D. Garcie. I. 2.)

PUNITION; FAIRE LA PUNITION DE... SUR...:

Ils en feront sur votre personne toute la punition que leur pourront offrir et les poursuites de la justice, et la chaleur de leur ressentiment.

(G. D. III. 8.)

Molière dit de même, faire la justice d’un crime.

PURGER (SE) DE SA MAGNIFICENCE, l’expliquer, la justifier:

L’autre, pour se purger de sa magnificence,
Dit qu’elle gagne au jeu l’argent qu’elle dépense.
(Éc. des fem. I. 1.)

SE PURGER D’UNE IMPOSTURE, en démontrer la fausseté:

Votre Majesté juge bien elle-même...... quel intérêt j’ai enfin à me purger de leur imposture.

(1er Placet au roi.)

QUAND... ET QUE...:

Enfin, quand il (le ciel) exposeroit à mes yeux un miracle d’esprit, d’adresse et de beauté, et que cette personne m’aimeroit avec toutes les tendresses imaginables; je vous l’avoue franchement, je ne l’aimerois pas.

(Pr. d’Él. III. 4.)

Oui, quand Alexandre seroit ici, et que ce seroit votre amant......

(Sicilien. 12.)

«Quand un homme nous auroit ruinés, estropiés, brûlé nos maisons, tué notre père, et qu’il se disposeroit encore à nous assassiner...»

(Pascal. 14e Prov.)

Cette tournure paraît lâche et incorrecte. On observera dans la phrase de Pascal une autre négligence, c’est le même nous servant à la fois comme accusatif et comme datif: nous aurait ruinés, nous aurait tué notre père.

QUANT-A-MOI, substantif. (Voyez TENIR SON QUANT-A-MOI).

QUASI, presque:

Figurez-vous donc que Télèbe,
Madame, est de ce côté.
C’est une ville, en vérité,
Aussi grande quasi que Thèbe.
(Amph. I. 1.)

Ce mot a joui d’une grande faveur jusqu’à la fin du XVIIe siècle:

«Nous sommes quasi en tout iniques juges de leurs actions (des femmes).»

(Montaigne. III. 5.)

«....... Notre grande méthode (de diriger l’intention), dont l’importance est telle, que j’oserois quasi la comparer à la doctrine de la probabilité.»

(Pascal, 7e Prov.)

«Je ne me laisse pas emporter aux haines publiques, que je sais estre quasi toujours injustes.»

(Voiture.)

«L’amour n’a quasi jamais bien establi son pouvoir qu’après avoir ruiné celui de nostre raison.»

(St.-Évremond.)

«Le mot quasi n’est pas mauvais, et il ne faut faire nul scrupule de s’en servir, surtout dans les discours de longue haleine.»

(Patru.)

Là commencent les retours: Vaugelas, Ménage, Bouhours, Thomas Corneille, ont condamné quasi, les uns plus sévèrement, les autres moins; les plus indulgents ne l’ont toléré que par pitié.

Le temps a donné gain de cause à Vaugelas, qui le proscrivait net, et le chassait du beau langage.

QUE.

Ce mot est entré dans la langue française pour y représenter 1o l’adverbe latin quòd;

2o Les accusatifs du pronom relatif qui, quæ, quod, et le neutre quid;

3o L’adverbe quàm dans les formules de comparaison: plus pieux que vous, magis pius quàm tu.

Enfin, il figure dans quelques autres locutions qui ne sont point prises du latin, et sont des idiotismes de notre langue.

Molière nous fournit des exemples de ces divers emplois de QUE; nous allons les rapporter dans l’ordre où ils viennent d’être mentionnés.

QUE (quòd), entre deux verbes, tous deux à l’indicatif:

Ah! madame, il suffit, pour me rendre croyable,
Que ce qu’on vous promet doit être inviolable.
(D. Garcie. I. 3.)

Est-il possible que toujours j’aurai du dessous avec elle?

(G. D. II. 13.)

Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins?

(Mal. im. III. 3.)

L’idée du second verbe énonce un fait certain, c’est pourquoi on met l’indicatif. Le doute, ou plutôt l’exclamation, s’exprime dans l’autre partie de la phrase. Vous serez toujours embéguiné des médecins;—j’aurai toujours du dessous avec elle;—cela est-il possible?

«Croyez-vous qu’il suffit d’être sorti de moi?»
(Corn. Le Menteur.)

Il suffit d’être sorti de moi.—Le croyez-vous? La première proposition paraît incontestable à Dorante.

Montaigne, parlant du nouveau monde, se sert de la même tournure:

«Bien crains-je que nous luy aurons très fort hasté sa ruine par nostre contagion, et que nous luy aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts!»

(Montaigne. III. 6.)

Observez que dans tous ces exemples le premier verbe est au présent de l’indicatif, et le second au futur.

QUE pour de ce que, répondant au latin quòd, adverbe; S’OFFENSER QUE (suivi d’un autre verbe):

Et cet arrêt suprême
Doit m’être assez touchant pour ne pas s’offenser
Que mon cœur par deux fois le fasse répéter.
(Éc. des mar. II. 14.)

Vous aurez la consolation qu’elle sera morte dans les formes.

(Am. méd. II. 5.)

Hoc erit tibi solamen quòd..... Cette consolation (savoir) que elle sera morte... etc.

Voilà qui m’étonne, qu’en ce pays-ci les formes de la justice ne soient point observées.

(Pourc. III. 2.)

La Fontaine a dit, par la même tournure, prier que et menacer que.

«Quelques voyageurs le prièrent, au nom de Jupiter hospitalier, qu’il leur enseignât le chemin qui conduisoit à la ville....... Ésope le menaça que ses mauvais traitements seroient sus

(Vie d’Ésope.)

Cette construction est très-commode, et abrége un long détour; mais elle ne paraît pas admissible hors du dialogue ou du style familier.

QUE dans cette formule, IL N’EST PAS QUE; c’est-à-dire, pas possible que:

Il n’est pas que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.

(L’Av. V. 2.)

Le comte de Foix, dit Froissart, fit mourir dans des supplices horribles quinze de ses serviteurs:

«Et la raison que il y mist et mettoit estoit telle: que il ne pouvoit estre que ils ne sceussent de ses secrets.»

(Froissart, liv. III.)

Les Latins ont de même employé quòd et quin. «Hoc est quòd ad vos venio.» (Plaute.) C’est cela que je viens à vous.—«Non possum quin exclamem.» (Cicéron.) Je ne peux que je ne m’écrie.

(Voy. Pouvoir.)

QUE, ouvrant une formule de souhait (en latin QUOD UTINAM, Salluste.)

Que puissiez vous avoir toutes choses prospères!
(Dép. am. III. 4.)
Que maudit soit l’amour, et les filles maudites
Qui veulent en tâter, puis font les chatemites!
(Dép. am. V. 4)
Le pauvre homme! Allons vite en dresser un écrit,
Et que puisse l’envie en crever de dépit!
(Tart. III. 7.)

Cette locution s’explique par l’ellipse: Je souhaite, je prie Dieu que.... etc.

QU’AINSI NE SOIT, espèce de formule oratoire au commencement d’une phrase, comme le verum enimvero de Cicéron (déjà surannée du temps de Molière):

1er MÉDECIN.

Qu’ainsi ne soit: pour diagnostique incontestable de ce que je dis.....

(Pourc. I. 11.)

QUE pour à ce que, dans ces formules, QUE JE CROIS, QUE JE PENSE:

Vous n’avez pas été sans doute la première,
Et vous ne serez pas, que je crois, la dernière.
(Dép. am. III. 9.)
Vous devez, que je croi,
En savoir un peu plus de nouvelles que moi.
(Ibid.)
On aura, que je pense,
Grande joie à me voir après dix jours d’absence.
(Éc. des fem. I. 2.)
Parbleu! vous êtes fou, mon frère, que je croi.
(Tart. I. 6.)
Vous n’aurez, que je crois, rien à me repartir.
(Ibid. IV. 4.)

Vous n’êtes pas d’ici, que je crois?

(G. D. I. 2.)

Je n’ai pas besoin, que je pense, de lui recommander de la faire agréable.

(Ibid. II. 5.)

Je m’y suis pris, que je crois, de toutes les tendres manières dont un amant se peut servir.

(Am. magn. I. 2.)

L’usage a prévalu de supprimer dans ces formules le que comme surabondant.

QUE JE SACHE:

Il n’est point de destin plus cruel, que je sache.
(Amph. III. 1.)

Traduction rigoureuse de la formule latine quod sciam.

QUE répondant au neutre quod, dans N’AVOIR QUE FAIRE:

Et vous êtes un sot de venir vous fourrer où vous n’avez que faire.

(Méd. m. lui. I. 2.)

Je n’ai que faire de votre aide.

(Méd. m. lui. I. 2.)

Je n’ai que faire de vos dons.

(L’Av. IV. 5.)

QUE répondant à l’ablatif du qui relatif latin, où, auquel, dans lequel, par où:

L’argent dans notre bourse entre agréablement;
Mais le terme venu que nous devons le rendre,
C’est lors que les douleurs commencent à nous prendre.
(L’Ét. I. 6.)
Las! en l’état qu’il est, comment vous contenter?
(Ibid. II. 4.)
A l’heure que je parle, un jeune Égyptien,
Qui n’est pas noir pourtant.......
(Ibid. IV. 9.)
D’abord il a si bien chargé sur les recors,
Qui sont gens d’ordinaire à craindre pour leur corps,
Qu’à l’heure que je parle ils sont encore en fuite.
(Ibid. V. 1.)
Je la regarde en femme, aux termes qu’elle en est.
(Éc. des fem. I. 1.)

Je regarde les choses du côté qu’on me les montre.

(Crit. de l’Éc. des fem. 3.)

De la façon qu’elle a parlé, tout ce qu’elle en a fait a été sans dessein.

(Sicilien. 16.)
On se défend d’abord; mais, de l’air qu’on s’y prend,
On fait entendre assez que notre cœur se rend.
(Tart. IV. 5.)

Est-il possible, notre gendre, qu’il n’y ait pas moyen de vous instruire de la manière qu’il faut vivre parmi les personnes de qualité?

(G. D. I. 4.)

Quo modo vivendum sit.

Nous voilà au temps, m’a-t-il dit, que je dois partir pour l’armée.

(Scapin. II. 8.)

Et l’on vous a su prendre par l’endroit seul que vous êtes prenable.

(1er Placet au roi.)

M. Auger fait ici la remarque suivante:

«Prendre et prenable, appartenant à deux propositions distinctes, devraient avoir chacun leur complément indirect, et ils n’en ont qu’un à eux deux. C’est là qu’est la faute. Il faudrait: On a su vous prendre par l’endroit seul par lequel....»

Je sais bien que M. Auger est avec l’usage, au moins l’usage moderne, et Molière hors de cet usage; mais je ne crains pas de dire: Tant pis pour l’usage moderne! Qui ne voit l’immense avantage de ce rapide monosyllabe que sur cette lourde et pesante tournure, par l’endroit par lequel?

La raison alléguée par M. Auger en faveur de l’usage ne vaut rien. Qu’importe en effet que prendre et prenable n’aient pour eux deux qu’un seul complément, s’ils le gouvernent tous deux de même? Prendre par un endroit; prenable par un endroit. Et où prend-il lui-même cette loi, qu’il faut deux compléments lorsqu’il y a deux propositions distinctes? Enfin, peut-on dire qu’il y ait ici deux propositions distinctes? Ce sont là toutes arguties de grammairien. Pour faire voir la légitimité de la construction de Molière au point de vue de la logique, il n’y a qu’à traduire sa phrase en latin:—Captus es quo loco capi poteras.—Le que n’est aussi exprimé qu’une fois.

Voici un tableau qui fera comprendre, mieux que tous les raisonnements subtils, le jeu de ces relatifs QUI, QUE, QUOI. J’en puise les éléments dans la grammaire de Jehan Masset, imprimée à la suite du dictionnaire de Nicot (1606.)

Qui, nominatif de tout genre et de tout nombre:

Exemples:   Le père   QUI vous aiment.
La mère
Les pères
Les mères

Que, accusatif de tout genre et de tout nombre:

Exemples:   Le père, la mère   QUE vous aimez.
Les pères, les mères

Que sert aussi pour les neutres quid et quod. Que dites-vous? (quid dicis?) Ce que je sais (quod scio).

Quoi, accusatif neutre.—Quoi voyant, ou ce que voyant..... quod cum videret.—Quoi que vous disiez, littéralement en latin du moyen âge, quid quod dicas.

«De la façon enfin qu’avec toi j’ai vécu,
«Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.»
(Corn. Cinna.)
«Au temps que les bêtes parloient.....»
(La Fontaine.)

«Le jour suivant, que les vapeurs de Bacchus furent dissipées, Xantus fut extrêmement surpris de ne plus trouver son anneau.»

(Id. Vie d’Ésope.)

«Un jour viendra que votre méchanceté ne trouvera point de retraite sûre, non pas même dans les temples.»

(La Font. Vie d’Ésope.)

Un jour viendra dans lequel.

QUE, suivi de ne, répondant au latin quin ou quin ou quominus:

Et ce bien, par la fraude entré dans ma maison,
N’en sera point tiré que dans cette sortie
Il n’entraîne du mien la meilleure partie.
(Dép. am. III. 3.)
Entrez dans cette porte,
Et sans bruit ayez l’œil que personne n’en sorte.
(Éc. des mar. III. 5.)

Afin que personne, pour empêcher que personne n’en sorte.

Il n’avouera jamais qu’il est médecin,..... que vous ne preniez chacun un bâton.....

(Méd. m. lui. I. 5.)

Quin baculum sumas: A moins que vous ne preniez un bâton.

Je ne sais qui me tient, infâme,
Que je ne t’arrache les yeux.
(Amph. II. 3.)

Quin oculos tibi eripiam.

Passe, mon pauvre ami, crois-moi,
Que quelqu’un ici ne t’écoute.
(Ibid. III. 2.)

Sors vite, que je ne t’assomme.

(L’Av. I. 3.)

Allez vite, qu’il ne nous voie ensemble.

(Pourc. III. 1.)

NE POUVOIR QUE... NE:

Dans le fond, je suis de votre sentiment, et vous ne pouvez pas que vous n’ayez raison.

(L’Av. I. 7.)

«Non possum quin exclamem.» (Cicer.) Je ne puis que je ne m’écrie; je ne puis m’empêcher de m’écrier.

QUE, répondant au latin quàm, præterquàm, nisi, excepté, sinon:

Mais quoi! que feras-tu que de l’eau toute claire?
(L’Ét. III. 1.)

Ont-elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire?

(Préc. rid. 1.)

Où trouver, sire, une protection qu’au lieu où je la viens chercher? et qui puis-je solliciter..... que la source de la puissance et de l’autorité?

(2e Placet au roi.)

Je vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut être permis par l’honneur et la bienséance.

(L’Av. IV. 1.)

Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie?

(B. gent. III. 12.)

«Je l’ai suivi (Planude), sans retrancher de ce qu’il a dit d’Ésope que ce qui m’a semblé trop puéril.»

(La Font. Vie d’Ésope.)

QUE répondant au latin cum, lorsque, tandis que:

Il aime quelquefois sans qu’il le sache bien,
Et croit aimer aussi, parfois qu’il n’en est rien.
(Mis. IV. 1.)

Tandis qu’il n’en est rien.

Comment voudriez-vous qu’ils traînassent un carrosse, qu’ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes?

(L’Av. III. 5.)

Lorsqu’ils ne peuvent pas.

Où me réduisez-vous, que de me renvoyer à ce que voudront permettre, etc....

(Ibid. IV. 1.)

Lorsque vous me renvoyez.

Et la raison bien souvent les pardonne,
Que l’honneur et l’amour ne les pardonnent pas.
(Amph. III. 8.)

QUE elliptique; tel que, ou, adverbialement, tellement que, de telle sorte que:

Je suis dans une colère, que je ne me sens pas!

(Mar. for. 6.)

Telle, que je ne me sens pas.

J’ai une tendresse pour mes chevaux, qu’il me semble que c’est moi-même.

(L’Av. III. 5.)

Telle, qu’il me semble....

Suis-je faite d’un air, à votre jugement,
Que mon mérite au sien doive céder la place?
(Psyché. I. 1.)

D’un tel air que mon mérite, etc.

Et vous me le parez[73] tous deux d’une manière,
Qu’on ne peut rien offrir qui soit plus précieux.
(Ibid. I. 3.)

«Nous ne laissâmes pas toutefois de délier l’homme et la femme, que la crainte tenoit saisis à un point qu’ils n’avoient pas la force de nous remercier.»

(Gil Blas. liv. V. ch. 2.)
On lève des cachets, qu’on ne l’aperçoit pas.
(Amph. III. 1.)

De telle sorte que l’on ne l’aperçoit pas.

Souvent on se marie,
Qu’on s’en repent après tout le temps de sa vie.
(Fem. sav. V. 5.)

Tellement, de telle façon que l’on s’en repent.

QUE, relatif après ce que:

Bon! voilà ce qu’il nous faut qu’un compliment de créancier.

(Don Juan. IV. 2.)

ET QUE... en relation avec en:

J’en suis persuadé,
Et que de votre appui je serai secondé.
(Fem. sav. IV. 6.)

QUE DIABLE:

Que diable est-ce là? Les gens de ce pays-ci sont-ils insensés?

(Pourc. I. 12.)

Il faut écrire quel diable, qu’on prononçait queu diable, et qu’on a fini par écrire que diable.

(Voyez DIABLE.)

Si vous n’êtes pas malade, que diable ne le dites-vous donc!

(Méd. m. lui. II. 9.)

Dans cette construction, que répond au latin cur. Pourquoi (diable!) ne le dites-vous donc? La véritable ponctuation serait d’isoler le mot diable: Que, diable! ne le dites-vous? Quin, ædepol, illud, aperis? (Voyez, p. 337, QUE suivi de ne.)

On pourrait encore expliquer que diable ne le dites-vous, quel diable ne le dites-vous? c’est-à-dire, quel diable vous empêche de le dire? Ce serait une de ces constructions interrompues dont il y a des exemples dans toutes les langues, et surtout dans la nôtre.

QUE NE, après tarder:

Adieu; il me tarde déjà que je n’aie des habits raisonnables, pour quitter vite ces guenilles.

(Mar. for. 4.)

QUE NON PAS, après aimer mieux:

Et tout ce que vous m’avez dit, je l’aime bien mieux une feinte que non pas une vérité.

(Pr. d’Él. V. 2.)

QUE... QUI:

C’est vous, si quelque erreur n’abuse ici mes yeux,
Qu’on m’a dit qui vivez inconnu dans ces lieux.
(L’Ét. V. 14.)
Mais, pour guérir le mal qu’il dit qui le possède,
N’a-t-il pas exigé de vous d’autre remède?
(Éc. des fem. II. 6.)
Nous verrons si c’est moi que vous voudrez qui sorte.
(Mis. II. 5.)
Et c’est toi que l’on veut qui choisisses des deux.
(Mélicerte. I. 5.)

Je la recevrai comme un essai de l’amitié que je veux qui soit entre nous.

(Sicilien. 16.)

Mon Dieu, Scapin, fais-nous un peu ce récit qu’on m’a dit qui est si plaisant.....

(Scapin. III. 1.)

Ce gallicisme n’est pas élégant, mais il peut souvent être commode; c’est pourquoi il a été employé par de bons écrivains dans le style familier:

«Et que pourra faire un époux
«Que vous voulez qui soit nuit et jour avec vous?»
(La Font. Le Mal marié.)

Ce tour, proscrit par la délicatesse raffinée des modernes, était encore d’usage au XVIIIe siècle; Voltaire lui-même ne fait point difficulté de s’en servir:

«Voici cette épître de Corneille, qu’on prétend qui lui attira tant d’ennemis.»

(Comment. sur l’Ép. à Ariste.)

Si l’on essaye d’exprimer la même idée en termes différents, on verra ce que la tournure de Molière et de Voltaire offre d’avantageux.

QUE construit avec un adjectif, dans le sens où les Espagnols disent por; por grandes que sean los reyes... c’est-à-dire, encore que les rois soient grands, ou quels grands que soient les rois:

Ma crainte toutefois n’est pas trop dissipée;
Et, doux que soit le mal, je crains d’être trompée.
(Sgan. 22.)

Cette locution est elliptique; c’est comme s’il y avait, et, quel doux que soit le mal[74]. Pour l’euphonie et la rapidité, on avait fini par omettre quel; mais dans l’origine il était exprimé.

(Voyez QUEL pour tel.... que, p. 341.)

On doit regretter que ce tour élégant et concis n’ait pas été conservé, au lieu de ce pénible et raboteux quelque... que.

QUE pour ce que, archaïsme:

Voilà, voilà que c’est de ne pas voir Jeannette,
Et d’avoir en tout temps une langue indiscrète.
(L’Ét. IV. 8.)

(Voyez ÊTRE QUE DE, SI (un adjectif) QUE DE, SI PEU... QUE DE... etc., et ENRAGER QUE,—ÉTONNÉ QUE,—FAIRE SEMBLANT QUE,—GARDER QUE, etc.)

QUEL, pour tel... que:

Allez, allez, vous pourrez avoir avec eux (les médecins) quel mal il vous plaira.

(L’Av. I. 8.)

Les grammairiens sont unanimes à déclarer que c’est là une faute grave. Ils veulent: tel mal qu’il vous plaira.

Chez les Latins, talis et qualis étaient corrélatifs, ou se substituaient l’un à l’autre. Par exemple: talis pater, qualis filius; ou bien: qualis pater, talis filius.

Le peuple s’obstine à dire: Prenez lequel que vous voudrez; venez à quelle heure qu’il vous plaira. C’est la tradition de l’ancienne langue:

«Parole a David, si lui dis que il elise de treis choses quele que il volt mielz que je li face.

«E li prophetes vint al rei, si li dist issi de part nostre seignur, e ruvad (rogavit) que il eleist (qu’il choisît, élisît) quel membre que il volsist.»

(Rois. p. 217.)

Supprimez par euphonie le que relatif, vous avez la locution de Molière: Le prophète pria David de choisir quel membre il voudrait que Dieu frappât.

Mais au lieu de supprimer ce que relatif, qui déjà n’était pas indispensable, l’usage moderne le redouble, et dit, avec une harmonie réellement barbare, quelque... que.

(Voyez l’article suivant.)

QUEL (un adj. ou un subst.) QUE, pour quelque... que:

En quel lieu que ce soit, je veux suivre tes pas.
(Fâcheux. III. 4.)

C’est la véritable locution française, la seule qui ait du sens, et qu’autorisent les origines de la langue.

«E Deu guardad David, quel part qu’il alast.»

(Rois. p. 148.)

«E quel part qu’il (Saül) se turnout, ses adversaires surmontout.»

(Ibid. p. 52.)

«De quel forfait que home out fait en cel tens.....»

(Loix de Guillaume le Conquer.)

Quelque forfait que l’on ait commis en ce temps, l’église y est un asile.

«Quel deul que j’en doie soufrir.»
(R. de Coucy. v. 6151.)
«Je m’en vois, dame! a Dieu le creatour,
Comant vo cors, en quel lieu ke je soie.»
(Chanson du sire de Coucy, dans le roman, vers 7413.)

Les Anglais égorgent par surprise les Danois établis à Londres; des jeunes gens nobles, montés sur une nacelle, échappent à cette boucherie:

«Emmi se colent par Tamise,
«Ne lor nut tant nord est ne bise,
«Qu’en Danemarche n’arrivassent,
«Queu mer orrible qu’il trovassent.»
(Benoist de S.-More. Chronique, v. 27550.)

Le vent ne leur nuisit pas tellement qu’ils n’arrivassent en Danemark, quelle horrible mer qu’ils trouvassent.

«En quel oncques liu que je soie.»
(La Violette, p. 44.)
«Avis li fu qu .I. angle de par Dieu li disoit
«Qu’aler lessast Flourence quel part que ele voudroit.»
(Le dit de Flourence de Rome.)

Froissart parlant de la cour du comte de Foix:

«Nouvelles de quel royaume ni (et) de quel pays que ce feust là dedans on y apprenoit.»

(Chron. liv. III.)

Quelque... que est une locution dont il est impossible de rendre compte; elle échappe à toute analyse par son absurdité. Pourquoi ces deux que l’un sur l’autre, et quel invariable? Il appartenait à Molière de maintenir au milieu du XVIIe siècle la forme primitive.

Il serait bien à souhaiter qu’on reprît l’ancien usage, et qu’on purgeât notre langue de cet affreux quelque... que.

Nous avons vu Froissart, à la fin du XVe siècle, employer encore la vraie locution. A la même époque, je trouve déjà la mauvaise forme installée dans un chef-d’œuvre, dans la farce de Pathelin:

A moy mesme pour quelque chose
Que je te die ne propose........
Dictes hardiment que j’affole
Se je dis huy aultre parole
A vous n’a quelque aultre personne,
Pour quelque mot que l’en me sonne,
Fors Bée que vous m’avez aprins.
(Pathelin.)

Ainsi, dès la fin du XVe siècle, les deux locutions étaient en présence, et luttaient. Selon la marche des choses d’ici-bas, la pire devait l’emporter, et son triomphe ne se fit pas attendre. Le XVIe siècle, tant ses ardeurs de grec, de latin, d’italien et d’espagnol lui brouillaient la cervelle, n’entendait plus rien du tout à la première langue française; je ne suis donc pas surpris de voir la forme quelque que mentionnée seule, et consacrée comme une règle dans la grammaire de Palsgrave (1530); c’est au folio 114 (recto), où l’auteur expose que l’on emploie indifféremment quelque et quelconque. Voici ses exemples:

«Quelconque ou quelque excusation que vous alleguez, elle ne vous servira de rien.»

«Quelques dieux, ou quelconques dieux que ils soient.»

«O deesse specieuse, quelque tu soies, si m’engarderay à faire à aultruy mencion quel conques

Ces exemples sont pris dans quelque traduction du latin, faite par un célèbre écrivain de l’époque.

Vous observerez que Palsgrave recommande bien surtout de ne jamais faire accorder quel dans quelque ni quelconque. Si l’on trouve parfois dans les livres quelle que, quelsconques ou quellesconques, c’est, dit-il, par une grosse méprise des imprimeurs: «that was done by the errour of the printers.» Il fait de cette invariabilité une règle formelle, que l’âge suivant, avec son inconséquence ordinaire, a gardée pour quelconque, et violée pour quelque. Nous écrivons: une femme quelconque, sans faire accorder quel, et en le faisant accorder: quelle que soit cette femme. Notre grammaire moderne ressemble à un écheveau mêlé.

QUELQUE SOT, locution elliptique:

LÉLIE.
Tu te vas emporter d’un courroux sans égal.
MASCARILLE.
Moi, monsieur? quelque sot! la colère fait mal.
(L’Ét. II. 7.)

C’est-à-dire, quelque sot s’emporterait; mais moi, non!

Certes je t’y guettois!—Quelque sotte, ma foi!
(Tart. II. 2.)

Quelque sotte y serait prise; mais non pas moi!

Hé, quelque sot! je vous vois venir.

(G. D. II. 7.)

QUÊTE, recherche; LA QUÊTE DE QUELQU’UN:

Si bien qu’à votre quête ayant perdu mes peines...
(L’Ét. V. 14.)

A votre recherche.

C’est le sens primitif du mot: la quête du S. Graal.

QUI, se rapportant à un nom de chose, au lieu de lequel, que Molière et ses contemporains paraissent avoir évité autant que possible:

J’ai conçu, digéré, produit un stratagème
Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas,
Doivent sans contredit mettre pavillon bas.
(L’Ét. II. 14.)
Et pourvu que tes soins, en qui je me repose...
(Ibid. III. 5.)
Et contre cet assaut je sais un coup fourré,
Par qui je veux qu’il soit de lui-même enferré.
(Ibid. III. 6.)
Et de ces blonds cheveux, de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure.
(Éc. des mar. I. 1.)
Je veux une coiffure, en dépit de la mode,
Sous qui toute ma tête ait un abri commode.
(Ibid.)
O trois ou quatre fois béni soit cet édit
Par qui des vêtements le luxe est interdit!
(Ibid. 9.)

Ce n’est pas que Molière ait sacrifié au besoin de la mesure:

Oui, oui, votre mérite, à qui chacun se rend....
(Ibid.)

Il ne lui en eût pas coûté davantage de mettre auquel, si ce terme eût été alors plus juste et plus conforme à l’usage.

Vous donner une main contre qui l’on enrage.
(Fâcheux. I. 5.)

Cette liberté pour qui j’avois des tendresses si grandes...

(Princ. d’Él. IV. 1.)

Une de ces injures pour qui un honnête homme doit périr.

(D. Juan. III. 4.)

C’est un art (l’hypocrisie) de qui l’imposture est toujours respectée.

(Ibid. V. 2.)
L’honneur vous apprend-il ces mignardes douceurs
Par qui vous débauchez ainsi les jeunes cœurs?
(Mélicerte. II. 4.)
Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret,
Avec qui pour toujours on est sûr du secret.
(Tart. III. 3.)

Qui se rapporte à feu, et non pas à gens: avec lequel feu.

N’oublie rien..... de ces caresses touchantes à qui je suis persuadé qu’on ne sauroit rien refuser.

(L’Av. IV. 1.)
De grâce, souffrez-moi, par un peu de bonté,
Des bassesses à qui vous devez la clarté.
(Fem. sav. I. 1.)

QUI relatif, séparé de son sujet:

Sans ce trait falot,
Un homme l’emmenoit, qui s’est trouvé fort sot.
(L’Ét. II. 14.)
Ah! sans doute, un amour a peu de violence,
Qu’est capable d’éteindre une si foible offense.
(Dép. am. IV. 2.)
La tête d’une femme est comme une girouette
Au haut d’une maison, qui tourne au premier vent.
(Ib. IV. 2.)
N’allez point présenter un espoir à mon cœur,
Qu’il recevroit peut-être avec trop de douceur.
(Mélicerte. II. 3.)
Nous perdons des moments en bagatelles pures,
Qu’il faudroit employer à prendre des mesures.
(Tart. V. 3.)

Il me faut aussi un cheval pour monter mon valet, qui me coûtera bien trente pistoles.

(Scapin. II. 8.)

C’est le cheval qui coûtera trente pistoles, et non le valet.

Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux.
(Fem. sav. I. 1.)
Nos pères sur ce point étoient gens bien sensés,
Qui disoient qu’une femme en sait toujours assez...
(Ibid. II. 7.)

Cette construction était une des plus usitées:

«On ne parloit qu’avec transport de la bonté de cette princesse, qui, malgré les divisions trop ordinaires dans les cours, lui gagna d’abord tous les esprits.»

(Bossuet. Or. fun. de la duch. d’Orl.)

Qui ne se rapporte pas à la princesse, mais à sa bonté, qui lui gagnait tous les esprits.

«Il a eu raison d’interdire un prêtre pour toute sa vie, qui, pour se défendre, avoit tué un voleur d’un coup de pierre.»

(Pascal, 14e Prov.)

«Votre père Alby fit un livre sanglant contre lui (le curé de St.-Nizier de Lyon), que vous vendites vous-même, dans votre propre église, le jour de l’Assomption.»

(Id. 15e Prov.)

QUI, répété disjonctivement pour celui-ci, celui-là:

Ils n’ont pas manqué de dire que cela procédoit qui du cerveau, qui des entrailles, qui de la rate, qui du foie.

(Méd. m. lui. II. 9.)
«Qui lance un pain, un plat, une assiette, un couteau;
«Qui pour une rondache empoigne un escabeau.»
(Regnier. Le Festin.)

QUITTER SA PART A (un infinitif):

La mienne (ma main), quoiqu’aux yeux elle semble moins forte,
N’en quitte pas sa part à le bien étriller.
(Éc. des fem. IV. 9.)

JE LE QUITTE:

Ho! poussez. Je le quitte, et ne raisonne plus.
(Dép. am. II. 1.)

Oh! je le quitte.

(B. gent. IV. 5.)

Ah! je le quitte maintenant, et je n’y vois plus de remède.

(G. D. III. 13.)

C’est-à-dire, je donne quittance du surplus; j’en ai assez, j’y renonce. Le est ici au neutre, sans relation grammaticale.

«La police feminine a un train mystérieux; il fault le leur quitter

(Montaigne. III. 5.)

Le leur abandonner, ne s’en point mêler.

«Mon père, lui dis-je, je le quitte, si cela est.»

(Pascal. 7e Prov.)

QUITTER A QUELQU’UN LA PLACE, LA PARTIE, la lui abandonner:

Ma présence le chasse,
Et je ferai bien mieux de lui quitter la place.
(Tart. II. 4.)
Mettez dans vos discours un peu de modestie,
Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie.
(Ibid. III. 2.)

—«Adrian l’empereur, débattant avecques le philosophe Favorinus de l’interpretation de quelque mot, Favorinus luy en quitta bientost la victoire

(Mont. III. 7.)

On disait aussi quitter quelqu’un de quelque chose.

Le baron de la Crasse, de Raymond Poisson, se vante de son talent à jouer la comédie; et pour en donner sur-le-champ un échantillon:

«Autrefois j’ai joué dans les fureurs d’Oreste:
«Tiens, tiens, voilà le coup...—Nous vous quittons du reste.»

Et le pelletier vantant ses fourrures à Patelin:

«N’en payez ne denier ne maille,
«Se vous en trouvez qui les vaille;
«Je vous en quitte
(Le Nouv. Pathelin.)

QUOI, adjectif neutre, pour lequel:

Le grand secret pour quoi je vous ai tant cherché.
(Dép. am. I. 2.)
Ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire.
(Tart. III. 3.)

Ces disputes d’âges, sur quoi nous voyons tant de folles.

(Am. magn. I. 2.)
Voici de petits vers pour de jeunes amants,
Sur quoi je voudrois bien avoir vos sentiments.
(Fem. sav. III. 5.)

.... La dissection d’une femme, sur quoi je dois raisonner.

(Mal. im. II. 6.)

Il est remarquable avec quel soin Molière fuit ce mot lequel.

(Voyez LEQUEL évité.)

«Selon Vaugelas, quoi, pronom relatif, est d’un usage fort élégant et fort commode pour suppléer au pronom lequel en tout genre et en tout nombre. Et de ces deux locutions: le plus grand vice à quoi il est sujet, ou bien auquel il est sujet, il préférait la première.»

(M. Auger.)

Vaugelas ne faisait ici que réduire en maxime l’usage de son temps. Pascal aime beaucoup à se servir de quoi:

«C’est donc la pensée qui fait l’être de l’homme, et sans quoi on ne le peut concevoir.»

(Pensées. p. 43.)

«Elles tiennent de la tige sauvage sur quoi elles sont entées.»

(Ibid. p. 153.)

«Une base constante sur quoi nous puissions édifier.»

(Ibid. p. 296.)

«Je manque à faire plusieurs choses à quoi je suis obligé.»

(Ibid. p. 355.)

RACCROCHER (SE), absolument:

Cet homme me rompt tout!—Oui, mais cela n’est rien;
Et de vous raccrocher vous trouverez moyen.
(Éc. des fem. III. 4.)

RAGE; FAIRE RAGE, faire l’impossible:

Notre maître Simon.... dit qu’il a fait rage pour vous.

(L’Av. II. 1.)

Ou au pluriel:

C’est un drôle qui fait des rages!
(Amph. II. 1.)

RAGOUT, figurément:

Je voudrois bien savoir quel ragoût il y a à eux?

(L’Av. II. 7.)

Un amant aiguilleté sera pour elle un ragoût merveilleux.

(Ibid.)

Cette métaphore est mise dans la bouche de Frosine.

RAISON; LA RAISON, pour la justice, ce qui est raisonnable:

Je pense, Dieu merci, qu’on vaut son prix comme elles;
Que, pour se faire honneur d’un cœur comme le mien,
Ce n’est pas la raison qu’il ne leur coûte rien.
(Mis. III. 1.)

Nous en usons honnêtement, et nous nous contentons de la raison.

(G. D. II. 1.)

RAISON EN DÉBAUCHE, c’est-à-dire, égarée comme on l’est par la débauche:

Une raison malade, et toujours en débauche.
(L’Ét. II. 14.)

FAIRE RAISON, venger équitablement:

Une bonne potence me fera raison de ton audace.

(L’Av. V. 4.)

Faire raison, dans le langage bachique, tenir tête à un buveur qui vous provoque:

«Tous trois burent d’autant: l’ânier et le grison
Firent à l’éponge raison.
(La Font. L’Ane chargé d’éponges.)

RAISONNANT, adjectif, raisonneur:

Je vous trouve aujourd’hui bien raisonnante!

(Mal. im. II. 7.)

RAJUSTER (SE), se raccommoder:

Ils goûtent le plaisir de s’être rajustés.
(Amph. III. 2.)

RAMASSER (SE) EN SOI-MÊME, au sens moral:

Lorsque, me ramassant tout entier en moi-même,
J’ai conçu, digéré, produit un stratagème...
(L’Ét. II. 14.)

«Je prie Dieu, lorsque je sens que je m’engage dans ces prévoyances, de me renfermer dans mes limites; je me ramasse dans moi-même, et je trouve que je manque à faire plusieurs choses..... etc.»

(Pascal. Pensées. p. 67.)

RAMENTEVOIR, archaïsme, remettre en l’esprit, rappeler:

Ne ramentevons rien, et réparons l’offense.
(Dép. am. III. 4.)

Le présent de l’indicatif est je ramentois, tu ramentois, etc.

«Ceste opinion me ramentoit l’experience que nous avons.»

(Montaigne. II. 12.)

Les racines sont ad mentem habere, précédées du re itératif.

«Ménage le tire de ramentaire.» (Trévoux.) Mais d’où tire-t-on ramentaire, et où le trouve-t-on?

RANGER QUELQU’UN, avec ou sans complément indirect:

Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens.
(Éc. des fem. V. 7.)

Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir?

(Méd. m. lui. I. 1.)

Ne vous mettez pas en peine: je la rangerai bien.

(Mal. im. II. 8.)

RANGER AU DESTIN, réduire au destin:

Et ne me rangez pas à l’indigne destin
De me voir le rival de monsieur Trissotin.
(Fem. sav. IV. 2.)

RAPATRIAGE et RAPATRIER:

Veux-tu qu’à leur exemple ici
Nous fassions entre nous un peu de paix aussi,
Quelque petit rapatriage?
(Amph. II. 7.)
Pour couper tout chemin à nous rapatrier,
Il faut rompre la paille.
(Dép. am. IV. 4.)

RAPPORTER; SE RAPPORTER, pour s’en rapporter:

Je veux bien aussi me rapporter à toi, maître Jacques, de notre différend.

(L’Av. IV. 4.)

RATE; DÉCHARGER SA RATE:

Il faut qu’enfin j’éclate,
Que je lève le masque et décharge ma rate.
(Fem. sav. II. 7.)

REBOURS; CHAUSSÉ A REBOURS, métaphoriquement:

Tout ce que vous avez été durant vos jours,
C’est-à-dire, un esprit chaussé tout à rebours.
(L’Ét. II. 14.)

Rebours est un substantif comme revers; aussi dit-on, au rebours de... A rebours est une sorte d’adverbe composé, et, en cette qualité, ne reçoit point de complément.

Rebours était aussi un adjectif, faisant au féminin rebourse:

«Madame, je vous remercie
«De m’avoir esté si rebourse
(Marot.)

De m’avoir été si farouche, si intraitable.

Enfin il y avait le verbe rebourser, qui existe encore sous la forme rebrousser; et je ne doute même pas qu’on ne l’ait toujours prononcé de la sorte, comme on a toujours dit du fromage et des brebis, lorsqu’on écrivait du formage et des berbis, à cause de forma et verveces. On a fini par transposer sur le papier l’r qu’on transposait dans la prononciation, pour éviter la double consonne. Ce point est développé dans les Variations du langage français, p. 30.

Mais rebourser ou rebrousser, d’où vient-il?

Je conjecture que l’r y est parasite, comme on en a des exemples dans plusieurs mots[75]; et que rebrousser est le même que reboucher, qui signifie, dans la vieille langue, émousser, au propre et au figuré:

«Puisse être à ta grandeur le destin si propice,
«Que ton cœur de leurs traits rebouche la malice!»
(Regnier.)

Que ton cœur émousse leurs traits; que leurs traits rebroussent sur ton cœur.

«Rechignée estoit, et froncé
«Avoit le nez et rebourcé
(Roman de la Rose.)

Elle avait le nez rebroussé et comme émoussé.

Il peut être curieux d’observer que cette métaphore de la bouche, appliquée au tranchant de l’acier ou à la pointe d’une flèche, nous vient des Grecs:

Στόμα, bouche et tranchant du fer; στομόω, ouvrir la bouche et tremper le fer; στόμωμα et στόμωσις, ouverture de bouche, trempe de fer, le fil d’une lame tranchante.

Le sens propre et le figuré se trouvent réunis dans ces vers d’Œdipe à Créon:

Τὸ σὸν δ’ ἀφῖκται δεῦρ’ ὑπόβλητον στόμα,
πολλὴν ἔχον στόμωσιν.
(Οἰδ. ἐπὶ Κολ. v. 828.)

«Et tu viens ici avec ta langue bien affilée.....»

Les outils qui n’avaient plus de taillant étaient autrefois des outils sans bouche, des outils rebouchés:

«Kar rebuchie furent lur hustils de fer.»
(Rois. p. 44.)

Un outil rebouché rebrousse, et en rebroussant il va à rebours.

RECEVOIR, pour souffrir:

Cela ne reçoit point de contradiction.

(L’Av. I. 7.)
Ne voulant point céder, ni recevoir l’ennui
Qu’il me pût estimer moins civile que lui.
(Éc. des fem. II. 6.)

Quoi donc! recevrai-je la confusion....

(Impromptu. 9.)

RECONNU DE (ÊTRE)..... pour récompensé:

Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins.

(D. Juan. III. 2.)

RECULER A QUELQUE CHOSE:

Dès demain?—Par pudeur tu feins d’y reculer.
(Éc. des mar. II. 15.)

Hé bien, oui, puisqu’il veut te choisir pour juge, je n’y recule point.

(L’Av. IV. 4.)

RÉDUIT; AME RÉDUITE, soumise, résignée à son sort, comme on dit réduire un cheval:

Il faut jouer d’adresse, et, d’une âme réduite,
Corriger le hasard par la bonne conduite.
(Éc. des fem. IV. 8.)

RÉDUIT EN UN SORT:

Que vous fussiez réduite en un sort misérable.
(Mis. IV. 3.)

RÉGAL, au sens propre, fête, plaisir:

D’où vient qu’il n’est pas venu à la promenade?—Il a quelque chose dans la tête qui l’empêche de prendre plaisir à tous ces beaux régals.

(Am. magn. II. 3.)

DONNER UN RÉGAL:

Il m’a demandé si vous aviez témoigné grande joie au magnifique régal que l’on vous a donné.

(Am. magn. II. 3.)

RÉGALS, au sens figuré:

Et la plus glorieuse (estime) a des régals peu chers,
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers.
(Mis. I. 1.)

(Voyez CHER.)

Il faut avouer que cette expression, a des régals peu chers, manque de naturel, et laisse trop voir le besoin de préparer une rime à univers; nouvelle preuve que Molière commençait par faire son second vers. (Voyez CHEVILLES.)

«Une estime glorieuse est chère, mais elle n’a point des régals chers. Il fallait dire des plaisirs peu chers, ou plutôt tourner autrement la phrase. On dit, dans le style bas: cela est un régal pour moi; mais non pas il a des régals pour moi

(Voltaire.)

RÉGALE, substantif féminin:

Mais quoi! partir ainsi d’une façon brutale,
Sans me dire un seul mot de douceur pour régale!
(Amph. I. 4.)

La racine est gale, en italien gala. (Voyez p. 352, RÉGALER D’UNE PEINE.)

RÉGALER QUELQU’UN D’UN BON VISAGE:

Je vous recommande surtout de régaler d’un bon visage cette personne-là.....

(L’Av. III. 4.)

RÉGALER D’UNE PEINE, indemniser de cette peine:

Mais, pour vous régaler
Du souci qui pour elle ici vous inquiète,
Elle vous fait présent de cette cassolette.
(L’Ét. III. 13.)

Régaler est la forme itérative de galer, qui signifiait se réjouir, prendre du bon temps; ce qu’on dit en italien far gala. Nous avions aussi en français le substantif gale, racine de régal. Mener gale, ou galer:

«Lesquieulx respondirent qu’ils danceroient et meneroient grant gale

(Lettres de rémission de 1380.)

«Icelle femme dit à son mary: Vous ne faites que aler par pays, et galer par les tavernes..... Le suppliant s’en ala jouer et esbattre à la taverne, où il demoura buvant, mengeant et menant gale avec les aultres.»

(Lettres de rém. de 1409.)

(Voyez Du Cange, au mot Galare.)

Galer était aussi un verbe actif; galer quelqu’un, le faire danser, le réjouir.

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